lundi 1 octobre 2018

Septembre 2018











DANS LA BARQUE D'ÉMILE







Samedi 1er

Trois heures et demie. – Si je commence ce nouveau journal mensuel à cette heure-là, c'est qu'elle marque très précisément le milieu de mes quinze jours de célibat forcé, Catherine étant partie samedi matin et revenant dimanche matin (pas demain, évidemment).

– J'ai terminé L'Argent tout à l'heure. Ce n'est pas, une grande cuvée Rougon-Macquart ; pas une piquette non plus, cela dit : disons un cru bourgeois, sans trop de saveur ni de bouquet. Bien sûr, Zola, en maître des grands mouvements qu'il est, sait fort bien rendre les séances boursières, et, après quinze volumes déjà écrits de sa saga, il est bien évident qu'il est capable de nouer une intrigue. Seulement… Seulement, ça ne fonctionne qu'à demi (et en étant indulgent). On sent trop le plan ; dès le début, on sait à quoi on va aboutir, aucune surprise n'est possible : c'est “ascension et chute” garanti dès le premier chapitre. Alors, bien sûr, tout cela est “ficelé”, Zola pose soigneusement, au fil des deux ou trois premiers chapitres, les pierres d'attente dont il va avoir besoin ; seulement, comme il les badigeonne de rose fluo, on ne voit plus qu'elles, on devine les arches et les voûtes à venir avant même qu'il en ait attaqué les piliers et les arcs. Pour ne pas rester sur cette impression très mitigée, j'ai sorti La Terre de son rayon. Si je me souviens bien, c'est le premier Rougon-Macquart que j'ai lu, je devais avoir 15 ou 16 ans. Je l'ai relu ensuite, probablement il y a une trentaine d'années : j'ai hâte de voir ce que je vais en penser.

– Il semble y avoir une sorte de malédiction qui pèse sur les séries américaines, dont Catherine et moi faisons grande consommation, ainsi que l'on sait. Appelons-la : la malédiction de la saison 4. Bien que de nature fort différente, elle me fait irrésistiblement penser à celle qui pèse sur les musiciens avec leur neuvième symphonie. Je ne parle évidemment que des séries qui, au départ, semblent – et sont – d'excellente qualité, frôlant même le génie, parfois. Ce génie, cette qualité, elles parviennent à s'y maintenir durant les trois premières saisons ; puis, tout se dérègle. Durant la quatrième saison apparaissent de sérieuses lézardes, lesquelles font que, dans les saisons ultérieures, tout s'écroule brutalement. Ce fut le cas avec Homeland, excellente série d'espionnage qui perdait tout intérêt (enfin, disons les trois quarts de son intérêt) une fois la première histoire achevée ; or, justement, celle-ci courait sur les trois premières saisons.

Phénomène encore plus net avec The Americans, série “paranoïaque” (ce n'est là que ma petite classification personnelle…) se déroulant au tout début des années quatre-vingt et dont les personnages principaux sont un couple d'agents du KGB installés aux États-Unis depuis plus de quinze ans, ayant un vrai métier, des enfants, etc. Là encore, les trois premières saisons sont remarquables, puis, vers le milieu de la quatrième, c'est comme si un ressort venait de se casser, ou si les producteurs venaient brusquement de virer tous les scénaristes initiaux : ça se met à tourner en rond, à devenir verbeux, à rabâcher de piètres histoires de famille, etc. La saison cinq est si pitoyable que j'ai abandonné au bout de trois ou quatre épisodes.

Le phénomène devient si accusé avec Lost qu'on a peine à le croire. Le point de départ, c'est L'Île mystérieuse de Jules Verne, sauf que le naufrage du bateau est remplacé par un crash d'avion. Les trois premières saisons sont extrêmement addictives, comme je crois que l'on dit désormais : personnages attachants (quoique assez superficiels tout de même), construction rigoureuse (entre présent sur l'île et scènes du passé des différents protagonistes), récit rythmé, etc. Et soudain, au beau milieu de la quatrième saison, la malédiction opère : tout se met à devenir de plus en plus compliqué, tordu, ramifié ; comme ils ne savent visiblement plus quoi faire d'une histoire qui échappe à leur contrôle, les scénaristes cèdent à la tentation de la fuite en avant, introduisant sans cesse de nouveaux personnages (sur une île en principe déserte, n'est-ce pas…), bidouillant une réalité parallèle avec de nouveaux “flashes”, mais cette fois dans le futur, etc. Résultat prévisible : on s'ennuie ferme durant les deux dernières saisons, que l'on regarde pourtant jusqu'au bout en espérant avoir la solution de l'énigme… tout en se rendant compte qu'on ne l'aura jamais car l'histoire est devenue bien trop compliquée, explosée dans tous les sens, pour pouvoir retomber sur ses pieds et offrir une quelconque explication crédible.

La malédiction frappe également Oz, qui est pourtant l'une des plus enthousiasmantes séries que je connaisse : à la saison 4 (terminée hier soir), on commence à tourner en rond. Là encore, pour meubler le vide, tenter de camoufler leur manque d'inspiration, les scénaristes cèdent à la tentation de multiplier les nouveaux personnages, quitte à les tuer presque tout de suite : le but est de donner une illusion de mouvement, mais le seul résultat est, chez le spectateur, un désintérêt croissant. Pourtant, dans le cas d'Oz, la série me semble éviter le naufrage complet grâce à la présence de ses dix ou douze personnages “historiques” (je veux dire : ceux qui sont là depuis le début), qui sont tellement réussis, vivants, fouillés, nuancés, que l'on continue à les suivre avec intérêt, même si les péripéties qui les touchent sont de plus en plus répétitives.

Il faudrait que j'examine toutes les séries que nous possédons : je suis certain que je trouverais d'autres exemples de cette malédiction (ah, oui : House of Cards, certainement, même si dans une moindre mesure). D'ailleurs, l'occasion va m'en être donnée dans les prochains jours, puisque je me suis fixé la tâche de faire ménage et rangement dans nos DVD entassés au sous-sol avant le retour de Catherine.


Lundi 3

Cinq heures. –  Dix jours passés et encore cinq devant moi : j'en suis donc aux deux tiers de ma peine, pour laquelle aucune remise n'est à envisager, même pour conduite irréprochable. Cela dit, j'ai l'air de me plaindre, mais en réalité les journées passent gentiment, entre lecture, télévision, visite infirmière et diverses activités annexes, telle la lessive que j'ai faite ce matin ou les courses que je ferai demain. Le reste du temps, je fais la conversation à Charlus, aux deux chats et même à Nana, ayant à cœur de ne pas la voir trop déprimer de sa solitude ; j'espère pour elle qu'elle fait correctement son travail de deuil

À propos de Nana, il y a tout de même des gens curieux. Tout à l'heure, en commentaire sur le blog, Élie Arié se plaignait de ce que je parlais trop d'animaux, dans mon journal d'août ; et il me demandait si je pensais intéresser grand monde avec mes histoire de poule. Mais je me fous d'intéresser qui que ce soit ! Non, soyons plus précis : je suis content si on me dit que mon journal présente un quelconque intérêt, mais en aucun cas ce ne peut être la motivation première, le ressort principal. Un journal, sauf volonté et indication contraires (voir Gombrowicz ou Kafka ou d'autres encore) se nourrit de ce qui compose la vie de son auteur ; ce qui veut dire qu'il ne choisit pas sa matière comme on le fait de ses aliments dans les linéaires de l'hypermarché. J'en demande bien pardon à M. Arié, mais il se trouve que cette pauvre Odette a pris le mois dernier, du fait de sa maladie puis de sa mort, une importance dans ma vie quotidienne qu'il peut, certes, juger disproportionnée, mais enfin qui fut réelle. Du reste, c'est une chose dont je me suis avisé depuis déjà plusieurs années, à propos du journal : si on commençait à se mêler d'en retirer ce qui ne plaît pas à Paul, de biffer ce qui ennuie Jacques, de taire ce qui choque Pierre, etc., on finirait par ne plus rien écrire du tout. Ou, en tout cas, par ne plus rien publier. C'est peut-être, d'ailleurs, ce qui finira par arriver.

– Je crois que j'ai été un peu injuste avec Oz, avant-hier, quand j'évoquais la malédiction de la saison 4 : arrivé presque au bout de la saison 6 et dernière, s'il est vrai que la série court un peu sur son erre, elle ne s'effondre pas pour autant et reste bien plus intéressante que la plupart. Cela tient essentiellement, comme je le disais, à la qualité des personnages principaux – ou au moins de sept ou huit d'entre eux, ainsi qu'au rythme des diverses séquences qui s'enchaînent au sein de chaque épisode : on a envie de savoir ce qui va leur arriver (même si on se doute que tout ça va mal finir…) Mon problème est : que regarder ensuite ?


Mardi 4

Cinq heures. – J'ai hautement bien fait de terminer mon mini-cycle zolien avec La Terre : c'est un grand cru. Roman puissant, juste, parfois visionnaire, dans lequel, contrairement à L'Argent, le lecteur ne devine rien à l'avance, mais est saisi par l'inéluctabilité des événements lorsqu'ils se produisent. Comme je voulais lire une biographie de Zola, j'ai choisi la sécurité en achetant celle de Troyat : maison de confiance, sans génie, mais  avec une vraie garantie de sérieux. Je l'ai commencé il y a une heure. (J'ai également reçu les Chroniques de La Montagne, de Vialatte : ce sera pour après.)


Vendredi 7

Quatre heures. –  Comme je n'ai plus de séries en DVD à me mettre sous les yeux, et que d'autre part Netflix me refuse tout service depuis bientôt une semaine,  je me refais, en attendant le retour de Catherine, toute la gamme des Saw, lesquels films sont aussi nombreux que les samouraïs ou les mercenaires. Ce qui, entre parenthèses, permet quelques calembours faciles mais toujours amusants, tels que : « Tiens, hier soir je me suis mangé Saw six ; peut-être que, ce soir, je m'enfilerai Saw sept. » On voit à quel niveau je tombe après deux semaines de solitude. Sinon, c'est avec un certain amusement que j'ai constaté la chose suivante, au moins pour les deux premiers volets : Saw, finalement, ce n'est rien d'autre que Fort Boyard en version gore. Et sans nains.

– Après avoir annoncé que je mettais fin à mon petit cycle Zola, la biographie de Troyat (pas l'une de ses meilleures, soit dit en passant, mais il est vrai que le personnage n'est finalement pas bien passionnant), j'ai repiqué au truc : je vais terminer L'Assommoir demain, probablement, et j'enchaînerai sur Nana, ce qui est assez logique. À propos de Nana, je ne parviens pas à l'imaginer autrement que sous les traits (charmants) de Véronique Genest lorsqu'elle avait 25 ans et était l'héroïne d'une adaptation télévisée que j'avais suivie à l'époque – ce devait être au tout début des années quatre-vingt. De même que le comte Muffat aura toujours le visage lourd et douloureux de Guy Tréjan, qui en interprétait le personnage.

– Il commence à me tarder de voir revenir Catherine.


Lundi 10

Neuf heures du matin. – J'ai bien récupéré Catherine hier, comme prévu. Non seulement son avion n'avait pas de retard, mais il était même en avance (phrase curieuse mais qui me convient telle qu'elle est) : prévu à sept heures, il avait finalement été avancé à moins vingt. Si bien que, dès six heures moins le quart, j'étais dans la voiture, Charlus sous le bras (c'est une image). Inutile de dire que, à cette heure et un dimanche, les véhicules ne se gênaient pas trop les uns les autres sur les diverses autoroutes que j'ai eu à emprunter. Dans ce temple de la désolation froide qu'est un terminal d'aéroport, et en particulier le terminal 3 de Charles-de-Gaulle, je n'ai eu à patienter qu'un petit quart d'heure avant de voir surgir Catherine, pour le plus grand énervement joyeux de Charlus. Auparavant, j'avais vu débarquer plusieurs dizaines de touristes nord-américains, la  plupart très vieux ou alors très jeunes, mais tous vêtus comme de semi-clochards sous prétexte qu'ils étaient en vacances, et promenant sur leur environnement immédiat ces regards hébétés qu'ont forcément les gens que l'on vient de transporter d'un bout à l'autre du monde d'une manière parfaitement subjective. Car il est entendu que l'avion représente tout ce qu'on voudra sauf le voyage, puisque, loin d'être un déplacement visible, tangible, un vol n'est rien d'autre qu'une longue attente de six ou sept heures, parfois davantage, sanglé sur un siège, lui-même comprimé par d'autres sièges, situés dans un habitacle inhospitalier et paraissant rigoureusement immobile.

Enfin bref, décalage horaire nonobstant, la vie reprenait son cours normal.

Cinq heures et demie. – Encore trois ou quatre heures et Nana aura cessé d'être seule dans son enclos : nous sommes allés, tout à l'heure, lui acheter une compagne (Ninon, donc). Pour l'instant, elle reste dans sa boîte en carton, dans le garage, histoire de se remettre de ses émotions. Lorsqu'il fera nuit, et que Nana sera couchée, nous l'introduirons dans le poulailler auprès d'elle, ainsi qu'on doit paraît-il procéder, afin qu'elles s'habituent l'une à l'autre (enfin, surtout l'ancienne à l'intruse…). Ensuite… eh bien, on verra ce qui se passe.

Lorsque nous sommes arrivés devant les cages à poules (à ne pas confondre avec des logements sociaux) de la jardinerie, Catherine et moi avons spontanément opté, parmi les différentes races présente, pour l'une des deux poules rousses à tête et cou noirs. Naturellement, nous sommes tombés sur la race (car, oui, aussi incroyable que cela paraisse, chez les poules les races existent encore) qui coûtait plus de deux fois le prix des poules “ordinaires” ; ma foi, nous l'avons prise quand même. Espérons que nous ne le regretterons pas. (Je sens que ce journal va encore beaucoup passionner M. Arié…).


Vendredi 14

Dix heures du matin. – Ce diable de Zola me tient et refuse de me lâcher. À chaque volume des Rougon-Macquart que je commence, depuis environ deux semaines, je me dis que, cette fois, ce sera le dernier ; puis, parvenu aux deux tiers, me point l'envie d'aller tout de même jeté un coup d'œil à tel ou tel autre… dont je me saisis voracement, à peine tournée la dernière page du précédent. C'est ce qui m'arrive en ce moment même où, à quelques dizaines de pages de la fin de La Conquête de Plassans, j'ai déjà sorti de son étagère Le Ventre de Paris. Et il m'étonnerait beaucoup que, ensuite, je résiste à Pot-Bouille ainsi qu'au Bonheur des dames. (Enfin, Pot-bouille, peut-être pas : il n'y a vraiment pas grand temps que je l'ai relu…)

En fait, les romans de Zola, au moins les meilleurs de la série, me font penser à ces voitures miniatures qui existaient lorsque j'étais enfant : on en frottait les roues deux ou trois fois sur le sol, afin de lancer leur mécanisme ; ensuite, il suffisait de les poser pour les voir parcourir plusieurs mètres toutes seules, comme si elles avaient réellement un moteur. Ouvrir un roman de Zola, c'est comme reposer la petite voiture dont l'auteur a, discrètement, frotté les roues sur le sol : il part tout seul, animé d'une sorte de vie autonome, sauf que, dans ce cas, vous êtes vous-même assis dans la voiture et que vous ne pouvez plus faire autrement que d'aller où elle a décidé de vous conduire.

Cela n'empêche pas, et heureusement, de discerner les faiblesses de Zola, surtout si on le compare. Les romans de Balzac, par exemple, paraissent avoir réellement un moteur, voire une volonté propre, et aller de ce fait où bon leur semble, sans que l'auteur lui-même ne puisse plus les arrêter, ni même les diriger à sa guise, une fois qu'il a appuyé sur le bouton démarreur.  Tandis que, dans ceux de Zola, on discerne presque toujours le plan, que l'auteur ne parvient jamais tout à fait à camoufler ; le lecteur sent que tout a été pensé et posé à l'avance. En somme, les romans de Balzac emprunteraient les voies et les chemins qui se présentent à lui, pendant que ceux de Zola seraient des locomotives, certes puissantes, impressionnantes par leur masse et leur vitesse, mais incapables de sauter hors des rail sur lesquels leur concepteur les a posées.

– Himmel, hier, de Dominique Pluton : il était pour m'annoncer leur “montée” à Paris (à Anna et lui) à l'occasion de la soutenance de thèse de leur fille Nathalie, surnommée par moi l'Héritière. Et il émettait le vœu que Catherine et moi vinssions également soutenir la souteneuse, avant que de ramener tout ce petit monde au Plessis-Hébert, pour une soirée dédiée à l'amitié entre les peuple du Sud et du Septentrion ainsi qu'aux divers vins dont Dominique n'aurait probablement pas manqué, comme il a coutume de le faire, de remplir ses bagages. La perspective était fort alléchante…

Sauf que, par une malheureuse coïncidence, la soutenance en question doit avoir lieu le 10 octobre, c'est-à-dire au beau milieu de la semaine que Catherine et moi passerons dans le Cantal ! J'ai proposé à Dominique, si jamais il leur était possible de monter à Paris en voiture plutôt qu'en train (mais j'ignore tout de leurs projets initiaux), de partir un jour plus tôt, de façon à faire escale à Saint-Flour pour une soirée : j'attends sa réponse. En tout état de cause, il nous sera impossible d'aller assister à la soutenance de l'Héritière, évidemment. C'est d'autant plus bête que, si nous avions opté pour un séjour hôtelier, comme nous en avons pris l'habitude depuis quelque temps, il nous aurait sans doute été facile de repousser ou d'avancer notre escapade auvergnate d'une semaine.  Mais comme nous sommes revenus à la formule “gîte rural du samedi au samedi”, la chose devient tout à fait impossible, surtout si près de l'échéance. Tout cela est bien contrariant.


Dimanche 16

Onze heures du matin. – Le feuilleton des poules continue et les épisodes s'assombrissent : ce matin, c'est Nana qui ne semble pas au mieux de sa forme et présente les symptômes du coryza : maladie souvent mortelle et, de surcroit, fort contagieuse ; si bien que Ninon, si c'est bien de cela qu'il s'agit, risque de l'attraper aussi… si ce n'est déjà fait. Ça commence à devenir lassant…

Le Ventre de Paris est une cuvée très moyenne, un petit cru bourgeois sans grand intérêt.  Bien sûr, les nombreuses (trop ?) descriptions des Halles et des différents commerces qui s'y pratiquent sont saisissantes de vie, de couleurs, d'odeurs, de matières, etc. ; tous domaines dans lesquels Zola excelle. Mais tout cela ne parvient jamais à se fondre avec l'intrigue “humaine” qui, de plus, n'est pas bien passionnante en elle-même. Bref, il y a un côté forcé dans ce roman qui empêche qu'on se passionne pour lui. Je comptais plus ou moins, après ça, me tourner vers Au bonheur des dames ; mais comme Claude Lantier est déjà un personnage (annexe) du Ventre de Paris, j'ai préféré ouvrir L'Œuvre, roman dont il est la figure centrale, et que je n'ai pas relu depuis des lustres, si même je l'ai déjà rouvert depuis sa première lecture, au début des années quatre-vingt. En tout cas, de proche en proche, je ne suis pas loin d'avoir déjà reparcouru la moitié de l'ensemble des Rougon-Macquart, alors que, il y a encore deux ou trois semaines, je ne pensais à rien moins. Mais enfin, pendant que je ressors ces vieux livres de leur étagère, je ne dépense pas l'argent du ménage à en acheter de nouveaux… Ce qui est d'autant plus judicieux que, depuis un mois maintenant, la source de mes écritures lucratives semble s'être complètement tarie : il va falloir apprendre rapidement à vivre en salauds de pauvres.


Lundi 17

Dix heures du matin. – La journée a commencé dans le gore. Ou, du moins, dans la violence meurtrière. Hier, nous nous sommes aperçus, à notre grande consternation, que Nana présentait tous les symptômes (bien connus de nous, hélas…) d'un coryza déclaré ; maladie qui allait fatalement la tuer dans les jours qui viennent. De fait, ce matin, son état s'étant aggravé rapidement durant la nuit, elle ne bougeait plus de l'endroit où elle se trouvait, respirant par le bec avec de grandes difficultés. Évidemment, ne prenant aucune nourriture ni eau. Avec l'espoir que Ninon, la nouvelle de l'enclos, n'était pas encore contaminée, nous avons donc résolu d'abréger l'inéluctable issue. Et c'est moi qui me suis chargé, d'abord d'assommer la pauvre poule, puis de la noyer dans le réceptacle des eaux de pluies, comme je l'avais déjà fait pour Odette il y a trois semaines ou quatre. L'opération nous a semblé fort longue, bien que, en réalité, elle n'a pas duré plus d'une minute ou une et demie. Depuis, pour que Ninon se sente moins seule, et sur les conseils de son frère, Catherine a accroché un miroir au narthex : la poule paraît très intéressée de s'y voir surgir quand elle passe devant, faisant aussitôt le tour pour aller voir derrière qui est donc cette nouvelle arrivante qui lui ressemble trait pour trait.

– Journée pénible hier également, mais pour des raisons toutes différentes (encore que, d'une certaine manière, il s'agît aussi d'une forme d'exécution). Il y a quelques mois, Isabelle G., ma vieille amie québécoise, m'avait envoyé les quatre premiers chapitres de son second roman, afin que je lui donne mon opinion sur eux. L'année précédente (ou celle d'avant ?), elle m'avait fait parvenir le pdf de son premier livre, après publication de celui-ci, et je lui en avais fait les compliments qu'il me paraissait mériter, ainsi que les réserves que m'inspiraient ses défauts. En essayant, bien sûr, de m'expliquer à chaque fois (de m'expliquer à propos des défauts : pour ce qui est des compliments, les auteurs se passent toujours très bien d'explications…). Concernant les premiers chapitres de la nouvelle œuvre, j'avais trouvé qu'ils étaient bien venus, prometteurs pour la suite, et le lui avais dit. Puis, silence de plusieurs mois. Tout dernièrement, Isabelle a renoué le contact (par himmel) et, sous couvert de prendre de mes nouvelles, m'a demandé si ça m'ennuyait de lire la suite : elle avait écrit 18 chapitres sur les 20 ou 21 prévus. Sans méfiance, j'ai dit oui…

Et, depuis trois jours, je tourne autour de ma boitamel, en essayant de trouver une réponse à la traditionnelle question : que faire ? Car, à ma grande consternation, il m'a bien fallu admettre que son roman s'effondrait littéralement dans sa seconde partie (à compter du chapitre 9 très précisément), qu'il cessait d'être un roman pour basculer dans le reportage (Isabelle est journaliste), voire dans la démonstration. Si elle m'avait fait envoyer le livre par son éditeur après parution, la réponse à la question “que faire ?” aurait été simple : rien. J'aurais gardé un pieux silence, Isabelle aurait compris que son roman ne m'avait pas convaincu et que, par amitié, je préférais ne pas lui faire de commentaires attristants pour elle (je connais bien ce cas de figure…) . Seulement, là, ces chapitres m'avaient été envoyés expressément pour que je me prononçasse à leur sujet. Il ne me restait donc qu'une alternative : ensevelir Isabelle sous des compliments en grande partie factices, ou du moins démesurément grossis, tout en passant sous silence ce que je voyais réellement dans ce que je venais de lire ; ou alors, prendre sur moi et lui balancer sans rien déguiser tout ce que cette lecture m'avait inspiré de déconvenues ; bref, lui dire sans trop de précautions oratoires que son roman me semblait raté. Et c'est finalement, après 72 heures d'atermoiements, de scrupules sur fond de couardise, cette seconde solution que j'ai choisie. Mais Dieu que ce himmel m'a été pénible à écrire ! Ah, j'ai bien raison, quand je le peux, de refuser de lire les livres des autres tant qu'ils ne sont pas imprimés et publiés !

Pour l'instant, Isabelle ne m'a pas répondu. Peut-être ne le fera-t-elle pas ; voilà qui, lâchement, m'arrangerait assez. Ce qui m'empêche de considérer cet épisode comme un “dossier classé”, c'est la peine que je lui ai sans doute faite en ne lui cachant rien de ce que son roman m'a inspiré. Et, depuis hier, depuis que j'ai cliqué sur “envoyer”, je me reproche plus ou moins de n'avoir pas choisi l'autre solution, celle du vertueux mensonge. Bien qu'elle continue de me paraître indigne, d'Isabelle comme de moi. J'ai comme l'impression que la prochaine personne qui va me demander de bien vouloir lire ce qu'elle vient d'écrire fera les frais de l'opération…

Quatre heures. – J'ai acheté, la semaine dernière, le Bonjour Monsieur Zola d'Armand Lanoux ; parce que je suis dans Zola jusqu'au menton, d'abord, et ensuite parce que je me souvenais d'avoir vu l'auteur à Apostrophes, pour venir parler précisément de ce livre-là. Eh bien, je n'aime pas beaucoup la façon dont écrit cet Armand : son style trop familier, qui se voudrait un peu canaille mais qui sonne faux, me fait penser à un inconnu qui vous donnerait sans cesse de petits coups de coude, chaque fois agrémenté d'un clin d'œil entendu, pour tenter de créer une complicité toute factice entre vous et lui. Je m'excuse, Monsieur Lanoux, mais nous n'avons pas gardé les Rougon-Macquart ensemble, que je sache. Enfin, je pense que j'irai tout de même au bout de ces trois cents et quelques pages.


Mardi 18

Deux heures. – Je suis presque certain de n'avoir jamais rouvert L'Œuvre depuis sa première lecture, faite au début des années quatre-vingt, lorsque j'ai entrepris de me faire tous les Rougon dans l'ordre de leur parution, en commençant par La Fortune des Rougon pour aboutir au Docteur Pascal. Je ne sais pourquoi : peut-être m'avait-il ennuyé la première fois ? Si c'est le cas, j'avais eu grand tort : c'est sans doute l'un des meilleurs panneaux de la fresque. Certainement l'un des plus personnels, aussi, puisque, outre le personnage principal (Claude Lantier) inspiré de Paul Cézanne, l'ami d'adolescence et de jeunesse, on y croise Zola lui-même, vaguement camouflé sous le nom de Sandoz. Quant au reproche que l'on peut parfois faire à l'auteur – celui de se laisser un peu trop envahir par sa “doc” –, il tombe de lui-même ici, dans la mesure où, pour une des rares fois, Zola n'a eu besoin d'aucune recherche préalable : ce monde des peintres débutants et novateurs, des aspirants écrivains, des futurs sculpteurs ou architectes, il le connaissait intimement pour en avoir fait partie, dans les années 1860. Mais ce que je trouve de plus personnel et de plus réussi (peut-être parce que le sujet me touche particulièrement), ce sont ces quelques réunions des amis qui ponctuent le roman, et où l'on voit se déliter implacablement leur amitié, leur enthousiasme, leur foi en le groupe, leur sentiment de liens éternels, sous l'effet naturel du vieillissement et celui, plus corrosif et triste, du désir de réussite individuelle et de la jalousie qu'il fait naître entre eux. Comme dirait l'autre : on sent le vécu, Coco.

L'Œuvre terminé, et ce pauvre Lantier dûment pendu près de son grand tableau inachevé et inachevable, j'ai repris Pot-Bouille, qui a toujours été l'un de mes préférés de la série : on verra ce qu'il en est cette fois-ci. Parallèlement, je continue de lire la biographie de Lanoux, assez distraitement, en sautant plus ou moins les passages qui m'ennuient (son double ménage, l'affaire Dreyfus…). Mais, même comme ça, ce n'est pas bien passionnant. Cela étant, parlant des Rougon-Macquart, Lanoux évoque ces “vingt romans dont dix chefs-d'œuvres” : c'est la proportion à laquelle j'étais arrivé moi-même, avant de la trouver chez lui. Ce qui, du reste, ne prouve nullement qu'elle soit la bonne.

Cinq heures. – Non, réflexion faite et livre entamé, je vais laisser tomber Pot-Bouille (momentanément au moins), que je me rappelle trop bien, pour prendre à la place La Joie de vivre, roman qui ne m'a laissé aucun souvenir, hormis celui-ci, allez donc savoir, que l'un des personnages est littéralement torturé par les atroces crises de goutte qui lui brisent les articulations.


Jeudi 20

Dix heures du matin. – Roman plutôt sinistre que La Joie de vivre (en dehors même de l'ironie cruelle du titre, mais qui n'est pas qu'ironie), mais vraiment réussi – contrairement au vague souvenir que j'en avais gardé –, même s'il tranche sur la plupart des Rougon-Macquart par son côté intimiste, presque “huis clos”. Et qui, à part Zola, pourrait tenir le lecteur en haleine durant douze à quinze pages avec la description… d'un accouchement ? Évidemment, tout va mal, l'enfant se présente par l'épaule (image saisissante, qui réussit à n'être pas grand-guignolesque, du petit bras de l'enfant (prématuré, en plus !) sortant seul du sexe de la mère, à demi-noirâtre, avec les petits doigts qui s'ouvrent et se ferment convulsivement), on pressent le carnage… Pourtant, non, je puis rassurer tout le monde :  au prix de maint effort et moult souffrances, nous avons réussi à sauver et la mère et l'enfant.

Finalement, j'ai tout de même repris Pot-Bouille, un instant abandonné, le temps de cette rapide excursion du côté d'Arromanches. J'enchaînerai avec Au bonheur des dames, avant de finir sur Le Docteur Pascal – dont je ne garde pas un souvenir flamboyant, mais enfin il n'est pas idiot de clore cette plongée dans Zola par le volume qui termine la série. À moins que, entretemps, il me soit poussé des désirs de Germinal ou de Bête humaine

– Pour ceux de mes douze lecteurs que l'affaire intéresserait, Ninon semble pour l'instant indemne de tout coryza. Mais l'incubation, d'après ce que j'ai lu, pouvant aller de trois à huit jours, nous ne sommes pas encore tirés d'incertitude.


Vendredi 21

Deux heures. – Avalanche de bonnes nouvelles (enfin : avalanche de deux bonnes nouvelles…). D'abord, celle d'hier : alors que nous avions fait une croix sur eux, après plus d'un mois de silence, mes petites écritures lucratives ont réapparu en début d'après-midi et semblent vouloir ensuite continuer à affluer. Raisonnables comme pas un (raisonnables en paroles, pour l'instant…), Catherine et moi avons décidé de nous tenir tout de même au budget que j'avais établi, en prévision de notre entrée dans le monde gris et lépreux des salauds de pauvres : on verra ce qu'il en est dans la pratique.

La seconde bonne nouvelle est que, ce matin, il n'a pas fallu une heure à notre électricien pour rétablir le contact entre la livebox et le téléviseur, de façon à nous rendre Netflix. Il a commencé par procéder ainsi que je l'avais fait moi-même, à savoir transporter la dite livebox de la Case au salon télé : tout comme moi, il a d'abord essuyé un échec, bien qu'ayant vérifié la viabilité de la prise téléphonique. C'est alors que, presque par hasard, il s'est rendu compte que c'était justement l'un de nos deux téléphones fixes, celui du bureau, la “base”, qui semait la perturbation. Il a en effet suffit d'intervertir les deux, celui de la Case et celui de la maison, pour que Netflix arrive docilement jusqu'au téléviseur. Et tout cela sans perdre la connexion internet dans la Case, ce qui était la condition sine qua non, vu que c'est là que je travaille. Bref, nous nageons dans la félicité la plus complète.

Et comme si de tels bonheurs ne suffisaient pas, Catherine a décidé d'aller à la messe ce soir plutôt que demain matin (non : après-demain matin…), ce qui va me conduire à m'autoriser un petit apéritif musical en solitaire. D'ici là, j'aurai terminé Pot-Bouille.


Dimanche 23

Une heures vingt. – Eh bien, finalement (mille pardons : au final…), lorsque j'aurai terminé Germinal, que je lis en ce moment, puis Le Docteur Pascal pour clore la série, ce seront quinze des vingt Rougon-Macquart que j'aurai enchaînés les uns à la suite des autres, sans la moindre pause ni distraction. Et je m'en trouve fort bien.

Au bonheur des dames, achevé ce matin, réussit à être à la fois passionnant et ennuyeux ; passionnant en raison de tout ce que Zola saisit de l'avenir du commerce, ainsi que la façon qu'il a souvent d'anthropomorphiser les choses dont il parle, et notamment les machines (ici : le grand magasin ; dans Germinal, le puits de la mine ; dans L'Assommoir, l'alambic ; dans Le Ventre de Paris, les Halles, etc.). Mais ennuyeux à cause de l'abus des descriptions : trois grandes scènes de plusieurs dizaines de pages chacune, pour montrer l'activité du magasin et la fièvre acheteuse des clientes, c'est tout de même trop. Et puis, il faut bien dire que les deux principaux protagonistes, Octave Mouret et la jeune Denise, ne sont pas ce que Zola a fait de plus “en relief” comme personnages. Dans le cas de Mouret (c'est évidemment lui le “lien Rougon-Macquart”), ce n'était pas très gênant dans Pot-Bouille, dans la mesure où son relatif effacement était largement compensé par les autres habitants de l'immeuble. Tandis que, là, il n'y a personne pour combler le vide, les autres protagonistes n'étant qu'esquissés, tellement Zola s'est focalisé sur son magasin. Du reste, ces longues descriptions dont je semble me plaindre sont en elles-mêmes tout à fait remarquables ; dommage qu'il ait voulu un peu trop en faire.

Cela dit, au lieu de jouer les petits juges, je ferais mieux de m'attaquer à mes travaux lucratifs, ceux qui sont arrivés hier par voie postale : vu l'heure, ça me paraît bien compromis pour aujourd'hui. De toute façon, mes amis de gauche sont violemment contre le travail dominical, alors…


Mardi 25

Cinq heures. – Bien sûr que Germinal est un grand livre, un roman intense et magnifique : on se sent un peu stupide de le dire, comme un qui viendrait de découvrir la lune au ciel. Néanmoins, venant de le refermer, j'ai l'impression que j'oublie, au moins partiellement, d'une lecture à l'autre ; si bien que, cette fois encore, je l'ai pris en pleine face, avec autant de force que si je le découvrais à mesure. Il n'est pas douteux, à mes yeux, que c'est là le sommet absolu des vingt Rougon-Macquart, et je me demande si je n'aurais pas dû lire avant La Bête humaine, que je vais ouvrir maintenant et qui risque fort de pâtir de la succession. Parce que, évidemment, ayant relu quinze volumes, je me suis demandé tout à l'heure pour quelle raison j'allais ostraciser celui-là. Donc, je suis venu le tirer de son sommeil il n'y a pas une heure, tandis que Lantier et Catherine Maheu luttaient pour leur survie, au fond de la fosse.

Si, il y a tout de même eu une nouveauté, dans cette troisième ou quatrième lecture : je me suis aperçu qu'Étienne Lantier, le “lien Rougon” du roman, était rien moins que sympathique. Voilà un garçon qui, en raison de lectures “gauchistes” mal digérées va pousser les mineurs à la grève et à la révolte, les plongeant dans la misère la plus terrible, provoquant un nombre de morts désolant dans son sillage ; et qui, à la fin, lorsque tout a échoué, que ses compagnons, brisés, privés de tout, beaucoup étant en deuil, redescendent au fond dans des conditions pires qu'avant la grève, voilà donc un type qui, presque tranquillement, dit bye bye à tout le monde et part pour Paris, où l'attend une tranquille carrière à vie d'orateur révolutionnaire, qui n'aura jamais à répondre des conséquences de ses flots de paroles généreusement imbéciles. Quelque chose comme un déclencheur de grèves lycéennes, un boutonneux de l'UNEF qui, fort de ses agitations vaines, s'en va ensuite chercher gîte  et couvert trois étoiles au parti socialiste. La seule différence – mais reconnaissons qu'elle est “de taille” si je puis dire – entre Lantier et un quelconque Bruno Julliard ou une pâlichonne Isabelle Thomas (mais qui se souvient encore de cette insipide greluche, à part moi ?), c'est que lui est tout de même descendu au fond de la mine pour y manier le pic, et qu'il a plus ou moins mis sa vie en jeu lorsque les choses se sont gâtées.

Lire Germinal, c'est aussi mieux comprendre pourquoi les critiques d'obédience marxiste ont toujours tordu le nez et affiché des moues mi-pincées, mi-dégoûtées devant les romans de Zola, pourtant réputé de gauche (ou, au moins, revendiqué par la gauche ; ce qui n'est pas forcément la même chose). C'est que, même si l'on sent la sympathie de l'auteur pour le mouvement ouvrier en général, il n'est pas conduit à idéaliser les mineurs particuliers de son roman : tels ils les a vus et compris, tels son honnêteté scrupuleuse le contraint de nous les montrer, avec leurs éclairs de lumière, mais aussi leurs zones de crapulerie morale, mélange qui fait d'eux de véritables êtres de chair et d'esprit, et non ces affichettes soviétiformes que la critique marxiste aime (ou aimait : je ne sais s'il en existe encore, de ces diplodocus-là) à trouver dans les romans, notamment lorsqu'ils se mêlent de montrer des travailleurs. À l'inverse, si Zola a certains traits implacables, d'une ironie acide, vis-à-vis des patrons, des ingénieurs ou de certains actionnaires de la mine, il sait par ailleurs nous montrer par quoi ils sont eux aussi pris dans la même gigantesque machine qui va en broyer certains tandis qu'elle en enrichira d'autres, plus encore qu'ils ne l'étaient avant le conflit (phrase parfaitement bancale…).

Que le dogme communiste rejette les romans de Zola me semble une raison supplémentaire et excellente de les lire.

– Sinon, j'ai fort bien avancé dans mes petits écrits lucratifs.


Jeudi 27

Deux heures. – C'est l'un des titres les plus connus – probablement en raison du film de Renoir –, il n'empêche que La Bête humaine est loin d'être parmi les meilleurs Zola ; en vérité, je ne le classerais même pas dans le top ten. Dès le premier chapitre, j'ai eu l'impression nette que “ça n'allait pas fonctionner”, ce qui n'a fait que se confirmer par la suite. Ce n'est pas parce qu'il manquerait quelque chose, non : il y a l'huile, il y a les œufs, il y a la moutarde et le sel, mais rien à faire : la mayonnaise refuse de prendre. À aucun moment, Zola ne parvient à amalgamer son “fond” (les chemins de fer) avec son intrigue, laquelle pourrait parfaitement se dérouler n'importe où ailleurs que dans le milieu des cheminots. Il en résulte que, si ses descriptions et ses atmosphères sont aussi réussies que dans La Terre ou dans Germinal, elles ont une sorte de gratuité qui les rend beaucoup trop longues, et vite ennuyeuses. Si encore son intrigue juridico-policière “valait le voyage”, comme ont dit au Guide vert… mais point : dans ce domaine, Zola n'est pas Dostoïevski, ni même Simenon. Et on ne croit jamais vraiment à ses personnages, qui ne cessent de faire des embardées tout à fait improbables. À commencer par ce pauvre Jacques Lantier, beaucoup trop poussé au noir pour être intéressant : dès le début – disons : dès le premier tiers –, on sait que l'on a affaire à un fucking psychopathe et, du coup, on a beaucoup de mal à se passionner pour ce qu'il fait ou ne fait pas, pense ou ne pense pas, sachant bien qu'il va inéluctablement se mettre à trucider à tout va dans le dernier quart du roman. Les autres personnages (peu nombreux) ne sont pas beaucoup plus vrais que lui, mais je n'ai pas envie de m'y attarder. Je vais finir le livre tout de même, ne serait-ce que pour vérifier le bien fondé de ce que je viens d'en dire.

– Dominique “Pluton” vient de m'apprendre que, comme je le craignais, Anna et lui ne pourront pas faire de halte dans le Cantal lors de leur bref aller-retour à Paris : une occasion manquée de nous voir, pour nous qui n'en avons pas tant que ça. Mais quelle idée, aussi, d'habiter au sud de la Loire, en en plus à l'est du Rhône ! Ils le font exprès, c'est pas Dieu possible…


Vendredi 28

Cinq heures. – Prise de sang, ce matin, pour analyse trimestrielle (cholestérol, diabète et quelques autres joyeusetés). Le laboratoire ouvrant à sept heures et demie, j'arrive à sept heures vingt-huit, me pensant très malin : huit à dix personnes attendaient devant la porte encore close. Cela dit, Catherine m'avait prévenu, que les gens devaient se ruer à l'ouverture, de façon à se débarrasser de cette corvée médicale avant de partir travailler. Mais c'est que, levé entre cinq heures et demie et six heures, et habitué à déjeuner vers sept heures, je tenais beaucoup à crever de faim le moins longtemps possible ! Bref, je décide d'aller toujours chercher le pain, puis mettre de l'essence dans le réservoir de Liselotte, espérant vaguement que, ensuite, les choses se présenteront mieux au laboratoire. Un quart d'heure plus tard, elles étaient assez nettement pires : il y avait, pour se faire enregistrer, la file jusqu'à dehors, on se serait cru à la boulangerie de la mairie un dimanche matin. Je suis donc revenu à la maison, ai trompé ma fringale en buvant deux ou trois tasses de café (sans sucre…), pour ne revenir au labo qu'à neuf heures et demie et y trouver une audience nettement plus clairsemée. Je viens d'aller voir les résultats sur ternette : nickel, absolument. Un sang de nourrisson dans des artères de vieillard. Ça mériterait presque un petit apéritif…

– Je voulais lire Le Docteur Pascal sous prétexte qu'il était la conclusion générale des Rougon, mais je t'en fiche : c'est aussi ennuyeux que c'est niais ; en particulier l'héroïne, Clotilde, sorte d'oie blanche bigote et gérontophile, tout ce qu'il y a de pénible. Bref, c'en est fini de ce cycle zolien. Mais l'idée de commencer une nouvelle lecture “en cycle” me plaît assez. En attendant de trouver sur quel auteur ça va tomber, je feuillette le Dictionnaire du conservatisme.

– Ce matin, à peine plus d'un millier de signes lucratifs, et encore avec bien de la peine : je suis tombé sur un sujet rétif, comme j'en ai déjà eu quatre ou cinq (sur une petite quarantaine). Je finirai quand même par en venir à bout, évidemment, mais en y allant à très petites journées. Ce qui est rendu possible par le fait que personne ne semble attendre après.


Samedi 29

Trois heures. – Repris Bernanos. Les romans, en commençant par le commencement : Sous le soleil de Satan. Quand on sort tout juste de Zola, il y faut quelques dizaines de pages d'adaptation ; un peu comme on règle un microscope pour ajuster la vision à la nouvelle plaquette que l'on vient de glisser sous l'objectif. 


Dimanche 30

Deux heures et demie. – J'ai enfin réussi à me débarrasser de mes lignes lucratives : j'en suis ravi, bien que n'étant pas particulièrement fier du résultat.

– Nous parlerons de Bernanos le mois prochain (et encore, ce n'est pas sûr).

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