mardi 8 mai 2018

Avril 2018








CAVIARDAGE









Dimanche 1er

Onze heures. – Catherine, partant pour la messe de Pâques : « Bon, je vais aller prier pour toi… » Moi, rejoignant la Case et mon travail du jour : « Eh bien,moi, je vais aller gagner tes sous… » C'est ce qu'on pourrait appeler, je suppose, un ménage bien organisé.


Mercredi 4

Deux heures. – 





[…]





La seule question que je me pose est la suivante : en admettant que je continue, que va-t-il se passer pour ce journal ? Il y a deux solutions : soit je n'y fais plus la moindre allusion à ce qui, tout de même, occupe beaucoup ma tête et mes journées ; soit, comme je suis en train de le faire, je continue d'écrire ce qui me chante, mais je cesse de le publier. Je ne distingue, pour l'instant, aucune troisième voie.




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– Car c'est la bonne nouvelle du jour : demain matin, dès l'aube, cap sur Obernai et le mont Sainte-Odile.


Dimanche  8

Quatre heures. – Pas écrit un mot ici durant ces trois journées alsaciennes. À cela deux raisons, l'une médiate, l'autre immédiate. L'immédiate est que l'hôtel Le Parc d'Obernai offrait une connexion internet “hyper simple”, mais que, malgré cette simplicité, je n'ai jamais  réussi à rejoindre le blog où je journalise d'habitude. Cela dit, il aurait suffi que je créasse un document Word, comme je l'ai fait souvent. C'est là qu'intervient la raison médiate, qui peut se résumer en une question simple : à quoi bon raconter dans un journal des événements (déjà peu intéressants en eux-mêmes) qui ont été intégralement vécus par la seule personne qui lira ce journal dans cinq ou six semaines, à savoir Catherine ?

Du coup, je me dis que la cessation de publication pourrait avoir deux effets, presque diamétralement opposés : soit ce journal va rapidement se tarir, car privé du moteur de la lecture publique, soit au contraire il va s'enrichir, parce que je m'y sentirai plus libre d'y écrire absolument ce que je veux et tout ce que je veux, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. On verra bien.

[…]

L'Alsace, donc. Le trajet aller, bien que long (un peu plus de 600 km) m'a paru se faire presque tout seul. Nous arrivions à Obernai vers quatre heures, ce qui nous a laissé le temps, avant l'heure du dîner, de découvrir la ville, chose assez vite faite vu la taille du “centre historique”. J'ai profité de nos déambulations pour acheter une bouteille de single malt : notre “suite” étant très confortable, nous avions décidé d'y prendre l'apéritif plutôt qu'au bar de l'hôtel. Entre les deux – la promenade et l'apéritif –, Catherine était allée faire quelques brasses dans la piscine intérieure et profiter des bienfaits (dont je ne parle que par ouï-dire…) du bain à remous.

La table, ce premier soir, nous a paru un peu décevante, à l'exception des desserts, presque parfaits. Et puis, la décoration, récemment refaite, faisait que la salle à manger ne ressemblait plus du tout à ce que nous avions vu sur internet, et le changement était assez nettement pour le pire. Mais, le second soir, tout nous a paru nettement meilleur, soit parce que nous avons eu la main plus heureuse dans le choix de nos plats, soit parce que la présence amicale d'André et Béa nous inclinait à l'indulgence. En revanche, rien à reprocher aux vins (meursault le premier soir, riesling du clos Sainte-Odile le lendemain), ni à la mirabelle que nous dégustâmes ensuite, dans le lounge du bar réservé aux fumeurs.

Le vendredi, nous avons pérégriné de huit heures et demie du matin à environ trois heures. D'abord dans Obernai de nouveau (mais sans Charlus cette fois-ci), puis nous avons mis le cap sur le mont Sainte-Odile, où nous avons légèrement déjeuner (au self). Catherine m'a abandonné quinze ou vingt minutes pour aller, dans l'église, participer à l'adoration perpétuelle, qui dure depuis 1931, pendant que je lisais La Vie et moi de Maurice Lévy, sur un banc au soleil. Après quoi nous avons sautillé de village en village, notamment Rosenwiller et son vaste cimetière juif, dont la stèle la plus ancienne remonte au milieu du XVIIe siècle.

Charlus n'a pas été un compagnon très agréable durant ces trois jours. C'est-à-dire qu'il l'était, agréable, tant que nous étions avec lui, que ce soit dans la chambre d'hôtel ou la voiture. Mais il se transformait en petit monstre avide de conneries à faire, dès que nous le laissions seul. Comme il avait trouvé le moyen de franchir le dossier des sièges de Liselotte dans tous les sens, Catherine a imaginé, lorsque nous sommes arrivés au mont Sainte-Odile, de l'attacher dans le coffre avec sa laisse. Lorsque nous l'avons retrouvé deux heures plus tard, il était sur l'un des deux sièges avant : il avait proprement rongé sa laisse pour pouvoir s'en défaire. Et, au moment du dîner, plutôt que de le redescendre dans la voiture comme la veille, nous avons décidé de l'enfermer dans la salle de bains, où, d'après notre fin jugement, il ne pouvait faire aucun dégât. Quand nous sommes remontés, il avait réussi à attraper toutes les serviettes propres que nous pensions hors de sa portée, et à déchiqueter un certain nombre de mouchoirs en papier. Et je compte pour rien le fait qu'il ait pissé sur la moquette du salon, pratiquement sous mes yeux et juste après être remonté de promenade. D'après ma sœur, ces diverses attitudes pénibles seraient provoquées par l'angoisse de la séparation (ou un terme approchant). De fait, dès que nous étions avec lui, il redevenait tout à fait calme et serein.

Le voyage du retour a été nettement plus pénible que celui de l'avant-veille, notamment parce que cela faisait deux jours que nous buvions de l'alcool, régime à quoi nous ne sommes plus habitués, mais surtout parce que j'ai commencé à souffrir des reins alors que nous avions à peine dépassé Saverne. Jusqu'à Reims tout s'est à peu près bien passé, mais dès que nous avons quitté l'autoroute pour les nationales (Soissons – Compiègne – Beauvais – Vernon), j'ai eu l'horripilante impression de n'effectuer que des sauts de puce d'un rond-point inutile à un rond-point superflu. J'ai bien regretté de n'avoir pas déjà la prochaine voiture, dans laquelle, au moins, je n'aurai plus à passer les vitesses.

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Aujourd'hui, délicieux retour à la normale.


Lundi 9 avril

Deux heures. – 


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– Ce matin, à huit heures et demie, j'ai déposé Charlus à la clinique vétérinaire de Saint-Aquilin, pour qu'on lui retire ce qui, jusqu'alors, faisait de lui un petit mâle. Catherine ira le récupérer tout à l'heure, à quatre heures et demie. Et nous serons partis pour une huitaine de jours de collerette.

– Mis en train par la lecture du dernier numéro de L'Incorrect, qui lui consacre un dossier, j'ai ressorti Bernanos de son étagère : les deux volumes Pléiade des Essais et écrits de combat. Je suis pour l'instant occupé à lire Nous autres Français.


Mardi 10 avril

Quatre heures. –  


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– J'ai remisé Bernanos, d'abord parce que j'ai fini ce matin Nous autres Français, et ensuite parce que la postière m'a apporté trois nouveaux livres, dont deux des frères Singer : Isaac Bashevis que je connais déjà, et son frère aîné, Israël Joshua, que je ne découvre depuis la fin de matinée ; son roman s'intitule Les Frères Ashkenazi ; il commence fort bien : on est en Pologne au XIXe siècle, mais difficile pour l'instant d'être plus précis, le roman n'étant pas daté avec précision. Je dirais : sans doute aux alentours de 1850, puisque Alexandre II de Russie est encore roi de Pologne. Quant au troisième, il s'agit d'un roman d'un certain Maurice Raphaël, dont j'ignorais absolument l'existence il y a encore trois ou quatre jours. Je crois bien l'avoir découvert dans L'Incorrect, mais je n'en suis déjà plus très sûr.


Mercredi 11

Sept heures et quart. –  Eh bien, , pour l'instant, ça me convient assez bien, d'avoir fermé ce journal à toute lecture étrangère. Cela me fait penser, un peu, à ces apéritifs vespéraux que Catherine et moi prenons lorsque nos hôtes de la journée (de plus en plus rares, Dieu soit loué) s'en sont allés et que nous nous retrouvons seuls tous les deux (chabadababa…), savourant le silence dans lequel nous baignons à plaisir. 




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 – Je trouvais déjà étonnant que la famille Singer ait donné deux écrivains, et voilà que je découvre qu'en fait ils sont trois. À Israël Joshua et Isaac Bashevis s'ajoute Esther Kreitman, la sœur aînée, dont je viens de commander un roman : Le Diamantaire. Dans la foulée, j'ai commandé un second roman d'Israël Joshua, La Famille Karnovski. Plus yiddish que moi, en ce moment, yapa. Ça ne devrait pas, je suppose, empêcher ce pauvre Birenbaum de me considérer comme le pire des antisémites. Enfin…




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Lundi 16

Six heures. 


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Ensuite, deux rendez-vous médicaux, avec la dentiste demain et la généraliste vendredi. Entre les deux, jeudi matin, je serai allé chercher Soraya au garage Renault, où j'abandonnerai définitivement Liselotte. […]

Histoire de nous familiariser avec le nouveau carrosse (bonne excuse), nous avons prévu, sur la suggestion de Catherine, d'aller passer deux jours à l'abbaye de Fontevraud, qu'elle désire voir. Nous descendrons probablement au château de Marçay, qui se trouve être tout près de Beuxes, ce village de la Vienne où mon père, enfant parisien, fut envoyé durant la guerre, et où, ensuite, ma grand-mère a passé tous ses étés pratiquement jusqu'à sa mort. Beuxes, dont Rabelais mentionne d'ailleurs l'existence, dans je ne sais plus quelle partie de son œuvre – que je devrais bien relire, puisqu'on en parle.

Je la relirai plus tard car, pour le moment, je suis toujours aux prises avec mes Juifs, et plus spécialement avec ceux qui écrivent en yiddish, particulièrement les frères Singer, que j'aime beaucoup tous les deux. J'ai aussi tâté de leur sœur aînée, si j'ose ainsi m'exprimer, mais, là, j'ai calé au bout d'une centaine de pages : son Diamantaire m'ennuyait. Du coup, je suis revenu à Israël Joshua et à sa Famille Karnovski.

Pour ce qui est de notre expédition fontevraldienne, elle devrait avoir lieu fin mai ou début juin. D'ici là, nous devrions être allés à Alençon, où se déroule je ne sais plus quelle exposition que Catherine veut voir.


Mercredi 18

Sept heures. – Aventure très inhabituelle ce matin ; sans doute unique, même, si ma mémoire ne me trahit pas. J'arrive au laboratoire d'analyse peu après sept heures et demie. J'avais évidemment pris la précaution d'emporter un livre, comme il se doit : La Famille Karnovski, de Singer l'ancien. Après le remplissage des formulaires requis, je suis invité à m'asseoir. Deux ou trois pages plus loin, une infirmière blonde m'appelle. Après les questions professionnelles d'usage, la première qu'elle me pose est : « C'est quoi, votre bouquin ? » Tout en m'installant dans le fauteuil où elle doit me perforer une veine pour y ponctionner du sang, je lui répond assez brièvement, pensant que sa question est de pure politesse.

(Elle ne m'en étonne pas moins : de nos jours, très rares sont devenus les médecins qui s'intéressent au livre avec lequel vous pénétrez dans leur cabinet (et ils ont presque toujours plus de 50 ans) ; pour ce qui est des infirmières, ça ne m'était encore jamais arrivé. En général, le livre avec lequel vous arrivez quelque part est totalement inexistant.)

Je lui réponds donc assez brièvement, pour ne pas la fatiguer. Et, voyant qu'elle s'apprête à nouer le gros caoutchouc autour de mon bras, je m'interromps poliment pour la laisser œuvrer tranquillement. C'est alors qu'elle me dit : « Allez-y, continuez… » Et je me suis donc retrouvé à donner une mini-conférence expresse sur les frères Singer, tellement étonné moi-même de ce qui était en train de se passer dans cette pièce exiguë, que lorsque mon infirmière a dénoué le caoutchouc de mon biceps, j'ai cru qu'elle ne m'avait pas encore piqué ; or, tout était bel et bien terminé.

Je me demande si elle va avoir la curiosité d'aller plus loin, de taper Singer sur internet, etc. En tout cas, ce fut un moment précieux.


Jeudi 19

Cinq heures. – Je suis donc allé prendre livraison de Soraya (et dire adieu à Liselotte…), ce matin à 11 heures, au grand garage Renault d'Évreux. Sur le trajet du retour (20 km à peu près), il s'est produit exactement  la même chose qu'il y a cinq ans, lorsque j'étais allé chercher Liselotte chez Volvo : je n'ai vu que les inconvénients, ou présumés tels,  de la nouvelle voiture, que ses défauts, ses manques, ses faiblesses par rapport à celle que je venais d'abandonner lâchement. Tout à l'heure, allant faire un tour avec Catherine, les choses allaient déjà un peu mieux. Ce qui est irritant, en fait,  en tout cas ce qui m'irrite moi, c'est de ne pas maîtriser parfaitement et tout de suite les innombrables possibilités qu'offre l'électronique, le multimédias. Évidemment, dans une semaine ou dix jours, je n'y penserai plus.



[…]



C'est d'ailleurs très curieux, ce besoin que semblent avoir beaucoup de gens d'être rassurés quant à leur santé, mais de l'être par des voies détournées, inédites. Une envie de revenir aux remèdes “de grand-mère”, dont ils devraient pourtant savoir qu'ils ne marcheront pas plus pour eux qu'ils n'ont fonctionné pour leur mythique aïeule. D'un autre côté, si le fait d'avaler une tisane de lierre grimpant tous les soirs ou de se frictionner le coude avec je ne sais quelle huile essentielle leur donne l'impression d'aller mieux, je n'y vois aucun inconvénient. Tant qu'on ne leur enjoint pas de prendre la tisane à la place d'une visite chez leur médecin…


Samedi 21

Six heures. – Fort agréable après-midi, passée à l'ombre du cerisier qui achève de perdre ses fleurs. Charlus se roulait dans l'herbe drue à ma gauche, cependant que Cosmos se risquait à venir jusqu'à mon fauteuil avant de repartir en flèche vers la maison qu'il venait de quitter à pas précautionneux. Tous deux, le chien et le chat, semblaient tenir pour assuré que j'étais bien là, avec eux.

En réalité je me trouvais, 350 ans en arrière, au milieu des steppes de Podolie *, sous la menace des cosaques zaporogues, qui n'allaient plus tarder maintenant à exterminer les Juifs de la région, avec la complicité des Polonais. À exterminer les hommes et les vieillards des deux sexes : pour les jeunes femmes, elles devaient être d'abord violées, comme le veut la coutume, avant d'être vendues au khan pour ses harems.

J'avoue qu'il m'ont bien déçu, ces cosaques zaporogues, qui trônaient assez haut dans mon estime, depuis que j'avais pris connaissance, chez Apollinaire, de la fin de non-recevoir, superbe d'impertinence et de santé, par eux adressée au sultan de Constantinople :

                                                         Bourreau de Podolie amant
                                                         Des plaies des ulcères des croûtes
                                                        Groin de cochon cul de jument
                                                       Tes richesses garde-les toutes
                                                       Pour payer tes médicaments

Comme quoi, il n'est pas toujours très judicieux de se fier à une première impression ; surtout dès qu'il est question de cosaques.

* Sholem Asch, La Sanctification du nom, dans le volume intitulé Royaumes juifs, trésors de la littérature yiddish, Robert Laffont, Bouquins.



Dimanche 22

 Neuf heures du matin. – Hier, après avoir terminé le très bon roman de Sholem Asch dont je parlais, j'ai décidé de faire une pause dans mes lectures juives, yiddish ou non, pour me tourner vers quelques Italiens (je ne sais pourquoi je n'ai quasiment jamais eu la moindre curiosité pour la littérature italienne ; pas plus que pour l'allemande d'ailleurs). Afin de me ménager une transition en douceur, j'ai commencé par Moravia, demi-juif par son père. J'enchaînerai ensuite avec son épouse, Elsa Morante.

L'Ennui serait à coup sûr un remarquable roman si Proust n'avait jamais existé ; mais, là, il me semble que l'Italien souffre un peu de la comparaison, vu la proximité entre leurs deux sujets (je parle, dans le cas de Proust, de tout ce qui concerne la jalousie, celle de Swann envers Odette et, bien sûr, du narrateur avec Albertine). Mais enfin, même en tenant compte de l'ombre immense de l'oncle Marcel, cela reste un bon livre, même si je ne suis pas certain que j'aurai envie, ensuite, d'en lire d'autres du même auteur.

– Il règne ici, depuis quatre jours maintenant, un temps tout à fait estival et seuls les arbres fruitiers et les lilas en fleurs rappellent qu'on est seulement au printemps. Tout devrait rentrer dans l'ordre météorologique dès demain ou mardi, si j'en crois Catherine.

– Appris hier que divers journaux appartenant à Lagardère, dont FD, allaient probablement être vendus à un groupe de presse tchèque (je ne savais même pas que ça existait, les groupes de presse tchèques). J'ai aussitôt expédié un himmel à Philippe B., pour lui demander s'il considérait cela comme une bonne ou une mauvaise nouvelle. Et j'en ai profité, au passage, pour lui faire offre de mes services, si jamais les circonstances redevenaient favorables à une mienne collaboration […]. Il m'a répondu que c'était une bonne nouvelle, ce qui ne veut pas dire grand-chose : il pourrait tout bonnement s'agir d'une bonne nouvelle pour lui, dans la mesure où la vente lui serait une occasion de quitter le groupe avec un joli petit paquet d'indemnités. Mais enfin, je n'en sais rien.

Cinq heures. – Eh bien ! mon séjour chez les Italiens n'aura été qu'une visite éclair. Après avoir fini L'Ennui de Moravia (avec de moins en moins d'enthousiasme, et même plus d'enthousiasme du tout), j'ai empoigné La Storia de Morante. Cet épais roman s'ouvre par une sorte de prologue historique, où sont sélectionnés et résumés les événements ayant eu lieu entre 1900 et 1941, date à laquelle semble s'ouvrir le récit proprement dit. Et j'ai vu, dans ces trois ou quatre pages, toute la crapulerie falsificatrice et simpliste des communistes de la grande époque. Un romancier devant, pour moi, se tenir au plus près de la vérité, qu'elle soit historique ou autre, j'ai refermé le volume et suis allé le laisser négligemment choir dans la poubelle à couvercle jaune. Du coup, je suis revenu vers mes Juifs : Cynthia Ozick, écrivain américain dont je n'avais jamais entendu parler, mais dont le roman, Un monde vacillant, démarre fort agréablement.

– Je suis de plus en plus tenté de déserter le blog et de reporter dans le corps même de ce journal les petites choses que je suis accoutumé d'y écrire. Comme le journal n'est plus accessible à ses anciens lecteurs, cela reviendrait, au moins vu de l'extérieur, à entrer dans le silence. C'est une voie très séduisante, mais serai-je capable de m'y tenir ? Je me méfie de moi-même comme de la peste, notamment sur le plan des résolutions. Mais vraiment l'envie est forte. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas par hasard si, hier, j'ai recopié ici le billet que j'avais publié là-bas quelques heures plus tôt.


Lundi 23

Midi moins le quart. – M. Chronopost vient de m'apporter les œuvres complètes de Paul-Jean Toulet, commandées il y a deux jours. Évidemment, la tentation est grande de m'y plonger sans attendre, ce qui serait idiot puisque me plaît beaucoup le roman de Cynthia Ozick dans lequel j'ai bien avancé ce matin, même si je me suis levé scandaleusement tard par rapport aux autres jours : six heures moins vingt-cinq au lieu de cinq heures moins dix. Je crois que je vais tout de même lire l'introduction, histoire de “m'appâter” un peu.

– Sinon, ma matinée s'est écoulée sans m'en apercevoir, en un échange de himmels divers, avec […] les gens de FD d'autre part, c'est-à-dire Brice et Nathalie. Apparemment ni elle ni lui n'envisage de quitter le journal à la faveur de la cession ; il est vrai que, d'après Nathalie, il se pourrait que les salariés ne puissent pas faire jouer la fameuse clause de cession, suite à une jurisprudence née de la récente vente de VSD : tout cela me paraît bien bizarre. À l'un comme à l'autre, j'ai demandé de me tenir au courant. Par ailleurs, Brice me dit que le côté positif serait (en cas de vente effective) d'être racheté par un véritable groupe de presse et non par un quelconque guignol subitement désireux de jouer les magnats. Notons que le milliardaire tchèque destiné à devenir peut-être leur patron s'appelle Kretinsky, ce qui est presque trop beau pour être vrai.

Sept heures vingt. –  Je viens de mettre en ligne, sur le blog, le poème En Arles de Toulet ; parce qu'il m'a semblé que c'était une jolie manière de prendre congé, de m'effacer discrètement. Et, d'un autre côté, si je ne tiens pas ma résolution, ce qui me ressemblerait hélas assez, nul ne pourra dire que je me parjure, puisque nul engagement explicite n'est contenu dans cette publication. En revanche, je m'avise que je devrais aller fermer les commentaires illico. J'y vais.


Mardi 24

Quatre heures. – J'ai fait mieux que fermer les commentaires, j'ai également supprimé mon adresse himmel qui trônait en devanture du blog. De cette façon, me voici injoignable… sauf pour ceux qui m'ont déjà écrit et donc la messagerie a gardé mon adresse en mémoire (nous allons, un de ces jours, crever de trop de mémoire électronique, alliée à une perte dramatique de mémoire humaine).



[…]



Jeudi 26

Huit heures du matin. – Curieux rêve, cette nuit, dont il ne me reste d'ailleurs que le fait saillant : j'y ai fait la connaissance d'André Gide. Il est entré dans la pièce où je me trouvais (ainsi que quelques autres personnes dont il ne me reste rien) ; je suis allé au-devant de lui dans le but de lui dire combien j'étais heureux, mais aussi impressionné, de le rencontrer. Je ne sais plus ce que nous nous sommes dit, mais je me souviens qu'il était d'humeur diserte, très camarade, presque enjoué. Ensuite il n'était plus là, et c'est alors que s'est imposée à moi la question : comment  se fait-il que je vienne de rencontrer André Gide, alors qu'il est mort en 1950 ? J'ai retourné cette question – qui, d'ailleurs, ne me semblait pas particulièrement incongrue : c'était juste  un petit problème à résoudre – durant un moment assez long (à l'échelle temporelle du rêve qui, bien entendu, n'en comportait aucune), sans trouver de réponse satisfaisante. Et le rêve s'est perdu dans les sables du réveil.

Onze heures. – Je viens de commander deux livres chez Amazon : La Cause du peuple de Patrick Buisson ainsi que L'Avenir de l'intelligence et autres textes de Charles Maurras (éditions Bouquins). Ce n'est encore pas avec ça que je vais réussir à faire croire au plus grand nombre que je me suis enfin converti au progressisme…


Vendredi 27

Dix heures du matin. –  Hier, décision unilatérale avait été prise de tondre le jardin. J'avais oublié que, lors de la dernière tonte, j'avais bien cru ne pas pouvoir terminer, la machine s'étant mise à hoqueter de façon inquiétante. Comme les tondeuses à gazon sont, ainsi que mainte chose, soumises à l'entropie, la mienne m'a, hier, refusé toute collaboration. Il fallait donc, ce matin, que je portasse la récalcitrante chez MécaLoisirs, à Pacy, pour qu'ils lui fissent entendre raison. Et qu'ils m'en prêtassent une des leurs afin que je pusse tondre aujourd'hui. Assez légère contrariété, mais qui a suffi à me pourrir la première partie de ma matinée, tant est grandissante mon horreur de toute perturbation de routine.

Premier accroc : Soraya étant d'une moindre carrure que ne l'était Liselotte, il m'a fallu trouver comment on repliait la poignée de la tondeuse afin de pouvoir la loger dans l'habitacle ; ce qui n'a pas contribué à améliorer la morositude de mon humeur. Sur place, tout s'est bien passé. J'ai accessoirement appris que tout cela était de ma faute, dans la mesure où on ne doit jamais utiliser l'essence de la saison précédente, ce que j'ignorais et ai toujours fait sans dommage jusque-là. Passons. J'ai eu ensuite la bonne surprise de constater que la tondeuse qu'on me prêtait, et qui avait pourtant l'air bien moins pimpante que la mienne, était d'un maniement nettement plus aisé, aussi simple que pouvait le désirer un handicapé de ma sorte. Le responsable de Méca Loisirs m'a averti que, en ce moment, leurs délais étaient “énormes”, mais qu'il pourrait me prêter de nouveau leur tondeuse dès que mon herbe l'exigerait.  Durant le trajet de retour, la pensée m'effleura qu'il serait tout de même beaucoup plus simple d'abandonner là ma tondeuse récalcitrante et d'en acheter une neuve, en veillant à choisir un modèle à l'utilisation simplissime ; je la chassai aussitôt, la jugeant par trop déraisonnable.

Naturellement quand, à la maison, Catherine suggéra spontanément que je ferais bien mieux (« puisqu'on est pété de thunes ! ») d'acquérir un engin neuf, je cessai immédiatement de résister. Son argument fut de ceux qu'on ne discute pas : « Après tout, on vient bien de s'acheter une voiture neuve uniquement pour se faire plaisir : pourquoi pas une tondeuse ? » Pourquoi pas en effet… Donc, en principe, cet après-midi, une fois le jardin ratiboisé, je rapporterai l'engin emprunté et ferai l'achat d'un tout rutilant.



[…]



Bref, la vie est aussi belle en ce milieu de matinée qu'elle était grisâtre aux aurores.


Samedi 28

Deux heures. – Je lis depuis hier La Cause du peuple, de Patrick Buisson. C'est d'abord un récit du quinquennat de Nicolas Sarkozy, et je me demande bien pourquoi les opposants rabiques à l'ex-président (dont le type achevé est le pontifiant et bien pensant Juan dit Sarkofrance) n'en ont pas fait leur livre de chevet, tant celui-ci en ressort en lambeaux. Le livre est évidemment, pour une part assez large, un plaidoyer pro domo, mais il n'est pas que cela (il serait illisible, en tout cas par moi, s'il n'était que cela), grâce à de nombreuses échappées “par le haut” qui le rendent tout à fait intéressant à lire. Le jeu de massacre auquel il se livre, évidemment contre la gauche et ses soutiers, mais pratiquement autant contre la droite et ses hérauts, est on ne peut plus réjouissant. Par ailleurs, Buisson sait avoir du style, même s'il tombe, de ce point de vue, dans un certain nombre d'ornières (les sempiternels “au final” et “initier”, que je vais finir par ne même plus relever, tant ils sont désormais généraux, y compris sous les meilleures plumes, la preuve).

– C'est un plaisir indéniable, depuis trois jours, chaque matin, d'ouvrir ma boitamel et de n'y trouver aucun message, du fait de la fermeture du blog. En disant “aucun” je triche un peu car j'en ai toujours un ou deux, émanant de lecteurs me demandant comment faire pour faire partie des “lecteurs invités” : je suis obligé de leur répondre que, de lecteurs invités, il n'y a point, que le blog est tout bonnement fermé. En leur précisant que la dite fermeture n'est peut-être pas définitive, puisque je n'en sais rien moi-même. Ce qui est sûr c'est que, pour l'instant, le fait de n'avoir plus de “tribune” ne me manque nullement.

Cinq heures. – Je viens de commander deux livres de Pasolini, que je n'ai jamais lu : Écrits corsaires et Lettres luthériennes.

– Le fait de n'avoir plus de blog où “m'exprimer” me procure pour l'instant deux sensations dont je discerne mal la compatibilité. D'abord, j'ai l'impression d'avoir mis fin à une imposture, dans la mesure où j'ai toujours été persuadé que ce que je pouvais y écrire ne méritait ni les éloges ni les insultes (parfois) que ces petits textes me valaient ; et encore moins la réputation, soit trop flatteuse, soit exagérément noire, qui s'ensuivait. Ensuite, j'ai l'impression de m'offrir des vacances ; ou, plus exactement sans doute, de faire l'école buissonnière : comme si, désormais, lorsque je lirai un livre, je serai dégagé de l'obligation de donner mon opinion à son sujet, et même d'en avoir une (je suis sûr que mes accords verbaux, dans cette phrase, sont défectueux, mais j'ai la flemme de sortir la boîte à outils…). Sans parler du fait que, si je voulais, je pourrais me mettre à dire pis que pendre d'un tas de gens, y compris de certains qui m'aiment bien ou font mine de. Mais je ne le ferai probablement pas, pour la simple raison que “les gens” ne m'intéressent plus assez pour en penser quoi que ce soit. Peut-être, à seule fin de délassement, m'autoriserai-je de temps en temps à quelques petits exercices d'ironie.


Lundi 30

Cinq heures. – La palinodie n'aura pas duré longtemps : j'ai rouvert le blog hier. Ainsi que les commentaires, tant qu'à y être. La faute en revient à Élie Arié qui, à la suite d'un assez long commentaire que je venais de poster chez Juan ex-Sarkofrance, où je parlais du livre de Buisson, m'a fait remarquer que, si c'était pour venir mettre mes billets de critique ici, je ferais peut-être aussi bien de rouvrir mon blog. Comme il n'avait pas tort, j'ai suivi le conseil. Mais une part de moi le regrette un peu.



[…]



– J'ai lu aujourd'hui une quarantaine de pages des textes autobiographiques qui ouvrent le volume Maurras. Ils m'ont donné envie de reprendre ceux de Léautaud, de retrouver leur inimitable liberté de ton, au lieu de de ce beau-style-pour-dictée. (Je suis trop ironique : ça ne vaut pas rien, ce style. Mais enfin, on sent un peu la poussière du temps ; poussière dont les pages de Léautaud sont absolument exemptes.)







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