Dimanche 1er mai
Six heures et demie. – Même le calendrier est du côté du patronat, en faisant tomber ce premier mai un dimanche. Il est vrai qu'il s'agit du calendrier grégorien, mis en place, donc, à l'instigation d'un pape, Grégoire XIII. Et l'on sait depuis toujours quelles collusions multiples existent entre l'Église des nantis et le grand patronat réactionnaire…
– 28 pages écrites aujourd'hui ! Voilà un premier mai qui n'a pas été férié pour tout le monde. Restent environ 60 à 70 feuillets et trois jours pour boucler l'affaire. On devrait y arriver. La seule chose un peu pénible est de revenir ici après le dîner pour relire ce qui a été fait depuis le début : l'impression d'être rivé à une chaîne de montage, façon Chaplin dans Les Temps modernes.
– Ludovic arrive demain. Et je vois gros comme une maison que je vais l'avoir dans les jambes samedi et dimanche prochains, lorsque Catherine sera à Saint-Malo chez Élodie. Le seul avantage s'il est là (et je suis presque sûr qu'il y sera) est que je disposerai de la Peugeot pour aller faire mes courses : c'est mince.
– Bonnes nouvelles d'Ygor Yanka ce matin : il a récupéré ce qu'il voulait de ses affaires et devrait quitter la Gaspésie pour Montréal dans cinq ou six jours. Ensuite, courant mai, envol pour Roissy, où j'irai le chercher pour le ramener ici.
– Entre le BM qui avance à marche rapide et le sommeil post-prandial (comme dirait Renaud Camus) qui me prend systématiquement après chaque déjeuner maintenant, je ne parviens pas à lire plus de dix pages par jour. Ce qui rend l'histoire de la papauté assez morcelée. Bah, le travail d'abord. (Ce qui me fait penser qu'il me faut, demain, envoyer un mail à Nancy afin de lui rappeler les sommes colossales que me doit GdV, puisque rien ne m'a été versé le mois dernier, soit : le dernier tiers du BM 322 plus les deux premiers tiers (signature du contrat + remise du manuscrit) de ce 325 devenu 324 = 7000 euros presque ronds. Si elle m'en verse 4000 je serai déjà très heureux.
Lundi 2 mai
Onze heures moins le quart du matin. – Dans un mail reçu ce matin, à propos de mon journal de mars dont elle vient de prendre connaissance, Suzanne me dit que ce qu'elle lit avec le plus de plaisir (et d'amusement, je suppose), ce sont mes aventures de “forçat de l'Underwood”. C'est curieux car ce sont aussi des passages que j'apprécie toujours dans le journal de Renaud Camus. Mais je pensais que la raison de mon intérêt était une sorte de complicité professionnelle, si l'on veut ; le fait qu'il parlait boutique. Apparemment non, puisqu'il s'agit d'une boutique où Suzanne, à ma connaissance, n'est nullement vendeuse.
– Et justement, comme l'indique l'heure à laquelle j'écris cela, ce matin le forçat de l'Underwood est en pleine débandade. Non seulement je me suis mis, tel un idiot obsessionnel, à relire mon journal de mars dans sa version “publiée”, mais voilà que j'ai sauté de lui au journal actuel pour y consigner ce qui précède, et qui aurait parfaitement pu attendre – voire demeurer à tout jamais dans les limbes. Et je sens poindre une envie de café qui va encore retarder de quelques minutes le moment de s'y mettre…
– Ce matin (ou hier), Georges a mis en ligne sur son blog l'intégralité de mon billet de samedi. Je m'en suis senti absurdement flatté (et encore maintenant, en l'écrivant…). Je dois dire que je n'en étais pas tout à fait mécontent moi-même, même si on sentait un peu trop l'exercice de style murayien (ou murayé…)
– La Nuit transfigurée, dans la version pour grand orchestre, jouée par Karajan et le BPO. Cette musique me fait toujours le même effet, celle d'être en quelque sorte la quintessence de la musique romantique, son point d'aboutissement, l'endroit où tout est enfin résolu, aux deux sens du terme.
Six heures. – Eh bien, finalement, la journée a été productive, puisque me voilà avec vingt pages de moins à faire, ce que je n'aurais osé espérer ce matin, lorsque j'écrivais ce qui précède. Il me reste quarante ou quarante-cinq feuillets d'ici au mot “fin”. Seulement, à partir de bientôt, je ne pourrai plus me servir du roman initial, dans la mesure où il se terminait par une sorte de combat de corsaires sur un bateau, au large de Saint-Malo. Scène qu'il me paraît difficile de reproduire telle quelle en Franche-Comté. Je pense que je vais transporter tout mon petit monde à la scierie familiale, où le lecteur est déjà allé lors des chapitres précédents. J'ai bien envie de mettre en route la grosse scie circulaire et couper quelqu'un en deux, histoire de finir en beauté. Mais qui ? En fait, on s'en fout : l'important est que ça saigne.
– On ne cesse de nous admonester, de nous gronder comme des enfants lorsque nous nous laissons aller à notre péché mignon (et en fait, non, pas du tout mignon, bien au contraire) : la généralisation. On le sait pourtant, il ne faut jamais généraliser. Mais en réalité, ce “jamais” est trop simple et il faut nuancer un peu, créer quelques subdivisions selon qui parle et ce qui est dit.
Tout d'abord, il va à peu près de soi que toute personne soupçonnée d'être raciste (soupçonnée par qui ? par quelle autorité compétente ? Peu importe : soupçonné suffit amplement), ou plus simplement encore : de n'être pas de gauche, est interdite de généralisation dans tous les cas de figure. Même s'il s'agit de dire du bien de populations tenues pour discriminées. Ainsi, déclarer que les noirs sont d'excellents rempailleurs de chaise ou que les aborigènes d'Australie ont un sens inné de la peinture sur plantes de pied suffira à me valoir les torves regards de Modernœud. Alors que si une vieille gauchiste en phase terminale déclare que les Indiens sont restés merveilleusement proches de la grande nature, elle récoltera les applaudissements des autres vieilles gauchistes en phase terminale.
Et cela nous amène à une importante nuance de la proposition initiale : on ne doit jamais généraliser sauf si on a la carte et si c'est pour exalter ce qu'on n'est pas soi-même. C'est ainsi que, ce matin, cette vieille folle de Clomani, chez les Ruminants, a pu écrire sans se faire rappeler à l'ordre une connerie aussi pitoyable que :
Manuel et Juliano, son meilleur ami, sont des fondus de football, comme tous les enfants Latino-Américains.
Le soulignage est de mon fait, mais pas les fautes de français. Donc, quand on est une vieille folle gauchiste, on a tout à fait le droit de penser que tous les enfants d'Amérique du Sud adorent le football. Tous, absolument. S'il s'en trouvait un que l'idée de passer des heures, des jours, des années à taper dans un ballon en plein soleil ne soulève pas d'enthousiasme, il serait déchu de sa continentalité sud-américaine illico. Chemin faisant, la momie chavezolâtre ne se rend absolument pas compte de ce que son pitoyable cliché a de méprisant, en plus d'être profondément stupide. Mais ce n'est pas important : grâce au stage de premiers secours antiracistes (Apprenez les gestes qui déstigmatisent !) qu'elle a suivi il y a 72 ans et au brevet de progressisme qui s'en est suivi, elle s'est acquis des droits de généralisation inaliénables. Cependant que toi, mon con, tu resteras cantonné toute ta vie au cas par cas. Et si tu t'amuses à comparer Pierre à Paul, en fonction de Jacques, tu vas voir ta gueule.
Mercredi 4 mai
Six heures. – Brigade mondaine terminé, relu et envoyé ! Ce matin, en m'éveillant, je m'étais résolu à ne pas prendre d'alcool ce soir, comme le voudrait pourtant l'ancestrale coutume, pour la raison que j'ai bêtement bu hier soir alors que rien ne m'y autorisait à part ma fantaisie et mon ivrognerie mal refoulée. Bien évidemment, à mesure que le temps passait et que se dissipait la gueule de bois du matin, ma résolution faiblissait. Et à quatre heures, lorsque j'ai eu terminé le roman, je me suis précipité au Super U pour y acheter de quoi fêter dignement.
C'est quand même effrayant de voir à quel point je ne “tiens” plus l'alcool : hier, après une bière et deux Ricard, j'étais beurré comme un Polonais de souche. Ce matin, j'ai découvert avec consternation que j'avais écrit une dizaine de lignes ici, dans ce journal qui n'a nullement mérité ça, lesquelles se ramenaient à une suite d'éructations et de jurons sans liens ni objet compréhensible. Limite fout-la-trouille, comme dit Christian Combaz d'après Renaud Camus. De plus j'ai envoyé promener violemment le commentateur qui signe NV et je ne sais absolument pas pourquoi. Je me suis évidemment platement excusé ce matin. Il n'empêche que je suis parfois surpris, voire effrayé, de cette violence qui doit bien être en moi puisqu'elle ne perd que rarement une occasion de s'exprimer dès que l'alcool fait tomber les barrières mentales que je dois probablement lui opposer en temps ordinaire.
– Demain et après-demain, retour à FD. Et, samedi et dimanche, journées en solitaire puisque Catherine part chercher le petit chat Golo à Saint-Malo, chez sa fille. Enfin, journées tout seul si Ludovic part effectivement occuper le studio parisien de l'un de ses amis, qui est censé le mettre à sa disposition : j'attends de voir…
– Encore une journée ou deux et le bébé tourterelle sera suffisamment éveillé pour pouvoir être pris en photo par Catherine. Le problème est que, alors, il sera pratiquement aussi gros que ses parents, et donc plus du tout identifiable en tant que bébé.
Vendredi 6 mai
Deux heures et quart. – C'est absolument terrible : je meurs de faim, j'ai un déjeuner à portée de main gauche, qui m'attend dans son petit bento, et je ne peux pas manger ! Tout cela parce que le dentiste m'a anesthésié vers onze heures, que le produit injecté n'était censé faire effet que deux heures et qu'il continue d'être actif. Or, je ne tiens nullement à me remordre la langue, donc je suis condamné à cette interminable attente. J'essaie de distraire ma faim avec la septième symphonie de Bruckner. Il fait son possible, le malheureux – et vas-y que je te balance les cuivres dans le scherzo –, mais que peuvent les forces de l'esprit face à un estomac vide et gargouillant ?
– Ce matin, nous avons bien dû admettre que nous nous étions plantés dans nos estimations, puisque Titi, notre bébé tourterelle, avait bel et bien quitté le nid, où il était censé demeurer vingt jours alors que, de mon côté, je n'en comptait encore que quinze. J'ai d'abord craint un accident, mais je l'ai revu, un petit peu plus tard, posé sur la corde à linge – je suis presque certain qu'il s'agissait de lui car ses plumes étaient encore toutes “froissées” sur le jabot et il volait bien maladroitement.
– À propos de naissance prématurée, Axelle Crevette a mis au jour avant-hier (ou hier ? Zut ! je ne sais plus…) une petite Gabrielle de deux kilos et demi. Avec un mois d'avance, donc. Tout s'est passé à merveille, d'après le peu que nous en savons. Il est sûr que, quand on a déjà donné naissance à huit enfants, un neuvième de deux kilos et demi, ça doit relever de la formalité pure et simple. Enfin, je suppose.
– Je ne crois pas avoir noté que Ludovic s'est, hier, violemment engueulé avec sa mère (pour une broutille, comme toujours), qu'il l'a traitée de tous les noms qu'on ne donne pas à une mère, et qu'il est parti fâché. (Mais pas fâché au point de quitter la maison sans notre deuxième voiture, tout de même…). D'après ce que Catherine a trouvé sur un site médical, il présenterait bien les symptômes les plus caractéristiques de la maniaco-dépression – si l'on dit bien comme ça. Et, évidemment, il ne servirait absolument à rien de le lui suggérer.
– Sinon, Ygor Yanka sera de retour en Europe dans un peu plus d'une semaine : je dois aller le cueillir à Roissy dimanche 15 à midi dix. Dans un premier temps il devrait s'installer chez nous, dans la Case… à la place de Ludovic.
Quatre heures. – J'ai finalement pu déjeuner sans trop de dégâts collatéraux, aux environs de deux heures et demie, trois heures moins le quart. Mais en fait, l'effet de l'anesthésique ne s'est vraiment dissipé que vers trois heures et demie, c'est-à-dire quand cette saloperie de dent s'est mise à me faire un mal de chien. Comment peut-on avoir mal à une dent dévitalisée depuis trois semaines ? C'est ce que je ne m'explique pas. Mais je le constate.
Samedi 7 mai
Quatre heures. – J'ai outrageusement picolé hier soir, et je serais bien incapable de dire pourquoi. Disons que l'excuse était la suivante : comme on avait bu la veille et que je savais que j'allais reboire le lendemain, il aurait été un peu vain de suspendre pour un seul soir. Mais enfin, ce n'était pas une raison pour boire aussi massivement. Résultat, journée d'aujourd'hui passée à me traîner du fauteuil à cet ordinateur et retour. Flemme évidemment aggravée par l'absence de Catherine, bien arrivée à Saint-Malo, aux environs de midi.
– Plus mal à ma dent mais j'ai probablement dû me remordre la langue pendant que j'étais sous anesthésie car elle me fait de nouveau souffrir depuis ce matin. Non, j'y pense, ce que je viens de dire est impossible, sinon j'aurais eu mal dès hier après-midi. Donc, c'est cette nuit que j'ai dû me mordre. Pfff !
– Absolument pas le courage de passer la tondeuse : on verra lundi.
Dimanche 8 mai
Midi. – Moins bu hier qu'avant-hier, mais enfin tout de même pas mal – c'est-à-dire trop. D'où mon courage à rien, ce matin. Ce qui m'étonne est que j'ai laissé un commentaire (sybillin…) sur mon nouveau blog à plus d'onze heures du soir, alors que j'ai commencé à boire à sept heures : comment ai-je pu rester debout aussi tard ?
– Que vais-je en faire, de ce nouveau blog ? Car je pars du principe que, même ne répondant à aucune nécessité, un blog qui existe doit être alimenté, du seul fait qu'il existe justement. Des billets sur l'alcool ? Sur mes rapports avec lui ? On verra.
– J'ai faim mais je recule le moment de manger autant que je le peux, par craindre de me remordre la langue…
Mardi 10 mai
Dix heures du matin. – Catherine est donc rentrée de Saint-Malo hier, vers cinq heures, avec le chat Golo, un petit tigré roux. Hier, pour lui permettre de se remettre du voyage et de la séparation d'avec sa mère et sa sœur, nous n'avons pas laissé les chiens l'approcher. Mais ce matin, oui. Contact assez “rugueux”, notamment avec Swann, mais on sent bien que c'est par excès d'enthousiasme de la part de ce vieux chien. Elstir ne semble pas particulièrement intéressé par la bestiole, et seule Bergotte a une attitude raisonnable, c'est-à-dire à mi-chemin des deux autres. Quant au chat, eh bien il se hérisse, tremble et “souffle”, bref il a peur. Espérons que ça se tassera dans les jours qui viennent.
– À cause de la présence du peintre qui nous refait la façade et l'arrière de la maison, nous vivons avec la moitié des volets fermés et une odeur déplaisante qui s'insinue dans toutes les pièces. Ce même peintre, juché sur son échelle, nous a aimablement signalé qu'un certain nombre de tuiles du toit avait glissé dans la gouttière : l'énigme des infiltrations d'eau dans le salon est donc résolue. Un couvreur vient demain.
– Je crois bien n'avoir pas noté ici que Philippe B., vendredi dernier, m'a solennellement convoqué dans son bureau pour me proposer de me remettre à écrire des papiers “en direct” et donc payés en plus, pour FD. Le journal, d'après lui, souffrirait d'un “déficit de plumes”. J'ai dit oui sur le principe et c'est seulement une fois dans le couloir que je me suis avisé que j'avais totalement oublié de parler d'argent : tout moi. Cela dit, j'ai profité de l'entrevue pour lui vendre l'idée de la série sur la cour de Versailles à mille euros par papier (série de quatre) au lieu de cinq cents comme c'est la règle pour ces pages-là – ce qu'il a accepté tout de suite. Me voilà donc obligé de m'y mettre, ce dont je n'ai nulle envie. Mais il va bien falloir payer le peintre et le couvreur…
Mercredi 11 mai
Huit heures. – Mon moral depuis deux ou trois jours ressemble à un camaïeux de gris, sans que je puisse trouver une raison précise à cet état de fait peu agréable. Peut-être n'y a-t-il pas une raison précise, mais plusieurs raisons vagues. Ou plusieurs raisons précises s'additionnant. Je me demande si ce n'est pas le contrecoup de ma replongée dans l'alcool durant les deux soirs où Catherine était absente plus celui où elle est rentrée : je ne supporterais plus du tout de boire ? Au moins ça réglerait la question.
– Il y a aussi que j'ai passé une nuit épouvantable, mettant un temps infini à m'endormir hier soir, puis étant réveillé dix, vingt fois, par la douleur que je m'infligeais à moi-même en me mordant, un coup la joue, un coup la langue : j'ai vraiment hâte que cette couronne soit posée (ce sera après-demain matin) afin que se règle ce problème vraiment horripilant.
– Et puis l'idée de retourner à FD après quatre jours d'interruption, qui m'est de plus en plus lourde ; et le peintre en bâtiment qui nous oblige depuis lundi à vivre sous éclairage électrique du matin au soir et qui, en plus, fait marcher sa radio ; et les jongleries depuis quarante-huit heures pour faire cohabiter sans casse les trois chiens avec le chaton Golo. Enfin, voilà, soyons lucide : je ne supporte plus le moindre dérangement dans mes habitudes d'existence. Mais ce n'est pas tout à fait cela non plus : FD fait bel et bien partie de mes habitudes d'existence, ô combien, pourtant j'ai de plus en plus de mal à m'y rendre – et surtout à y demeurer une journée entière avec la perspective d'y devoir revenir le lendemain, puis le jour suivant, puis la semaine prochaine, etc.
– Finalement, ça fait du bien de pleurnicher un peu. Et puis, tant que c'est ici, ça n'importune pas grand-monde.
Vendredi 13 mai
Trois heures. – Blogger, qui a déjà donné des signes de faiblesse hier, est totalement en rideau depuis hier soir. J’en connais qui doivent être aux limites de l’asphyxie. D’autant que tous les billets écrits dans la journée d’hier (ou bien est-ce le dernier billet publié sur chaque blog ?) ont disparu. Moi, je trouve ça plutôt amusant, d’autant plus que nous sommes donc le vendredi 13… Mon blog ne me manque pas à proprement parler, ceux des autres non plus. Quant au journal, qui serait sans doute ce qui me ferait le plus cruellement défaut, eh bien, il y a toujours ce bon vieux Word sous lequel (puisqu’on doit dire ainsi) je note ces quelques lignes afin de tromper un peu mon ennui.
– Car ennui il y a bel et bien. J’en arrive à me demander comment ce journal réussit à sortir chaque semaine. Mercredi, Nathalie et moi n’avons rien fait pour le numéro qui était censé commencer ce jour-là à s’écrire et à se monter. Hier, Anne est allé couper un article à la maquette, mais il s’agissait d’une page d’avance, donc ne comptant pas pour ce numéro. Quant à moi, j’ai écrit les mille signes du petit texte humoristique de la page 2 et c’est tout. Enfin, aujourd’hui, Eugénie n’a encore rien fait (pour FD, car sinon elle est fort active au contraire) et j’ai pour ma part expédié la page “Courrier des lecteurs”, mais pour deux numéros en avant de celui qui devrait nous occuper. Si bien que, en dehors des pages qui en ont été faites d’avance il y a une ou deux semaines, tout le journal va devoir être fait entre lundi matin et mardi soir. Jours où, par une chance dont je remercie le Ciel et ma direction, on a jugé bon de se passer de mes services.
– Du reste, a-t-on si tort que cela de s’en passer, de mes services ? Si l’on m’avait posé la question il y a encore deux ans, à la rigueur trois, j’aurais répondu oui sans hésiter, sans exclure même une sorte de fugitive fatuité. Aujourd’hui je serais nettement moins affirmatif : ma lassitude de ce journal, de ce travail – de tout travail et de tout journal, en fait –, mais aussi le fait d’une moindre résistance à la fatigue, au sommeil post-prandial, etc., toutes choses sans doute dues à l’âge – tout cela fait que je suis, je crois, de moins en moins performant, comme je crois qu’il faut dire et comme je suis certain qu’il faut être. Allez, poussons la fatuité jusqu’à l’extase ridicule : je reste le meilleur, mais je suis moins meilleur qu’avant, ma meilleuritude se fait moins écrasante pour mes petites camarades de chaîne.
– Toutefois, comme Philippe B. me l’a dit lors de notre entretien de vendredi dernier, lorsqu’il m’a proposé d’écrire des articles supplémentaires pour FD (ce que j’ai accepté de faire, car nul n’est plus avide d’argent que moi…), je suis une “plume” de ce magazine…
La plume en question, qui avait oublié de parler du montant de la pige durant le premier entretien, est donc retournée voir Philippe B. Tout à l’heure, en remontant de chez le dentiste, afin d’en savoir plus à ce sujet. Le barème est fixé à une journée de travail pour un papier avec une documentation que l’on qualifiera d’ordinaire (c’est-à-dire préparée et donc vite lue et dépouillée), et à deux journées de travail lorsqu’il s’agit de lire tout un livre au préalable. Pour calculer le montant d’une journée de travail, on prend le salaire du journaliste et on le divise par le nombre de jours ouvrés que contient le mois. Ce qui, dans mon cas, met la journée à 220 € brut. La biographie de Belmondo que j’emporte avec moi pour le week-end va donc me rapporter 440 € brut, soit environ 340 € net. Comme je ne compte pas passer plus d’une matinée à lire le livre et à en presser le suc, et pas plus de deux heures pour en tirer quatre ou cinq mille signes, cela reste une bonne opération. Surtout si, comme me l’a assuré Philippe, elle est destinée à être régulière (lui adit : récurrente). Dans ces conditions, on pourrait commencer à envisager sereinement un retrait total de l’aventure mondaino-brigadière, ce qui est tout de même un peu le but recherché.
– C’est très bien, cette clé “mains libres” que Renault fournit avec ses nouveaux modèles de voiture : plus besoin de verrouiller ni de déverrouiller les portes, la petite carte dans votre poche le fait pour vous – pareil pour le démarrage. Sauf que, au bout d’un moment, vous perdez la notion de clé, si je puis dire. Si bien que si vous décidez de faire un saut au troisième sous-sol afin de déposer dans votre voiture une partie du chargement que vous devez rapporter chez vous tout à l’heure, et que vous y descendez sans votre veste dont l’une des poches contient le sésame électronique (car je suppose que c’est électronique), eh bien vous en remontez toujours lesté de votre chargement, non sans vous être traité de noms fort malsonnants mais ô combien mérités. Et en ayant pris une bonne suée car ni les ascenseurs ni encore moins les sous-sols ne sont climatisés.
Huit heures. – Apparemment, sur tous les blogs gérés par Blogger (qui semble avoir repris ses esprits), les dernières choses publiées ont donc réellement été perdues (pas pour tout le monde, diront nos inénarrables gauchistes partisans de toutes les théories du complots. Et j'attends je premier billet qui, avec des sourires entendus et des clins d'œil lourds, nous expliquera qu'il faudrait être naïf pour ne pas voir la fameuse “main de l'Élysée” derrière cette panne, etc.), y compris sur ce journal : l'entrée d'hier s'est envolée. Personne ne la regrettera, et sans doute pas moi qui ne me souviens absolument pas de quoi il pouvait bien y être question. Mais je suis sûr qu'en ce moment même des blogueurs se roulent par terre de désespoir, en pensant aux vingt lignes capitales qu'ils avaient “rédigées” hier soir, qui devaient changer sinon la face du monde mais au moins le derrière de ses oreilles, et qui ont disparu, que l'humanité a irrémédiablement perdues. Il y en a, évidemment qu'il en a.
– Pendant ce temps, la Grèce est au bord de l'embrasement ethnique : les bienfaits de l'Europe plus ceux de l'immigration commencent, une fois conjoints, à produire les effets dont nous savons depuis déjà un moment qu'ils sont inévitables. Les jeunes progressistes vont répondre qu'il faut plus d'Europe et les vieillard gauchistes réclament déjà davantage d'immigration – légale ou non, on 'en est plus là. En quoi ils seront, comme toujours, parfaitement d'accord et également à fusiller.
Samedi 14 mai
Six heures et demie. – Parce qu'elle ne pourra pas aller demain matin à Pacy (je réquisitionne notre unique voiture pour aller récupérer Ygor Yanka à Roissy à midi – enfin : à partir de midi…), Catherine est en ce moment même à la messe en l'église d'Houlbec-Cocherel, où nous avons vécu un peu plus d'un an, dans une maison que nous louions, avant d'acheter celle-ci.
– Depuis le début de l'après-midi, je télécharge (en payant, Monsieur l'agent, en payant !) des symphonies de Mahler que je possède déjà, mais dirigées par Bernstein. Lorsque le téléchargement d'un morceau est terminé, la fenêtre Amazon MP3 downloader affiche le message suivant : “Échec de l'import”. Et lorsque par malchance l'opération s'interrompt avant son terme, on me dit alors : “Échec du téléchargement”. Dans les deux cas échec, donc. La langue de ces gens – dont j'ignore tout par ailleurs, je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi peuvent bien ressembler, dans la vie, les gens qui mettent sur pied ce genre de choses – m'étonnera toujours.
Ajoutez à cela le fait que, oui, en effet, le téléchargement revient moins cher que l'achat d'un disque, on l'obtient presque instantanément, on n'est pas obligé de côtoyer ses semblables, de les voir, les entendre ni de les renifler, mais enfin je trouve tout de même le rabais assez misérable. Un CD à quinze ou seize euros dans sa version matérielle revient encore à dix lorsqu'on le télécharge.
– J'ai de plus en plus envie de m'acheter l'un de ces livres électroniques, de ces e-livres dans lesquels on télécharge (encore !) des romans, essais, enfin tout ce qu'on veut. Et l'on se retrouve, comme dans le cas de l'iPod pour la musique, avec la moitié de sa bibliothèque dans la poche, rejoignant ainsi le rêve psychiatrique du Professeur Kiel (ou Kien ? Je ne sais plus) dans l'étrange et admirable Auto-da-fé d'Elias Canetti. En fait, je ne m'en servirais, je crois, que pour télécharger des livres que j'ai déjà eus mais que j'ai prêtés et ne sont jamais revenus. J'y ai pensé pour la première fois il y a une semaine. Je voulais copier sur je ne sais plus quel blog l'extraordinaire première phrase du Manuscrit trouvé à Saragosse. Ne la trouvant pas sur le net, je me suis résigné à rechercher le livre de poche que j'étais absolument certain d'avoir, et que je n'ai jamais retrouvé – ce qui m'a vraiment défrisé, pour le coup. (Maintenant que j'y pense, je me demande si ce ne serait pas Adrien qui l'aurait.) Là, je me suis dit que si je possédais ce type d'appareil, je n'en aurais pas pour longtemps à télécharger le roman de Potocki (si sa version immatérielle existe, bien entendu), et que cela ne me coûterait rien ou à peu près, le livre étant bien entendu depuis longtemps dans le domaine public.
Je me ferais donc une seconde bibliothèque, avec ce genre de livres : ceux qu'on est certain d'avoir, qu'on a lus et relus, mais qui sont toujours introuvables dès qu'on a la prétention de vouloir mettre la main dessus pour une raison précise, ou simplement par envie d'en relire quelques pages prises au hasard.
Et puis, mes bibliothèques sont de nouveau archi-débordantes, malgré les achats ikéesques d'il y a quelques mois, et le livre électronique me paraît très à même de résoudre ce type de problème – c'est d'ailleurs sa fonction et son intérêt principaux.
– Journée assez active, somme toute, puisque après avoir passé la tondeuse ce matin je suis venu à bout de la biographie de Belmondo que Philippe B. m'a demandé de lire pour FD. Je lui ai même expédié un petit mail pour lui donner mon avis sur ce qu'il convenait d'en faire. S'il me suis sur le terrain où j'essaie de l'entraîner, cela me fera 450 € assez facilement et rapidement gagnés.
Lundi 16 mai
Quatre heures vingt. – Hier, peu avant deux heures, j'ai donc récupéré Ygor Yanka au terminal 3 (ancien T 9) de Roissy, vol 610 d'Air Transat en provenance de Montréal. Hier soir, nous avons fort généreusement arrosé de chablis (Montée de Tonnerre, premier cru, valeur sûre…) le navarin d'agneau que Catherine avait préparé, et ce jusqu'à une heure avancée de la soirée. Je suppose que notre hôte devait avoir beaucoup de sommeil en retard, ou bien que le décalage horaire l'a tenu éveillé jusqu'aux petites heures du matin, toujours est-il qu'à l'heure où j'écris ceci, il n'est toujours pas sorti de son lit ni de sa chambre, laquelle se trouve dans la Case, juste dans mon dos. Si je ne l'avais pas entendu toussoter une fois ou deux je commencerais à me faire sérieusement du souci pour sa santé. Mais enfin non : vers trois heures je suis tout de même allé frapper et il semble aller bien. En tout cas, au moins pour l'instant, ce n'est pas un hôte encombrant.
En revanche, c'est un hôte fumeur, ce que Catherine et moi redoutions car cela multiplie d'autant les tentations de rechute. Fort heureusement, c'est un rouleur et non un amateur de “cousues”, ce qui fait redescendre la dite tentation à un niveau beaucoup plus raisonnable : me laisserait-on en tête à tête avec son paquet de tabac et ses feuilles gommées que je serais parfaitement incapable de confectionner quelque chose de fumable.
– Je viens de finir d'écrire, et d'envoyer par mail à qui de droit, les cinq feuillets (7500 signes) que Philippe B. m'a demandé la semaine dernière de tirer de la biographie de Belmondo qui vient de reparaître, augmentée d'une centaine de pages consacrées à la décennie 2000. J'ai “débordé” de plus de mille signes (et encore : en étant debout sur les freins durant la dernière ligne droite…), ce qui va obliger le rewriting à travailler à cause de moi.
– Le vin d'hier soir fait que je suis depuis ce matin d'une humeur relativement morose. À quoi s'ajoute un certain sentiment d'étrangeté de savoir que, de l'autre côté de la cloison, derrière moi, dort un homme que je ne connaissais encore pas il y a quarante-huit heures et qui est désormais notre hôte pour un temps indéterminé. Je me sens à la fois curieux et un peu inquiet de la manière dont vont évoluer les choses.
Sinon, je dois dire que la soirée d'hier s'est déroulée fort agréablement, au moins de notre point de vue, à Catherine et à moi ; ce qui est plutôt encourageant.
– J'ai failli aller faire le bouclage de FD, demain, à la demande de Brice, à qui il va manquer trois rewriters sur cinq, ce qui est en effet beaucoup. Failli car il m'a rappelé une heure après me l'avoir demandé, pour m'informer que Philippe B. refusant de payer une journée de pige, il allait être contraint de se passer de mes services. Ce qui, en fait, m'arrange plutôt.
Mardi 17 mai
Onze heures et demie du matin. – Je viens de faire un court billet sur le blog-mère pour annoncer que j'en avais assez de la blogosphère et que, d'une certaine manière, je me retirais dans le silence. J'ai évidemment théâtralisé à l'excès, parce que c'est la loi du genre, mais il y a indéniablement un fond de vérité : j'en ai assez. La cristallisation s'est faite dimanche, avec l'affaire Strauss-Kahn et la déferlante de billets que son arrestation new-yorkaise a immanquablement provoquée. Billets consternants de banalité pompeuse quand ce n'est pas de virulente bêtise : je n'ai même pas envie d'en dire plus à leur sujet.
Si je veux ne pas passer trop vite ni trop gravement pour un guignol, il faudrait au moins que je m'abstienne de laisser des commentaires ici ou là. Ce qui tombe bien car je n'ai pas plus envie d'aller traîner sur les blogs des autres que d'écrire dans le mien. Le mien où je devrais d'ailleurs fermer les commentaires (et voilà qui est fait).
Je me demandais tout à l'heure si ce “ras-le-bol” avait quelque chose à voir avec l'arrivée d'Ygor Yanka chez nous. Mais j'ai beau chercher je ne vois pas le rapport qu'il pourrait y avoir entre ceci et cela.
À propos de Yanka, il avait dû accumuler beaucoup de fatigue et de tension durant ses dernières semaines québécoises car, hier, il a tout de même dormi au moins 18 heures d'affilée. Et il est bien parti pour dépasser les 12 heures encore aujourd'hui. Logiquement ses bagages devraient arriver à Roissy demain (une dizaine de cartons de livres plus une grosse valise, d'après ce qu'il nous a dit). Nous irons probablement les chercher ensemble, avec la voiture, pendant l'heure du déjeuner, dès que ce sera possible.
– Je suis de nouveau en vacances la semaine prochaine (ou en RTT, je ne sais plus… non, ce doit être le reliquat de vacances que nous sommes administrativement obligés de liquider avant le 31 mai de chaque année). J'avais d'abord pensé m'attaquer au synopsis du prochain BM, afin de me ménager une avance confortable. Finalement, je vais essayer plutôt de me débarrasser de cette sempiternelle série de quatre doubles pages sur la cour de Louis XIV. M'en débarrasser pour ne plus avoir à y penser, d'abord ; et accessoirement pour toucher le mois suivant les 4000 € qu'elle doit me valoir.
– Catherine vient de passer dans la Case pour venir frapper à la porte de la chambre. En disant qu'il fallait bien que Yanka retrouve un rythme de vie à peu près en phase avec le nôtre. Elle a raison, évidemment ; et d'autant qu'Ygor lui-même, hier soir, nous affirmait avec force qu'il allait mettre son réveil à huit heures. Il l'a peut-être fait, du reste, mais ça n'a pas été suivi d'effet immédiat.
Mercredi 18 mai
Neuf heures. – Très mauvaise influence d'Ygor Yanka, malgré qu'il en ait : Rentrant ce soir de Levallois, je me disais que j'aurais bien pris un apéro en terrasse, tout de même. Mais enfin, j'étais parfaitement résigné à ne point le faire. Et puis j'arrive et Catherine me saute littéralement suer le râble, me disant : « Si tu pouvais te contenter de deux bières ou trois, on pourrait se prendre un apéro… » Évidemment j'ai dit oui : on me connaît. Et, à l'heure qu'il est, je suis gentiment saoul – mais sans plus.
– À propos d'Ygor, on va peut-être lui trouver plus rapidement qu'il ne le pensait lui-même de quoi subvenir à ses besoins. Son avantage est que, bien entendu, j'ai déjà hâte de revenir à ma vie routinière, qu'il contrarie bien malgré lui. Donc, je suis prêt à tirer toutes les sonnettes, ce que j'ai commencé à faire : il va faire un essai à FD après-demain, je lui rétrocède un BM comme je l'ai fait pour Yibus l'année dernière, etc. Tout cela malgré le fait que les choses se passent très bien entre nous, qu'il soit un homme tout à fait charmant, intelligent, bien élevé, etc. Et je m'en veux d'être aussi “vieux”, intolérant, routinier, et tout ça. Mais je n'y peux à peu près rien : l'idée que quoi que ce soit puisse dévier un tant soit peu de ses rails me plonge désormais dans des abîmes.
Jeudi 19 mai
Une heure. – Définitivement, je déteste l'idée de manger dans ce bureau devant témoins. Même quand il s'agit d'un témoin unique et qu'il s'agit de Brice avec qui j'ai déjeuné des douzaines de fois à L'Ambiance d'à côté ou ailleurs. Moyennant quoi j'attends qu'il se décide à partir lui-même déjeuner et, en attendant, pour tromper ma faim, je viens parler tout seul ici.
– J'ai accepté de venir faire le bouclage de lundi alors que je suis censé être en vacances. Cette maladie de ne jamais savoir dire non, c'est vraiment invalidant. D'autant que ça ne semble pas s'arranger avec l'âge. Comme si quoi que ce soit, d'ailleurs, s'arrangeait avec l'âge !
– Je suis presque décidé à m'acheter un livre électronique et à choisir l'un des modèles Sony. Il va m'en coûter environ 250 ou 300 euros, car bien entendu mon choix semble se porter sur le haut de gamme, pour ne pas changer. J'ai tout de même résisté à l'iPad qui offre des fonctions diverses et variées dont je sais bien que je n'ai nul besoin. Cela dit, si je ne télécharge que des livres tombés dans le domaine public et que je souhaitais plus ou moins m'acheter ou me racheter, l'appareil sera vite amorti. Et ce sera une belle économie de place dans la Case, où de toute façon il n'y en a plus. Comme c'est ce qui a servi de déclencheur à cette envie un peu idiote, je pense que mon premier livre téléchargé sera le Manuscrit trouvé à Saragosse.
– Les bagages d'Ygor Yanka sont arrivés à Roissy, ce qui tombe excellemment puisqu'il sera avec moi demain, ici, à Levallois : nous ferons un aller-retour durant l'heure du déjeuner. En priant pour ne pas avoir à affronter d'infernaux bouchons sur l'A 86 ou l'autoroute.
Neuf heures vingt. – Apéritif encore ce soir. Je sais que Catherine vit ça assez mal. Du reste, je ne le vis pas beaucoup mieux. Et Yanka n'y est pour rien, mais sa présence fait que j'ai envie de le prendre, cet apéritif. Je ne sais pas pourquoi je supporte tellement mal ce micro-changement dans ma routine. Je me regarde comme étranger à moi-même, un individu bizarre, pas très compréhensible. D'ailleurs, je ne sais pas trop pourquoi je suis devant cet écran, ce clavier. Je ne suis même pas saoul, comme le prouve le peu de fautes de frappe que je fais en ce moment, mais il n'empêche que j'ai cette sensation extrêmement pénible d'une vie partant à vau-l'eau, alors qu'en réalité rien ne part à vau-l'eau, que tout est parfaitement normal. Et, en même temps, non : rien n'est normal, je ne pense qu'à ça, il y a cette incongruité d'une présence étrangère, etc. Je deviens étranger à mon propre entendement – c'est à la fois pénible et intéressant. Comment ai-je pu devenir cet homme que je suis aujourd'hui ? L'ai-je toujours été ? Oui, sans doute. Je repense à ce que disait ma mère de l'enfant que j'ai été, qui ne supportait pas du tout le moindre changement dans sa vie, qui devenait odieux dès qu'on l'emmenait chez telle tante ou tel oncle, et qui redevenait charmant dès le retour à la maison. Cet invariant, à près d'un demi-siècle de distance, me colle une espèce de vertige : qui a imprimé tout cela dans ma tête ? Et pourquoi ? Comment s'est fait ce rapport entre le tout petit garçon de 1960 et le vieil homme d'aujourd'hui, qui se pourrit la vie tout seul de la même façon ? Et, au fond, le secours de l'alcool excepté, retrouve cette seule issue de devenir très pénible, jusqu'à ce qu'on le délivre du moindre changement ?
Vendredi 20 mai
Quatre heures et demie. – Ygor Yanka est donc venu faire son essai de rewriting à FD aujourd'hui. Il s'est bien tiré de l'exercice, sauf en ce qui concerne la rapidité, mais ça c'est normal et ce sont des choses qui, avec l'assurance qui vient, s'arrangent rapidement. Par un vrai coup de chance, Catherine ce matin, à peine étions-nous partis de la maison, a reçu un mail de Roissy pour nous signaler que les cartons d'Ygor étaient à notre disposition, au bâtiment X, secteur Trucmuche, dans la “zone cargo”. Avec l'optimisme qui me caractérise, j'étais bien certain, lorsque nous avons pris la voiture vers une heure et demie, que tout allait aller de travers. Eh bien non : circulation fluide, repérage du bâtiment très facile, personnel charmant et zélé. De plus, il ne nous manquait aucun papier, tous les colis étaient là, bien sages et rassemblés dans leur coin. À trois heures j'étais de retour à FD. Mais, depuis, la fatigue m'est tombée dessus et j'ai un mal fou à garder les yeux ouverts. Somnolence sans doute provoquée par l'énervement et aggravée par le fait que le travail n'arrive pas, désespérément pas.
– Pour m'occuper j'ai décidé de sauter le pas et de me commander un “reader” auprès de la boutique en ligne que Sony met à la disposition de ses clients éventuels. Éventuel je le suis resté car le reader en question n'était pas disponible à la vente. Je pense que je vais aller faire un tour à Évreux la semaine prochaine, chez Darty ou ailleurs, pour acheter l'engin en question – si j'en trouve un.
– J'ai de nouveau un article à écrire pour FD (Marina Vlady, trois feuillets), à partir d'une documentation quasiment déjà faite. J'en ai pour deux heures maximum. Ce serait vraiment une très bonne chose que cette pratique devienne régulière : les mille euros que je gagnerais en plus par mois (environ, en moyenne annuelle) me permettraient d'abandonner les BM (ou de les refiler à Yanka…) ou au moins de réduire encore ma participation à la série.
Samedi 21 mai
Cinq heures. – Aucune envie de rien écrire ici, ni ailleurs du reste. Journée morne, vide, pénible. Seul point positif : je viens plus ou moins de renoncer à m'acheter un livre électronique, après être un peu allé traîner sur les différents site où l'on est censé télécharger les livres. Soit je ne comprends rien à la manière dont fonctionne le site en question, soit je crois comprendre, mais alors, j'ai beau taper des noms d'écrivains ou d'œuvres, il est fort rare que j'accède à ce que je voulais. Pas conséquent, je sens tellement poindre les crises d'énervement que je préfère renoncer tout de suite. Je viens donc d'économiser près de 300 euros : bonne journée, finalement. Mais j'aurais mieux fait de me débarrasser de mes trois feuillets sur Marina Vlady.
– Ah oui, voilà encore une source d'énervement, mais hier soir cette fois. J'étais persuadé de posséder le livre que Marina Vlady a consacré à Vladimir Vissotsky – eh bien non ! Et le pis, dans ce cas, c'est que je ne puis raisonnablement accuser qui que ce soit, dans la mesure où c'est très certainement moi qui l'ai jeté à la défaveur d'un déménagement, en me disant que jamais je ne relirais un livre pareil. La morale de ceci semble bien être qu'on ne devrait jamais jeter de livres. Mais alors, il y faudrait une maison autrement plus grande que celle que nous occupons. Or, tout le monde ne peut pas aller se les geler à Plieux.
– Catherine a embarqué Ygor Yanka à la ferme où elle se fournit désormais en viande de porc, afin de lui montrer les cochons. Ils sont également passés au Carrefour pour je ne sais plus quoi. Le pauvre Ygor doit commencer à se dire que nous menons une vie bien étriquée et sans charme. D'un autre côté, le but n'a jamais été qu'il y prenne goût…
Dimanche 22 mai
Midi et demie. – Hier, parce que je pensais mort le poste de télévision (en réalité, le petit chat a dû marcher sur la seconde télécommande et tout interrompre…), je me suis mis au lit à dix heures. Et n'en suis sorti qu'à neuf heures ce matin. Et je me demande si c'est le fait d'avoir quelqu'un à la maison, que ma routine soit dérangée, qui me fait dormir autant.
Forcé de m'interrompre : retour de Catherine de la messe…
Cinq heures. – Je viens tout juste de terminé l'article pour FD consacré à Marina Vlady, écrit en écoutant Vladimir Vissotzki, ce que je n'avais pas fait depuis longtemps. Article évidemment trop long, comme d'habitude, et dont j'ai l'impression frustrante de n'avoir qu'effleuré le sujet – là aussi, comme d'habitude.
– Toujours pas fait de billet sur le blog-mère, et la certitude d'en avoir de moins en moins envie. ce qui, bien entendu, n'a pas la moindre importance.
– Humeur en demi-teinte, c'est le moins que je puisse écrire. Je pensais à Ygor Yanka, cette nuit, durant un moment où le sommeil m'a fui (toujours très propice à ce genre de réflexion, la veille nocturne), et il me semblait qu'il n'aurait pas trop le choix de retourner rapidement en Belgique, malgré qu'il en ait, afin d'exciper de sa nationalité pour percevoir l'équivalent de notre RSA. Puis, à partir de là, sa situation un tant soit peu stabilisée, se mettre à chercher des travaux d'écriture, comme il pense qu'il peut en trouver. Ce qui veut dire que, dans un avenir très proche, il va bien falloir lui expliquer que son hébergement ici ne peut être que de courte durée, qu'il n'a jamais été question pour nous de “l'adopter”. Après tout, je veux bien comprendre qu'il n'ait pas très envie de retourner vivre en Belgique, et que ses liens avec sa famille soient fort lâches, mais enfin il se trouve dans un cas de force majeure et il va devoir en tirer les conséquences, même si elle sont peu agréables.
Lundi 23 mai (Saint-Didier)
Quatre heures. – « Puisque nous avons titré ce billet sur Chateaubriand, parlons donc un peu de Michel Chaillou. J'ai déjà dit ici (je veux dire : quelque part dans les catacombes de ce foutoir qui me sert de blog) toute l'admiration que j'éprouvais pour l'un des titres de ce superbe écrivain : Le Sentiment géographique (admiration s'étendant au livre lui-même, mais ce n'est pas le sujet comme dirait Nicolas). Le rencontrant il y a quelques mois dans une librairie parisienne, j'avais même fait part de mon enthousiasme à Michel Chaillou lui-même, qui m'en avais gentiment remercié. Je me suis aperçu tout à l'heure qu'il a surtout dû me prendre pour un gros inculte, puisque ce que je semblais lui attribuer comme une création était en fait un emprunt au Chateaubriand des Mémoires d'outre-tombe – lequel écrit en effet, au début du huitième chapitre de son dix-huitième livre : “ (…) il entrevoit, relativement à Carthage, les objections dont mon sentiment géographique serait l'objet ; ”
« Le “il” dont il est question ici est le cardinal de Beausset, qui vient d'écrire à Chateaubriand une lettre fort louangeuse à propos de son Itinéraire de Paris à Jérusalem, tout juste paru – nous sommes en 1811. Évidemment, celui-ci ne peut s'empêcher de la reproduire, avec ce mélange de fatuité naïve et de protestation de modestie qui est l'une de ses marques de fabrique ; de celles dont on s'horripile au début des Mémoires pour s'en amuser dans la suite. Du reste, la lettre du cardinal mérite bien d'y figurer car elle n'est pas d'un mauvais lecteur. Et voici ce qu'écrit le prélat, à propos du passage de l'auteur en Égypte :
« “ Que je vous sais gré, monsieur, d'avoir voué à la juste exécration de tous les siècles ce peuple stupide et féroce, qui fait, depuis douze cents ans, la désolation des plus belles contrées de la terre ! On sourit avec vous à l'espérance de le voir rentrer dans le désert d'où il est sorti. ”
« On voit que Sa Pourpritude n'y va pas avec le dos de l'ostensoir. Ignoreriez-vous, Éminence, que la plus pure lumière est sortie de ce peuple péninsulaire que vous calomniez si injustement ? Que nous leur sommes redevables de tout ce qui se fait de beau et de bon en nos contrées, mais qu'il convient de les absoudre énergiquement des haines et violences qui ne furent jamais que par nous propagées ? Hmm ?
« Encore sous le choc de ce jugement cardinalice, m'est alors venu le désir de le relire, cet Itinéraire. D'autant que je suis bien sûr qu'il est, lui, sagement rangé dans ma bibliothèque : je l'y ai aperçu, voici quelques jours, tandis que je cherchais un certain Manuscrit, trouvé à Saragosse et reperdu au Plessis-Hébert. »
Voilà en gros le billet que je viens d'écrire sur le blog-mère.
– Hier soir, télé, je suis tombé par hasard sur une émission (d'Arte je crois) consacré à Max Frisch, écrivain suisse dont je me souviens avoir lu quelque chose, sans doute une partie de son journal, il y a fort longtemps (et probablement sur les conseils de Carlos). De très larges extraits de ce journal étaient lus en voix off et ce m'a été l'occasion de constater (ce n'est pas la première fois) à quel point ce journal-ci, le mien, était pauvre et, surtout immotivé. L'impression de le tenir uniquement pour “faire mon intéressant”, comme dirait ma mère. Tant pis, continuons.
– D'un autre côté, je ne puis pas clamer à tout vent que je ne suis pas écrivain et ensuite venir m'étonner de l'absence de valeur littéraire de ce journal – un peu de cohérence tout de même.
– J'ai également décidé que la présence à durée indéterminée de Yanka chez nous était une bonne chose. Parce que c'est bien beau de haïr le mouvement qui déplace les lignes, mais enfin j'en arrive à ne plus supporter rien qui s'écarte de la routine. Et comme je n'ai finalement que 55 ans, il est plus que temps de combattre cette tendance, si c'est possible, avant de devenir une sorte de hibou acariâtre à lorgnons, tout droit sorti d'un dessin animé de Disney. Donc, à partir d'aujourd'hui, considérons ce qui nous arrive (et que nous avons d'ailleurs provoqué, d'une certaine manière) comme une amorce de thérapie comportementale. Et puis c'est tout.
– Ai-je noté ici le pseudonyme que je me suis choisi pour les articles que je vais désormais écrire pour FD, chaque semaine ou presque ? Pierre-Marie Elstir. (Naissance de Pierre-Marie pourrait être le titre de cette livraison…) Elstir parce que je signe déjà Didier Balbec les “séries” que je fais depuis quelques années, et Pierre-Marie parce que j'aime énormément ce prénom, et depuis fort longtemps – depuis 1979 exactement, lorsque, entré à La Vie (anciennement catholique…) au sortir du CFJ, Philippe Bernalin m'a fait connaître Pierre-Marie Cortella, journaliste qui devait avoir une dizaine d'années de plus que nous et qui, peu de temps plus tard, a quitté Paris pour aller s'installer à Bordeaux.
Toujours à propos de ce prénom, Pierre-Marie, j'en ai toujours un peu voulu à Boris Hannoyer, ex-rewriter de FD, que j'aimais beaucoup par ailleurs, de l'avoir abandonné au profit de ce pseudonyme slave qui, en plus, me fait penser à la Brigade mondaine.
– Je me souviens d'avoir passé une soirée et une nuit, chez ce Cortella-là (Cortella ou Cortela ? Doute, soudain), à Bordeaux, rue Vital-Carles – et je me demande bien pourquoi et comment je n'ai jamais oublié le nom de cette rue, moi qui ne connais rien de Bordeaux, n'y étais jamais allé avant et n'y suis plus retourné depuis. C'était au printemps de 1984, Philippe Bernalin, Jean-Michel Comte et moi revenions d'une dizaine de jours passés en Espagne – en Castille pour être précis. Philippe arborait un crâne impeccablement glabre, suite à ses premières chimiothérapies. Jean-Michel et moi le surveillions comme du lait sur le feu, peu habitués encore à cette maladie toute neuve. L'un et l'autre nous le savions condamné par les médecins, qui avaient été abruptement clairs à ce sujet. Ces vacances restent pourtant un de mes très beaux souvenirs de jeunesse. Je me demande même si elles ne sont pas, en quelque sorte, la porte de sortie de ma jeunesse.
Sept heures. – Sept heures et je suis toujours ici, à FD, fort affairé à attendre le travail qui reste à faire. Attente due en grande partie à une chaîne d'incompétences et de mépris qui devient intéressante à observer. Mais ils peuvent y aller : parce que je me sens d'excellente humeur aujourd'hui, j'ai décidé de rester parfaitement zen quoi qu'il puisse arriver. Partir à huit heures ? Neuf heures ? Plus tard ? M'en fous ! Il y a quelques bières dans le frigo à la maison, il fait beau, je ne risque guère les bouchons et mon iPod fonctionne : rien ne m'ôtera le sourire. Même si Brice se mettait à parler encore plus et plus fort qu'il ne le fait depuis trois heures. Mithridatisé, l'écrivain en bâtiment !
Mardi 24 mai
Six heures. – Finalement, hier, je suis rentré de Levallois à huit heures et demie, ce qui est – heureusement – exceptionnel. Dès le départ, j'ai malencontreusement cassé le bouton de plastique qui, dans la portière, sert à commander aux mouvements de la vitre électrique. Si bien que j'ai dû faire tout le trajet avec la fenêtre à demi ouverte, ce qui devient vite assez pénible. Ensuite, Catherine et notre hôte ayant déjà dîné, je me suis installé sur la terrasse avec une bière (puis une autre, puis encore une autre…). Yanka est tout de suite venu me rejoindre et nous avons siroté ensemble (moi nettement plus que lui) en parlant d'abord de sa vocation d'écrivain – là, bien sûr, c'est essentiellement lui qui menait la conversation – puis de littérature en général. Aujourd'hui, retour en mode eau minérale.
– Mon seul travail de la journée a consisté à commencer de lire le roman d'Élodie. Il serait bon, demain, que je me mette à cette damnée série sur Versailles. Mais, comme je dois conduire Catherine au presbytère demain matin (à cause de la vitre bloquée, elle ne peut pas laisser la voiture sur un parking), puis Roselyne chez le garagiste l'après-midi, je doute très fort de m'y mettre dans les trous de temps qui resteront disponibles – je me connais.
– Ce soir, c'est Yanka qui fait la cuisine…
– Catherine vient de m'annoncer que nous irons voir mes parents le week-end du 18 juin. Elle veut que nous les invitions au restaurant, ce qui me paraît être une excellente idée. Ce qui serait bien aussi, ce serait de pouvoir voir Nefisa par la même occasion. Je vais d'ailleurs lui faire un mail tout de suite.
Mercredi 25 mai
– Demain, si la pluie promise ne se décide pas à envahir nos cieux – et il semble qu'elle ne s'y décidera pas, en effet –, nous comptons emmener Yanka à Chartres : une petite sortie culturelle lui fera le plus grand bien, car il a tendance à virer marmotte depuis son arrivée et à dormir de façon déraisonnable. Plus exactement : durant un nombre d'heures déraisonnable. On peut supposer qu'il s'agit là du contrecoup des semaines éprouvantes et riches en événements indésirables vécues avant son envol du Canada, à quoi s'ajoute l'incertitude de l'avenir, y compris le plus immédiat ; mais enfin, il me me semble qu'il ne serait pas trop bon pour lui de se morphéiser à outrance. Donc, Chartres.
– Mail de Nefisa, apparemment enthousiaste à l'idée d'une rencontre avec nous durant le week-end où nous serons à Sedan, celui du 18 juin. En principe nous devrions aller pique-niquer au château de Madame Mère, le dimanche midi, seul moment où Mademoiselle Fille sera disponible pour nous. Si bien que Catherine a suggéré que nous avancions notre départ du samedi au vendredi, afin de pouvoir inviter mes parents au restaurant le samedi midi, la plupart des restaurants – en tout cas ceux qui nous feraient plus ou moins envie – étant fermés le lundi. Nous partirons avec Bergotte (l'ai-je dit déjà ?), tandis que les deux mâles resteront ici, confiés aux bons soins de Yanka.
(Je viens de m'interrompre dix minutes, pour aller nourrir les trois chiens… et monter une mayonnaise, ce qui est à peu près la seule chose que je sache faire dans une cuisine – avec la cuisson des coquillettes et le chauffage des saucisses à hot-dog…)
– Je viens de ranger le premier volume de Pléiade des Mémoires d'outre-tombe et ai enchainé aussitôt sur le second. Logiquement je devrais donc “caler“ d'ici deux ou trois cents pages, si la malédiction pesant sur cette œuvre opère toujours. Et, de fait, ayant regardé hier soir un documentaire sur Pasternak, j'ai depuis très envie de rouvrir le Docteur Jivago, que j'ai à toutes fins utiles déjà sorti de la bibliothèque russe pour le rapporter au salon, ce qui n'est pas très bon signe pour ce pauvre Chateaubriand.
– Lorsque j'ai appelé le garage Renault de Pacy, hier, pour mon problème de lève-vitre brisé, la femme qui s'occupe des rendez-vous et de la réception des clients m'a dit de passer aujourd'hui en début d'après-midi et sans rendez-vous. Un peu méfiant, je suis parti avec ce fameux deuxième tome de Chateaubriand, pensant que je risquais d'y passer un moment. Eh bien pas du tout : quinze ou vingt lignes de Mémoires plus loin, la réparation était déjà terminée. Car il ne s'agissait, en fait, que de faire sauter d'un coup de tournevis le petit tableau de bord défectueux, encastré dans l'accoudoir de portière, et d'insérer le nouveau à la place : rien à dévisser, revisser, débrancher, rebrancher, que sais-je encore. Et, en plus, ce petit tour de passe-passe étant pris en charge par la garantie, je suis donc ressorti du garage très vite et aussi riche que j'y étais entré.
– Le seul point noir de cette journée est que je n'ai pas avancé d'un ongle de pouce dans ma série “Versailles”. Et si demain la journée est chartraine, comme je n'ai pas le don d'ubiquité…
Jeudi 26 mai
Sept heures et demie. – Pas de Chartres aujourd'hui, pour cause de ciel plombé, peu propice à l'admiration des vitraux, et de vent violent. Et pas de Chartres demain non plus : j'ai reçu tout à l'heure un coup de téléphone de Gabriel, le chef des informations de FD, qui voulait me confier un article à faire pour lundi. Au départ, il s'agissait d'un papier à écrire sur documentation, et donc payé comme une journée de travail (220 € dans mon cas). Croyant sentir que j'hésitais à accepter, parce qu'il va me falloir faire l'aller-retour à Levallois juste pour aller chercher la documentation en question, alors que j'avais déjà décidé que c'en valait la peine, il a spontanément déclaré qu'il me paierait l'équivalent de deux journées – preuve qu'il ne devait avoir à peu près personne d'autre à disposition pour ce travail. Donc, j'y vais demain, en fin de matinée, dès que Catherine sera de retour du presbytère. Et il faudra que je me dépêche de rentrer pour rendre la voiture à Catherine qui en a besoin pour autre chose, mais j'ai déjà oublié quoi. J'ai tout de même hâte que Ludovic nous rapporte la deuxième voiture, qui nous faciliterait bien la vie.
Elle nous la faciliterait d'autant que, s'il le désire, je pourrais apprendre à Yanka à conduire une voiture à boîte manuelle, lui qui n'a appris à piloter, au Canada, que des voitures à boîte automatique. Il pourrait ainsi être moins dépendant de nous.
– Toujours à propos de notre “réfugié matrimonial” comme Catherine a imaginé drôlement de l'appeler, je lui ai proposé de s'essayer à un BM. Il semble avoir mordu à la chose puisqu'il m'a parlé hier d'une histoire qui se déroulerait pendant le prochain tour de France. (Car, les clichés n'étant pas toujours dénués de fondements, bien au contraire, ce Belge s'intéresse au cyclisme, même s'il ne semble pas être fanatique.) Nous avons déjà une ébauche de synopsis tenant la route (ce qui, vu le sujet, est bien le moins). Je compte mettre au point avec précision le déroulement du premier chapitre afin qu'il puisse l'écrire en guise de test “grandeur nature”. Il est évident qu'il sait parfaitement écrire, encore faut-il qu'il parvienne à plier son écriture aux impératifs de la série – ce qui, en fait, revient souvent à renoncer à toute espérance de littérature, justement. Et ce n'est pas forcément le plus facile. Si ça marche – ce que je souhaite vivement, il pourrait en faire deux à l'année, que je lui sous-traiterais, comme je l'ai fait il y a deux ans pour J.B. G. : cela devrait lui permettre sinon de vivre confortablement, du moins de se mettre un toit au-dessus de la tête (un toit qui ne soit pas le nôtre, s'entend) et de se nourrir. Tout en lui laissant pas mal de temps pour se trouver d'autres sources de revenus et s'y consacrer. Quant à moi, au moins pour 2012, je me garderais les deux derniers BM, de manière à restreindre notre budget en douceur, avant l'arrêt complet de la série, ou ma désertion finale des rangs de ses auteurs.
– Il reste que nous irons probablement à Chartres au début de la semaine prochaine.
– Passant devant la maison de la presse de Pacy ce matin, pour aller à la boulangerie, je suis entré avec l'idée de trouver Le Magazine des livres de Vebret. Il n'y était pas mais Le Magazine littéraire proposant un dossier sur Balzac, je n'y ai pas résisté. Et j'ai grand peur que sa lecture ne me pousse à replonger dans La Comédie humaine, alors que j'ai une quinzaine de livres en souffrance, dont Madame de Sévigné, Saint-Simon et la princesse Palatine, pour cette maudite série sur Versailles, dont je me demande si je finirai par la faire un jour. Du coup, j'ai aussi acheté La Nouvelle Revue d'histoire, consacrée, elle, à Mitterrand.
Vendredi 27 mai
Cinq heures et quart. – Aller-retour éclair à Levallois, donc, approximativement entre onze heures et demie et trois heures. Je n'y suis pas allé pour rien (encore heureux…) puisque ce n'est pas un mais deux articles que Gabriel m'a demandé d'écrire pour lundi, ce qui va m'occuper à peu près tout le week-end mais fera tomber environ 650 € dans l'escarcelle familiale. Tout semble donc aller pour le mieux de ce côté.
– Avis de tempête sur la BM, en revanche. Peu avant de partir pour FD, ce matin, coup de téléphone d'Anne M., la nouvelle assistante (elle a un titre plus ronflant mais j'ai oublié lequel) de GdV. Qui m'annonce que, suite à je ne sais quelle restructuration chez l'imprimeur des éditions Vauvenargues, le délai séparant la remise des manuscrits de la parution des romans va repasser d'un mois et demi à trois mois. Si bien que moi qui pensais avoir enfin un peu de temps pour souffler, mon prochain BM ne devant être rendu que vers le 15 août, me voilà obligé de le finir pour le 14 juillet au plus tard. Le pis est que j'avais “calé mes vacances” du 15 au 30 juillet afin de pouvoir l'écrire tout à fait tranquillement, en n'y travaillant que les matinées. Je pense avoir réussi à les déplacer en amont (du 1er au 15), mais l'affaire n'est pas encore tout à fait conclue.
Le point positif est que j'ai presque vendu à cette dame que je ne connais pas encore l'idée que Yanka pourrait devenir un auteur BM à part entière, c'est-à-dire avec des contrats à son nom et non comme nègre au carré, si je puis dire. Encore faut-il, bien sûr, que l'essai que nous mettons sur pieds en ce moment soit concluant. J'ai par moments quelques inquiétudes, mais enfin on verra. S'il devait vraiment l'écrire, il faudrait qu'il soit terminé pour le 15 septembre, afin que je dispose ensuite de deux semaines pour reprendre avec lui ce qui devrait éventuellement l'être.
Tout cela fait que, si les articles pour FD continuent d'affluer de manière régulière et les piges de tomber dans mon escarcelle, il devient de moins en moins impossible que j'arrête les BM dès 2012.
La remplaçante de Marie-Thérèse, Anne M., m'a annoncé à un moment de notre conversation qu'elle comptait faire en sorte que les paiements des auteurs soient désormais plus réguliers. J'ai eu du mal à ne pas m'esclaffer. Mais enfin, ne décourageons pas les bonnes volontés.
– Et ce sera tout pour aujourd'hui, car je me sens inexplicablement fatigué et il me faut encore établir un semblant de planning de travail pour les jours à venir. Planning qui ne sera bien entendu pas respecté, mais qui aura le mérite d'avoir vécu ce que vivent les plannings.
Samedi 28 mai
Six heures et demie. – Cette première journée “planifiée” a bien failli être totalement improductive : à quatre heures j'étais encore dans mon fauteuil à lire le dernier numéro de la Nouvelle revue d'histoire, acheté jeudi à Pacy sur un coup de tête. Tout de même j'ai fini par me traîner jusqu'à ce bureau afin d'y examiner la documentation rapportée hier de FD. Documentation double, puisque les six mille signes que j'avais à écrire concernent autant Anne Sinclair que Catherine Laborde, la présentatrice météo de TF1 que Catherine (la mienne) déteste parce qu'elle la trouve ridiculement minaudière (ridiculement surtout en raison de son âge, qui est exactement le même que le sien). Une fois que ce fut fait, j'ai tout de même écrit le premier paragraphe, afin que ce soit moins difficile de m'y mettre demain matin – car j'étais décidé à remettre à demain matin. Là-dessus cette entame a réclamé une suite, puis une continuation, etc. jusqu'à ce que, il y a une dizaine de minutes, je ne mette le point final au pensum. Demain, je dois de nouveau écrire six mille signes, mais sur l'autre sœur Laborde, Françoise, journaliste et membre du CSA.
– Très déçu – et même horripilé par moment – par le dossier Balzac du Magazine littéraire. Mais je crois bien que je note la même chose chaque fois que j'achète ce foutu magazine. Il serait bon que je m'en souvinsse, d'une fois sur l'autre…
– Yanka, pris cet après-midi de je ne sais quelle fureur jardinière, a passé au moins deux heures à désherber allée, massifs, etc. Et en refusant de protéger son crâne lustré d'un chapeau, alors que Catherine l'y engageait pourtant fermement.
Dimanche 29 mai
Cinq heures vingt. – Je suis venu à bout sans le moindre effort de mon second article à faire pour FD. Et, à midi, tandis que nous déjeunions (sans Yanka qui était en mode marmotte…), je disais à Catherine qu'une fois de plus les choses semblaient s'arranger toutes seules, sans que j'ai eu à lever le petit doigt pour cela, dans la mesure où, à l'heure où j'envisage vraiment sérieusement d'arrêter totalement la Brigade mondaine, Philippe B. me propose ces articles supplémentaires, dont je ne doute pas qu'ils deviennent réguliers – ils le sont du reste déjà, même si cela ne fait que trois semaines que la pratique en a été instituée. Naturellement, ce qu'ils me rapportent et rapporteront n'équivaudra jamais aux sommes que je perçois pour les romans, mais enfin cela devrait permettre de vivre à peu près correctement, si l'on parvient à faire attention à ce qu'on dépense.
Lundi 30 mai
Quatre heures. – Journée tout à fait improductive, contrairement aux deux précédentes. Il faut dire, à ma décharge, que mon planning prévoyait que je devais, aujourd'hui et demain, “trouver l'idée du prochain BM”. Or, c'est fait depuis hier soir, elle a jailli pour ainsi dire sans s'annoncer, alors que nous étions à table. Le BM 328 s'intitulera donc Les Métamorphoses du vampire et aura pour “méchant” principal un dentiste (mais praticien de luxe, professeur, chef de clinique, etc.) qui prend plaisir à boire le sang d'accortes jeunes femmes, persuadé que c'est cela et cela seul qui le rend capable de bander. Tout va basculer lorsque, nanti de prothèses canines comme un véritable vampire, il va déraper (pour parler comme Modernœud) et en égorger une à belles dents. J'en suis là pour le moment.
– J'ai mis en ligne ce matin le journal d'avril, mais ne l'ai pas encore signalé aux foules impatientes : ce sera pour demain matin.
– Toujours ce matin, mail de Gabriel, de FD, m'accusant réception des deux articles que j'ai écrits samedi et hier. Et aussi pour s'inquiéter de savoir si, malgré les vacances, je pourrai écrire des articles pour le journal durant les deux mois d'été (je suppose qu'il s'attend à n'avoir personne pour remplir les pages). J'ai de plus en plus l'impression que je viens, sans l'avoir cherchée le moins du monde, de me trouver une nouvelle source de revenus régulière et durable – durable au sens classique de ce mot, bien entendu, et non dans son acception écolo-modernodale.
– Cela tombe d'ailleurs fort bien car, à peine en fonctions, la remplaçante de Marie-Thérèse commence à vouloir tout régenter. Dans un mail de ce matin, elle m'informait qu'il faudrait désormais softer les scènes de cul et, surtout, éviter les viols, etc. Elle a eu cette formule drolatique : « Dans les scènes de sexe, je préfère que tout le monde soit content d’être là, adulte et consentant… » Mais si tout le monde est adulte, consentant et “content d'être là”, à quoi pourront bien servir, dorénavant, les flics de la BM ? Je pense que je ne vais tenir aucun compte des avis de cette dame pour le prochain, et on verra bien ce qui se passe.
– Je me suis arrangé avec Brice ce matin par téléphone, afin de pouvoir ne pas travailler le vendredi 17 juin. si bien que nous partirons pour Sedan ce jour-là et non le lendemain comme initialement prévu. Ce qui nous permettra d'inviter mes parents samedi midi, au restaurant de Carignan, La Gourmandière, qui a la mauvaise idée d'être fermé le lundi. Et nous rentrerons lundi au lieu de mardi. Entre temps nous serons allés déjeuner avec Nefisa, chez sa mère et son beau-père (mais sa mère sera absente, si j'ai bien compris). Vendredi, jour du départ, nous avons prévu de quitter la maison assez tôt pour pouvoir visiter quelques-unes des églises fortifiées de Thiérache : voilà près de 20 ans que Catherine me bassine avec ses églises fortifiées, il est plus que temps de lui donner satisfaction sur ce point.
Mardi 31 mai
Midi. – J'étais censé ne pas travailler demain, pour d'assez compliquées raisons administratives, si compliquées et sans intérêt que la seule idée de les retranscrire ici m'accable – du reste, on voit que je ne le fais pas. Mais en fait je vais y aller, travailler, car Brice – qui devait être seul au rewriting – avait oublié (tout comme moi) que ce jeudi qui vient est celui de l'Ascension, et donc férié. Ce qui implique (impliquera peut-être serait plus prudent et juste…) qu'il y aura davantage de travail demain qu'un mercredi de modèle courant. Et comme j'ai prévu de chômer le vendredi 17, celui où nous partirons pour Sedan, je pouvais difficilement refuser le service demandé.
– Et voilà, comme les fois précédentes, je commence à prendre moins de plaisir et d'intérêt à ma lecture des Mémoires d'outre-tombe, maintenant que j'ai abordé le deuxième volume (et avancé dedans de près de 400 pages). Je pense que c'est le côté patchwork qui m'agace un peu, ce collage de lettres (principalement à Mme Récamier), de dépêches d'ambassade et même d'extraits de lettres ou d'écrits d'autres personnes, tels Benjamin Constant ou Mme de Staël. Je poursuis ma route néanmoins.
– Il a plu hier soir et cette nuit, enfin, mais tout demeure pratiquement aussi sec qu'avant la chute, tellement la terre était assoiffée. Très égoïstement je me réjouis de ce temps, qui me permet de laisser la tondeuse dans sa remise : voilà plus d'un mois, je crois bien, que je n'ai pas tondu, ce qui n'est encore jamais arrivé en cette période de l'année. Et l'herbe est jaune comme elle ne l'est jamais, même au plus brûlant d'août.
– J'ai relu tout à l'heure, comme je le fais presque chaque mois, une partie du journal d'avril que j'ai publié hier. Et, naturellement, un nombre impressionnant de bourdes (fautes, répétitions, etc.) m'a aussitôt sauté au visage, après avoir échappé aux trois relectures attentives précédant la mise en ligne. C'est tellement convenu que cela ne parvient même plus à m'agacer – encore moins à me plonger dans ces colères impuissantes dont je fus coutumier des années durant.
– Ce matin, encore au lit, j'ai entendu la porte de la Case s'ouvrir aux environ de sept heures, et je me suis étonné que Yanka se montre brusquement aussi matinal. Lorsque je me suis levé, vers huit heures et demie, il avait de nouveau disparu et, peu après, venant à cet ordinateur, je l'ai entendu ronfloter de l'autre côté de la cloison. Catherine, retour du presbytère, vient de me donner l'explication : lorsqu'il s'est levé, peu après elle, il ne s'est pas vraiment levé, dans la mesure où il n'avait pas encore dormi. C'est dire si l'on n'est pas près de le voir émerger. Si ça tombe, il ne refera surface qu'en juin.
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