dimanche 1 mai 2022

Avril 2022

 

 

 

 

 

 LE PONT EN BOIS DE CHARENTON

 

 

 

 

Vendredi 1er

Neuf heures. – Se réveiller un premier avril avec un jardin et des toits blancs de neige… voilà qui est assez farce ! Comme quoi le réchauffement climatique, contrairement aux écolodéments, est capable d'humour et même d'un certain esprit taquin.

– J'ai fini mon mois de mars en même temps que ma relecture de Balzac. Terminé ce cycle avec La Cousine Bette, roman qui m'a paru aussi terrible à cette trois ou quatrième lecture qu'il le fut à la première.  Il en arrive à se colorer de fantastique, Valérie Marneffe cessant progressivement d'être une femme pour se transformer en une sorte de succube dévorant. Le baron Hulot, lui, serait de nos jours soit enfermé dans un asile pour érotomanie morbide, soit en prison pour pédophilie. Quant à la cousine éponyme, n'en parlons même pas. 

J'avais prévu, d'assez longue date, d'ouvrir avril avec Flaubert, Gustave était déjà tout frétillant dans son habit pléiadisé… et c'est finalement Paul Morand qui est sorti du chapeau, lui aussi costumé en Pléiade ! Cela tient à ce que j'ai commencé il y a quelques jours à lire le dernier volume de sa correspondance avec Chardonne et qu'il m'a semblé plus logique, plus cohérent, de ne pas trop me disperser. Commencé par Tais-toi, qui est son dernier roman (1965). Évidemment, passant juste derrière Honoré, la partie s'annonce rude pour lui.

– L'originalité et le style des blogueurs. Chez un socialiste bas de plafond que l'on trouve en lien chez Nicolas, je trouve, en l'espace de quelques dizaines de lignes :

– ne pas se tromper d'adversaire,

– bonnet blanc et blanc bonnet,

– laisser la chaise vide,

– appeler un chat un chat,

– ne pas être loin de la Bérézina,

– préférer l'original à la copie,

– choisir entre la peste et le choléra,

– chat échaudé craint l'eau froide.

Ce serait évidemment perdre mon temps et le sien que d'essayer d'expliquer à ce brave garçon qu'il est impossible de prétendre avoir une idée originale, et même une idée tout court, lorsque l'on s'exprime comme lui par une succession de clichés “usés jusqu'à la trame” que l'on “enfile comme des perles” les uns à la suite des autres (moi aussi, je sais sortir mes petits clichés, faudrait pas croire…). 

Trois heures. – Parce qu'il n'occupe qu'une centaine de pages de Pléiade, j'avais terminé Tais-toi dès midi : bof, bof… Je vais, demain, relire Le Flagellant de Séville. Si ce roman me déçoit aussi, je bifurquerai vers les nouvelles.

– Dans ses lettres à Morand, il arrive parfois que Chardonne se mette à raconter n'importe quoi, à proférer de grosses âneries. Ainsi, dans celle-ci, du 24 juin 1965, où il évoque la fameuse préface que Proust avait donné au Tendres Stocks de Morand. Il en dit ceci : 

« Cette préface est curieuse, mais elle est très faible. On sent un pauvre Proust, qui essaye d'être Proust, qui le sera un jour, après beaucoup d'efforts, beaucoup de pages. »

Difficile d'écrire plus de bêtises en si peu de mots. La préface à Tendres Stocks a été rédigée  à l'automne 1920. À cette date, le “pauvre Proust” avait déjà écrit la totalité d'À la recherche du temps perdu – même si certaines parties allaient encore être enrichies et remaniées ensuite – et avait obtenu l'année précédente le prix Goncourt pour ses Jeunes filles en fleurs. Par conséquent, efforts et pages étaient plutôt derrière lui et Proust n'en était plus à essayer d'être lui-même, à l'heure où, dans toute l'Europe, les cerveaux en éveil s'accordaient déjà à reconnaître en lui l'un des plus grands écrivains de l'époque, et même de deux ou trois autres.

Cela dit, Morand n'est pas non lui en manque de sottises, mais c'est dans un autre domaine : dès qu'il se laisse aller à faire de la prospective géopolitique, il se transforme très facilement en une sorte de pythonisse sous acide, dont les prophéties, avec le confort que nous donne le recul, ne laissent pas d'être souvent fort réjouissantes.


Samedi 2

Onze heures. – Le téléphone portatif de Catherine est si vieux – je veux dire par là qu'il a plus d'un an… – qu'il est devenu incapable de lui rendre le moindre service, hormis peut-être celui de téléphoner, ce qui était, si je me souviens bien, la fonction première de ces amusants petits boitiers. Guidée par Nicolas, notre maître à tous en ce domaine, elle en a donc commandé un nouveau, tout rutilant de modernité et d'efficience supposée. Elle se montra, commande passée, violemment émue par le prix ébouriffant de ce ridicule engin. Moi, dans le même temps, je m'en amusai : j'imaginais la stupéfaction incrédule des gens, il y a seulement une trentaine d'années, si on leur avait affirmé que, dans un proche avenir, ils ne rechigneraient nullement à s'acheter un téléphone à mille euros (ils l'auraient été d'autant plus, stupéfaits, qu'ils auraient alors totalement ignoré ce que pouvait bien être un euro) ; que non seulement ils n'y rechigneraient pas, mais que les plus atteints d'entre eux feraient même la queue devant les boutiques dès l'aurore afin de s'emparer du nouveau modèle sans le moindre retard.

Deux heures. – Je viens d'abandonner Le Flagellant de Séville après quelques dizaines de pages. Non que le roman me déplût, au contraire, mais j'ai bien senti que j'étais encore trop “marabouté” par Balzac pour lire avec profit qui que ce soit d'autre, dans la sphère romanesque s'entend : quelques semaines de désenvoûtement ne seront pas de trop avant de revenir traîner dans ces parages-là. Pour l'instant, je vais me contenter de naviguer entre la correspondance Morand/Chardonne et le journal “intégral” de Matthieu Galey, opportunément arrivé ce matin.

À propos de Galey, justement : son journal commence en janvier 1953, il a 18 ans passés de quelques mois, est en classe terminale. Et on est frappé de la maturité intellectuelle et de la culture dont il fait déjà preuve. Sans même aller jusqu'à le mettre en balance avec les apprentis bacheliers d'aujourd'hui, ce qui serait inutilement cruel, si je le compare avec le gars moi-même à pareil âge, on ne peut pas dire que j'en sorte bien flamboyant.

Sur la photo de couverture du volume “Bouquins”, Matthieu Galey ressemble étrangement à Robert de Niro jeune. Je dis “étrangement” car, si l'on cherche d'autres photos de lui chez Dame Ternette, on peut constater qu'il ne lui ressemble absolument pas.


Dimanche 3

Onze heures et demie. – Il y avait déjà des jours que, bardés d'excuses diverses et pas toujours de très bonne foi, nous n'avions emmené Charlus en promenade. Ce matin, ciel lavé de fond en comble, petit froid vif, pas de vent : nous étions coincés. Et, de retour, très contents de cette sortie, comme chaque fois. Autre avantage non négligeable : durant cette demi-heure, j'ai totalement oublié que j'avais faim et que l'heure du déjeuner était encore un peu lointaine. Ce qui, en plus, a eu pour effet de la rapprocher.

(C'est ahurissant, ce qu'on peut écrire comme conneries insipides, un dimanche matin…)

– Tombé il y a un instant, chez Toitube, sur une interview de Kerouac, de 1967, réalisée par la télévision québécoise. Comme j'ignorais que, bien que né aux États-Unis, il fût de parents canadiens français, j'ai été fort surpris de l'entendre parler couramment le français… mais avec un authentique accent de Chicoutimi ou de Trois-Rivières.

Quatre heures. – J'ai déjà dit, peut-être même rabâché, l'agacement que produisait chez moi le remplacement du verbe mourir par d'autres, réputés moins “agressifs” : l'administratif décéder ou le stupide partir. En revanche, j'aime bien que l'on puisse employer s'éteindre, mais à condition de le réserver pour les morts progressives et, si faire se peut, sereines : on imagine mal une personne s'éteindre dans un accident de voiture, par exemple. Et encore moins dans un incendie, la chose devenant alors franchement aporétique. 

Six heures. – Du rayon dont il n'avait pas bougé depuis à peu près vingt-cinq ans, je viens de tirer le volumineux et remarquable (dans mon souvenir…) livre de Philippe Ariès : L'Homme devant la mort. On pourra voir cela comme une tentative un peu dérisoire de remise en perspective

– Un article sur le site de Causeur m'apprend qu'un certain nombres de livres de Philip Roth viennent d'être réunis dans un volume de la Pléiade. J'ai eu, jusqu'à présent, des rapports difficiles avec Roth, pour dire le moins. Et je me disais que cette Pléiade toute neuve pouvait être l'occasion de réviser mon jugement, d'amorcer une réconciliation. J'étais déjà tout prêt à commander le volume…

Mais voilà que l'auteur de l'article a la mauvaise idée de citer une phrase du maître d'œuvre de l'ouvrage. La voici : « l’écrivain a utilisé les moyens de son art (le style) pour brouiller les frontières ontologiques qui séparent les trois acteurs du jeu littéraire : l’auteur, son personnage et le lecteur » Alliance bien connue, typiquement franco-universitaire, entre le verbiage du cuistre et la pauvreté de ses lieux communs, le premier tentant pitoyablement de camoufler la seconde. 

C'est ainsi que l'on économise quelques dizaines d'euros en moins d'une minute. 


Lundi 4

Deux heures. – La logique des électeurs de gauche me demeure assez obscure, même si leurs infinies contorsions me divertissent plutôt. Ainsi la charmante Élodie J., qui repousse la tentation du vote blanc parce que “ça ne sert à rien” et qui, dans la foulée, annonce qu'elle va voter pour Roussel, c'est-à-dire pour un fossile idéologique qui, sauf énorme surprise, ne devrait pas dépasser les 3%. À tout prendre, je trouverais nettement plus cohérent, pour les mêmes électeurs de gauche, de voter pour Mélenchon, dans la mesure où lui conserve une mincissime chance d'accéder au second tour.

Cela dit, je ne fréquente pas de blogueurs de droite – de blogueurs militants, veux-je dire : peut-être valent-ils eux aussi leur pesant d'arachides et se livrent-ils, mais inversés, à ces petits “pas de deux” qui m'amusent tant chez mes amis social-traîtres.

– Ce soir, à la demande de Catherine, Vincent, François, Paul et les autres. J'ai bien dû, ce film, le voir sept à huit fois, ces quarante dernières années ; mais le charme agit toujours. (Il a en tout cas agi jusqu'à la dernière re-vision incluse : on verra ce qu'il en est ce soir…) À son charme propre, intrinsèque, s'ajoute désormais une teinte de nostalgie mélancolieuse pour une époque et une France à jamais morte, laquelle ne pouvait évidemment pas exister lors de ma découverte du film, âgé que j'étais de vingt ou vingt-cinq ans : il s'agissait alors d'une œuvre contemporaine


Mardi 5

Onze heures. – Du journal de Galey, le 20 avril 1964. Lors d'un déjeuner à Auvers-sur-Oise (où Galey vit partiellement), Jacques Chardonne ne met à parler de Dieu : « Il a tout raté ! Il est vrai que, moi, je n'ai pas à me plaindre, il m'a assez réussi. Mais il a tout à fait négligé Mauriac. »

– En Ukraine, dans les endroits investis par l'armée russe, on annonce que des hommes ont été tués, des femmes violées et des maisons pillées. Bref, que tout est conforme, sinon normal. Cela n'empêche nullement nos escouades vertueuses de s'en indigner, comme s'il s'agissait d'une grande première, d'un fait de guerre absolument inouï, d'un monstrueux “dérapage”.


Mercredi 6

Midi. – Charlus de retour de chez l'esthétichienne, transformé en gros rat parfumé ; ce qui nous change du petit chien puant qu'il était encore ce matin.

– L'enfer de l'écrivain vu par Matthieu Galey : Nul Hadès sine linea

– Penser, cet après-midi, à appeler ma mère, savoir comment elle se remet de la “cérémonie” d'hier, à laquelle nous ne sommes finalement pas allés, pour cause de fièvre dès la veille au soir (chez moi) et incertitude sur les causes de la dite. Les guillemets sont là pour marquer l'accablement teinté d'un peu de mépris que m'inflige toujours ces crémations post-modernes, dérisoire simulacre d'une authentique cérémonie religieuse. Les quelques fois où il m'a été donné d'y assister, j'ai toujours eu l'impression pénible que nous étions tous, assistants et “officiants” à la limite de la singerie.


Jeudi 7

Une heure. – Lu ce matin les deux cents pages du Mauriac sous de Gaulle de Jacques Laurent, pamphlet assez roide, bien davantage dirigé contre de Gaulle que contre Mauriac, et qui valut à son auteur de comparaître devant les juges pour offense au chef de l'État. Sans doute parce que le portrait qu'il donnait du monarque n'était pas assez flatté au goût de tel ou tel de ses valets… voire à celui du monarque lui-même.

– Commencé hier soir à regarder une série italienne (pour changer) recommandée par Michel Desgranges : Gomorra. Des histoires de mafias napolitaines. Après les trois premiers épisodes, notre sentiment est plutôt positif ; suffisamment en tout cas pour prolonger l'expérience ce soir.

– Titre pondu par mes analphabètes préférés : « Voilà pourquoi le prix du renoncement de l'Europe au gaz russe risque de s'envoler. » Si même le renoncement coûte de plus en plus cher, autant s'en tenir au volontarisme, dont le prix devrait, lui, rester stable encore quelque temps.


Vendredi 8

Six heures. – Depuis ce matin, ici, il a plu sans discontinuer. Du coup, depuis ce matin, ici, j'ai lu sans discontinuer. Sorte de mesure de rétorsion, si l'on veut.

– Jacques Chardonne est mort le 29 mai 1968. Le 1er juin qui suit, Paul Morand, privé de son interlocuteur épistolaire, commence ce qui deviendra son Journal inutile

Mais en fait, non. La réalité est moins tranchée, il y eut, entre correspondance et journal, une sorte de sas. Très malade, Chardonne cesse d'écrire à Morand dès le début de février. Morand, lui, continue de lui expédier une lettre par jour, parfois deux, jusqu'au dernier jour de mai. Mais, très vite, et presque d'un jour sur l'autre, son ton change. Non seulement, par la force des choses, il ne dialogue plus avec Chardonne, mais il cesse même de s'adresser directement à lui, commençant déjà à se parler à lui-même. Bref, on assiste, en quelques dizaines de pages, à la métamorphose des lettres en un journal, presque naturellement.

– Qui a dit que les “cathos” étaient forcément rétrogrades ? C'est fort exagéré, certains étant même à la pointe de la modernité modernante. Je dépose ici un message internétique trouvé par Catherine :

 

Chers tous !


Le travail ne manque pas chez Hozana, d'où mon message un petit peu tardif. Néanmoins, je tenais à vous remercier de votre confiance : vous avez été nombreux à me confier une intention de prière pour St Joseph, que j'ai déposée à ses pieds le 19 mars à Cotignac, lieu d'apparition de notre charpentier préféré !


Il y avait plus de 8 000 intentions de prière adressées à Saint Joseph : 243 pages précisément ! Je ne revenais pas ! La veille au soir, je me demandais comment j'allais pouvoir imprimer toutes ces pages avant le lendemain matin ! Heureusement, St Joseph m'a trouvé un mari très très intelligent, qui m'a suggéré de tout enregistrer sur une clef USB !


La messe du 19 mars à Cotignac, en plein air, était splendide, et j'ai été très heureuse de fournir autant de travail à St Joseph en lui déposant l'enveloppe contenant la précieuse clef USB bourrée à craquer !


Que Saint Joseph vous guide, vous garde et vous comble comme il me comble !

 

Il faut se faire une raison, mes frères : demain, les “clés du Royaume” seront toutes USB !  


Samedi 9

Onze heures. – Tout à l'heure, profitant d'une fugitive éclaircie, promenade charlusienne dans les rues du Plessis. Sur la petite place devant la mairie, les panneaux électoraux sont de sortie, depuis une grosse semaine : chose normale. Ce qui l'est beaucoup moins, normal, c'est que, ce matin, à la veille du premier tour donc, tous ces panneaux restaient vides, à l'exception d'un seul qui arborait le visage lisse et satisfait de soi-même de notre syndic de faillite, alias E.M., qui sollicite une seconde tournée. Où sont passés tous les autres ?

– Titre de billet d'un blogueur pontifiant, grand amateur de clichés et d'idées toutes faites, pioché dans la blogoliste de Nicolas : « Le choix de société que nous voulons pour demain, se joue dimanche ». Le billet (dont j'ai respecté la ponctuation erratique) ayant été publié hier, soit vendredi, c'est à de la haute acrobatie temporelle que nous convie ce pauvre garçon.

– Ces gens qui se proclament “100% droitier” ou le contraire : ils ne se rendent pas compte que, s'ils l'étaient vraiment, ils ne parviendraient jamais à se couper les ongles des mains.

Six heures. – J'apprends à l'instant, avec un profond ravissement légèrement sarcastique, que, pour lutter contre le réchauffement climatique, « des milliers de manifestants ont marché “pour le futur” à Paris ». J'aimerais bien voir les têtes de ces malheureux décérébrés qui, s'ils avaient su s'exprimer en français, auraient plutôt choisi de marcher pour l'avenir. Ce qui, évidemment, aurait été tout aussi stupide et vain, mais au moins c'eût été correct.


Dimanche 10

Onze heures. – J'imagine la rage bavante des bas bleus féministoïdes à la parution du Journal inutile de Morand, en 2001 : comment ? Voilà un mâle blanc hétérosexuel qui se répand en horreurs sur nous-autres-femmes, et qu'on ne peut même pas traîner devant les tribunaux sous le prétexte fallacieux qu'il est mort depuis un quart de siècle ? Honte ! Scandale ! Abomination ! Même chose d'ailleurs pour l'inquisition pédérastique et les comités de censure antiracistes. Pendant ce temps, à Trieste, Morand est secoué d'un rire puissant, à s'en faire éparpiller les cendres hors de leur urne.


Lundi 11

Dix heures. – Ils sont bien amusants, ces résultats de premier tour. Non pas dans le haut du classement, qui est sans intérêt ni surprise, mais plus bas : comment ne pas se réjouir de voir un Jean Lassalle devancer le candidat “miracle” du parti communiste ? En voilà un à qui l'entrecôte et le pinard vont rester sur l'estomac. Comment s'empêcher d'applaudir en voyant la répulsive Hidalgo plonger sous la barre des deux pour cent ? Jouissif aussi, le score du pitre écolo qui ne se verra pas rembourser ses frais de campagne ; pas plus que Dame Pécresse d'ailleurs, ce qui est appréciable aussi. Quant à Le Pen à presque vingt-cinq… on imagine que tous les petits Jean Moulin de comptoir et d'estrade doivent être, ce matin, tout frétillants de leur nouvelle mission sacrée.

Tout cela ne devrait pas m'empêcher, en début d'après-midi, de ramasser les merdes charlusiennes puis de tondre le jardin.


Mardi 12

Trois heures. – Dans son Journal inutile, Morand pratique un peu, sur ses futurs et hypothétiques lecteurs de l'an 2000, le régime de la douche froide. Après deux ou trois notations , développées ou non, d'une subtile intelligence, il nous assène, sur le même ton, celui de l'indiscutable évidence, une ânerie violemment ébouriffante. Par exemple celle-ci, prise entre cent autres de même calibre : « Les vraies lesbiennes, les terribles, sont de très bonnes conductrices d'auto. » Et le lecteur de rester muet, se demandant si c'est du lard ou du cochon (expression dont, par ailleurs, je n'ai jamais compris l'origine, si j'en possède le sens).

Du reste, je me demande si, moi aussi, je ne devrais pas parsemer ce journal de fortes sentences du même type :

– Les zoophiles, spécialement ceux portés sur la chèvre angora, réussissent toujours leurs mayonnaises.

– Les renifleurs de petites culottes sont souvent très calés en astronomie.

– On le constate dans n'importe quelle piscine : personne ne réussit mieux le saut de l'ange qu'un onaniste exclusif.

– Etc.


Mercredi 13

Dix heures. – Inimitable pitrerie des écolo-gauchistes qui, depuis trois jours (au moins…) s'écharpent pour savoir s'il vaut mieux voter Macron au second tour afin d'éviter la déferlante nazie, ou bien s'abstenir ou voter blanc parce que “Macron et Le Pen c'est chemise noire et noire chemise”. Tout cela alors que le résultat final est d'ores et déjà avéré. 

Tout autour, chacun y va de son petit cri. « Tout sauf Macron ! », s'égosille celui-ci ; « Faites taire Le Pen ! », s'époumone cet autre en écho. Et moi, au milieu, assourdi mais tranquille, qui n'en ai strictement rien à faire. Effet de l'âge ? Je ne crois pas, en tout cas pas fondamentalement. 

Je me revois en 1974. J'avais 18 ans et souhaitais – ou croyais souhaiter – ardemment la victoire de Mitterrand. Je me souviens de mon accablement, consciencieusement joué, et de bonne foi, au soir du second tour qui vit la victoire de Giscard : le lendemain matin, partant pour le lycée, je n'y pensais déjà plus. J'avais “tourné la page” aussi facilement et naturellement que s'il s'était agi d'un quelconque match de football que “mon” équipe aurait perdu : le coup de sifflet final avait été donné, il était temps de revenir à l'existence véritable, ou à ce qui m'apparaissait tel. Bien sûr, il n'est pas absurde de penser que les années s'entassant ont encore renforcé cette mienne tendance au détachement, pour ne pas dire au je-m'en-foutisme. Mais ce n'est rien de plus que l'accentuation de ce qui était déjà là.

– Demain, journée Desgranges.

– Les cent ou cent cinquante dernières pages du Journal inutile sont plus denses et poignantes que tout ce qui les précède. Ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'elles correspondent au déclin, à l'agonie et à la mort d'Hélène Morand, puis à la (relative) décrépitude physique et morale du survivant, qui ne se préoccupe plus guère que de sa propre mort prochaine… mais aussi, toujours, des petites magouilles d'élections à l'Académie française !

Deux heures. – Reçu au courrier une carte postale d'André et Béa, de Strasbourg, par laquelle ils m'expriment leurs sympathie suite à la mort de ma sœur. André me dit que mon paragraphe de journal, dans lequel je traite Isabelle de “resquilleuse” pour avoir eu l'impertinence de mourir avant ses deux frères aînés, lui a rappelé une inscription gravée sur une tombe d'enfant dans un cimetière d'Irlande. Ce sont quatre vers, que je retranscris ici :

Our family chain is broken

And nothing seems the same

But as God calls us one by one

The chain will link again

– Je remarque une chose dans le journal de Morand, qui m'avait déjà frappé dans celui de Matthieu Galey, ainsi que dans la correspondance Morand/Chardonne : que ces livres sont de gigantesques cimetières à écrivains ; ou même, pour mieux dire, de béantes fosses communes. On y voit constamment apparaître des noms qui ne disent rigoureusement rien, et dont une note de bas de page nous signale qu'il s'agit de romanciers, ayant obtenus tel ou tel prix, ayant publié tant de livres, etc., sans que rien, ni noms ni titres, n'éveille la moindre lueur de souvenir, même quand il s'agit de gens qui furent à peine mes aînés, qui ont publié alors que j'étais déjà, comme lecteur, “en activité”.  S'il n'y en avait que deux ou trois pour être ainsi passé à la trappe, je pourrais mettre  cela sur le compte d'une distraction, d'une inattention, d'un défaut de curiosité de ma part ; mais ils se comptent par dizaines, ces complets inconnus, qui ont pourtant écrit, publié, été fêtés un temps…

Six heures. – Si l'on arpente à grandes enjambées rapides la vie de Paul Morand – ce qu'il fait lui-même régulièrement dans son Journal inutile –, on est amené à faire des sauts qui, s'ils restent modestes dans l'espace, deviennent prodigieux dans le temps. Ainsi, aller de la place Vendôme au rond-point des Champs-Élysées est tout sauf un exploit ; mais si on le fait derrière Morand, on passe d'un dîner au Ritz avec Marcel Proust à l'avant-première des Dents de la mer de Spielberg. Ce qui donne l'impression étrange, presque biblique, que cet homme a en réalité vécu deux ou trois siècles.

– Le touite d'un certain Julien Morgan : « Non-négociable : au 2ème tour, abstenez-vous, ou bien votez blanc, ou bien votez Macron, et on pourra toujours discuter. Mettez un bulletin MLP dans l'urne, et ne venez plus jamais me parler. Je suis très sérieux. »

Mais qui donc aurait envie d'aller discuter avec ce jeune binoclard à tête de puceau mal branlé ? Qui croit tellement peu à ce qu'il raconte qu'il se sent obligé à cette précision hautement comique : je suis très sérieux.


Jeudi 14

Neuf heures. – Ayant tué Paul Morand hier en toute fin d'après-midi, j'ai ressorti du rayon Pléiade deux volumes de Flaubert : le premier des œuvres proprement dites et le second de la correspondance, qui est celui des années 1851 – 1857, soit la période où il écrit et publie Madame Bovary, roman dont je viens de lire les trois premiers chapitres. La suite à demain puisque, dans un peu plus d'une heure, je prendrai la route en direction de l'Orne desgrangienne. Bizarrement, il n'y a pas, dehors, la moindre trace de brouillard ni de pluie, ce qui est pourtant de règle les matins où je dois prendre la route. Ce doit être encore un coup du réchauffement climatique.

Six heures et demie. – Bien rentré, à l'instant.


Vendredi 15

Onze heures. – Appris hier par Michel (qui a eu l'air fort surpris que je l'ignorasse encore…) que Gallimard s'apprêtait à mettre sur le marché un roman inédit de Céline, intitulé Guerre, et écrit par lui entre le Voyage et Mort à Crédit, donc dans les années 1934 ou 35 ; roman auquel l'auteur lui-même fait plusieurs allusions dans ses lettres de diverses époques. Bref, je viens d'en passer commande (par l'intermédiaire de Nathalie, la sœur cadette de Catherine, puisque je n'ai plus de compte chez l'Amazone…).

– Pendant ce temps, les blogueurs de gauche (et sans doute les non blogueurs itou) s'interrogent à perte de vue pour savoir s'ils vont voter Macron pour faire barrage à Le Pen, ou bien voter Le Pen pour faire barrage à Macron, ou bien ne pas voter pour ne faire barrage à personne… ou aux deux en même temps. Il leur reste huit jours pour se croire importants et “décisionnaires”, ils ont bien raison d'en profiter et d'en jouir.

Quatre heures. – Depuis ce matin, Dieu seul sait pourquoi (et encore…), me tourne dans la tête cette chanson de Nino Ferrer qui s'appelait, si ma mémoire est bonne, Mao et moa. Et cela doit bien faire la trentième fois que je me la fredonne mentalement, toujours le même couplet, tel un enfant idiot :

Lorsque je dîne avec Thérèse

Je prends des œufs durs maonnaise

Thérèse un gelatti maotta

Le chat prend du maou pour les chats.

Ça va rapidement devenir préoccupant…

– Sur le site de Causeur, Jérôme Leroy  conclut son éditorial du jour ainsi : « Et c'est tant mieux comme ça. » Moi y en a être écrivain français, n'est-il pas ?


Samedi 16

Dix heures. – Il est plaisant de voir Flaubert râler, pester, tonner contre ce qu'il appelle le bourgeoisisme, alors que lui-même a l'existence d'un petit rentier parfaitement bourgeois, et qu'il semble finalement s'en accommoder fort bien.

Six heures. – Dans l'asile cingalo-touitteresque où je traîne parfois mes savates, je tombe sur un pensionnaire qui est, je cite sa fiche d'admission, “doctorant en philosophie du féminisme et de la bio”. J'aimerais bien lire sa thèse, un jour (si thèse il finit par y avoir) : ça doit “envoyer du bois” comme je crois qu'on dit.


Dimanche 17

Midi. – Ce qui est curieux, dans les lettres de Flaubert à sa maîtresse, est qu'on a constamment l'impression d'un homme ayant déjà bien vécu, presque mûr, s'adressant à une jeune femme  pas tout à fait sortie de la gangue de son adolescence. Or, en 1852, Gustave vient tout juste d'aborder la trentaine, alors que Louise a plus de quarante ans…

[Ajout du lendemain matin : Flaubert lui-même est venu bientôt confirmer ce que je venais d'écrire. Dans une lettre adressée à son ami Bouilhet, en décembre 1853, il se plaint de cette liaison qui lui est de plus en plus pesante. Et, à propos de Louise Colet, il écrit : « Elle a vingt ans sous le rapport du sentiment et j'en ai soixante. » ]

– Tout à l'heure, après être allé faire un tour sur tel blog, puis sur tel autre, et encore sur un troisième, tous hors de ma propre “blogoliste”, m'a sauté à l'esprit une question aussi simple qu'abrupte : « Mais pourquoi continuer à aller lire tous ces cons ? » À part d'invoquer la toute-puissante habitude, je n'ai pas encore trouvé de réponse pleinement satisfaisante.

– Chacun connaît l'affirmation fameuse de M. Prudhomme : Le char de l'État navigue sur un volcan. Or, ce matin, je l'ai retrouvée chez Flaubert, mais atténuée. Elle est prononcée dans son pompeux discours par le conseiller du préfet, lors des fameux comices agricoles de Yonville-L'Abbaye. Le conseiller parle du roi (le roman se déroule sous Louis-Philippe), dont il dit qu'il “dirige à la fois d'une main si ferme et si sage le char de l'État parmi les périls incessants d'une mer orageuse”.

La question était donc : qui, de Henry Monnier ou de Gustave Flaubert, a copié sur l'autre ? La comédie du premier étant de 1852, c'est donc bien le second qui s'est approprié l'image, puisque le chapitre des comices a dû être écrit à la fin de 1853 ou dans le courant de l'année suivante – à vérifier dans sa correspondance avec la Colet.

Tout cela étant bien sûr dénué de la moindre importance. Et je me demande ce que je fous à me soucier de bêtise pareilles, alors que je devrais être occupé, quasiment 24 heures par jour, à ériger mon petit barrage personnel contre l'extrême droite. Ou, au moins, le fascisme étant à nos portes, bien fermer la mienne, voire disposer à son pied un bourrelet de caoutchouc mousse, des fois que le fascisme aurait dans l'idée de se glisser en dessous tel un vulgaire et anodin vent coulis.


Lundi 18

Dix heures. – Terminé Madame Bovary il y a quelques minutes. Je continue à trouver que c'est une bonne idée, de pénétrer chez un écrivain à la fois par la cour et par le jardin, c'est-à-dire par sa correspondance et par son œuvre proprement dite, alternativement. La difficulté est de les faire avancer du même pas.

Quand je fréquentais Balzac, j'avais à peine le temps de lire cinquante pages d'un de ses romans que, déjà, dans ses lettres à Mme Hanska, il en était déjà à parler de l'écriture du ou des suivants. Et je m'essoufflais à tenter de le rattraper. 

Avec Flaubert, c'est le problème inverse : il est si besogneux, si lent au travail, qu'il lui faut trois ou quatre semaines pour écrire les dix pages qui, moi, me prennent moins d'une demi-heure pour être lues. Or, pendant ce temps, les lettres aux uns et aux autres s'accumulent. En ce moment, par exemple, il n'en est encore qu'au milieu de la troisième partie de sa Bovary, quand je piaffe déjà au seuil de Salammbô, le roman immédiatement suivant : C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar…  

Eh bien, ce n'est pas encore aujourd'hui que j'ai la moindre chance d'y pénétrer, moi, dans ces fucking jardins, Gustave s'attardant comme à plaisir entre Yonville et Rouen ! Je n'ai trouvé qu'une solution : avaler à grands traits les lettres à Louis Bouilhet (on vient de rompre avec la Colet, l'ami est donc redevenu l'interlocuteur privilégié…) qui me séparent de l'an 1857, moment du départ pour Carthage.

Du reste, je ne suis pas du tout certain de mener Salammbô jusqu'à son terme, conservant de la lecture de ce roman “peplum” un souvenir si éprouvant que j'y retourne un peu à reculons, ou avec la crispation de tout le corps que l'on a en trempant ses orteils dans une eau trop froide pour le bain. Consolation : jamais sa lecture ne pourra m'être aussi pénible que l'écriture n'en a été pour Gustave.


Mardi 19

Six heures. – Journée parfaite dans sa simplicité et son évidence : d'abord Flaubert ; puis tontine pour se distraire de Flaubert ; enfin Flaubert afin de se remettre de la tontine.

À propos de Gustave, j'ai rompu avec sa Salammbô entre le quatrième chapitre et le suivant : décidément, le Flaubert “peplum” n'est pas pour moi. Je puis certes admirer en beaucoup d'endroits, m'ébahir du “tour de force” ; mais, après quelques dizaines de pages d'admiration et d'ébahissement, arrive toujours la question qui fout tout par terre : pourquoi ? Pourquoi me raconte-t-il ça plutôt qu'autre chose ? À quoi ça rime ? Et comme je ne la trouve pas, cette fichue rime, j'abandonne.

Je vais donc aborder (ou raborder, si je puis me permettre) L'Éducation sentimentale. Quand ? Je ne sais trop, à vrai dire : comme, d'après ses lettres aux uns et aux autres, il n'a pas encore commencé à l'écrire, je ne me sens pas autorisé à prendre de l'avance sur lui, ce serait fort discourtois. Pour l'instant – automne 1863 – il hésite encore entre ce roman et Bouvard et Pécuchet. J'en suis donc à l'attendre patiemment sur la ligne de départ…


Mercredi 20

Onze heures. – Élodie Jauneau a publié hier un billet relatant le week-end qu'elle venait de passer à Marseille, chez un autre blogueur, lequel, dans la blogoliste de Nicolas, est en compétition sévère pour remporter le titre d'empereur des niais, tendance ravi-de-la-crèche (ils sont deux prétendants au titre, la course est très serrée…). Bref, j'ai laissé un petit commentaire parfaitement anodin, comme j'ai l'habitude chez elle ; et, pour la titiller un peu, j'ai qualifié Marseille de “ville arabe du littoral méditerranéen” ; ce qui, comme prévu, m'a valu de me faire traité de raciste, non seulement par la miss mais aussi par le ravi de la crèche, survenu en renfort, lequel me trouve non seulement raciste mais, en plus, “décomplexé” : la niaiserie, on le voit, fait bon ménage avec les clichés. Le piquant de l'affaire est que, dans le corps de son billet, Élodie introduit le paragraphe suivant :

« Ensuite, on est rentrés avec Lolo en faisant une escale dans une boutique pour que je m’achète deux brassières. C’est un détail mais je vais t’expliquer pourquoi : comme j’en ai ras-le-bol que les gens ne me regardent pas dans les yeux ou me traitent de sale pute parce que j’aimerais pouvoir vivre sans soutif, j’ai cédé au diktat de la tranquillité dans la rue… »

Bien sûr, je ne m'attendais pas à ce qu'elle précise qui pouvait bien la traiter de “sale pute” lorsqu'elle se promenait dans les rue phocéennes sans soutien-gorge. Je suppose que le simple fait d'imaginer qu'il pourrait s'agir d'une certaine population plutôt que de l'ensemble des Marseillais suffirait à me faire traiter de raciste au carré, voire au cube. Et de moins en moins complexé de surcroit.

Il n'empêche : je persiste à trouver étrange qu'elle ait éprouvé le besoin d'insérer ce paragraphe-là dans un billet à tonalité fortement bisounoursoïde… L'inconscient qui parle, vous croyez ? Mauvais esprits, va !

Six heures. – On aurait grand tort de ne pas lire L'Éducation sentimentale : on y apprend des tas de choses curieuses ; par exemple le fait que, vers 1840, le pont de Charenton était en bois. On m'objectera qu'on n'en a rien à faire ? C'est possible, oui. Mais enfin, à quelque temps d'ici, deux malfaisants pitres vont faire mine de s'écharper durant deux heures, en direct à la télévision, et cela n'aura pas plus d'intérêt. Pourtant, les citoyens responsables, les électeurs conscients vont être plusieurs millions à suivre la joute, c'est-à-dire à regarder voler invectives et anathèmes, comme au tennis la balle d'un côté du filet à l'autre, et sans y comprendre grand-chose.  À tout prendre, je préfère encore mon pont de bois (mon côté Yves Duteil, sans doute…).


Jeudi 21

Dix heures. – Soirée fort étrange, hier, et légèrement surréaliste. Catherine et moi avions décidé de ne point nous soucier du débat pré-électoral. Décision purement théorique, du reste, puisqu'il y a déjà longtemps que nous ne recevons plus la moindre chaîne de télévision. Disons que, si nous avions eu la possibilité technique de le suivre, nous aurions tout de même boudé le barnum.

Donc, sagement, nous nous calâmes devant l'écran plat, pour y suivre la suite de la septième saison d'À la Maison blanche. Cette saison, qui se trouve être la dernière,  est presque entièrement consacrée à la succession de l'actuel président américain, joué par Martin Sheen. Et l'on assiste à la double campagne et aux luttes que se livrent les deux candidats à cette succession, le gentil démocrate et le méchant républicain (c'est une série “de gauche”, évidemment…). C'est ainsi que, lors du dernier épisodes regardé hier, nous nous sommes retrouvés, un peu ébahis, face à un débat électoral d'une quarantaine de minutes, entre deux candidats fictifs, américains de surcroît,  c'est-à-dire à la reproduction scénarisée – et heureusement plus brève – de ce à quoi nous avions fermement décidé d'échapper. Ce qui nous a bien amusés. Reste à savoir si le débat français qui, au même moment, se déroulait en direct, était plus important, plus vrai : rien n'est moins assuré.


Vendredi 22

Dix heures. – Dans le chapitre de ses Demeures de l'esprit qu'il consacre à la maison de George Sand, Renaud Camus ouvre son texte sur la première visite qu'il fit à Nohant, vers treize ou quatorze ans, c'est-à-dire en 1959 ou 1960 – avant 1961 en tout état de cause. La visite en était alors conduite par une dame largement nonagénaire, qui n'était autre qu'Aurore, la petite-fille de l'écrivain, que je ne cesse de voir passer, âgée d'environ un an, dans les lettres qu'elle échange avec Flaubert aux environs de 1867. Et Camus s'émerveille de ce qu'il a pu connaître une personne qui avait, dans sa jeunesse, pu parler avec Flaubert, que celui-ci avait serrée dans ses bras en pleurant, lorsqu'il était arrivé à Nohant juste après la mort de George Sand, en 1876. C'est un émerveillement, tenant du vertige temporel, que je comprends fort bien, ayant plusieurs fois eu l'occasion de l'éprouver moi-même.

(Si j'ai dit que cette visite camusienne avait eu lieu “avant 1961 en tout état de cause”, c'est parce qu'Aurore Sand est morte cette année-là, à l'âge de 95 ans. Camus était arrivé juste à temps…)

Trois heures. – Terminé il y a dix minutes L'Éducation sentimentale. Quitte à faire ricaner de moi les mânes de Jean-François Revel, ce vieux persifleur, je persiste à penser que ce roman est un chef-d'œuvre, au moins égal à Madame Bovary.

Six heures. – Parmi les épris de littérature, il y a ceux qui aiment les correspondances d'écrivains et ceux qui préfèrent leurs journaux (il y a aussi ceux qui n'aiment ni l'un ni l'autre ; mais, pour aujourd'hui, on s'en fout). Les premiers vous diront que les lettres qu'ils écrivent sont forcément plus spontanées, plus vivantes, plus “instantanées” que leurs journaux, lesquels sont très souvent écrits en gardant un œil oblique en direction de la si ardemment désirée postérité (voir Gide, par exemple).

Ils n'ont pas tort, évidemment. Mais il faut aussi souligner, par souci d'équité, une grave faiblesse de la correspondance par rapport au journal. Dans les années 1860 – 1875, Flaubert et George Sand s'écrivent régulièrement, et leurs nombreuses lettres se répondant sont parmi les plus intéressantes et les plus riches de cette Correspondance de Gustave. À d'assez nombreuses reprises, aussi, ils se rencontrent ; à Croisset, à Nohant, à Paris. Chaque fois, ils se réjouissent à la perspective des bonnes et longues discussions vespérales qu'ils vont avoir ensemble, et au retour ils se félicitent des heures si fécondes qu'ils ont eues. Pour le lecteur, il en reste… rien ! Quoi de plus normal puisque, étant ensemble dans la même maison, ils ne s'écrivent plus. Alors que, si au moins l'un des deux avait tenu un journal, on saurait exactement ce qu'ils ont fait au jour le jour et de quoi ils ont parlé.

Bref, je suis frustré, et c'est la double faute à George et à Gustave.


Samedi 23

Midi et demie. – Lu ce matin les deux premiers des Trois Contes de l'oncle Gustave : Un cœur simple et La Légende de saint Julien l'Hospitalier. Je comptais en rester là et zapper le troisième, quand voilà-t-y pas que je tombe sur un extrait d'une lettre de Taine à Flaubert, dans lequel il affirme que, pour lui, Hérodias est le sommet indiscutable du livre. Diable ! Sans forcément tenir Taine pour un infaillible oracle, voilà qui méritait tout de même une nouvelle lecture du mal aimé (par moi) des trois contes…

Quatre heures. – Terminé Hérodias à l'instant : n'en déplaise à Hippolyte, je persiste à trouver ce conte le plus ennuyeux des trois (mauvaise formulation, puisque les deux autres ne le sont pas du tout). Ce qui ne m'empêchera sans doute pas, un de ces jours, de relire ses Origines de la France contemporaine ; au moins la première partie, en tout cas.

En attendant, ayant terminé mon cycle flaubertien, cela ne me dit pas ce que je vais lire à présent – dans le genre romanesque veux-je dire. Pourquoi la vie est-elle constamment si difficile ?

– Ce qui ne l'est pas, difficile, c'est de savoir ce que je ferai demain : je ne bougerai pas de chez moi, ne tenant pas à aller fournir un surcroît de travail aux assesseurs de l'unique bureau de vote du Plessis-Hébert. De toute façon, malgré le suspense artificiel et les craintes surjouées de ceux-ci et de ceux-là, tout le monde connaît déjà déjà le résultat final du barnum. Résultat que je regrette un peu, d'ailleurs : ce n'est pas que je nourrisse une estime particulièrement intense pour Mme Le Pen, mais enfin, la voir bombardée à l'Élysée aurait sans à coup sûr rendu la suite nettement plus divertissante. On ne sait plus s'amuser, dans c'pays…

Six heures. – Parce que mes yeux s'étaient posés sur eux, j'ai tiré du rayonnage concerné le premier des trois volumes “libretto” contenant les œuvres de Panaït Istrati, écrivain français (de nationalité roumaine, comme tout le monde) partiellement lu il y a quelques années. Par association d'idées, je viens de (re)commander le Danube de Claudio Magris, mystérieusement disparu de cette bibliothèque sévèrement maraboutée. J'ai aussi commandé le délicieux film japonais Tampopo, vu et aimé il y a déjà quelques années, à l'époque où nous regardions la télévision.


Dimanche 24

Dix heures. – C'est dès hier que nous avons vécu notre journée et notre soirée électorales ; mais c'était durant les quatre épisodes d'À la Maison blanche que nous avons regardés. Et la différence avec le “direct” d'aujourd'hui, c'est qu'il y avait un certain suspense, et même un suspense certain (sauf pour nous puisque nous avions déjà vu la série…). Je puis rassurer tout le monde : c'est le gentil candidat démocrate qui a finalement raflé la mise (en empochant in extremis les voix des grands électeurs du Nevada…) et le méchant républicain fascisant s'est retrouvé gros jean comme devant. Un peu comme chez nous, quoi.

Midi. – Je découvre avec une stupéfaction navrée que le terrible réchauffement climatique, qui va tous nous tuer prochainement, est en fait bien plus ancien que ce qu'un vain peuple pense. Ainsi, le 20 mai 1870, de Nohant, George Sand écrit-elle ce qui suit à Flaubert : « Tu dois être à Croisset. S'il y fait aussi chaud qu'ici, tu dois souffrir. Nous avons 34 degrés à l'ombre, et la nuit 24. » Le plus terrifiant est peut-être l'inexistence conjointe de la radio et de la télévision : comment, alors, faisaient les ministres pour avertir les populations stupides et suicidaires qu'il leur fallait s'hydrater régulièrement ? On en frémit rétrospectivement.

Six heures. – Il y a quelque chose des Mille et une nuits dans les cycles romanesques de Panaït Istrati : le récit dans le récit dans le récit… Si bien que, après quelques dizaines de pages, peut-être une centaine, le lecteur ne sait plus très bien où, quand et avec qui il se trouve. Il est plus ou moins perdu et, ce qui est un peu étrange, très content de l'être, sans la moindre envie de “se retrouver”.

– Titre d'une vidéo  proposée sur Toitube : « La jutosité de ces côtes de bœuf est tout simplement indescriptible !… » Trois questions qui me viennent :

1) Pourquoi la jutosité plutôt que la jussitude ou la jutarderie ?

2) Comment une seule et même chose peut-elle être indescriptible et l'être simplement ?

3) Que cherchent à nous dire des points de suspension placés juste derrière un point d'exclamation ?

Je sens que, sans même l'avoir regardée, cette vidéo va me faire la soirée…


Lundi 25

Onze heures. – Matinée pénible. Nous étions, Catherine et moi, affiliés depuis des années à la mutuelle santé Machin. J'ai été averti par mail, il y a déjà quelque temps, que nous dépendrions désormais de la mutuelle Trucmuche, mais que cela ne changerait rien. Sauf que je n'ai jamais reçu le courrier qui devait m'être envoyé – et que je devais retourner rempli –, si bien que, ce matin, Catherine s'est avisée que, pour la Sécurité sociale, nous étions désormais sans mutuelle du tout. Et, depuis, c'est un échange nourri de coups de téléphone et de himmels avec la mutuelle Trucmuche, laquelle a bien un dossier à mon nom, mais où Catherine ne figure pas, et où on s'étonne grandement de ma non-réception de leur courrier, lequel, en principe, va m'être incessamment renvoyé afin que nos deux situations soient régularisées.

Ce genre de contrariétés me laissent assez “zen”, mais elles plongent désormais Catherine dans des affres que je n'hésiterais pas à qualifier de disproportionnées. Elle-même s'en agace, mais sans y pouvoir grand-chose.

(Pour être franc avec ce journal, je dois dire qu'il n'est pas tout à fait impossible que le maudit courrier manquant soit effectivement arrivé ici… et parti directement dans la poubelle jaune après avoir été, un peu légèrement, pris pour une vulgaire publicité…)

Avec tout ça, c'est seulement maintenant que je m'avise de ce que, hier soir, un nouveau président a été élu. Je m'en vais donc aller vérifier que mes prévisions étaient exactes… ce dont je ne doute nullement. Même si, encore une fois, j'aurais préféré une victoire de Mme Le Pen, eu égard aux joyeusetés qui s'en seraient automatiquement suivi. Mais bon : on ne peut pas passer toute sa vie à rigoler non plus.

Heureusement, il y a d'ores et déjà des lots de consolation. Par exemple, ces blogueurs (et autres, je suppose) qui se sont mis à trompéter, dès hier soir huit heures une, que Macron était le président “le plus mal élu depuis Pompidou en 1969” et qu'on allait voir ce qu'on allait voir, qu'il avait intérêt à filer doux, etc. De la pure connerie, évidemment. Ou, si on veut vraiment être indulgent, de l'auto-intoxication. 


Mardi 26

Onze heures. – J'apprends à l'instant – grâce à l'inénarrable Cingal, qui ne s'en tient plus de bonheur –, avec un ravissement proche de l'extase, que c'est aujourd'hui la “Journée de visibilité lesbienne”. C'est dans ces moments-là qu'on regrette de ne pas habiter une grande ville : le spectacle des rues lesbianisées va sûrement valoir le coup d'œil.


Mercredi 27

Dix heures. – Ce matin, au réveil, ma première pensée a été pour toutes ces malheureuses gouines, redevenues, depuis minuit, invisibles pour les 364 jours à venir, tels des carrosses réencitrouillés. Et même pas moyen de compter sur un éventuel prince charmant.

– Il est fort heureux que la correspondance Miller – Durrell ne m'ait coûté qu'une petite poignée d'euros, car elle ne vaut pas grand-chose, me semble-t-il. Si on enlève les brassées de fleurs qu'ils s'envoient mutuellement et les interminables exposés de stratégie littéraire, il ne reste à peu près rien. Je sens que le couvercle de la poubelle jaune n'est pas loin de s'entrouvrir…

 

Jeudi 28

Onze heures. – Aujourd'hui, après-midi de merde, puisque rendez-vous à deux heures chez notre dentiste d'Évreux, pour les travaux préparatoires à la pose d'une couronne : j'en ai bien pour trois quarts d'heure à rester allongé sur le fauteuil, bouche béante et mâchoires crispées.

J'irai à ce rendez-vous avec le Danube de Claudio Magris (livre que j'eus mais n'avais plus, comme souvent), arrivé il y a quelques minutes par voie postale. Une lecture tout à fait “raccord” avec les livres de Panaït Istrati lus ces derniers jours… et abandonnés au profit de Blaise Cendrars, lequel fut ami avec le Roumain précité. Comme dirait l'autre : tout se tient…

Quatre heures. – L'information comico-pitoyable du jour : « Les députés canadiens condamnent le “génocide” contre le peuple ukrainien. » Alors, là, le gars Poutine doit trembloter de frousse sous sa chapka ! Une venette biblique, qu'il doit se taper, le Dracula de la taïga ! Et puis, qu'est-ce que c'est que ce génocide-entre-guillemets ? C'est-y un génocide ou c'en est-y pas un ? Et les députés canadiens, ils condamnent entre guillemets ou bien s'ils condamnent tout court ? Faudrait quand même savoir…

– Sinon, la visite au bon docteur Louis-Joseph s'est fort bien passée, même si un peu longue à mon goût. Mais on n'a sans doute jamais vu un patient quitter le fauteuil bucco-dentaire en se plaignant que la séance fût trop courte.


Samedi 30

Dix heures. – Rien de particulier à dire, mais il faut bien marquer le dernier jour du mois, non ? Je pourrais tout de même raconter comment Catherine m'a obligé à passer une heure au téléphone avec le centre d'appel de ma banque, sous prétexte – d'après elle – que notre compte avait subi une tentative de piratage (je voudrais voir la gueule de pignouf du “pirate” qui s'amuserait à arraisonner un compte bancaire aussi vide que le nôtre…) et que, de ce fait, notre mot de passe avait été révoqué. Au moment où, enfin, le troisième conseiller que j'avais réussi à avoir au bout du fil parvenait à dérévoquer le fucking mot de passe, la même Catherine entrait dans la Case, un brin penaude, pour me dire que, en fin de compte, c'était elle qui s'était trompée de mot de passe ce matin…

Rendez-nous le monde d'avant Ternette, bordel à clavier !

– En plus de ces démêlés internético-bancaires, il semble que Joséphine, notre poule noire, ne soit pas ce matin au mieux de sa forme : d'ici à ce que je sois contraint de rendosser mon costume de bourreau gallinacéen, la distance ne doit déjà plus se mesurer en kilomètres…

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