JOSEPH ET WITOLD S'INVITENT
Lundi 1er
Onze heures. – Et on démarre en fanfare avec ce tronçon de phrase pondu par le courageusement anonyme Sarkofrance : « Pour ma part, je ne débats pas avec Philippe de Villiers. » Ce doit être ma mémoire déficiente, mais je n'ai aucun souvenir d'une proposition de débat faite par Villiers au dit pseudonommé. Ce qui est sans doute préférable pour ce dernier, du reste.
Six heures. – L'herbe du
jardin a commencé à jaunir sévèrement, ce n'est pas moi qui viendrai
m'en plaindre : vive le réchauffement climatique ! Longue vie au
dérèglement ! Greta Th. à poil sur la banquise fondue !
Mardi 2
Onze heures.
– Après ma lecture intensive des revues et magazines donnés par Michel
Desgranges la semaine dernière, je viens de renouer avec La Marche de Radetsky
(troisième et dernière partie). J'ai aussi commandé, à l'instant, une
biographie de Napoléon III (Éric Anceau, auteur) qui était chaudement
recommandée dans Le Figaro Histoire.
– Mes DdD
semblent tous morts, à l'exception de Nicolas (qui, si j'ai bien
compris, doit quitter Paris demain pour la Bretagne) ; non pas du petit
Chinois, heureusement pour eux, mais par le simple effet de dessèchement
que je prévoyais depuis le début de cette flambée diaristique. Pour une
fois que ce que j'avais prédit se réalise, je ne vais pas bouder mon
plaisir.
Six heures. – Le fait d'avoir lu le hors-série du Figaro
consacré à Léonard de Vinci m'a donné envie de retourner faire une
petite visite au château d'Amboise et au Clos Lucé. J'ai même regardé
s'il y avait des hôtels possibles à Amboise : il y a. Fort heureusement,
comme cette petite excursion ne pourra pas avoir lieu avant septembre,
il y a gros à parier que l'envie m'en sera passée depuis longtemps.
D'ailleurs, déjà maintenant, en l'écrivant…
Mercredi 3
Dix heures. – Ceci, dans La Crypte des capucins
de Roth : « Que la nature est charitable ! Les infirmités qu'elle
dispense au grand âge sont une grâce qu'elle lui fait. Quand nous
vieillissons, elle nous gratifie de l'oubli, de la surdité, de la
cécité, elle trouble aussi légèrement notre cerveau, à la veille de la
mort. Elles sont rafraîchissantes et bienfaisantes, les ombres dont la
mort se fait précéder. » Sans doute, sans doute… Il reste que, parfois,
on aimerait bien qu'elle se montre un peu moins charitable, la nature en
question ; un tantinet moins grâcieuse.
–
Aller-retour, ce matin, à la boulangerie de Pacy. De même qu'au Super U
de Saint-Aquilin hier, il m'a semblé qu'on voyait de moins en moins de
zombis masqués : à peine une personne sur deux, d'après mon petit INSEE
personnel. De toute façon, à partir du moment où on laisse les
gauchistes manifester librement dans Paris par dizaines de milliers, le
nombre de masque à la boulangerie et au supermarché, n'est-ce pas…
(On va m'objecter que cette manifestation grotesque a bel et bien été interdite.
Sans doute, mais à partir du moment où on l'a ensuite laissée se
dérouler à peu près librement, l'interdire préalablement revenait à
pisser dans un violon.)
Six heures. – Vient de paraître sur le site de Causeur
un article – peu importe, ici, son sujet - signé “Kevin Bossuet”.
J'espère pour ce malheureux garçon, que j'imagine fort jeune, qu'il
s'agit d'un pseudonyme très “second degré”… mais j'ai bien peur que non.
Il y aurait donc, quelque part en France, un couple de malfaisants, ou
de décérébrés complets, qui, pour atténuer un peu l'éclat de leur
patronyme ont décidé d'appeler leur fils Kevin. Mais, au fond, il s'est
peut-être agi simplement, face à l'officier d'état civil, d'un accès de modestie. À part ça, il est tout à fait bien, l'article de ce Bossuet sitcomisé.
Jeudi 4
Midi. – Je viens de faire deux aller-retour (dire que je ne saurai jamais comment accorder ce fucking
vocable !) à la déchetterie : situation parfaitement normale. Ce qui
m'a confirmé dans mon opinion que tous ceux qui se sont, ces dernières
semaines, tapé des files d'attente interminables pour pouvoir jeter leur
trois cartons vides et leurs résidus de haies taillées, que ceux-là
étaient vraiment (et le sont sans doute encore) des pauvres cons
bêlants.
Vendredi 5
Onze heures. – Je (re)lis depuis ce matin le Conte de la 1002ème nuit
de Roth. C'est un roman savoureux, en ceci qu'on ne sait jamais, d'un
chapitre sur l'autre – et ce sont des chapitres courts – dans quelle
direction il va vous embarquer. On dirait un peu d'une boule de flipper
que se renverraient des bumpers un peu fantasques. Si j'ai écrit
“(re)lis”, c'est parce que je ne conserve rigoureusement aucun souvenir
de ce roman. Mais ça devient tellement l'habitude, cette absence, que je
vais arrêter de la noter à chaque fois que je reprends un livre déjà
lu. Quoi qu'il en soit, après quatre ou cinq romans relus, plus les
“lettres choisies”, je n'ai toujours pas envie de quitter Joseph Roth.
–
Je ne sais plus si j'ai noté que j'avais commandé récemment une
biographie de Napoléon III. Le Second Empire est une époque où j'aurais
vraiment souhaité vivre… mais en le débordant de beaucoup, vu sa
relativement courte durée ! Disons que j'aurais aimé avoir la trentaine à
son début et lui survivre jusqu'aux approches du XXe siècle. Mais j'ai
déjà dit, et même développé, tout cela.
Samedi 6
Dix heures. – Parce qu'il venait d'arriver sur Netflix, nous avons décidé, hier soir, de regarder Blade Runner,
du répugnant Ridley Scott. Je l'avais vu au cinéma à sa sortie, en 82
donc, Catherine quelque temps plus tard à la télévision, nous en
gardions tous les deux un bon souvenir. Souvenir trompeur ! Voilà un
film d'un ennui tel que nous l'avons abandonné au bout d'une heure, et
que je suis sidéré d'avoir trouvé si bon voilà une petite quarantaine
d'années. Je crois pourtant deviner la raison de cet engouement ancien :
les décors, l'atmosphère, alors très neufs au cinéma et qui ont dû
suffire à impressionner les gogos dans mon genre, mais qui, depuis, sont
devenus non seulement monnaie courante, mais nettement plus réussis. Le
film est, dit-on, inspiré d'une nouvelle de Philip K. Dick, ce qui
explique en grande partie qu'il soit si emmerdant, Dick étant, à mes
yeux, un des auteurs de SF les plus régulièrement surestimés (quand vous
avancez l'idée que la SF n'est que de la sous-littérature, il se trouve
immanquablement quelqu'un dans l'assistance pour vous balancer le nom
de Dick) et aussi des plus ennuyeux, ceci pouvant d'ailleurs expliquer
en partie cela. Bref, soirée en partie gâchée : même Harrison Ford
semble souvent se demander ce qu'il peut bien foutre là, lui à qui le
réalisateur ne donne quasiment rien à faire d'autre que se promener dans
le décor (du moins durant la première moitié du film…).
Dimanche 7
Neuf heures.
– Je suis à la fois agacé et amusé par ces mots ou expressions qui
apparaissent soudain dans le langage des gens “à qui on la fait pas” :
ils n'étaient pas là la veille, on se réveille le matin, et hop ! ils
sont dans la bouche de tout le monde. et chacun s'applique à les
employer d'un ton dégagé, tellement dégagé qu'il sonne atrocement
artificiel, comme s'il les maniait depuis toujours. Généralement, ces
mots ou expressions arrivent en droite ligne de l'anglais. C'est le cas,
depuis les facéties du petit Chinois, du mot “cluster” que les
caqueteurs de la blogoboule manient avec un plaisir évident, mélange de
candeur et de fatuité, lorsqu'ils veulent parler de leur maladie
favorite. Évidemment, on comprend qu'évoquer des grappes de contamination serait, à leur yeux, beaucoup moins hip que de manier ce si rutilant cluster.
Encore,
dans ce cas, le mot indésirable est-il employé à peu près à juste titre
(même s'il doit demeurer incompréhensible pour la plupart des gens de
France ; mais, quand on est hip, ce serait en quelque sorte
déchoir que d'être compris par tous). Il n'en va pas de même pour le
fameux “inapproprié”, qui a récemment franchi l'Atlantique. Il est, on
le sait, employé lorsqu'il s'agit de dénoncer des paroles ou des actes
qui, il y a dix ou quinze ans encore, seraient passés pour parfaitement
anodins, mais pour lesquels leurs auteurs doivent désormais se flageller
en place publique. Or, ce mot est, la plupart du temps, employé de
manière tout à fait… inappropriée. Par exemple si je qualifie de “grosse
pute” une dame qui fait commerce de ses charmes un peu trop opulents au
regard des canons usuels de la beauté féminine, on pourra me dire que
c'est inacceptable (ou immonde ou scandaleux ou répugnant ou intolérable ou vulgaire, etc. : le choix est vaste), mais cela restera parfaitement approprié à la dame que je prétendais définir.
On
notera en passant que ces paroles ou ces actes “inappropriés” sont
presque exclusivement le fait des mâles blancs hétérosexuels de plus de
40 ans. Par exemple, un Algérien de 22 ans
en-situation-de-sans-papiérisme qui fonce dans la foule au volant d'une
camionnette en hurlant Allah ouakbar, ne commet nullement un acte
inapproprié : il est simplement victime d'un coup de folie passager et,
à ce titre, doit être plaint et soigné. De même, cette dame qui a
proprement massacré son mari et a ensuite été gentiment gracié par
François Hollande – alors vaguement président de la République – n'avait
nullement accompli un acte inapproprié. La preuve, c'est justement
qu'elle a été graciée.
Finalement, je crois que je suis
nettement plus amusé qu'agacé par ces pantalonnades mentales. Même si
l'amusement peut paraître inapproprié.
Midi. – La niaiserie progresseuse du jour, prise sur un blog (de gauche, natürlich)
: « La crise du COVID-19 (au masculin, le genre féminin n’est pas
adapté à quelque chose qui puisse faire autant de mal) […] » Donc,
désormais, il faudra parler de : le peste, le tuberculose, le malaria,
le lèpre, le mucoviscidose, le syphillis, le torture et, pour finir, le
mort. Le pis est que le pauvre garçon qui s'est cru tenu d'écrire une
ânerie pareille doit réellement la “penser”. Et peut-être même se
trouver un brin admirable de le faire.
Cinq heures. – Commandé à l'instant les “souvenirs” de Soma Morgenstern : Fuite et fin de Joseph Roth, ainsi que Notre assassin,
roman de Roth que je ne possède pas (évidemment, abruti : si tu l'avais
déjà, tu ne le commanderais pas !). J'ai par ailleurs – pur masochisme –
rouvert le Cahier de l'Herne consacré à ce même Roth : la peste soit de
ces fruits secs, prétentieux et amphigouriques, que sont les
“professeurs de littérature comparée” ! Qui, pour tortures inhumaines
infligées à la langue française, devraient être, séance tenante, cloués
nus aux poteaux de couleur.
Lundi 8
Deux heures. –
La lecture des lettres de Joseph Roth, et spécialement celles,
nombreuses, adressées à Stefan Zweig, est éprouvante, le lecteur ayant
l'impression d'assister en direct à une noyade. On est sur la rive du
fleuve, ou au milieu du pont qui l'enjambe, on voit un homme au milieu
des remous de plus en plus forts, qui agite les bras, hurle sans
qu'aucun son ne s'échappe de sa gorge, et s'enfonce irrémédiablement
dans les eaux noires.
Il est par ailleurs hautement
regrettable que l'on ne possède aucune des lettres de Zweig à Roth, qui
ont visiblement été toutes perdues.
Cinq heures.
– Le délateur rabique Gauche de Combat, dans sa dernière giclée de
fiel, parle d'un site internétique belge – peu importe lequel, c'est
totalement sans intérêt. Il conclut son indigeste bouillie par cette
phrase : « Quoiqu’il en soit, ce sale type n’est définitivement pas un
allié dans nos luttes, d’un côté comme de l’autre de la Meuse… » GdC,
l'homme qui prend la Meuse pour une frontière, comme d'autres prenaient
le Pirée pour un homme… Ah, ils sont brillants, nos traqueurs de nazis !
Mardi 9
Neuf heures et demie. –
J'ai sans doute péché par simplisme, ici et sur le blog-mère, en
coupant ce pauvre Joseph Roth en deux : d'un côté le romancier juif, de
l'autre l'Austro-hongrois. Car, en vérité – je m'en aperçois mieux en
relisant ses livres à la file, les romans juifs n'oublient jamais
l'Autriche-Hongrie, ni les romans austro-hongrois le shtetl. Ce sont seulement les proportions qui varient. Même dans les plus massivement austro-hongrois (La Marche de Radetsky et sa suite, La Crypte des Capucins), l'élément juif est présent. Même chose mais inversée dans les romans franchement “judéo-centrés” (Job). Pas de frontière ni de fossé, donc, comme il peut s'en trouver une et un entre le Flaubert “normand” et le Flaubert “peplum”.
–
J'ai sans doute eu tort, hier, de transformer en micro-billet de blog
mon petit paragraphe moqueur à propos de la bourde géographique de ce
pauvre Roland P. Ce triste traqueur doit déjà avoir une vie suffisamment
grisâtre, et en être assez amer, mon petit coup de sabot de l'âne
n'était vraiment pas utile, ni très charitable.
Quatre heures.
– Reçu au courrier d'aujourd'hui la biographie de Napoléon III par un
certain Éric Anceau, historien de son état. Ce sera pour un peu plus
tard, quand j'en aurai fini avec Joseph Roth. Mais, dès à présent, je me
suis dit qu'il ne serait pas mauvais, quand j'aborderai le Second
Empire de lire “en doublette” les Mémoires sur le règne de Napoléon III
d'Horace Viel Castel, livre recommandé par Michel Desgranges il y a
deux ou trois ans, acheté alors, et dont j'avais lu environ 150 pages
avant de les abandonner, pour une raison qui demeurera inconnue jusqu'à
la consommation des siècles. J'ai donc ressorti le “Bouquins” les
contenant, ces mémoires, et ce fut pour m'apercevoir que l'édition en
avait été établie, annotée et préfacée par ce même Éric Anceau. Relisant
sa préface, j'ai au moins pu me convaincre que cet historien-là
écrivait en un français recevable, ce qui est déjà beaucoup.
Mercredi 10
Neuf heures et demie. – Titre de Ouest-France, relevé par Nicolas : « Dans les cimetières, la vie reprend doucement. » C'est très sage, de la faire reprendre doucement. Car les morts sont comme les grands déshydratés : un retour trop brusque à la normale pourrait les tuer.
–
Je suis tout de même assez sidéré de voir plonger dans les plus
ébouriffantes de nos démences “sociétales” un homme comme Guillaume
Cingal, que l'on aurait pu croire très solidement armé,
intellectuellement, pour leur résister. Dans son billet d'hier, il
discute gravement pour savoir si l'auteur des romans pour adolescents Harry Potter est
“transphobe” ou non. Tout cela parce que cette brave dame aurait
affirmé récemment qu'une femme était “quelqu'un qui avait ses règles”.
Il y a encore quinze ou vingt ans, une telle affirmation n'aurait fait
bouger une oreille à personne ; à peine aurait-on entendu deux ou trois
voix gentiment ironiques faisant remarquer à Mme Rowling que, même après
sa ménopause, une femme restait une femme. Mais, là, apparemment, tout
ce que le monde compte désormais d'association LGBT (et plus si entente)
s'est mis à se déchaîner contre elle – qui, à mon avis, doit s'en
battre l'œil, du moins je l'espère pour elle.
Bref, le
sujet conduit Guillaume Cingal à proférer doctement, comme si la chose
était depuis longtemps avérée, des énormités comme celle-ci : « je
sais que l'objectif n°1 serait ici d'en profiter pour expliquer en quoi
le genre n'est pas le sexe biologique, et donc en quoi certaines
"personnes qui ont leurs règles" se reconnaissent comme de genre
masculin, voire ont entamé leur transition, et, à l'inverse, comment
certaines personnes qui n'ont pas de règles, et/ou qui ont des attributs
sexuels masculins, se reconnaissent comme de genre féminin, voire ont
entamé leur transition. »
Naturellement, des
individus au psychisme un peu fragile qui en arrivent à se prendre pour
ce qu'ils ne sont nullement, voilà qui a toujours existé. Le
fou-qui-se-prend-pour-Napoléon est même devenu une sorte de figure
emblématique de ce type de démence. Mais, jusqu'à présent, les autres
personnes (celles que l'on n'ose plus qualifier de “normales”) n'étaient
pas sommées de l'appeler “Votre Majesté”, ni menacées des tribunaux par
des “associations de défense des empereurs”. Et aucun ancien normalien,
professeur d'université, ne s'inclinait avec ferveur devant son trône
imaginaire. Eh bien, désormais, si.
Il
tremble tellement, M. Cingal, de ce qu'on pourrait mal le lire,
l'interpréter de travers, et donc le prendre par erreur pour un immonde
“transphobe”, qu'il fait précéder son billet de cet avertissement en
forme de génuflexion : «ce billet n'a aucun objectif polémique.Toute formulation maladroite ou inappropriée etc. peut être signalée en commentaire, discutée etc. »
Vraiment,
avec la meilleure volonté du monde, je ne comprends pas ce qui a pu se
passer pour que nous en soyons là. En fait, dans ce cas particulier de
Guillaume Cingal, je ne vois qu'une alternative possible : soit il a
sombré dans la folie, soit c'est moi. Si, demain, on me voit adopter
spontanément l'écriture “inclusive”, cela voudra dire que c'est lui qui
est fou. Mais que c'est une folie terriblement contagieuse.
Jeudi 11
Dix heures. –
Plongé depuis hier dans la biographie de Napoléon III : le coup d'État
du 2 décembre a eu lieu ce matin, approximativement entre huit heures et
huit heures et demie : tout s'est bien passé, hormis la centaine de
morts que nous avons à déplorer. M. Anceau, son auteur (l'auteur de la
bio, pas du golpe…) écrit un français acceptable, mais vraiment
sans plus. Je suppose qu'il serait déraisonnable d'attendre davantage
des historiens d'aujourd'hui – et de tous les universitaires en général.
Où sont les Bainville, les Gaborit, les Cochin ? Sans même parler des
Taine, des Renan, des Tocqueville et des Fustel de Coulanges… On aura
beau dire : l'histoire, “c'était mieux avant”.
Puisque
je suis dans une période très “Second Empire”, j'ai mis hier dans mon
petit panier virtuel les mémoires de la reine Hortense. Mais, comme je
suis un garçon fort raisonnable, je n'ai point passé commande : on
verra, lors du prochain “mois Visa”, si j'en ai toujours envie. Cela
dit, quinze euros le livre de cinq cents pages, avec le port gratuit, ce
ne serait pas vraiment une folie, que ce soit maintenant ou plus tard.
Quatre heures.
– Je viens de passer un peu plus d'une heure dans les rues et aux
terrasses de Pacy, le temps que l'opticienne de garde (attention :
calembour…) sertisse de nouveaux verres dans mes anciennes montures.
D'après mes très scientifiques observations relatives au petit Chinois,
la proportion semble être désormais d'un seul zombi pour neuf humains
non masqués. Et tout le monde paraît avoir oublié qu'il a pu, dans un
passé reculé, exister des “gestes barrières”. Bref, la pantalonnade
semble en voie de solution, ce n'est pas moi qui viendrai m'en plaindre.
– Toujours à propos du petit Chinois, Guy Birenbaum – très silencieux depuis le début de la guignolade – publie sur son blog un billet
avec lequel je me trouve d'accord à 100 %. J'espère que personne n'ira
lui répéter ça : le choc psychique risquerait d'être terrible, sinon
fatal.
– Les pêches et les abricots sont de retour ! Je
ne vais pas me priver d'en manger jusqu'à… jusqu'à ce qu'ils
redisparaissent, vu que ce sont là mes deux fruits préférés. L'abricot
est d'ailleurs l'unique raison qui pourrait me faire regretter de ne pas
vivre dans le sud de la France. Cela dit, qu'on ne compte pas sur moi
pour me plier aux injonctions des imbéciles péremptoires, qui voudraient
m'en faire avaler cinq par jour : je mange ce que je veux et je les
emmerde.
Vendredi 12
Deux heures. – Dans ses Mémoires sur le règne de Napoléon III,
à la date du 11 janvier 1852, Horace de Viel Castel se met à évoquer la
société française d'avant la catastrophe de 1789, et qui avait réussi à
lui survivre tant bien que mal. Voici ce qu'il écrit :
«
Je vois encore cette société qui gardait fidèlement les traditions du
XVIIIe siècle, triste de regrets, royaliste par religion du cœur, ayant à
pleurer sur des parents, des amis, des institutions morts et détruits.
Tous ces gens-là meublaient leurs appartement des insignes de la
dernière royauté, des portraits de la famille de Louis XVI profilés dans
les contours d'un saule pleureur au-dessous duquel était dessiné un
tombeau. Tous ces gens-là portaient encore le costume du XVIIIe siècle ;
ils en avaient aussi le langage, les admirations et les antipathies. »
Il
y en a une grande page de ce ton, au long de laquelle Viel Castel
évoque quelques-uns de ces personnages, que le temps et ses convulsions
ont irrémédiablement déclassés, qui ne survivent plus qu'à l'état de
fragiles reliques. Et j'avais l'impression de me retrouver brusquement
au centre de cet admirable roman de Balzac qui a pour titre Le Cabinet des antiques, de voir surgir le vieux marquis d'Esgrignon, en son vieil hôtel d'Alençon, au milieu de sa cour de fantômes.
Du
reste, il est un peu étrange, ce titre du livre de Viel Castel. Comme
il est composé de notes prises au jour le jour, il s'agit en fait d'un journal, et non de mémoires,
genre qui suppose tout de même une certaine rétrospection, me
semble-t-il. Il est vrai que lui-même ne prononce pas le mot, dans son
introduction, et parle seulement de “souvenirs”. Terme qui, à la
réflexion ne convient pas beaucoup mieux. Bref…
Cinq heures. –
Du fait que toutes les civilisations sont mortelles (merci à Paul
Valéry), il est normal qu'un jour ou l'autre, elles meurent ; et il est
donc tout aussi normal que quelques générations d'hommes se trouvent
être au monde pendant l'agonie. C'est visiblement le sort qui
nous est échu. Existe-t-il, quelque part, des “unités de soins
palliatifs” pour civilisations incurables ?
Samedi 13
Dix heures. –
Poursuivi à bonne allure ma visite guidée du Second Empire : encore une
petite centaine de pages et nous serons à Sedan. Les Alsaciens et les
Mosellans ne se doutent pas encore de ce qui les attend…
Dimanche 14
Dix heures.
– Le signe le plus sûr prouvant que le petit Chinois est derrière nous
(de grâce, ne vous retournez pas !), c'est le silence cataleptique dans
lequel sont retombés tous les blogueurs nouvellement déclaquemurés,
alors qu'ils nous tranchaient d'épaisses tartines quotidiennes il n'y a
pas deux semaines. Ou bien, tout naturellement, ils en sont revenus, du
soir au lendemain matin, à leurs petites idées fixes d'avant printemps,
comme s'il ne s'était finalement rien passé. D'ailleurs, je me demande
si ce n'est pas l'explication de ce soudain et général mutisme : la
prise de conscience, un peu honteuse, de s'être fait des montagnes d'une
modeste taupinière. Et, du coup, le désir plus ou moins avoué de se
montrer désormais un peu discret, de passer l'éponge. Ou alors,
rien n'étant impossible, ils ont déjà et réellement oublié ce qu'ils ont
brièvement été, en quoi ils se sont transformés durant quelques
semaines, et qui les laisse sans voix maintenant qu'ils ont retrouvé
leur habituelle apparence.
– Nos voisins “de derrière”
ont coulé une dalle de béton au fond de leur jardin – donc tout près de
notre clôture commune – il y a déjà quelques semaines. Aujourd'hui,
l'élément mâle du couple, aidé par trois ou quatre amis visiblement de
son âge (la trentaine, dirais-je), est occupé à y monter ce qui semble
devoir être un abri de jardin (mais rien n'est encore sûr, à ce stade de
l'érection). Ils sont donc quatre, environ à cinquante centimètres les
uns des autres. Et non seulement ils sont incapables de travailler en
silence, mais en plus ils ne parlent pas : ils hurlent littéralement. Je
me demande, sans trouver la réponse, comment ils font pour supporter
une telle quantité de décibels. Je sais bien, par expériences
nombreuses, que le bruit n'a jamais dérangé les imbéciles – c'est même
un “marqueur culturel” assez efficace et précis –, mais là, tout de
même…
– Napoléon III étant mort hier soir peu avant le dîner, je suis revenu à Joseph Roth ce matin ; lequel ne va pas fort non plus.
– Si l'on en juge par ses Mémoires,
Horace de Viel Castel ne semble pas un homme très préoccupé de
littérature. Il ne parle jamais de ses lectures éventuelles et, si l'on
cherche les noms de Baudelaire et de Flaubert dans l'index, on trouve…
rien, malgré le double procès “pinardien” de 1857. Pourtant, le 21 août
1852, il consigne ceci : « Hier je dinais chez Véron à Auteuil, j'étais
placé à table entre Sainte-Beuve et Musset ; nous avons eu une bonne
conversation littéraire sur l'esprit français aux XVIe et XVIIe siècles.
» Ah, oui, quand même… Cela étant, il faudrait encore savoir qu'elle
fut sa part exacte dans la dite conversation.
Trois heures.
– La construction avançant chez nos voisins, il semblerait s'agir,
plutôt que d'un abri de jardin, d'une maison de jeux pour leurs deux
enfants. (De plus, on dirait que le déjeuner les a calmés : ils sont
beaucoup moins diserts depuis qu'ils ont repris le collier…)
– Reçu tout à l'heure un commentaire de Mme Aline Schulman, traductrice de Don Quichotte, sous un mien billet de 2018, dans lequel je m'étonnais d'une incohérence du texte. Comme je viens d'en faire un nouveau billet, je n'y reviens pas plus longuement ici.
Lundi 15
Onze heures.
– Titre d'un blogueur normand, Denis S., maire de son village qui plus
est, pour son billet du jour : « Loi Avia : pas de quoi casser trois
pâtes à un canard ! » En effet, pour s'y risquer, il faudrait être
vraiment nouille. Mais je suppose que quand on en est à défendre cette
pure saloperie qu'est cette sinistre loi aviaire, le reste n'est
qu'anecdote.
– Je lis le Polonais Adolf Rudnicki ;
trois récits très “guettoïsants”, réunis par les éditions Sillage sous
le titre du premier d'entre ces trois : Le Marchand de Lodz (en v.o. : Łódź…).
Deux heures.
– Un Polonais ayant tendance à en appeler un autre – c'est bien connu
–, j'ai repris le Gombrowicz diariste. Tout en continuant de lire Viel
Castel. Si bien que je me retrouve avec un Journal qui n'en est pas vraiment un, et des Mémoires qui ont plutôt des allures de journal…
– Mon maire normand, aiguillonné par ma gentille moquerie, a corrigé son titre et rendu ses pattes à son canard.
Mardi 16
Midi.
– Le volume étant arrivé hier, je n'ai évidemment pas pu y résister.
J'ai donc mis ce pauvre Viel Castel un peu en sommeil, pour découvrir le
livre de souvenirs que Soma Morgenstern a consacré à son ami et
compatriote Joseph Roth : Fuite et fin de Joseph Roth (le titre fait évidemment allusion au roman de Roth qui s'appelle La Fuite sans fin).
Si bien que, depuis hier après-midi, entre mon Polonais d'un côté et
mon Allemand (par la langue) de l'autre, me voilà “furieusement
Oder-Neisse”.
Trois heures. – Il y avait un
moment que je n'étais pas allé traîner mes bottes d'égoutier chez le
Lyonnais exotique, Guy-Alain Bembelly, son épaisse bêtise ayant cessé de
m'amuser. Je suis retombé dans son cloaque par pur hasard, je le jure.
Son dernier billet
a été “écrit” (on comprendra le pourquoi des guillemets si on se risque
sur sa prose) dans le but de réclamer la suppression de toutes les
statues de méchants esclavagistes et leur remplacement par celles de
gens qui lui conviennent à lui. Bref, on ne pouvait pas être davantage
dans le lieu commun actuel. Je me serais sans doute endormi avant la fin
si, soudain, une petite phrase ne m'avait réveillé en sursaut. Il
vient, juste avant, d'être question de l'Édit de Villers-Cotterêts. Et
Guy-A. enchaîne :
« Au delà de la polémique autour de cette approximation historique, je vais m’attarder sur le très peu cité personnage central au cœur de cet Édit: Alexandre Dumas […]. »
Donc,
Alexandre Dumas serait “au cœur” (en plus d'être “central”…) d'un édit
promulgué par François 1er près de trois siècles avant sa naissance ?
Une subtilité de la pensée bembellienne a dû m'échapper, ce n'est pas
possible autrement. Ou bien, en plus d'être bête, notre sympathique
Croix-Roussien aurait brusquement viré fou ? C'est que ça ne réussit pas
à tout le monde, l'antiracisme répressif !
– Une
sentence de Johann Nestroy (et non Destroy…), chanteur, acteur,
dramaturge et humoriste viennois du XIXe siècle : « Si je ne noie pas
mon chagrin dans le vin, il ne me reste plus qu'à m'adonner à la boisson
par désespoir. »
Il est tout à fait passionnant, le livre de Morgenstern sur Roth ; en tout cas, il me passionne, moi.
Mercredi 17
Dix heures. –
Une note de Morgenstern, 1949 : « La lecture des journaux n'est au fond
qu'un péché, une habitude nocive, comme le tabac, l'alcool et autres
fléaux des peuples. »
J'en ai terminé ce matin avec son
livre, qui méritait vraiment d'être lu. J'ai ressorti de leur rayon les
deux volumes de Rita Gombrowicz, Gombrowicz en Argentine et sa suite, Gombrowicz en Europe, qui feront un bon complément au Journal de Witold.
Trois heures.
– Depuis quelques jours, envie (qui ne passe pas, donc) de revoir un
certain nombre de films de Bertrand Blier. Je viens de trouver un
coffret qui en propose huit, dont seulement deux qui ne me disent rien.
Le tout pour 34 €. Je crois que je vais nous commander ça dès qu'on aura
changé de “mois Visa”.
Six heures. – Je
découvre que la comédienne Gisèle Casadesus est morte en 2017, âgée de
103 ans (comme ma grand-mère maternelle, laquelle n'a pourtant jamais
fait de théâtre). Comme son mari – comédien aussi, mais dont le nom
m'échappe pour le moment – était mort quelque temps avant, lui aussi
centenaire, cela fait qu'ils ont été mariés durant 72 ans ; soit aussi
longtemps que Louis XIV a régné sur la France. – Oui… et alors ? –
Alors, rien.
Jeudi 18
Neuf heures. – Méchamment repris par Gombrowicz. Le Journal pour l'instant, mais je sens déjà poindre des envie vagues de Ferdydurke, de fugitifs désirs de Trans-Atlantique, comme une tentation de Bakakaï. L'avantage est que tous ces livres sont déjà ici, à portée de mains et d'yeux : ce sera des lectures à pas cher…
–
Changé la phrase d'exergue du blog-mère, pour en mettre une de
Gombrowicz (et pas moyen de me souvenir de qui était la précédente…),
qui n'est en fait qu'un tronçon de phrase : « Personne n'a le droit
d'être plus bête qu'il ne l'est. »
Midi. –
Tontine. Ce n'est pas que le niveau ou la touffeur (la touffitude ?) de
l'herbe le nécessitait, mais nous étions envahis par ce que j'ai appelé,
les années précédentes, les “grandes fleurs faignasses”, afin de
stigmatiser le fait qu'elles ne s'ouvrent jamais avant dix heures du
matin pour se refermer dès trois heures de l'après-midi. Au début, c'est
plutôt charmant, toutes ces pastilles jaunes juchées au bout de leurs
immenses tiges grêles. Et puis, arrive un moment où l'on sent poindre en
soi des désirs de netteté, des envies de table – ou plutôt d'herbe –
rase. Et c'est là que, sans barguigner, il convient de sortir la
tondeuse – ce que fis.
Vendredi 19
Huit heures et demie. –
Ce matin, épopée boulangère. J'avais passé commande, hier, d'un pain
“meunier” (pour moi) et d'un sac de croûtes – c'est-à-dire d'invendus de
la veille – pour les poules ; ainsi que d'un pain de campagne pour
Catherine, mais il n'entre dans cette histoire qu'à titre de figurant.
Le “meunier” est un très gros pain au levain, pesant entre 1,3 et 1,5 kg
et coûtant une douzaine de z'euros. J'ai l'habitude de le faire couper
en trois tronçons à peu près égaux et d'en congeler deux. Ainsi, je me
retrouve avec du pain pour environ cinq jours. Ajoutons, c'est ici très
important, que le meunier (au diable les guillemets !) a l'avantage de
bien vieillir : au troisième jour, il a changé de texture, et même de
goût, mais reste excellent.
Or, ce matin, que découvris-je dans mon gros sac de croûtes à vocation gallinacéenne, sac vendu 1 € ? Eh oui : un meunier entier.
Pain d'hier et, donc, encore tout à fait consommable par un humain de
type courant. Je l'ai aussitôt lavé de son épithète infamante de
“croûte” pour lui rendre sa dignité de “pain” ; coupé en trois morceaux
et congelé.
Cela doit faire la trois ou quatrième fois
que pareille aubaine m'échoit. Et, aujourd'hui comme les fois
précédentes, je suis ressorti de la boulangerie avec l'impression
piquante, à la fois puérile et excitante – peut-être ceci parce que cela
–, de me comporter sinon comme un véritable escroc mais en tout cas
comme un filou, un petit gars “à la redresse”, capable de flairer
les bons coups et d'en tirer prestement, sans éveiller aucun soupçon,
un profit juteux. Cette sensation d'être soudain en marge, de frôler les
fascinants précipices de la pègre, d'être un genre de Jean Valjean qui
aurait été assez malin pour ne pas se faire prendre la main dans le sac
de croûtes, cette sensation m'a duré tout le trajet du retour, soit
entre cinq et sept minutes. Et je sais qu'il m'en reviendra quelque
chose, comme un écho, ou un reflet, chaque fois que je décongèlerai l'un
des trois tiers de mon meunier “volé”.
Samedi 20
Cinq heures.
– Si les imbéciles prisent si fort le bruit, c'est peut-être parce que,
quand le silence s'établit par mégarde, ils s'entendent soudain ne
penser à rien.
Dimanche 21
Onze heures.
– Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'il fait froid, mais affirmer qu'il
fait chaud serait également fort exagéré. Bref : il fait normand, si je
puis dire. En revanche, le Señor Météo annonce que nous allons franchir
la barre des 30° dès mercredi prochain. Et, bien évidemment, lorsque ce
sera le cas, je regretterai la fraîcheur actuelle.
– Jeudi, déjeuner Desgranges.
– Je continue mes lectures gombrowicziennes, alternant une année du journal “officiel” avec la même année de Kronos,
son journal plus personnel, qui n'est en fait qu'une sorte de
chronologie de ce qu'il vit au jour le jour, non développée, ressemblant
du coup à celle que tient Renaud Camus de son côté, chez Ternette.
J'hésite encore à me relancer dans les romans (je parle de ceux de
Gombro) ; d'abord parce que je les ai relus il n'y a pas si longtemps,
et ensuite parce que m'attend le premier volet de la trilogie romanesque
de Soma Morgenstern, le “coturne hôtelier” de Joseph Roth.
–
Il est tout de même incroyable que personne n'ait jamais songé à filmer
ni à enregistrer Proust de son vivant (évidemment “de son vivant”,
abruti !). Ils pensaient à quoi, les Gallimardeux de l'époque ? 1920, ce
n'était pourtant plus le Moyen Âge, bon sang !
Six heures. – À force d'entendre parler de lui, par Gombrowicz et d'autres, j'ai envie de lire La Pensée captive de Czesław
Milosz (obligé d'aller copier/coller son prénom chez Ternette, à
celui-là, sinon je ne m'en serais jamais tiré). Pour l'instant,
raisonnable jusqu'aux moelles, je me suis contenté de le mettre dans mon
p'tit panier : on verra d'ici quelques jours si le désir perdure…
Lundi 22
Une heure. – Si l'on articule à voix haute l'adjectif “gombrowiczien”, cela donne : “Gombro ? Vie d'chien !” Ce qui, à certaines périodes de son existence, n'a pas dû être très éloigné de la réalité, au début de son long séjour argentin notamment.
–
Après quelque hésitation, commandé le Cahier de L'Herne consacré au
Gombro sus-évoqué. Après tout, qu'est-ce que c'est que trente euros de
plus ou de moins ? En l'attendant, je me suis finalement remis aux
œuvres “fictionnelles” du même. En commençant par le commencement, à
savoir les nouvelles qu'il a publiées à Varsovie au début des années
trente. Le recueil s'appelait alors Mémoires du temps de l'immaturité. Lors de sa réédition, en 1957, il est devenu Bakakaï. Pourquoi ? Parce que l'un des premiers logements de Gombrowicz à Buenos Aires était situé rue Bacacay. Et aussi parce que, dixit,
il présentait l'avantage de n'avoir rigoureusement aucun rapport avec
le contenu du livre. Ce qui était déjà le cas, du reste, pour son
premier roman, Ferdydurke. Gombrowicz prétendait avoir choisi ce
nom simplement parce qu'il était imprononçable pour un gosier polonais…
Mais il faut toujours se méfier de ce que raconte Gombrowicz.
Mardi 23
Dix heures. – À compter d'aujourd'hui, nous voici embarqués pour plusieurs jours dans la célèbre contrepèterie belge (demain, il fera beau et chaud…),
avec des températures atteignant voire dépassant 30° estivalement
celsius. Anticipant la chose, Catherine a déjà fait repasser nos menus
en mode “salades et plats froids”, ce qui me convient parfaitement. Ne
plus rien absorber de chaud – café mis à part – me sied si fort que
j'ai, hier, expédié un himmel à Michel Desgranges, en prévision de ma
visite de jeudi, pour lui dire que, l'été étant là, je me passerai
désormais, chez lui comme ailleurs, du plat dit “de résistance”, et
sauterai directement et à pieds joints de l'entrée au dessert ; ce qui
sera amplement suffisant pour assouvir mon maigre appétit de jeune
vieillard (d'ordinaire, quand je rentre de chez les Desgranges, je
“saute” le dîner, ayant toujours l'impression d'avoir, à midi, ingurgité
deux à trois repas en un seul…).
– J'en suis, sur le
blog-mère, à mon quatrième billet consécutif centré sur Gombrowicz. Il
faudrait peut-être que je lève le pied, je vais finir par lasser. D'un
autre côté, ceux que je lasse peuvent toujours aller se détendre en
lisant durant quelques jours, voire définitivement, des blogs où on leur
parlera de tricot ou de politique.
Mercredi 24
Dix heures et demie.
– Charlus est en ce moment chez la toiletteuse, chargée de sa coupe
d'été. Il était plus que temps : claquemurage aidant, il ressemblait de
nouveau à Chewbacca, voire aux Dupondt après absorption de leur aspirine
frelaté (et voilà encore un mot dont je ne saurai jamais s'il est
masculin ou féminin. D'un autre côté, hein, c'est son libre choix,
d'être l'un ou l'autre, voire l'un les jours pairs et l'autre les jours
impairs s'il lui chante). Je vais de nouveau pouvoir l'appeler “le rat”
durant deux ou trois jours (après, je me lasse ; ou alors je m'habitue).
– Je relis Ferdydurke avec délices ; peut-être même davantage que lors de mes précédentes lectures : effet de l'âge ?
Midi. – Le rat a été récupéré sans encombres…
–
Demain, donc, journée Desgranges, par les mêmes températures
africanoïdes qu'aujourd'hui (d'un autre côté, on ne voit pas en vertu
de quoi les températures seraient les seules à échapper à
l'africanisation) : c'est là qu'on est content de conduire une bagnole
d'enfoiré de riche, avec une clim' efficace dedans.
– J'aime beaucoup les articles de Jérôme Leroy, dans Causeur,
parce qu'il y joue à merveille et à plaisir le rôle a priori ingrat du
dernier militant communiste non encore statufié dans le bitume. On sent
qu'il doit beaucoup s'amuser, à trouver, sur tel ou tel sujet pris à peu
près au hasard (tout lui fait ventre), l'angle qui va immédiatement
faire rappliquer, bave aux babines et tignasse en pétard, la meute
habituelle des commentateurs du site, tous plus crétins les uns que les
autres. C'est-à-dire que, saisis individuellement dans la vie “normale”,
il s'en trouve peut-être de fort fréquentables, sûrement même ; mais
rassemblés ainsi en troupeau virtuel, ils sont d'une bêtise à trancher à
la hache.
Mais Causeur a d'autres usages, plus
graves, puisque c'est là que j'apprends à l'instant la mort de Marc
Fumaroli, dont j'ai relu il n'y a pas si longtemps les deux livres qu'il
a consacrés à La Fontaine et à Chateaubriand.
Jeudi 25
Dix heures.
– Fenêtres ouvertes toute la nuit, et refermées dès neuf heures ce
matin. Je suppose que mes ex-confrères doivent déjà parler de “canicule”
: ça les changera un peu du petit Chinois qui les occupe depuis des
mois. Et puis, ils vont pouvoir nous ramener le “dérèglement climatique”
sur le tapis…
– Plusieurs chapitres de Ferdydurke m'ont fait penser aux deux derniers romans de Michel Desgranges, Une femme d'État et Les Philosophes. En particulier celui qui s'intitule Philidor doublé d'enfant. Un certain sens, assez voisin, de la cocasserie et de l'absurde, non exempts d'une indubitable noirceur.
Vendredi 26
Dix heures. – L'Incorrect
n'est pas un magazine qui me passionne. En particulier, je déplore
l'envahissement de ses pages “culture” par des choses comme la bande
dessinée ou le rock, qui m'ennuient prodigieusement – qui n'ont, en
fait, aucune existence réelle à mes yeux. Je leur reproche aussi un
certain “débraillé” dans le maniement de la langue. Néanmoins, ce n'est
pas non plus un journal nul, et il s'y trouve toujours trois ou quatre
articles intéressants. Disons qu'il n'y en a pas assez pour que je fasse
l'emplette d'un numéro. Et voyez comme les choses sont bien faites :
quand je vais déjeuner chez les Desgranges, soit environ une fois tous
les trente jours, j'en repars avec, entre autres, le numéro du mois
précédent du dit Incorrect, auquel est abonné Michel.
Dans
celui de mai, peu de choses à se mettre sous la dent, la rédaction
ayant évidemment choisi de faire une très large place au petit Chinois,
sujet qui ne m'intéresse en rien. Pourtant, en incipit de l'un de ces
articles, je suis tombé sur cette phrase : « Nous autres, civilisations,
savons maintenant que nous sommes contagieuses. » Le clin d'œil m'a
amusé.
Cinq heures. – Le français tel qu'on le mâchouille. Un commentateur du site Causeur
écrit ceci : « je vis en région et presque dans la ruralité ». Les
fossiles de mon espèce, sottement attachés à leur langue antédiluvienne,
croient comprendre que ce garçon (ou cette fille ?) habite en province
et à la campagne ; mais on ne saurait le garantir. Il faut préciser que
ce zombi analphabète a choisi, en ces lieux fort mal famés, de s'appeler
“understones”, ce qui constitue sinon une excuse, du moins un
commencement d'explication. En tout cas, c'est d'une impeccable
cohérence.
Samedi 27
Trois heures.
– Avant-hier, chez lui, Michel me disais que le petit Chinois jouait,
dans l'esprit des gens, le même rôle que le cinéma d'horreur : on adore
d'autant plus se faire peur qu'on sait qu'on ne risque rien.
(Personnellement, je trouvais plus juste la comparaison avec le “train
fantôme” des fêtes foraines de mon enfance, mais bon.) La différence est
que, à ma connaissance, les films d'horreur ne rendent pas idiots, ni
ne poussent à insulter ceux qui restent insensibles aux films d'horreur.
Ce qui commence à être le cas avec le Chinois. Même des esprits aussi
pondérés (en apparence…) que Nicolas, semblent insidieusement glisser
vers une forme bizarre de paranoïa, laquelle s'assortit d'un genre de
colère ressentie face aux gens qui ont l'outrecuidance de ne pas
paranoïer en chœur. À ce titre, son dernier billet
est exemplaire. Et un poil attristant pour qui se flatte de l'aimer
bien. Par une espèce d'auto-ironie inconsciente, il termine ses
imprécations par : « Du bon sens. », alors qu'il vient de déconner à
plein durant cinquante lignes.
Je suis d'ailleurs assez amusé par la coïncidence qui m'a fait relire Ferdydurke
justement ces temps-ci. On se souvient que, au début du roman, le
narrateur est un homme de trente ans qui, par suite de l'intervention
autoritaire d'un professeur, se retrouve “ré-infantilisé”, ramené à
l'époque de la puberté, de l'immaturité, et conduit dans une école
presque manu militari par ce même professeur. École dans laquelle
il est perçu par les élèves comme s'il avait réellement 13 ou 14 ans,
exactement comme eux. Or, c'est aussi à un processus d'infantilisation –
de cuculisation, pour employer un terme gombrowiczien – que nous
assistons, petit Chinois aidant. Le maître ou la maîtresse ont ordonné
aux enfants de strictement rester sous le préau durant toute la
récréation parce qu'il se pourrait bien qu'il pleuve. Et aussi de ne pas
fourrager dans leur nez avec leurs doigts. Bientôt, c'est le scandale
parmi la marmaille : voilà-t-y pas que celui-ci est allé se poster au
milieu de la cour et regarde le ciel d'un air ironique, comme s'il
mettait les nuages au défi de mouiller sa tignasse ? Et cet autre, là ?
A-t-il pas réussi à introduire deux de ses doigts dans chacune de ses
narines, avec un petit ricanement d'aise ? De terreur, les enfants sages
se mettent à courir partout, se cognent les uns aux autres en couinant,
craignant que le courroux des Grandes Personnes ne retombe sur eux
tous, eux si sages, eux si impeccablement préaulisés. Les plus
conscients des dangers qui menacent toute la communauté écolière
envisagent déjà d'aller dénoncer les provocateurs à la maîtresse. Ils
vont le faire, ah oui ! ils donneront les noms , les détails et tout !
Ils le feront dès dès qu'une Grande Personne leur dira qu'ils peuvent
sortir de sous le préau. En attendant, ils s'écrasent les orteils et
regardent avec une envie haineuse celui qui sautille dehors et les
doigts qui fourragent les narines.
Neuf heures (du soir…).
– Subissant la néfaste influence de sa fille cadette, Catherine, voilà
quelques semaines, a émis le souhait de voir le film intitulé Beignets de tomates vertes.
En mari attentionné, je l'ai donc acheté. Il était à notre programme de
ce soir. Comme je n'en attendais rien de bon, je n'ai pas été déçu : la
chose est certes assez joliment filmée (sans plus…), mais elle baigne
dans cette niaiserie doucereuse propres aux films tirés de romans de
bonnes femmes. (On est prié, avant de m'agonir d'injures, de prendre en
compte le fait que j'établis une différence très nette entre les romans
“de bonnes femmes” et ceux écrits par des écrivains de sexe féminin.
Merci d'avance.) Ça dégouline de bons sentiments, les hommes sont soit
ridicules, soit ignobles, les femmes admirables et solidaires. quant aux
domestiques nègres, ils paraissent sortir tout droit d'Autant en emporte le vent ou de La Case de l'Oncle Tom.
Du reste, je me demande par quel miracle les associations de “racisés”
n'ont pas encore exigé la destruction de ce film, en raison de son
paternalisme aux relents insupportablement colonialistes et
suprémacistes : personnellement, cela m'aurait bien arrangé qu'il
l'exigeassent… et surtout qu'ils l'obtinssent. Bref, au bout d'une heure
passée à réprimer des bâillements, j'ai jeté l'éponge et abandonné
lâchement Catherine devant l'écran (c'est de sa faute, aussi : quel
besoin a-t-elle eu de me demander soudain si le film me plaisait ? Se
serait-elle tue que j'aurais stoïquement subi mon pensum jusqu'à son
terme).
Dimanche 28
Dix heures. – Comme j'ai, voilà quelques jours, commandé The New Pope, second volet de la superbe série de Sorrentino, nous avons décidé, en l'attendant, de revoir le premier, à savoir The Young Pope. Ce qui me changera agréablement des tomates blettes d'hier soir.
–
Ce matin, Joséphine – notre poule noire – est passée sans s'en douter à
quelques secondes de sa mort violente. Cela fait trois jours qu'elle ne
sort plus du pondoir, sauf durant deux ou trois minutes pour aller
becqueter quelques graines, avant de retourner se coucher. Conclusion
logique, au vu de nos expériences précédentes : elle était à son tour
tombée malade et avait commencé à agoniser plus ou moins. Donc, autant
abréger ses souffrances. Je l'avais déjà entre les mains et m'apprêtais à
l'estourbir, lorsque je me suis avisé qu'elle se débattait avec bien de
l'énergie pour une poule sub-claquante ; et aussi qu'elle avait l'œil
vif et la crête bien rouge et redressée. Bref, j'ai imploré sa grâce
auprès de Catherine et l'ai obtenue. Sinon la grâce, du moins le sursis.
Et c'est à ce moment-là que Catherine s'est souvenue avoir lu quelques
part que, parfois, sans qu'on sache pourquoi, certaines poules pondeuses
se mettaient à couver leurs œufs. Or, en effet, il y avait bien deux
œufs tout chauds dans le pondoir que nous avions pris pour une couche
d'agonie. Nous avons donc relâché la Joséphine dans l'enclos : on verra
bien ce qui se passe durant les jours prochains.
Deux heures. – Titre d'un article sur Atlantico,
à propos des élections municipales à Paris : « Anne Hidalgo reste
favorite, Rachida Dati progresse lentement. » L'article étant d'hier
soir et le vote ayant lieu depuis ce matin, je crains que la
“progression lente” de la pauvre Rachida ne lui soit pas d'une grande
utilité. Soit, en tout cas, un poil tardive.
– J'ai finalement abandonné Gombrowicz à peu près au milieu de son Trans-Atlantique
: sachons ne pas abuser des bonnes choses, même quand elles sont
polonaises. Suite à une pulsion masochiste difficilement explicable, et
encore moins justifiable, j'ai décidé de retenter ma chance avec le Berlin Alexanderplatz de Döblin, déjà commencé et abandonné deux fois au cours de ces dernières années. Par moment, je m'étonne et me navre.
Lundi 29
Dix heures. – Le Berlin Alexanderplatz de Herr Döblin, dont j'ai lu une soixantaine de pages entre hier et ce matin : no way…
–
Les zombis qui dirigent l'entreprise L'Oréal annoncent triomphalement
qu'ils vont supprimer le mot “blanc” et ses dérivés de leur vocabulaire
officiel. Dans le même temps, d'autres zombis, écologistes ceux-là,
gagnent les élections municipales un peu partout (enfin : surtout en
ville…). L'époque est d'une cohérence implacable.
Deux heures.
– Les heureux abonnés à Netflix, dont je fais partie, devraient bientôt
voir apparaître sur leurs écrans une nouvelle série consacrée à Arsène
Lupin. Avec Omar Sy dans le rôle-titre. J'attends avec impatience le biopic
consacré à Nelson Mandela avec Gérard Depardieu en vedette, ainsi que
la saga retraçant la glorieuse vie de Hô Chi Minh, qui sera bien sûr
interprété par Isabelle Adjani. Car on ne voit vraiment pas au nom de
quel antédiluvien préjugé le rôle de l'oncle Hô devrait à tout prix
revenir à un homme. Ces deux films seront tournés entièrement en décors
naturels. Et au Groenland, car les Inuits restent, à ce jour,
scandaleusement sous-représentés dans les grands chefs-d'œuvre
cinématographiques.
Mardi 30
Onze heures.
– Il y a une heure, Joséphine a réintégré l'enclos à poules. Après
avoir passé près de quarante-huit heures au sous-sol, dans le petit
local où se trouve la chaudière. C'était un conseil trouvé par Catherine
chez Ternette : quand une pondeuse se met inopinément à couver, il faut
l'éloigner du poulailler durant deux jours, afin de lui faire perdre et
oublier cette néfaste lubie. Si le traitement rate : recommencer. On
verra ce que ça donne dans les heures qui viennent : pour ce qui vous
concerne, innombrables lecteurs, verdict le mois prochain.
Dernière minute : Repris Jim Harrison (Dalva). Les grands espaces américains vont me changer agréablement, du moins l'espéré-je, des confinements de l'Europe de l'Est.
Dernière minute : Repris Jim Harrison (Dalva). Les grands espaces américains vont me changer agréablement, du moins l'espéré-je, des confinements de l'Europe de l'Est.
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