lundi 30 mai 2011

Avril 2011








L'IMPATIENCE DE LA MORT










Vendredi 1er

Trois heures vingt. – Je deviens vraiment incapable de lire après le déjeuner, et ça m'ennuie. J'ai ressayé encore tout à l'heure, dans la salle de conférence. Où j'ai dû déchiffrer péniblement cinq ou six pages avant de piquer du nez sur la bedaine et de m'endormir (ce que mon père appelait “lire à poings fermés”, lorsque je regagnais ma chambre, à la Ferté, après le déjeuner). Malgré le Tout un monde lointain qu'Henri Dutilleux déversait dans mes oreilles.

– J'ai tout de même réussi à terminer le livre d'Iegor Gran (L'Écologie en bas de chez moi) : réjouissant, divertissant, “plume alerte” comme dirait un journaliste de modèle courant, mais enfin je n'y penserai déjà plus demain. Et ça ne m'a pas donné envie de commander d'autres romans du même, ce qui est peut-être un tort après tout.

– Demain et dimanche, nous serons chez mes parents. Bien que je n'aie pas très hâte de découvrir mon père avec le crâne rasé pour cause de chimio. Nous partons avec Bergotte (qui à mon humble avis aurait été tout aussi bien au chenil avec les deux autres, mais bon : Catherine fait parfois ce genre de fixette, sur quelques sujets précis – et Bergotte en est un) par le chemin des écoliers, c'est-à-dire en évitant les autoroutes et, par voie de conséquence, la région parisienne. Demain le trajet jusqu'à Sedan s'effectuera par Compiègne et Laon ; lundi nous reviendrons par Saint-Quentin et Noyon. Catherine m'assure que nous sommes déjà passés par Laon, il y a quelques années, et que nous avons même (mais très rapidement) visité la ville ; or, je n'en ai aucun souvenir. Je trouve en tout cas ces deux itinéraires très “résonnants” avec mes lectures capétiennes de ces dernières semaines – lesquelles vont d'ailleurs reprendre dès que sera refermée la double parenthèse Iegor Gran - André Kaspi.

– Je ne sais plus si j'ai noté ici que nous avons retenu à Élodie l'un des deux chatons qui viennent de naître chez elle, afin de faire une nouvelle tentative d'acclimatation avec les trois chiens. Catherine pense que nous sommes maudits de ce point de vue, que même les chats sains d'esprit (s'il y en a…) deviennent caractériels dès qu'ils passent le seuil de chez nous. Je ne suis pas loin de penser la même chose. Enfin, on verra.

(On verra si toutefois on va chercher le matou en question, car je me demande soudain si Catherine n'y a pas renoncé. Ou bien elle en aurait seulement émis l'idée ? Ah merde, je ne sais plus…)


Dimanche 3

Nous voilà donc à Sedan depuis hier en fin d’après-midi, après une journée sur la route fort agréable, avec courte halte à Compiègne, où je ne m’étais jamais arrêté, je crois. Rien à en dire car, un peu pris car le temps – je ne voulais pas arriver trop tard chez mes parents –, nous sommes repartis assez vite, après un coup d’œil au château et à la façade de l’Hôtel de Ville. À propos de ce dernier, un petit panonceau touristique, juste à côté de la porte, propose un bref résumé de l’histoire du bâtiment (très beau, d’un gothique flamboyant de tout partout) et se termine par l’évocation d’un hôtel (pour voyageurs cette fois) voisin où, nous dit-on, Dumas aurait situé la dernière scène de son Comte de Monte-Cristo. Or, je suis bien certain que cette dernière scène se situe au contraire dans l’île de Monte-Cristo elle-même, où l’on assiste aux adieux de Dantès et d’Haydée à Maximilien Morel et Valentine de Villefort. Comment se fait-il que personne ne leur ait jamais fait remarquer cette ânerie ? Cela étant, je me suis bien gardé moi-même d'essayer d'en parler à qui que ce soit…

En fait (et je n’y pense qu’à l’instant), je me demande si le rédacteur de la notice n’a pas confondu avec Les Trois Mousquetaires : ce serait déjà plus conforme à l’esprit du roman – à vérifier. Mais ça n’expliquerait pas que personne ne l’ait jamais signalé à qui de droit. Sommes-nous réellement devenus cette nation inculte, ou bien si tout le monde s’en fout ?

Petite halte, ensuite, dans la clairière de Rethondes. Le wagon de l’armistice est plutôt bien aménagé ; il est dommage que ce ne soit pas le wagon de l’armistice et qu’un haut-parleur de qui vous n’avez pas sollicité l'avis vous déverse dans l’oreille des informations dont tout le monde – en tout cas moi – se serait facilement passé.

– Contrairement à ce que je pensais, mon père ne s’est pas encore fait raser la tête. On voit qu’il a perdu pas mal de cheveux mais comme il en avait une belle épaisseur, ce n’est pas encore trop choquant. Catherine lui a apporté les deux petits bonnets de coton qu’elle avait tricotés pour moi lorsque je me rasais la tête. Sinon, mon père a pris un vrai “coup de vieux”, mais je l’ai trouvé en meilleure forme que ce que je craignais. Et puis, après tout, un coup de vieux à 79 ans n’a rien de spécialement scandaleux ni même étonnant.

Hier soir, bu du vin (pas trop) ; aucune envie de fumer. Couché avant onze heures.

Onze heures. – Nous devions en principe, cet après-midi, aller visiter l’abbaye du Mont-Dieu, située à une vingtaine de kilomètres au sud de Sedan, ou du moins ce qu’il en reste, car je crois bien qu’il s’agit de ruines médiévales auprès desquelles de nouveaux bâtiments conventuels ont été reconstruits au XVIe ou XVIIe siècle – tout cela à vérifier. En tout cas, la promenade semble compromise car le ciel il y a un peu plus d’une demi-heure s’est brutalement assombri, puis le vent s’est levé et, enfin, évidemment, la pluie a commencé à tomber, et n’a plus cessé de le faire depuis. Or, ruines obligent, cette visite est essentiellement une promenade d’extérieur (d’après ma mère qui connaît l’endroit). Il est donc plus probable que nous passions l’après-midi à somnoler dans nos fauteuils respectifs (il y a quatre fauteuils et pas de canapé, dans le salon de mes parents), ce qui ne me dérange nullement : j’ai pensé à apporter un livre avec moi (le deuxième volume des Américains de Kaspi). Et puis, il y a tout de même trois ou quatre volumes lisibles, ici, sans même parler de la collection complète et reliée des Tintin.

(Ma mère et Catherine sont dans la cuisine, à quelques mètres de moi, et préparent ensemble le sauté de veau aux olives qu’a prévu la première : elles parlent à jet continu.)

– Il y a quelques jours, Catherine et moi avons pris conscience – probablement parce que nous pensions à notre venue ici – que nous commencions à ressembler à mes parents, dans leur manière (dont j’ai déjà parlé ici il y a quelques mois) de prolonger indéfiniment une conversation, sur le mode de la métadispute si je puis dire, en multipliant arguments et contre-arguments de plus en plus infinitésimaux, sachant que le sujet de départ, pour que l’exercice soit pleinement réussi, doit être en lui-même dénué de la moindre importance et même de la plus petite trace d’intérêt pour toute personne ne participant pas au tournoi. C’est-à-dire que nous ressemblons à mes parents (nous commençons à leur ressembler…), tels qu’ils étaient il y a quinze ou vingt ans : depuis, chez eux, le mal a considérablement progressé. Et, hier, parlant de ça dans la voiture, nous avons décidé, à l’instigation de Catherine, que désormais celui de nous deux qui le premier s’apercevra que la conversation est en train de muter de la façon que je viens de dire, devra prononcer à haute voix le mot magique : Bidochon ! On espère ainsi enrayer la chute, mais sans trop y croire.

– Je vais m’interrompre pour tenter d’entrer un “raccourci clavier” dans l’ordinateur de Catherine, sur lequel je tape en ce moment. Je dois en être capable, puisque je l’ai déjà fait pour le mien : il s’agit de faire en sorte qu’en tapant “pomme S” on obtienne le nombre de signes du document Word en cours de traitement. Je l’ai déjà fait, mais j’ai totalement oublié comment. Donc…

– Pendant que j’écrivais le paragraphe précédent, mon père est passé dans le salon pour me demander si “on” prenait un petit apéritif avant le déjeuner. Je lui ai répondu qu’“on” pouvait très bien l’envisager, en effet. Il est donc descendu au sous-sol chercher une bouteille de vouvray.


Lundi 4

Six heures. – Nous sommes rentrés de Sedan il y a un peu plus d'une heure, mais j'y reviendrai plus longuement demain. Là, avant d'oublier, je voulais juste noter que, durant mon absence, les Ruminants semblent devenus fous. Je ne comprends absolument rien à ce dont ils m'accusent : j'aurais, d'après certains d'entre eux, pris un pseudonyme musulman (?) pour venir troller sur leur blog, ou quelque chose d'approchant ! Moi à qui on peut reprocher à peu près tout ce qu'on veut SAUF d'avoir jamais écrit dans la blogosphère sous un autre nom que le mien. Ou alors, quand il m'arrive de le faire, il suffit de cliquer sur le pseudo choisi pour être redirigé vers mon blog et comprendre à qui on a affaire. Et là, en commentaire de ce billet, ils s'excitent comme des malades à mon sujet, à propos de ce journal (ou je les étrille un peu, c'est vrai) et de je ne sais quoi d'autre encore. Ils deviennent séniles ou bien ?

– Et ça suffira pour ce soir : je suis un peu fatigué, et le fait d'avoir “bien conduit” (syntagme figé chez nous) durant près de quatre cents kilomètres autorisant une rupture de jeûne alcoolique (déjà bien mis à mal chez mes parents de toute façon…), je ferme cet ordinateur pour rejoindre Catherine à la maison.


Mardi 5

Huit heures moins dix. – Je suis revenu à ce journal hier soir après mon apéritif – point trop massif mais fort agissant – et j'y ai écrit environ l'équivalent d'une page. Dont je me suis demandé ce matin ce qu'elle pouvait bien vouloir dire : elle est partie immédiatement à la poubelle cosmique.

– Plus du tout envie de revenir sur notre week-end ardennais. D'ailleurs que pourrais-je en dire ? Si, bien des choses, évidemment, à propos de mon père, de ma mère – ma mère qui a confié à Catherine qu'elle serait furieuse (c'est le terme qu'elle a employé) si son mari mourait avant sa mère. Je comprends ce qu'elle veut dire, je crois : le sentiment d'une grosse injustice, presque d'un affront personnel. Injustice aggravée par le fait que ma grand-mère, 101 ans, se légumifie de plus en plus, perd complètement la mémoire, en plus des matières qu'un humain est censé retenir lorsqu'il ne se trouve pas enfermé dans des toilettes.

C'est terrible, au fond, de vivre si vieux, de mettre tant de mauvaise volonté à disparaître que tout le monde, dans votre entourage, en devient impatient de votre mort. (L'Impatience de la mort : bon titre, je crois.)

(Penser à parler des problèmes de maison, d'héritage, etc.)

Sinon, les trois heures que nous avons passées en balade, Catherine et moi, ont été parfaites, comme souvent lorsque nous ne sommes que tous les deux et pas un humain à la ronde pour nous pourrir tant soit peu l'existence. Le musée Rimbaud de Charleville n'est pas d'un intérêt fulgurant (penser à relire ce qu'en dit Renaud Camus dans ses Demeures de l'esprit), l'abbaye du Mont-Dieu était fermée, il s'est mis à pleuvoir lorsque nous avons posé le pied sur le pavé de la place Ducale, mais malgré tout cela l'après-midi fut on ne peut plus agréable. Je ne parviens plus du tout, si j'en ai jamais été capable, à comprendre ces gens qui ont sans cesse besoin d'autres gens et d'agitation autour d'eux pour ne pas s'ennuyer, voire simplement pour être tout à fait certains qu'ils sont encore vivants.

Nous avons prévu un nouveau court séjour à Sedan à la fin de mai (après le BM) ou dans la première quinzaine de juin, cela dépendra des séances de chimio. Et, cette fois, nous ferons en sorte, si c'est possible, de déjeuner avec Nefisa.

– À propos de Brigade mondaine, Nancy m'a averti par mail tout à l'heure qu'il ne fallait pas compter sur le moindre sou ce mois-ci. La “mise à jour” financière n'aura pas duré bien longtemps. Cela dit, dans la mesure où nous disposons désormais d'un mini-matelas d'une douzaine de milliers d'euros, cela ne me dérange pas trop. Le tout est, si l'on puise (et on va puiser) dans cette réserve, de la reconstituer dès que la pompe à phynances se remet en action.


Mercredi 6

Huit heures moins le quart. – Journée sans relief ni grand intérêt. Ce matin, quand je suis arrivé à Levallois, mon ordinateur, pourtant tout neuf, a refusé de se plier à mes demandes de coopération de sa part : ce zèbre avait décidé qu'il lui fallait un nouveau mot de passe. Que j'ai bien entendu été incapable de lui fournir. Appel aux services présumés compétents, cafouillages divers, envoi “en urgence” d'un dépanneur qui n'est venu qu'à deux heures de l'après-midi : la routine. Mais enfin tout remarche, et j'ai un mot de passe tout nouveau tout beau que j'aurai probablement oublié demain en arrivant.

– Entre temps j'étais allé montrer ma radio panoramique au dentiste, lequel m'a trouvé trois ou quatre caries, dont une très “belle” (ce fut son mot) nécessitant que la dent soit dévitalisée sur le champ – ce qui fut fait. Comme je persistais à souffrir de ses agissements, il a fini par m'injecter une dose d'anesthésique pour cheval adulte, si bien que j'ai eu une demi-gueule de bois à peu près jusqu'à cinq heures. Lorsqu'il fallut me nourrir ce fut épique. J'avais l'impression d'avoir la tronche dissymétrique de Jean-Dominique Bauby après son locked-in syndrom. Mais j'ai réussi à ne pas me baver sur le Lacoste, et surtout à ne pas me mordre la joue gauche ou la partie de langue insensibilisée. On remet ça vendredi prochain (chez le dentiste).

– Dans l'intervalle, on sera allé sacrifier au rite du barbecue printanier chez les Crevette. C'est prévu pour dimanche midi et comme les dieux tout puissants de la météorologie nationale prévoient un soleil cyclopéen sur l'ensemble du territoire (j'adore la manière dont parlent les señores météo) et des températures supérieures aux normales saisonnières, la journée devrait être fort agréable. Il y a une heure, Axelle Crevette nous a rappelé dans un mail quels seraient les co-invités et elle a eu l'obligeance, tenant compte sans doute de mon délabrement mental, d'accoler les vrais prénoms de ces jeunes gens à leurs pseudonymes de blogueurs. Je ne sais pas encore si, sur le front alcoolique, je vais jouer la carte de l'abstinence ou celle de l'entorse. Catherine me pousse évidemment dans la première direction, mais c'est simplement parce qu'elle n'a pas envie de conduire au retour. Il se peut que je me décide pour une cote mal taillée : je m'en tiens strictement à l'eau minérale chez les Crevette mais je m'octroie un apéritif le soir, une fois rentré à la maison.

– Tout à l'heure, peu de temps avant de quitter Levallois, j'ai troussé très vite un petit billet délibérément provocateur (mais en mode gamin), dans lequel j'en appelais à la mise à mort de la laïcité pour un retour au catholicisme comme religion d'État…

– Ce soir, Ninotchka, de Lubitsch. Je ne suis pas sûr de l'avoir déjà vu. il est vrai que pas plus que Catherine je n'aime Greta Garbo. (Mais quelle phrase ambiguë ! Je veux dire que Catherine n'aime pas Garbo, et que moi non plus, on l'aura compris. Mais de quelque manière que je tente de tourner ça, je ne sors d'une amphibologie que pour tomber dans une autre, voisine.) (Et, allant vérifier le sens du mot amphibologie sur internet, je me suis laissé aller à “enrichir” le petit article que Wikipedia consacre à ce mot.)


Jeudi 7

Sept heures vingt. – Ce type de journée m'énerve de plus en plus : j'ai travaillé en tout et pour tout vingt minutes, quelque part entre midi et une heure. Mais, pour cela, j'ai tout de même effectué 160 km avec toutes les dépenses afférentes : péages et essence notamment. D'un autre côté, si je restais chez moi chaque fois que ma présence n'est pas vraiment nécessaire à Levallois, mes patrons se poseraient rapidement la question de savoir pourquoi au juste ils me paient – s'ils ne se la posent pas déjà. En réalité, il est évident qu'ils ne se la posent même plus. Ils doivent simplement n'avoir pas encore trouvé la façon douce de se débarrasser de moi (et de quelques autres). Et puis, peut-être que virer la “mémoire vivante” que je suis devenu depuis la mort d'Olivier Baumann, cela ferait un peu désordre.

– Une petite gouape blogosphérique, qui pousse le grotesque jusqu'à se pseudonommer Gauche de combat, et que j'ai pour ma part renommée Gauche de c…, me consacre un billet d'une impuissance fielleuse, dans lequel, après avoir cité un extrait de mon journal de février où je dis ce qu'il convient à mon sens de penser de l'islam et de ses sectateurs, il suggère que l'on pourrait peut-être me poursuivre pour cela. Oh ! pas lui, bien sûr ! non, non, qu'allez-vous imaginer ! Mais enfin, si l'un ou l'autre de ses lecteurs, n'est-ce pas, prenait une initiative dans ce sens… On pourrait décider d'appeler ce genre de petites fiotes judiciarolâtres des pénales douces.

– Un couple de tourterelles a décidé d'établir son nid au sommet du volet de la porte de la Case (lequel n'est jamais manipulé). Le résultat est qu'à chaque fois que j'entre ou sort de la dite Case, et même en y allant le plus lentement possible, le volatile qui se trouve sur le nid prend peur et s'envole. Pas bien loin et vite revenu, certes, mais enfin je ne vois pas comment ils vont pouvoir couver dans ces conditions.


Vendredi 8

Huit heures moins dix.Pfiou ! semaine terminée ! Plus le temps passe et plus je me demande comment font les gens qui doivent travailler cinq jours pour seulement deux de repos. Le pis est que cela m'est arrivé, il n'y pas plus de 13 ou 14 ans, et en outre je faisais de grosses journées très bien remplies. J'en garde le souvenir d'une période agréable, mais je pense que je serais tout à fait incapable de le refaire. Il est vrai que France Dimanche ne ressemble plus du tout (mais alors là ma bonne dame : plus du tout du tout !) à ce qu'il était à cette époque. Et que moi-même je n'ai plus 40 ans (mais alors plus du tout du tout !)

– Comme Catherine l'a prévu il y a déjà plus d'une semaine, je sais déjà que je ne commencerai pas le nouveau Brigade demain, sous l'excellent prétexte que, dimanche, nous allons passer la journée chez les Crevette, en compagnie d'autres blogueurs, tous peu ou prou issus d'ILYS : XP, Lounès et le Sorpasso, que nous connaissons déjà, plus Blueberry, peut-être Nicolas et un commentateur qui signe assez étrangement Prolo de la lite (il faudra que je lui demande ce que ça signifie). Je suis ravi de cette journée, ou plus exactement de sa perspective. D'autant que le temps (waow…) a promis de se montrer indulgent avec nos projets de barbecue. Quant à ce samedi qui se profile, eh bien, ma foi, je parviendrai bien à le remplir de quelques brimborions d'activités – du genre : aller chercher le pain et cirer les chaussures.

– Ce soir, sur une chaîne que nous ne regardons presque jamais (Planète, je crois bien), une émission d'une heure intitulée Paul Léautaud à Fontenay, suivie d'une autre de la même série : Céline à Meudon.

– Plus aucun signe de vie d'Ygor Yanka depuis déjà plusieurs mois, ni sous forme de billets sur son blog, ni sous celle de commentaire dans le mien. Ses interventions me manquent un peu. Échaudé par les foucades de Georges et celles, plus anciennes, d'iPidiblue, je me demande si Yanka est fâché avec moi sans que j'en aie été tenu au courant. Mais enfin, ils ne peuvent pas être tous semblables, quand même !

– Je me traîne dans le deuxième tome du livre de Kaspi consacré à l'histoire des États-Unis et commence à avoir hâte d'en sortir. Ce n'est d'ailleurs pas sa faute mais la mienne : le temps que je consacrais à la lecture durant environ une heure et demie chaque midi, ce temps est désormais réduit à rien, à cause de mon hypersomnie, comme disait ce cher Boris Hannoyer. Et rien ne peut la vaincre. Ainsi, hier, en salle de conférence, après avoir lu, iPod sur les oreilles, six ou sept pages, j'ai basculé dans une léthargie lourde et manqué presque tout le troisième acte de Tristan. Aujourd'hui même scénario exactement, mais avec le premier concerto pour piano de Brahms. Faites avancer un livre dans ces conditions, vous !


Samedi 9

Onze heures et quart (du matin). – Eh bien ! je parlais d'Ygor Yanka et voilà que, ce matin, je trouve un très long mail de lui dans la boîte. Le pauvre se trouve englué dans une sombre affaire judiciaro-conjugale (ou plutôt conjugo-judiciaire puisque le conjugal est survenu avant le judiciaire et l'a même entraîné) qui, dans un premier temps, l'a conduit directement en prison ! Il n'y est heureusement resté qu'une couple d'heures, mais il est toujours, actuellement, dans une sorte de centre d'hébergement dont je ne comprends pas bien s'il peut en sortir quand il le veut ou non, mais qui quoi qu'il en soit ne semble pas être d'une gaîté folle (internet réduit à une demi-heure par soir, par exemple). Ses explications n'ont pas toute la clarté voulue pour un non-Canadien. Heureusement, il semble qu'il devrait pouvoir se rapatrier vers la Belgique assez rapidement. Sauf que, là-dessus, viennent se greffer des problèmes de vente de la maison commune, celle-là même qu'ils venaient tout juste d'acheter en Gaspésie.

Je compte lui répondre cet après-midi, car j'attends que Catherine ait lu sa lettre avant : en tant qu'ex-Québécoise, elle pourra sans doute m'éclairer sur certains points qui me restent obscurs. Et, ce matin, elle n'est pas là puisque, comme tous les samedis matins, elle “fait bonne du curé” – expression qui, lorsqu'elle la lui a rapportée, a un peu surpris le père Éric… Il est vrai qu'elle ne colle pas à la réalité puisque Catherine s'occupe à rentrer des fichiers (baptêmes, mariages, etc.) dans l'ordinateur du presbytère. En ce sens, on la qualifierait plus heureusement de computeuse de sacristie.

– Ne pas oublier que je dois cirer les chaussures. Au moins celles que nous mettrons demain pour nous rendre chez les Crevette.

– Que l'art soi en train de mourir (ou d'entrer en profonde léthargie pour un temps indéterminé) fait de moins en moins de doute, en tout cas à mes yeux et à quelques autres (les miens se sont ouverts grâce à la lecture de Renaud Camus, bien entendu). Mais il ne meurt pas uniformément. Par exemple, il me semble que la littérature n'est encore qu'agonisante alors que la musique est, elle, tout à fait morte. J'en veux pour preuve (une toute petite preuve et parmi cent autres qu'on pourrait trouver et énoncer facilement) ce qui s'est passé sur ILYS il y a quelque jours. Dans un billet, le jeune Cherea (rencontré chez les Crevette lors du dernier déjeuner dont nous fûmes) écrivait au détour d'un paragraphe :

En effet, prenez le début des années 90, Gainsbourg est mort, rien de génial au niveau musical en France…

Un peu choqué par cette assertion tranquille, je lui ai alors répondu ceci, un peu par provocation bien entendu :

Je ne voudrais pas faire mon snob, mais enfin, de quoi parlez-vous ? Au niveau musical, comme vous dites, il s’est passé beaucoup de choses, dans les années 1990, en France. L’essentiel de l’œuvre d’Olivier Greif a été composée durant cette décennie-là, un certain nombre de pièces maîtresses de celle de Philippe Hersant également, les pièces pour violoncelle de Dusapin, et je pourrais vous citer une dizaine d’autres noms encore, dont ceux de Gérard Pesson ou de Michèle Reverdy. Sans compter que le vieux Boulez n’est pas non plus resté inactif, ni l’encore plus vieux Henri Dutilleux.

Et ensuite ? Ensuite, rien. À part une petite pirouette humoristique d'XP sur le nom d'Hersant, rigoureusement rien. Cherea s'est abstenu de me répondre, les autres aussi, chacun se comportant comme on le fait lorsque quelqu'un laisse échapper un vent à table ou que son esprit se met à battre la campagne : on n'a rien entendu ni senti. Et tout le monde s'est remis à débattre sérieusement des mérites comparés des raps américain et français.

Je me suis alors dit que si on transposait cela à la littérature, les gens d'ILYS seraient les premiers à se moquer et à cribler les auteurs de leurs sarcasmes. Imaginons la transposition : l'un écrit que, depuis la mort de Guy des Cars, il ne s'est rien écrit d'intéressant en France. Un autre passe derrière et s'émeut un peu : « Oh, tout de même ! Pierre Michon, Michel Houellebecq, Eugène Nicole, Éric Chevillard, François Taillandier, Richard Machin, Jean-Paul Tartempion… » Le lendemain, il s'aperçoit que son intervention a chu dans un silence remarquable et que tout le monde s'est remis à discuter des mérites comparés de Jean Bruce et de Gérard de Villiers, la littérature n'étant plus désormais que celle qui est vendu 6,10 € dans les kiosques de gare. Il se rend compte que ce n'est pas tant que la littérature ait défunté, mais qu'elle se soit transformée en tout à fait autre chose qu'elle-même.

Un peu comme le peuple de France, au fond.


Quatre heures vingt. – Catherine et moi avons tout à l'heure décidé d'ouvrir un compte épargne supplémentaire afin d'y entreposer chaque mois l'argent que nous économisons en ne fumant plus. Ce qui représente, d'après mes calculs, confirmés par Catherine : 195 € pour moi et 65 pour elle. Il sera donc versé désormais chaque premier jour du mois la somme de 260 € sur ce nouveau compte, que je me suis empressé d'ouvrir sitôt dit, auprès du Crédit Mutuel, et en quatre ou cinq clics : vivent les temps internétiques. Nous sommes convenus que chacun disposera librement de la somme économisée par lui, et pourra la reprendre à tout moment. Ainsi, je compte pour ma part utiliser cette corne d'abondance pour renouveler mon parc de chaussures chez Weston : j'ai grand besoin d'une paire de bottines et d'une de richelieus (mais moins de cette dernière toutefois). Quant à Catherine, elle pense économiser pour se payer un aller-retour Tokyo, non pour aller se faire irradier tout à son aise mais pour passer une paire de semaines avec Adrien.

Le drôle de l'affaire est que j'ai souscrit un livret de développement durable (ton épargne, mon gars, c'est bon pour la planète) : si mes petits camarades gauchistes apprennent ça, je vais périr enseveli sous les quolibets.

– La peur de mourir : les foies dernières.

Huit heures. – En relisant tout à l'heure le mois de mars de ce journal, je me suis aperçu que j'avais inventé puis oublié un mot, qui serait parfait pour désigner ce que font certains blogueurs lorsqu'ils écrivent un billet : clavioter.


Dimanche 10

Huit heures moins le quart. – Je vais noter en courant, pour cause d'apéro, et en style télégraphique afin de ne pas oublier. Retour de chez les crevette, donc. Il y a près de deux heures. Journée parfaite, comme à chaque fois chez eux. Présents :

– les Crevette (évidemment), XP (presque aussi évidemment), Matthieu (Lounès Darbois) que Catherine aime beaucoup, et moi aussi d'ailleurs.

– Blueberry, l'un des fondateurs d'ILYS si j'ai bien tout compris. Je profite de l'occasion pour dire ce qui m'ennuie, chez ces jeunes (et moins jeunes) gens : leur espèce de soumission à… à quoi ? À quelle sorte d'américanisme imbécile ? Depuis que je les lis, j'ai toujours trouvé que ce nom de I like your style était stupide. Le pseudo de Blueberry l'est à mes yeux tout autant. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il y a de la distance et de l'humour là-dedans : ce n'est pas vrai. Ils aiment la BD, le rock, la variété française, etc., enfin toutes ces conneries.

– À propos d'Axelle et de Damien, il faudrait essayer de les montrer chacun dans son rôle – dans le rôle qu'ils se sont attribué lorsqu'il y a des gens chez eux : Damien cuit les viandes à manger et Axelle attendrit et charme celles qui vont dévorer les premières. Ils sont parfaits. Et Damien semble finalement ravi d'être avec les enfants de la famille face au barbecue, un peu à l'écart de nous. À ce stade c'est lui qui semble bosser le plus mais tout le monde s'en fout : les invités discutaillent à perte d'ouïe, comme s'ils étaient sur les blogs. Ensuite, on mange (et boit, pour les autres que moi). Damien, enfin, condescend à venir prendre place parmi les invités de son épouse (car je soupçonne que si Axelle aime vraiment avoir des invités, Damien, tout comme moi, se passerait parfaitement de voir ces théories de blogueurs occuper son espace vital et une part de son week-end) ; avec une urbanité parfaite il s'enquiert de chacun, mais en marquant une prévenance plus grande pour les nouveaux venus ou les isolés des divers conversations. Puis, lorsqu'il a fini d'interroger l'invité qu'il n'a jamais vu chez lui ni ailleurs, il lui arrive de disparaître. Et, traversant la maison pour se rendre aux toilettes ou à la cuisine, on a la surprise de le retrouver à l'intérieur de la maison, devant la télé et entouré d'enfants.

– Et voilà, j'avais encore mille choses à noter, à propos de ces merveilleux jeunes gens réactionnaires avec qui j'ai passé une grosse portion de cette journée du 10 avril 2011, et tout semble s'être évanoui dans ma pauvre cervelle.


Lundi 11

Huit heures. – Je vais avoir un gros travail de rewriting à fournir si je veux rendre intelligible ce que je suis venu noter ici hier soir après l'apéritif que je me suis octroyé pour me récompenser de ne pas avoir bu chez les Crevette (ma vie, en certaines de ses composantes, ressemble assez à un gigantesque n'importe quoi). Cela dit, une fois de plus me frappe ma presque totale incapacité à rendre compte de ce type de journée, de rencontres avec des gens que j'aime bien, des conversations qui s'enchaînent, etc. Et, comme à chaque fois que je constate, navré, cette impuissance, je songe mi-envieux, mi-désespéré au talent d'un Goncourt ou d'une Maria van Rysselberghe. En plus, désormais, je n'ai même plus l'excuse de l'alcool.

– Rien à dire à propos de la journée d'aujourd'hui, sinon que je n'ai pas commencé le BM, que j'ai enfin terminé l'histoire des États-Unis d'André Kaspi et commencé la biographie de Philippe Auguste par Gérard Sivéry, dans laquelle j'ai appris que le roi d'Angleterre Henri II avait passé une nuit à Pacy-sur-Eure en août 1188, pour aller les jours suivants ravager la campagne entre Pacy et Mantes. Itinéraire qui, en principe, a dû laisser sauf le Plessis-Hébert. Si le village existait déjà bien entendu.

Et je me suis pris à rêver d'à quoi pouvait bien ressembler le Pacy de l'an de grâce 1188.


Mardi 12

Sept heures et demie. – Je m'inquiétais il y a quelques jours, ici, de n'avoir plus aucune nouvelle d'Ygor Yanka nulle part. Sa Majesté Coïncidence a fait que j'en ai reçu dès le lendemain et par l'intéressé lui-même. Une tempête de force 7-8 sur une échelle de neuf s'est mise à souffler sur sa vie, avec la volonté manifeste de la ravager – et je n'en dirai pas plus. Toujours est-il qu'il devrait revenir rapidement en Europe, peut-être dès la prochaine mi-mai. Comme il ne sait pas encore trop quoi faire ni où aller, le bouleversement étant vraiment soudain, nous lui avons proposé la Case comme base de repli provisoire et il est tout à fait possible qu'il vienne en effet s'y installer pour quelque temps. Comme il se fait du souci – et je le comprends – pour ses cartons de livres, je lui ai également proposé de les entreposer ici en attendant, ou bien, s'il se décidait pour une villégiature belge, chez mes parents, à Sedan, où il y a toute la place qu'on veut dans le sous-sol de leur maison, laquelle présente en outre l'avantage d'être à un jet de pierre de la frontière.

– Reprise du travail demain, ce qui ne m'enchante absolument pas. Heureusement, une fois ces trois jours effectués, vacances durant plus de deux semaines. Vacances, c'est-à-dire Brigade mondaine.

– Je crois avoir oublié de noter que l'on n'est pas passé très loin de l'incident, lors du déjeuner chez les Crevette, dimanche, entre Catherine et Hervé XP, ce dernier ayant eu la malencontreuse idée de lui proclamer sous le nez qu'il n'aimait ni les Québécois ni leur accent grotesque (à peu près et d'après Catherine : j'étais moi-même, à ce moment-là, pris par une autre conversation sur ma droite, si je me souviens bien). La souplesse n'est pas la qualité principale de Catherine et il faut reconnaître qu'Hervé, qui doit bien savoir qu'elle est à demi québécoise, aurait pu s'abstenir de cette remarque. Mais il y a en lui un manque d'assurance qui le pousse à ce genre de déclaration fracassante et inutile. Un peu comme un gamin qui saute à pieds joints dans la flaque d'eau, simplement parce qu'il a peur de n'être pas capable de l'éviter tout à fait.

– Hier, coup de téléphone de la boutique Weston de la rue de Courcelles pour m'avertir que mes bottines sont prêtes, ressemelées et tout et tout. Je vais donc passer les chercher demain à l'heure du déjeuner, ce qui m'ennuie au plus haut point. Ressortir la voiture du garage, m'aventurer dans Paris, trouver une place pour se stationner, jouer au client chez le bottier puis tout reprendre en sens inverse : j'en suis fatigué d'avance. Sans compter que tout cela va encore me coûter la bagatelle de cent ou cent vingt euros.

– À propos d'argent, je calculais tout à l'heure – en regardant les trois chiens engloutir leurs croquettes… – que si j'additionnais ce que me coûtaient mes déjeuners à l'Ambiance d'à côté, les cigarettes que je fumais et l'alcool que j'ingurgitais le soir, c'était près de 700 euros que j'économisais désormais chaque mois.

– Toujours à propos d'argent, j'ai appris par courrier ce matin le montant de ma “participation” aux bénéfices de Lagardère pour l'année 2010 : 1250 € net. Je me suis souvenu avec une certaine nostalgie qu'il y a une quinzaine d'années, il nous est arrivé de toucher l'équivalent de deux mois et demi de notre salaire brut. Ce qui, cette année, m'aurait valu une participation de 7500 €. Souvenirs, souvenirs… Au total, mon petit pécule participatif se monte à un peu moins de 12 000 €, auxquels nous sommes fermement décidés, Catherine et moi, à ne pas toucher avant ma retraite. Et, si je meurs avant ce grand jour, elle aura toujours un petit quelque chose pour se retourner, comme l'on dit.

– J'aimerais quand même bien savoir ce qui a pu se passer de si grave, sexuellement, entre Philippe Auguste et sa seconde épouse, la danoise Ingeburge, pour qu'il la répudie dès le lendemain de leur nuit de noces et ne la touche plus jamais, même après leur réconciliation, au bout de presque 20 ans…


Mercredi 13

Huit heures et quart. – Eh bien, une fois de plus, journée presque blanche, à FD. Ce n'est pas que je n'aie pas travaillé, mais ce que j'ai fait n'a pas occupé plus d'une heure de mon temps et aurait tout aussi bien pu être accompli de ce bureau, sous le regard indifférent de ma tourterelle nicheuse. (Du coup, écrivant la phrase précédente, et parce que j'en ai fait un billet hier sur le blog-mère, je ne sais plus si j'ai déjà parlé ici de cette tourterelle qui a eu l'idée saugrenue de venir faire son nid au sommet de l'un des volets de la porte-fenêtre de la Case, c'est-à-dire à une trentaine de centimètres de ma tête à chaque fois que j'entre ou sort, ce qui m'oblige à le faire lentement, sans geste brusque ni raclement de gorge trop sonore, ouvrir la porte et la refermer avec d'infinies délicatesses, etc., afin qu'elle ne s'envole pas de dessus ses œufs – enfin, des œufs que je lui suppose.)

– Ce n'est pas la première fois que j'écris ce genre de choses : « Je ne sais plus si j'ai déjà noté ici que… » Je suppose que deux ou trois parmi les douze lecteurs de ce journal doivent se demander pourquoi je ne remonte pas de quelques jours afin de vérifier, plutôt que de prendre le risque de me répéter, de me tripéter voire de me quadripéter. C'est que je ne trouve pas inutile de laisser flotter les rubans, comme dirait l'autre. Et que m'apercevoir que j'ai dit trois fois la même chose en trois jours, par exemple, me renseigne moi-même, à la relecture – qui est toujours une découverte, presque autant pour moi que pour le lecteur, je suis prêt à le parier –, sur l'importance réelle que j'accorde, ou ai accordée, à tel événement, telle réflexion, tel petit ennui, etc. Et puis, le jour où relisant le mois écoulé je m'apercevrai que j'ai raconté douze fois la même anecdote, je pourrai en conclure à mon entrée dans le gâtisme, et donc cesser de publier tout ce qui sortira encore de mon clavier.

– Trop mangé à midi, ce qui m'a rendu assez durablement mécontent de moi-même ensuite.

– Pas lu une ligne, en plus de ça, puisque je suis allé récupérer les bottines chez Weston, boulevard de Courcelles, pendant l'heure du déjeuner – c'est-à-dire après, en fait. Circuler dans Paris, même en cette période de vacances scolaires devient abominable. Ce ne sont que piétons traversant n'importe où, voitures et camionnettes arrêtées en double file, sans parler des deux-roues qui font n'importe quoi tout le temps. La bonne nouvelle est que je n'ai payé que 80 € contre les 120 ou 130 auxquels je m'étais attendu.


Jeudi 14

Quatre heures vingt. – Emploi du temps à compter de samedi, et pour une durée de deux semaines, auquel il est impératif que je me tienne :

– Lever entre 8 h et 8 h 30,
– Lecture (livre ou blogs) + mails jusqu'à 10 h ou 10 h 30,
– BM durant trois heures.

Déjeuner

– Lecture + sieste jusqu'à 15 h,
– Marche d'au moins 40 mn,
– Blogs + lecture.

Dîner

– Journal + blog jusqu'à 20 h 30,
– Télé.

Quand je dis qu'il me faut m'y tenir, je parle de la partie “BM” et du chapitre “marche”, bien entendu : le reste n'a aucune importance. Si je travaille réellement trois heures tous les matins, le BM sera terminé au soir du premier mai, juste avant de rependre le joug ici, à FD.


Vendredi 15

Cinq heures vingt. – C'est au moment où j'arrive dans ce journal que Brice se décide à me dire que je peux rentrer chez moi (chose que je sais depuis une grosse demi-heure, mais bon). D'un autre côté, cela tombe assez bien car je n'étais venu ici que poussé par la désolation de mon désœuvrement, mais sans la moindre idée d'une chose à y consigner. (J'ai l'impression, sans me relire, d'écrire dans un pur charabias).

– Ce matin, saisie de je ne sais quelle démence, Roselyne a passé tout le trajet à m'avertir que l'autoroute devant moi était fermée, à me proposer des trajets de remplacement et à me menacer des pires catastrophes si je n'obtempérais pas à ses divers diktats. Comme, en même temps, cette idiote me pronostiquait une heure d'arrivée à Levallois tout à fait conforme à la normale, je l'ai superbement ignorée et m'en suis bien porté.

– Cela étant noté, je pars – et pour plus de deux semaines : bonheur et félicité.



Samedi 16

Huit heures et quart. – Quelques mots en courant parce que j'ai laissé filer le temps, occupé que j'étais à savourer deux ou trois billets écrits tout spécialement contre moi, et sur des blogs dont j'ignorais l'existence jusqu'à aujourd'hui – blogs hauts-normands qui plus est. Voilà des petits gars que l'envie du pénal dévore et qui, en plus, ont l'air de trouver que je déshonore la blogosphère normande en n'ayant pas tout à fait les idées qu'il convient d'avoir pour être parfaitement dans l'air du temps. Dieu du Ciel, il ne manquerait plus que ça, que je non-pense comme ces crétins pontifiants ! Pontifiants et haineux, pour ne pas dire hyéneux : ils ne rêvent que de procès, de condamnations et d'amendes. Leur désir de geôles est tellement névrotique qu'ils ne parviennent même plus à le dissimuler. Si les piloris existaient encore, ils rêveraient de pilori, de question ordinaire et extraordinaire. Ah elle est reluisante, la jeunesse tolérante et antiraciste ! Des mini-Fouquier-Tinville à qui il ne manque plus que le tribunal pour donner toute leur mesure. Ils finiront par l'obtenir, s'ils donnent assez de gages de leur aplatissement devant la doxa, s'ils se montrent suffisamment humbles et soumis devant leurs futurs maîtres, s'ils ont la dhimmi-attitude.

Au bout du compte, ils me font rire. Ce sont de petites marionnettes, dont je sais parfaitement actionner les ficelles. C'est tellement facile, ils sont tellement prévisibles (mais bien sûr, ils vont me retourner le compliment) que je suppose ne plus m'en amuser très longtemps encore.

Je ne mets rien en lien ici, ils n'en valent pas la peine.


Dimanche 17

Sept heures. – Nous avons vraiment dîné très tôt, ce soir ! Il est vrai que Catherine suit un régime assez sévère depuis au moins deux ou trois semaines déjà, et que j'ai décidé ce matin de l'imiter (mais en moins sévère) car, bloqué à 113 kg, il est temps de reperdre ces 10 kg pris rapidement après l'arrêt du tabac. Tout cela pour dire que, à six heures et demie, nous étions tous les deux pantelants de faim et qu'elle s'est mise aux fourneaux si rapidement qu'à sept heures moins dix nous étions à table. (Pâtes au saumon pour moi, saumon-brocolis pour elle.)

– À propos de tabac, il y a un petit moment que je n'ai rien noté de ce front-là. Le front ne bouge plus et les combats s'enlisent, comme en 14. Il n'y a plus le moindre progrès perceptible, je ressens l'envie de fumer entre trois et six fois par jour, durant un temps variable à chaque fois, mais toujours court. Le problème est que je commence à m'impatienter de ce front immobile, à ressentir de la lassitude envers ce combat qui semble ne jamais devoir finir. Si bien que, même si l'envie de fumer n'a pas augmenté (il ne manquerait plus que ça…), je crois être plus réceptif à ce qu'elle me chuchote à l'oreille (à l'oreille mais depuis l'intérieur de celle-ci). Cela dit, je ne me sens pas menacé d'une rechute. Pas pour le moment.

– J'ai sursis jusqu'à demain matin au début du Brigade mondaine ; en revanche, j'ai tenu bon pour ce qui concerne la reprise de la marche à pied quotidienne : 45 mn en début d'après-midi, l'un de mes tours classiques de 2002-2003 (un des plus petits…), par la ferme de l'Hôpital. Je ne me souvenais pas avoir tant de muscles dans les mollets, les cuisses, les reins, etc. : ils se sont très rapidement rappelés à mon souvenir. Mais je suis cette fois décidé à ne pas flancher et à me ré-ancrer dans cette habitude. Je me suis donné deux mois pour être de nouveau capable d'effectuer sans le moindre dommage mes deux ou trois "grands" circuits d'il y a huit ou neuf ans. (J'écris "huit ou neuf ans" parce que l'évidence mathématique est là, irréfutable ; mais mon esprit se refuse à admettre qu'il y ait déjà si longtemps.)

– Je me suis replongé avec beaucoup de plaisir dans les premiers livres des Mémoires d'outre-tombe. Je ne sais si, cette fois, j'irai jusqu'au terme de l'œuvre (sans doute pas…) mais pour l'instant je suis de nouveau bien accroché à cette prose splendide, certes sans doute un peu trop “tu les as vus, mes jolis drapés ?” (et je comprends très bien l'irritation d'un Stendhal ou d'un Léautaud face à cette pompe – en fait, si on tient compte de l'époque incroyable traversée par Chateaubriand et de la manière dont il la restitue, la théâtralise, le titre Pompe et Circonstances irait fort bien à ses mémoires), mais d'une beauté inégalée après lui.

– Demain, donc, début du nouveau BM… et retour de Ludovic. Pour une bonne semaine si j'ai bien compris. On dirait parfois qu'il le fait exprès, de se trouver ici lorsque j'ai le plus besoin de calme et surtout de routine. Mais en fait, pas du tout, c'est simplement la malignité des circonstances (encore elles…). Et puis, il faut bien admettre que depuis le temps qu'il s'est remis à fréquenter notre maison, on peut considérer que ses séjours sont eux aussi devenus une forme de routine.


Lundi 18

Cinq heures moins le quart. – Moment assez inhabituel pour venir à ce journal. Mais Catherine va revenir vers cinq heures et demie en compagnie de Ludovic. J'ai donc prévu de lui céder l'ordinateur (et la Case) dès son arrivée, de façon à pouvoir lire dans le silence du salon : c'est tout un art.

– Vers une heure, lorsqu'elle est rentrée de je ne sais plus où, du presbytère peut-être bien, Catherine m'a posé la question rituelle (“Alors ? Combien de pages ?”), sachant qu'aujourd'hui était mon premier jour de BM. J'ai répondu crânement : six ! alors que je n'en ai écrit rigoureusement aucune, ayant décidé dès mon réveil, et je ne saurais dire pourquoi, que je ne commencerais que demain. On sent que je suis bien parti.

– À propos de la venue de Ludovic, ma grande préoccupation de la journée a été qu'il se montre trop bruyant et agité pour la tourterelle nicheuse, que celle-ci prenne peur et qu'elle décide d'abandonner ses œufs, alors que nous devons être à deux ou trois jours de leur éclosion. D'un autre côté, je viens de passer la tondeuse quasiment sous ses pattes et elle n'a pas moufté. Oui, seulement, lui, elle ne le connaît pas encore. Et ne va-t-elle pas prendre ombrage de sa considérable tignasse ? Tout cela est bien préoccupant.

Toujours concernant Ludovic, lorsque je disais hier ou avant-hier qu'il venait ici pour une semaine, j'exagérais. En fait, il est censé passer toutes ses journées à Paris afin de peaufiner le (ou les ?) sketch qu'il va présenter dans je ne sais plus quelle émission de télévision réservée aux humoristes en herbe (et “en herbe”, dans le cas de Ludovic…) et produite, je crois bien, par Laurent Ruquier. Bref, il ne devrait être là que pour dîner et dormir – si j'ai bien compris, ce qui n'est jamais assuré avec lui.

– Notre nouvelle voisine “de gauche”, c'est-à-dire celle dont la maison est à la gauche de la nôtre quand on les contemple depuis la rue qui les borde, notre voisine, donc, a passé près de la moitié de son week-end à quatre pattes dans son boulingrin pour en extirper les minuscules mauvaises herbes, à la pince à épiler ou peu s'en faut. Elle nous fascine, Catherine et moi, par son côté fourmi industrieuse, incapable de ne pas travailler durant plus de quelques minutes, sans cesse dévorée par une sorte de prurit ménager dont on ne sait s'il va finir par la tuer ou au contraire si c'est lui qui permet à cette infortunée créature de continuer à vivre.

Quant aux voisins de droite, nouveaux eux aussi, ils semblent n'être pas tout à fait dénués d'humour puisque, à gauche de leur portail, ils ont fixé une plaque destinée à informer les passants de la présence d'un gardien à quatre pattes (lequel gardien doit peser dix kilos avec son collier). Et cette plaque dit : “Attention, chien méchant et perspicace

– Je me suis avisé ce matin, au moment de ne pas commencer le Brigade mondaine n°325, que j'avais écrit mon premier, le n°77, il y a exactement 25 ans, à quelques semaines près. Là-dessus, j'ai été pris de la curiosité de savoir combien j'en avais écrit et je les ai donc comptés. Pour m'apercevoir que je suis sur le point de mettre en route mon centième. Cent BM, à quoi s'ajoute les dix Empire des Sectes, une douzaine de Blade, cinq ou six Fantasmes érotiques, le Service des disparitions (devenu Service des disparus en passant chez France-Loisirs) que j'ai négrifié pour Alain Dubois, et enfin les quelques bios/nécros collectives auxquelles j'ai participé : Dalida, Roch Voisine, Patricia Kaas, Mouna Ayoub. J'arrive à mon opus 130 : presque aussi bien que Beethoven, mais encore très loin de Simenon (et en ne parlant bien sûr que de quantité).

– Le temps est immuablement sec et ensoleillé depuis environ trois semaines maintenant et, comme je l'attendais plus ou moins, les fantasmes “sécheresse 1976” commencent à pointer leurs nez dans les blogs. Et il se trouve déjà quelques experts pour remplir leur office d'experts, à savoir tirer la sonnette d'alarme.

Cet été de 1976, je travaillais pour la dernière fois à la SNCF : dès l'été suivant j'allais troquer la blouse bleue du cheminot occasionnel contre le Rolleiflex du reporter “localier” non moins occasionnel à la Nouvelle République du Centre-Ouest (NR). Pour, en septembre, passer sans enthousiasme ni illusion le concours d'entrée au CFJ de la rue du Louvre – et mon succès inattendu allait décider de tout le reste.

Quand je dis “inattendu”… Nous étions deux stagiaires d'été à le passer, ce concours. L'autre, un étudiant de Bordeaux qui se prénommait également Didier et avec qui j'avais fort bien sympathisé, avait un palmarès universitaire plus impressionnant que moi qui n'en avais aucun. Lorsque je suis revenu à la rédaction d'Orléans de la NR pour annoncer mon entrée au CFJ, ils étaient déjà au courant, car l'autre Didier était passé la veille pour annoncer son échec. Et le directeur adjoint de la locale (qui s'appelait Fauconnier, mais je ne parviens pas à retrouver son prénom) m'a alors dit, tout sourire, je suppose sans bien se rendre compte du sens possible de ses propos : « C'est curieux, tout le monde pensait que ce serait plutôt Didier D. qui l'aurait, ce concours… » Je l'ai parfaitement bien pris, dans la mesure où je pensais exactement la même chose que lui.


Mardi 19

Six heures. – En début d'après-midi, je suis allé à la poste de Saint-André parce que, curieusement, on peut y faire un transfert d'argent par le biais de Western Union, alors que c'est impossible à Pacy, qui est pourtant, je crois bien, une ville un peu plus importante que Saint-André. J'y étais pour envoyer à Ygor Yanka l'argent dont il a besoin pour pouvoir se rapatrier vers l'Europe, ce qui, sauf anicroche, devrait être fait dès le mois prochain. Comme toujours, parce que mon caractère est ainsi, je m'attendais à ce que cette opération présentée comme simple foire pour une raison ou une autre, en tout cas qu'elle ne réussisse pas du premier coup, parce que j'aurais oublié LE papier indispensable, etc. Eh bien, non : en moins de dix minutes, au guichet, une jeune femme point trop jolie mais fort accommodante, aimable et agréable m'a arrangé l'affaire.

Bref, ce n'est n'est pas du tout cela que je voulais noter. Après un crochet par le Carrefour d'Évreux, pour y acheter une douzaine de pots de la cancoillote que je préfère et qu'on ne trouve plus que là, me voilà de retour à la maison, peu après quatre heures. Catherine m'annonce que Ludovic part à six heures pour Paris avec sa voiture. Il va dormir chez un copain pour être à pied d'œuvre demain matin. J'enregistre l'information très distraitement, sachant ce que valent les déclarations de Ludovic lorsqu'il s'agit de son avenir proche. Effectivement, deux heures plus tard, tandis que je sortais de la douche qui venait de suivre mes trois quarts d'heure de marche à pied campagnarde, Catherine m'annonce que finalement Ludovic ne part plus. À mon avis, elle aurait aussi bien pu s'épargner deux annonces, aussi inutiles l'une que l'autre. En tout cas, c'est bel et bien la présence de Ludovic qui explique aujourd'hui encore l'heure inhabituelle de cette prise de notes. Je suis presque sûr que, à un moment ou un autre de la soirée, Catherine va m'annoncer que Ludovic partira pour Paris de bonne heure demain, parce qu'il doit faire ceci avant telle heure, rencontrer X puis Y, etc. Et nous le verrons émerger de sa chambre vers midi. Au mieux. Encore une fois, je ne critique nullement le fait qu'il se lève tard : non seulement je m'en fous, mais j'ai pratiqué l'exercice durant suffisamment d'années pour ne pas en faire grief à qui que ce soit. Seulement, moi, je ne prétendais pas un jour sur deux que j'allais me lever de bonne heure…

(La tourterelle nicheuse, depuis une minute ou deux, roucoule tant qu'elle peut, et j'entends l'autre lui répondre de plus loin. Comme si cette qui est au nid protestait : « Bon, allez, c'est ton tour, merde ! J'ankylose et j'ai soif, moi ! » Et l'autre, bien planquée dans le peuplier ou le gros cerisier des voisins, temporise tant bien que mal.)

– Cette fois, le BM est commencé. De fort peu, mais il est en route.


Mercredi 20

Cinq heures et demie. – Juste quelques mots en passant, avant de céder la place à Ludovic. J'avais un mail ce matin d'Ygor Yanka m'apprenant que l'argent envoyé par l'entremise de Western Union était bien arrivé au Québec et, plus important, dans sa poche. Ce qui semble lui avoir ôté un gros poids de dessus l'estomac, cela se voit tout de suite au ton nettement plus badin de son mail.

– Voilà trois jours que je me livre à la marche quotidienne que je m'étais engagé à faire face au tribunal de ma conscience – tribunal qui se montre trop souvent d'un répugnant laxisme : on dirait d'une cour française face à un délinquant immigré.

– Écrit 8 feuillets ce matin et en ai annoncé 9 à Catherine : mes petits jeux régressent jusqu'à l'infantile. Il faudrait bien que j'atteigne les 12 voire les 15 à compter de demain. Mais bon…

– La tourterelle n'a toujours pas accouché, comme je l'ai dit stupidement tout à l'heure. D'après mes calculs, les oisillons devraient se décoquiller demain, au plus tard après-demain. Si tant est qu'il y ait (qu'il y ait ou qu'il y a ? je ne sais plus, d'un coup…) des oisillons dans les œufs, évidemment.

(Catherine vient de passer pour m'annoncer que le passage de Ludovic dans son émission de télévision est de nouveau reportée de deux ou trois semaines. Ce qui, hélas, n'a rien de surprenant : ces gens sont les gougnafiers absolus, les nouveaux maîtres du nouveau monde. On en viendrait à regretter la RTF gaullienne de papa.)


Jeudi 21

Six heures et demie. – Et tout le monde, comme chaque année, y va de sa petite commémoration attristée du 21 avril 2002, cette pantalonnade hautement réjouissante, pourtant. Quand je repense à la mine d'asperge déterrée arborée par ce cafard de Lionel Jospin, un sourire me vient encore au visage.

– Quatrième jour de marche sans flancher : je tiens un bout du bon bout. Certes, il faut encore que je me botte le cul pour partir. Mais j'adore en être revenu, ce qui est un bon début : ç'avait commencé comme ça, en 2002 ou 2003.

– En début d'après-midi, Catherine a demandé à Ludovic s'il voulait bien tailler le forsythia (orthographe de ce foutu arbuste à vérifier sous peine de ridicule grave) qui, en effet, commençait à souffrir de gigantisme. Non seulement il a dit oui, mais il a inopinément retrouvé dans la remise une sorte de taille-haie que nous avions acheté probablement à Assay, donc il y a environ quinze ans, et dont j'ai dû me servir trois fois. Ludovic l'a remis en état (avec de l'huile de colza alimentaire parce qu'il n'avait rien d'autre…) et, avec beaucoup d'enthousiasme, a littéralement ratiboisé le forsythia. Personnellement je m'en fous, car je ne suis pas absolument conquis par les fleurs qu'il nous dispense chichement à chaque début de printemps, mais Catherine faisait une drôle de tête…

– Adeline vient de nous faire virer deux mille euros qu'elle nous avait paraît-il empruntés pour payer je ne sais quelle caution de je ne sais quel appartement : j'ai perdu absolument tout souvenir de ce prêt (pas Catherine, heureusement). Remboursement fort bienvenu puisqu'il couvre, et au-delà, le prêt que nous venons de faire à Ygor Yanka, lequel devient pour le coup parfaitement indolore. Avec un peu de chance, lorsqu'il voudra nous le rembourser j'aurai de nouveau oublié le prêt et serai tout heureux de cet argent tombé du ciel. C'est beau, la simplesse d'esprit.

Mais il est temps de laisser l'ordinateur à Ludovic, le Gengis Khan des arbustes d'ornement.


Vendredi 22

Quatre heures. – Pour la première fois, j'ai écrit ce matin les douze feuillets que j'avais prévu d'écrire chaque jour. C'est bien, sauf qu'une semaine entière a déjà passé et que j'atteins péniblement les trente-cinq feuillets au total. Il me reste donc onze jours avant de retourner à FD. En admettant que je réussisse à écrire encore douze feuillets chaque matin d'ici là, je n'arriverais qu'à 165 feuillets, alors que j'avais prévu de boucler le roman entier durant ces vacances. Mais enfin, si je me tiens à cela, ce sera tout de même un gros progrès par rapport aux trois ou quatre derniers BM, écrits avec le feu au cul (si je puis dire). Mais je pense qu'il serait bien que je termine le week-end suivant, celui du 8 mai : opération compliquée par le fait que Catherine va m'abandonner deux jours, pour aller à Saint-Malo chez Élodie afin d'en rapporter le petit chat roux qu'elle nous donne et que nous avons décidé de nommer Golo, comme celui de la lanterne magique dans Du côté de chez Swann. Or, il est de notoriété publique, presque universelle, que je ne fais jamais rien lorsque Catherine n'est pas là.

– Aucune trace, ce matin, sur mon compte bancaire, des 2000 euros virés par Adeline. J'espère que c'est juste un petit retard à l'allumage et non un dysfonctionnement grave, qui nécessiterait des interventions orales, téléphonées, ou mailées, ou écrites, etc., le tout durant un temps très long et avec moult énervement à la clé. En revanche l'argent envoyé au Québec pour Ygor Yanka a été, lui, débité avec une ponctualité digne de louanges.

– Je m'arrête, il est l'heure d'aller marcher. Si j'attends encore, je n'en aurai sans doute plus le courage. Déjà que là…


Cinq heures et quart. – Ce n'est pas que j'aime beaucoup marcher, surtout lorsque le soleil tape. Mais j'adore avoir marché. La demi-heure qui suit la douche, lorsque tous les muscles se détendent et que la peau savoure le contact du linge frais, c'est du pur bonheur. Lequel serait total si l'on était assis sur la terrasse, avec un verre de pastis massivement dosé dans une main et une cigarette dans l'autre.

(À propos de cigarettes, je me suis avisé il y a quelque temps – et encore à l'instant, écrivant ce qui précède – que lorsque je pense à fumer, et que je le fais avec gourmandise, il s'agit d'une gitane sans filtre et non d'une Camel avec. Or j'ai abandonné les premières pour les secondes il y a bien quinze ans, voire vingt, je ne sais plus.)

– Lorsque je suis parti marcher, à quatre heures dix (je note soigneusement l'heure de mon départ et emporte ma montre, afin de pas être tenté d'abréger…), Ludovic était en grande conversation “de couple” avec Solène (dire que je ne saurai jamais écrire ce foutu prénom ! c'est toujours la graphie Solenn qui me vient) depuis une grosse demi-heure. il y est toujours une heure et dix minutes plus tard…

– Le premier mouvement, molto moderato, de la sonate D 960 est une merveille. En tout cas par Pollini, comme en ce moment même.

– Dans son blog, aujourd'hui, Dorham écrit ceci, à propos de la forme journal :


Un vrai Journal, avec des morceaux d'existence dedans ? Je crois que je n'aimerai pas ça. Qu'y raconterais-je ? Hier, j'ai été triste, aujourd'hui, je suis à peu près content, les commentaires débiles d'individus sans matière faussement compatissants à la suite. Hier, j'ai eu mal au ventre ; et untel de s'inquiéter, tel autre de préconiser tel régime alimentaire, untel de raconter qu'on lui a enlevé un polype l'année dernière et que depuis ça va bien mieux ---- Courage, blogueur ballonné, on est avec toi ! Et puis, au choix. En ce moment, ça ne va pas fort, je me sens tout las, j'ai des problèmes avec ma femme, j'ai pas fini de payer les traites de mon C4 et j'ai eu un dégât des eaux, et mon fils ne fout rien à l'école, alors, vous voyez, j'ai pas envie de bloguer aujourd'hui, je vais me saouler au rosé sur ma terrasse en respirant l'odeur de mon jardin, qui se trouve, bonheur suprême dans ma région que j'aime, ne m'en veuillez pas, j'ai une vie, merde et la vraie vie, c'est mieux, c'est beau même si parfois c'est pire. Non. Je l'avoue, je n'ai pas de choses graves à raconter. J'aurais sûrement des trucs intéressants à dire, croyez pas que... Mais non. Pour tout dire, quand je lis certains, raconter leurs malheurs, leurs pales mésaventures, ça me met la plupart du temps mal à l'aise. Je n'aime pas l'impudeur et c'en est tout à fait. Je me dis souvent : "mais pourquoi raconte-t-il ça çui-là ! ça va pas bien la tête, qu'est-ce qu'est que ce tordu ?" Ou encore me dis-je : "tout ça, c'est pour se faire plaindre."

C'est curieux, cette façon de considérer qu'un journal n'a d'intérêt que si la vie de son auteur en a. Non, ce n'est pas cela : que si la vie de son auteur est suffisamment nourrie, truffée d'événements extérieurs à elle et qui, eux, ont un intérêt général, voire universel. Comment un “garçon littéraire” tel que Dorham peut-il penser une chose pareille ? L'existence de Paul Léautaud est assez terne, vue du dehors, celle de Renaud Camus aussi, celle d'Amiel n'en parlons pas ; cela n'empêche nullement leurs journaux respectifs d'être remarquables. Idem pour Samuel Pepys (mais je le connais nettement moins bien). À l'inverse, on peut très bien imaginer (il doit d'ailleurs y en avoir, mais mon inculture m'empêche de le savoir) un homme ayant été au centre de multiples événements, cotoyé des personnages historiques de première grandeur, des génies vertigineux – et n'en tirant qu'un fade brouet ou au contraire une purée bourrative et indigeste. Ce qui compte c'est le regard que l'on pose sur les choses, les gens et soi-même ; et, encore plus peut-être, la distance à laquelle on se place, des choses, des gens et de soi-même.

En même temps, dans le passage avec le rosé, la terrasse et le jardin, j'ai la nette impression que c'est de ma gueule qu'il se fout. Cela étant, je n'ai pas trop tendance à utiliser ce journal pour me plaindre, il me semble. Moins que Renaud Camus en tout cas. (Et toc !)


Samedi 23

Six heures. – Excellente journée, selon les critères actuellement en vigueur. D'abord, je me suis avisé, ce matin, parce que la tourterelle avait momentanément déserté son nid, que son ou ses œufs avaient bel et bien éclos : en me dressant sur la pointe des pieds j'ai pu voir ce qui ressemblait à un tout petit crâne déplumé. Et comme ça s'est mis à bouger, il devait bien s'agir d'un petit crâne déplumé en effet. Cela n'empêche pas la mère de passer l'essentiel de son temps au nid, exactement comme si elle en était encore à couver. Enfin, non, pas exactement : elle est tout de même plus remuante.

– Puisqu'on est dans le tiroir animalier de ce journal, j'ai revu sur le toit du garage de la voisine de gauche l'écureuil que j'y avais déjà vu il y a quelque temps, et que j'ai aperçu traversant la rue de l'Église, hier en revenant de ma marche. Sauf que, ce matin, ils étaient deux sur ce toit. L'un est descendu le long de l'arête du mur et a filé vers la rue et chez les Dubois (où il ne se doute pas qu'il risque un coup de fusil s'il se fait trop remarquer). L'autre, visiblement, n'a pas osé emprunter le même chemin et, le toit étant en pente vers l'arrière, il a préféré prendre ce chemin-là et disparaître dans le bosquet à demi-sauvage qui occupe le fond du jardin d'autres voisins (pfiou ! ça devient compliqué…), ceux que je vois depuis mon bureau et que j'appelle parfois, je crois bien, les voisins “de derrière”.

– Sinon, les vrais motifs de satisfaction sont que j'ai écrit quatorze feuillets ce matin, entre dix heures et une heure et demie – et ce, malgré le vacarme produit par Ludovic préparant ses affaires pour s'en retourner à Rennes – ce qui constitue la deuxième bonne nouvelle. Je devrais avoir honte d'écrire des trucs pareils car il est vraiment accommodant et pas dérangeant pour deux ronds. Seulement, il ne peut pas faire autrement que d'être bruyant (mais tout le monde évidemment serait plus bruyant qu'une absence…) et assez pompeur d'énergie.

(Au vu des bestioles qui entrent dans la Case et que je finis par occire à coups de tapette à mouche, horripilé que je suis par l'incessant vrombissement qu'elles produisent, je n'arrive pas à déterminer si, cette année, les guêpes sont exceptionnellement grosses ou les frelons spécialement rachitiques. Dans le doute, je zigouille.)

– Il y a aussi que voilà aujourd'hui une semaine que j'ai repris la marche quotidienne sans m'y dérober un seul jour. On pourra rire de l'extrême nouveauté de la chose, mais je me connais : il m'a toujours fallu très peu de temps pour me forger une nouvelle habitude qui, ensuite, devient absolument intransgressible – et c'est bien le but recherché avec la marche.

– J'ai abandonné le Philippe le Bel de Favier au bout d'à peine cent pages. Non qu'il ne soit pas réussi, sans doute bien au contraire. Mais je voulais une bonne grosse biographie bien classique de ce roi-ci, or il s'agit de tout autre chose. Ce livre de Favier doit être lu avec beaucoup de profit après avoir pris connaissance de la vie de Philippe le Bel, l'avoir replacé dans son époque de manière rapide, etc. Mais de but en blanc, ce n'est pas ce que je cherchais. J'y reviendrai probablement un jour – ou jamais, et alors il se languira dans la partie de bibliothèque située juste en face de mes yeux (non : un peu décalé sur la droite tout de même) jusqu'à ce que je disparaisse et que mes livres reviennent à Adrien, ainsi que je l'ai voulu. Là, il sera offert une seconde chance à Philippe le Bel.


Lundi 25

Six heures et quart. – Hier, vers quatre heures, l'envie m'est venue de m'accorder un apéritif sur la terrasse, tellement le temps était beau. Je suis donc allé m'acheter un flacon de pastis, puis, après mon heure de marche et la douche s'ensuivant, je me suis accordé cette petite picole impromptue. Laquelle m'a mis sur le flan très rapidement, si bien qu'à huit heures du soir j'étais au lit, et j'ai dormi jusqu'à huit heures et demie ce matin. Il faut me faire une raison : je ne tiens plus du tout l'alcool. Naturellement, j'ai profité de ma semi-gueule de bois pour ne pas travailler du tout au BM aujourd'hui et pour ne pas aller marcher. La seule chose que j'ai faite fut de procéder à une troisième et dernière relecture du journal de mars, avant sa mise en ligne lundi prochain.

Je viens également de mettre à la poubelle les huit ou dix lignes que je suis venu écrire ici hier soir, entre apéritif et dormition, et qui étaient particulièrement énigmatiques.

Demain, retour à la normale : travail le matin, marche l'après-midi.


Mardi 26

Six heures. – J'ai passé une bonne partie de la journée (tout en travaillant, quand même…) à croiser le fer avec un blogueur (ou plusieurs ou un schizo : il dit "nous"…) dont le blog s'intitule Nosotros inconsolados (je sais, cher journal, je sais. Mais il faut te faire une raison : le blogueur n'est jamais très loin de la maladie mentale. La preuve, moi, qui parle à son journal comme la première pucelle venue). Rapidement, son ton est devenu tout en sous-entendus menaçants, très kapo, dans le genre : « Je pourrais bien un de ces jours publier un florilège de tes déclarations ici ou là ». sous-entendu « je vais le faire, c'est presque prêt, tu ne perds rien pour attendre, gros réac “décomplexé” qui se pavane avec ses idées nauséabondes, etc. » Oui parce que, en plus, ce guignol jouant au chien couchant de la morale modernœuse se permet de me tutoyer, bien que parlant de lui au pluriel. Bref, un dingue qui m'a amusé aujourd'hui et aura perdu tous ses pouvoirs comiques demain. D'autant que, sous l'apparente décontraction du bonhomme, on sent la hyène qui ne demanderait qu'à mordre, si elle était certaine de pouvoir le faire sans aucun danger pour sa petite gueule de hyène. Ah elle est tout à fait choucarde, la blogosphère de la gauche nerf-de-bœuf ! Quand on pense que ces gens passent leur temps à se réclamer de grands principes, à évoquer les idées sublimes, convoquer les Anciens magnifiques, etc. On gratte un peu, on trouve quoi : un petit flic en civil au mieux, au pire un gardien de camp que l'on aurait frustré de ses barbelés.

Il faudrait que je me souvienne de l'expression : gauche nerf-de-bœuf. Elle peut resservir.

– Comme je m'y engageais hier soir (mais pour ce que valent mes engagements…), j'ai donc écrit mes douze feuillets aujourd'hui et marché durant quarante minutes (ce qui est peu : il faudrait commencer à allonger un peu les circuits). Pendant ce temps, la tourterelle ne se décide pas à quitter son petit plus de quelques secondes par-ci, par-là, alors qu'il est tout de même depuis près d'une semaine maintenant. Mais bon : on suppose qu'elle sait ce qu'elle fait.

– Les affaires d'Ygor Yanka paraissent s'arranger tout doucement. Il semble avoir trouvé quelqu'un pouvant les rapatrier, lui et ses cartons de manuscrits et de livres, jusqu'à Montréal. Une fois là, il n'aura plus qu'à aller chercher au consulat de Belgique un papier dont le nom m'échappe puis à prendre son billet d'avion, et fly, fly, fly over the sky jusqu'à Roissy, où Ma Seigneurie sera là pour le récupérer. Ce pourrait être le 18 mai, si aucune anicroche ne survient d'ici là. Ensuite… eh bien ensuite on verra comment évoluent les choses.

– Apprenez à Modernœud que des Tunisiens fuyant leur pays par la mer ont, pour éviter que leur embarcation trop chargée ne chavire, balancé une douzaine de femmes à l'eau, automatiquement il vous répondra quelque chose comme : « Et le Titanic ? Tu crois que les riches se sont mieux comportés avec les pauvres, sur le Titanic ? » Car Modernœud ne peut absolument pas supporter que l'homme blanc, son ancêtre, son semblable, lui-même au besoin, ne soit pas sur la plus haute marche du podium dès qu'il s'agit de barbarie, de cruauté et de sauvagerie. Si le Titanic n'avait pas existé il serait toujours resté : « Et les Croisés de Godefroy de Bouillon ? tu crois qu'ils n'ont pas balancé de femmes à la mer, les Croisés de Godefroy de Bouillon ? » Réponse à tout, Modernœud, toujours. Et le masochisme inébranlable.


Mercredi 27

Six heures. – Je commence à être exaspéré de me mordre régulièrement la langue au même endroit (à gauche, vers le fond…), dès que je relâche ma vigilance au moment de la manducation. D'une part ça fait très mal, de l'autre cela me gâche totalement le plaisir de manger car mon esprit est entièrement concentré sur le fait que je ne dois pas me mordre la langue. Il faut tenir jusqu'à cicatrisation complète. Car s'il reste la moindre minuscule excroissance de chair, on est à peu près certain de la morsure prochaine. Je vais finir à la bouillie et à la purée, si ça continue. Ou au whisky sans eau ni glace, pour terrasser la douleur.

– Tout à l'heure, accomplissant ma marche désormais rituelle ou peu s'en faut, j'ai pensé à une chose qui demanderait à être notée ici, et voilà que je suis incapable de m'en souvenir maintenant. J'ai d'ailleurs également pensé qu'il me faudrait aller chercher quelque chose dans Google – quelque chose mais quoi ? Pfuitt !

Ah ! si : faire une recherche sur les anciennes voies romaines subsistant aujourd'hui en France, sous forme de routes, de chemins ou autre. Je pensais à cela justement parce que je foulais le chemin qui longe la ferme de l'Hôpital et file ensuite vers Orgeville (et, je suppose, Évreux), chemin qui est censé être justement une ancienne voie romaine. Sauf que je ne me souviens absolument pas de qui à bien pu m'informer de ça et surtout si c'est vrai ou non. Mais comment trouver ça sans bouger mon cul de mon fauteuil ? C'est que Google ne peut pas tout, quand même !


Jeudi 28

Six heures moins vingt. – Je suis repassé depuis ce matin en mode de travail “temps plein”. J'y pensais plus ou moins depuis quelques jours, mais finalement les événements ont décidé à ma place. Ce matin, peu après neuf heures, appel téléphonique d'Anne M., la remplaçante aux éditions Vauvenargues de Marie-Thérèse qui part à la retraite. Après s'être enquise de la date à laquelle je comptais rendre ce BM en cours, soit le 325, et avoir paru fort soulagée que je le lui annonce pour le 8 mai au lieu du 15 comme il était prévu dans le contrat, elle m'avoue que l'auteur devant rendre celui du 15 avril (le 324, donc) a plus ou moins déclaré forfait pour raisons de santé et que, par conséquent, elle se sent extrêmement soulagée de pouvoir, en catastrophe, faire passer le mien avant le sien et, ainsi, ne pas rester un mois sans parution. Et elle ajoute qu'elle le serait encore plus, soulagée, si elle pouvait avoir mon manuscrit encore quelques jours plus tôt que cela. Si bien que, véritable chevalier blanc, je me suis engagé à l'avoir terminé et relu mardi soir prochain. Ce qui veut dire qu'il me reste au minimum 110 pages à écrire en cinq jours, et 230 à relire dans le même laps de temps. C'est tout à fait faisable, mais évidement il ne saurait plus être question d'après-midi off. J'ai même, aujourd'hui, sauté sur l'occasion pour couper à la marche quotidienne. J'y ai renoncé d'autant plus facilement que, pour la première fois depuis au moins un mois, il pleut : une jolie petite pluie fine et tenace, tout à fait normande dans son allure.

Je vois deux points positifs au fait de boucler ce BM dès mardi : d'abord cela me donnera droit, ce même mardi, à un apéritif ; ensuite, je pourrai paresser tout à mon aise les samedi et dimanche suivants, lorsque Catherine sera à Saint-Malo, chez Élodie, pour y chercher le petit chat Golo – qu'il me tarde de plus en plus de voir arriver parmi nous, et surtout parmi les chiens.

Donc, aujourd'hui : 20 pages. Si je tiens ce rythme les quatre prochains jours et pousse une pointe à 30 feuillets le dernier jour, comme c'est plus ou moins la coutume, le roman en bâtiment sera bouclé.

– Le résultat de tout cela est que je ne lis presque plus, ces temps-ci. Quelques pages à peine de l'histoire de la papauté commencée la semaine dernière. Il est vrai que la première partie, des origines à Grégoire le Grand, est particulièrement mal écrite, ce qui rend la lecture assez éprouvante, même si le fond demeure intéressant. Heureusement, comme il s'agit d'un ouvrage collectif, je vais changer d'auteur d'ici quelques pages.

En revanche, de son côté, Catherine semble être tout à fait conquise par le Jésus Christ de Benoît XVI, que je compte lire dès qu'elle en aura terminé avec.


Vendredi 29

Cinq heures et demie. – 14 feuillets seulement aujourd'hui. Il m'en reste une centaine et quatre jours pour en venir à bout. C'est beaucoup, mais dans la mesure où j'ai tout de même le support du BM dont je m'inspire (pour ne pas dire plus…) et aussi parce que je prends comme une sorte de défi personnel fait de parvenir à avoir tout terminé mardi prochain à l'heure de l'apéritif (apéritif auquel j'aurai pleinement droit, par voie de conséquence), je ne m'effraie pas plus que cela. Disons qu'il serait bien, à partir de demain, de fermer ma boitamel durant les heures de travail, afin que les divers messages entrants ne vienne pas perturber mon rendement comme ils l'ont fait aujourd'hui.

– Rien de plus à noter ici, je crois. Je pense d'ailleurs que ce journal va rester bien vide, ou en tout cas bien sec, tant que le BM ne sera pas terminé : quoi dire, quoi retenir, lorsqu'on passe l'essentiel de sa journée immobile devant un écran à y inscrire des conneries ?


Samedi 30

Six heures et demie. – Ce matin, je me suis dit que si par chance elle était là la semaine prochaine je pourrais fort bien demander à Nathalie de se passer de moi mercredi, à FD, ce qui me donnerait une journée supplémentaire pour terminer le BM. Je lui ai envoyé un mail dans ce sens et elle m'a répondu presque aussitôt. Que cela ne posait évidemment aucun problème. Il me reste donc quatre jours pour écrire environ 90 pages et en relire 200. Ce qui signifie que je vais devoir relire quelques dizaines de feuillets chaque soir après les pages d'écriture du jour. Autant dire que le journal de mai va commencer à petite vitesse – tout comme se termine celui-ci d'ailleurs.

– Une poignée de blogueurs français s'était rendue en Libye pour y “observer” la soi-disant révolution en marche (je dis "soi-disant" car j'ignore comme à peu près tout le monde s'il s'agit ou non d'une révolution – mais je n'exclus pas a priori que c'en soit une en effet), c'est-à-dire se livrer à une sorte de tourisme de l'extrême, du Ushuaïa à balles réelles. Je viens d'apprendre sur un blog que l'une de ces andouilles modernœuses, il y a quatre jours s'est pris une des balles en question dans le cou. Son état semble critique.

C'est bien fait. Au risque de passer pour un monstre, je le dis clairement : c'est bien fait. Je ne vois pas pourquoi la connerie angélique et satisfaite resterait toujours impunie. C'est triste pour les pauvres gens qui ont mis cet imbécile au monde, car leur vie va s'en trouver gravement gâchée, alors qu'eux-mêmes sont peut-être de braves gens tout à fait normaux (mais peut-être pas…), mais il faut accepter de payer le prix de l'expérience acquise – celle qui vous apprend que l'eau mouille et que la guerre tue.

Et c'est sur ce trait de méchanceté gratuite que s'achèvera ce journal d'avril.

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