NATURE MORTE SANS VIOLON
À Jérôme Vallet
Dimanche 1er août
Trois heures. – L'adjectif qui qualifie le mieux, le plus complètement le touriste, qu'il soit méditerranéo-clubiste ou alter-vacancier à la mode célestine, c'est déplacé.
La pseudonommée Clomani, du blog Ruminances, est décidément folle à lier. Idéologiquement folle. À en croire ses derniers commentaires sur ce billet, les Indiens d'Amérique auraient été, avant l'arrivée du méchant sorcier blanc, de doux pacifistes, qui se livraient à d'innocents simulacres de guerre, un peu comme les enfants jouent à “chat”. Et ils auraient été tout désemparés, ces chérubins aux joues roses, de constater que le grand sorcier blanc, lui, ne se contentait pas d'une tape dans le dos de son adversaire (« On dirait qu't'es mort ! », comme nous disions enfants) et, même, horreur, se relevait s'il était en état de le faire pour reprendre le combat. Faut-il avoir un mépris solidement ancré envers tout ce qui n'est pas soi pour accorder la moindre foi à de pareilles âneries ! Et imaginons la stupéfaction incrédule des conquérants de l'Amérique s'ils pouvaient entendre de telles aberrations, rencontrer de pareils aliénés. Au fond, comme je le lui ai fait observer – mais elle est hors d'état de comprendre –, il n'y a pas plus “occidentaliste” et “ethnocentrée” (deux mots qu'elle m'a balancés à la figure, croyant sans doute me foudroyer sur place) qu'elle et ses pareils, sauf que ces valeurs ont été retournées comme des gants. Mais le résultat est exactement le même, elle ne supporte pas que quoi que ce soit DE MAL arrive ou soit arrivé dans le monde sans que la responsabilité ne nous en incombe tout entière : on n'est pas plus impérialiste. Je ne sais pas si Céleste et elle se connaissent, mais ça vaudrait le coup de les présenter l'une à l'autre : elles feraient alors une paire de “copines” que l'on viendrait visiter de loin.
Sinon, Catherine m'a comme prévu abandonné pour la journée, afin d'aller agiliter avec Bergotte. Ce qui explique que je sois occupé à ce journal plutôt qu'au BM. Cela dit, j'en ai tout de même écrit huit ou neuf pages ce matin et compte m'y remettre dès la fin de ce paragraphe, ou du suivant. Alors que, d'ordinaire, dans une situation semblable, je ne fais rien.
Mes inquiétudes au sujet des nouveaux voisins se confirment : ce matin, ils n'ont rien eu de plus pressé à faire que de monter un maxi-parasol (je ne sais comment on nomme ces tentes sans côtés) pour y abriter leur six ou huit amis (avec enfants...), conviés à un barbecue. Observés un peu plus attentivement qu'hier, ils ont bel et bien des manières et des têtes à appeler leurs enfants Brandon et Jessica. Cela dit, je dois reconnaître que, pour l'instant, ils sont très calmes : pas de cri d'enfants ni d'éclats de rire gras, ni de pseudo-musique hurlante.
Tout cela étant noté qui devait l'être, je retourne à mes basses œuvres.
Ah, non, encore ceci : tout à l'heure, pour la première fois, je me suis risqué à acheter sur Amazon un disque (Peer Gynt) directement au format MP3. Et ç'a marché. Dix euros économisés s'ajoutent à l'impression puérile d'avoir remporté une grande et belle victoire.
Huit heures. – Je reviens sur cette invraisemblable Dame Clomani. Dans l'un de ses commentaires à moi adressé (qui comme souvent essaie d'être très méprisant mais rate piteusement sa cible), elle m'accuse, à propos des Indiens d'Amérique, d'en être resté à la vision manichéenne et stupide des westerns de mon enfance. Elle ne se rend pas compte qu'elle en est exactement au même point, sauf qu'une fois de plus elle s'est contentée de renverser l'axiome (cowboys toujours gentils, Indiens toujours méchants) et ça lui suffit pour s'imaginer qu'elle pense, qu'elle s'est affranchie de je ne sais quel carcan oppressif. Pour en arriver à affirmer qu'avant l'arrivée des blancs les Indiens se contentaient de jouer à la guerre, il faut vraiment avoir un Petit Livre rouge à la place du cerveau. Sans parler de cette touchante naïveté qui lui fait croire que les ethnologues (des sortes de demi-dieux pour elle, on le comprend très vite) seraient de purs esprits, totalement affranchis des idéologies, des préjugés et de la bêtise commune. Qu'ils se contenteraient d'observer et de rendre compte, dans une objectivité détachée de toute contingence sublunaire.
Pour mieux voir la réalité du monde et des hommes qui le peuplent, Mme Clomani a chaussé des lunettes à fort pouvoir grossissant. Malheureusement, elle a opté pour un modèle comprenant un verre rose et l'autre noir ; son strabisme divergent a fait le reste.
Lundi 2 août
Quatre heures. – Ce matin, comme j'en fomentais le projet depuis deux jours, j'ai appelé Nathalie, à FD, pour lui demander si elle se sentait capable de se passer de mon aide au rewriting ce mercredi et le suivant. Bien entendu elle m'a répondu qu'oui. Ce qui fait que me voici nanti d'un capital de deux jours supplémentaires pour le BM. Le résultat de l'opération ne s'est pas fait attendre : j'ai immédiatement levé le pied (alors que j'en suis arrivé au traditionnel chapitre II qui, en principe, s'écrit quasiment tout seul), et que je suis bloqué à 11 pages pour la journée au lieu des 20 attendues. Pour aggraver cette tendance à la paresse, Catherine est partie pour le cours d'obéissance d'Elstir, me privant de mon “garde-chiourme psychologique”. J'en arrive à me demander si ces petites tricheries minables ne me seraient pas devenues indispensables pour pouvoir continuer à produire ces damnés bouquins, si elles ne seraient pas le moteur même de ce travail.
Je suis bien entré dans Le Premier Cercle (c'est heureux, après 350 pages...), contrairement à mes craintes en le commençant. C'est une fresque impressionnante par ses proportions, mais non seulement par elles : j'y reviendrai quand j'aurai un peu plus de temps, et surtout lorsque j'aurai fini le roman. Il reste que Soljénitsyne cède trop souvent, il me semble, à son goût pour l'ironie un peu voyante, qu'il ne sait pas toujours garder la bonne distance avec son sujet, contribuant ainsi à lui ôter de la force – et c'est sans doute en ce sens qu'il me paraît être un écrivain inférieur à Chalamov. Inférieur sur le plan de l'art, car bien entendu ça n'enlève rien à ce qu'il a d'unique et d'inégalé, cette puissance de la volonté, cette “force qui va”, ce caractère hors du commun et l'ampleur de sa vision ainsi que sa maîtrise du phénomène concentrationnaire, à la fois dans le plus menu détail et dans les vaste panneaux qu'il en brosse.
Depuis environ midi, il pleut, ce qui n'était pas arrivé depuis des semaines, hormis une violente mais très brève ondée. Là, c'est une pluie puissante et régulière, et l'on a presque l'impression de percevoir les remerciements de la terre dure et de la végétation assoiffée. Du coup, le chèvrefeuille qui s'entrelace à la clôture du fond du jardin dispense ses parfums lourds jusqu'en ce bureau qui lui est proche.
Aucune envie d'écrire le moindre billet sur le blog-mère – et de toute façon aucune idée pour cela.
Premier contact, tout à l'heure, entre Catherine et nos nouveaux voisins. Après courte discussion, il apparaît que nous nous sommes trompés : c'est une femme seule qui va vivre ici et non un couple comme nous l'avions d'abord cru. Une bonne nouvelle en ce sens que cela rend moins pressant le danger d'une quelconque reproduction. Cette voisine nouvelle aurait dans les 30 ou 35 ans d'après Catherine, plutôt la quarantaine d'après moi. Bref, tout risque d'enfant n'est quand même pas définitivement écarté. C'est avec son père que Catherine a parlé : il venait lui demander s'il pouvait tailler la haie mitoyenne de son côté. Il lui a bien sûr été répondu qu'il pouvait faire absolument ce qu'il voulait dans ce domaine. Je suppose qu'il doit déjà être en train de s'y employer : dans le genre travailleur, il me fait penser à mon père il y a dix ans. Du reste, il a l'âge de mon père il y a dix ans, d'après ce qu'il a dit à Catherine. Quant à la mère, elle porte une blouse comme en revêt la mienne lorsqu'il s'agit de s'attaquer au ménage – c'est-à-dire à peu près tous les jours.
Mardi 3 août
Huit heures. – Journée pénible, durant laquelle j'ai péniblement écrit onze pages, lorsqu'il m'en aurait fallu vingt. Et avec les efforts de douze bœufs tentant de tirer une charrue scellée dans le sol. Je n'ai même pas l'excuse de la distraction des blogs, puisque, août oblige, ils sont presque tous désertés – ce dont je ne me plains d'ailleurs nullement.
Un passage du Premier Cercle où il est question du Comte de Monte-Cristo m'a immédiatement donné envie de relire le roman de Dumas. Ce serait la cinquième fois au moins. Je ne suis pas certain de résister. Le pis est qu'il faudrait que je le rachète car l'édition que j'ai (offerte par André un jour que nous étions ensemble à la Fnac de Strasbourg) est absolument impossible à manier. Il s'agit d'un énorme volume in quarto qui réussit l'exploit de contenir la trilogie des Trois mousquetaires ET le fameux Comte. Je me vois très bien lire ça dans le canapé du hall à Levallois...
Ludovic a fait un passage éclair à la maison. Il est arrivé hier soir peu après six heures, les bras chargés de bières. Malgré cela, Catherine et moi sommes restés sobres comme des... Enfin, sobres, quoi. Pas peu satisfait de moi-même.
Mercredi 4 août
Sept heures et quart. – Décidément, cette Dame Clomani pourrait bien venir détrôner Céleste dans mon empyrée idéologico-psychiatrique. Cela dit, il faut préciser que si elles ont de nombreux points communs, notamment l'aigre ressentiment qu'elle éprouvent envers elles-mêmes, et qui se traduit par de gros “renvois” dont les remugles sont censés terrasser l'homme blanc, elles diffèrent au moins sur un point : autant Céleste est ravagée de modernité et bée devant les apocalypses à venir, autant l'autre semble parfois être une sorte de mammouth miraculeusement conservé dans son bitume, dont on vient tout juste de le déganguer. C'est Hibernatus sans la drôlerie de De Funès, mais avec pourtant des grimaces et des contorsions méritoires. Aujourd'hui, toujours au sein de l'amicale auto-congratulante heureusement nommée Ruminances, elle s'est fendue des deux premiers volets de ce qui menace de tourner saga, à propos du Mexique. Si j'en juge par cette amorce – mais accordons-lui le bénéfice du doute et attendons la suite –, on ne saura évidemment rien du Mexique. Dès qu'elle parle d'un pays lointain (et pauvre, bien entendu : pour être vraiment lointain et attirant, un pays se doit d'être pauvre), Dame Clomani semble souffrir du même syndrome invalidant que Céleste, lequel les ravale toutes deux au rang des “cinéastes” de la Connaissance du monde de mon enfance. Ni l'une ni l'autre n'ose plus les formules consacrées, du genre “Mexique, empire aux mille soleils” ou encore “Inde, terre de contrastes”, mais on sent bien que l'esprit demeure. Et les êtres humains que l'on peut croiser dans ces récits ont forcément et toujours les “sourires lumineux” et les “regards pleins de bonté” qui sont ceux des loufiats des clubs de vacances exotiques lorsqu'ils espèrent vous faire cracher vos coquillages au bar ou à la discothèque. Ensuite, les routes se séparent, de nos deux Dames. Tandis que Céleste s'en va jouer les intermittentes du mère-thérésisme, Clomani se mue en une sorte de Dolores Ibarruri estivante : charité militante d'un côté, révolution dans le boudoir de l'autre. C'est pourquoi (pour l'instant, rappelons-le tout de même), du Mexique nous n'avons rencontrés, au long de ces deux tartines, que de braves zapatistes à la fois pauvres et fiers, des “mi casa es tu casa” comme s'il en pleuvait, des petits enfants aux pieds nus qui vous offrent avec un grand sourire confiant l'unique rat mort qui leur servait de ballon de foot – tout cela sous l'ombre magnifique et solaire du sous-commandant Marcos conduisant son peuple sur le chemin semé d'embûches de sa dignité retrouvée.
Pauvre Dames ! Qui osera leur dire qu'elles ressemblent à des bonnes sœurs confites en dévotion à qui on aurait brutalement supprimé leur dieu de gloire et qui, depuis, errent dans les ténèbres à la recherche d'un christ de remplacement, dans une course hystérique qui n'est pas sans rappeler celle du canard sans tête dans la cour de la ferme ? Et dans cette noirceur – dont elles se félicitent chaque jour comme d'une lucidité durement conquise –, les voilà prêtes à prendre n'importe quel épouvantail en treillis et casquette pour le nouveau rédempteur de ce Job post-moderne, pustuleux et pestilentiel, qu'est à leurs yeux clos cet homme occidental qui a eu la triste malchance de les enfanter.
De toute façon, devraient-elles le sillonner trente ans encore dans tous les sens, elles ne verraient jamais le monde, puisque, là où elles sont, n'importe où, elles se contentent de le vérifier.
Sinon, la journée ne fut point trop mauvaise sur le chapitre du travail : quinze pages. Il m'en reste 160 à écrire et huit jours pour y parvenir, plus un dernier pour relire l'ensemble. Donc, à partir de samedi, vingt feuillets quotidiens et aucun droit à l'erreur. Sinon, je serais obligé de me priver des quatre jours que nous devons passer en Auvergne chez Mère Castor, et je crois que Catherine m'en voudrait un peu – même si ma défection ne saurait l'empêcher d'y aller tout de même. On va néanmoins tâcher d'éviter ça.
Hier, le vétérinaire a enlevé les fils que Swann avait à la patte avant droite, suite à sa petite opération. Nous nous en réjouissions fort pour lui, sauf que, deux ou trois heures plus tard, force nous fut de constater qu'à trop lécher sa cicatrice, il l'avait partiellement rouverte. Catherine a donc refait un pansement... qui avait disparu ce matin. Et la plaie était encore plus large qu'hier. Nouvelle visite chez le vétérinaire cet après-midi, forcément. Et voilà Swann avec des agrafes pour dix jours et, cette fois, condamné à la collerette de plastique 24 h sur 24. Heureusement, il semble la supporter avec beaucoup de stoïcisme.
Depuis un quart d'heure, il tonne, et pas très loin d'ici. Mais, paradoxalement (?), la pluie a cessé au même moment.
Trois heures. – L'adjectif qui qualifie le mieux, le plus complètement le touriste, qu'il soit méditerranéo-clubiste ou alter-vacancier à la mode célestine, c'est déplacé.
La pseudonommée Clomani, du blog Ruminances, est décidément folle à lier. Idéologiquement folle. À en croire ses derniers commentaires sur ce billet, les Indiens d'Amérique auraient été, avant l'arrivée du méchant sorcier blanc, de doux pacifistes, qui se livraient à d'innocents simulacres de guerre, un peu comme les enfants jouent à “chat”. Et ils auraient été tout désemparés, ces chérubins aux joues roses, de constater que le grand sorcier blanc, lui, ne se contentait pas d'une tape dans le dos de son adversaire (« On dirait qu't'es mort ! », comme nous disions enfants) et, même, horreur, se relevait s'il était en état de le faire pour reprendre le combat. Faut-il avoir un mépris solidement ancré envers tout ce qui n'est pas soi pour accorder la moindre foi à de pareilles âneries ! Et imaginons la stupéfaction incrédule des conquérants de l'Amérique s'ils pouvaient entendre de telles aberrations, rencontrer de pareils aliénés. Au fond, comme je le lui ai fait observer – mais elle est hors d'état de comprendre –, il n'y a pas plus “occidentaliste” et “ethnocentrée” (deux mots qu'elle m'a balancés à la figure, croyant sans doute me foudroyer sur place) qu'elle et ses pareils, sauf que ces valeurs ont été retournées comme des gants. Mais le résultat est exactement le même, elle ne supporte pas que quoi que ce soit DE MAL arrive ou soit arrivé dans le monde sans que la responsabilité ne nous en incombe tout entière : on n'est pas plus impérialiste. Je ne sais pas si Céleste et elle se connaissent, mais ça vaudrait le coup de les présenter l'une à l'autre : elles feraient alors une paire de “copines” que l'on viendrait visiter de loin.
Sinon, Catherine m'a comme prévu abandonné pour la journée, afin d'aller agiliter avec Bergotte. Ce qui explique que je sois occupé à ce journal plutôt qu'au BM. Cela dit, j'en ai tout de même écrit huit ou neuf pages ce matin et compte m'y remettre dès la fin de ce paragraphe, ou du suivant. Alors que, d'ordinaire, dans une situation semblable, je ne fais rien.
Mes inquiétudes au sujet des nouveaux voisins se confirment : ce matin, ils n'ont rien eu de plus pressé à faire que de monter un maxi-parasol (je ne sais comment on nomme ces tentes sans côtés) pour y abriter leur six ou huit amis (avec enfants...), conviés à un barbecue. Observés un peu plus attentivement qu'hier, ils ont bel et bien des manières et des têtes à appeler leurs enfants Brandon et Jessica. Cela dit, je dois reconnaître que, pour l'instant, ils sont très calmes : pas de cri d'enfants ni d'éclats de rire gras, ni de pseudo-musique hurlante.
Tout cela étant noté qui devait l'être, je retourne à mes basses œuvres.
Ah, non, encore ceci : tout à l'heure, pour la première fois, je me suis risqué à acheter sur Amazon un disque (Peer Gynt) directement au format MP3. Et ç'a marché. Dix euros économisés s'ajoutent à l'impression puérile d'avoir remporté une grande et belle victoire.
Huit heures. – Je reviens sur cette invraisemblable Dame Clomani. Dans l'un de ses commentaires à moi adressé (qui comme souvent essaie d'être très méprisant mais rate piteusement sa cible), elle m'accuse, à propos des Indiens d'Amérique, d'en être resté à la vision manichéenne et stupide des westerns de mon enfance. Elle ne se rend pas compte qu'elle en est exactement au même point, sauf qu'une fois de plus elle s'est contentée de renverser l'axiome (cowboys toujours gentils, Indiens toujours méchants) et ça lui suffit pour s'imaginer qu'elle pense, qu'elle s'est affranchie de je ne sais quel carcan oppressif. Pour en arriver à affirmer qu'avant l'arrivée des blancs les Indiens se contentaient de jouer à la guerre, il faut vraiment avoir un Petit Livre rouge à la place du cerveau. Sans parler de cette touchante naïveté qui lui fait croire que les ethnologues (des sortes de demi-dieux pour elle, on le comprend très vite) seraient de purs esprits, totalement affranchis des idéologies, des préjugés et de la bêtise commune. Qu'ils se contenteraient d'observer et de rendre compte, dans une objectivité détachée de toute contingence sublunaire.
Pour mieux voir la réalité du monde et des hommes qui le peuplent, Mme Clomani a chaussé des lunettes à fort pouvoir grossissant. Malheureusement, elle a opté pour un modèle comprenant un verre rose et l'autre noir ; son strabisme divergent a fait le reste.
Lundi 2 août
Quatre heures. – Ce matin, comme j'en fomentais le projet depuis deux jours, j'ai appelé Nathalie, à FD, pour lui demander si elle se sentait capable de se passer de mon aide au rewriting ce mercredi et le suivant. Bien entendu elle m'a répondu qu'oui. Ce qui fait que me voici nanti d'un capital de deux jours supplémentaires pour le BM. Le résultat de l'opération ne s'est pas fait attendre : j'ai immédiatement levé le pied (alors que j'en suis arrivé au traditionnel chapitre II qui, en principe, s'écrit quasiment tout seul), et que je suis bloqué à 11 pages pour la journée au lieu des 20 attendues. Pour aggraver cette tendance à la paresse, Catherine est partie pour le cours d'obéissance d'Elstir, me privant de mon “garde-chiourme psychologique”. J'en arrive à me demander si ces petites tricheries minables ne me seraient pas devenues indispensables pour pouvoir continuer à produire ces damnés bouquins, si elles ne seraient pas le moteur même de ce travail.
Je suis bien entré dans Le Premier Cercle (c'est heureux, après 350 pages...), contrairement à mes craintes en le commençant. C'est une fresque impressionnante par ses proportions, mais non seulement par elles : j'y reviendrai quand j'aurai un peu plus de temps, et surtout lorsque j'aurai fini le roman. Il reste que Soljénitsyne cède trop souvent, il me semble, à son goût pour l'ironie un peu voyante, qu'il ne sait pas toujours garder la bonne distance avec son sujet, contribuant ainsi à lui ôter de la force – et c'est sans doute en ce sens qu'il me paraît être un écrivain inférieur à Chalamov. Inférieur sur le plan de l'art, car bien entendu ça n'enlève rien à ce qu'il a d'unique et d'inégalé, cette puissance de la volonté, cette “force qui va”, ce caractère hors du commun et l'ampleur de sa vision ainsi que sa maîtrise du phénomène concentrationnaire, à la fois dans le plus menu détail et dans les vaste panneaux qu'il en brosse.
Depuis environ midi, il pleut, ce qui n'était pas arrivé depuis des semaines, hormis une violente mais très brève ondée. Là, c'est une pluie puissante et régulière, et l'on a presque l'impression de percevoir les remerciements de la terre dure et de la végétation assoiffée. Du coup, le chèvrefeuille qui s'entrelace à la clôture du fond du jardin dispense ses parfums lourds jusqu'en ce bureau qui lui est proche.
Aucune envie d'écrire le moindre billet sur le blog-mère – et de toute façon aucune idée pour cela.
Premier contact, tout à l'heure, entre Catherine et nos nouveaux voisins. Après courte discussion, il apparaît que nous nous sommes trompés : c'est une femme seule qui va vivre ici et non un couple comme nous l'avions d'abord cru. Une bonne nouvelle en ce sens que cela rend moins pressant le danger d'une quelconque reproduction. Cette voisine nouvelle aurait dans les 30 ou 35 ans d'après Catherine, plutôt la quarantaine d'après moi. Bref, tout risque d'enfant n'est quand même pas définitivement écarté. C'est avec son père que Catherine a parlé : il venait lui demander s'il pouvait tailler la haie mitoyenne de son côté. Il lui a bien sûr été répondu qu'il pouvait faire absolument ce qu'il voulait dans ce domaine. Je suppose qu'il doit déjà être en train de s'y employer : dans le genre travailleur, il me fait penser à mon père il y a dix ans. Du reste, il a l'âge de mon père il y a dix ans, d'après ce qu'il a dit à Catherine. Quant à la mère, elle porte une blouse comme en revêt la mienne lorsqu'il s'agit de s'attaquer au ménage – c'est-à-dire à peu près tous les jours.
Mardi 3 août
Huit heures. – Journée pénible, durant laquelle j'ai péniblement écrit onze pages, lorsqu'il m'en aurait fallu vingt. Et avec les efforts de douze bœufs tentant de tirer une charrue scellée dans le sol. Je n'ai même pas l'excuse de la distraction des blogs, puisque, août oblige, ils sont presque tous désertés – ce dont je ne me plains d'ailleurs nullement.
Un passage du Premier Cercle où il est question du Comte de Monte-Cristo m'a immédiatement donné envie de relire le roman de Dumas. Ce serait la cinquième fois au moins. Je ne suis pas certain de résister. Le pis est qu'il faudrait que je le rachète car l'édition que j'ai (offerte par André un jour que nous étions ensemble à la Fnac de Strasbourg) est absolument impossible à manier. Il s'agit d'un énorme volume in quarto qui réussit l'exploit de contenir la trilogie des Trois mousquetaires ET le fameux Comte. Je me vois très bien lire ça dans le canapé du hall à Levallois...
Ludovic a fait un passage éclair à la maison. Il est arrivé hier soir peu après six heures, les bras chargés de bières. Malgré cela, Catherine et moi sommes restés sobres comme des... Enfin, sobres, quoi. Pas peu satisfait de moi-même.
Mercredi 4 août
Sept heures et quart. – Décidément, cette Dame Clomani pourrait bien venir détrôner Céleste dans mon empyrée idéologico-psychiatrique. Cela dit, il faut préciser que si elles ont de nombreux points communs, notamment l'aigre ressentiment qu'elle éprouvent envers elles-mêmes, et qui se traduit par de gros “renvois” dont les remugles sont censés terrasser l'homme blanc, elles diffèrent au moins sur un point : autant Céleste est ravagée de modernité et bée devant les apocalypses à venir, autant l'autre semble parfois être une sorte de mammouth miraculeusement conservé dans son bitume, dont on vient tout juste de le déganguer. C'est Hibernatus sans la drôlerie de De Funès, mais avec pourtant des grimaces et des contorsions méritoires. Aujourd'hui, toujours au sein de l'amicale auto-congratulante heureusement nommée Ruminances, elle s'est fendue des deux premiers volets de ce qui menace de tourner saga, à propos du Mexique. Si j'en juge par cette amorce – mais accordons-lui le bénéfice du doute et attendons la suite –, on ne saura évidemment rien du Mexique. Dès qu'elle parle d'un pays lointain (et pauvre, bien entendu : pour être vraiment lointain et attirant, un pays se doit d'être pauvre), Dame Clomani semble souffrir du même syndrome invalidant que Céleste, lequel les ravale toutes deux au rang des “cinéastes” de la Connaissance du monde de mon enfance. Ni l'une ni l'autre n'ose plus les formules consacrées, du genre “Mexique, empire aux mille soleils” ou encore “Inde, terre de contrastes”, mais on sent bien que l'esprit demeure. Et les êtres humains que l'on peut croiser dans ces récits ont forcément et toujours les “sourires lumineux” et les “regards pleins de bonté” qui sont ceux des loufiats des clubs de vacances exotiques lorsqu'ils espèrent vous faire cracher vos coquillages au bar ou à la discothèque. Ensuite, les routes se séparent, de nos deux Dames. Tandis que Céleste s'en va jouer les intermittentes du mère-thérésisme, Clomani se mue en une sorte de Dolores Ibarruri estivante : charité militante d'un côté, révolution dans le boudoir de l'autre. C'est pourquoi (pour l'instant, rappelons-le tout de même), du Mexique nous n'avons rencontrés, au long de ces deux tartines, que de braves zapatistes à la fois pauvres et fiers, des “mi casa es tu casa” comme s'il en pleuvait, des petits enfants aux pieds nus qui vous offrent avec un grand sourire confiant l'unique rat mort qui leur servait de ballon de foot – tout cela sous l'ombre magnifique et solaire du sous-commandant Marcos conduisant son peuple sur le chemin semé d'embûches de sa dignité retrouvée.
Pauvre Dames ! Qui osera leur dire qu'elles ressemblent à des bonnes sœurs confites en dévotion à qui on aurait brutalement supprimé leur dieu de gloire et qui, depuis, errent dans les ténèbres à la recherche d'un christ de remplacement, dans une course hystérique qui n'est pas sans rappeler celle du canard sans tête dans la cour de la ferme ? Et dans cette noirceur – dont elles se félicitent chaque jour comme d'une lucidité durement conquise –, les voilà prêtes à prendre n'importe quel épouvantail en treillis et casquette pour le nouveau rédempteur de ce Job post-moderne, pustuleux et pestilentiel, qu'est à leurs yeux clos cet homme occidental qui a eu la triste malchance de les enfanter.
De toute façon, devraient-elles le sillonner trente ans encore dans tous les sens, elles ne verraient jamais le monde, puisque, là où elles sont, n'importe où, elles se contentent de le vérifier.
Sinon, la journée ne fut point trop mauvaise sur le chapitre du travail : quinze pages. Il m'en reste 160 à écrire et huit jours pour y parvenir, plus un dernier pour relire l'ensemble. Donc, à partir de samedi, vingt feuillets quotidiens et aucun droit à l'erreur. Sinon, je serais obligé de me priver des quatre jours que nous devons passer en Auvergne chez Mère Castor, et je crois que Catherine m'en voudrait un peu – même si ma défection ne saurait l'empêcher d'y aller tout de même. On va néanmoins tâcher d'éviter ça.
Hier, le vétérinaire a enlevé les fils que Swann avait à la patte avant droite, suite à sa petite opération. Nous nous en réjouissions fort pour lui, sauf que, deux ou trois heures plus tard, force nous fut de constater qu'à trop lécher sa cicatrice, il l'avait partiellement rouverte. Catherine a donc refait un pansement... qui avait disparu ce matin. Et la plaie était encore plus large qu'hier. Nouvelle visite chez le vétérinaire cet après-midi, forcément. Et voilà Swann avec des agrafes pour dix jours et, cette fois, condamné à la collerette de plastique 24 h sur 24. Heureusement, il semble la supporter avec beaucoup de stoïcisme.
Depuis un quart d'heure, il tonne, et pas très loin d'ici. Mais, paradoxalement (?), la pluie a cessé au même moment.
Jeudi 5 août.
Neuf heures. –
Vendredi 6 août
Onze heures et demie du matin. – L'entrée d'hier soir est tout de même très énigmatique, c'est bien pourquoi j'ai décidé de la laisser. Elle l'est même doublement car, il y a un instant, Catherine m'a affirmé que je m'étais mis au lit à sept heures et demie. Il est donc impossible que je me sois installé devant l'ordinateur à neuf heures. Et, en plus, pour n'y rien écrire. Tout cela est très bizarre.
En fait, pas tant que cela d'ailleurs. Hier, à l'heure du déjeuner, j'ai eu la bonne surprise de voir débarquer Yves Josso sur son antique Solex. Nous avons donc, lui et moi, passé deux heures à L'Ambiance d'à côté, où l'on se doute bien que nous n'avons bu de l'eau ni l'un ni l'autre. Les deux Ricard bien tassés que je me suis octroyé une fois à la maison ont suffi à m'assommer, ce qui explique très bien mon coucher tôtif et les douze heures de sommeil qui ont suivi.
Yves et moi avons bien entendu commencé par parler du rewriting, dont il fut le patron pendant des années, jusqu'en 1999. Nous nous sommes donné des nouvelles de nos petites familles respectives, nous avons aussi parlé de Philippe Muray, qu'Yves a connu dès les années soixante et à qui il était encore autrement lié, puisque la mère de ses deux fils est ensuite devenu la femme de Muray. En fait, nous débordions de tant à dire que nous sommes convenus de nous revoir plus régulièrement. J'en serais fort heureux car j'ai toujours beaucoup aimé cet homme-là. À un moment, je me suis avisé que nous nous connaissions depuis près de trente ans, ce qui m'a collé un vertige passager mais intense. C'est en 1983 qu'il a débarqué au rewriting, où je me trouvais moi-même depuis l'année précédente. Je crois bien que la sympathie entre nous a été immédiate, d'une évidence totale. Et elle ne s'est jamais démentie par la suite, de mon point de vue au moins.
Yves Josso, luxe rare, vit toujours dans la maison où il né voilà 74 ans, rue Blomet, une maison vieillotte, patinée, extrêmement chaleureuse et accueillante, où j'ai passé un certain nombre de soirées parfaites, tout au long de ces années où nous travaillions ensemble.
Onze heures et demie du soir. – Couché très tôt, je me suis relevé, je ne sais pourquoi. Si, plutôt, je je le sais : à cause de cette douleur, dont je ne parle jamais à personne, sauf à Catherine et encore. Ces boutons qui me poussent depuis quarante ans un peu partout et toujours dans les endroits les plus douloureux (plis des bras ou des cuisses notamment). Celui d'en ce moment est nouveau. Sur la fesse droite. Il est énorme, chaque jour plus douloureux. C'est pour lui que je me suis relevé. On est toujours assez ridicule, de souffrir d'un BOUTON. Néanmoins, ça fait très mal, et ça fait mal tout le temps.
Pendant ce temps où je pleurniche sur mon destin cutané, j'écoute Jérôme Vallet, et je l'envie d'une certaine manière, même si, bien entendu, il n'est pas plus enviable qu'un autre, et sans doute moins que certains. Mais enfin, il sait des choses que j'ignore. Il les paie au prix fort, mais il les sait. Moi,je ne sais rien : imposteur, imposteur presque total. Chaque fois que je parle de littérature : imposteur. Lui, au moins, quand il est question de musique, il sait de quoi il parle.
Par exemple, ce garçon, aujourd'hui, à Levallois, qui m'a abordé pour me dire qu'il était arrivé sur mon blog par Chatrier, qui m'a expliqué que j'écrivais superbement... Comment lui dire que non ? Que je suis juste capable d'écrire en français ? Et que ça n'a rien à voir avec savoir écrire ? Que pouvais-je lui dire, en dehors de “merci”, et un sourire ? Ce n'est pas tant que je ne sais pas écrire, c'est surtout que je n'ai rigoureusement rien à dire. Des phrases, oui, bien sûr, tant que vous en voudrez. Mais de la littérature, point.
« Elle ne parle plus, celle qui parlait si gentiment », dit Jérôme Vallet, pendant ce temps où je parle dans le vide. Et l'orgue m'étreint, et ces voix parfois terrifiantes. Et « on ne part pas ». Je crois que je ne comprends personne mieux que cet homme-là, au fond. Je ne sais pas ce qui m'arrivera le jour où ma mère mourra, mais je sais que je comprends, chez lui, cette douleur qui n'en finit pas et n'en finira sans doute jamais. Il est difficile, bien sûr, de dire que j'aime chez lui cette souffrance, mais il y a quelque chose de ce genre, lorsque la douleur se métamorphose en musique, se transmue et s'incarne dans ces voix entrelacées.
Et, pendant ce temps, je me tortille sous une autre sorte de douleur, ne sais plus comment m'asseoir, juste à cause de cet afflux de pus dans ma fesse droite...
Je ne vois pas l'intérêt de raconter à qui que ce ce soit à quel point il m'arrive de souffrir : c'est vraiment sans intérêt. Même moi, ça ne m'intéresse pas tellement. Par exemple, là, (merveille de valse chez Vallet) qui s'intéresserait au fait que je me tortille d'une fesse sur l'autre ? Que la douleur irradie depuis des jours ? Que ce bouton se violace ?
Pendant ce temps, Jérôme Vallet tricote ses voix d'une manière qui me ravit. Qui me ravit vraiment.
Samedi 7 août
Sept heures vingt. – Hier, notre agent immobilier a appelé Catherine pour lui dire qu'un jeune couple venait de faire, pour le studio, une proposition à 100 000 euros (la mise à prix était de 105 000). Nous avons accepté, le compromis de vente devrait être signé après le 25 août, lorsque ces jeunes gens rentreront de vacances. Il me tarde que la vente soit effective, afin de me supprimer ce boulet de la cheville, pouvoir rembourser les crédits auprès de la banque et acheter de nouveaux appareils auditifs à Catherine.
C'est d'autant mieux venu qu'un vent inquiétant semble souffler sur FD. La semaine dernière, à une journaliste ayant raté un papier, la nouvelle rédactrice en chef “déléguée” aurait dit : « Pour l'instant ça va, mais tu feras comment quand il n'y aura plus de rewriting ? » Pas bon...
D'un autre côté, je vais avoir 55 ans. Si je me trouvais poussé vers la sortie, je crois bien que je n'en ferais pas un drame, n'ayant plus la moindre envie d'être utile à la société. D'autant que, vu les travaux dans lesquels je me suis spécialisé, arrêter de travailler reviendrait plutôt à cesser de nuire. Évidemment, il faudrait réduire drastiquement notre train de vie (surtout si la BM s'arrête en même temps...), mais je crois que, cet obstacle surmonté, je m'en trouverais fort bien.
(J'écoute Carlos Gardel, en écrivant cela.)
En attendant, on vient de nous communiquer les plans de nos futurs locaux, dans l'immeuble principal de la rue Anatole-France : le rewriting y a sa place. Mais, bien entendu, ça ne veut rien dire.
Journée de légume aujourd'hui, pour cause de libations excessives hier soir. Plus que huit journées pour écrire 170 pages... Avec en plus la joie de devoir rester assis toute la journée alors qu'il m'est poussé cet énorme bouton sur la fesse droite, qui me fait un mal de chien et ne se décide ni à percer ni à disparaître. J'aurai été empoisonné toute ma vie par ces foutus boutons, qui ont le génie de toujours s'installer dans les endroits du corps où ils sont le plus invalidants. Ah, on peut dire que mes parents m'ont assez considérablement raté ! Je ne leur en veux pas, mais tout de même, ils auraient pu faire un effort.
Je termine Le Premier Cercle par devoir, parce qu'il ne me reste qu'une centaine de pages, mais je commence à en avoir marre. Ce roman a au moins deux cents pages de trop, à mon sens. De plus, il n'a pas de centre de gravité. Je vais sans doute relire un peu de Zinoviev en attendant Le Comte de Monte-Cristo, que j'ai commandé cet après-midi en “poche” plutôt qu'en “Bouquins” – autant commencer les économies tout de suite.
Dimanche 8 août
Sept heures et demie. – La crapulerie de certaines personnes de gauche “extrême” ne connaît vraiment plus de bornes. Suite à ce court billet, écrit cet après-midi à propos des huit médecins assassinés pour délit de christianisme par les talibans afghans, les commentaires que j'ai pu récolter dépassent mes espérances et m'amènent au bord du dégoût. En gros, on feint de considérer ces huit personnes (huit, n'est-ce pas...) comme une armée d'évangélisateurs agressifs, dont le seul but était d'insulter les gentils talibans dans leur propre foi. Bref, ils se sont livrés à une provocation inadmissible et, dans ces conditions, ils ne faut pas qu'ils s'étonnent de récolter ce qu'ils ont semé. Et puis, de toute façon, ces malheureux talibans n'ont fait qu'exprimer leur désespoir face aux génocides que nous pratiquons tous les matins là-bas, entre le petit-déjeuner et le premier pastis. En clair, c'est la faute à Bush et à Sarkozy. Voir La Pecnaude foncer dans ce panneau n'est pas pour m'étonner, mais venant de Marie-Georges Profonde, dont l'argumentation est parfaitement ignoble, cela me rend un peu triste car j'avais la faiblesse de l'aimer bien. Pourquoi est-ce que je m'obstine à parler avec ces gens ? Je sais qu'il importe de bien connaître ses ennemis, mais enfin, là, le prix à payer commence à me sembler excessif. Et toujours, en arrière-plan, cette question qui me lancine (le verbe est offert) : pourquoi tous ces gens, en apparence normaux, sont-ils si avides de disparaître ? Et d'où leur vient cette fascination pour la brutalité la plus crasse ? Je sais bien que la gauche a toujours éprouvé une certaine fascination pour les dictateurs, pour peu qu'ils sachent employer les mots magiques (prolétariat... capitalisme... peuple... lutte...), mais enfin, passer du treillis tropical – comme cette virgen dolorosa de Clomani en pâmoison devant son sous-commandant Machin – au burnous des bédouins, il y a tout de même là une sacrée descente dans la dégoûtation. Je vais finir par croire qu'il s'agit d'un truc purement sexuel, comme dans le cas de Genet avec les Palestiniens : au moins, là, ce serait tout à fait acceptable – compréhensible à tout le moins.
Enfin terminé Le Premier Cercle et enchaîné directement avec Zinoviev, Les Hauteurs béantes, lues en 1994 comme semble en attester la facture que j'ai retrouvée entre deux pages. Je trouve la drôlerie bouffonne de ce livre tout à fait irrésistible – irrésistible et effrayante. Avec un sérieux d'airain, Zinoviev feint de ne pas avoir conscience de ce que ses textes peuvent avoir de comique, et c'est en grande partie pour cela qu'ils le sont. Il y a aussi un vrai plaisir à perdre pied au milieu de ses raisonnements imperturbables, et à deviner qu'il rit sous son masque de comédien grec – mais sans en être complètement sûr. Il existe évidemment une accointance étroite (et qui serait à préciser, à approfondir) entre ces Hauteurs béantes et Le Maître et Marguerite. Sans doute à chercher du côté de la bouffonnerie, de l'exagération, de la caricature comme seuls moyens pertinents pour exprimer cette aberration ubuesque que fut le communisme “en actes”.
Hormis tout cela, journée assez pénible, en raison de cette intempestive pustule qui orne ma fesse droite et fait très mauvais ménage avec le fait que je suis censé travailler assis. J'ai tout de même réussi à écrire quinze pages, mais shooté au paracétamol doublé de codéine. Catherine est décidée à me traîner chez le médecin demain pour qu'il tente de venir à bout de ce volcan. C'est écarlate avec quelques marbrures violâtres : sur le plan strictement esthétique il n'y a rien à redire, mais j'aimerais bien en voir la fin tout de même. Et puis, être obligé de chier sur une seule fesse, à mon âge...
Plus je pense à cette éventualité d'une suppression du rewriting à FD et moins elle m'effraie. Je dirais même que... Est-ce une fascination du naufrage ? Un désir de catastrophe ? Ou quelque chose de plus profond et obscur ? Comme l'idée que si tout me lâche, BM et FD, il se produira obligatoirement quelque chose de nouveau et d'inattendu ? Mais le plus probable, dans une telle éventualité, est qu'il ne se produira rien – hormis l'obligation d'apprendre à vivre avec peu d'argent (je n'ai même aucune idée de ce qui pourrait bien me revenir en cas de chômage – sûrement pas lourd). Une chose me semble d'ores et déjà certaine : il m'étonnerait beaucoup, dans ce cas de figure, que je fasse le moindre effort pour me trouver un autre travail.
Au bout du compte, je crois que l'idée de devoir dégringoler du barreau de l'échelle sociale où je suis juché depuis 20 ans environ, non seulement ne me déplaît pas mais m'attire. S'y ajoute l'impression tenace que ce serait en fait réintégrer ma vraie place.
Et pendant ce temps, j'écoute Alla et son oud, musique qui a le don de me transporter, spirituellement bien sûr, mais presque physiquement aussi. La lumière et les odeurs (!) de l'Algérie sont là, intactes.
Mardi 10 août
Sept heures et demie. – Pas de journal hier, pour cause de visite médicale tardive (sept heures et demie, médecin en retard...), et même de double visite : Catherine pour une gastro-entérite “aiguë” et moi pour ce fichu bouton énorme accroché à ma fesse droite. Il était parvenu hier matin à une telle “maturité” que je ne pouvais même plus m'asseoir. Catherine a donc appelé son toubib dès huit heures et rendez-vous nous a été donné pour le soir. Entretemps, le dit abcès avait bien voulu exploser, et avec le bon goût de le faire au moment où je pénétrais dans la cabine de douche, ce qui m'a évité de maculer toute la salle de bain de sanie malodorante. Il n'empêche que le médecin en question – un vrai paniquard, Catherine m'avait averti – a aussitôt exigé que je prenne rendez-vous en urgence avec un chirurgien d'Évreux, pour lequel il m'a rédigé une lettre, afin d'être opéré dans les plus brefs délais. En attendant, il a donné pour consigne à Catherine de me changer le pansement SIX fois par jour. Une fois dehors, j'ai bien entendu averti celle-ci (qui s'en doutait bien) qu'il était hors de question de déranger qui que ce soit pour un bouton, moi qui dois en avoir plusieurs milliers à mon actif depuis l'adolescence. Et qu'un pansement quotidien, après la douche, serait amplement suffisant. De fait, ce soir, l'abcès diabolique est de nouveau pratiquement indolore, même lorsqu'il supporte mon poids considérable.
Le bon côté de la chose est que je me suis vu octroyer généreusement une semaine d'arrêt de travail, ce qui desserre un peu l'étau BM – mais pas tant que ça tout de même.
Tout à l'heure, avançant dans ma lecture des Hauteurs béantes de Zinoviev, je tombe sur un paragraphe se terminant par ceci :
« Ils ne comprennent pas, pensa le Bavard, même lorsqu'ils voient les choses de leurs propres yeux. S'ils les voient, ils reconnaissent le fait observé, mais ils nient le fondement des choses qui leur paraît insensé et donc inexistant. Et c'est pourquoi ils nous accusent personnellement, tout en éprouvant un sentiment de supériorité. »
Zinoviev parle là des Occidentaux, communistes ou “compagnons de route”, visitant l'URSS en état de démence idéologique avancée. Mais il me semble que l'on pourrait dire très exactement la même chose, aujourd'hui, de tous ceux que d'ordinaire je qualifie d'aveugles, à propos des transferts massifs de populations dont l'Europe s'apprête probablement à crever – mais c'est une autre histoire. Je me suis souvent demandé, publiquement, si au fond ce n'était pas moi qui étais fou, car il me semblait tout bonnement impossible que les autres ne voient pas ce qui me saute chaque jour davantage à la figure. L'explication de Zinoviev répond à cette interrogation en la supprimant : ils reconnaissent le fait observé, mais ils nient le fondement des choses qui leur paraît insensé et donc inexistant. En bref, le nerf optique fonctionne parfaitement, les centres de réception font très bien leur boulot, mais ensuite le haut-commandement classifie les informations, les barre d'un top secret inviolable.
Le piquant de l'affaire est peut-être que ces “négateurs du fondement des choses” sont exactement les mêmes (ou leurs petits-fils idéologiques, ce qui revient au même) que ceux qui revenaient éblouis de Moscou, le trajet de retour leur ayant suffi pour remplacer ce qu'ils venaient de voir par ce qu'ils pensaient avant leur départ de Paris. Et il y aurait, dans cette coïncidence de la bêtise dogmatique, le ressort d'une irrésistible bouffonnerie, si l'époque pouvait encore sécréter un Zinoviev.
Mercredi 11 août
Huit heures. – Alors que j'allais me mettre à ce journal, coup de téléphone de Rémi Pellet, depuis Plieux, où il nous “remplace” pour tout le mois d'août. Lorsqu'il m'avait annoncé qu'il serait seul jusqu'au 15 août, je n'avais évidemment rien dit mais je me doutais bien qu'il aurait beaucoup moins de temps qu'il ne le pensait pour ses travaux personnels. De fait, s'il m'a appelé aujourd'hui, c'était en quelque sorte pour quêter un “soutien moral” après ses sept visites d'aujourd'hui. Je crois bien que Catherine et moi n'avons jamais dépassé six, et en en faisant chacun une sur deux. Sept à lui tout seul (comme le petit tailleur du conte...), cela signifie qu'il n'a rien fait d'autre entre deux heures et maintenant. Je lui ai affirmé qu'après le 15 août, les foules visiteuses devraient se faire plus clairsemées, et j'espère pour lui que ce sera le cas.
Grosse différence avec notre séjour d'il y a un an : depuis une semaine, il a froid tous les soirs, alors que nous suffoquions de chaleur. Ce qui est un avantage pour les visites (ou les promenades canino-pédestres) mais pas pour les soirées contemplatives.
Ma journée a mal démarré. Ce matin, à peine avais-je écrit deux pages qu'un bug de mon logiciel Word les a totalement fait disparaître. Ce qui me met toujours (car ce n'est pas la première fois loin de là) d'une humeur massacrante. Le temps de les reconstituer, voici la factrice qui m'apporte le Comte de Monte-Cristo, que j'ai commandé il y a une petite semaine, en deux volumes “poche”. et je me retrouve avec une version abrégée pour adolescents (pour adolescents de maintenant : de mon temps, c'eût été la version pour enfants des écoles). Il va donc falloir les renvoyer et j'ai encore perdu une vingtaine de minutes à trouver sur le site Amazon la procédure de retour. Du coup, j'ai décidé de recommander ce même Comte, mais cette fois – au diable les économies – dans la version “Bouquins”. Laquelle est indisponible jusqu'à nouvel ordre. Entretemps, à la demande de Catherine, j'avais dû aller vérifier sur internet si tel chèque était bien passé de tel compte à tel autre en temps et heure.
Avec tout cela, plus divers vagabondages bloguesques, je me trouve encore bien heureux d'avoir réussi à écrire douze pages. Mais c'est vingt qu'il m'aurait fallu.
Catherine a conduit Swann chez le vétérinaire pour lui faire enlever les agrafes de sa patte avant. Les dites agrafes ont bien été ôtées en effet, mais comme il ne faut pas encore qu'il se lèche, sous peine de rouvrir le bastringue, il reste condamné à la collerette jusqu'à dimanche soir. À propos de chiens, Rémi Pellet voulait savoir pourquoi ceux de Renaud Camus passent une partie de leur temps à se mettre sur le dos. Il a fallu que je lui explique que cela signifiait une totale confiance en lui, ainsi qu'une acceptation de son autorité de “chef de meute” ce qui a eu l'air de le rassurer. Il m'a également dit qu'il s'astreignait, pour eux, à trois promenades par jour, ce que je trouve très excessif. Surtout à leur âge avancé, une (courte) promenade quotidienne me paraîtrait bien suffisante. Mais enfin, je ne suis pas maître-chien non plus, et surtout pas de ceux-là.
Jeudi 12 août
Huit heures. – Je dispose donc, depuis ce matin, de trois versions de la Passion selon saint Matthieu : celles de Klemperer, Karajan et Herreweghe. J'étais à peu près sûr de préférer celle du deuxième, d'abord parce que c'est la seule que j'ai connue pendant longtemps, à l'époque des disques “noirs” (doit-on dire : disques de couleur pour satisfaire à la pudibonderie de l'époque ?), et aussi parce qu'y chante ma très chère Gundula Janowitz. Pourtant, je viens d'écouter le début des trois versions du Kommt, ihr Töchter qui ouvre l'œuvre et je ne suis plus sûr de rien. Il y a chez Karajan un “drapé” d'une grande solennité, lequel tourne presque à l'empesage chez Klemperer, tandis que tout cela devient lumineux chez Herreweghe : l'impression d'une cohérence parfaite des notes entre elles, alors qu'on est presque au bord de la rupture des tissus chez Klemperer. Seulement, chez ce dernier comme chez Karajan, il y a les voix. Il faudrait prendre le temps d'écouter ces trois versions morceau par morceau, et en suivant le texte. Le ferai-je jamais ? J'en doute fort, malheureusement.
Douze feuillets écrits aujourd'hui (sur les quatorze déclarés à Catherine. Les feuillets, c'est comme le salaire : il y a le brut et il y a le net), c'est-à-dire que je viens juste de passer la moitié du livre et qu'il me reste cinq jours. Donc, 24 pages de moyenne à partir de demain. Je me suis résolu tout à l'heure à ne pas ouvrir internet ni la boitamel, afin de fuir toute distraction intempestive. Néanmoins le moral est bon car je sais très bien que tout sera bouclé mardi soir prochain, comme il se doit.
En revanche, Nancy à l'instar de Bruges fait la morte, ce qui, en période de paiement des à-valoir, n'est jamais un très bon signe.
Je m'aperçois à divers signes que la date de notre mariage, restée dans les limbes de l'avenir jusqu'à présent, se précise et se rapproche dangereusement. Je ne peux pas dire que cela m'enchante. Non le mariage en lui-même, mais tout le dérangement que cela implique : les détails à régler, les invités à nourrir et loger, etc. Le pis est que les onze ou douze personnes qui vont venir sont tous des gens que j'ai plaisir à voir et recevoir. Mais c'est plus fort que moi, la perspective d'une “rupture de routine” m'accable toujours plus ou moins – et avec l'âge plutôt plus que moins. Heureusement, Catherine a l'air de trouver cela tout à fait excitant, et comme d'habitude c'est elle qui va s'occuper de tout ; à part peut-être du vin.
Vendredi 13 août
Sept heures et demie. – Enfin une journée à rendement normal : 21 pages écrites aujourd'hui. Si je tiens ce rythme durant les quatre jours qui viennent (plus un petit rabiot le dernier), ce BM sera bouclé mardi soir. Dans le même temps, Nancy m'annonçait qu'elle virait sur mon compte bancaire la somme royale de mille euros (GdV m'en doit plus de sept mille) : puissant motif de dépassement de soi-même...
Sinon, dans la mesure où j'ai passé la journée devant ce clavier, plus une petite heure dans le fauteuil du salon à poursuivre ma lecture de Zinoviev, je n'ai évidemment pas grand-chose à dire ici. J'en profite pour noter ceci, que j'avais oublié : lorsqu'elle est venue à la maison, Nefisa m'a affirmé que mes attaques en piqué contre tel ou tel blogueur (gueuse) intervenaient systématiquement quelques jours après que j'eus terminé un BM. Je n'ai évidemment aucun moyen de vérifier ça, mais si elle a raison c'est assez troublant, dans la mesure où je n'ai jamais eu conscience d'un quelconque changement de mon humeur dans ces moments-là. Je pourrais dire qu'on va bien voir cette fois-ci, mais dans la mesure où je suis désormais alerté, cela va sûrement fausser tout le mécanisme : soit je vais me retenir, soit le faire exprès pour lui donner raison.
Voilà plusieurs jours que Swann – qui n'avait jamais fait cela en neuf ans – vient s'installer pour dormir ici, dans ce bureau, à gauche de mon fauteuil, exactement à la place qu'occupait Balbec il y a une douzaine d'années, dans mon bureau de Sainte-Scholasse. À cette époque, celle où je ne travaillais plus à FD, je passais toutes mes journées à mon bureau puisque, dans une année, je rédigeais quatre BM, plus cinq Empire des sectes, la collection que je tentais de lancer – toujours pour GdV –, plus encore quelques travaux annexes, comme le livre de souvenirs d'Alain Dubois, l'ex-patron de la Brigade des disparitions. De toutes ces heures, Balbec ne me quittait pas. Lorsque je sortais de la pièce, le temps d'un café ou pour me rendre aux toilettes, il ne bougeait pas, sachant bien que j'allais revenir très vite. En revanche, dès qu'il entendait s'éteindre l'ordinateur, il bondissait sur ses pieds, sachant que la matinée ou la journée étaient terminées. Swann n'a pas encore son entraînement.
(Mon bureau – je parle du meuble – et ses alentours immédiats sont constellés de mouches mortes, celles qui tombent sous les coups de la tapette que je garde toujours à portée de main gauche. Car je suis absolument incapable de tuer une mouche de la main droite. C'est pourquoi tout insecte se posant sur ma main gauche est assuré de la vie sauve – au moins temporairement.)
Dans les Hauteurs béantes, Zinoviev appelle Soljénitsyne le Père-la-Justice. Il y a aussi Double-Jeu dont je pense qu'il s'agit d'Andreï Sakharov mais sans en être certain. Lui-même, Zinoviev, serait le Braillard. D'autres encore (Le Bavard, le Chanteur, le Barbouilleur...) doivent correspondre à des personnages précis, mais je suis incapable de deviner lesquels, faute de connaître la Russie des années cinquante, soixante, soixante-dix. Du reste, cela n'a aucune importance.
Écouté intégralement la Passion selon saint Matthieu dans la version de Karajan aujourd'hui. Mais évidement écouter est un trop grand mot dans la mesure où j'écrivais en même temps – écrire étant également un trop grand mot ici.
C'est avec un plaisir presque intact que j'ai revu hier L'Impossible Monsieur Bébé d'Howard Hawks. Frappé comme chaque fois par le climat complètement psychiatrique, asilaire, dans lequel baigne tout le film, chaque personnage, des deux principaux au plus insignifiant, étant parfaitement dément. Encore ne sont-ils fous que par rapport au spectateur, en référence à son univers à lui, ou à ce qu'il croit être son univers : dans le film, en l'absence de tout personnage normal, les cloisons se gondolent et finissent rapidement par disparaître. On est face à la salle commune d'une maison pour aliénés qui aurait été désertée par le personnel soignant et serait donc vu par les aliénés eux-mêmes et par eux seuls. Vient évidemment renforcer l'impression étrange qui se dégage de ce burlesque le fait qu'aucune des péripéties qui s'enchaînent, absolument aucune n'est possible ni même seulement envisageable un seul instant.
Aucune envie d'écrire quoi que ce soit sur le blog-mère. Sorte d'aquoibonisme rampant.
À propos du mariage : la simple idée qu'il va me falloir aller acheter un costume m'accable ; et plus encore celle de devoir essayer des costumes. J'ai commencé ce soir à suggérer avec discrétion à Catherine que peut-être, finalement, si on y réfléchissait, je n'avais pas forcément besoin d'un costume...
Sinon, je m'aperçois que j'aurais bien aimé qu'Axelle (La Crevette) et son mari soient présents, ce 23 octobre prochain. Ne serait-ce que pour la rencontre avec les Fernique. Seulement, ils habitent à plus d'une heure de route, et je me vois mal les inviter à passer ici pour le mariage, leur offrir un verre ou deux ensuite, puis les renvoyer chez eux. Or, nous ne pouvons pas non plus inviter trop de monde à l'Hôtellerie d'Acquigny, le soir. Et, de toute façon, nous affichons très largement complet pour le coucher. Non, décidément, la chose ne me paraît guère possible. Mais c'est bien dommage.
Samedi 14 août
Huit heures. – Trente pages écrites aujourd'hui (ce qui mène le total provisoire à 160), et je commence à m'amuser un peu – il serait temps puisqu'il ne me manque que 60 pages. Je veux dire que, depuis ce matin – et même hier après-midi en fait –, le sort que j'inflige au roman de Camus fait que je me prends enfin au jeu, et que c'est l'occasion de quelques découvertes. D'abord, à force de triturer ce texte, de le démembrer, le fouiller, lui faire subir toutes sortes d'explorations et outrages, je commence à le connaître mieux qu'aucun autre (aucun autre texte) et, donc, à en repérer les quelques failles et incohérences. Mais, surtout, il se produit un phénomène de “mini-possession” si je puis dire, de moi par Camus. Ainsi, lorsque j'ai à recopier une page ou deux d'affilée, j'ai de moins en moins besoin de retourner au texte pour vérifier la conformité de ma ponctuation. Alors que, d'ordinaire, j'ai tendance à sur-ponctuer par rapport à Camus (ou lui à sous-ponctuer par rapport à moi), je m'aperçois que je suis en train de me “caler” sur lui, d'épouser son rythme, y compris dans les passages qui ne sont que de mon fait.
Il y a aussi que je m'émancipe. Depuis deux jours, je “casse” ses pages de dialogues pour y incorporer des échanges de mon cru, ne serait-ce que parce qu'ils sont indispensables à mon intrigue. Bien entendu le but du jeu est que les coutures se voient le moins possible. Or, je crois être arrivé à un stade où, à part lui et moi, plus quelques lecteurs très attentifs, il devient vraiment difficile de repérer les raccords. Cela ne tient, il me semble, qu'à une chose : d'une part les dialogues ont toujours été mon “point fort”, alors que d'autre part ils n'ont jamais constitué, et loin s'en faut, le domaine d'excellence de Camus. Si bien que, lui descendant de son haut et moi montant de mon bas, nous arrivons presque à nous rejoindre.
De plus, je m'éloigne de plus en plus de son histoire à lui, tout en enrichissant la mienne, mais en récupérant ses personnages et en faisant dérailler leur destinée, en les détournant à mon profit. Oui, vraiment, ça devient amusant – et tant pis si, comme il est probable, le résultat est sans intérêt aucun.
Vu hier soir deux films d'Hitchcock l'un derrière l'autre : Mais qui a tué Harry ? d'abord, puis L'Inconnu du Nord-Express. J'avais déjà vu le premier mais, bizarrement, jamais le second. Et, décidément, je ne comprends pas ce génie que l'on accorde si volontiers à Hitchcock. Harry est une comédie charmante, mais enfin, pas très excitante non plus. Quant à L'Inconnu, le dernier tiers (à partir du début de la partie de tennis) est d'un grand ennui.
Il y a aussi que les films d'Hitchcock souffrent à mes yeux d'une faiblesse rédhibitoire, et c'est le happy end obligatoire. Il peut bien monter les machines les plus diaboliques, tout le monde sait d'avance que, dans les cinq dernières minutes, le coup de baguette magique va intervenir pour tout remettre à l'endroit. Ce qui me suffit pour ne jamais entrer totalement dans l'histoire.
Et pourtant, dans chaque film de lui, ou presque, il y a des "moments de cinéma”, comme l'on dit (et il y en a même beaucoup), absolument superbes, voire prodigieux. Mais aussi, presque aussi souvent, un fond de grande niaiserie, psychanalyste ou autre – le comble en ce domaine étant peut-être Les Oiseaux, film de bout en bout grotesque.
Il faudra que je revienne demain sur ce que je viens de dire à propos du BM et de Camus : ça mérite mieux que ces quelques notations à la va-vite.
Dimanche 15 août
Sept heures et demie. – Tout à l'heure, vers six heures et demie, à l'issue de mes 21 pages écrites (22 déclarées à Catherine : ça tourne au vice ou au gâtisme...), Catherine me dit : « si tu veux, tu peux finir le fond de whisky en attendant l'heure du dîner », alors que je ne songeais à rien moins et envisageais d'aller studieusement me replonger dans Zinoviev. Évidemment, j'ai immédiatement obtempéré – et même avec un certain empressement. Mais enfin, c'était vraiment “un fond”, en effet, et je peux le constater facilement en levant les yeux du clavier vers l'écran pour contempler le paragraphe que je viens d'écrire : pas une faute de frappe, test absolu.
Lorsque je découvre une faute – de français ou autre – dans le roman de Camus, cela me provoque à peu près la même douleur, brève mais aiguë, que si je la rencontrais dans un texte de moi.
Il pleuvait quand je me suis levé, vers huit heures et demie, et il pleuvait encore à six heures moins le quart, tout à l'heure. Depuis, c'est terminé. De même, la température était de 11° à mon réveil et elle n'a pas dépassé 13 de toute la journée, journée que j'ai passée dans mon bureau (porte ouverte tout de même) avec un pull sur le dos. Et voilà quatre matins que je mets vingt minutes de chauffage (formulation absurde) dans la salle de bains avant la douche. Merveilleux réchauffement de la planète : je vais finir par croire que la Normandie se trouve en réalité sur une autre, inconnue des idéologues de la météo.
En ce moment même, Toiles de fond, de Bernard Donzel : chants de cigales plus cor de chasse, et en arrière-plan ce qui semble être une sorte de chant de berger. Je dois rendre grâce à Jérôme de m'avoir fait découvrir cette musique dite “concrète” (on l'appelle autrement désormais, mais je ne parviens jamais à me souvenir comment). Je commence à être capable, parmi la dizaine de compositeurs dont je dispose (!), de préférer celui-ci à celui-là ou à cet autre. Sans être capable de discerner pourquoi, bien entendu. Il est vrai que je ne prends pas (encore) la peine de me poser vraiment la question. Je n'en suis pas encore tout à fait à discriminer.
En raison de la pluie d'aujourd'hui, l'herbe a commencé de dangereusement reverdir.
Mardi 17 août
Huit heures et demie. – Que dire des tableaux de Jérôme Vallet ? Sinon que, dans son “catalogue”, Catherine et moi, sans nous consulter, avons trouvé le même à notre goût. Plus un autre, en ce qui me concerne (mais Catherine l'aime aussi, celui-là), et j'aimerais bien acheter les deux, et nous allons sans doute le faire.
Mais encore une fois, pourquoi ? Pour l'œuvre ou pour l'auteur ? Je n'en sais rien, et je m'en fous. C'est-à-dire que je me fous de ce qu'on peut penser de moi et de tout cela. Et surtout, j'aime bien cette idée que Georges rôde dans mon ridicule blog. J'adore ses interventions si... Comment les définir ?
C'est très pénible, de ne pas pouvoir partager ce qu'on vient de découvrir, et qu'on est en train d'aimer. Jérôme Vallet me piège, d'une certaine manière : à qui puis-je prétendre faire écouter sa musique, hors Camus et deux ou trois autres ? Or, plus je l'écoute moi-même et plus j'ai envie de "distribuer" ce que j'entends et aime.
Et, du fait que j'en parle, j'interromps Bach (je sais, c'est mal...), pour revenir à ce disque, "Double silence", qui me plaît de plus en plus, et dans lequel je commence à me sentir... Comment dire ? Chez moi ? Non, pas tout à fait. Disons en villégiature dans une maison étrangère où je serais déjà venu une première fois.
Dieu du ciel (si je puis dire), je ne peux rien dire de ce que j'écoute, et que j'écoute pour la cinq ou sixième fois. Mais il y a ces voix, non pas mises à plat mais au contraire, mais au contraire... Et merde, tiens !
Mercredi 18 août
Onze heures du matin. – En dehors de quelques considérations filandreuses d'après apéritif (pour fêter comme il se doit la fin du BM), je n'ai rien écrit ici depuis deux jours, simplement par manque de temps, les journées étant consacrées à l'écriture des dernières dizaines de pages, et les débuts de soirée à la relecture/correction de celles précédemment écrites. – Enfin c'est fini. Et, comme d'habitude, l'impression trompeuse de voir s'étendre une plage infinie de temps avant que d'avoir à songer au prochain. Or, non.
Nancy, au téléphone, il y a trois ou quatre jours, m'a affirmé que la série continuerait au moins en 2011, chose que m'avait déjà dite Marie-Thérèse mais avec moins d'assurance. La situation financière, toujours d'après Nancy, devrait s'assainir à partir d'Octobre. Je ne vois pas bien pourquoi, mais il est vrai que je ne suis pas dans le secret des dieux, ni même dans ceux de GdV – encore moins même.
Je suis depuis hier ou avant-hier plongé dans les Confessions d'un homme en trop de Zinoviev. Il met un tel naturel à se présenter comme un homme exceptionnel que cela n'est plus du tout choquant ou ridicule. J'ai commandé les deux volumes qui font suite aux Hauteurs béantes : L'Avenir radieux ainsi que les je-ne-sais-plus-quoi d'un veilleur de nuit.
Me voici de retour à FD après deux semaines d'absence. Et pas plus ravi que cela d'y être.
Hier soir – mais c'était en prenant l'apéritif... – Catherine et moi avons émis la possibilité de retourner passer un mois à Plieux l'été prochain. Bien entendu si “les” Camus partent de nouveau en juillet et en août, et s'il n'y a pas d'autres candidats déclarés avant nous. Pour changer, nous aimerions bien juillet, mais cela dépendra de Pascale G. qui a en quelque sorte un droit de préemption sur ce mois.
Jeudi 19 août
Huit heures. – Discussion ce soir, entre Catherine et moi, et changement d'épaule pour le fusil en ce qui concerne notre mariage. Abandon de l'option restaurant (très chère) au profit du traiteur et, donc, d'une sorte de pique-nique à la maison, ce qui nous permettrait d'inviter en sus Axelle et Damien, que j'ai très envie d'avoir ce jour-là, et encore plus envie de “mélanger” avec les Fernique. Je viens d'envoyer un mail à la Crevette en ce sens.
L'idée de retourner à Plieux l'été prochain fait son chemin.
(Il y a, dans le quatrième morceau du disque de Vallet, des échos de fanfare qui me font penser à la BO d'un film de Fellini qui n'aurait jamais été tourné – et juste après, cet orgue rageur, désespéré.)
J'ai de plus en plus des désirs de catastrophe majeure : la fin des BM et mon éviction de FD qui surviendraient en même temps. Sortir du monde. Repliement sur soi, ne vivre que le strict nécessaire. Cesser de participer, ce qui dans mon cas signifie : arrêter d'être nuisible.
Hier, pour amuser Nefisa (qui prétend qu'à chaque fin de BM j'éprouve le besoin de rentrer dans le chou d'un blogueur quelconque), j'ai écrit un petit billet contre cette pauvre Irène Delse, laquelle avait cru bon de venir tirer la queue du lion et, bien entendu, de l'insulter en toute impunité. Mais elle ne doit même pas se rendre compte de l'insulte : traiter quelqu'un de raciste, de xénophobe, etc., c'est juste, pour ces cloches, faire œuvre utile. C'est dénoncer le Mal et donc être tout entier du côté du Bien. J'ai tapé très fort et ne le regrette nullement. Cette bonne femme, comme quelques autres, mérite très amplement les beignes que je lui colle “dans sa face”. Et j'espère que ça lui laissera deux ou trois hématomes. Mais en fait, non, bien entendu. Virginale, la Delse. Immarquable. Le teint de pêche des mutins de Panurge chers à Muray. – Encore une fois je me demande pourquoi je perds mon temps et mon calme à descendre dans ces cloaques.
Pensons à autre chose : ce mariage du 23 octobre, et les Fernique à la maison, et peut-être “les Crevette”. Des choses belles pour oublier un peu les égouts de la blogosphère.
Vendredi 20 août
Huit heures. – Demain matin, départ pour l'Auvergne où nous attendent (chez eux) Mère Castor et son homme, et où doit en principe nous rejoindre Nicolas pour la soirée. Quatre jours sans blogs me feront le plus grand bien. Swann reste ici (chez l'éducateur responsable de l'agility) et nous emmenons les deux autres. Comme Catherine emporte son ordinateur portable, je pourrai continuer à tenir ce journal, ce qui est pour moi le principal.
Réponse de la Crevette qui se dit enchantée de mon invitation à notre mariage, lancée hier soir.
Et ce sera tout pour ce soir : Mitchum m'attend dans la télé...
Dimanche 22 aout
Cinq heures et demie. – Nous sommes donc depuis hier chez les Castor (Jean-Marc et Christine), non pas d’ailleurs réellement chez eux puisqu’ils vivent dans le Gard, mais en Auvergne, près d’Ambert, dans leur maison de campagne. Hier, Nicolas était des nôtres, il est reparti ce matin. Hier, une centaine de kilomètres avant Arlanc, Catherine a appelé ici pour dire que Roselyne prévoyait notre arrivée de Normandie à 16h57. À l’heure dite, ils ont vu débarquer une voiture, mais c’était celle de Nicolas arrivant du Gard. Nous avons eu quant à nous six ou sept minutes de retard, ce dont je ne me suis pas encore tout à fait remis à cette heure.
Aujourd’hui, longue marche et pique-nique au col des Supeyres (dont telle est je crois l’orthographe), avec Bergotte et Elstir (qui sont crevés), lequel offre plusieurs vues magnifiques, et tour à tour, sur les vallées environnantes et les montagnes qui les ferment. Le Puy-de-Dôme était lui-même parfaitement visible, mais la vue qu’on a dans cette direction, vers l’ouest donc, doit être encore plus belle l’hiver, par temps de gel et de ciel parfaitement pur. Journée fort agréable. Moment un peu difficile toutefois lorsque nous avons croisé un groupe de vaches, sans clôture entre elles et nous, accompagnées de trois ou quatre veaux et d’un taureau, lequel ne nous a pas accordé le moindre intérêt. Les veaux en revanche oui, qui ont commencé à s’approcher, à « venir au contact » pour jouer avec les chiens. Sous l’œil peu amène de l’une des mères. Il a fallu insister beaucoup pour que Catherine cesse de faire des photos et consente à s’éloigner du troupeau. Les veaux n’ont pas renoncé si facilement à leurs projets de jeux, qui nous ont suivi pendant plusieurs centaines de mètres avant de finalement renoncer.
Demain, La Chaise-Dieu avec déjeuner au restaurant. Et dîner avec un certain Antoine, qui élève des vaches et produit du fromage excellent (tomme et fourme d’Ambert). Cet Antoine connaissait et mon blog et celui de Catherine, ce qui m’a fort surpris. Il s’est prétendu « presque aussi réactionnaire » que moi, lorsque nous avons été présentés cet après-midi après notre promenade. Je ne sais plus comment notre début de conversation a dévié vers Léon Bloy, que nous sommes tombés d’accord pour n’aimer pas, mais cela a pourtant été.
Lundi 23 août
Six heures et demie. – Deuxième journée au Vallard, ches les Castor. Visite de La Chaise-Dieu, laquelle était gratuite à cause de l’agitation et des va-et-vient occasionnés par : 1) le festival de musique qui a lieu en ce moment, 2) un enterrement qui devait se dérouler cet après-midi – et qui s’est effectivement déroulé si l’on en juge par le glas qui a retenti tandis que nous finissions notre déjeuner au restaurant (excellent) situé juste en face de l’abbatiale. Nous avons en outre eu la chance que l’organiste ait décidé de venir se chauffer les doigts pendant notre visite, ce qui nous valu un petit concert improvisé. Ensuite, courte promenade en forêt, surtout destinée au dégourdissement des pattes de chiens, enfermés dans le coffre durant la visite et le déjeuner. Ce soir, nous serons neuf à table – des amis et famille des Castor. Et, demain, départ. A La Chaise-Dieu nous avons acheté force saucissons et jambon cru, ce qui n’est pas très reluisant quand on se prétend végétarien. Mais bon. Vu aussi une petite église du XIIe siècle, à Novacelles, romane au moins dans son chœur, lequel s’orne de fresques du XIVe.
Lu quelques pages de Zinoviev, moins par envie que pour dire que le livre n’aura pas voyagé pour rien. Actuellement, pendant que nous attendons les invités, Mère Castor s’active en cuisine, Catherine recopie une recette indienne de lentilles au lait de coco (c’est son côté Céleste…), Fidel Castor bricole une machine bizarre dont je me demande bien à quoi elle peut servir, et les chiens, nourris de frais, dorment.
Mercredi 25 août
Onze heures du matin. – Très peu écrit ici durant ces trois jours auvergnats, comme on a pu s'en rendre compte. Le désir n'y était pas, ou il y était fort peu. L'ambiance était davantage à la conversation nonchalante, ainsi qu'aux plaisirs de la table (et du comptoir), de la promenade, de la visite, le tout agrémenté de quelques rencontres. Du reste, de retour à Levallois – et tout surpris de m'y retrouver –, je n'ai pas plus envie de m'étendre sur ce séjour chez les Castor, lequel fut parfait en tous points mais que je préfère, et peut-être pour cette raison même, garder pour moi.
Mais alors, s'interroge le bon peuple des lecteurs assidus, à quoi bon dans ces conditions tenir un journal ? En effet, à quoi bon ?
Tout de même ceci, puisque je me suis servi hier, dans mon petit billet de retour, de la photo de moi que Catherine y a prise : j'ai été passablement impressionné par les phénomènes acoustiques qui se déploient dans la fameuse salle de l'écho de La Chaise-Dieu, par ces chuchotements de Catherine qui me semblaient provenir de l'intérieur même du mur face auquel je me trouvais – et légèrement plus bas que mon oreille, tandis qu'elle m'a dit après que ma voix lui parvenait au contraire légèrement au-dessus de sa tête, comme si nos tailles étaient scrupuleusement respectées par l'écho.
Souvenir tangible de ce séjour : mon bento d'aujourd'hui est rigoureusement auvergnat et rien moins que diététique : jambon et saucisson achetés à la Chaise-Dieu et fourme d'Ambert produite par cet étonnant Antoine avec qui nous avons dîné lundi soir, chez les Castor.
Jeudi 26 août
Midi et demie. – J'ai remisé hier soir Zinoviev, d'abord parce que ses Confessions étaient achevées, et ensuite parce que j'ai reçu le Monte-Cristo, que j'ai très envie de relire. Pour l'instant, je tourne autour du château d'If sans y aborder. C'est l'avantage de cette collection Bouquins : il y a tout un tas de préface, chronologie, dictionnaire des noms, etc. – autant d'annexes que j'ai toujours grand plaisir à lire, sauf si elles sont prétentieusement ratées, ce qui arrive hélas assez souvent. D'autre part, il serait bon que Monte-Cristo soit relu d'ici au 13 septembre, car à cette date je devrais recevoir le nouveau roman de Houellebecq qui, je l'espère ardemment, sera meilleur que La Possibilité d'une île. Mais, bon ou non, je sais fort bien que je ne serai pas capable de ne pas m'y précipiter séance tenante. Je trouve à son titre un réel écho camusien : La Carte et le Territoire – titre d'ailleurs écrit fautivement par Flammarion La carte et le territoire. Mais il est vrai que, dans ce domaine toujours un peu délicat, le n'importe quoi semble désormais la seule règle observée. Et puis, il est également possible qu'il s'agisse d'une fantaisie, voire d'une exigence, de l'auteur lui-même.
Ce matin, il m'a semblé que je devrais bien, concernant mon journal en ligne, en faire des blocs annuels d'un seul tenant, une fois que l'année concernée est ou sera terminée. D'une part pour diminuer le nombre d'entrées sur le blog, et aussi pour que cela ressemble autant que faire se peut à un vrai journal, avec les mois dans l'ordre. Je pense que je vais m'occuper de 2009 dès aujourd'hui, n'étant pas pour l'instant accablé de travail dans notre “halte-garderie” (dixit Brice).
Vendredi 27 août
Cinq heures. – Il y a environ une heure, Catherine m'a informé que non content de ne pas quitter la maison aujourd'hui Ludovic devait y rester jusqu'à lundi. J'en ai immédiatement conçu une exaspération certes disproportionnée à son objet, probablement assez infantile, mais impossible à maîtriser – et elle dure encore. Évidemment, je n'ai pas pu faire qu'elle ne s'en aperçoive pas et, du coup, c'est elle qui se sent mal, ce qui est parfaitement injuste. D'autre part, on ne peut pas dire que Ludovic soit mal accommodant ni pénible (en dehors de sa propension à parler tout le temps et à développer des théories absurdes à propos de tout), mais il se trouve que j'ai de plus en plus de peine à supporter tout ce qui s'écarte de ma routine, à plus fort raison quand j'ai l'impression d'être mis devant le fait accompli, ce qui semble bien être le cas. D'un autre côté, je ne me connais que trop bien : Ludovic m'aurait-il demandé si cela me dérangeait qu'il passe le week-end à la maison que je lui aurais bien entendu répondu non. On n'est pas plus con, il me semble. En fait je sais bien ce que je souhaiterais : que Catherine règle les choses au mieux (au mieux pour moi...) sans que j'aie à m'en occuper et sans même que j'en aie eu vent. Ce qui est pousser la lâcheté un peu loin.
Je suis tout de même surpris de constater qu'après quatre lectures au moins, Le Comte de Monte-Christo puisse encore avoir des secrets pour moi. C'est pourtant le cas. Ainsi, j'avais totalement oublié l'origine du trésor de l'île.
Samedi 28 août
Huit heures et quart. – Avalé les 400 premières pages de Monte-Cristo. Je pense que ce sera ma dernière lecture : je m'aperçois que je survole plus que je ne lis. Je vérifie. Cela étant, je découvre aussi, ou redécouvre, je ne sais trop. Par exemple que la partie italienne est mal construite, trop longue, qu'on sent le rafistolage de textes anciens. Notamment par l'importance du personnage de Franz d'Épinay qui, ensuite, va presque totalement disparaître (hormis son mariage avec Valentine de Villefort, à la fin, que fait capoter "bon papa" Noirtier). Dumas recycle ses "Impressions d'Italie" sans la moindre vergogne. Je le comprends : j'aurais fait pareil – et c'est du reste pour cela, entre autres, qu'il est le maître absolu des plumitifs dans mon genre, le saint patron des écrivains en bâtiment. L'histoire de Luigi Vampa est aussi interminable que sans intérêt, eu égard à la modestie de son importance dans l'économie générale de l'intrigue. D'autant que, dedans, vient s'enchâsser celle d'un autre bandit romain dont on n'a strictement rien à faire.
Me frappe en revanche (je parle par rapport à mes précédentes lectures) le fait que ce roman aurait très bien pu s'intituler Mort et Résurrection, ou encore Si le grain ne meurt, tant il n'est question que de cela : Dantès doit mourir pour que Monte-Cristo puisse apparaître, lequel doit à son tour s'évanouir pour céder la place à un nouvel homme, dont on ne saura rien puisque justement la fin du roman coïncide avec sa naissance. À ce triptyque en correspond d'ailleurs un second, qui ne concerne que le personnage du comte : Bien – Mal – Bien. Monte-Cristo, dans la partie "marseillaise" récompense les Justes, puis à Paris châtie les Damnés, avant – ayant fait l'expérience de sa non-divinité, acquis la conscience de l'outrepas qu'il fait de ses pouvoirs – de revenir au Bien (Valentine et Maximilien) qui lui ouvre les portes de l'Amour (Haydée).
(Il faudra aussi revenir sur cette adaption télévisuelle ignoble qui en a été faite, par le trio infernal et abject : Decoin-Dayan-Depardieu.)
Tout à l'heure, mail amusant de Joseph Vebret, me réclamant le journal de juillet. Ce sera pour mardi (31 août). Il me faut le relire une troisième fois et lui trouver un titre. Hier, lorsque j'y songeais (au problème du titre), j'ai pensé à Tombeaux épars, en référence à Jean-Philippe Chatrier. Et voilà que, déjà, je n'étais plus capable de me souvenir s'il est mort en juillet ou en août. J'en ai conçu une sorte de dégoût, ou de désabusement, de moi-même, heureusement assez bref mais violent.
Nouvelle écoute, écrivant ce qui précède, du Double silence de Jérôme Vallet. Il faudra bien, un de ces jours, que je tente de comprendre pourquoi cette musique qui devrait tout avoir pour me déplaire me séduit à ce point.
Lundi 30 août
Trois heures et demie. – Arrivé à cent pages de la fin, il m'apparaît en effet, comme je le disais plus ou moins hier, que cette relecture de Monte-Cristo est celle de trop : je n'y vois plus que les défauts ou à peu près. Ceux que je disais hier notamment, mais pas seulement. Il y a aussi les niaises roucoulades entre Maximilien Morrel et Valentine de Villefort, presque aussi crispantes (“presque” parce que beaucoup moins longues) que celles entre Raoul et Mlle de La Vallière dans Le Vicomte de Bragelonne – ce qui n'est pas peu dire. Je me souviens avoir été à ce point exaspéré par ces dernières que j'accueillais presque par des applaudissements et des cris d'enthousiasme tous les malheurs s'abattant sur ces deux crétins. Dans Monte-Cristo, le personnage d'Haydée, la fille d'Ali-Pacha, est également assez gonflant avec ses pseudo-manières d'esclave, mais enfin on la voit peu, par chance.
Ludovic vient de repartir pour Levallois. Ce soir, nouvelle visite du studio par nos éventuels acheteurs, lesquels reviennent avec un “professionnel” pour lui faire établir un devis des travaux qu'ils semblent envisager.
Sur ce, il me faut relire une dernière fois le journal de juillet, avant la mise en ligne de demain. Je me suis arrêté au titre Tombeaux épars.
Mardi 31 août
Trois heures et demie. – Le journal de juillet est en ligne depuis la fin de la matinée, après avoir été relu une nouvelle fois juste avant, ce qui fait quatre lectures au lieu de trois les mois précédents. Celle de ce matin, la supplémentaire, n'était pas destinée à traquer les dernières fautes, mais plutôt à relire “sur le fond” afin de voir ce qui pouvait être encore amélioré, à supprimer les adjectifs un peu trop “cliché”, etc. C'est donner beaucoup de temps aux dix personnes qui vont le lire d'un bout à l'autre, mais je ne suis pas capable de faire autrement. Et je m'aperçois avec un certain effarement amusé que, dès demain ou après-demain, je ne vais sans doute pas résister à l'envie d'une première lecture de celui-ci, celui d'août.
Comme chaque année, très content de laisser l'été derrière moi – c'est en tout cas toujours l'impression que me fait l'entrée en septembre. Même dans mes enfance et adolescence j'aimais cette période, dans la mesure où la rentrée des classes m'a toujours été plus un plaisir (ou disons une excitation) qu'une épreuve.
À propos de notre mariage, le problème que se pose Catherine : celui-ci ayant lieu à trois heures (nous voulions le repousser à quatre mais cela s'avère impossible, notre curé ayant apparemment un emploi du temps de ministre), que faire ensuite, si l'on ne veut pas commencer à boire trop tôt ? Grave question en effet. Dont on sent qu'elle se la pose moins pour nos invités et elle-même que pour moi. Pour l'instant, mais tout peut encore changer, et même plusieurs fois, nous envisageons une petite visite à La Couture-Boussey, village de l'Eure mondialement connu (vient-on d'apprendre) depuis le XVIIIe siècle pour la fabrication des instruments à vent. Le musée qui s'y trouve depuis le XIXe devrait intéresser au moins les filles Fernique et ma sœur, même si, comme le signale Catherine dans son propre journal de ce mois-ci, aucune ne joue d'un instrument à vent.
Ai-je noté qu'Isabelle G. doit finalement venir dîner et coucher ici le 17 septembre, qui se trouvera être un vendredi ? Si le train qui la ramène de Lille à Paris arrive à des heures compatibles, elle devrait me rejoindre à Levallois, puis nous rentrerions ici en voiture. Je suis assez curieux de cette soirée. Mais curieux sans la moindre appréhension.
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