jeudi 29 juillet 2010





LA FEMME QUI S'ÉLOIGNE







Mardi 1er juin

Trois heures. – Grande innovation à compter de ce mois-ci : désormais, le jour de la semaine sera spécifié. Ce, pour répondre à une récrimination de Catherine qui, lisant le journal de mai, hier ou avant-hier, s'agaçait de ne pouvoir déterminer dès les premières lignes si je parlais de Levallois ou d'ici. Comme je ne veux pas d'ennui avec les puissances temporelles...

Nous sommes donc entrés dans ce que je pourrais appeler les “mois sinistres”, ceux que j'aime le moins dans une année, à savoir grosso modo ceux qui correspondent à l'été. Étant entendu que les périodes allant du 1er au 15 juin, puis du 15 au 30 septembre fonctionnent comme des sortes de sas d'accoutumance et de désintoxication à et de cette époque détestable. Il y a pour commencer que je n'ai jamais trop aimé la chaleur. Je sais bien que, vivant en Normandie, je mets toutes chances de mon côté d'éviter ce premier désagrément. Mais tout de même : on n'est jamais à l'abri. Il y a surtout que je hais le mouvement qui déplace les lignes ; en l'espèce, les gens qui s'évanouissent en vacances quand ils font partie de mon paysage coutumier, mes commerces qui ferment, les championnats du monde de football qui surgissent, les festivals qui éclosent, etc. – les seuls aspects positifs restant la fluidité des autoroutes A 13 et A 14 ainsi que les tenues vestimentaires de certaines femmes de moins de trente ans : c'est peu. Il y a aussi, au chapitre de la détestation, la plage et ceux qui l'encombrent. Je sais bien que je n'y vais jamais pour ma part, mais le seul fait de savoir que la plage existe et qu'elle se trouve jonchée d'oisifs partant en huile suffit à m'énerver – ou à me déprimer, selon l'humeur qui a, ce jour précis ou cet autre, présidé à mon lever matinal.

En revanche, l'automne m'est presque toujours une saison délicieuse et douce ; mais il y faut de la patience, lorsqu'on vient tout juste d'inaugurer son journal de juin.

Ludovic a rapporté sa voiture à Catherine hier, pour des raisons de contrôle technique. Il repart tout à l'heure par le train, où va le conduire sa mère avant de se rendre elle-même à l'agility avec Elstir. Ce qui fait que je vais naturellement m'octroyer deux ou trois verres en attendant son retour.

Une lectrice de ce journal, dont le pseudonyme est La Pecnaude, y trouve un “zeste proustien”, ce qui me semble un bien trop grand honneur, et surtout frapper largement à côté de la cible. L'évocation de Léautaud faite par Suzanne me paraît déjà plus juste, même si, là encore, le costume est excessivement ample pour moi – cela dit, les costumes de Léautaud étaient également souvent trop grands pour lui. Cette même Pecnaude me dit plus ou moins qu'elle aime le journal, à l'exception de mes “leitmotive liquoreux”. Cela rejoint ce que je disais le premier du mois dernier, si je me souviens bien, à propos de ce que les lecteurs aimaient et n'aimaient pas : il faudrait donc aussi que je supprime les allusions alcooliques. Parfois, on se demande ce que l'on devrait mettre dans un journal pour ne mécontenter personne. Rien, peut-être bien.

Allant vérifier, je m'aperçois que j'ai sans doute écrit un peu vite que Mme La Pecnaude aimait ce journal, puisque, dans un premier commentaire, elle me reproche d'y parler essentiellement de moi – ce qui lui vaut en retour une brève moquerie de Dorham.

Écrit très vite, hier, un petit billet ironique sur le blog-mère, inspiré comme souvent par ma contre-muse favorite, Céleste. Je le mets en lien, comme je l'ai fait, hier et rétrospectivement, pour tous les billets évoqués dans ce journal au mois d'avril. J'étais fort surpris, ce matin, de ne trouver à sa suite aucun commentaire de protestation, comme je m'en attire d'ordinaire dès que j'égratigne cette précieuse icône de la bonté bontifiante. Mais je crois que la vraie nature de la céleste dame commence à se voir de plus en plus sous le masque – et je me plais à penser que je n'y suis pas tout à fait pour rien. Petites joutes sans importance, au reste.

J'ai l'impression que les oiseaux – les tourterelles et les mésanges en particulier – sont occupés à mettre en route leur seconde fournée progénitale de la saison : il y a dans les basses branches et sur les bords des toits de petits pas de deux qui ne trompent guère. Reste à trouver l'équivalent du “pas de deux” pour les volatiles.

À propos du journal, du journal en tant que forme d'expression plus ou moins littéraire, le Magazine des livres de Joseph Vebret y consacre ce mois-ci (ou ce deux-mois-ci, puisque bimestrielle est la revue) son dossier d'ouverture, avec notamment un long article de Raphaël Juldé, dont je connais le blog depuis déjà quelques années, et un non moins long entretien de Vebret lui-même avec Renaud Camus – interview qui n'apprendra rien à qui pratique déjà le Journal de Camus, mais qui lui donne une “surface” intéressante et pourra inciter d'autres à y aller voir. Cela dit, j'ignore absolument combien la revue attire elle-même de lecteurs...

Mon côté gamin : il y a une demi-heure, lorsque j'ai quitté la maison pour la Case, il tombait quelques gouttes ; et je me surprends, depuis, à jeter de furtifs coups d'œil par la fenêtre afin de surveiller l'état du temps (ça s'éclaircit, pour le moment...). Car pluie = pas d'agility pour Catherine = pas d'apéritif pour moi. C'est tout à fait idiot dans la mesure où je m'en passe parfaitement les autres soirs, et m'en passerai aussi bien ce soir si en effet il pleut d'ici une heure, mais je ne peux m'en empêcher : c'est le sale gosse à qui on a promis un gâteau, alors qu'il ne pensait à rien moins, et qui se roule par terre en hurlant si par malheur un empêchement survient à sa gourmandise.

Cinq heures et demie. – En principe, le cours d'agility commence en ce moment même. Ce qui signifie que le suspense est à son comble, car il pleut ! Depuis plus d'une demi-heure déjà. L'eau est d'abord tombée assez drue, et je voyais mon heure de solitude musicale et alcoolique s'éloigner en ricanant. Puis, la chute s'est espacée et, à présent, il ne choit plus que quelques gouttes solitaires et ignorantes les unes des autres. Dans une petite dizaine de minutes, si Catherine n'est pas là, je pourrai considérer mon alcoolisation relative comme acquise. Et je guette le portail, je guette...

La gaminerie va d'ailleurs plus loin que ce que je...

C'est foutu : la voilà.

La suite plus tard : il me reste une carte dans la manche...

Sept heures et demie. – La carte était toute simple, et je l'ai jouée : « J'étais sûr que tu ne rentrerais pas et, du coup, je prendrais bien un petit apéritif tout de même... » Et Catherine : « Ben, oui... si tu veux... » Et alors, moi : « Tu voudrais une petite goutte de quelque chose ? »

Elle (avec un air navré) : – Ben, non, je n'ai rien...

Moi (petit sourire malin) : – Je te demande juste si tu veux une goutte de quelque chose...

Elle (comprenant) : – Tu as acheté du whisky ?

Moi : – Évidemment que j'ai !


Mercredi 2 juin

Trois heures. – Hier soir, après m'être stupidement énervé tout seul durant presque toute la journée, et l'alcool ayant brusquement contraint cette colère sourde à s'exprimer bruyamment – d'autant plus bruyamment qu'elle était sourde –, j'ai écrit sur le blog-mère un billet d'une rare violence dans lequel je m'en prenais au répugnant O.B., ce stalinien donneur de leçons de liberté et de tolérance. Lequel avait publié lui-même un billet ignoble de sottise et de mauvaise foi, à propos de l'arraisonnement par l'armée israélienne de la fameuse "flotille pacifiste et humanitaire". Je ne regrette nullement la violence de mes propos : se faire donner des leçons de démocratie par une crapule communiste, il y a tout de même des limites à la patience et à la bonhomie. Mais, le relisant ce matin, j'ai trouvé qu'il partait dans tous les sens (pas étonnant...) et, du coup, manquait presque constamment sa cible. Je l'ai donc supprimé. Comme de bien entendu, ce petit crétin braillard de CSP s'est empressé de dire que j'avais peur du procès en diffamation, après avoir fait, sur son propre blog, un billet par lequel il aligne contre moi les insultes comme on enfile des perles sur un fil. Et cela continue à s'engueuler sur mon blog, à l'heure où j'écris cela. Si bien que je suis à deux doigts de fermer le dit blog pour quarante-huit heures, histoire de calmer un peu tout le monde. Mais enfin, c'est tout de même moi qui ai commencé, alors que nul ne me demandait rien...


Vendredi 4 juin

Midi. – Catherine est partie il y a deux heures, pour aller passer le week-end chez Nathalie. Elle a dû s'y reprendre à trois fois, tout de même. La première parce que, arrivée à Chaufour, elle s'est aperçue qu'elle avait oublié à la maison le patchwork qu'elle a confectionné pour sa sœur, laquelle aura 50 ans demain, d'où la fête chez elle. Catherine est donc revenue pour repartir presque aussitôt... toujours sans le fameux cadeau ! Cette fois, elle s'en est avisée à Pacy, ce qui a motivé son nouveau retour et un troisième départ. Enfin, il semblerait que cette fois soit la bonne. Me voilà donc seul avec les trois chiens jusqu'à dimanche soir. Du moins le serai-je dès que Ludovic et Solenn (dont je ne sais jamais orthographier le prénom : c'est peut-être bien “Solène”...) seront partis, ce qui réclame toujours un temps infini. J'ai, tout à l'heure, rempli la voiture avec toutes les affaires d'Adrien, cela a dû me prendre une vingtaine de minutes, et encore je compte large. Ludovic, lui, est incapable de réaliser la même opération en moins de deux heures – et cette fois je compte serré.

Pour revenir à ce week-end, le tout va être de ne pas trop boire le soir – mais j'ai tendance à écourter les apéritifs quand je suis seul, pour la simple raison que je m'y ennuie –, et surtout à ne pas revenir à l'ordinateur après avoir bu...

Depuis deux jours, j'ai presque totalement abandonné les commentaires sur le blog-mère, où ça tire dans tous les sens, Floréal s'engueulant avec Hermès, Pierre avec Paul, Paul avec Jacques, etc. Ça me fatigue.

Quatre heures. – Billet sur le blog-mère :

« Mais Dieu que la vie est parfois bien faite ! Ce matin, à peine l'Irremplaçable avait-elle effectué son troisième départ (voir le billet précédent) pour de lointaines contrées boisées z'et montagneuses, que Renaud Camus sonnait au portail afin de venir distraire mon ennui d'être ainsi lâchement abandonné en rase campagne, face à un ennemi supérieur en hommes et en matériel. Non réellement lui, bien sûr, mais les 500 pages de son journal de l'année 2008, dont le titre est celui que j'ai donné à ce billet [Au nom de Vancouver.]. Une centaine de pages a déjà été lue, au point que j'ai déjeuné à trois heures et demie : une seule Irremplaçable vous manque et tout est hypoglycémie.

Innovation, de prime abord : celle de la couverture. Déjà, en “une” du journal 2007, Une chance pour le temps, Pierre faisait son apparition. Une apparition incertaine, peu assurée d'elle-même, dans un flou lointain et peut-être rassurant. Cette fois, c'est l'auteur lui-même qui surgit, mais privé de réalité, de matérialité, et comme surimpressionné de sa propre audace. Il semble dire qu'il n'existe que par ce qu'il voit et relate. Mais il est, dans le même temps, aussi grand que la ville en arrière-plan, laquelle se trouve de plus à ses pieds.

Je reviendrai probablement sur ce volume du journal lorsqu'il aura été lu dans son entier. J'avais coché deux ou trois pages, sélectionnant les passages qui pouvaient “faire débat” (moi aussi, je jargonne moderne, quand je veux...). Finalement, j'ai préféré le court paragraphe qui arrive (p. 110), parce que j'en trouve la dernière phrase intensément poétique, par la manière dont elle fait tournoyer le temps et les époques, pour les fenêtres qu'elle ouvre sur de mystérieux paysages presque impossibles à discerner mais terriblement attirants :

« Mercredi 12 mars, neuf heures et demie du soir. J'ai aménagé ces jours derniers une minuscule bibliothèque dans la salle de bain, et plus précisément à portée de bras de la cuvette des toilettes, afin qu'aucun moment ne soit perdu qui pourrait me permettre de lire un peu, et spécialement les livres qu'on m'envoie et qui s'accumulent dans l'attente d'une réponse ou d'une lettre de remerciement. Pour ce faire, j'ai vidé une petite étagère, un trou dans la paroi de pierre. Sont ressortis de là toutes sortes d'objets de toilette oubliés ou écartés, ces objets comme il y en a tant dans une maison, dont on ne se sert plus mais qu'on ne veut pas jeter néanmoins, soit qu'on se dise qu'ils pourraient bien resservir un jour, soit que vous y attache quelque raison sentimentale. Parmi toutes ces brosses, ces vieux rasoirs, ces peignes, ces petits savons d'hôtel, ces flacons de parfum, il y avait une bouteille de Drakkar, lointain cadeau de Philippe IV le Bel. »


Et puis, tiens, cette autre phrase, en guise de just one more, qui, sortie de tout contexte, a elle aussi son parfum d'étrangeté :

« Mais il n'y a pas assez de semaines, et trop de mois. »

Huit heures. – Assis en terrasse, un verre de pastis à portée. Je sais que je vais être effondré demain par le nombre de fautes de frappe. Pas seulement dû à l'alcool bu (raisonnable pour l'instant...), mais aussi au fait que je tape sur le iMachin de Catherine, auquel je ne suis pas habitué.

Un couple de mésanges charbonnières a finalement élu domicile (ou “élu nid”) dans la boîte initialement prévue pour les grimpereaux (j'ignore l'orthographe de ces volatiles). Les deux parents vont et viennent sans cesse depuis une heure que je suis assis là. Et, par un glissement sémantique qui m'étonne moi-même, je me demande pourquoi il m'arrive de m'intéresser à des CSP...

O. B., c'est encore pire (pire pour moi) : il se fout bien de moi et de mon existence (à juste titre), il n'insulte jamais personne et, du coup, c'est moi qui joue le rôle du petit roquet. Pourquoi ?

(Elstir et Bergotte, pendant ce temps, font mine de se détester et de s'entre-dévorer...)

Enfin bref, cette soirée est un modèle de paix. La porte ouverte, j'écoute un disque merveilleux (Keith Jarret + Charlie Haden) que m'a récemment envoyé un ami.

Un ami, c'est peut-être trop dire. Sûrement, même. Longtemps j'ai cru comme tout le monde que la différence essentielle entre l'amour et l'amitié se situait là, dans la parfaite réciprocité de la seconde par rapport au premier. C'est faux : on peut très bien – c'est une vraie découverte – éprouver de l'amitié pour un homme qui n'en a rien à faire de vous. Bizarrement, je trouve cette expérience (nouvelle) plutôt roborative.

Il n'empêche que, tout à l'heure, juste avant le repas des chiens, j'ai fermé l'ordinateur, dans la Case. Avec la ferme intention de n'y plus revenir. Pour éviter les “fritages imbéciles et stériles”. Et me revoilà, ici, au milieu de ce concert d'oiseaux soutenu par Jarrett, sur l'ordinateur de Catherine enfuie.

Je n'aime pas tellement que Catherine me laisse seul. Bien que j'ai vécu sans elle jusqu'à 34 ans. (Elstir semble en train de “bouffer” littéralement Bergotte, laquelle fait semblant d'avoir le dessous.) Je n'aime pas tellement être seul, disais-je. Ou, plus exactement, je n'aime pas être sans Catherine, ce qui n'est peut-être pas tout à fait la même chose. (Swann s'en mêle : ça aboie et se poursuit dans tous les coins du jardin.) Néanmoins, il est très bien qu'elle parte, aille chez sa sœur, etc. Je ne veux absolument pas qu'on devienne un couple “fusionnel”, comme disent les cons. Un couple tout court me va très bien.

Il est tout de même amusant que la première vraie soirée d'été se produise justement aujourd'hui où je suis seul à en profiter.

Poursuivi la lecture du journal 2008 de Renaud Camus. Comme d'habitude, j'ai envie de corner une page sur trois afin d'y revenir plus tard – ce que je ne fais presque jamais. Le désir augmente depuis que je tiens moi-même un journal (bien inférieur au sien, il va sans dire), notamment lorsque, par hasard et sans le savoir, nous parlons de la même chose. Ainsi, il s'est comme moi fait piéger par ces “facilités de caisse” qu'offrent vicieusement les banques à leurs clients et qui plombent ses finances comme elles grèvent les miennes. Et il ne sait pas davantage que moi comment s'en sortir. (Sauf que, nous, nous avons encore un studio à vendre, et pas lui...)

On peut tout de même revenir à Olivier B., autoproclamé communiste. Je sais très bien pourquoi les communistes ont droit de cité et pas les nazis : parce que que les premiers ont gagné la guerre et les seconds l'ont perdue. Néanmoins, ils sont presque parfaitement semblables. Il n'y a aucune différence de fond entre un Olivier B. (ne parlons même pas d'un CSP) et un néo-nazi (pourquoi “néo”, du reste ?). Ces gens haïssent l'Europe, la France. Ils haïssent surtout la liberté, avec ce qu'elle suppose d'inégalités de fait. Leur idéal, c'est le mirador, on en revint toujours là. J'ai juste le tort de le dire de manière à la fois trop violente et trop sommaire, quand ça me prend. Mais ces types doivent être sulfatés : ils détestent l'homme, lequel ne se plie jamais à leurs injonctions démentes. Et, naturellement, ils vont gagner. Ils finiront morts, égorgés, mais gagnants : brillant paradoxe.


Samedi 5 juin

Neuf heures (du matin...). – Je ne suis pas peu fier de moi. J'ai réussi, hier soir, à ne pas retourner sur les blogs après mon apéritif solitaire sur la terrasse. À la place, j'ai écrit ici, dans ce journal, avec un nombre impressionnant de fautes de frappe. Au moment de la publication, il n'y aura plus qu'à virer les deux ou trois paragraphes “violents” et le tour sera joué. Comme la télé ne me disait rien et que j'avais lu la plus grande partie de la journée, je me suis couché à neuf heures. Du coup, j'étais sur pied dès six heures et demie, ce matin. Les chiens en ont eu l'air tout étonné. Ils m'ont fait la fête durant une minute, histoire de marquer le coup, avant de se recoucher comme un seul chien.

Cinq heures et demie. – Je viens d'écrire un court billet consacré au dernier tome du Journal de Renaud Camus, sur le blog-mère, dont j'ai le front de n'être pas trop mécontent, même s'il ne casse pas trois pattes à un canard. Je l'ai dédié à Joseph Vebret, en une sorte de moquerie amicale, qui est une réponse du berger à la bergère. Avant-hier il se moquait lui-même parce qu'il allait chercher le jour même son exemplaire d'Au nom de Vancouver chez Fayard, tandis qsue j'étais, moi, soumis aux paresses conjointes d'Amazon et de La Poste. Or, la dite poste m'a livré dès hier, cependant que lui, Vebret, apprenait chez Fayard que les exemplaires des journalistes avaient finalement été envoyés par cette même Poste.

J'ai pour ma part achevé la lecture de cette année 2008 il y a environ deux heures. Et, comme chaque fois, je me morigène de n'avoir pas lu le crayon à la main afin de noter au fur et à mesure les réflexions ou les sentiments qui me venaient à la lecture, lesquels n'auraient pas leur place dans un billet, mais tout à fait ici.

Par exemple, il y a encore, dans cette "cuvée", un ou deux portraits savoureux de la mère de l'auteur. Mais il n'est évidement plus possible de les apprécier de la même manière, maintenant que l'on sait que cette mère est morte en août dernier. Voilà, ce sont de micro-réflexions de ce type qui me viennent au courant de la lecture et que je suis trop paresseux, ou pas assez “littéraire”, pas assez universitairement littéraire, pour noter. Je m'en console en me disant que nul n'y perd grand-chose.

Je compte bien faire ce soir comme hier : fermer cet ordinateur et ce bureau afin de m'interdire symboliquement un retour de blog (comme il y a des retours de bâton...) d'après-boire. Et j'ai de la chance : les diverses tondeuses viennent de s'arrêter. Même si, évidemment, un invité de la 25e heure est toujours possible.

Six heures et demie. – Je crois être doté d'une intelligence assez grossière. Avec juste assez d'intelligence pour entrevoir son côté grossier : il y a du Diable là-dessous.

Le voisin “de derrière” – celui dont on ne se méfie jamais assez... – a fait fonctionner sa tondeuse juste assez de temps pour me convaincre de rentrer. À peine étais-je installé dans le salon qu'il a cessé tout vacarme. Je suis donc ressorti avec l'ordinateur de Catherine (et mon verre...), exactement comme hier. Et, comme hier, les piaillements furieux (mais sont-ils furieux ?) des oiseaux, et notamment des merles, se mêlent parfaitement au piano de Keith Jarrett – et à la basse de Charlie Haden encore mieux. Seules les tourterelles font tache, si je puis dire.

L'alcool n'a définitivement que peu à voir avec mes fautes de frappe, lorsque j'utilise ce portable : je viens à peine d'entamer mon premier verre et ce qui précède en est déjà constellé. Je ne comprends pas comment Renaud Camus fait pour ne travailler que sur ce type d'appareil malcommode. Mais étant lui-même souvent malcommode, il y a peut-être des sortes d'accords bipartites.

(Tiens, le voisin de derrière (j'avais bien raison de dire qu'il convenait de s'en méfier) vient de remettre sa tondeuse en marche. C'est possible, il a installé des caméras de surveillance ici ou quoi ?)

Je m'aperçois que, à cette heure et quand je suis seul, ce journal remplace Catherine. Ou, du moins, mon babillage avec elle. Si elle me quittait ou mourait, j'écrirais mille pages par an, on appellerait ça Journal d'un fou, Gogol étant dans le domaine public, ce serait quelque chose de... de dément.

J'ai cette certitude que, tant que Catherine sera là, avec moi, il ne pourra rien m'arriver de sérieux. De sérieusement désagréable, veux-je dire. À part peut-être mourir, mais rien ne prouve que ce doive être forcément désagréable.

Une chose m'horripile, dans le jazz, et ce sont les standards. Simplement parce que, lorsqu'ils surviennent, je sais que je ne connais à peu près qu'eux, que j'en possède huit ou dix versions dans ma modeste discothèque ; mais je suis néanmoins incapable, la plupart du temps, de leur rendre leur titre. Envoyez-moi une dix-huitième version de Body and soul ou de When you're smiling, voire de Summertime, et je passerai tout le morceau à ne rien écouter mais à chercher à identifier ce que je n'écoute pas. C'est très pénible. Et c'est précisément ce qui m'arrive avec le disque de Jarrett que Jérôme m'a fait passer il y a peu. Encore, lorsqu'il s'agit d'un disque du commerce, peut-on se lever de son fauteuil et aller regarder sur la pochette. Mais, là, il faudrait aller rallumer l'ordinateur de la Case, ouvrir iTunes, fouiller ses entrailles... Et pendant ce temps, l'apéritif ne se fait pas, quoi, merde !

Et re-merde, tiens : l'autre crétin de derrière vient de faire repartir la tondeuse. C'est une nouveauté de cette année, ça : la tondeuse en pointillé, pour faire durer le plaisir. Rien que pour ça, il vaudrait la peine d'habiter dans le Sud : à c't'heure, leur herbe doit déjà être complètement cramée. Il est vrai qu'ils ont probablement d'autres inconvénients : chaleur non-chrétienne, touristes en troupeaux, etc.

Le “de derrière” n'est d'ailleurs pas le plus pénible, en raison de sa disposition géographique. Le pire est le “d'à côté”, pas plus proche que le “d'en face”, mais ce dernier, lorsqu'il fait le tour de sa maison, nous offre de micro-répits sonores fort bien venus. Et puis, enfin, “de derrière” est le seul, jusqu'à présent, à pratiquer le pointillé.

Renaud Camus a parfaitement raison : déverser ses énervements dans un journal permet de les rendre supportables. Pas de les éliminer tout à fait, ce serait trop beau, mais de les éloigner de soi. Au moins pour une raison : pendant qu'on s'éreinte à faire des phrases qui tiennent debout, le bruit a tendance à s'amoindrir.

Et puis, ce sera tellement bon quand il va vraiment s'arrêter, ce malfaisant pithécanthrope...

(J'ai décidé de tenir, quel que soit le temps que...) Et au moment où je commençais d'écrire cela, tout s'arrête. Merveilleux instant où les oiseaux réapparaissent. Mais, évidement, avec la technique du pointillé, on ne peut être certain de rien...

Du reste, le bruit que l'on produit soi-même ne paraît jamais comparable à celui subi. il y faut une distance, un effort de distance, il faut se mettre à la place, et on ne le fait pas toujours. Ainsi, j'ai un peu trop tendance à compter pour rien les aboiements de nos chiens lorsque quelqu'un passe dans la rue (et surmultipliés lorsque ce quelqu'un est accompagné lui-même d'un chien – Un chien qu'on ne connaît pas, comme dirait la tante Léonie). Or, Bergotte (« C'est normal, c'est une fiiille ! », comme dit Ludovic) commence généralement à donner de la voix quand les gens sont encore à cent mètres du portail et continue de le faire alors qu'ils l'ont dépassé d'autant. Autant dire que, les jours de week-end combinés à du beau temps, elle aboie beaucoup. Eh bien, si je ne fais pas d'effort sur moi-même, cela ne me dérange qu'à peine. Je crois même que je finirais par ne plus l'entendre du tout.

Si je pensais que Dieu existe, je le remercierais tous les matins de la vie qu'il m'a accordée, même en sachant qu'elle ne peut aller que vers le pire : mort de mes parents, ma propre dégradation physique (et pas forcément dans cet ordre...) ou mentale (mais la perte serait moins grande), etc. Et sans parler de la réduction drastique qui s'annonce de ma “surface financière”. Et sans rien dire non plus de l'abîme culturel, ethnique, etc. vers lequel nous courons avec des trépidations de joie. Tant pis : me suffisent une femme (non, pas une femme : cette femme) et trois chiens, avec un toit au-dessus de l'ensemble.

Quand les choses se gâteront vraiment, et cela ne devrait tarder, il restera la possibilité de l'exil. Car, comme le dit Camus dans son dernier journal, même si ce n'est pas mieux ailleurs (en Gaspésie par exemple, fantasme assez récurrent...), au moins ce n'est pas son propre pays que l'on voit sombrer. Et il doit y avoir moins de douleur, en effet.

À propos de Gaspésie, je m'avise qu'Ygor Yanka se fait rare sur le blog-mère (et totalement absent sur le sien propre). Mais peut-être, justement, est-il en plein déménagement (j'ai oublié les dates qu'il a données) ? Ou bien, ayant déménagé, a-t-il pris en pleine poire la vanité de ce qu'on appelle les blogs – et que je commence moi-même à percevoir avec une acuité de plus en plus gênante.

Bergotte et Elstir se sont remis à jouer (décidément, il ne reste que Swann et moi pour notre concours du kikinenfélmoin – sport national dès que Catherine s'absente), et on sent très bien la convention, entre eux. Elstir, qui fait désormais près du double de poids de Bergotte, s'étale sur le dos pour se laisser dominer, parce que c'est son rôle. Des choses simples que les humains désormais refusent de faire : respecter les conventions. Nous avons les capacités, hélas, de devenir plus sauvages que les animaux, moins respectueux des règles régissant la vie commune. Et c'est pour cela, juste pour cela, que nous allons sombrer – que nous sombrons. Il est vrai que les animaux n'ont pas, eux, notre pouvoir de s'affranchir des règles.

Depuis la réouverture du forum de la SLRC (et depuis l'abandon de la censure préalable...), je me suis remis à transposer sur ce forum les quelques billets que je puis écrire concernant Renaud Camus. Pourquoi ? En suis-je si fier ? Non, évidement. Je n'ai jamais été fier de rien, lorsque ça vient de moi, mais c'est une autre question. Il y a que, blog-mère ou forum, les deux publications ne visent pas le même but. Sur celui-là, je cherche à convaincre X ou Y d'aller lire Camus, je drague de nouveaux lecteurs – avec un succès modéré, mais existant. Sur le forum, j'espère provoquer des discussions, faire que cet espace fasse semblant d'être un tant soit peu vivant. J'ai bien conscience de ne jamais rien dire de très intelligent ni de très profond, à propos des livres de Camus (et des autres d'ailleurs...) ; je fais ce qu'on appelle pudiquement de la critique “impressionniste”, c'est-à-dire que je déroule de vagues impressions paresseuses qui me viennent au courant de la lecture : en soi, cela n'a aucun intérêt. Mais cela produit de petits rectangles verts, sur l'agora, qui peuvent faire croire que ce site est vivant et, qui sait ? inciter un lecteur plus intelligent que moi à “rebondir” sur mes lieux communs pour dire des choses réellement intéressantes. Je dois dire que cette tactique est rarement couronnée de succès, mais enfin je n'en ai pas d'autre. Si des Valérie Scigala ou des Guillaume Cingal (et d'autres encore) condescendaient à revenir sur la SLRC, je me sentirais tout à fait dispensé d'y paraître (sauf de temps en temps, avec le nez rouge qu'on me connaît) et les laisserais débattre entre eux, tout en les lisant avec plaisir et profit. Mais nul ne vient, sauf en ce moment David Farreny et Rémi Pellet : nous devons être à peu près les trois seuls à tenter d'animer ce forum.


Dimanche 6 juin

Neuf heures du matin. – Changement de temps radical de temps cette nuit : il tombe des hallebardes, voire des pertuisanes, depuis des heures, et la nuit ne semble pas décidé à céder la place. Je n'aimerais pas être invité officiel aux fêtes du Débarquement... Et je n'aimerais pas non plus être Catherine sur la route, si elle la reprend bien aujourd'hui, ce qu'elle n'est nullement obligée de faire. Je sens, quant à moi, que je ne vais pas beaucoup bouger de mon fauteuil. De toute façon, vu l'espèce de catatonie dans laquelle me plonge toujours l'absence de Catherine, je n'ai même pas besoin de l'excuse du temps qu'il fait.

Sinon, hier, couché à neuf heures et quart, relevé ce matin à huit heures et quart : une vraie nuit de nourrisson.


Lundi 7 juin

Onze heures du matin. – Catherine est rentrée comme prévu de Franche-Comté, hier vers quatre heures de l'après-midi. En compagnie d'Adrien, le fils de sa sœur, qui se trouve donc être à la fois mon neveu par alliance et mon cousin par le sang. Adrien doit passer quelques jours ici (je ne sais d'ailleurs pas combien) avant de repartir pour la Hollande et d'y emballer ses dernières affaires. L'an prochain il sera soit en Suède soit au Japon, puisque deux laboratoires de ces pays sont prêts à l'accueillir dans leurs équipes de chimistes. Il doit prendre sa décision avant la fin de ce mois de juin et, pour l'instant, il est dans l'incertitude la plus cruelle, dans la mesure où, chaque jour ou presque, la Suède l'emporte sur le Japon, puis le Japon sur la Suède, au rythme de trois ou quatre renversements de perspective quotidiens. Catherine et moi le poussons un peu vers l'Extrême-Orient, au prétexte que l'on peut toujours visiter la Suède, qui est quasiment sur le palier voisin, mais que le Japon est une autre paire de manches. Avoir la chance d'y vivre et travailler deux ans nous paraît à ne pas manquer. (Encore qu'à sa place je me ferais, moi, un devoir de la manquer...)

Adrien, en tant qu'hôte, est absolument parfait. D'abord il n'est ni bruyant ni spécialement bavard, calme, et surtout, comme tous les gens qui lisent, il n'est jamais en peine de s'occuper seul. En ce moment, il est dans le salon avec José Saramago tandis que je suis ici, et nous n'éprouvons nullement le besoin l'un de l'autre – c'est parfait.

Je viens d'envoyer un mail à Nancy pour lui dire que, la semaine prochaine, il était absolument nécessaire que GdV m'envoie de l'argent. Et, à mots plus ou moins couverts, j'ai fait allusion à des possibilités de voies judiciaires, en cas contraire. Chose que je ne ferai évidement pas, du moins pas à ce stade où nous en sommes, mais la menace peut suffire à desserrer les cordons...

Catherine est partie à l'agility avec Bergotte, laquelle n'avait rien moins qu'envie d'y aller. En revanche, Elstir ne demandait que cela et, lorsqu'il a vu les deux filles monter sans lui dans la voiture, il en était tout frémissant d'indignation.

Je suis en train de me dire qu'il serait sans doute bon que, au moment de sa publication, chaque journal mensuel portât un titre spécifique, en rapport avec son contenu ou une partie de celui-ci. Le problème auquel je me heurte est le classement de ces différents journaux “titrés” qui, s'ils se rangent par ordre alphabétique, ce qui est probable, vont se retrouver dans le désordre chronologique le plus complet. Mais je m'avise que, non, ils vont plus certainement se classer par ordre chronologique, justement, auquel cas il ne devrait pas y avoir de problème. Il faut que j'aille vérifier cela dans le blog idoine.

Mais oui, je suis idiot, à me poser des questions résolues par avance ! Il suffit que je conserve les libellés tels qu'ils sont actuellement, afin que chaque lecteur – s'il en est – puisse facilement retrouver le mois qui éventuellement l'intéressait de relire. Je m'en veux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je vais de ce pas aller relire le journal de mai, afin de lui trouver un titre.

Midi vingt. – Je viens de relire le journal de mai. Il devrait s'appeler Encore un verre de liqueur, à moins que je trouve mieux lors de la prochaine – et dernière – relecture, juste avant la publication du 30 juin.


Mardi 8 juin

Onze heures du matin. – Ce matin, levé dès sept heures moins le quart : il ne s'agissait pas qu'Adrien manque le train de huit heures onze, en gare de Vernon. Depuis, je traînaille devant cet ordinateur, sautant d'un blog à l'autre, me réjouissant (tout en m'en étonnant...) de me trouver en plein accord avec Bernard-Henri Lévy à propos d'Israël, ricanant de la profonde canaillerie de B. sur le même sujet – la routine, quoi.

Catherine et moi méditons d'inviter à déjeuner un de ces jours Mme Boutfil (c'est son nom de blogueuse...) et son mari, qu'elle-même définit comme un “vieux ronchon réactionnaire” : alléchant...


Mercredi 9 juin

Sept heures et demie du soir. – S. m'annonce par mail qu'elle vient de quitter son mari et de “le mettre dans l'avion”, suivant sa propre expression. J'en suis désolé pour elle, mais ne parviens ni à en être surpris, ni même vraiment désolé. Je ne saurais trop dire pourquoi, mais je n'ai jamais vraiment cru à ce mariage. Peut-être en raison de la manière dont elle en parlait, ou plutôt dont elle évitait d'en parler, sur son blog. Il y a aussi que je considère S. comme une jeune femme précieuse – non au sens de celles de Molière, mais relativement à la valeur personnelle que je lui accorde, et lui ai presque tout de suite accordée. Nous ne sommes vus qu'une fois, et encore avec six ou sept personnes autour de nous. Elle n'avait quasiment pas ouvert la bouche de la soirée, et pourtant, plus le temps s'écoulait, plus c'était avec elle que j'aurais eu envie de parler – je m'en souviens fort bien.

Au moment de nous séparer, j'avais été pris d'une envie très forte de la toucher. Non comme un homme touche une femme : plutôt le simple désir d'établir un contact particulier, aussi fugitif que possible, afin de faire passer entre nous un courant différent, dérivé. De signifier que ce qui n'avait pas été dit avait existé tout de même. Et, ne trouvant rien d'autre, je lui ai donné une très légère pichenette du doigt au bout de son nez. Dont elle a eu l'air un peu surprise mais non mécontente.

Dans son mail, S. me dit qu'elle va venir à Paris et alentour, et qu'elle aimerait nous voir, Catherine et moi. Je viens de lui répondre que la maison lui était ouverte, que la Case était à elle, pour le temps qu'il lui ferait plaisir d'y séjourner. Et je serais vraiment bien heureux qu'elle l'occupe, en effet. Et qu'elle y écrive, elle dont je suis presque sûr qu'elle a un réel talent pour cela.

Sinon, rien d'autre à dire de cette journée sans intérêt. Mais c'est déjà beaucoup.


Jeudi 10 juin

Cinq heures moins le quart. – Une chaleur lourde et, naturellement, pas moyen d'avoir une climatisation correcte de ce bureau. Du coup, l'abrutissement naturel d'une journée à FD plus cette chaleur, rien envie d'écrire ici.

Sept heures et demie. – Voici le texte du mail que j'ai envoyé il ya trois jours à Renaud Camus :

Cher Camus,

en relisant votre "Loin" (ce que je fais depuis hier, et avec beaucoup plus de plaisir et d'intérêt que l'année dernière : il y a là des phrases, des paragraphes, des pages d'une très grande beauté), il m'est venu une idée amusante (qui m'amuse moi, veux-je dire...). Tout est parti d'une remarque humoristique de Valérie Scigala, après avoir lu la fameuse scène du tunnel sous la Manche. Elle disait en substance : « Jusqu'à présent, Didier Goux se prenait pour Renaud Camus, et voilà que Renaud Camus se met à imiter Didier Goux... »

Donc, relisant "Loin", je me suis aperçu que je pourrais parfaitement reprendre les grandes lignes de votre roman (avec bien des aménagements tout de même...) pour en faire une sorte de "variation brigado-mondaine". J'ai même déjà le titre, placé sous le double patronage d'Apollinaire et de vous : La Femme qui s'éloigne.

Donc, déjà, j'aurais besoin de savoir si mon idée vous dérange ou non. Il va de soi que, si oui, je l'abandonnerai immédiatement.

Mais ce n'est pas tout. Ce que je voudrais, c'est que mes personnages ressemblent aux vôtres physiquement et moralement (portent les mêmes prénoms, même, éventuellement), de façon à ce que je puisse incorporer dans ma trame, et tels quels, des paragraphes entiers de “Loin”, voire plusieurs pages, et notamment celles du “branlage sous-marin”. En résumé, mon idée est de cuisiner un cake : je fournis la pâte et je vous pique quelques fruits confits.

Bien entendu, les différences l'emporteraient de beaucoup (ne serait-ce qu'en raison de nos styles respectifs, hélas...). Par exemple, j'exploiterais davantage et “en direct” la mort par sado-masochisme exacerbée du banquier richissime. Et les scènes entre Nabila (prénom que je choisirais de préférence à Ono, car beaucoup moins employé par vous) et Jean (ou Jacques) également.

Je ne peux vous en dire plus car il n'aurait servi à rien que je commence à bâtir mon intrigue avant d'avoir votre aval, dont je ne saurais évidemment me passer. D'où l'objet de ce trop long mail.

Et surtout, je vous en conjure, si quoi que ce soit vous “chiffonne” dans ce petit projet, dites-le-moi sans détour ni hésitation, je me rangerai immédiatement à vos objections – lesquelles n'ont même pas besoin d'être circonstanciées. Après tout, il s'agit de votre roman, et charbonnier... etc.

Bien à vous.

Didier Goux

Après deux jours passés sans réponse, j'en étais à me dire que je pouvais passer ma mirobolante idée par pertes et profits. Car même s'il n'était pas opposé au projet, et avait simplement omis de me répondre, je me voyais mal le relancer. Mais, ce soir en rentrant à la maison, sa réponse m'attendait :

Cher Ami,

me déranger ? Pas le moins du monde. Au contraire, elle me plaît beaucoup. Ensuite j'écrirai une églogue gulcienne à partir de votre roman.

Très vôtre. Bonjour à vot'dame,

Von Kmütz

Me voilà donc embarqué dans un nouvel épisode camuso-mondain (ou brigado-rinaldien, comme on voudra). Dont je ne sais absolument pas ce qui va sortir. Je ne sais pas non plus si ce pourra être le prochain car, de celui-ci, j'ai déjà fourni le titre (que j'ai oublié entretemps...) à l'éditeur qui me le réclamait. Titre trouvé parfaitement au hasard, et sans lien avec rien, avec aucun projet d'histoire, ce qui explique en grande partie mon oubli. Mais enfin, l'affaire est amusante, et presque excitante. Il va falloir que je procède à une nouvelle lecture de Loin, mais cette fois crayon en main, afin de noter tous les passages qui seront incorporés à ma variation. Non, il serait sûrement plus malin de bâtir une intrigue précise d'abord. Je vais m'y atteler dès samedi.

À propos de samedi, la blogueuse qui se pseudonomme Boutfil me propose le 3 juillet, pour le déjeuner auquel nous les avons conviés, son mari et elle. J'ai répondu que nous étions d'accord pour cette date.

Pas de nouvelles nouvelles de S.


Vendredi 11 juin

Midi. – Je me demande si je ne vais pas intituler ce journal de juin La Femme qui s'éloigne, reprenant ainsi le titre que j'envisage pour le prochain BM, celui bâti à partir du roman de Camus. Mais cela ferait deux citations de poètes à la suite, avec celui de mai, et il ne faudrait pas que cela devienne un tic.

Le beau temps est revenu et, même si je n'y suis pas exagérément sensible, cela accroît encore un peu le vague découragement que l'on sent poindre à se voir enfermé dans un bureau trop chauffé, dans un immeuble hideux d'une banlieue sinistrement moderne – et qui, bien que moderne, part déjà en lambeaux et laisse voir partout des signes de la lèpre qui devrait rapidement la tuer. Pourtant, aucun de ces bâtiments qui m'entourent n'a plus de 20 ans, à l'extrême rigueur 25. De même que nous avons liquidé nos ancêtres, tué nos morts, nous sommes devenu incapables de construire en nous adressant aux générations qui suivent et suivront. Nous ne sommes plus rien d'autre que de petits ludions montant et descendant dans leurs tubes transparents, un sourire mécanique et béat sur les lèvres – lesquelles remuent encore mais ne produisent plus de mots.

Encourageant succès de Geert Wilders aux élections hollandaises d'il y a deux jours. Ou, du moins, qui serait encourageant s'il était intervenu voilà une dizaine d'années. À présent, je crains qu'il ne soit déjà trop tard. D'autant que rien ne dit que cette timide prise de conscience du danger mortel qui menace l'Europe ne se produise aussi dans d'autres pays, en particulier en France où l'avachissement me semble être à son acmé. Ce qui est peut-être encore faire preuve d'optimisme, car nos cohortes célestes semblent décidées à faire encore mieux, en ce qui concerne l'avachissement et la haine de soi.

Nicolas, ce matin, publie un billet où l'on sent nettement poindre son exaspération vis-à-vis des féministes "égalitaristes", celles qui prétendent abolir tout “distingo” entre femmes et hommes (aidées bien sûr par les simili-fiotes qui leurs servent de supplétifs masculins et, donc, de légitimation). Nicolas est en train de devenir réactionnaire, ce qui est normal, et était inévitable, puisqu'il a le malheur d'avoir une certaine honnêteté intellectuelle et d'appartenir tout entier, malgré qu'il en ait, au “monde d'avant” Cela ne l'empêchera nullement de rester “de gauche”, bien entendu, au moins pendant quelques années encore, mais il me paraît fatal que son “gauchisme” se concentre de plus en plus sur des questions purement sociales, politiques au sens très étroit, syndicales, etc., pour déserter les autres champs, principalement ceux que l'on qualifie de “sociétaux” par les temps qui courent, domaines où, par fidélité à ce qu'il est, il passera de plus en plus pour un “réac” aux yeux des petits canards décapités et gesticulants que sont les vrais modernes. C'est un processus qui, du reste, est déjà en cours chez lui, même s'il ne le voit pas encore clairement. D'ailleurs, il est sans doute préférable qu'il ne le voie pas trop clairement. Pas trop vite, au moins.

Quatre heures et quart. – De nouvelles escarmouches sur le front immobilier. D'après notre agent, les visites du studio ont repris à un rythme soutenu, les visiteurs d'hier se sont montrés très intéressés, au point en tout cas de réclamer les avis d'impôt foncier et de... merde ! comment s'appelle l'autre, déjà ?... Enfin Bref. Mais c'est celui de (Taxe d'habitation ! je viens de retrouver...) ce matin qui semble le plus intéressant. Il a a informé l'agent qu'il visitait un autre studio cet après-midi mais qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète : il était presque décidé à acheter les deux et à les payer comptant. On sent l'homme déterminé à retirer son argent des banques (ou de la Bourse) avant le crash. Celui-ci m'irait fort bien, comme acheteur...

Dix heures du soir . – Les gens qui ne voient pas le danger vous qualifient volontiers de monomaniaque, ou d'obsédé, si vous ne cessez de leur rappeler sa réalité et, encore davantage, son imminence. D'autant plus que, forcément, vous percevez très bien l'inanité de leurs préoccupations routinières, presque fonctionnaires. En vérité, “monomaniaque” ou “obsédé” relèvent d'une gentille époque révolue : aujourd'hui, dans le même cas de figure, vous êtes gnin-gnin-gnin-phobe, ou raciste, ou fasciste, ou néo-nazi – et rapidement tout cela ensemble : les semblables s'agglutinent.

Je n'ai finalement pas fait le billet que je méditais, suite à celui-ci. Je n'ai répondu rien à personne. Parce que je suis vieux et parfois fatigué. Et aussi parce que je préfère rire, pour le peu qu'il me reste à vivre. Le rire (le vrai, le solitaire, celui qui écorche un peu la gorge, pas le rire institutionnel des appointés des radios et télés) est une arme redoutable, je viens de le prouver : la puissance du nez rouge, essayez de ne pas oublier cela quand, bientôt, vous affronterez les armées célestes.

Mais je n'ai pas fait le billet. Parce que tout était déjà dit. Hank, le plus fin et discret d'entre nous, l'a très bien noté, en commentaire du billet que l'on sait :

"de ce discours d’extrême droite qui maintenant se veut lettré" (Citation de Dame Céleste, ndlr.)

Formidable aveu de haine et de mépris, qu'on commence très logiquement à lire de plus en plus fréquemment sous la plume des grandes consciences de la gauche modernolâtre. De tout le petit laïus avilissant pour l'esprit que vous citez, c'est ce passage qui compte le plus.

Car le pire, au fond, tout au fond, dans le fond obscur et cafardeux, pour ne pas dire obscurantiste, de la pensée vagissante de ces illuminés (et je suis poli...), ça n'est pas d'être un "facho". Le pire, c'est d'avoir l'outrecuidance de lire des livres, et malgré tout, de leur faire l'affront de s'opposer modestement à leur délire collectiviste néo-stalinisant.

Car ces gens-là sont habitués à appartenir à cet éternel Camp du Bien : le camp dans lequel on lit bien, dans lequel on lit dans le bon sens ; le camp dans lequel on pense bien, dans lequel on pense dans le bon sens.

Ce ne sont pas les méchants fachos qu'ils haïssent. Ce qu'ils ne supportent pas, c'est ce moment terrifiant où ils s'aperçoivent que la littérature, la philosophie, échappent à leur embourgeoisement massacreur. Qu'ils n'en sont plus les seuls dépositaires (l'ont-ils jamais été ? En tous les cas, ils en sont convaincus). Que d'autres qu'eux prétendent à d'autres formes d'excellence accessibles par le moyen du livre, du film, de la culture au sens large.

Toute la moraline puante de la gauche divine est contenue dans cette imprécation liberticide contre ces odieux "réactionnaires" qui ont l'idée saugrenue d'ouvrir des livres plutôt que de marcher au pas en éructant des slogans haineux, ce qui permettait jadis de facilement les identifier. Non, leur but, c'est surtout, surtout, qu'ils puissent encore longtemps, le plus longtemps possible, se déclarer seuls bénéficiaires légitimes du patrimoine culturel de notre civilisation. Tout leur édifice idéologique tient sur cette seule certitude : "nous sommes les seuls dignes de dire le vrai. Les autres - entendre : ceux qui ne sont pas de notre avis - doivent être privés d'accès à l'intelligence".

Ces gens-là, finalement, haïssent ce qu'ils prétendent défendre. Les lettres, le sens, tout ça n'est pour eux qu'une façade susceptible de leur offrir un petit supplément d'âme à peu de frais.

Ce serait dérisoire si ça n'était pas aussi sottement vomitif.

Voilà. Mais ce n'est pas tout. Il y a plus amusant. Quand on se plante un nez rouge sur la face, comme je l'ai fait en quinze mots, les commissaires politiques perdent la leur – de face. Ils se découvrent, on voit les pustules. Et on comprend qui et où ils sont. Par exemple :

L’occident a déjà perdu cette suprématie vaniteuse et injuste qui a condamné à la misère une bonne partie de la population mondiale.

Tant mieux. La roue tourne.

Qui écrit cela ? Céleste, évidemment, les gencives irritées par ma pirouette, et qui, du coup, grince des dents, jette son masque mère-thérésien. Tant mieux, dit-elle. Elle se hait tellement, elle se méprise tellement que le monde qui l'a engendrée, elle, précisément elle, doit périr, pourvu qu'elle puisse sauver sa peau : c'est exactement ce que produit la moulinette de la psychanalyse, incapable de guérir qui que ce soit, mais très capable de fournir à toute pauvre fille sonnant à sa porte l'armure d'égoïsme satisfait qui lui permettra de s'arranger d'elle-même, en rejetant tous sa haine vers les autres – mais vers les autres les plus proches, puisqu'il faut bien qu'il lui reste un peu de sa névrose originelle, dont aucun psychanalyste ne sera jamais capable de la débarrasser.

La psychanalyse n'est pas un protocole de soin, c'est un simple paratonnerre. La foudre continuera de tomber, mais on va faire en sorte que vous puissiez la détourner sur tous ceux qui vous entourent, qui ont eu le malheur de vous engendrer. Exemple caricatural (mais fondateur, ne l'oubliez pas) : vous voulez coucher avec votre mère et vous voulez tuer votre père. Si, bêtement, vous prétendez le contraire, c'est juste que vous avez encore plus que la moyenne envie de coucher avec votre mère et de tuer votre père – fermez le ban. Et ne tentez pas de dire qu'il s'agit là de fantasmes de dégénérés : vous deviendriez automatiquement encore plus dégénérés qu'eux. De toute façon, ils détiennent la loi, il vous faut vous soumettre, et être ravis de le faire. Par compensation, on vous fournira un amour inépuisable envers tous ces hommes inconnus et lointains, forcément lointains, dont vous n'avez jamais eu la moindre idée : ils vous seront un excellent miroir.

Elle en est là, notre Céleste, chacun l'ayant lu le comprend (et je me flatte, pour une fois, d'une chose : d'avoir amené un certain nombre de personnes à la lire vraiment). C'est ce qui, presque d'emblée, m'a fasciné chez elle : cette manière de courir dans tous les sens, à la recherche d'une victime encore plus rentable parce que plus victime. Comme un papillon volette avec sûreté vers la lumière la plus violente, celle qui le tuera plus vite, mais après lui avoir procurer les frissons les plus radicaux.

Car le frisson compte. Car la bonté est une arme. Et c'est une arme typiquement et exclusivement occidentale. Les Occidentaux ont toujours eu des armes plus performantes que celles des autres, et cela reste vrai aujourd'hui. Les Occidentaux “ancienne manière” avaient la monnaie et les fusils – les Célestes de notre époque n'ont plus que la monnaie, mais elles s'en servent exactement de la même manière : pour contraindre, forcer, humilier ceux qui n'en ont pas. Elles le font au nom du Bien, mais les colons faisaient la même chose. Je te construis un puits ou une école à condition que tu plies le genou devant l'autel ou le drapeau français : colonisation à l'ancienne. Je te consens trente euros pour te loger, à condition que tu laisses ta femme aller travailler, parce que, moi, Française indécrottable et pur produit de mon époque, j'ai décidé que les femmes du monde entier devaient travailler : colonisation céleste. Quelle différence ?

La bonté est une arme. Et elle est redoutable, parce qu'il est difficile de la rendre inoffensive, au moins parce qu'elle-même est persuadée qu'elle est tout le contraire d'une arme. Et, de fait, très souvent, elle est bel et bien le contraire d'une arme, elle est bel est bien quelque chose de souhaitable. C'est quand elle ne supporte pas d'être remise en question que la bonté devient une arme, et une des plus terribles.

On continuera demain, peut-être...


Samedi 12 juin

Dix heures et demie du matin. – Je suis furieux depuis hier soir (un peu furieux...) contre Blogger et contre moi-même. J'étais occupé à écrire – sur le blog-mère – les notes que l'on peut lire ici à la date d'hier, avec la ferme intention de ne rien publier du tout, en tout cas pas avant de les avoir complétées et surtout mise un minimum en ordre, après avoir taillé, élagué, enrichi, précisé, etc. J'avais intitulé la chose “Brouillon”. Or, à la suite d'une fausse manœuvre de ma part, voilà que le “Brouillon” en question se retrouve métamorphosé en billet et publié. J'ai réagi très vite, et en moins de cinq secondes il était supprimé. Sauf que ces cinq secondes ont suffi à ce qu'il soit enregistré un peu partout, et notamment dans ces maudits “flux RSS” qu'ont paraît-il activés les gens qui sont “abonnés” au blog-mère. Et qui, par conséquent, ont reçu dans leur boîtamel les notes décousues en question. Ce qui, ce matin encore, continue de m'agacer de manière sans doute disproportionnée mais bien réelle. Enfin...

Du coup, j'ai décidé de pas poursuivre la réflexion plus avant – au moins pour le moment – et de déposer ces notes ici, à la date d'hier.

Deux heures et demie. – Camus vient de lancer, sur le forum de la SLRC, un “appel à candidature” afin de trouver des apprentis châtelains pour Plieux, au mois d'août (« moins éventuellement la première semaine », précise-t-il). Catherine et moi avons partiellement craqué : je viens de lui faire un mail pour lui dire que, s'il ne trouvait vraiment personne d'autres, nous pourrions venir à Plieux la dernière semaine, soit du 22 au 31 – ce qui fait donc dix jours. Du coup, je m'aperçois que, s'il peut s'arranger autrement (ce qui serait sans doute mieux pour lui et pour Plieux), je vais très certainement en être déçu. Et je suis bien certain que Catherine aussi le sera. On est très bête, parfois.


Dimanche 13 juin

Sept heures et demie. – Après Loin, je me suis replongé dans L'Amour l'Automne, que j'ai repris da capo. Est-ce un effet bénéfique d'un certain commencement d'habitude ? Non seulement la première églogue ne m'a pas rebuté (mais elle ne me rebutait plus déjà la dernière fois que je l'avais lue), mais j'ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture, notamment lorsque je me suis aperçu que je repérais de plus en plus des correspondances, renvois, etc., qui innervent le texte – qui font plus que l'innerver : en sont la trame même, la raison d'être, la structure profonde ; ils sont le texte. Le plus excitant, pour moi, est de tenter, à l'apparition de tel nom, telle personne, tel lieu, etc., de prévoir ce qui va leur répondre quelques paragraphes ou pages ensuite – et le plaisir d'y parvenir (pas à tous les coups...).

La deuxième églogue est beaucoup plus courte, et c'est tant mieux car elle est d'une lecture nettement plus éprouvante. Si la première était une bombe, c'en serait une à fragmentation, et la deuxième serait alors constituée par les éclats dus à son explosion. Tout l'intérêt (non, sûrement pas tout l'intérêt...) est que de nouveaux thèmes apparaissent alors. Je ne veux pas dire forcément qu'ils sont nouveaux par rapport à la première églogue, mais bien qu'ils se dévoilent aux regards, du fait de cette fragmentation : auparavant, si présents, ils étaient trop enfouis, suffisamment enchâssés pour se dérober complètement au regard du lecteur (au moins du lecteur myope que je suis...) ; lequel lecteur se dit, au moment où il écrit cela, qu'il devrait bien relire immédiatement la première après la seconde, justement pour tenter de repérer ces traces qui lui ont échappé à la lecture précédentes, et qui doivent forcément être là.

La troisième églogue marque une sorte de retour à l'ordre, une espèce d'apaisement linéaire – comme un aimant remet un ligne la limaille de fer informe et dispersée. Mais c'est une illusion de courte durée. Très vite, le récit (?) va se complexifier de nouveau, en procédant non plus par éclatement mais par ramifications proliférantes, comme une voie de chemin de fer devient deux, puis quatre, puis vingt, puis cinquante, aux abord d'une grande gare de triage. La lecture de cette troisième églogue est – paradoxe ? – à la fois labyrinthique et paresseuse. Car si les voies sont multiples, et de plus en plus multiples, la signalétique est sans faille (et encore, pas tant que cela...) : il suffit de se laisser guider. Seulement, la tentation est grande, çà ou là, de sauter de son rail jusqu'à celui qui court à côté. Et, si on le fait, on se retrouve irrémédiablement perdu. La tentation n'en est évidemment que plus grande.

Et je m'arrête là, car c'est là que je suis arrêté.

Reçu il y a deux jours le disque de lui que m'a envoyé Jérôme Vallet, qui s'appelle Double silence plein la bouche, titre étrange mais puissant. Sachant le genre de musique qu'il compose (qu'il compose en ce moment, il n'a pas toujours fait cela), je n'en menais pas large car, au sein de la musique contemporaine, ce qu'on appelle je crois la musique “concrète” ou “électro-acoustique” est ce à quoi je suis toujours resté obstinément fermé. Du reste, Jérôme le sait très bien. J'ai suivi son conseil de commencer par l'avant-dernière pièce. J'ai enchaîné sur la suivante et dernière, avant de les réécouter toutes les deux immédiatement ensuite, afin de créer un début d'effet de familiarité, de “déjà entendu”. Évidemment, le fort sentiment d'étrangeté ressenti à la première écoute ne s'est pas évanoui par enchantement – je ne m'y attendais d'ailleurs pas. Néanmoins, des formes ont commencé à m'apparaître, au sein de cet épais brouillard dans lequel je ne trouvais aucune forme familière à quoi me raccrocher, si ce n'est, çà et là, quelques citations, comme celle des premières mesures de la symphonie Titan de Mahler.

Bon, je vais noter en vrac :

Dans Nature morte au violon, de fortes et brèves interventions du piano, qui sont même plutôt des interruptions – et au sens propre du terme puisque, littéralement, elles brisent le cours des voix enregistrées, voix en quelque sorte contrapuntiques. Je crois que c'est Cioran qui a dit que Beethoven avait introduit le mouvement d'humeur en musique. Il est possible que les compositeurs du 20e siècle y aient, eux, introduit l'affrontement, la prise de pouvoir, le cri de rage C'est une chose que j'ai déjà noté à propos de Greif (chez lui, le piano se heurtait aux cordes, leur intimait de se taire). Et il me semble que le piano, chez Jérôme Vallet, a parfois cette même fonction, ou tendance. Mais il sait aussi se faire plus virevoltant, souriant, presque farceur.

Voix également interrompues, dans ce même morceau, et de manière plus radicale encore, par une autre voix (de femme), qui lance un Noli me tangere impérieux.

Je dois m'interrompre, mais je reprendrai demain, après avoir récouté ces deux morceaux.

Car, pour le moment, je m'en tiens à eux. Cette musique que je croyais m'être hermétiquement fermée, il me semble que le disque de Jérôme vient de l'entrouvrir (il faudra d'ailleurs aussi que je me demande pourquoi : y penser). Il n'est donc pas question de galoper inconsidérément en territoire inconnu et peut-être hostile : prudence petits pas...


Lundi 14 juin

Midi. – Hier soir, entre onze heures et minuit, je me suis installé au salon pour, casque sur les oreilles, me confronter à nouveau au disque de Jérôme Vallet. J'ai d'abord récouté les deux dernières pièces, Nature morte au violon et Vingt mille cieux sous tes lèvres. Celle-ci représente à mes yeux – à mes oreilles serait plus juste sans doute – une sorte de voyage fantastique, à l'intérieur d'un corps de femme saisi par la montée de son plaisir : un effet de houle, d'abord assez tranquille, puis qui se précipite, et traversée d'éclairs plus intenses. Mais, en même temps, cette montée vers l'orgasme est aussi vue de l'extérieur, et même commentée par la voix d'un guide (il parle notamment d'«une grande arche, toujours un peu mystérieuse»), qui se fait un peu démiurge. D'ailleurs je me trompe, ce n'est pas en même temps : cette “observation clinique” n'intervient que dans la seconde partie de l'œuvre. Et ce qui la lie à la première, au “voyage”, c'est la respiration, nettement perceptible, de la femme double (comme est double le silence du titre de l'album), à la fois travaillée (au sens de Blaise Cendrars) et observée, en même temps seule dans son plaisir et cernée par les regards auxquels nous invite le “guide”.

J'ai écrit hier que, dans la Nature morte, intervenait un impérieux Noli me tangere, qui venait brutalement interrompre l'entrelacs des voix (revenir sur les voix). Et je me souvenais avec netteté de cette femme qui enjoint soudain : « Ne me touchez pas ! », provoquant ainsi le silence. Or, en récoutant ensuite ce morceau, nulle trace. Puis, écoutant tout le reste du disque, pas davantage. Or, j'étais bien certain de n'avoir pas rêvé. Il a fallu remettre le disque (que je continue d'écouter en écrivant ceci), pour m'apercevoir que ce cri-supplique se trouve dans le premier morceau (j'ai failli écrire “le premier mouvement”), Correspondance, que je croyais pourtant n'avoir pas encore écouté. Je me suis alors souvenu que si, effectivement, j'avais commencé de l'écouter, mais que je m'étais interrompu au retour de Catherine.

Pour l'instant, après une seule écoute complète, le morceau qui m'a le plus impressionné, le plus touché aussi, sans doute, est également le plus ample par sa durée (20 mn) et celui qui donne son titre à l'album. Il est tissé de ferveur et de douleur, porté par un intense climat religieux (climat ? Non, le mot ne va sûrement pas. Sentiment ?). Mais je préfère y revenir après plusieurs nouvelles auditions.

Impressions générales et dans le désordre et formulées à la diable :

Me plaît particulièrement le traitement des voix humaines, qui, sans cesser de parler, se mettent à chanter par leur enchevêtrement même. Et aussi par les miroitements qui se produisent entre les fragments de phrases intelligibles et ceux qui se dérobent. Par leur manière de surgir de la trame puis de s'éloigner pour se refondre en elle, quitte parfois à la déchirer, la disjoindre, voire la faire voler en éclats.

Les interventions du piano, finalement assez peu nombreuses, me semble-t-il après cette première écoute intégrale, marquent presque toujours une affirmation créatrice de la part du compositeur, non pas une reprise en main à proprement parler, ni une mise en ordre (ou au pas) de ces voix qui, par moment, ont tendance à proliférer, mais visent plutôt au rétablissement d'une transcendance – enfin, je ne sais trop comment dire, c'est encore bien flou.

Est-ce qu'il ne s'agit pas là d'une forme de musique sacrée ?

Et ce qu'on appelle, donc, musique concrète, ne serait--ce pas une tentative (une tentation) de symphonisation du monde ? Mais symphonisation du monde il y a déjà chez Mahler, il me semble (je pense en particulier à la troisième symphonie).

Quatre heures. – J'ai tout à l'heure envoyé à Jérôme Vallet les notes écrites ce matin et hier soir. Je consigne ici sa réponse au moins pour ne pas la perdre, mais ne la publierai que s'il m'en donne l'autorisation.

« Didier, je suis en train de vous lire. Je vous remercie immédiatement car ce
que vous écrivez est très significatif, et me force à regarder ce que je
fais avec un œil autre, ce qui est toujours intéressant.

« Je suis en particulier très touché que le morceau le plus long soit celui
qui vous a le plus intéressé. C'est évidemment le plus important pour moi,
et ce n'est pas pour rien qu'il donne son titre au disque. Comme vous l'avez
noté, il est plein de douleur et de fureur, coloré par des bruits d'hôpitaux
caractéristiques (notamment le respirateur). Le climat religieux auquel vous
faites allusion est sans doute donné (entre autre) par les nombreux passages
à l'orgue, que j'ai enregistrés à Sainte-Agathe, l'église de Rumilly, sur
lequel j'ai improvisé une journée durant, peu après la mort de ma mère.
Cette église étant située juste en face de l'hôpital où est morte ma mère,
les quelques heures passées en son sein ont été très fortement teintées de
désespoir et de rage. Quand j'ai fait la présentation de ce CD, à Annecy, à
sa sortie, j'ai fait écouter à peu près tout sauf cette pièce, car j'avais
peur des réactions, tant elle me semble à la réécoute presque effrayante,
sinistre, morbide. Entendre la voix de ma mère est une expérience encore
très douloureuse aujourd'hui.

« Ce morceau est le plus important, mais sans doute pas le plus réussi. Celui
dont je pense le plus de bien est le premier, "Correspondance", qui fut
composé il y a déjà dix ans. Quand je dis que j'en pense du bien, je veux
dire qu'il incarne un certain équilibre entre la forme et le fond.
Malheureusement, la technique laisse à désirer.

« La plage qui me semble personnellement la plus réussie (formellement) est
"Nature morte", même si elle est à mon sens plus "gratuite", moins chargée.
Et je me suis énormément amusé à composer "Richard travaille !" (la journée
du compositeur). (Vous connaissez l'anecdote j'imagine : quand des visiteurs
arrivaient pour voir Wagner, Cosima les éconduisait avec ces mots : «
Richard travaille ! ») C'est Francis Marche qu'on entend ronfler, à la
fin...

« Vous avez certainement reconnu Céline et ses amis lecteurs (Brasseur, Simon
et Arletty) qui m'ont accompagné dans les semaines où j'ai travaillé à ce
disque. (Conversation 2)

« "Disert Islands Discs" était une émission de radio, où l'on entend Kirsten
Flagstad, qui y fut invitée.

« Quant à "Oublions le futur, veux-tu ?", il s'agit d'une commande pour un
disque Luigi Russolo. Nous étions une dizaine de compositeurs, et la
contrainte (en dehors de la durée) était d'utiliser les sons des instruments
qu'avait construits Russolo, et que nous avait prêtés la femme qui s'occupe
de sa fondation aujourd'hui (j'ai oublié son nom).

« Merci encore.

« PS. Il ne s'agit pas de Titan, mais de la Septième (Mahler). »

Confondre la 1ère et la 7ème symphonies de Mahler, alors que j'ai dû les écouter trente fois chacune (mais plus la septième que la “Titan”, néanmoins), il fallait le faire ! Et voici ma réponse à sa réponse :

« Merci de toutes ces explications. "Double silence" est sans aucun doute la pièce la plus intense, parce qu'il s'y livre une lutte terrible, très perceptible (et symbolisée entre autres par ce respirateur que j'avais bien identifié comme tel, donc). Je ne crois pas que le climat religieux y soit donné par le seul orgue, même s'il y participe évidemment. Il faudrait que je récoute le morceau – ce que je ferai – pour préciser à quel moment j'ai ressenti cela le plus fortement. Mais je me souviens (c'était hier soir...) que c'était à un moment bien précis de l'œuvre. Il y avait, si je me souviens bien, une lutte entre des voix multiples et inintelligibles, une sorte de grondement presque démoniaque, et autre chose mais j'ai oublié quoi.

« Il est également possible (cela m'est arrivé avec le "Ne me touchez pas") que, découvrant seulement le disque, je "transporte" involontairement des sensations et des souvenirs d'un morceau à l'autre. Après tout, j'ai bien réussi à faire faire aux cordes mahlériennes un bond arrière de six symphonies...

« En tout cas, je suis bien aise de ce que vous dites de "Correspondance" qui, pour l'instant, est la pièce qui m'a le plus séduit, même si "Double silence" m'a impressionné davantage. Évidemment, tout cela est sujet à glissements, voire retournements au fil des écoutes.

« Bien, là-dessus, il me faut aller pousser le charriot au Super U, ce qui constitue un fameux retour sur terre.

« Didier

« PS : il n'empêche, si l'on m'avait dit qu'un jour j'entendrais ronfler Francis Marche... »


Mardi 15 juin

Trois heures. – Envoyé un mail à la Crevette (pseudonyme de blog...) pour lui dire que nous acceptions l'invitation à déjeuner chez eux (elle, son mari et leurs huit enfants...) dimanche prochain. Nous emmènerons Elstir avec nous, en espérant qu'il aura moins peur des enfants que la dernière fois, ce grand imbécile. Il devrait n'y avoir, à ce déjeuner, qu'Hervé “XP” et nous.

Je viens de remettre en marche le disque de Jérôme Vallet. J'aime de plus en plus sa musique, moi qui croyais y être totalement hermétique. Je sais bien que, faisant autre chose en même temps, je ne l'écoute pas vraiment. Mais je veux qu'elle me devienne familière (autant que faire se peut) : il me semble qu'ensuite je l'écouterai avec d'autant plus de profit et de plaisir.

Nancy vient de m'annoncer qu'elle virait sur mon compte la somme de 2300 euros. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Bonne parce que j'ai un urgent besoin de sang frais (pas tant moi que mon banquier, du reste), mauvaise pour la modestie de la somme : GdV me doit encore 7000 euros, en plus de ces 2300-là.

Catherine et moi avons décidé que, lorsque le studio sera vendu (ça tourne au serpent de mer...), nous mettrons trois ou quatre mille euros de côté, afin d'aller passer quelques semaines en Gaspésie à l'automne 2011.

Cette semaine va être riche en mondanités de toutes sortes. Jeudi, nous sommes conviés au pince-fesse donné par Joseph Vebret pour la sortie de son nouveau livre – ça se passe dans une librairie du boulevard du Montparnasse dont j'ai oublié le nom (mais qui est noté quelque part...) et où Carlos doit nous rejoindre ; samedi, soirée en l'honneur de Finkielkraut, chez Marcheschi, avec Renaud Camus ; et, dimanche, donc, déjeuner chez “les Crevette”. On n'est pas plus lancé que nous le sommes désormais.

J'ai tenté de persuader Dominique et Anna de monter de Marseille pour la soirée de samedi, et de venir ensuite passer quelques jours chez nous. Mais Dominique m'a répondu que, devant être lundi matin à Marseille, la chose lui semblait difficilement envisageable, ce que je comprends parfaitement : à sa place je ne bougerais pas non plus. Mais enfin, je regrette bien de ne pas les voir ni les avoir.

Je comptais, hier, dire mon sentiment à propos de cet “apéro saucisson-pinard” organisé par Riposte laïque, soutenu par les Identitaires, et finalement interdit sans surprise aucune. J'ai en fin de compte préféré en faire un petit billet. Nous savons donc, désormais, que manger du saucisson à la Goutte d'Or est un acte profondément raciste et fasciste : au moins, maintenant, les choses sont claires. L'amusant de l'histoire est que tous ces petits angelots qui hurlent au fascisme se conduisent comme de parfaits collabos de haute époque. Leurs grands-parents vendaient du beurre aux allemands, eux interdisent le saucisson aux Français. Fromageplus fait remarquer assez drôlement qu'il conviendrait, dans l'avenir, d'interdire aussi les soirées choucroute, parce que discriminantes pour les gens que le chou rend malades. J'ajouterai les bals populaires, très stigmatisants pour les balourds qui ne savent pas danser. Et les concours de beauté, qui ostracisent les boudins.


Mercredi 16 juin

Sept heures dix. – Journée dépourvue du moindre intérêt, passée évidemment à FD. Sinon que j'ai fini de lire la troisième églogue de L'Amour l'Automne, dont j'aime vraiment beaucoup la forme filamenteuse.

Demain, je dois donc rejoindre Carlos quelque part entre le Sélect et la Coupole pour que nous allions ensuite ensemble assister à la petite sauterie organisée pour la sortie du nouveau livre de Vébret, Causeries littéraires. Ça se passera à L'Escale littéraire, librairie qui semble se trouver plus ou moins au carrefour Montparnasse-Raspail. Voilà qui va me rajeunir. J'ai tout de même beaucoup hanté nuitamment ce quartier, dans les années 1987-1990.

Catherine, qui devait venir et que cela n'enchantait guère de sortir de chez nous pour cela, avait bien évidemment “oublié” cette petite soirée et, du coup, a décidé que si sa présence n'était pas vraiment indispensable... Bref, j'irai seul. Ce qui me poussera à ne pas boire, vu que je n'ai aucune envie d'aller dormir au studio. À moins que j'aille dîner avec Carlos après... Enfin, on verra bien.


Jeudi 17 juin

Quatre heures. – C'était à prévoir. Alors que je suis coincé dans ce bureau jusqu'à six heures au moins, pour cause de rendez-vous montparnassien à sept, on nous a annoncé dès trois heures et demie qu'il n'y aurait plus rien à faire et que nous pouvions donc regagner nos pénates. Cela fait bien les affaires d'Anne, qui est avec moi aujourd'hui, mais guère les miennes. Il y a quelque temps, avant d'être devenu raisonnable, je serais allé m'attabler avec mon livre à L'Ambiance d'à côté, afin d'y passer le temps en vidant un verre ou deux (ou trois). Mais, là, plus question. Je peux toujours retourner lire en bas, mais ça finit par devenir lassant. Et puis, “on” finirait, à m'y voir sans cesse, par se demander pourquoi je suis payé.

Dans Cliffhanger, stallonerie insipide vue hier soir à la télévision, l'un des “méchants”, à cause de ses yeux bleus et de sa moustache très gay des eighties, m'a fait penser à Camus – plus exactement aux photographies du Camus de cette même époque. Deux minutes plus tard, on apprenait que ce personnage s'appelait Travers.


Je ne peux même pas me dire que je vais mettre ce long temps mort à profit pour avancer dans ma relecture de L'Amour l'Automne puisque j'ai laissé le volume à la maison : sachant que j'allais peut-être me rencontrer avec Renaud Camus tout à l'heure, je ne me voyais tout de même pas m'offrir le ridicule de me présenter avec l'un de ses livres sous le bras. Il y a aussi que je ne voulais pas risquer de perdre ce volume, offert et dédicacé par lui. À la place, j'ai embarqué le Flush de Virginia Woolf, ce qui est une façon de rester camusien et églogal – et même doublement (Woolf ---> Orlando, Jacob, Vagues, Phare, etc., et Flush ---> Horla). Néanmoins, la raison qui m'a fait choisir ce livre plutôt qu'un autre est rien moins que littéraire : c'est un petit et mince volume qui tient parfaitement dans ma poche de veste.


Vendredi 18 juin

Huit heures et quart. – Quoi de plus à dire, propos de Michel Chaillou ? Je ne m'attendais nullement à des dizaines de commentaires, évidemment. Mais aucun, là... Cela me donne envie de fermer le blog-mère, vraiment.

Revenons à hier soir. À ce Chaillou, merveilleux écrivain que personne n'a lu. Il m'a demandé si j'avais quelque chose à voir avec le rugby. Comme me le demandait il y a 35 ans ce docteur Vacher, d'Orléans, sans doute mort maintenant.

Et puis il parle, Michel Chaillou. À Renaud Camus, notamment. Qu'il tutoie. Et (dans ce quart d'heure), moi, à côté d'eux, les écrivains, moi silencieux, et moi miraculeusement présent, miraculeusement ici.

J'ai oublié : lorsque Camus est apparu, je lui ai demandé : « Et Pierre ?» « Il travaille », m'a-t-il répondu. Or, dans la demi-heure, au moins trois personnes demandèrent à Camus : « Et Pierre ? »


Samedi 19 juin

Trois heures et demie. – Dans deux heures Catherine et moi partons pour Paris, pour assister à la soirée-hommage que la SLRC donne en l'honneur de Finkielkraut, chez Marcheschi, rue Berger. Renaud Camus sera là, bien entendu. Depuis déjà plusieurs jours, cette réunion a fait ressurgir ma vieille hantise : celle de ne pas être capable d'identifier les gens que je suis censé connaître (mais je crois avoir déjà noté cela). Par exemple Marcel Meyer, avec qui nous avons passé un long moment à parler, lors de l'anniversaire de Marc Cohen, il y a quelques mois. Ou encore Rémi Pellet, avec qui j'ai déjeuné une fois (ainsi qu'avec Valérie Scigala, mais elle je suis certain de la reconnaître...), ou encore Pascale Gilbert, rencontrée à Plieux le 31 juillet dernier. Évidemment, face à un visage familier, on peut toujours s'en tirer par un prudent « Comment allez-vous, cher ami ? » Mais que faire si je dois présenter la dite personne à Catherine ? On devrait instaurer le port du badge obligatoire, dans ce type de soirées, pour les alzheimer dans mon genre.

L'envie de relire Chaillou ne m'a pas quitté depuis deux jours. Mais je dois finir L'Amour l'Automne avant.


Le lendemain, une heure et demie. – Je note deux ou trois choses de cette soirée, vraiment réussie de moin point de vue. Arrivée à sept heures et demie précises. Ni Camus ni Finkielkraut n'était là. Dix minutes plus tard, Marcheschi nous informe que Camus est coincé dans un embouteillage, vers la porte de Bercy. (Marcheschi qui ressemble de plus en plus à un personnage du Greco, à un type radicalement étranger à notre époque.)

Bref, flottement. Finkielkraut fait son entrée : applaudissements (un peu ridicules). Depuis le balcon, Catherine signale (une vingtaine de minutes ensuite) que Renaud Camus et Pierre sont en vue. En effet, ils arrivent.

Dans l'intervalle, j'ai été très heureux de constater la présence d'Olivier Deprez (et déçu que Véronique, sa femme, ne soit point des nôtres).

Là-dessus, découverte de l'épouse de Joseph Vebret, dont Catherine et moi tombons illico amoureux.

Puis, les deux écrivains de la soirée se mettent à parler – pas assez à mon goût, ni au goût de Catherine, ni au goût d'Adrien, son neveu, ni..., Bref, on aurait eu envie que ces gens parlent, et parlent encore.

Moment amusant. Alors qu'hommages étaient en train de se rendre, UN téléphone portable sonne. Celui de Sylvie Topaloff (Madame Finkielkraut à la ville). Elle sort, toute penaude et accompagnée par quelques rires. Alain Finkielkraut s'excuse pour elle (et on ne comprend pas très bien pourquoi il s'excuse...)

Sylvie Topaloff revient, tend le téléphone à son mari, lequel s'excuse de nouveau et s'absente durant cinq bonnes minutes... Il nous raconte, revenant, ce qui lui est arrivé : il savait qu'il allait être appelé par Europe 1 à neuf heures et quart très précisément, durant la mi-temps du match qui se déroulait alors en Afrique du Sud, mais qu'il pensait que les discours seraient terminés à ce moment-là – ce qu'ils auraient dû être en effet, n'eût été le retard de Camus et de Pierre.

Et après cela...

Après cela, discussions variées avec diverses personnes déjà connues de moi. Bonheur de côtoyer des gens intelligents. Le plaisir de parler avec Jean-Paul Marcheschi, et avec Renaud Camus, et avec Alain Finkielkraut. Et avec tous ces gens qui se trouvaient là, ces êtres qu'on ne connaissait pas une minute avant, et avec qui on se retrouve amis d'enfance, ou presque.

Merveille de soirée, où chacun comprend ce que vous dites, où nul "smiley" n'est requis, où ...

Et j'ai oublié ceci : Au moment de partir, saluant tout le monde, y compris M. Pierre, celui-ci me raccroche (alors que j'étais déjà tourné vers la porte), et il me dit : « Didier, votre moustache vous rend absolument irrésistible ! »

Ben... vous aurez beau dire, vous aurez beau être dramatiquement hétéro, un type de trente ans, plus séduisant que vous ne le fûtes jamais, qui vous dit que vous êtes irrésistible... Eh bien merde, quoi...


Dimanche 20 juin

Huit heures et demie. – Journée superbe, chez la Crevette. J'aime beaucoup cette femme (et son mari). Hervé (XP d'ILYS) était là, et on a passé une demi-journée... Comment dire ? On s'en fout. Axelle est une femme merveilleuse, voilà tout.


Lundi 21 juin

Trois heures. – Il faudrait bien que j'écrive un billet relatant plus en détail la soirée de samedi chez Marcheschi, et aussi notre déjeuner d'hier chez La Crevette. Mais je n'ai goût à rien, aucun courage, l'âme grise et morne. C'est d'autant plus étrange que ces deux moments ont été, chacun dans son genre, tout à fait réussis. Au point que nous avons finalement accepté l'invitation de Marcheschi pour samedi prochain, à son atelier cette fois, pour une lecture (si j'ai bien compris...) de Jacques Roubaud, qui vient d'écrire un livre sur l'artiste. Carlos se joindra à nous. Si toutefois Rémi Pellet pense à répondre à mon mail d'hier et m'envoie l'adresse de l'atelier en question.

Sept heures vingt. – Rémi Pellet m'a bien envoyé l'adresse de l'atelier de Marcheschi, lequel se trouve désormais rue des Deux-Boules, ce qui ne manque pas d'un certain sel. Tout à l'heure, j'ai finalement trouvé le courage et l'allant pour écrire un petit billet à propos de notre soirée de samedi chez ce même Marcheschi. Mais je crains qu'il ne soit un peu “programme minimum”... Il serait bon aussi que, demain, je note deux ou trois choses à propos de notre déjeuner chez Axelle et Damien, elle m'ayant cet après-midi envoyé un mail charmant, que je reproduis ici :

« Chers Catherine et Didier,
j'espère que vous êtes bien rentrés chez vous. Merci d'être venus. Je crois que vous ne pouvez imaginer le bien que vous nous faites, de par votre simple présence, apaisante, pleine d'humour et de profondeur, pleine de bonheur à vivre malgré toutes les difficultés inhérentes à la vie. Personnellement cela m'encourage simplement à faire ce que je dois faire et c'est important. Vous êtes un couple comme on aimerait en être un, voilà ce que j'avais envie de vous dire.
Merci de ne pas hésiter à venir jusque par chez nous, de vous déplacer, de vous fatiguer, de supporter tous les enfants, de vous montrer patients malgré nos questions nombreuses, les phobies stupides des petits pour le chien etc... Dans tous les cas, Elstir, à défaut d'avoir réussi avec les jumeaux, a fort bien joué son rôle "thérapeutique" avec moi : je l'ai caressé moult fois et je n'ai pas du tout peur de lui !
Hervé était ravi de vous revoir, il écoute tout, enregistre tout et se plaît bien en votre et notre compagnie, ce qui me réjouit.
Je vous embrasse,
Axelle »

Je suis depuis ce matin plongé dans les Causeries littéraires de Joseph Vebret – fort agréable lecture, ma foi. Demain, retour à L'Amour l'Automne.


Mardi 22 juin

Quatre heures. – Terminé tout à l'heure les Causeries littéraires de Vebret. Avec, pour résultat, l'envie de découvrir, parmi les quarante qu'il interroge, les trois ou quatre écrivains dont le nom ne m'est pas inconnu mais que je n'ai jamais lus, ne serait-ce que d'une ligne. Ce qui fait encore des livres à lire s'ajoutant à d'autres livres à lire, ces derniers excipant de leur ancienneté sur ma table, de leur plus longue attente salonnarde pour râler que tout cela est profondément injuste.

Pendant ce temps, la merveilleuse France diverse que l'on tente de nous vendre au prix d'un marketing idéologique forcené depuis des années, cette France imaginaire (et proprement cauchemardesque) est en train de s'effondrer sous son propre poids d'incohérence, quelque part en Afrique du Sud – pays hautement fantasmé lui aussi, au bord de la faillite et du chaos ethnique.

On voit mal, dans ces conditions, comment le fantasme gaspésien pourrait s'évanouir, ni même pâlir.

Adolf Hitler voulait éliminer les juifs d'Europe avant d'écraser celle-ci sous le poids d'une dictature généralisée à tous les pays. On dirait qu'il est sur le point de gagner sa guerre. Et je nous vois mal, une fois encore, compter sur l'hiver russe et les GI pour nous sauver...

Et Catherine vient de me rappeler qu'il faut que je fasse ma “lettre de motivation” pour notre mariage. (Motivation n'est bien entendu pas le terme exact, mais le vrai mot m'échappe pour le moment...) Chose que je peux très bien ébaucher ici, du reste. Allons-y...


« Pourquoi vouloir (ou accepter de) s'unir religieusement lorsque nulle foi n'y pousse ? Autrement dit, pourquoi cette démarche de se marier dans une église vide ? Je vois deux raison, l'une simple et immédiate, l'autre sans doute plus profonde mais en quelque sorte impure.
« La première est que la femme qui partage ma vie depuis 20 ans et est mon épouse “civile” depuis 16 est, elle, croyante, et que ce mariage, cette sacralisation de notre union est importante à ses yeux, son esprit, son cœur. Et quel genre d'homme serais-je, quel type de mari, si je lui refusais cela ?
« La seconde me concerne plus personnellement. Au fil des années qui passent, je me sens de plus en plus chrétien, d'essence chrétienne – et même, si j'ose dire, de production chrétienne, puisque les gens de ma famille qui m'ont précédé, les connus et les trop anciens pour l'être, étaient des chrétiens. Et c'est là qu'il faut peut-être parler d'une certaine impureté de mes intentions. Car, enfin, s'affirmer chrétien alors que l'on ne croit pas en ce qui fonde le christianisme, n'est-ce pas faire la part trop grande à la pose ? Aux simagrées ? Je crois mon désir d'engagement tout à fait sincère, même s'il ne peut être, par la force des choses, que symbolique. Du reste, Catherine m'a dit récemment qu'elle ne m'aurait sans doute jamais parlé de ce mariage, si elle n'avait pas senti que j'y étais plus ou moins prêt et disposé.
« Il y a aussi que ma non-foi ne s'accompagne d'aucune forfanterie, bien au contraire : elle penche très nettement du côté du manque, de ce qui n'est pas advenu. En un mot, je ne suis pas – ou plus – de ces athées qui se flattent de s'être débarrassés de Dieu, mais bien du côté de ceux qui constatent, un peu tristes, que Dieu n'a pas pris la peine de les visiter – ou bien qu'il l'a fait mais qu'ils n'en ont rien vu.
« Dans ces conditions, il me semble que ce mariage du 23 octobre prochain pourrait être considéré, en même temps qu'un renforcement, une solennisation de mon engagement envers Catherine, comme une sorte de mise à disposition de moi-même vers ce Dieu invisible pour moi et présent pour elle. Une manière de dire que je me tiens prêt. »


Mercredi 23 juin

Dix heures et demie du soir. – Je suis devant cet écran, à qui je n'ai rien à dire. Catherine et Ludovic sont, eux, devant la télé, dans l'autre maison, à regarder je ne sais quel film, ou série. La nuit tombe, les merles sont les derniers à la ramener.

J'ai cru bon de faire un billet quant à cette coupe du monde dont je n'ai rigoureusement rien à faire – et même d'en faire un autre ce soir. Ni l'un ni l'autre n'a d'intérêt, mais enfin aucun billet, nulle part, n'a d'intérêt si l'on veut bien y réfléchir : allez voir ce cloaque bien pensant qu'est la blogosphère. Ils sont drôles, ils s'énervent pour des riens, ils refusent évidemment de voir ce qui crève les yeux : cette équipe de France, qui n'a évidemment rien de France. À moins que le mot “France” ne signifie en effet plus rien, ce qui est possible. Regardez-moi cette équipe, bon sang ! Il n'y a plus que des Africains et des Arabes. Je n'ai évidemment rien contre les Africains ni contre les Arabes. Mais, j'ai beaucoup contre le fait qu'on les réunisse pour former une équipe de France. Ils ne sont pas “de France”, ils ne le seront jamais. Je veux dire qu'ils ne seront jamais de ce que je crois être, avoir été, la France. Ils peuvent toujours bien singer ce qu'ils veulent, ils resteront Africains, Nord-Africains, etc. Jamais Français.

D'abord parce qu'ils nous haïssent. Comme se haïssent eux-mêmes les Céleste et autres trucs du même genre. Ces gens qui détestent ce dont ils sont issus, qui veulent disparaître et qui, en effet, vont disparaître. Soit par nous, soit par nos ennemis. Il va de soi qu'ils seront les premiers à tomber. – Et très probablement poussés par ceux dont ils espèrent aujourd'hui la victoire : personne n'aime les traitres. Mêmes ceux qui profitent d'eux pour vaincre.

Ils vont tous disparaître, et ils ne comprendront pas pourquoi. Ça n'est pas très grave, au fond. ils récolteront le fruit de leurs semailles. Mais ces modernes aveugles ont des enfants, qui subiront probablement le même sort, qui n'en seront responsables en rien, qui ne sauront même pas que leurs parents les ont allongés sur l'autel. Eh bien, je le leur dis. Mes pauvres enfants, vous êtes issus d'une génération qui vous a sacrifiés sans réfléchir ni hésiter, uniquement parce que ces cafards souhaitaient juste se trouver merveilleux dans le miroir – et c'est pour cette raison que vous vivez dans un monde répugnant, que l'on vous a dépossédés de ce que vos aïeux (ces gens dont on s'est bien gardé de vous transmettre les enseignements) ont bâti patiemment et au prix de grandes douleurs, souvent.

Je vous encourage à maudire ces parents qui ont été les vôtres, et l'ont été si mal. Oubliez-les, si vous pouvez, comme ils ont oublié les leurs.


Jeudi 24 juin

Huit heures. – Je viens d'écrire un petit billet presque san-antonionesque à propos de Renaud Camus. Non d'ailleurs à propos de lui, mais plutôt de Loin, que je vais m'employer à relire dès dimanche, avec notes et soulignages pour le BM que je compte faire d'après son roman – idée que je lui ai soumise et qu'il a bien entendu agréée. Sauf que, maintenant, il s'agit de le faire.

Ono m'astique : je dois garder ce jeu sur les mots. Le replacer du mieux possible, parce qu'il relie ce roman aux églogues, d'une manière pour moi irrésistible. Et à laquelle je suis bien entendu le seul à être capable d'avoir pensé.

Je sais bien que, au moment où je devrai vraiment l'écrire, il va m'accabler (comme tous les précédents), mais pour l'instant ce BM m'excite considérablement.

Mon billet d'hier soir (à propos de football) est nul. Mais pas tout à fait assez pour que je le supprime. Ce matin, je suis allé lire ce que, ensuite, j'ai écrit ici : c'est d'une violence brutale qui fait que je devrai probablement le supprimer au moment de la publication. Ou, au moins, le récrire. Car j'ai toujours cette peur de devenir, sur certains sujets qui me semblent primordiaux, monomaniaque. Et, bien entendu, notamment sur le thème de ce que Renaud Camus appelle la contre-colonisation. Je me fais parfois l'impression d'une sorte de tamagoshi qui s'excite mécaniquement dès qu'un mot ou l'autre est prononcé.

D'un autre côté, il me faut bien le répéter – ne serait-ce que pour m'en souvenir : j'ai passé toute ma scolarité, primaire et secondaire, sans jamais voir dans mes classes un seul Arabe ni un seul noir. S'en serait-il présenté un, d'ailleurs, qu'il aurait été parfaitement bien accueilli – mais il n'y en avait pas. Et je ne parle pas d'une France d'il y a cent cinquante ans : quarante, tout au plus.

La seule vraie différence entre les Chinois au Tibet et les Africains ici est qu'il n'y a pas, chez nous, de décision délibérée et unilatérale d'envahir et de coloniser. Mais le résultat sera sans doute le même – ça prendra plus de temps, c'est tout.

Réflexion faite, je pense que je ne supprimerai rien. Cette violence, qui parfois s'exprime (et principalement quand l'alcool la libère, il faut bien le reconnaître), elle est tout de même engendrée par quelque chose. Notamment par cet Aveuglement (la majuscule initiale et l'italique sont un hommage à Saramago, pourtant de gauche – mais vrai écrivain, donc lucide, etc.) dont je vois mes jeunes amis accablés. Non, justement, pas accablés : simplement atteints.

Manuel m'intéresse beaucoup, en ce moment, de ce point de vue. Il est en train d'accomplir une sorte de mue. Et il a peur de ce qui lui arrive, ce qui peut se comprendre. Il a vécu comme vivent ses deux autres “gros bills”, et notamment Fabrice, à la limite de l'autisme, bien installé dans le Camp du bien. Manuel, lui, est en train d'ouvrir les yeux et de regarder le monde. Il s'en inquiète, c'est normal. Et c'est bien pour cela que, de temps en temps, il “convoque” des “fachos” fantasmés, parce qu'il a encore besoin de se rassurer : ce qu'il voit, ses yeux ouverts, l'effraie. L'effraie encore plus ce qu'il va devenir, évidemment. Il y a quelque jours, je lui ai demandé son adresse mail pour lui dire “des choses”. Il me l'a communiquée, en effet. Mais, là-dessus, je n'ai plus osé lui dire quoi que ce soit, et j'ai prétendu avoir tout oublié.

Que voulais-je lui dire ? Plusieurs choses. Deux, en fait, et tout à fait liées. Que le temps de leur “blog à trois” est probablement terminé. Mais il doit très bien le savoir, puisqu'il est désormais le seul à alimenter celui-ci.

La deuxième chose est qu'il vient d'ouvrir les yeux. Et qu'il va voir de plus en plus de choses désagréables. Pour le moment, il s'en défend, et c'est normal : il convoque encore, comme je l'ai dit plus haut, des “fachos” inexistants, des repoussoirs, des monstres pas regardables. Parce qu'il a encore besoin de se voir beau dans le miroir, comme le font ses deux amis.

Ce qui est amusant, c'est que, de ces trois bills, Manuel est le seul que je n'ai jamais rencontré. Bon, j'ai très peu rencontré Fabrice non plus, puisque c'était à la Comète, où je suis arrivé très tard (après un dîner avec Juan Asensio et Criticus), et que je me suis écroulé, au sens le plus physique du terme, peu après mon arrivée.

Pour conclure : ces trois jeunes gens sont en train de se séparer les uns des autres, me semble-t-il (mais je peux bien entendu me tromper du tout au tout sur la qualité et la solidité de leurs relations triangulaires) et ne le savent pas encore.


Samedi 26 juin

Minuit moins le quart. – Je suis à mon bureau, porte et fenêtre ouvertes, Catherine devant son ordinateur portable, sur la terrasse. Je l'entends rire tandis qu'elle lit le dernier billet de Manutara. Nous sommes rentrés de Paris à neuf heures, après avoir assisté à la lecture de Jacques Roubaud – par lui-même – de quelques-uns des poèmes qu'il a écrits pour Jean-Paul Marcheschi, dans l'atelier de celui-ci. Retrouvé là Rémi Pellet et son ami Kevin, Marcheschi bien entendu, Valérie Scigala, Alain Finkielkraut, et quelques autres têtes sur lesquelles je n'ai pas été capable de remettre des noms ; vu passer Jimmy Rodriguez (Mathieu François du Bertrand en littérature) que je n'ai pas eu l'occasion de saluer. Après la lecture, il était question d'un verre chez Marcheschi, mais j'ai eu l'impression que tout cela allait traîner en longueur et, depuis plus d'une heure, je dégoulinais littéralement de sueur. Si bien que lorsque Catherine a suggéré que l'on rentre tout de suite pour prendre, tous les deux, un verre sur notre terrasse, j'ai dit oui sans hésiter et nous nous sommes éclipsés. Catherine avait évidemment un intérêt à ce que nous partions AVANT boire : elle n'aurait pas à conduire.

Nous étions à la maison à neuf heures précises et, depuis, nous sirotons gentiment sur la terrasse, regardant la nuit tomber et écoutant les oiseaux amoindrir leurs chants jusqu'à complète extinction. Non sans une interruption solide, durant laquelle nous nous sommes empiffrés de hot-dogs – en nous mettant de la moutarde et du ketchup partout, comme il est de règle, surtout moi à cause de la moustache qui me rend si tellement irrésistible.

Sur l'autoroute, doublant une petite voiture :

Moi : Je déteste vraiment ces vitres fumées qui ne permettent pas de voir le conducteur ni les passagers !

Catherine : c'est une voiture-burka !

Moi : c'est exactement ça : un burcar...

Quant à la burka elle-même, la vraie, je me suis demandé si on ne devrait pas tenter de lancer l'orthographe et la prononciation beurka, afin de bien signifier notre dégoût d'icelle.

Je poursuis la lecture de Jan Valtin, avec une excitation et un plaisir grandissants. Grâce soit rendue à Dominique qui m'a offert ce livre.

Noté cet après-midi dans Paris que les gens hurlaient de plus en plus pour se parler, sans aucune raison puisqu'ils sont généralement à moins d'un mètre les uns des autres. Décivilisation, comme dirait Renaud Camus. Catherine, en revanche, était toute contente de constater que presque tout le monde, dans le métro, sur les trottoirs, déambule désormais avec des écouteurs à musique de merde dans les oreilles : cela rend son appareillage auditif de “vieille dame” tout à fait irrepérable...


Dimanche 27 juin

Une heure. – Je viens de passer la moitié de la matinée à relire mon journal du mois de mai pour la troisième fois, avant la publication qui interviendra probablement mardi. Ces trois lectures sont absolument nécessaires. À la première, qui a lieu dès les premiers jours du mois suivant, je reste collé au sens de ce que j'ai écrit, puis oublié. Trop occupé à rectifier, polir, adoucir, ou au contraire “muscler”, voire à supprimer certains paragraphes, je ne suis capable, en matière de fautes, de ne repérer que celles de frappe, qui introduisent des lettres incongrues au milieu des mots les plus simples. À la deuxième relecture, la plupart des fautes de français peuvent être rectifiées, les répétitions supprimées, etc. Enfin, à la troisième – celle que je viens de faire, donc –, le “fond” du texte me sort tellement par les yeux pour l'avoir trop relu que je puis ne me concentrer que sur les ultimes scories de langage. Tout en sachant qu'un certain nombre réussira tout de même à passer entre les mailles de mon filet.

Catherine me requiert à déjeuner...

Sept heures et demie. – Lu près de 300 pages de Valtin aujourd'hui, entrant dans la partie proprement tragique de sa vie. Jusqu'à présent, il y avait quelque chose des aventures de Tintin, dans cette existences itinérante et agitée. Avec l'arrivée de Hitler au pouvoir et le retour de Valtin en Allemagne désormais nazie, on bascule dans le cauchemar, puisqu'il sera torturé durant 101 jours par la Gestapo avant de se résoudre à livrer une “confession” – tortures psychologiques autant que physiques où la bestialité ne trouve jamais sa limite, qu'il décrit par le menu et exactement sur le même ton précis et dénué d'emphase que tout ce qui a précédé. Éprouve-t-on de l'admiration devant ces hommes robotisés jusqu'aux moelles, capables de résister à presque tout au nom de la Cause, du Parti ? Non, juste une immense stupéfaction muette de les voir se hisser au niveau du martyre, au nom d'une Idée qui, incarnée en Russie, produit exactement les mêmes effets que celle qui les détruits jour après jour.

D'une manière générale, la vie est d'une tristesse profonde et d'une irrésistible drôlerie.


Lundi 28 juin

Deux heures et demie. – Je viens tout juste de terminer le livre de Jan Valtin, offert par Dominique. Du coup, tous les barrages cèdent et je ne suis plus sûr de rien de ce que j'ai pu écrire ces derniers jours à propos de ce livre. Pour le moment, véritablement sous le choc de la lecture, il ressort les contours d'une vie d'une intensité et d'un chaos à peine imaginable : le XXe siècle paraît terriblement loin, atrocement obscur, implacablement violent. Je viens de faire un court billet dans lequel je n'ai été capable de rien d'autre que de décrire à trop grands traits la deuxième partie de la vie de l'auteur. J'espère pouvoir (et avoir envie d') y revenir plus calmement d'ici quelques jours, mais je n'en suis pas certain. J'ai dit, dans le billet mis en lien plus haut, que je ne reniais rien de ce que j'avais pu écrire ces jours derniers, à propos de ce livre. C'est la vérité. Mais je commence tout de même à le regretter un peu : mes “considérations” étaient très loin d'être à la hauteur de l'homme qui les a suscitées, de l'envergure de ses contradictions ; le silence aurait peut-être mieux valu, dans ces conditions.

Je me retrouve maintenant très désemparé, n'ayant de goût pour aucun livre, de ceux qui m'attendent. Je me demande si je ne vais pas relire Evguenia Ginzbourg. Ou quelques pages de Chalamov. Pour “rester dans le siècle”.


Mardi 29 juin

Midi moins dix. – Ce matin, à peine levé (neuf heures, tout de même...), je me suis précipité au clavier afin de mettre en ligne le journal de mai, persuadé que nous étions le dernier jour de juin. Je venais à peine de “cliquer” lorsque je me suis avisé que nous n'étions que le 29. Je l'ai laissé : que peut faire un jour de plus ou de moins ? Cette livraison mensuelle n'était pas accessible depuis plus d'une demi-heure que Suzanne, par mail privé, me signalait deux énormes fautes, dans ce texte relu trois fois. et, qui pis est, de ces fautes qui ne sauraient passer pour de frappe, mais trahissent au contraire (ou semblent trahir) chez celui qui en est responsable, une méconnaissance inquiétante de sa propre langue : court au lieu de cours, et un indicatif en place du subjonctif requis. La sueur aux tempes, je me suis précipité afin d'aller effacer les traces de mon méfait. Mais où se cachaient-elles, dans ce texte finalement assez long ? Suzanne, obligée de sortir, disait-elle (mais peut-être était-ce un simple raffinement de sadisme de sa part...), ne le précisait pas dans son mail. Pour le subjonctif, vu le reste de la phrase, c'était assez facile. Mais, pour l'autre, j'ai “galéré” un peu...

Je devrais pour bien faire aller m'installer au salon avec Loin, le dernier roman de Renaud Camus, muni d'un stabilo, un carnet et un crayon, et passer les journées d'aujourd'hui et demain à le relire en surlignant et notant tous les passages dont je vais me resservir dans le prochain BM. Au lieu de cela, je sens bien que je vais plutôt poursuivre la lecture d'Evguenia Ginzbourg, reprise hier à la suite de Jan Valtin (qu'une fois sur deux j'écris Vatlin, ce qui commence à m'énerver). Ce BM, conçu donc comme une sorte de variation sur le roman de Camus, doit être rendu le 15 août (ou sans doute plus certainement le 16...). Je ne suis pas encore en retard, mais j'en prends bien le chemin – chemin parfaitement balisé par le temps et la fréquence de mes emprunts, il faut le dire. D'autant que, évidemment, vu le sujet que je me suis imposé, le scénario va comporter beaucoup plus de contraintes que les autres, et qu'il ne sera pas question d'en trop bâcler l'écriture.

De toute façon, il est possible que je ne l'écrive pas du tout, car si GdV ne me verse aucun argent au 15 juillet je suis presque déterminé à mettre fin à ma participation à la série. Mais enfin, j'ai déjà dit ça tellement de fois... Je crois que si le studio de Levallois était vendu je le ferais. Mais là...


Mercredi 30 juin

Dix heures du matin. – Ouf ! le mail que j'ai reçu de Joseph Vebret ce matin – ou plutôt hier soir, mais je ne l'ai “ouvert” que ce matin – me tire une petite épine du pied. Le samedi 19 juin, chez Marcheschi, à l'occasion de la soirée Finkielkraut, nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de sa jeune épouse. (Épouse ou compagne ? C'est curieux comme je n'arrive jamais à me souvenir de ce genre de “détail”. Les homosexuels ont au moins cet avantage sur nous autres : avec eux, l'ambiguïté est levée par nature...) Bref, il nous l'a présentée et, presque immédiatement, Catherine et moi sommes tombés sous le charme de cette jeune femme souriante, intelligente visiblement, vive, drôle, et tout à fait apte, semble-t-il, à “secouer le vieil ours” quand le besoin s'en fait sentir. Tout cela pour, une fois dans la voiture du retour, nous apercevoir qu'elle comme moi avions totalement oublié le prénom de la dame en question. Et pas moyen, les jours ensuite, de le faire resurgir. Devant déjeuner demain avec Vebret, j'étais résigné à lui avouer piteusement notre double trou de mémoire, lorsque, dans son mail de ce matin (ou d'hier soir...), au détour d'une phrase, il a fait une allusion à Delphine. On se sent mieux...

Je m'avise que je n'ai pas dit un mot du procès qui oppose, en ce moment, Valérie Scigala (et deux autres personnes) à Juan Asensio. Je l'ai appris par ce dernier qui m'a demandé si j'accepterais de venir témoigner en sa faveur. Sa requête m'a fort surpris, dans la mesure où l'interminable dispute qui s'est développée (et aggravée visiblement) entre Valérie et lui a trouvé, en 2007, son origine sur mon blog de l'époque. Et que les sarcasmes et injures qu'il a alors déversés sur ma tête figurent dans les ***** du procès (mon vocabulaire juridique est d'une indigence rare). Je lui ai expliqué qu'à mon avis un témoignage en sa faveur émanant de moi serait non seulement ridicule pour nous deux, mais risquait d'être en outre contre-productif pour lui. Ce qu'il a eu l'air de bien vouloir admettre.

De toute façon, je n'aurais pas accepté de témoigner pour lui, dans la mesure où cela revenait à le faire contre VS. Cette dernière a d'ailleurs eu l'air de me faire plus ou moins grief, ce même samedi finkielkrautien, de ne pas avoir choisi mon camp, en quelque sorte. Elle a parlé de “cul entre deux chaises” et a même eu cette remarque étrange (pour moi étrange) : « J'aime mieux être à ma place qu'à la vôtre. »

Mais c'est que j'estime n'avoir pas de “camp” à choisir, moi ! Parce qu'enfin, en dehors des premières semaines de la querelle, début 2007, je me suis ensuite totalement désintéressé de celle-ci, et ne l'ai suivie en rien lorsqu'elle s'est transportée sur d'autres champs de bataille (Facebook, etc.). J'ai des rapports peu intenses mais bons (de mon point de vue...) avec Valérie Scigala depuis maintenant trois ans et n'ai aucune raison de vouloir que cela change. D'un autre côté, après la violence absurde qui a présidé à mes premiers rapports avec Juan Asensio, ceux-ci se sont normalisés – ils n'avaient pas de peine à devenir plus normaux... – et, si l'on ne peut pas dire que nous sommes amis (nous nous sommes vus une seule fois, le temps d'un dîner avec Roman “Criticus” Bernard), je n'ai cependant aucune raison de lui nuire en quoi que ce soit.

J'en ai d'autant moins que le recours à la justice ne me plaît jamais beaucoup, surtout à notre époque qui en fait un usage immodéré. Et encore moins pour des querelles entre blogueurs, que je ne parviens jamais à prendre tout à fait au sérieux – mais sans doute ai-je tort. Il m'est déjà arrivé de me faire traiter de tous les noms, dans les termes les plus bas, et sous des angles d'attaque assez ignobles (par CSP, notamment), pour autant il ne m'est jamais venu à l'idée une seule seconde d'aller m'en plaindre au greffe. Ce qui ne veut pas dire que je ne comprends pas ceux que, contrairement à moi, les insultes atteignent et blessent. Et il faut reconnaître que, dans ce domaine, Asensio est un maître.

Dans tous les cas, je trouve que requérir contre lui une condamnation symbolique eût été une réparation amplement suffisante : les histoires d'argent venant se greffer là-dessus me rendent encore plus circonspect.

En bref, je ne me sens que de très loin concerné par cette affaire. Du coup, j'ai l'impression de me retrouver dans la situation de l'ami d'un couple qui, lorsque le divorce survient, prétend rester lié avec les deux parties : coups assurés des deux côtés. Tant pis, j'encaisserai, si besoin est. Ou bien, je me fâcherai avec les deux, tiens...

Catherine a commencé à tenir un journal – strictement privé – hier, et je trouve que c'est une excellente chose : j'espère vraiment qu'elle va le poursuivre.

Huit heures moins le quart. – Il y a des jours où les blogs m'épuisent, et le mien particulièrement. Qu'est-ce que l'on fait, à passer autant de temps à répondre à des gens que l'on ne connaît pas, ne connaîtra sans doute jamais, dont on voit bien qu'ils ne vous lisent pas mais se sentent tout de même tenus de donner leur avis ? Le pire étant que je dois probablement faire la même chose chez les autres. Il serait peut-être temps d'arrêter ces conneries puériles.

Car les vrais blogueurs sont des enfants. Il n'y a qu'à voir le sérieux avec lequel ils se considèrent : aucun adulte ne s'offrirait ce ridicule. Ceux qui s'excusent auprès de leurs lecteurs – presque en les plaignant – parce qu'ils sont restés deux jours sans déverser leur habituel arrosoir de lieux communs ; ceux qui “prennent de la hauteur” et décortiquent, soupèsent, analysent l'importance du phénomène ; ceux qui discourent gravement (mais avec une jubilation pitoyable et risible) sur le coup qu'ils portent à la presse “institutionnelle” ; et les plus drôles, qui se voient marcher tous ensemble vers les lendemains qui chantent (lesquels sont, comme toujours, au coin de la rue), la colonne armée de la prochaine révolution, la vraie, la toujours attendue, qui donnera du pain aux miséreux, la paix et des baumes à ceux qui souffrent, des escaliers à la Butte et des ailes aux moulins. Non, vraiment, il se termine en beauté, ce mois de juin.

Et toujours, en arrière-plan, le terrible, angoissant et primordial “problème des retraites”...

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