vendredi 1 octobre 2021

Septembre 2021

 

 

 

 

 

 

 Y A PAS MÈCHE

 

 

 

 

 

Mercredi 1er

Dix heures. – Me voici semi-vacciné depuis exactement une heure : je me sens euphorique comme un futur drogué ayant pris sa première dose. Catherine m'avait dit : « Tu verras, c'est très bien organisé. » J'avoue que je ne la croyais qu'à moitié… Eh bien, elle avait raison, et il me faut rendre un vibrant hommage à ces gens de Saint-André-de-l'Eure qui, les malheureux, doivent vacciner des troupeaux entiers de muselés, du matin au soir. Cela dit, j'ai eu de la chance d'arriver très en avance – presque une demi-heure  : j'étais le second à attendre l'ouverture des portes à neuf heures, mais il y avait déjà entre vingt et trente personnes qui faisaient le poireau dans mon dos, lorsque les opérations ont commencé. Si je ne suis pas mort d'ici là, je compte m'octroyer la même avance pour la seconde dose du 23 septembre : à tant faire que d'attendre, je préfère que ce soit dehors et au calme, plutôt que sur une chaise en plastique dans une salle sinistre.

– Je lisais, hier soir, le chapitre que, dans ses mémoires, Marmontel consacre au salon de Mme Geoffrin, dont il fut l'un des habitués. À tout seigneur, tout honneur, il commence par un assez long portrait de l'hôtesse elle-même. À mesure que je lisais, me venait un étrange sentiment de familiarité, comme si j'avais déjà lu, non ce texte même, mais un autre lui ressemblant, écrit par quelqu'un d'autre et portant sur le même modèle. Et, soudain, je compris : avec évidemment bien des différences, Mme Geoffrin était  une sorte de “copie anticipative” de Mme Verdurin, et ses habitués formaient le fameux “petit clan”. Il advint même que, par un genre de contagion, ou de capillarité, d'Alembert se mit soudain à prendre des allures de docteur Cottard. Il reste que Marmontel n'était pas Proust, ni même sans doute un demi-Proust, et que sa peinture est nettement moins acide que celle de son successeur es lettres.


Jeudi 2

Deux heures. – Reçu au courrier une biographie de Marie de Régnier – née Heredia –, tombée de la plume d'un certain M. Robert Fleury. Ce n'est pas que je me sois jamais beaucoup intéressé à la belle Marie, et même à peu près pas du tout. Mais je savais bien que, dans ce livre, j'allais voir resurgir le tout-Paris littéraire de cette époque que j'aime entre toutes, les années 1880 – 1914, avec son étonnante floraison d'écrivains que j'ai pratiquement tous fréquentés, défréquentés et refréquentés ces quarante dernières années. Et, de fait, les soixante premières pages lues, je ne suis pas déçu de ce point de vue : l'impression, un peu étrange tout de même, de me retrouver chez moi ; ou plutôt en famille.

– Catherine et Adrien sont partis pour Chartres en milieu de matinée. Ce qui ne m'empêche pas d'être consigné ici, dans la Case, la femme de ménage étant venue à son heure prendre autoritairement possession de la maison.

– Le truc que l'on m'a injecté hier n'a produit chez moi, pour l'instant, aucun effet fâcheux, si ce n'est une petite zone légèrement sensible autour du point d'impact. C'est encore heureux : déjà que ce vaccin semble ne servir à peu près à rien, il ferait beau voir qu'en plus il fît du mal.


Vendredi 3

Deux heures et demie. – En revenant de Vernon, où j'ai déposé Adrien à la gare, je suis passé au garage Ford pour récupérer les deux biographies qui m'attendaient là, l'une de Louise Brooks, l'autre de Mme de Maintenon. Rentrant ici, j'avais, à propos du second livre, l'impression d'entendre Michel Desgranges grommeler que je ferais bien mieux de lire la correspondance de la Maintenon en question plutôt qu'une quelconque biographie moderne ; en quoi il aurait sûrement raison. Mais j'aime bien les biographies…


Samedi 4

Dix heures. – L'information cocasse de ce jour – et pour une fois, elle m'est fournie par un titre du Monde, torche-fondement que je fréquente le moins possible, c'est-à-dire à peu près jamais, sauf si, comme c'est le cas ce matin, on me met le nez dedans. Donc voici : 

« Des personnes noires confondues avec des singes par un algorithme de Facebook. » 

Si même les algorithmes basculent dans l'extrême droite la plus méphitique, c'est pour le coup que nous sommes foutus. On notera au passage qu'au journal de déférence, on n'ose même plus parler simplement des noirs, ou des noires. Mais se rendent-ils compte qu'en se croyant obligés de préciser qu'il s'agit de “personnes”, ils sous-entendent insidieusement qu'on pourrait s'imaginer qu'ils n'en fussent point ? Sont pas nets, au Monde, pas nets du tout…

– Une autre nouvelle, qui fait rire un peu jaune, celle-là : la banque Nomura (japonaise) interdit désormais à ses salariés de fumer durant leurs heures de bureau… y compris à ceux qui pratiquent le télétravail à leur domicile.


Dimanche 5

Dix heures. – Dans son excellent et volumineux livre consacré à Louise Brooks, Barry Paris fait une remarque qui, à la première lecture semble très étrange, et qui, dès qu'on y réfléchit un peu, devient tout à fait logique. Parlant des bouleversements entraînés par l'apparition du cinéma parlant – et par la rapidité avec laquelle il a conquis une hégémonie absolue sur le muet –, il dit que, au début, les spectateurs ressentaient comme une incongruité, une bizarrerie presque choquante, le fait que les  voix des personnages leur parvenaient toujours avec la même intensité, qu'ils soient présents à l'écran en gros plan, c'est-à-dire “près” d'eux, ou en plan général, c'est-à-dire nettement plus “loin”. Cela leur semblait en contradiction radicale avec la réalité.  De fait, ça l'est ; mais nous sommes tellement habitués à cette “bizarrerie” que, personnellement, elle ne m'avait jamais effleuré l'esprit, en tout cas pas en tant que bizarrerie. Mais on comprend fort bien que les premiers spectateurs des films parlants en aient été frappés. Les choses vont même désormais plus loin, en ce domaine : plus personne n'est choqué d'entendre le dialogue de deux personnages se trouvant dans leur salon, alors que la caméra en est encore à filmer la plage ou le stade de football où se déroulait la scène immédiatement précédente. Ce qui est pourtant “dans la vie” une radicale impossibilité.

Six heures. – J'écoute en ce moment un long entretien donné par Montherlant à France-Culture en 1952. Je suis surpris que l'écrivain prononce le mot “août” a-ou-te. En revanche, je ne suis pas du tout surpris de l'entendre s'exprimer en un français, certes un peu solennel à nos oreilles modernes, mais néanmoins d'une grande beauté et d'une correction parfaite. Je l'ai déjà été un peu plus, surpris, d'entendre son interlocuteur, Pierre Siriot (qui apparemment, fut son éditeur dans la Pléiade), manier l'imparfait du subjonctif avec autant d'aisance et de naturel que s'il était tombé dedans étant enfant : ce qui fut probablement son cas.


Lundi 6

Dix heures. – Me suis mis, hier en fin d'après-midi, à relire Le Choc des civilisations de Huntington. Pourquoi une envie aussi subite que saugrenue ? Encore plus saugrenuement, l'envie m'en a été donnée par la biographie de Louise Brooks ; mais j'ai déjà oublié par quels méandres. Cela dit, malgré ses vingt-cinq ans de cave, c'est, me semble-t-il, un livre qui a beaucoup de choses à nous apprendre – en tout cas à moi, qui ne sais à peu près rien.

Et, pendant ce temps que je joue au géopoliticien chevronné, Mmes de Maintenon et de Lenclos font, si je puis dire, le pied de grue sur la table du salon…

(Et, juste après avoir écrit les lignes qu'on vient de lire, je découvre sur le site de Causeur un article intitulé : « Samuel Huntington, reviens ! » Inutile qu'il revienne, messieurs : il est déjà là !)

(Du coup, je me demande s'il ne s'est pas produit un effroyable pataquès dans ma misérable cervelle, si ce ne serait pas plutôt cet article, découvert hier et aussitôt oublié, qui m'aurait incité à la relecture du Choc, plutôt que cette pauvre Brooksie qui semble ne vraiment avoir rien de commun avec le digne professeur de Harvard. Bref, rien ne s'arrange.)

– Vu la facilité avec laquelle on nous a tous (presque tous…) persuadés que se promener avec une muselière empêchait les méchants microbes d'entrer en nous, on devrait essayer de répandre le bruit selon lequel se balader le cul à l'air faciliterait l'expulsion des susdits. J'en connais qui, dès demain matin, descendraient chercher le pain et les croissants avec le pantalon sur les chevilles.

Six heures. – J'ai traversé la vie sans me mouiller, en sautant de livre en livre.

– Juan Carlos Onetti a dit que si on mettait À la recherche du temps perdu dans un plateau de balance et toute la littérature latino-américaine dans l'autre, le fléau pencherait encore du côté de Proust.

– Belmondo est mort : Delon vainqueur aux points.


Mardi 7

Dix heures. – Titre d'un article du très pénible Thomas Moralès, sur le site de Causeur : « On a tous quelque chose de Belmondo. » J'espère fermement que non.

– Après avoir passé tout l'après-midi d'hier en compagnie de Ramon Chao et de Juan Carlos Onetti, le premier ayant consacré un livre au second, je suis revenu ce matin au Choc de Huntington, panaché avec la biographie de Françoise d'Aubigné, dont je pressens qu'elle ne devrait plus tarder à devenir Mme Scarron… et plus si affinités.

Deux heures. –Tout le monde savait déjà que le bien oublié Gilles Ménage avait été méchamment portraituré par Molière, qui en avait fait le Vadius de ses Femmes savantes. En revanche, j'ignorais la plaisante remarque faite par la reine Christine de Suède, à propos de ce passionné de langue française, d'étymologie et de dictionnaires : « Non seulement Monsieur Ménage veut savoir d'où vient un mot, mais il veut aussi savoir où il va. »


Mercredi 8

Dix heures. – Au départ, il y eut les asiles de vieillards. Ça disait fort bien ce que ça voulait dire : qu'il s'agissait d'une sorte de refuge (les deux mots sont à peu près synonymes) où l'on recueillait les personnes trop âgées pour continuer à se suffire à elles-mêmes – ou dont leurs enfants, plus “modernes”, voulaient se débarrasser, vu qu'ils faisaient des saletés partout, pire que le chien. 

Un jour,on a recrépi l'asile de neuf, on a mis des rideaux aux fenêtres et disposé des pots de géraniums un peu partout. Cela méritait bien un second baptême : ainsi sont nées les maisons de retraite. Elles disaient déjà moins bien, car ce n'est nullement le fait d'être en retraite qui conduit les vieux (les personnes en situation de grand âge…) en ces endroits, mais bien le fait qu'ils perdent le contrôle de leur propre existence.

Un autre jour encore, un crâne d'œuf administratif, probablement fêlé, s'est avisé qu'il serait bon de s'affranchir une fois pour toutes et totalement de la réalité. Et les maisons, ex-asiles, sont enfin, pour le plus grand bonheur de tous, devenus des Ehpad, création acronymoïdale qui, pour bien revendiquer le fait qu'elle n'a plus rien à voir avec les anciens mots, ceux qui avaient encore l'impudence de signifier quelque chose, refuse de prendre la marque du pluriel, même quand il est légion. On imagine déjà très bien quel pourrait être demain, voire ce soir même, le slogan publicitaire de ces antichambres de l'enfer :

Grâce à mon e-Pad, je reste connecté dans mon Ehpad !

Et nous aurons enfin une vieillesse heureuse.

– Toutes ces hautes considérations ne m'ont nullement empêché de ramasser les merdes du chien, puis de tondre le jardin : parfaite alliance du manuel et de l'intellectuel… Une douche rapide par là-dessus : le bonhomme est comme neuf. (Il est neuf au sens où l'est une masure branlante dont on vient de recrépir vaguement les quatre murs extérieurs.)


Jeudi 9

Midi. – Dans la série “l'hôpital se fout de la charité”, je viens de tomber sur un touite de Guillaume Cingal, par lequel il épingle ainsi l'une de ses collègues professeurs : « Être prof et ne pas savoir faire des guillemets, écrire correctement avec des espaces ou écrire un nom propre avec des majuscules en début de mot, ça non plus, ça n'est pas grave. » Il est exact que la phrase écrite par la greluche visée aurait, en des époques antérieures, fait honte à n'importe quel élève moyen de CM 1. Seulement, la leçon est donnée par un homme, lui-même professeur donc (pardon : prof…), qui s'applique à utiliser systématiquement l'écriture dite “inclusive”…

Deux heures. – Catherine a reçu aujourd'hui un paquet par la poste. C'était un cadeau de sa fille pour son anniversaire, lequel tombe le 29 juillet. De fait, Adeline a expédié le dit paquet de Québec le 21 juillet. Il serait sans doute arrivé ici beaucoup plus vite à l'époque des malles-postes et de la marine à voile.


Vendredi 10

Midi. – Du plus abruti des blogueurs oméga jusqu'au chef de l'État, tout le monde y va depuis plusieurs jours de son “hommage” à Jean-Paul Belmondo, suivant des modes qui vont du nostalgique sanglotant au pompier tricolorisé. J'ai mis le mot hommage entre guillemets car, avec la meilleure volonté du monde, une bénévolence maximale, je ne vois pas du tout pourquoi on devrait lui en rendre le moindre, individuellement ou collectivement. Cela ne tient même pas à ce que je pense personnellement de lui – acteur peu convaincant, souvent franchement mauvais ; n'ayant, sauf exceptions fort rares, tourné que dans des films juste assez bons pour agrémenter un samedi soir de bidasses en permission de minuit –, mais à ces génuflexions dévotes devant un type sans doute brave, sympathique (et encore : qu'en sait-on ?), s'efforçant à ce que jamais sa tête ne dépasse d'un centimètre celles des anonymes qui le faisaient vivre, affichant une robuste médiocrité bravache, afin qu'on le confondît plus facilement avec les héros de carton pâte, copies à peu près conformes les uns des autres, qu'il s'était fait une spécialité d'incarner à gros traits. Et notre président de la République évoque sans rougir ni éclater de rire ce “trésor national”, nous faisant ensuite cette stupéfiante révélation : si on aimait le mort, c'est “parce qu'il nous ressemblait”. Pompe niaise, bien propre à déclencher l'enthousiasme du troupeau massé autour du cercueil : « Bêêêbel ! Bêêêbel ! » Parle pour toi, Manu, parle pour toi ! Pour ce qui me concerne, je préfère continuer à aimer et à honorer les hommes qui ne me ressemblent pas. Et que personne n'a jamais eu l'envie, ni même l'idée, d'affubler d'un surnom infantile.

C'est qu'on en arriverait, avec leurs pitoyables conneries, à regretter le bon temps où les comédiens étaient interdits de sépulture chrétienne !

Six heures. – J'ai oublié de noter qu'il m'arrive une chose étonnante, et même un peu plus que cela. Je n'irai pas jusqu'à “traumatisante”, mais disons… perturbante. 

Il y a déjà quelque temps (six mois ? un an ? davantage ? je ne saurais dire), j'ai constaté que ma vision “de loin” avait changé – changé en moins bien, il va de soi. Je m'en suis d'abord aperçu les quelques fois où il m'arrivait d'emprunter une autoroute : pour parvenir à lire les panneaux lumineux accrochés au-dessus des voies de circulation, il me fallait être beaucoup plus près d'eux qu'auparavant.

Plus récemment, quand je regardais un film ou une série en version originale – c'est-à-dire chaque soir ou presque –, il m'a bien fallu admettre que j'avais plus de difficultés qu'avant à lire les sous-titres. Plus exactement, je les lisais très bien, mais était apparu une sorte de tremblé autour des lettres. Enfin, il y a une semaine ou deux, ce sont les images elles-mêmes qui ont commencé à se flouter de manière à peine perceptible.

Jusque-là, rien que de très normal : je vieillissais, ma vue baissais, tout était dans l'ordre. Je m'en faisais d'autant moins que j'avais déjà un rendez-vous prévu avec l'oculiste, vers le 20 septembre. Et alors, l'autre soir…

Alors, il y a trois jours, assis devant la télé, je ne sais quelle idée m'a pris : j'ai enlevé mes lunettes et j'ai de nouveau regardé l'écran. Je n'en ai, si je puis dire, pas cru mes yeux : image et sous-titres, tout était redevenu parfaitement net – ou, en tout cas, beaucoup plus net que par le truchement de mes verres censés être “correcteurs” !

Cela fait presque soixante ans que je porte des lunettes du matin au soir (on m'a affublé de ma première paire, juste après ma première visite médicale scolaire). Cela doit en faire cinquante que je regarde des films sous-titrés, au cinéma dans ma jeunesse, à la télévision maintenant : jamais il ne m'est arrivé de les voir et de les lire sans lunettes, à plus forte raison mieux qu'avec. C'est le côté “perturbant” dont je parlais il y a un instant : que m'arrive-t-il ? Qu'est-ce que c'est que ces yeux qui, soudain, semblent se réparer d'eux-mêmes, spontanément ? Qu'est-ce que ça cache ? 

Il me tarde de me retrouver, mardi en huit, dans le cabinet de l'œillologue.


Samedi 11

Une heure. – Commencé ce matin, presque au réveil, à lire La Loi, le roman de Roger Vailland qui lui a valu le Goncourt dans les années cinquante, je ne sais plus la date exacte. J'ai fait d'ailleurs plus que le commencer puisque j'approche de la moitié. Il démarrait plutôt très bien, mais l'histoire s'est mise à patiner aux alentours de la centième page, si bien que me voilà nettement moins bien disposé à son égard. Cela dit, c'est bien agréable de renouer avec le roman, et avec le roman français. Même si, français, il l'est surtout par son auteur, l'histoire se déroulant entièrement dans l'Italie du sud de l'après-guerre.  Non, pas seulement par la nationalité de l'auteur : l'un des personnages, le juge Alessandro, emploie une partie de son temps libre à s'occuper de ce qu'il nomme son “dictionnaire de l'imbécilité”. Immédiatement, bien sûr, c'est l'image de Flaubert qui surgit. C'est du reste la seule occasion qu'il a de le faire car, pour le reste, ce pauvre Vailland me paraît fort loin du maître de Croisset. Dès que j'en aurai fini avec lui – ce soir probablement, je traverserai l'Atlantique pour cingler droit vers le Rio de la Plata, l'Uruguayen Onetti venant tout juste d'arriver au courrier de ce jour.

– Vive satisfaction mêlée de soulagement, chaque matin, puis trois ou quatre fois dans le cours de la journée, de constater que ma boitamel est parfaitement vide de tout message nouveau. Quand il s'en trouve un, agréable soulagement mêlé de satisfaction s'il s'agit d'une publicité, que l'on va pouvoir disperser façon puzzle dans l'enfer à spams sans avoir à y répondre. Il faudrait avoir le courage, la force d'âme suffisante pour décider qu'on ne répondra plus à personne. Ce serait si simple, si tranquille ensuite ! Seulement, il y a ce reste de “bonne éducation” à l'ancienne, qui refuse de mourir…

Six heures. – Quand on se décide finalement à lire Roger Vailland, on comprend mieux pourquoi on ne le lisait pas.


Mardi 14

Neuf heures. – Journée en grande partie “desgrangienne”. Naturellement, comme je dois prendre la route, il pleut…

Huit heures du soir. – Dans l'entrée d'aujourd'hui de son journal, Renaud Camus se plaint qu'après avoir envoyé quatre volumes de ses œuvres à Alain Finkielkraut, il n'ait reçu de lui aucun remerciement, aucun message, aucun signe, rien : j'en ai tout autant à son service. Je sais bien que je ne suis ni Finkielkraut ni Camus, mais enfin, le principe me semble pourtant à peu près le même. Il y a, chez Camus, une sorte de candeur dans la mauvaise foi qui m'épatera toujours ; et qui en arrive à m'amuser, tant elle incline à devenir caricaturale. 


Mercredi 15

Dix heures. – L'importance de l'ordre des mots dans la phrase. Dans le dernier numéro de L'Incorrect, gracieusement offert hier par Michel (lorsque j'arrive chez eux, l'une des premières choses que je repère ce sont les quelques journaux qui m'attendent sur le coin de la table basse du salon ; quelquefois, dans les mois fastes, deux ou trois livres viennent grossir la pile), je tombe sur ceci (c'est un journaliste anglais, ex-BBC, qui est interrogé) :

« J'ai alors renoncé au journaliste et fondé une œuvre caritative contre la faim à Oxford […] »

Et c'est comme ça que le lecteur français apprend, au détour d'une phrase mal emmanchée, que la malnutrition fait désormais des ravages dans l'une des plus prestigieuses universités du Royaume-Uni. Du coup, il aimerait en savoir plus, le lecteur : et à Cambridge, on est nourri correctement au moins ? On se goberge à Eton ou pas ? Etc.

– À l'instigation du même personnage évoqué plus haut, je viens de commander un film, Marie-Martine (1942), dont Jean Tulard et Michel Desgranges sont d'accord pour déclarer qu'il s'agit de l'un des grands chefs-d'œuvre du cinéma français. Le fait qu'on y croise Jules Berry n'a pas été pour rien dans ma décision de l'acheter.

J'ai aussi commandé un volume contenant quatre ou cinq romans de Dorothy Sayers, auteur de romans policiers dont je n'avais jamais entendu prononcer le nom. Il est vrai que, de la part de quelqu'un qui n'a jamais lu une ligne d'Agatha Christie (la contemporaine de Dorothy Sayers), une telle ignorance ne devrait surprendre personne.


Vendredi 17

Trois heures. – C'est curieux, ces choses qu'on nous affirme et que, parce qu'elles se présentent le plus souvent sous les apparences de vérités scientifiques avérées, indiscutables, nous gobons sans la moindre hésitation, le plus léger doute… sauf si on se mêle d'y réfléchir un tant soit peu.

Par exemple, hier, je ne sais plus où, je lisais un petit article destiné à nous expliquer que les roux ressentaient la douleur différemment des autres personnes. Premier réflexe, celui de se dire : « Ah ! tiens, je l'ignorais ! C'est intéressant. » Intéressant peut-être… mais qu'en sait-on ? Quel moyen avons-nous de savoir précisément selon quel mode les roux ressentent les douleurs auxquelles ils sont soumis ? Et même, allons un peu plus loin : quel moyen avons-nous de savoir comment notre mère, notre fils, notre voisin ressentent la douleur, quelle que soit la couleur de leur poil ? Suivant quel barème certifié pouvons-nous l'évaluer ? Existe-t-il, pour l'ensemble de l'espèce humaine, une sorte de “cartographie des douleurs” à laquelle se référer à coup sûr ?

C'est comme la plaisanterie des flocons de neiges. Depuis mon enfance, parce qu'on me l'avait affirmé puis répété, j'ai longtemps admis comme vérité d'évangile le fait que chaque flocon de neige était unique, qu'il ne pouvait s'en rencontrer deux exactement semblables. Ben voyons…

Là encore, une question simple : comment peut-on en être sûr ? Déjà qu'il est impossible de comparer l'ensemble des flocons chutant jusqu'à nous à un instant T, comment peut-on dire qu'il ne s'en est jamais trouvé deux rigoureusement semblables depuis la nuit des temps ou, au moins, depuis que la neige existe et qu'elle tombe ? Du reste, on peut même aller plus avant dans cette révocation en doute, grâce à la loi des très grands nombres.

C'est un peu comme l'histoire des singes et de L'Odyssée : mettez mille milliards de singes devant mille milliards d'ordinateurs et laissez-les taper au hasard sur les claviers durant mille milliards de siècles : il s'en trouvera automatiquement un, un jour, que la loi des probabilités conduira à taper le texte intégral de L'Iliade à la lettre près. (Comme disait l'autre, ce qui serait franchement déraisonnable serait de laisser ce singe-là devant son clavier, avec l'espoir de le voir ensuite taper L'Odyssée…)

Les flocons de neige, c'est pareil, me semble-t-il : même si les formes que peuvent prendre ces cristaux sont en nombres incroyablement élevés, il semble impossible que ceux-ci approchent le nombre de flocons tombés sur la Terre depuis des millions d'années. Donc, il se trouve forcément, ou il s'est trouvé, des flocons parfaits sosies les uns des autres. Donc, on nous raconte des conneries.

–Lu L'Attrape-Cœurs de Salinger. Puis, commandé ses nouvelles.

– Les tailleurs de haies ont passé la matinée avec nous, au grand déplaisir des poules. Depuis leur départ, notre modeste jardin paraît avoir doublé sa superficie. Sans que, pour autant, il y ait davantage d'herbe à tondre : tout bénef.


Samedi 18

Six heures. – Une bien triste nouvelle pour tous les démocrates sincères : « l'ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika est mort », heureusement contrebalancée par une autre, qui fait vraiment chaud au cœur : « Olivier Faure largement réélu à la tête du parti socialiste ». Même à ceux, tel moi, qui ignoraient que le dit parti eût encore une tête, cela fait bien plaisir.


Dimanche 19

Dix heures. – Et voici la nouvelle la plus consternante de l'année, peut-être même de la décennie , celle dont la France risque de ne jamais se relever : le flamboyant camarade Gauche de combat annonce ce matin… qu'il cesse le combat (on suppose qu'il reste de gauche, ce serait trop horrible sinon) ! Il ferme son blog de délation et arrête de traquer les hordes nazies, lesquelles vont donc s'en donner à cœur joie, sans doute dès demain, et déferler sur tout le pays pour y égorger nos filles et nos compagnes.

Et que compte-t-il faire, ce brave Adolfo Ramirez, de tout le temps que cette reddition sans condition va lui laisser libre ? De la poésie. Oui, Madame, si Monsieur : de la po-é-sie ! Si on ne me croit pas, qu'on aille voir par là.

Tout ce bouleversement parce que, si j'ai bien compris ses minauderies entortillées, ce quasi sexagénaire est tombé, dans une arrière-salle de bistrot, sur une greluche qui a su lui court-circuiter convenablement les gonades. Est-ce bien raisonnable ? De la po-é-sie, tout de même… Alors que les crânes rasés se multiplient plus vite que des racisés en rut et que le pas de l'oie est déjà dans toutes nos rues…

En tout cas, merci à lui : ce dimanche grisâtrement humide m'avait mis dès le lever d'humeur chiffonne ; grâce à lui, on peut désormais me voir tout guilleret, probablement jusqu'à ce soir.

Six heures. – Je suis replongé depuis ce matin dans le gros volume des nouvelles complètes de Somerset Maugham – et m'en trouve fort bien. Il me semble évident qu'il a dû lire et relire Proust. D'abord parce qu'il était cultivé, francophile et parfaitement bilingue ; ensuite parce que certaines de ses nouvelles, ou plutôt de leurs personnages principaux, semblent être  des “hommages en action” à l'auteur de La Recherche. Ainsi, dans Le Pain de l'exil (The Alien Corn), le personnage de Ferdy Rabenstein fait irrésistiblement penser à Charles Swann, même si, bien sûr, il existe de nombreuses différences entre eux. Et dans L'Élan créateur (The Creative Impulse), le couple formé par Mr & Mrs Albert Forrester évoque immédiatement, et de manière fort drôle, celui formé par M. et Mme Verdurin.

J'ai voulu savoir qui était exactement ce Pascal Praud, journaliste dont, assez bizarrement, Causeur a fait la couverture de son dernier ou avant-dernier numéro. J'ai donc tenté, il y a un quart d'heure d'écouter sur ToiTube la vidéo de l'une de ses récentes émissions, celle où il recevait Éric Zemmour : ce type a une façon d'interrompre continuellement son invité pour dire – longuement… – ce que lui pense de tel ou tel sujet qui le rend parfaitement odieux ; en tout cas insupportable à mes yeux et mes oreilles.

Six heures et demie. – Eh bien, je viens de “tester” le dénommé Bourdin sur BFM – toujours avec Zemmour comme interlocuteur : il est tout aussi ramenard, tout aussi “moi je”, donc tout aussi insupportable que son confrère Praud. Est-ce qu'il existe encore des journalistes, des animateurs d'émissions de ce type qui, une fois leur question posée, laissent répondre leur invité ?


Lundi 20

Dix heures. – J'ai passé environ deux heures, hier après-midi, à relire un certain nombre de mes anciens billets de blog, ainsi que les commentaires qui s'y trouvent attachés. Et voilà que je viens de recommencer ce matin. Je crois que ce genre de chose porte un nom : le gâtisme.

– Demain, journée pénible, en raison d'un double rendez-vous, pour Catherine et moi, chez notre oculiste neuilléen. D'un autre côté, ce bon docteur de B. va peut-être se montrer capable de m'expliquer pourquoi, depuis quelque temps, je vois mieux sans mes lunettes qu'avec – en tout cas pour la vision lointaine.


Mardi 21

Neuf heures. – Je m'apprête, demain matin, à recevoir ma seconde dose de vaccin anti-chinois. Dans le même temps, sera très probablement supprimée l'obligation de l'ausweis sanitaire dans toute la Normandie, unique raison pour laquelle j'avais finalement consenti à me faire vacciner. Qu'est-ce qu'on s'amuse…

– Sinon, l'idée de me taper tout à l'heure un aller-retour à Neuilly ne me séduit pas plus qu'hier. Plutôt même un peu moins. Je sens que ça va encore être la croix et la bannière (qui utilise encore cette expression ?) pour trouver un endroit où parquer Soraya.

Quatre heures. – Voyage sans le moindre pépin : trois heures et demie tout compris. Comme je m'en doutais un peu, ma vision de loin s'est en effet améliorée. Mais c'est, si je puis dire, une amélioration en trompe-l'œil, puisque je me dirige droit vers la cataracte (je m'imagine très bien, pagayant sur les remous dans mon kayak, avec la chute vertigineuse et bouillonnante en vue). Enfin, pour l'instant, rien de préoccupant, au dire du mirettologue.

– J'apprends le suicide, hier, de Roland Jaccard. Lequel ne surprendra que les gens qui ne savent ou ne veulent pas lire.


Mercredi 22

Onze heures. – Je suis de plus en plus exaspéré par tous ces sigles qui envahissent le discours, principalement journalistique, et qui rendent la moindre phrase incompréhensible à la plupart des gens, j'en suis bien persuadé. À l'instant, je tombe sur ce “chapeau”, sur le site Contrepoints : « Les ARS vont chercher à affirmer leur rôle d’adjudant-chef des troupes de la santé et la profession sous tutelle étatique connaîtra le déclassement. » 

Qui ou que sont ces mystérieux ARS ? Je n'en ai aucune idée, et je ne dois pas être le seul. Du coup, c'est toute la phrase qui s'écroule. Degré d'information : zéro.

– Propagande bancaire. Sur la page d'accueil de ma banque dont je tairai le nom (ça commence par “Crédit” et ça finit par “mutuel”…), deux publicités, l'une pour une protection supplémentaire contre les fraudes en ligne, l'autre pour je ne sais quelle aide proposée aux jeunes. Les deux sont illustrées par la photo d'un jeune couple béatement souriant. Premier couple : un blanc et une noire ; second couple : un noir et une blanche. C'est ce qui s'appelle, je suppose, respecter la parité ethnique.


Jeudi 23

Dix heures. – Seconde dose de vaccin anti-chinois. Mon rendez-vous était à neuf heures, à neuf heures vingt j'étais dehors, dûment protégé contre le virus satanique. Il est vrai que j'étais arrivé une bonne vingtaine de minutes avant l'ouverture des portes, de façon à être le premier à passer sous les fourches caudines. Il faisait très beau et Salinger me tenait compagnie : tout allait bien.


Vendredi 24

Trois heures. – Moi qui ne lis que rarement – et assez peu volontiers finalement – des nouvelles, le hasard fait que je n'ai pas moins, ces jours-ci, de trois recueils “en route” : de Maugham, Salinger et Inoué. Un Anglais, un Américain, un Japonais : on ne pourra pas m'accuser d'être un Franchouillard-replié-sur-lui-même. Enfin, si, je suppose qu'on pourra toujours, les contempteurs de la franchouillardise ne s'embarrassant généralement pas de cohérence ni de vraisemblance.

En fait, je triche un peu, le recueil de nouvelles d'Inoué n'étant pour l'instant que commandé. Mais la tricherie est diminuée par le fait que je lis effectivement Inoué, son roman intitulé Le Loup bleu, dont la figure centrale est Gengis Khan : vachement dépaysant… Déjà, rien que pour retenir, même vaguement, les noms de ces putains de Mongols, je voudrais vous y voir…


Samedi 25

Six heures. – Alléché par les lauriers que lui tissait devant moi Michel Desgranges, j'ai dernièrement fait l'emplette d'un volume du Masque contenant cinq romans de Dorothy Sayers, dont j'ignorais tout jusque-là (refrain connu, hélas). Ces cinq romans, du genre “policier”, font partie d'un même cycle, dit “de lord Peter”. Le moins que je puisse dire est que mon enthousiasme est loin d'être à la hauteur de celui de Michel : j'ai lu le premier avec un certain ennui, et abandonné le second dans son premier tiers. Ayant, de son côté, sur sa “tablette”, entrepris la même lecture, Catherine a lâché prise dès le premier volume. Je crois que le roman policier “à l'anglaise” n'est décidément pas ma tasse de thé, si je puis dire. Le roman policier dans son ensemble non plus, d'ailleurs, même s'il m'est tout de même arrivé d'en lire de fort bons – mais fort bons “dans leur genre”, justement ; et, à mon sens, jamais au-delà.

Pour ne pas quitter l'Angleterre et ses Anglais trop brutalement, je suis revenu à Somerset Maugham (Le Fil du rasoir).


Lundi 27

Dix heures et demie. – J'ai rouvert ce matin le volume contenant six romans d'Édith Wharton et commencé à relire Chez les heureux du monde. Pourquoi ? Parce que, hier en fin d'après-midi, j'ai lu son sujet un article tout à fait louangeur ; article qui se trouvait… dans mon propre blog. C'est ce qu'on pourrait appeler : la culture en auto-suffisance. Laquelle, somme toute, est préférable à la suffisance qu'entraîne souvent l'inculture.


Mardi 28

Cinq heures. – Comme, au réveil, je ne savais pas trop comment occuper ma journée, j'ai brusquement décidé de me rendre aux urgences de l'hôpital d'Évreux. Le calcul n'était pas mauvais : j'y suis resté un peu plus de cinq heures (pour un banal abcès dorsal, à ouvrir et vider sous anesthésie locale…). Tout avait pourtant bien commencé : en quarante minutes, j'avais franchi les trois premiers obstacles, les papiers étaient remplis, la doctoresse – une grosse noire joviale et sympathique en diable – avait statué sur mon cas, il ne restait plus qu'à…

Et c'est là que le grain de sable s'est malicieusement introduit dans le mécanisme : il manquait ici, aux urgences, le type de “mèches” sans quoi on ne pouvait rien faire. « Il faut en demander en chirurgie », entendis-je ma doctoresse racisée dire à son infirmière. Fort bien, me disais-je, c'est un coup de deux étages à monter puis à redescendre : dans une demi-heure je suis dehors, trois quarts d'heures tout au plus. Les mèches ont mis trois heures à arriver jusqu'au bureau des urgences.

Évidemment, j'avais un livre. Mais tout de même. J'ai par ailleurs pu faire quelques observations amusantes. D'abord – mais ça je le savais déjà – qu'il est très difficile de lire quand on s'attend à être interrompu à chaque minute – et même qu'on espère l'être. Ensuite ceci : si, au début, on attend quelque chose, en l'occurrence les fucking mèches, au bout d'un moment, le “quelque chose” tend à disparaître : on ne fait plus qu'attendre, sans complément d'objet. Encore un peu plus tard, on devient soi-même cette attente ; on se mue en pur concept. Et non seulement toute impatience disparaît, mais on ne voit plus aucune raison pour que ce nouvel état prenne fin : on ne le souhaite même plus si fort que cela. Si quelqu'un du personnel venait, à ce moment-là, vous demander  ce que vous attendez, il n'est même pas sûr que vous seriez capable de lui répondre… et vous passeriez pour vaguement dérangé. Quand enfin les fameuses mèches arrivent et que la manieuse de bistouri vous invite à la suivre dans l'intimité du petit box, vous obéissez, bien sûr ; mais sans trop savoir pourquoi vous êtes censé lui emboîter le pas. Heureusement, la piqûre anesthésique vous le rappelle assez vite, et sans la moindre ambiguïté. 


Mercredi 29

Une heure. – Pour mon premier changement de pansement et de “mèche”, notre infirmière habituelle devait passer “entre neuf heures et midi” : à une heure, toujours personne. Du coup, je me demande si je vais me retrouver éméché… à moins que ce ne soit elle qui le soit.

Deux heures et demie. – Eh bien, comme si cette rouée n'attendait que le paragraphe précédent dans le seul plaisir de le rendre obsolète, l'infirmière est arrivée alors que l'encre n'en était pas encore sèche (c'est une image…). Et c'est elle qui a apporté une conclusion bouffonne à mon épopée hospitalière d'hier.  À savoir que ces fameuses mèches que l'on m'a fait attendre durant un peu plus de trois heures, en réalité… elles ne sont jamais arrivées. C'est en tout cas la déduction qu'elle et moi avons tiré du fait qu'elle n'en a nullement trouvé trace dans la plaie dont mon dos est orné. Je suppose que, les urgences se remplissant soudain d'agonisants plus ou moins avancés, le personnel a trouvé commode de se débarrasser de moi, mèche ou pas mèche. Mais, évidemment, m'avouer qu'on allait s'en passer après me les avoir fait miroiter aussi longtemps, on a dû craindre l'explosion de ma part, et on a jugé meilleur de faire comme si, la chose étant rendue aisée par le fait que, le théâtre des opérations étant dorsal, je ne voyais rien de ce qui pouvait s'y tramer. Tout cela m'a plutôt fait rire.

– La factrice a déposé tout à l'heure dans la boîte idoine un recueil de nouvelles de Yasushi Inoué ; ce qui m'a donné brusquement envie, lisant la préface de René de Cecatty, de m'intéresser de plus près à la littérature japonaise, dont je ne connais guère – et encore : très superficiellement – que Tanizaki, Kawabata, Mishima et, donc, Inoué, depuis que j'ai lu son Loup bleu dernièrement. Cecatty m'a fourni trois ou quatre noms supplémentaires, et je vais aller voir ce que je peux trouver de leurs écrits.


Jeudi 30

Quatre heures. – Bribe de conversation saisie au vol à la caisse du Super U. Deux femmes, l'une à la trentaine fatiguée, l'autre un peu plus jeune (ou moins fatiguée). La première raconte d'abord à sa comparse qu'elle vient d'être obligée, le matin même – je n'ai pas bien compris le motif –, de débourser la somme de quatre-vingts heuros. Sur quoi l'autre révèle que, la veille, elle s'est offert “une petite fantaisie” à vingt zeuros. J'ai failli, posté que j'étais derrière elles, leur suggérer d'échanger leurs liaisons, mais j'ai finalement jugé plus sage de fermer mon clapet. Il n'empêche : il est vraiment temps que l'on nous rende le franc.

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