GRAND-PÈRE INDIGNE
Dimanche 1er
Onze heures. – Je ne me lasserai jamais de le répéter (même au risque de lasser les autres…) : c'est avec un ravissement inentamé que, chaque année, je vois s'éteindre août et arriver septembre. Pour parfaire mon illusion d'automne, il fait plutôt frais, ce matin.
– J'ai terminé peu après le petit-déjeuner les huit cents pages serrées de l'excellent roman de Trollope, Quelle époque !. J'en attend trois autres du même écrivain. Pour patienter d'ici leur arrivée, j'ai ressorti Jude l'obscur
de Thomas Hardy. Voilà un écrivain dont j'aimerais bien convaincre
Michel Desgranges de le lire, ce qu'il n'a jamais fait, si je ne me
trompe pas. Mais, pour espérer être convaincant, il m'a paru judicieux
de rafraîchir mes souvenirs d'icelui. J'ai ici quatre ou cinq romans de
lui, ce qui sera amplement suffisant – si même je ne “cale” pas avant de
boucler le cycle.
Lundi 2
Midi et demie. – Il y a tout de même des jeunes gens bizarres, de nos jours. Ce matin, en commentaire d'un vieux billet,
je reçois les quelques lignes suivantes, d'une certaine Zoë (mais
pourquoi ce tréma sur l'e ?) Dubus : « Bonjour, je suis doctorante en
histoire et je recherche des informations
sur Maurice Vincent. Si vous êtes d'accord pour échanger avec moi
n'hésitez pas à me contacter à l'adresse suivante : zoe.d@outlook.fr
Merci d'avance pour votre aide! »
Or,
la première chose que l'on découvre, en haut à gauche, quand on arrive
sur le blog, c'est mon adresse himmel. Rien de plus facile, donc, si
l'on a quelque chose à me demander personnellement, que de le faire par
cette voie. De toute façon, il me semble tout de même un peu abusif,
quand on a un service à demander à quelqu'un, de se contenter de lui
balancer son adresse en exigeant plus ou moins que ce soit lui qui
prenne l'initiative d'une véritable prise de contact. (J'ai l'impression
de faire mon Renaud Camus, là…) Bref, je suis désolé, Mamzelle
Zoé-avec-tréma, mais il vous faudra, si vous voulez bénéficier de mon
aide, adopter des façons un peu moins cavalières. Du reste, c'est un
effort que je puis tout de suite vous déconseiller, car vous y perdriez
votre temps : je n'ai rigoureusement rien à dire sur Maurice Vincent,
que je n'ai même jamais rencontré.
– Reçu tout à l'heure trois gros romans de ce cher Trollope, ainsi qu'un de Thomas Hardy que je ne connais pas encore (Loin de la foule déchaînée).
À propos de lui, Hardy, je me sens déjà nettement moins assuré de faire
sa promotion auprès de Michel Desgranges dans la mesure où, hier, j'ai
abandonné Jude l'obscur après cent cinquante pages, ne retrouvant
rien, en elles, de ce qui avait pu m'enthousiasmer voilà quelques
années. Les dialogues, notamment, m'ont paru terriblement artificiels –
mais ce peut être la faute du traducteur, comment savoir ? Je referai
tout de même une ou deux tentatives, notamment avec le roman qui vient
de m'arriver. Mais ce sera après Trollope.
– Envoyé un court himmel “clin d'œil” à Marco Polo, pour lui dire tout mon soutien amical en ce jour de rentrée scolaire…
Mardi 3
Une heure. – Dans son plus récent message, le pape demande aux catholiques du monde entier de prier, ce mois-ci, “pour les mers et les océans”. Catherine est effondrée. Je la comprends : il y a des jours où l'on se trouve bien aise d'être agnostique…
Comme si
cela ne suffisait pas, la même Catherine, juste après, a découvert que
je ne sais quel groupuscule vegan avait décidé de séparer les coqs des
poules, pour “éviter les viols”. J'avoue que c'est là une initiative qui
m'a plongé dans une sorte de jubilation dont je ne suis pas encore tout
à fait sorti. Mais comment pourrait-on continuer à caricaturer le
monde, après ça ?
– Agnès Maillard, le réjouissant bas bleu tenant blog à l'enseigne du Monolecte,
peut se vanter d'avoir des commentateurs à la hauteur de ses propres
prétentions intellectuelles (elle a auto-édité un livre qui, en toute
modestie, s'intitule Comprendre l'antisémitisme…). Sous le billet que j'ai mis en lien, l'un d'eux disserte doctement sur les mérites de la culture arborigène.
Mais c'est surtout le prénommé Paul qui, à force d'amphigouri ne se
relâchant jamais, tout au long de ses commentaires aussi copieux
qu'abscons, parvient à devenir réellement fascinant. Je sens que j'y
retournerai de temps en temps ; mais il doit falloir prendre garde à ne
pas dépasser la dose prescrite et à tenir la chose hors de portée des
moins de 16 ans.
Mercredi 4
Trois heures. –
Appel téléphonique du Père B., pour nous donner quelques nouvelles,
prendre un peu des nôtres et, surtout, nous dire que, prévoyant un
voyage éclair vers la côte normande aux environs du 15, il serait ravi
de pouvoir faire escale ici. Ravis, nous le sommes également, ainsi que
nous le lui avons affirmé. Reste que, très pris par sa mission
pastorale, il n'est pas encore tout à fait sûr de pouvoir entreprendre
ce petit périple. Catherine et moi espérons qu'il le fera.
Jeudi 5
Quatre heures. – La très charmante Élodie, en inaltérable bas-bleu post-moderne qu'elle est, fait preuve, dans son dernier billet,
d'un prévisible enthousiasme pour cette réjouissante pantalonnade –
réjouissante mais probablement coûteuse – qui se nomme le “Grenelle des
violences conjugales” (rires dans la tribune). À cette occasion, notre
sympathique croisée donne la définition mini-robertienne du néologisme
en vogue, j'ai nomme le féminicide : “meurtre d'une femme, d'une
fille, en raison de son sexe”. Elle a bien tort de le faire car, au vu
de cette définition, chacun peut voir que le mot est inadapté à ce qu'il
prétend désigner, à savoir les très-fameuses et très-horrifiques
violences conjugales. Des gens, presque toujours des hommes en effet,
dont les actes correspondent à la définition, il y a en a. Mais
heureusement très peu. Ce sont ces tueurs psychotiques qui éprouvent
régulièrement le besoin irrépressible de tuer une femme. N'importe quelle femme. Celle qui se présente au moment de leur crise. Ceux-là, en effet, commettent des féminicides,
c'est-à-dire qu'ils tuent des personnes en raison de leur sexe, et
uniquement pour cela. Ce n'est pas du tout le cas d'un mari tuant sa
femme, ou sa compagne. Qu'il le fasse intentionnellement ou plus ou
moins malgré lui au cours d'une rixe, ce n'est pas le sexe de sa victime
qui le motive, mais tout un tas d'autres raisons, certes toutes
mauvaises eu égard au résultat final, mais dans lesquelles il n'est pas
nécessaire d'entrer ici. La meilleure preuve de cela est que, si jamais
l'épouse ou la compagne parvient à se soustraire à sa violence, cet
homme n'ira jamais s'en prendre à la voisine, à la promeneuse qui passe
sous ses fenêtres à ce moment-là ou à la vendeuse de la boulangerie du
coin. Simplement parce qu'il n'a pas en lui de pulsion féminicide,
mais qu'il est la proie d'une flambée de violence envers une personne
très précise, celle qui partage son existence et dont il trouve, à ce
moment précis, qu'elle la lui pourrit vraiment trop. Qu'il ait tort de
la frapper, qu'il soit lourdement condamné s'il la tue, cela va de soi,
et c'est un combat déjà gagné que les féministes feignent d'avoir à
mener (ces mêmes féministes qui, face aux violences que subissent les
femmes dans certaines rues, et qui, elles, leur sont bel et bien
infligées “en raison de leur sexe”, proposent benoitement que l'on
élargisse les trottoirs…). Question corollaire : si un mari tuant son
épouse est coupable de féminicide, quel mot devra-t-on inventer
pour désigner le meurtre de parent 1 par parent 2 au sein d'un couple
d'homosexuels ? J'ai l'air de plaisanter, mas je suis bien sûr que
certains y réfléchissent déjà. Et sérieusement.
Samedi 7
Sept heures. – Relu Les Philosophes de Michel Desgranges : hautement réjouissant. Billet à venir sur le blog, probablement demain.
Dimanche 8
Trois heures. – Il est toujours très agréable, et même jubilatoire, de voir s'assembler les gens que l'on pensait soi-même devoir le faire. Cela fonctionne dans le sens positif de la chose, mais aussi dans l'autre. Ainsi, dans son postillon du jour (à peu près incompréhensible, d'ailleurs : même ce puits de science et de clarté qu'est M. Arié avoue y avoir perdu son latin…), le pontifiant Juan Sarkofrance fait sa révérence et tresse des couronne à Agnès Maillard, alias le Monolecte, que j'égratignai il y a deux ou trois jours (voir un peu plus haut). Lui et sa pleureuse attitrée (Sylvie 75) louent entre autres les beautés de son style, alors que la dame Maillard écrit dans un français aussi empâté qu'amphigourique, qui aurait fait éclater de rire Léautaud, ainsi d'ailleurs que toute personne ayant une idée, même vague, de ce que signifie ce verbe : écrire. À propos de ce style merveilleux de la Maillard, l'un des commentateurs de Juan, sans doute dans un inattendu éclair de lucidité, note que, tout de même, “certain vieux grognon” pourrait y trouver à redire. J'ai la fatuité de penser qu'il songeait à moi en écrivant cela… En tout cas, comme dit la vieille blague populaire : s'ils font des petits, ces deux-là, c'est pas la peine qu'ils m'en gardent un.
– Écrit et publié le billet concernant le roman de Michel Desgranges.
Mardi 10
Dix heures.
– Élodie va nous tomber du ciel, du ciel québécois, dimanche prochain.
Elle restera deux semaines en France, mais pas nécessairement ici : sa
mère et elle doivent, si j'ai bien compris, aller passer quatre ou cinq
jours à Saint-Malo (où Élodie a vécu) dès lundi prochain. Il est aussi
question, toujours si j'ai bien compris, qu'Élodie aille ensuite, mais
seule, passer quelques autres jours en Picardie (où elle a également
vécu). Il y a aussi la visite du Père B. qui, pour l'instant, est
toujours en suspend, mais devrait, si elle se réalise, tomber en même
temps. Enfin, on verra bien.
– Michel Desgranges se
déclare très heureux du billet que j'ai consacré à son roman. Un bonheur
que je suis loin de partager, le trouvant, moi, ce billet, plutôt
emprunté, voire pâteux. Il me semble que j'aurais pu et dû faire mieux.
Mais comme j'ai presque toujours cette impression, ça ne signifie sans
doute pas grand-chose.
– Je continue à lire Trollope
avec énormément de plaisir. Pour le prolonger encore, ce plaisir (je
n'ai plus que deux livres en attente), j'ai voulu, il y a un moment,
commander d'autres romans de lui. Las ! ceux que je guignais (les Palliser Novels) sont, à l'exception d'un seul, aussitôt commandé, proposés à des tarifs vraiment trop prohibitifs (un tarif peut-il être trop prohibitif ? Je m'interroge…) pour le salaud de pauvre que je suis devenu. C'est trop injuste ! caliméré-je donc depuis un quart d'heure.
Une heure.
– La lecture prolongée des romans de Trollope a, je m'en rends compte,
un “effet collatéral” inattendu. À force de fréquenter du matin au soir
autant de femmes d'évêques, de fiancées de doyens et de promises
d'archidiacres, on finit persuadé que l'Église catholique fait preuve
d'une immense sagesse en maintenant contre vents et marées le célibat de
ses prêtres.
Sept heures. – Beboper, l'un des contributeurs les plus sympathiques (a priori : je n'en connais aucun “en vrai”) du Cultural Gang Bang,
a publié tout à l'heure un billet sur la mode actuelle (et déjà assez
ancienne hélas) des prénoms absurdes. Je lui ai laissé le commentaire
suivant :
« À l'époque, pas si lointaine, où je roulais en Mégane, j'ai rencontré
une jeune fille qui se prénommait comme ma caisse. Ce qui, je peux en
jurer solennellement, ne se produisit jamais dans les temps reculés où
j'utilisais les services d'une R 25 ou d'une 190 E. J'attends
avec une certaine impatience le moment où les constructeurs automobiles,
pour se démarquer, faire original, vont décider d'appeler leurs
nouveaux modèles Chantal ou Marie-Christine. »
Mercredi 11
Quatre heures. –Non, finalement, rien.
Vendredi 13
Deux heures. –
La demi-journée passée hier chez les Desgranges fut tout à fait
normale, je veux dire : conforme à ce que sont toutes ces demi-journées
depuis maintenant six ans. Il y fut question de films français des
années cinquante, de romanciers victoriens, mais aussi des Jésuites, du
roi de France et des ignobles parlements, ainsi que de la problématique
influence des Encyclopédistes sur le processus révolutionnaire, et de
celle, non moins problématique, du curé Meslier sur la propagation de
l'athéisme.
On parla aussi de Philippe Muray et du troisième volume de son journal, Ultima necat
(dont Dame Amazon m'apprend qu'il sera disponible à la mi-octobre). Ce
volume-là a posé aux Belles Lettres quelques petits problèmes, ou au
moins suscité quelques interrogations. Muray en effet – dixit
Michel Desgranges qui a lu le manuscrit complet – y tape de façon
apparemment très violente sur des gens qui sont toujours vivants, et
dont certains ont encore un petit nom pas tout à fait inconnu du public.
Il y avait donc crainte de procès. Finalement, après consultation
d'avocat(s), il fut décidé de publier le volume avec un certain nombre
de “blancs”, aux endroits où Muray balance vraiment fort sur tel ou tel
de ses contemporains. Je regrette ces suppressions autant que Desgranges
lui-même, mais le moyen de faire autrement, en notre époque de
judiciarisation démente ?
Au beau milieu de notre
repas, Michel a eu la malchance de se faire piquer au mollet par un
frelon, dont on se demande ce qu'il foutait là et que j'ai, peu après,
réussi à persuader de s'échapper par la fenêtre, ouverte exprès pour
lui. Michel a supporté la douleur avec un stoïcisme de vieux Romain,
remettant comme si de rien n'était ces pauvres Jésuites sur notre petit
tapis tripartite.
Je suis reparti de là les bras
chargés de livres récemment publiés par les Belles Lettres, notamment
l'autobiographie de Chesterton (L'Homme à la clé d'or) ainsi que le Journal de guerre d'Evelyn Waugh. J'ai commencé tout à l'heure le premier des deux.
Samedi 14
Onze heures. – Il y a cinq minutes, sous l'influence pernicieuse de Chesterton dont j'ai commencé à lire l'autobiographie, j'ai commande la Vie de Samuel Johnson de James Boswell. J'en suis encore tout étonné.
–
En commentaire sous mon dernier billet, Élie Arié nous apprend que Sa
Niaiserie Sarkofrance premier se déclare fort satisfait de ce que son
pseudonyme lui permet de se retrouver en première page de Google, si
jamais on a l'idée de taper… Sarkofrance dans la petite fenêtre idoine.
Cette blague ! N'importe quelle andouille, même de plus fort calibre
que le sien, si elle décide de s'appeler désormais klsdfjé")e§(è, se retrouvera fatalement en tête des recherches Google dès lors que quelqu'un s'avisera de taper sur son clavier la formule klsdfjé")e§(è.
Une heure. –
Concernant l'autobiographie de Chesterton, les Belles Lettres se sont
contentées, en 2015, de reprendre la traduction qu'en avait donné un
certain Maurice Beerblock chez Desclée de Brouwer, en 1948. Ce n'est pas
par hasard que j'emploie ce mot, “contentées” : il me semble que la
dite traduction aurait gagné à être sérieusement révisée, tant elle est
parsemée (je n'irais tout de même pas jusqu'à constellée…) de bourdes. Il y a d'abord le titre. Chesterton a sobrement appelé son livre Autobiography : pourquoi être allé l'affubler d'un autre, L'Homme à la clef d'or, qui est en réalité le titre du deuxième chapitre, et n'avoir conservé Autobiographie
que comme simple sous-titre ? Ensuite viennent les véritables erreurs
de traduction et fautes de français ou d'inattention. Par exemple, M.
Beerblock semble ignorer qu'une decade anglaise n'est nullement une décade française mais bien une décennie.
Ce qui rend la phrase où il fait l'erreur totalement absurde. D'autre
part, j'admets que le mot “bistrot” puisse s'écrire avec ou sans t
final, mais il faut choisir puis s'y tenir. Et non employer l'une et
l'autre à cinq pages d'intervalle. De même, une révision attentive
aurait permis de rectifier l'horrible “c'est de cela dont
nous avons besoin”. Et de faire passer en mode subjonctif tel verbe qui
se présente sous un indicatif incongru (j'aurais dû corner la page…).
Sans compter, évidemment, tout ce que je ne peux pas voir, faute de
posséder le texte anglais et d'être capable de le lire, toutes ces
erreurs que la bourde sur “decade” laisse fâcheusement subodorer.
Néanmoins, et c'est tout à son honneur, Chesterton survit sans problème
à tous ces menus handicaps.
Lundi 16
Dix heures.
– C'est pile à l'heure que, hier, Élodie nous est arrivée de Montréal.
Ce qui ne nous a pas empêché de l'attendre durant près d'une heure et
demie, nous étant comme de juste fort en avance et le débarquement
étant, toujours comme de juste, d'une consternante lenteur. Cela m'a au
moins permis d'observer un assez large échantillon de mes contemporains,
ce que j'ai, Dieu merci, peu l'occasion de faire dans mon existence
quotidienne. D'assez nombreux humanoïdes se promènent là dans des tenues
que je n'oserais même pas revêtir pour aller promener Charlus au bout
de la rue. Je persiste à croire que cette clochardisation volontaire dit
beaucoup sur notre avachissement moral : le bermuda informe et le
tee-shirt historié favorisent l'hébétude, ce me semble indubitable.
Depuis
une heure, me voilà rendu à la solitude primordiale, Catherine et sa
fille ayant pris la voiture pour aller passer cinq jours à Saint-Malo –
en fait, plutôt quatre, le cinquième étant consacré au retour (il
manque, dans la langue française, ce qu'on pourrait appeler un
“participe futur”, lequel m'aurait été bien utile ici).
– Commencé à lire Le Maître de Ballantrae,
roman de Stevenson qui somnolait sur l'étagère anglaise de cette
bibliothèque sans avoir jamais été ouvert, contrairement à ce que j'ai
dit à Michel lors de notre dernière rencontre. Trop tôt pour en dire
quoi que ce soit.
Deux heures. – Anecdote
trouvée dans l'autobiographie de Chesterton, qui illustre à merveille ce
que peut être un vrai esprit de répartie. À un Français tout juste
débarqué sur le sol anglais, on demande s'il a déjeuné à bord du bateau.
Il se contente de répondre : « Au contraire… »
(Pendant
que j'écrivais les trois lignes précédentes, appel de Catherine, pour
me dire qu'elles étaient bien arrivées à Saint-Malo.)
Mardi 17
Onze heures. – Deuxième journée de solitude (ou de célibatariat),
et déjà les grandes questions angoissantes se pressent en foule,
notamment celle-ci, quasiment depuis le réveil : que faire pour mon
déjeuner du jour ? Ouvrir un bocal de haricots à la graisse d'oie ou
jeter un verre de coquillettes dans un litre d'eau bouillante ? Les
haricots auraient ma préférence, ayant déjà mangé des pâtes hier midi.
Seulement, j'aimerais bien pouvoir les accompagner de deux œufs
sur le plat… or je n'en ai pour l'instant qu'un. Si l'une des trois
pétasses emplumées a le bon goût de pondre d'ici midi, ce sera haricots.
Sinon…
Le suspense est à son comble, à l'extrême limite de l'humainement supportable.
– J'ai lu entièrement Le Maître de Ballantrae
hier, et avec bien du mérite, je trouve, car je m'y suis ennuyé tout au
long. Décidément, je crois que Stevenson et moi ne sommes pas faits
l'un pour l'autre (j'avais déjà trouvé son Dr Jekyll fort
emmerdant). Heureusement, l'excellent et très serviable Anthony Trollope
est venu à la rescousse, en me faisant livrer, par émissaire spécial,
ses Enfants du duc : 800 pages de pur bonheur, en principe.
– Regardé hier soir les deux premiers épisodes de la huitième saison d'American Horror Story, intitulée sobrement Apocalypse.
Ça se passe, comme le nom l'indique plus ou moins, après une attaque
nucléaire massive (dont on ne sait d'ailleurs pas, pour l'instant, qui a
bien pu la lancer). Le démarrage était plutôt excitant, la suite m'a
moins convaincu : je crains que ça ne se mette à patiner rapidement dans
le n'importe quoi ; comme c'était déjà le cas pour un certain nombre de
saisons antérieures. En fait, il n'y a que les deux premières qui
méritent vraiment d'être vues, et en particulier la deuxième, Asylum.
Là-dessus, je vais aller voir si j'ai un œuf supplémentaire…
Mercredi 18
Midi et demie. – Lu ce matin le petit livre que m'a offert Michel Desgranges la dernière fois que je fus chez lui : Moi, un manuscrit. J'en ai d'ailleurs fait un billet
de quelques lignes sur le blog… au moins parce que j'en avais assez de
voir s'afficher la photo que j'avais malencontreusement choisie pour
illustrer le billet précédent. J'avais à peine tourné la dernière page
du livre de Simone Beta (qui est un Italien et non une dame…) que la factrice me déposait gentiment la Vie de Samuel Johnson, de James Boswell (édition Gallimard de 1954).
– La saison 8 d'AHS, Apocalypse,
est totalement foutraque et part dans tous les sens. De plus, ses
concepteurs ne se gênent pas pour nous servir du réchauffé en recyclant
plus ou moins judicieusement certaines scènes des saisons précédentes.
Bref, c'est à peu près sans intérêt… ce qui ne m'empêche pas de regarder
les épisodes les uns après les autres. Heureusement, il n'y en a que
dix et me voilà déjà rendu à la moitié, ou peu s'en faut.
Jeudi 19
Trois heures.
– Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer entre Mr Trollope et moi,
mais alors que j'avais lu avec énormément de plaisir quatre ou cinq de
ses romans les uns à la suite des autres, j'ai “calé” après deux cents
pages de ses Enfants du duc ; alors que, objectivement, il
n'était pas très différent des précédents, en tout cas pas moins bon.
Mais j'ai senti que j'arrivais à saturation. Donc, plutôt que de
déboucher sur l'indigestion et le dégoût s'ensuivant, il m'a semblé
préférable d'en rester là : on verra à y regoûter d'ici quelques mois.
Pour rester dans une ambiance victorienne, j'ai ouvert Femmes et Filles
d'Elizabeth Gaskell, écrivain dont j'ignorais tout à fait l'existence
avant que Michel Desgranges ne la mentionne devant moi – lui-même ne
l'ayant encore jamais lu, si ma mémoire ne me trompe pas. Il commence
très bien, ce fort copieux roman dont je viens de lire les cent
premières pages ; si bien que, selon ma déplorable habitude, je n'ai pas
attendu d'en savoir plus à son sujet pour en commander deux autres du
même auteur ; il est vrai que Herr Momox me les proposait à trois ou
quatre euros chaque, avec le port gratuit : il aurait fallu être fou
pour s'en priver, non ? Pour ce qui est du titre de celui que je lis, il
me semble que j'aurais traduit Wives plutôt par “épouses” que
par “femmes”, afin de lever l'ambiguïté que ce mot entraîne en français,
surtout lorsqu'il est accolé à “Filles”, lui-même ambigu pour traduire Daughters.
–
MM. Murphy et Falchuk, les concepteurs d'AHS se foutent franchement du
monde : leur saison 8 est en dessous de tout. Regardant défiler ses
épisodes sans queue ni tête, j'oscille entre la consternation et le rire
nerveux.
Vendredi 20
Dix heures. –
Parcourant le dernier billet d'un pompeux imbécile, je tombe sur cette
phrase : « Autre calamité, les gilets jaunes qui veulent encore foutre
la merde demain et vont gâcher la journée du patrimoine. » Si,
réellement, les gilets jaunes pouvaient gâcher cette pure imprécation
festive qu'est la “journée du patrimoine”, il faudrait leur rendre grâce
par tous les moyens humainement possibles. Malheureusement, je crains
fort qu'ils ne parviennent à “gâcher” rien du tout.
–
Catherine et Élodie devraient m'arriver en milieu d'après-midi, si l'on
compte qu'il faut un peu plus de quatre heures pour venir de Saint-Malo,
et qu'elle n'en sont pas encore parties.
Cinq heures. – La mère et la fille sont bien arrivées, à trois heures précises. Il ne reste plus qu'à attendre l'heure apéritive…
Dimanche 22
Dix heures.
– Pour cet ultime jour d'été, la température, la nuit dernière, n'est
pas descendu au-dessous des 18°, estivalement Celsius. Mais, pendant que
je note cela (qui n'a d'autre intérêt que de tenter de faire croire que
ce journal est toujours vivant…), de gros nuages anthracite arrivent du
sud-ouest, ce qui n'est guère leur axe habituel. On dirait bien que
l'automne tient à affirmer solennellement le début de son règne.
–
Élodie nous a quitté hier pour aller villégiaturer chez ses amis picard
; elle devrait nous revenir mardi, ou peut-être seulement mercredi, vu
que les cheminots ont prévu de ne pas travailler mardi, afin de défendre
leurs privilèges. Je trouve d'ailleurs qu'ils ont bien raison de le
faire : je suis à donf pour les privilèges, moi ! y compris ceux
des autres. Ne serait-ce que pour cette raison simple : si jamais,
demain, la retraite des cheminots devenait moins avantageuse pour eux,
on peut être certain que la mienne n'augmenterait pas d'un centime pour
autant. Et puis, il me semble toujours, derrière ces nobles exigences
d'égalité parfaite, flairer la vilaine jalousie, la basse envie qui
corrode et qui ronge.
– Presque terminé le Femmes et Filles
de Mrs Gaskell. C'est un très bon roman roman, pour sûr ; mais tout de
même : 600 pages pleines à ras bord, c'est bien long… Je pense qu'après,
pour me sortir un peu de cette atmosphère “victorienne” dans laquelle
je baigne depuis des semaines, je vais faire un bond d'un petit siècle
en arrière et m'attaquer à la Vie de Samuel Johnson. À moins que
je ne repique à Bossuet, comme les derniers himmels de Michel Desgranges
m'ont ont vaguement donné l'envie (aucune personnalité, ce Didier Goux,
vraiment !).
Sept heures. – Commencé effectivement la Vie de Samuel Johnson.
Lundi 23
Dix heures. – Elle est intéressantes dès le départ, cette Vie de Samuel Johnson
; ce qui, déjà constitue une sorte de petit exploit, celui de nous
intéresser à la vie d'un intellectuel anglais du XVIIe siècle, dont on
n'a jamais lu la moindre ligne. Elle devient véritablement passionnante
aux alentours de la page 90 (sur un peu plus de 400, dans l'édition
indiquée plus haut), c'est-à-dire lorsque le jeune James Boswell
rencontre en effet Samuel Johnson et devient rapidement l'un de ses
intimes. J'y reviendrai sans doute dans quelques jours (oupa, comme disent les cons de la blogoboule).
–
En allant tout à l'heure arpenter les chemins environnants, j'ai croisé
cinq chasseurs (3 + 2). J'ai l'impression que l'ouverture intervient
bien tôt dans la saison, mais c'est sans doute une illusion que je me
fais, de croire qu'elle était plus tardive les années passées. De toute
façon, je m'en fiche, et même je suis bien content pour eux : depuis que
les chasseurs sont universellement honnis par la plupart des gens ou
groupes de gens que je méprise solidement, je me fais un devoir de les
aimer et les soutenir (alors que, si je n'écoutais que moi…).
Sept heures. –
À quelqu'un qui lui demandait si un homme pouvait vraiment être heureux
dans le moment présent, Samuel Johnson répondit : « Oui, s'il est ivre.
»
Mardi 24
Deux heures. – Cosmos, le chat d'Élodie, nous a assez nettement gâché la matinée (et, en plus, il a pas fait beau,
comme l'un de nous deux commente régulièrement dès qu'arrive une scène
de pluie ou de neige dans un film…). Normalement, quand il passe la nuit
dehors – ce qui n'est qu'une façon de parler : il est probablement
endormi douillettement au sous-sol –, celui de nous deux qui se lève le
premier trouve la bestiole en station devant la porte, pressée de
rejoindre l'assiette de croquettes qui l'attend dans la salle de bain.
Or, ce matin, pas de Cosmos. Et, à midi, toujours pas davantage, malgré
nos vagues inspections alentour et appels répétés. Le pire, dans le cas
des chats qui disparaissent ainsi, c'est que, s'il leur est arrivé
quelque chose de suffisamment grave pour qu'ils ne soient pas capable de
revenir à la maison, on est presque certain qu'ils ne sont pas loin, à
quelques dizaines de mètres au maximum, le territoire de ces animaux
n'étant jamais considérable. Seulement, où chercher, si ces andouilles
ne miaulent pas quand on les appelle ? Catherine avait déjà pris la
résolution de ne rien dire à Élodie, laquelle nous revient de Picardie
demain et ne repartira que dimanche pour Montréal. Dans la mesure où
“son” chat ne la reconnaît plus pour sa maîtresse, et même ne la
reconnaît plus du tout, il n'aurait en effet pas été très difficile de
lui faire croire que Cosmos venait se nourrir lorsqu'elle était déjà
partie se coucher ou avant qu'elle ne se réveille. Bref, tout un plan se
mettait en place… Et puis, à une heure, alors que je prenais mon
café-cigarette sur la terrasse, j'ai vu mon Cosmos arriver
tranquillement de derrière la Case, selon son petit chemin habituel.
Malgré la pluie qui n'avait pas cessé de tomber depuis le matin, il
était tout à fait sec. Et ne présentait pas la moindre blessure. À
l'heure qu'il est, après s'être convenablement restauré, il dort comme
un bienheureux (comme un bienheureux ? Qu'est-ce que j'en sais ?
Peut-être fait-il d'épouvantables cauchemars) sur le canapé du salon
télé, à distance respectueuse de Golo qui se livre à la même activité au
même endroit.
– Commencé à lire La Pierre de lune,
roman de Wilkie Collins (ami de Dickens), qui passe pour être le
premier roman policier de la littérature anglaise. De fait, il s'en
dégage des effluves d'Hercule Poirot et de Miss Marple avant la lettre,
avec même une petite pointe de Sherlock Holmes (dit-il, alors qu'il n'a
jamais lu le moindre livre d'Agatha Christie ni de Conan Doyle…).
Mercredi 25
Quatre heures. –
Brusque et brutale envie de replonger dans les livres de Yourcenar (pas
lue depuis au moins trente ans), et de m'offrir ses “œuvres
romanesques” dans la Pléiade : est-ce bien raisonnable ? D'un autre
côté, je viens d'y aller voir, ce ne serait jamais qu'une folie à 40 €…
–
Catherine est partie récupérer Élodie à Rouen, où elles doivent passer
ensemble l'après-midi, avant de rentrer ici, non sans avoir fait halte à
cet entrepôt démoniaque que l'on nomme, en murmurant et non sans
trembler, Ikéa.
Jeudi 26
Onze heures. – Je viens de terminer La Pierre de lune
: la fin m'a semblé traîner en longueur et être, au bout du compte,
assez décevante. En tête du roman, il est noté, comme il se doit : «
Traduit de l'anglais par Trucmuche. » Et, en dessous, cette précision : «
Édition revue et corrigée » On se demande par quel âne couronné elle
l'a été, revue et corrigée, tant elle reste, cette traduction,
constellée de lourdeurs de style et même de fautes de langue (par
exemple, on rencontre une hypothèse qui s'est avérée fausse…). À la longue, ça devient assez pénible, pour moi en tout cas.
Quatre heures. –
Coincé dans la Case pour cause de tornade blanche dans la maison. Les
deux filles, elles, sont au musée de Giverny (en principe…) et doivent
s'arrêter à la poste de Vernon au retour… à moins que ce ne soit à
l'aller : Élodie a tellement de mal à se décider et à ne pas changer
trois fois d'avis dès qu'il lui faut prendre la moindre décision que je
ne sais plus trop où elles en étaient au moment de leur départ. Il est
vrai que je n'écoute pas.
– Commencé un roman d'Elizabeth Gaskell, Mary Barton
: ça se passe à Manchester, il y a des patrons et des ouvriers, c'est à
peu près tout ce que je puis en dire pour le moment, vu que je me suis
endormi dessus dès le troisième chapitre.
Vendredi 27
Cinq heures. –
Dans ce qui reste de la blogoboule, chacun y va de son petit
commentaire à propos de la mort de Jacques Chirac qui, si ma mémoire est
bonne, fit semblant d'être président de la République durant une
douzaine d'années. Chacun sauf moi, qui m'en fous impérialement et n'ai
rien à dire sur ce personnage.
– J'ai abandonné
Elizabeth Gaskell après deux cents pages : j'ai passé l'âge de
pleurnicher sur le sort des ouvriers anglais du XIXe siècle. Et si
jamais l'envie me reprenait de verser quelques larmes ouvriéristes, je
me tournerais plutôt du côté de Zola : au moins, on souffre et on meurt
dans des villes que je connais.
Samedi 28
Cinq heures. – Passé l'essentiel de la journée à lire L'Aérodrome,
étonnant et remarquable roman de Rex Warner, écrivain anglais dont
j'ignorais tout à fait qu'il eût existé avant que Michel Desgranges ne
m'en touchât deux mots. Dans le genre “allégorie du totalitarisme”,
c'est autre chose qu'Orwell, ne serait-ce qu'en raison de l'humour qui
innerve – très discrètement – tout le livre. Et l'intrigue en elle-même
est aussi étrange et retorse que si elle était sortie du cerveau de
Kafka ; un Kafka qui aurait connu le nazisme.
– Demain, aller-retour à Orly pour y déposer Élodie ; journée de merde, donc. Mais, dès lundi, retour à une existence normale.
Dimanche 29
Onze heures. –
Hier, en fin d'après-midi, j'ai brusquement mis de côté les livres en
cours de lecture (James Boswell et Evelyn Waugh) pour reprendre le Journal
de Julien Green à son début. Si je m'y tiens – rien n'est moins sûr –,
j'en ai pour un moment, puisque ce journal occupe deux gros tomes de la
Pléiade plus une douzaine de volumes séparés, couvrant les décennies
“post Pléiade”. J'espère m'y tenir : l'intérêt d'une telle relecture est
de rencontrer un jeune homme de 26 ans, puis de l'accompagner jusqu'à
l'extrême bord de son centenaire (Green est mort à 98 ans). Et cela
d'une seule coulée, si je puis dire, chose que je n'avais pu faire lors
de ma découverte de ce journal, au début des années quatre-vingt,
puisque Green vivait encore et qu'il publiait son journal à raison d'un
volume tous les deux ans à peu près. On verra ce que ça donne. De plus,
ce serait une lecture économique, tous les volumes étant achetés depuis
longtemps. Et, pour une fois, pas du tout égarés.
Cinq heures et demie. –
Mission accomplie : Élodie est à Orly, ses bagages enregistrés, il ne
lui reste plus qu'à attendre l'heure d'embarquer, ce qui n'est pas de
notre ressort. Les deux trajets se sont globalement bien passés (au
retour, gros ralentissement sur l'A 86 à la hauteur d'Antony), mais
heureusement qu'Élodie, assez stressée, avait émis le souhait de partir
nettement plus tôt que trois heures et demie, ce qui était prévu à
l'origine. Car lorsque nous nous sommes retrouvés sur le chemin du
retour, à l'heure où nous aurions encore dû être sur celui de l'aller,
l'A 86 que nous venions de parcourir à peu près fluide était
complètement bouchée, et au péage de Mantes, sur l'A 13, régnait une
cohue noire (pardon : une cohue de couleur). Avant d'aller au lit, ce
qui ne devrait pas tarder plus de trois heures, il nous reste : 1) à
nourrir le chien ; 2) à savourer un dernier apéritif avant reprise de
l'abstinence ordinaire ; 3) engloutir les endives au jambon qui restent
d'avant-hier. On devrait s'en sortir avec les honneurs.
–
Et je suis ravi d'avoir renoué avec Green, même si je saute tous les
passages où il parle de peinture, comme je l'ai toujours fait également
quand je lisais le journal de Camus Renaud.
Lundi 30
Midi et demie. –
Eh bien, pour un choc ! Le fait de m'être replongé dans le journal de
Green m'a conduit, tout à l'heure, à venir ici afin de demander à Dame
Ternette quelques informations concernant Robert de Saint Jean, qui fut,
comme l'on sait, l'amant de jeunesse de Green et est resté lié à lui
jusqu'à sa mort, dans les années quatre-vingt. Par ricochet
informatique, si je puis dire, je retombe évidemment sur Julien Green
lui-même. Et c'est ainsi que j'apprends tout à trac que Robert Laffont vient de sortir un volume de sa collection Bouquins consacré au Journal intégral
de Green, c'est-à-dire avec restitution des passages caviardés par
l'auteur lui-même au moment des diverses publications. Il me semblait
avoir lu que ce journal non expurgé devait resté caché durant 50 ans
après la mort de l'auteur, ce qui nous aurait mis en 2048 : autant dire
que je n'avais aucune chance de le lire jamais. Or, il semblerait que ce
ne soit pas du tout ça, et que ce délai de cinquante années doive être
compté à partir des événements relatés dans le journal. C'est
pourquoi on peut désormais lire le dit journal pour les années 1920 à
1940, deux ou trois autres tomes étant prévus dans un avenir plus ou
moins proche.
J'ai dégoté ensuite un assez long article
de Libération rendant compte de cette parution, dans lequel son auteur,
Philippe Lançon je crois, donnait quelques exemples de passages
restitués (lesquels sont, si j'ai bien compris, imprimés en italique).
Et, là, je suis tombé de mon fauteuil, ayant l'impression très
déstabilisante d'avoir brusquement sauté du journal de Green dans celui
de Renaud Camus à la grande époque des backrooms. Il n'est plus
question, dans ces passages, que d'enculages, de partouzes avec le digne
Robert de Saint Jean, de pipes à la sauvette, etc., le tout relaté dans
le vocabulaire le plus explicite, pour ne pas dire cru.
J'ai décidé de sursoir à l'achat de ce volume. Non par pruderie (après tout, je suis tout de même lecteur du Camus de Tricks,
hein !), mais parce que je n'ai pas très envie, je crois, de voir se
brouiller à ce point l'image que je puis avoir de Julien Green. Et puis,
quoi : les scènes de baise, qu'elles soient homo ou hétérosexuelles,
deviennent vite ennuyeuses si elles se répètent trop souvent au fil des
pages ; or il semble bien que ce soit le cas chez Green, au moins chez
le Green jeune qui est concerné dans ce volume disponible. Cela
dit, je pense que je finirai tout de même par l'acheter (d'ici un an,
quand les prix auront chuté…), dans la mesure où une partie des passages
non publiés à l'origine, toujours d'après Philippe Lançon, concerne des
personnalités célèbres, en particulier du monde littéraire (Gide,
Mauriac, Maritain, etc.) sur qui Green, tout en les fréquentant, ne se
privait pas pour porter des jugements fort critiques, jugements qu'il
“effaçait” avant publication, pour des raisons faciles à comprendre.
Cette partie-là m'intéresse évidemment beaucoup. Mais enfin, pour le
moment, je vais continuer de relire la version expurgée, “tous publics”,
dont j'ai entamé la relecture hier. Il n'empêche que je vais avoir du
mal à contempler mon personnage du même œil qu'avant. On a beau dire :
découvrir brusquement que le digne grand-père catho et un peu compassé
que l'on fréquentait en toute quiétude s'amusait, dès que vous aviez le
dos tourné, à enculer un danseur nègre ou à se faire sucer par le petit
télégraphiste, eh bien, ça demande tout de même un petit temps
d'adaptation.
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