mardi 1 octobre 2019

Septembre 2019










GRAND-PÈRE INDIGNE









Dimanche 1er

Onze heures. – Je ne me lasserai jamais de le répéter (même au risque de lasser les autres…) : c'est avec un ravissement inentamé que, chaque année, je vois s'éteindre août et arriver septembre. Pour parfaire mon illusion d'automne, il fait plutôt frais, ce matin.

– J'ai terminé peu après le petit-déjeuner les huit cents pages serrées de l'excellent roman de Trollope, Quelle époque !. J'en attend trois autres du même écrivain. Pour patienter d'ici leur arrivée, j'ai ressorti Jude l'obscur de Thomas Hardy. Voilà un écrivain dont j'aimerais bien convaincre Michel Desgranges de le lire, ce qu'il n'a jamais fait, si je ne me trompe pas. Mais, pour espérer être convaincant, il m'a paru judicieux de rafraîchir mes souvenirs d'icelui. J'ai ici quatre ou cinq romans de lui, ce qui sera amplement suffisant – si même je ne “cale” pas avant de boucler le cycle.


Lundi 2

Midi et demie. – Il y a tout de même des jeunes gens bizarres, de nos jours. Ce matin, en commentaire d'un vieux billet, je reçois les quelques lignes suivantes, d'une certaine Zoë (mais pourquoi ce tréma sur l'e ?) Dubus : « Bonjour, je suis doctorante en histoire et je recherche des informations sur Maurice Vincent. Si vous êtes d'accord pour échanger avec moi n'hésitez pas à me contacter à l'adresse suivante : zoe.d@outlook.fr
Merci d'avance pour votre aide! »

Or, la première chose que l'on découvre, en haut à gauche, quand on arrive sur le blog, c'est mon adresse himmel. Rien de plus facile, donc, si l'on a quelque chose à me demander personnellement, que de le faire par cette voie. De toute façon, il me semble tout de même un peu abusif, quand on a un service à demander à quelqu'un, de se contenter de lui balancer son adresse en exigeant plus ou moins que ce soit lui qui prenne l'initiative d'une véritable prise de contact. (J'ai l'impression de faire mon Renaud Camus, là…) Bref, je suis désolé, Mamzelle Zoé-avec-tréma, mais il vous faudra, si vous voulez bénéficier de mon aide, adopter des façons un peu moins cavalières. Du reste, c'est un effort que je puis tout de suite vous déconseiller, car vous y perdriez votre temps : je n'ai rigoureusement rien à dire sur Maurice Vincent, que je n'ai même jamais rencontré.

– Reçu tout à l'heure trois gros romans de ce cher Trollope, ainsi qu'un de Thomas Hardy que je ne connais pas encore (Loin de la foule déchaînée).  À propos de lui, Hardy, je me sens déjà nettement moins assuré de faire sa promotion auprès de Michel Desgranges dans la mesure où, hier, j'ai abandonné Jude l'obscur après cent cinquante pages, ne retrouvant rien, en elles, de ce qui avait pu m'enthousiasmer voilà quelques années. Les dialogues, notamment, m'ont paru terriblement artificiels – mais ce peut être la faute du traducteur, comment savoir ? Je referai tout de même une ou deux tentatives, notamment avec le roman qui vient de m'arriver. Mais ce sera après Trollope.

– Envoyé un court himmel “clin d'œil” à Marco Polo, pour lui dire tout mon soutien amical en ce jour de rentrée scolaire…


Mardi 3

Une heure. – Dans son plus récent message, le pape demande aux catholiques du monde entier de prier, ce mois-ci, “pour les mers et les océans”. Catherine est effondrée. Je la comprends : il y a des jours où l'on se trouve bien aise d'être agnostique…

Comme si cela ne suffisait pas, la même Catherine, juste après, a découvert que je ne sais quel groupuscule vegan avait décidé de séparer les coqs des poules, pour “éviter les viols”. J'avoue que c'est là une initiative qui m'a plongé dans une sorte de jubilation dont je ne suis pas encore tout à fait sorti. Mais comment pourrait-on continuer à caricaturer le monde, après ça ?

– Agnès Maillard, le réjouissant bas bleu tenant blog à l'enseigne du Monolecte, peut se vanter d'avoir des commentateurs à la hauteur de ses propres prétentions intellectuelles (elle a auto-édité un livre qui, en toute modestie, s'intitule Comprendre l'antisémitisme…). Sous le billet que j'ai mis en lien, l'un d'eux disserte doctement sur les mérites de la culture arborigène. Mais c'est surtout le prénommé Paul qui, à force d'amphigouri ne se relâchant jamais, tout au long de ses commentaires aussi copieux qu'abscons, parvient à devenir réellement fascinant. Je sens que j'y retournerai de temps en temps ; mais il doit falloir prendre garde à ne pas dépasser la dose prescrite et à tenir la chose hors de portée des moins de 16 ans.


Mercredi 4

Trois heures. – Appel téléphonique du Père B., pour nous donner quelques nouvelles, prendre un peu des nôtres et, surtout, nous dire que, prévoyant un voyage éclair vers la côte normande aux environs du 15, il serait ravi de pouvoir faire escale ici. Ravis, nous le sommes également, ainsi que nous le lui avons affirmé. Reste que, très pris par sa mission pastorale, il n'est pas encore tout à fait sûr de pouvoir entreprendre ce petit périple. Catherine et moi espérons qu'il le fera.


Jeudi 5

Quatre heures. – La très charmante Élodie, en inaltérable bas-bleu post-moderne qu'elle est, fait preuve, dans son dernier billet, d'un prévisible enthousiasme pour cette réjouissante pantalonnade – réjouissante mais probablement coûteuse – qui se nomme le “Grenelle des violences conjugales” (rires dans la tribune). À cette occasion, notre sympathique croisée donne la définition mini-robertienne du néologisme en vogue, j'ai nomme le féminicide : “meurtre d'une femme, d'une fille, en raison de son sexe”. Elle a bien tort de le faire car, au vu de cette définition, chacun peut voir que le mot est inadapté à ce qu'il prétend désigner, à savoir les très-fameuses et très-horrifiques violences conjugales. Des gens, presque toujours des hommes en effet, dont les actes correspondent à la définition, il y a en a. Mais heureusement très peu. Ce sont ces tueurs psychotiques qui éprouvent régulièrement le besoin irrépressible de tuer une femme. N'importe quelle femme. Celle qui se présente au moment de leur crise. Ceux-là, en effet, commettent des féminicides, c'est-à-dire qu'ils tuent des personnes en raison de leur sexe, et uniquement pour cela. Ce n'est pas du tout le cas d'un mari tuant sa femme, ou sa compagne. Qu'il le fasse intentionnellement ou plus ou moins malgré lui au cours d'une rixe, ce n'est pas le sexe de sa victime qui le motive, mais tout un tas d'autres raisons, certes toutes mauvaises eu égard au résultat final, mais dans lesquelles il n'est pas nécessaire d'entrer ici. La meilleure preuve de cela est que, si jamais l'épouse ou la compagne parvient à se soustraire à sa violence, cet homme n'ira jamais s'en prendre à la voisine, à la promeneuse qui passe sous ses fenêtres à ce moment-là ou à la vendeuse de la boulangerie du coin.  Simplement parce qu'il n'a pas en lui de pulsion féminicide, mais qu'il est la proie d'une flambée de violence envers une personne très précise, celle qui partage son existence et dont il trouve, à ce moment précis, qu'elle la lui pourrit vraiment trop. Qu'il ait tort de la frapper, qu'il soit lourdement condamné s'il la tue, cela va de soi, et c'est un combat déjà gagné que les féministes feignent d'avoir à mener (ces mêmes féministes qui, face aux violences que subissent les femmes dans certaines rues, et qui, elles, leur sont bel et bien infligées “en raison de leur sexe”, proposent benoitement que l'on élargisse les trottoirs…). Question corollaire :  si un mari tuant son épouse est coupable de féminicide, quel mot devra-t-on inventer pour désigner le meurtre de parent 1 par parent 2 au sein d'un couple d'homosexuels ? J'ai l'air de plaisanter, mas je suis bien sûr que certains y réfléchissent déjà. Et sérieusement.


Samedi 7

Sept heures. – Relu Les Philosophes de Michel Desgranges : hautement réjouissant. Billet à venir sur le blog, probablement demain.


Dimanche 8

Trois heures. – Il est toujours très agréable, et même jubilatoire, de voir s'assembler les gens que l'on pensait soi-même devoir le faire. Cela fonctionne dans le sens positif de la chose, mais aussi dans l'autre. Ainsi, dans son postillon du jour (à peu près incompréhensible, d'ailleurs : même ce puits de science et de clarté qu'est M. Arié avoue y avoir perdu son latin…), le pontifiant Juan Sarkofrance fait sa révérence et tresse des couronne à Agnès Maillard, alias le Monolecte, que j'égratignai il y a deux ou trois jours (voir un peu plus haut). Lui et sa pleureuse attitrée (Sylvie 75) louent entre autres les beautés de son style, alors que la dame Maillard écrit dans un français aussi empâté qu'amphigourique, qui aurait fait éclater de rire Léautaud, ainsi d'ailleurs que toute personne ayant une idée, même vague, de ce que signifie ce verbe : écrire. À propos de ce style merveilleux de la Maillard, l'un des commentateurs de Juan, sans doute dans un inattendu éclair de lucidité, note que, tout de même, “certain vieux grognon” pourrait y trouver à redire. J'ai la fatuité de penser qu'il songeait à moi en écrivant cela… En tout cas, comme dit la vieille blague populaire : s'ils font des petits, ces deux-là, c'est pas la peine qu'ils m'en gardent un.

– Écrit et publié le billet concernant le roman de Michel Desgranges.


Mardi 10

Dix heures. – Élodie va nous tomber du ciel, du ciel québécois, dimanche prochain. Elle restera deux semaines en France, mais pas nécessairement ici : sa mère et elle doivent, si j'ai bien compris, aller passer quatre ou cinq jours à Saint-Malo (où Élodie a vécu) dès lundi prochain. Il est aussi question, toujours si j'ai bien compris, qu'Élodie aille ensuite, mais seule, passer quelques autres jours en Picardie (où elle a également vécu). Il y a aussi la visite du Père B. qui, pour l'instant, est toujours en suspend, mais devrait, si elle se réalise, tomber en même temps. Enfin, on verra bien.

– Michel Desgranges se déclare très heureux du billet que j'ai consacré à son roman. Un bonheur que je suis loin de partager, le trouvant, moi, ce billet, plutôt emprunté, voire pâteux. Il me semble que j'aurais pu et dû faire mieux. Mais comme j'ai presque toujours cette impression, ça ne signifie sans doute pas grand-chose.

– Je continue à lire Trollope avec énormément de plaisir. Pour le prolonger encore, ce plaisir (je n'ai plus que deux livres en attente), j'ai voulu, il y a un moment, commander d'autres romans de lui. Las ! ceux que je guignais (les Palliser Novels) sont, à l'exception d'un seul, aussitôt commandé, proposés à des tarifs vraiment trop prohibitifs (un tarif peut-il être trop prohibitif ? Je m'interroge…) pour le salaud de pauvre que je suis devenu. C'est trop injuste ! caliméré-je donc depuis un quart d'heure.

Une heure. – La lecture prolongée des romans de Trollope a, je m'en rends compte, un “effet collatéral” inattendu. À force de fréquenter du matin au soir autant de femmes d'évêques, de fiancées de doyens et de promises d'archidiacres, on finit persuadé que l'Église catholique fait preuve d'une immense sagesse en maintenant contre vents et marées le célibat de ses prêtres.

Sept heures. – Beboper, l'un des contributeurs les plus sympathiques (a priori : je n'en connais aucun “en vrai”) du Cultural Gang Bang, a publié tout à l'heure un billet sur la mode actuelle (et déjà assez ancienne hélas) des prénoms absurdes. Je lui ai laissé le commentaire suivant :

« À l'époque, pas si lointaine, où je roulais en Mégane, j'ai rencontré une jeune fille qui se prénommait comme ma caisse. Ce qui, je peux en jurer solennellement, ne se produisit jamais dans les temps reculés où j'utilisais les services d'une R 25 ou d'une 190 E. J'attends avec une certaine impatience le moment où les constructeurs automobiles, pour se démarquer, faire original, vont décider d'appeler leurs nouveaux modèles Chantal ou Marie-Christine. »


Mercredi 11

Quatre heures. –Non, finalement, rien.


Vendredi 13

Deux heures. – La demi-journée passée hier chez les Desgranges fut tout à fait normale, je veux dire : conforme à ce que sont toutes ces demi-journées depuis maintenant six ans. Il y fut question de films français des années cinquante, de romanciers victoriens, mais aussi des Jésuites, du roi de France et des ignobles parlements, ainsi que de la problématique influence des Encyclopédistes sur le processus révolutionnaire, et de celle, non moins problématique, du curé Meslier sur la propagation de l'athéisme.

On parla aussi de Philippe Muray et du troisième volume de son journal, Ultima necat (dont Dame Amazon m'apprend qu'il sera disponible à la mi-octobre). Ce volume-là a posé aux Belles Lettres quelques petits problèmes, ou au moins suscité quelques interrogations. Muray en effet – dixit Michel Desgranges qui a lu le manuscrit complet – y tape de façon apparemment très violente sur des gens qui sont toujours vivants, et dont certains ont encore un petit nom pas tout à fait inconnu du public. Il y avait donc crainte de procès. Finalement, après consultation d'avocat(s), il fut décidé de publier le volume avec un certain nombre de “blancs”, aux endroits où Muray balance vraiment fort sur tel ou tel de ses contemporains. Je regrette ces suppressions autant que Desgranges lui-même, mais le moyen de faire autrement, en notre époque de judiciarisation démente ?

Au beau milieu de notre repas, Michel a eu la malchance de se faire piquer au mollet par un frelon, dont on se demande ce qu'il foutait là et que j'ai, peu après, réussi à persuader de s'échapper par la fenêtre, ouverte exprès pour lui. Michel a supporté la douleur avec un stoïcisme de vieux Romain, remettant comme si de rien n'était ces pauvres Jésuites sur notre petit tapis tripartite.

Je suis reparti de là les bras chargés de livres récemment publiés par les Belles Lettres, notamment l'autobiographie de Chesterton (L'Homme à la clé d'or) ainsi que le Journal de guerre d'Evelyn Waugh. J'ai commencé tout à l'heure le premier des deux.


Samedi 14

Onze heures. – Il y a cinq minutes, sous l'influence pernicieuse de Chesterton dont j'ai commencé à lire l'autobiographie, j'ai commande la Vie de Samuel Johnson de James Boswell. J'en suis encore tout étonné.

– En commentaire sous mon dernier billet, Élie Arié nous apprend que Sa Niaiserie Sarkofrance premier se déclare fort satisfait de ce que son pseudonyme lui permet de se retrouver en première page de Google, si jamais on a l'idée de taper… Sarkofrance dans la petite fenêtre idoine.  Cette blague ! N'importe quelle andouille, même de plus fort calibre que le sien, si elle décide de s'appeler désormais klsdfjé")e§(è, se retrouvera fatalement en tête des recherches Google dès lors que quelqu'un s'avisera de taper sur son clavier la formule klsdfjé")e§(è.

Une heure. – Concernant l'autobiographie de Chesterton, les Belles Lettres se sont contentées, en 2015, de reprendre la traduction qu'en avait donné un certain Maurice Beerblock chez Desclée de Brouwer, en 1948. Ce n'est pas par hasard que j'emploie ce mot, “contentées” : il me semble que la dite traduction aurait gagné à être sérieusement révisée, tant elle est parsemée (je n'irais tout de même pas jusqu'à constellée…) de bourdes. Il y a d'abord le titre. Chesterton a sobrement appelé son livre Autobiography : pourquoi être allé l'affubler d'un autre, L'Homme à la clef d'or, qui est en réalité le titre du deuxième chapitre, et n'avoir conservé Autobiographie que comme simple sous-titre ? Ensuite viennent les véritables erreurs de traduction et fautes de français ou d'inattention. Par exemple, M. Beerblock semble ignorer qu'une decade anglaise n'est nullement une décade française mais bien une décennie. Ce qui rend la phrase où il fait l'erreur totalement absurde. D'autre part, j'admets que le mot “bistrot” puisse s'écrire avec ou sans t final, mais il faut choisir puis s'y tenir. Et non employer l'une et l'autre à cinq pages d'intervalle. De même, une révision attentive aurait permis de rectifier l'horrible “c'est de cela dont nous avons besoin”. Et de faire passer en mode subjonctif tel verbe qui se présente sous un indicatif incongru (j'aurais dû corner la page…). Sans compter, évidemment, tout ce que je ne peux pas voir, faute de posséder le texte anglais et d'être capable de le lire, toutes ces erreurs que la bourde sur “decade” laisse fâcheusement subodorer. Néanmoins, et c'est tout à son honneur, Chesterton survit sans problème à tous ces menus handicaps.


Lundi 16

Dix heures. – C'est pile à l'heure que, hier, Élodie nous est arrivée de Montréal. Ce qui ne nous a pas empêché de l'attendre durant près d'une heure et demie, nous étant comme de juste fort en avance et le débarquement étant, toujours comme de juste, d'une consternante lenteur. Cela m'a au moins permis d'observer un assez large échantillon de mes contemporains, ce que j'ai, Dieu merci, peu l'occasion de faire dans mon existence quotidienne. D'assez nombreux humanoïdes se promènent là dans des tenues que je n'oserais même pas revêtir pour aller promener Charlus au bout de la rue. Je persiste à croire que cette clochardisation volontaire dit beaucoup sur notre avachissement moral : le bermuda informe et le tee-shirt historié favorisent l'hébétude, ce me semble indubitable.

Depuis une heure, me voilà rendu à la solitude primordiale, Catherine et sa fille ayant pris la voiture pour aller passer cinq jours à Saint-Malo – en fait, plutôt quatre, le cinquième étant consacré au retour (il manque, dans la langue française, ce qu'on pourrait appeler un “participe futur”, lequel m'aurait été bien utile ici).

– Commencé à lire Le Maître de Ballantrae, roman de Stevenson qui somnolait sur l'étagère anglaise de cette bibliothèque sans avoir jamais été ouvert, contrairement à ce que j'ai dit à Michel lors de notre dernière rencontre. Trop tôt pour en dire quoi que ce soit.

Deux heures. – Anecdote trouvée dans l'autobiographie de Chesterton, qui illustre à merveille ce que peut être un vrai esprit de répartie. À un Français tout juste débarqué sur le sol anglais, on demande s'il a déjeuné à bord du bateau. Il se contente de répondre : « Au contraire… »

(Pendant que j'écrivais les trois lignes précédentes, appel de Catherine, pour me dire qu'elles étaient bien arrivées à Saint-Malo.)


Mardi 17

Onze heures. – Deuxième journée de solitude (ou de célibatariat), et déjà les grandes questions angoissantes se pressent en foule, notamment celle-ci, quasiment depuis le réveil : que faire pour mon déjeuner du jour ? Ouvrir un bocal de haricots à la graisse d'oie ou jeter un verre de coquillettes dans un litre d'eau bouillante ? Les haricots auraient ma préférence, ayant déjà mangé des pâtes hier midi. Seulement, j'aimerais bien pouvoir les accompagner de deux œufs sur le plat… or je n'en ai pour l'instant qu'un. Si l'une des trois pétasses emplumées a le bon goût de pondre d'ici midi, ce sera haricots. Sinon…

Le suspense est à son comble, à l'extrême limite de l'humainement supportable.

– J'ai lu entièrement Le Maître de Ballantrae hier, et avec bien du mérite, je trouve, car je m'y suis ennuyé tout au long. Décidément, je crois que Stevenson et moi ne sommes pas faits l'un pour l'autre (j'avais déjà trouvé son Dr Jekyll fort emmerdant). Heureusement, l'excellent et très serviable Anthony Trollope est venu à la rescousse, en me faisant livrer, par émissaire spécial, ses Enfants du duc : 800 pages de pur bonheur, en principe.

– Regardé hier soir les deux premiers épisodes de la huitième saison d'American Horror Story, intitulée sobrement Apocalypse. Ça se passe, comme le nom l'indique plus ou moins, après une attaque nucléaire massive (dont on ne sait d'ailleurs pas, pour l'instant, qui a bien pu la lancer). Le démarrage était plutôt excitant, la suite m'a moins convaincu : je crains que ça ne se mette à patiner rapidement dans le n'importe quoi ; comme c'était déjà le cas pour un certain nombre de saisons antérieures. En fait, il n'y a que les deux premières qui méritent vraiment d'être vues, et en particulier la deuxième, Asylum.

Là-dessus, je vais aller voir si j'ai un œuf supplémentaire…


Mercredi 18

Midi et demie. – Lu ce matin le petit livre que m'a offert Michel Desgranges la dernière fois que je fus chez lui : Moi, un manuscrit. J'en ai d'ailleurs fait un billet de quelques lignes sur le blog… au moins parce que j'en avais assez de voir s'afficher la photo que j'avais malencontreusement choisie pour illustrer le billet précédent. J'avais à peine tourné la dernière page du livre de Simone Beta (qui est un Italien et non une dame…) que la factrice me déposait gentiment la Vie de Samuel Johnson, de James Boswell (édition Gallimard de 1954).

– La saison 8 d'AHS, Apocalypse, est totalement foutraque et part dans tous les sens. De plus, ses concepteurs ne se gênent pas pour nous servir du réchauffé en recyclant plus ou moins judicieusement certaines scènes des saisons précédentes. Bref, c'est à peu près sans intérêt… ce qui ne m'empêche pas de regarder les épisodes les uns après les autres. Heureusement, il n'y en a que dix et me voilà déjà rendu à la moitié, ou peu s'en faut.


Jeudi 19

Trois heures. – Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer entre Mr Trollope et moi, mais alors que j'avais lu avec énormément de plaisir quatre ou cinq de ses romans les uns à la suite des autres, j'ai “calé” après deux cents pages de ses Enfants du duc ; alors que, objectivement, il n'était pas très différent des précédents, en tout cas pas moins bon. Mais j'ai senti que j'arrivais à saturation. Donc, plutôt que de déboucher sur l'indigestion et le dégoût s'ensuivant, il m'a semblé préférable d'en rester là : on verra à y regoûter d'ici quelques mois. Pour rester dans une ambiance victorienne, j'ai ouvert Femmes et Filles d'Elizabeth Gaskell, écrivain dont j'ignorais tout à fait l'existence avant que Michel Desgranges ne la mentionne devant moi – lui-même ne l'ayant encore jamais lu, si ma mémoire ne me trompe pas. Il commence très bien, ce fort copieux roman dont je viens de lire les cent premières pages ; si bien que, selon ma déplorable habitude, je n'ai pas attendu d'en savoir plus à son sujet pour en commander deux autres du même auteur ; il est vrai que Herr Momox me les proposait à trois ou quatre euros chaque, avec le port gratuit : il aurait fallu être fou pour s'en priver, non ? Pour ce qui est du titre de celui que je lis, il me semble que j'aurais traduit Wives plutôt par “épouses” que par “femmes”, afin de lever l'ambiguïté que ce mot entraîne en français, surtout lorsqu'il est accolé à “Filles”, lui-même ambigu pour traduire Daughters.

– MM. Murphy et Falchuk, les concepteurs d'AHS se foutent franchement du monde : leur saison 8 est en dessous de tout. Regardant défiler ses épisodes sans queue ni tête, j'oscille entre la consternation et le rire nerveux.


Vendredi 20

Dix heures. – Parcourant le dernier billet d'un pompeux imbécile, je tombe sur cette phrase : « Autre calamité, les gilets jaunes qui veulent encore foutre la merde demain et vont gâcher la journée du patrimoine. » Si, réellement, les gilets jaunes pouvaient gâcher cette pure imprécation festive qu'est la “journée du patrimoine”, il faudrait leur rendre grâce par tous les moyens humainement possibles. Malheureusement, je crains fort qu'ils ne parviennent à “gâcher” rien du tout.

– Catherine et Élodie devraient m'arriver en milieu d'après-midi, si l'on compte qu'il faut un peu plus de quatre heures pour venir de Saint-Malo, et qu'elle n'en sont pas encore parties.

 Cinq heures. – La mère et la fille sont bien arrivées, à trois heures précises. Il ne reste plus qu'à attendre l'heure apéritive…


Dimanche 22

Dix heures. – Pour cet ultime jour d'été, la température, la nuit dernière, n'est pas descendu au-dessous des 18°, estivalement Celsius. Mais, pendant que je note cela (qui n'a d'autre intérêt que de tenter de faire croire que ce journal est toujours vivant…), de gros nuages anthracite arrivent du sud-ouest, ce qui n'est guère leur axe habituel. On dirait bien que l'automne tient à affirmer solennellement le début de son règne.

– Élodie nous a quitté hier pour aller villégiaturer chez ses amis picard ; elle devrait nous revenir mardi, ou peut-être seulement mercredi, vu que les cheminots ont prévu de ne pas travailler mardi, afin de défendre leurs privilèges. Je trouve d'ailleurs qu'ils ont bien raison de le faire : je suis à donf pour les privilèges, moi ! y compris ceux des autres. Ne serait-ce que pour cette raison simple : si jamais, demain, la retraite des cheminots devenait moins avantageuse pour eux, on peut être certain que la mienne n'augmenterait pas d'un centime pour autant. Et puis, il me semble toujours, derrière ces nobles exigences d'égalité parfaite, flairer la vilaine jalousie, la basse envie qui corrode et qui ronge.

– Presque terminé le Femmes et Filles de Mrs Gaskell. C'est un très bon roman roman, pour sûr ; mais tout de même : 600 pages pleines à ras bord, c'est bien long… Je pense qu'après, pour me sortir un peu de cette atmosphère “victorienne” dans laquelle je baigne depuis des semaines, je vais faire un bond d'un petit siècle en arrière et m'attaquer à la Vie de Samuel Johnson. À moins que je ne repique à Bossuet, comme les derniers himmels de Michel Desgranges m'ont ont vaguement donné l'envie (aucune personnalité, ce Didier Goux, vraiment !).

Sept heures. – Commencé effectivement la Vie de Samuel Johnson.


Lundi 23

Dix heures. – Elle est intéressantes dès le départ, cette Vie de Samuel Johnson ; ce qui, déjà constitue une sorte de petit exploit, celui de nous intéresser à la vie d'un intellectuel anglais du XVIIe siècle, dont on n'a jamais lu la moindre ligne. Elle devient véritablement passionnante aux alentours de la page 90 (sur un peu plus de 400, dans l'édition indiquée plus haut), c'est-à-dire lorsque le jeune James Boswell rencontre en effet Samuel Johnson et devient rapidement l'un de ses intimes.  J'y reviendrai sans doute dans quelques jours (oupa, comme disent les cons de la blogoboule).

– En allant tout à l'heure arpenter les chemins environnants, j'ai croisé cinq chasseurs (3 + 2). J'ai l'impression que l'ouverture intervient bien tôt dans la saison, mais c'est sans doute une illusion que je me fais, de croire qu'elle était plus tardive les années passées. De toute façon, je m'en fiche, et même je suis bien content pour eux : depuis que les chasseurs sont universellement honnis par la plupart des gens ou groupes de gens que je méprise solidement, je me fais un devoir de les aimer et les soutenir (alors que, si je n'écoutais que moi…).

Sept heures. – À quelqu'un qui lui demandait si un homme pouvait vraiment être heureux dans le moment présent, Samuel Johnson répondit : « Oui, s'il est ivre. »


Mardi 24

Deux heures. – Cosmos, le chat d'Élodie, nous a assez nettement gâché la matinée (et, en plus, il a pas fait beau, comme l'un de nous deux commente régulièrement dès qu'arrive une scène de pluie ou de neige dans un film…). Normalement, quand il passe la nuit dehors – ce qui n'est qu'une façon de parler : il est probablement endormi douillettement au sous-sol –, celui de nous deux qui se lève le premier trouve la bestiole en station devant la porte, pressée de rejoindre l'assiette de croquettes qui l'attend dans la salle de bain. Or, ce matin, pas de Cosmos. Et, à midi, toujours pas davantage, malgré nos vagues inspections alentour et appels répétés. Le pire, dans le cas des chats qui disparaissent ainsi, c'est que, s'il leur est arrivé quelque chose de suffisamment grave pour qu'ils ne soient pas capable de revenir à la maison, on est presque certain qu'ils ne sont pas loin, à quelques dizaines de mètres au maximum, le territoire de ces animaux n'étant jamais considérable. Seulement, où chercher, si ces andouilles ne miaulent pas quand on les appelle ? Catherine avait déjà pris la résolution de ne rien dire à Élodie, laquelle nous revient de Picardie demain et ne repartira que dimanche pour Montréal. Dans la mesure où “son” chat ne la reconnaît plus pour sa maîtresse, et même ne la reconnaît plus du tout, il n'aurait en effet pas été très difficile de lui faire croire que Cosmos venait se nourrir lorsqu'elle était déjà partie se coucher ou avant qu'elle ne se réveille. Bref, tout un plan se mettait en place… Et puis, à une heure, alors que je prenais mon café-cigarette sur la terrasse, j'ai vu mon Cosmos arriver tranquillement de derrière la Case, selon son petit chemin habituel. Malgré la pluie qui n'avait pas cessé de tomber depuis le matin, il était tout à fait sec. Et ne présentait pas la moindre blessure. À l'heure qu'il est, après s'être convenablement restauré, il dort comme un bienheureux (comme un bienheureux ? Qu'est-ce que j'en sais ? Peut-être fait-il d'épouvantables cauchemars) sur le canapé du salon télé, à distance respectueuse de Golo qui se livre à la même activité au même endroit.

– Commencé à lire La Pierre de lune, roman de Wilkie Collins (ami de Dickens), qui passe pour être le premier roman policier de la littérature anglaise. De fait, il s'en dégage des effluves d'Hercule Poirot et de Miss Marple avant la lettre, avec même une petite pointe de Sherlock Holmes (dit-il, alors qu'il n'a jamais lu le moindre livre d'Agatha Christie ni de Conan Doyle…).


Mercredi 25

Quatre heures. – Brusque et brutale envie de replonger dans les livres de Yourcenar (pas lue depuis au moins trente ans), et de m'offrir ses “œuvres romanesques” dans la Pléiade : est-ce bien raisonnable ? D'un autre côté, je viens d'y aller voir, ce ne serait jamais qu'une folie à 40 €…

– Catherine est partie récupérer Élodie à Rouen, où elles doivent passer ensemble l'après-midi, avant de rentrer ici, non sans avoir fait halte à cet entrepôt démoniaque que l'on nomme, en murmurant et non sans trembler, Ikéa.


Jeudi 26

Onze heures. – Je viens de terminer La Pierre de lune : la fin m'a semblé traîner en longueur et être, au bout du compte, assez décevante. En tête du roman, il est noté, comme il se doit : « Traduit de l'anglais par Trucmuche. » Et, en dessous, cette précision : « Édition revue et corrigée » On se demande par quel âne couronné elle l'a été, revue et corrigée, tant elle reste, cette traduction, constellée de lourdeurs de style et même de fautes de langue (par exemple, on rencontre une hypothèse qui s'est avérée fausse…). À la longue, ça devient assez pénible, pour moi en tout cas.

Quatre heures. – Coincé dans la Case pour cause de tornade blanche dans la maison. Les deux filles, elles, sont au musée de Giverny (en principe…) et doivent s'arrêter à la poste de Vernon au retour… à moins que ce ne soit à l'aller : Élodie a tellement de mal à se décider et à ne pas changer trois fois d'avis dès qu'il lui faut prendre la moindre décision que je ne sais plus trop où elles en étaient au moment de leur départ. Il est vrai que je n'écoute pas.

– Commencé un roman d'Elizabeth Gaskell, Mary Barton : ça se passe à Manchester, il y a des patrons et des ouvriers, c'est à peu près tout ce que je puis en dire pour le moment, vu que je me suis endormi dessus dès le troisième chapitre.


Vendredi 27

Cinq heures. – Dans ce qui reste de la blogoboule, chacun y va de son petit commentaire à propos de la mort de Jacques Chirac qui, si ma mémoire est bonne, fit semblant d'être président de la République durant une douzaine d'années. Chacun sauf moi, qui m'en fous impérialement et n'ai rien à dire sur ce personnage.

– J'ai abandonné Elizabeth Gaskell après deux cents pages : j'ai passé l'âge de pleurnicher sur le sort des ouvriers anglais du XIXe siècle. Et si jamais l'envie me reprenait de verser quelques larmes ouvriéristes, je me tournerais plutôt du côté de Zola : au moins, on souffre et on meurt dans des villes que je connais.


Samedi 28

Cinq heures. – Passé l'essentiel de la journée à lire L'Aérodrome, étonnant et remarquable roman de Rex Warner, écrivain anglais dont j'ignorais tout à fait qu'il eût existé avant que Michel Desgranges ne m'en touchât deux mots. Dans le genre “allégorie du totalitarisme”, c'est autre chose qu'Orwell, ne serait-ce qu'en raison de l'humour qui innerve – très discrètement – tout le livre. Et l'intrigue en elle-même est aussi étrange et retorse que si elle était sortie du cerveau de Kafka ; un Kafka qui aurait connu le nazisme.

– Demain, aller-retour à Orly pour y déposer Élodie ; journée de merde, donc. Mais, dès lundi, retour à une existence normale.


Dimanche 29

Onze heures. – Hier, en fin d'après-midi, j'ai brusquement mis de côté les livres en cours de lecture (James Boswell et Evelyn Waugh) pour reprendre le Journal de Julien Green à son début. Si je m'y tiens – rien n'est moins sûr –, j'en ai pour un moment, puisque ce journal occupe deux gros tomes de la Pléiade plus une douzaine de volumes séparés, couvrant les décennies “post Pléiade”. J'espère m'y tenir : l'intérêt d'une telle relecture est de rencontrer un jeune homme de 26 ans, puis de l'accompagner jusqu'à l'extrême bord de son centenaire (Green est mort à 98 ans). Et cela d'une seule coulée, si je puis dire, chose que je n'avais pu faire lors de ma découverte de ce journal, au début des années quatre-vingt, puisque Green vivait encore et qu'il publiait son journal à raison d'un volume tous les deux ans à peu près. On verra ce que ça donne. De plus, ce serait une lecture économique, tous les volumes étant achetés depuis longtemps. Et, pour une fois, pas du tout égarés.

Cinq heures et demie. – Mission accomplie : Élodie est à Orly, ses bagages enregistrés, il ne lui reste plus qu'à attendre l'heure d'embarquer, ce qui n'est pas de notre ressort. Les deux trajets se sont globalement bien passés (au retour, gros ralentissement sur l'A 86 à la hauteur d'Antony), mais heureusement qu'Élodie, assez stressée, avait émis le souhait de partir nettement plus tôt que trois heures et demie, ce qui était prévu à l'origine. Car lorsque nous nous sommes retrouvés sur le chemin du retour, à l'heure où nous aurions encore dû être sur celui de l'aller, l'A 86 que nous venions de parcourir à peu près fluide était complètement bouchée, et au péage de Mantes, sur l'A 13, régnait une cohue noire (pardon : une cohue de couleur). Avant d'aller au lit, ce qui ne devrait pas tarder plus de trois heures, il nous reste : 1) à nourrir le chien ; 2) à savourer un dernier apéritif avant reprise de l'abstinence ordinaire ; 3) engloutir les endives au jambon qui restent d'avant-hier. On devrait s'en sortir avec les honneurs.

– Et je suis ravi d'avoir renoué avec Green, même si je saute tous les passages où il parle de peinture, comme je l'ai toujours fait également quand je lisais le journal de Camus Renaud.


Lundi 30

Midi et demie. – Eh bien, pour un choc ! Le fait de m'être replongé dans le journal de Green m'a conduit, tout à l'heure, à venir ici afin de demander à Dame Ternette quelques informations concernant Robert de Saint Jean, qui fut, comme l'on sait, l'amant de jeunesse de Green et est resté lié à lui jusqu'à sa mort, dans les années quatre-vingt. Par ricochet informatique, si je puis dire, je retombe évidemment sur Julien Green lui-même. Et c'est ainsi que j'apprends tout à trac que Robert Laffont vient de sortir un volume de sa collection Bouquins consacré au Journal intégral de Green, c'est-à-dire avec restitution des passages caviardés par l'auteur lui-même au moment des diverses publications. Il me semblait avoir lu que ce journal non expurgé devait resté caché durant 50 ans après la mort de l'auteur, ce qui nous aurait mis en 2048 : autant dire que je n'avais aucune chance de le lire jamais. Or, il semblerait que ce ne soit pas du tout ça, et que ce délai de cinquante années doive être compté à partir des événements relatés dans le journal. C'est pourquoi on peut désormais lire le dit journal pour les années 1920 à 1940, deux ou trois autres tomes étant prévus dans un avenir plus ou moins proche.

J'ai dégoté ensuite un assez long article de Libération rendant compte de cette parution, dans lequel son auteur, Philippe Lançon je crois, donnait quelques exemples de passages restitués (lesquels sont, si j'ai bien compris, imprimés en italique). Et, là, je suis tombé de mon fauteuil, ayant l'impression très déstabilisante d'avoir brusquement sauté du journal de Green dans celui de Renaud Camus à la grande époque des backrooms. Il n'est plus question, dans ces passages, que d'enculages, de partouzes avec le digne Robert de Saint Jean, de pipes à la sauvette, etc., le tout relaté dans le vocabulaire le plus explicite, pour ne pas dire cru.

J'ai décidé de sursoir à l'achat de ce volume. Non par pruderie (après tout, je suis tout de même lecteur du Camus de Tricks, hein !), mais parce que je n'ai pas très envie, je crois, de voir se brouiller à ce point l'image que je puis avoir de Julien Green. Et puis, quoi : les scènes de baise, qu'elles soient homo ou hétérosexuelles, deviennent vite ennuyeuses si elles se répètent trop souvent au fil des pages ; or il semble bien que ce soit le cas chez Green, au moins chez le Green jeune qui est concerné dans ce volume disponible. Cela dit, je pense que je finirai tout de même par l'acheter (d'ici un an, quand les prix auront chuté…), dans la mesure où une partie des passages non publiés à l'origine, toujours d'après Philippe Lançon, concerne des personnalités célèbres, en particulier du monde littéraire (Gide, Mauriac, Maritain, etc.) sur qui Green, tout en les fréquentant, ne se privait pas pour porter des jugements fort critiques, jugements qu'il “effaçait” avant publication, pour des raisons faciles à comprendre. Cette partie-là m'intéresse évidemment beaucoup. Mais enfin, pour le moment, je vais continuer de relire la version expurgée, “tous publics”, dont j'ai entamé la relecture hier. Il n'empêche que je vais avoir du mal à contempler mon personnage du même œil qu'avant. On a beau dire : découvrir brusquement que le digne grand-père catho et un peu compassé que l'on fréquentait en toute quiétude s'amusait, dès que vous aviez le dos tourné, à enculer un danseur nègre ou à se faire sucer par le petit télégraphiste, eh bien, ça demande tout de même un petit temps d'adaptation.

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