mercredi 29 août 2012

Juillet 2012













 LE PETIT MOUSSE DE L'AMIRAUTÉ












Dimanche 1er juillet



Sept heures et quart. – Depuis un an ou deux, Catherine achète nos légumes dans une ferme située à une dizaine de kilomètres d'ici ; légumes non bio mais issus d'une culture “raisonnée” (ce qui semble vouloir dire, en gros, qu'il y a plus de légumes que de pesticides dans ce qu'on rapporte à la maison, mais je ne suis pas sûr). La vente se fait sous la forme d'un “panier”, dans lequel la fermière-vendeuse met ce qui lui chante, au gré des récoltes saisonnières de son mari. Bien. Dans le panier d'hier, il y avait un chou-fleur – que nous venons tout juste de manger, cuisiné à l'indienne, avec œufs durs et sauce curry. Or, se trouvant à la ferme hier, Catherine, qui en avait besoin, a demandé à la fermière si elle n'aurait pas, par hasard, un cageot vide à lui donner. Si fait, a répondu la dame, qui, après un court passage dans son arrière-boutique, lui a rapporté un cageot ayant servi à transporter… des choux-fleurs de Bretagne. Du coup, la suspicion s'est installée, et Catherine en est à se demander si elle va retourner à la ferme en question. Je lui ai conseillé d'y aller au moins une fois, la semaine prochaine, et de poser sans détour la question à la fermière, afin de voir un peu sa réaction et d'en être fixée. Il va de soi que nous n'avons rien, l'un ni l'autre, contre les choux-fleurs de Bretagne, mais enfin nous sommes censés, dans cette ferme, n'acheter que des produits qui émanent de son sol. Et puis, ce n'est pas parce qu'on aime bien les vessies qu'on a envie de se les voir vendre en tant que lanternes.


– Lu pratiquement d'une traite (150 pages : bel exploit…) Les Fruits d'Or de Nathalie Sarraute, lecture dont je suis sorti tout à fait enthousiaste, au point que je vais d'ici quelques minutes, une fois quitté ce journal, m'empresser de commander un ou deux autres romans d'elle. Le dégât collatéral fut que, revenant m'installer devant ce clavier vers quatre heures et demie (par solidarité avec Catherine qui devait se livrer au repassage), j'ai tout à fait négligé les trois feuillets que je dois écrire pour FD afin de rédiger un long billet sur ce livre – en pure perte puisque personne ne le lira, mais il m'amusait beaucoup d'écrire sur Nathalie Sarraute juste après avoir pondu deux ou trois feuillets, l'avant-veille, sur un film de zombis nazis…

– Mail de Rochechouart, hier soir, pour me demander si notre déjeuner du 5 juillet tenait toujours. Je lui ai répondu par l'affirmative. Peut-être nos agapes déjeunatoires vont-elles relancer ma participation à Enquêtes, ce qui serait une excellente chose pour nos finances. À propos d'agapes, il m'a dit vouloir m'inviter à La Cagouille, restaurant de poissons où je me souviens très bien avoir dîné un soir de 1984 ; et d'y avoir fait largement honneur aux magnifiques cognacs que le patron, Charentais de souche, proposait à ses clients. Mais évidemment, trente ans ayant presque passé, il n'est pas sûr qu'il soit toujours aux commandes. De toute façon, devant reprendre ma voiture au sortir de ce déjeuner, il est hors de question de “tomber dans le fort” : un ou deux verres de vin blanc seront le maximum que je pourrai me permettre.

– Il y a quelque temps, ici même, j'ai établi le compte des morts au sein de la promotion 1979 du CFJ, à laquelle j'appartiens. J'étais arrivé au chiffre de six (qui est exact) et je disais en conclusion que ça me semblait assez peu. Eh bien, j'avais tort. Tombant cet après-midi, à peu près par hasard, sur le site des anciens de cette école, j'ai pu constater que certaines promotions ne comptaient pas plus de deux ou trois morts, alors même qu'elles étaient plus anciennes que la mienne de dix voire douze ans.


Lundi 2 juillet

Sept heures et demie. – Évidemment, ma première pensée en ouvrant les yeux, ce matin vers neuf heures, peut-être même avant de les ouvrir, a été qu'il me fallait absolument écrire mes trois feuillets sur les animaux de l'Élysée ; ça m'a énervé. Du coup, je me suis levé comme un diable, suis allé avaler une tasse de café en fumant ma première cigarette, puis, sans même passer par la douche ni prendre le temps de me reposer de ma nuit, j'ai foncé droit sur cet ordinateur et je nous ai mis tous les deux sous tension. Il était neuf heures et demie et, à dix heures et quart, mes 5300 signes étaient bouclés.

– Fier de cette première et incontestable victoire sur la procrastination, je me suis empressé de ne plus rien faire d'autre de toute la journée, à part lire Ulysse, ce qui est déjà beaucoup, en tout cas pour moi. Je ne suis pas loin d'atteindre la deux centième page – sur sept cents – et rien moins que certain d'arriver au bout ; d'autant moins sachant par expérience que, lorsque je commence à compter, plus ou moins malgré moi, les pages déjà lues, c'est fort mauvais signe quant à notre avenir commun, au livre et à moi. Que sera sera.


Mercredi 4 juillet

Cinq heures. – Rien écrit ici hier, pour cause de billet de dernière minute, sur le blog-mère, lequel a accaparé tout le temps que normalement je consacre à ce journal, entre dîner et télévision. C'est sans la moindre importance dans la mesure où je n'avais rien de précis à noter. Pas plus qu'aujourd'hui du reste.

– Quelque chose me dit que ce n'est pas encore cette fois-ci que je viendrai à bout d'Ulysse. J'ai à peine atteint la 250e page et je fatigue déjà sérieusement. Non, je ne fatigue pas : je m'emmerde. Il faut que je me force pour le rouvrir, je m'interromps après vingt pages au maximum, etc. Bref, tous les signes avant-coureurs d'un prochain abandon sont déjà là, bien en place. Signe qui trompe encore moins : Les Confessions de Rousseau et ses Rêveries étant arrivées au courrier aujourd'hui, je me suis précipité dessus, tout joyeux de pouvoir oublier Joyce un moment.

– Demain, déjeuner avec Rochechouart. On verra si cela débouche sur une reprise de ma collaboration à son journal. Comme je craignais d'être encore coincé à Levallois à l'heure où j'aurais dû partir pour le 14ème arrondissement, j'ai tout bonnement décidé de ne pas aller travailler demain matin, de me rendre directement à Paris et de ne passer à FD chercher mon travail du jour (ou le faire sur place, ce sera selon) qu'après le déjeuner.


Vendredi 6 juillet

Cinq heures et demie. – Mon déjeuner d'hier, avec Rochechouart,  s'est très bien passé, fort agréablement même. Néanmoins, je n'en ai pas trop compris le but, dans la mesure où il m'a réaffirmer que ce qu'il souhaitait, c'était une collaboration régulière de ma part, et pouvoir compter sur moi tout le temps (en gros). Or, dès le départ je lui avais dit que je n'étais intéressé que par une collaboration régulière ; et chaque fois qu'il m'a demandé d'écrire un article pour lui, il l'a reçu au plus tard le surlendemain. Bref, j'attends de voir, mais j'ai l'impression que rien ne va véritablement changer. Ou, si les choses changent en effet, ce sera sans que je comprenne bien pour quelles raisons. Laissons faire et attendons, donc.

– Là-dessus, ayant pour ainsi dire passé ma journée dans la voiture – et dans de faramineux embouteillages –, je me suis cru autorisé à prendre un assez généreux apéritif hier soir. Lequel ne m'a nullement empêché, aujourd'hui, d'écrire les deux feuillets que je devais à mes instances dirigeantes, consacrés à Michel Sardou.

– Par ailleurs, Catherine et moi avons presque décidé d'aller passer une semaine (ou seulement quatre jours : on verra) dans les Côtes du Nord (j'ai du mal à les qualifier d'Armor…), sans doute au début d'octobre.

– Je n'ai pas encore abandonné Ulysse mais ça en prend bien le chemin, dans la mesure où j'ai passé la journée d'aujourd'hui à lire un roman d'Ivy Compton-Burnett, romancière anglaise dont j'ignorais l'existence même jusqu'à ce que je rencontre son nom chez Nathalie Sarraute, voilà quelques semaines. Le roman s'appelle Une famille et son chef, et il est excellent, presque entièrement dialogué et d'une ironie qui fait mouche à tous coups. Je viens d'ailleurs d'en commander un autre d'elle.


Samedi 7 juillet

Sept heures vingt. – Il y a trois siècles, jour pour jour, mourait Suzanne Bernard, des suites d'un accouchement difficile. Dix jours plus tôt, elle avait donné naissance au fils cadet d'Isaac Rousseau, Jean-Jacques.

– Comme je n'avais rien à faire aujourd'hui, je n'ai rien fait. À part regarder la pluie tomber et panacher les lectures : un peu d'Ulysse parce que j'aime me faire du mal, un peu des Confessions (d'où ma science toute neuve dans le paragraphe précédent) parce que j'aime bien aussi me reposer de mes souffrances, et que l'illusion que l'on comprend ce que l'on lit est finalement fort agréable. En principe, la journée de demain devrait se dérouler selon un schéma à peu près semblable. – et je ne vois pas ce que je pourrais noter d'autre ici.


Dimanche 8 juillet

Sept heures et demie. – Écrivant ce qui précède, j'étais bien persuadé que j'allais, dès ce matin, jeter l'éponge et remiser Joyce sur son étagère. Et puis, abordant le chapitre consacré aux filles de la grève, aux enfants et à la séance de voyeurisme/onanisme de Bloom, quelque chose s'est produit ; je ne saurais dire quoi exactement, mais qui s'est encore accentué au chapitre suivant, cet extraordinaire moment où l'écriture part du médiéval avant de passer par les styles d'écriture de différentes époques et de divers milieux ; soudain, je me suis senti embarqué. Ce n'est pas pour autant qu'Ulysse m'est devenu moins obscur (ou alors à peine moins), mais cette obscurité même a cessé d'être un obstacle à la poursuite de sa lecture. J'ai aussitôt, parce que j'avais besoin de tenter de fixer ce quelque chose – sans y parvenir, j'en ai peur –, écrit ceci sur le blog-mère :

« Ayant depuis peu doublé le cap de la page quatre centième, après être comme chacun tombé de Charybde en Scylla, puis ressac vers le premier, ballotté-ci, ballotté-là, avoir frôlé des basses sans doute meurtrières, franchi des détroits glougloutants, deviné des abîmes proches, affronté des commencements de mutineries, mis fin autoritairement à des beuveries intempestives de second pont, et m'étant aperçu avec presque de l'inquiétude que j'étais toujours en vie, bien que fatigué et la peau craquelée de sel dans ses moindres replis, il m'est apparu que la lecture d'Ulysse ne consistait pas simplement à suivre sur une carte une seconde Odyssée à proportions dublinesques, mais qu'il fallait bel et bien refaire soi-même le périple primordial, avec ce que cela suppose et entraîne de découvertes dangereuses ou belles ou les deux, d'ennui profond, de découragements lacrymaux et de puériles exaltations, entre le buveur cyclopéen dans son antre et les horripilantes sirènes de la grève. Dans ces conditions, revoir Ithaque n'est plus du tout un but, c'est un impératif catégorique ou quelque chose comme ça, d'aussi encombrant et malcommode à manier – surtout en voyage. On se dit que Pénélope ne perd rien pour attendre ; et on rame. »

Profitant de ce que j'étais rendu à l'avant-dernier chapitre de la seconde partie, celui écrit sous forme théâtrale, je me suis tout de même interrompu vers cinq heures et demie, pour aller décompresser un peu avec Jean-Jacques. Mais, contrairement à ce qui s'était passé les jours précédents, j'ai hâte de retrouver Joyce demain matin.

– J'ai officiellement réservé par mail l'un des gîtes que nous avions pré-sélectionnés, Catherine et moi, à Paimpol, pour la première semaine d'octobre. L'élu se trouve sur le port, tout proche des différents commerces, ce qui permet, nous assure-t-on sur la fiche descriptive, de laisser sa voiture au stationnement lorsque des courses sont à faire. Lorsque j'aurai reçu le contrat, il me faudra en avertir Yann Savidan, blogueur ami de Nicolas et Costarmoricain de souche, pour qu'il nous organise cette journée en bateau dont il m'a parlé au téléphone il y a trois jours ; invitation à excursion que j'aurais pour ma part poliment déclinée, vu mon absence totale de goût pour la navigation maritime, mais la perspective enthousiasme beaucoup Catherine ; bateau il y aura donc.


Lundi 9 juillet

Cinq heures dix. – Les plus observateurs parmi les douze lecteurs de ce journal ont déjà subodoré, en découvrant l'heure de cette entrée, qu'il y avait apéritif sous roche. En effet, il y a. Prise ce matin d'un courage à peine humain, Catherine a passé l'essentiel de la journée à poncer énergiquement les encadrements de portes et de fenêtres qu'elle a prévu de repeindre en blanc, pour l'excellente raison que les nouvelles portes et fenêtres sont de cette couleur. De mon côté, j'ai coupé toutes les ronces qui dépassaient de la haie et tondu la pelouse. Lorsque j'ai eu fini, et douche prise, je me suis dit qu'il ne serait guère surprenant que, prenant appui sur cette double journée laborieuse, Catherine ne décrète pas que nous méritions un “petit verre”. Et c'est exactement ce qui s'est produit ; il n'y avait plus qu'à descendre au Super U de Saint-Aquilin pour chercher de quoi :  je viens de m'en acquitter avec diligence, ce qui est manière de parler puisque j'y suis bien entendu allé en voiture.

– Poursuivi ma lecture joycienne ; je suis au beau milieu du long chapitre qui clôt la seconde partie (mais je m'aperçois que je l'ai déjà dit hier soir).

– Pas de réponse pour l'instant du propriétaire de notre future habitation paimpolaise. Il m'est venu à l'esprit que nous devrions bien, s'il en est d'accord, profiter de ce que nous passerons, à l'aller comme au retour, tout près de ses terres pour faire enfin une visite à Messire Jacques Étienne. L'idéal serait que nous fassions escale chez lui pour y dîner, avant d'aller bivouaquer dans un petit hôtel quelconque, si possible au bout de son jardin, afin de pouvoir boire sans inquiétude ni remords. Et, tant qu'à faire, peut-être pourrions-nous combiner cela avec une petite visite chez ce couple d'Anglais qui vend des fauteuils à oreilles. Je verrai à mettre cela sur pied avec lui, dès que nous serons certains de nous rendre dans les Côtes du Nord début octobre.

– Je me demande si nous avons bien raison (nous : les “réacs” plus ou moins puristes, et plus ou moins influencés par Renaud Camus…) de monter sur nos grands chevaux, chaque fois que ce qui sonne à nos oreilles comme une monstruosité de langage apparaît – et Dieu sait si l'époque en est féconde. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'avoir raison ou tort, bien entendu, mais de savoir s'il est raisonnable de charger lance au clair contre ce genre de moulins. Actuellement, l'un des tics de langue qui m'horripilent le plus est l'emploi du mot “personnel” comme équivalent à “employé”, c'est-à-dire désignant un individu et non l'ensemble du personnel, comme il était de règle jusqu'à hier matin. Il ne se passe plus de jour sans qu'on entende, à la radio ou à la télévision, journalistes et “experts” parler des personnels de France-Télévision ou de Véolia. Mon premier réflexe, lorsque cette aberration arriva jusqu'à moi pour la première fois, et encore maintenant, fut de trouver cela profondément stupide.

Mais voici que, dans Les Confessions, je tombe sur ce paragraphe où Rousseau, évoquant Mme de Warens (au passage, je me demande depuis quelques jours comment il convient de prononcer son nom, à celle-là ; j'aurais tendance à dire Waran, comme on prononce Doullens Doullan, mais bon), Rousseau donc parle de son domestique, pour désigner l'ensemble des serviteurs à son service. Le mot “domestique” se comportait donc au XVIIIe siècle exactement comme notre “personnel” moderne, et il semble que, bien avant lui, il a effectué la même glissade sémantique, sans doute suivant le même mode, le domestique collectif s'individualisant et, du coup, éliminant le mot “serviteur”, peut-être jugé infamant ou “stigmatisant”. Il est du reste amusant de constater que ce pauvre “domestique” a été victime du même opprobre pudibond et bientôt remplacé par  des périphrases de plus en plus chantournées.

Voilà ce que je me disais. Or, je me trompais. Vérifiant dans le dictionnaire, je me suis aperçu que le mot “domestique” pour parler d'un employé de maison était utilisé dès le XVIe siècle, et que ce n'est que par extension qu'il a, un temps, servi à en désigner l'ensemble pour une maison donnée : trois petits tours et puis s'en va. Si bien que, échevelé et livide au milieu de cette tempête, je ne sais plus, à cette heure, ce qu'il faut penser de ce satané personnel en sa nouvelle livrée, s'il faut pleurer ou en rire, s'il convient de le vouer aux gémonies ou au prochain dictionnaire de l'Académie.


Mercredi 11 juillet

Sept heures vingt. – Tiens, j'ai oublié de passer hier… Du reste, pour ce que j'ai à noter ici ce soir, j'aurais pu tout aussi bien faire pareil aujourd'hui. Je suis allé à Levallois strictement pour rien, comme c'est souvent le cas le mercredi. L'avantage est que la journée se termine vers une heure et demie et que je suis donc de retour très tôt à la maison. Aujourd'hui, Catherine m'accompagnait, en raison d'un rendez-vous qu'elle avait chez je ne sais quel spécialiste des appareillages auditifs, sis à Levallois lui aussi.

– J'ai reçu le livre consacré à Joyce conseillé par Ygor Yanka, écrit par un peintre ami de l'écrivain, dont le nom est pour le moment en train de m'échapper. Je l'ai commencé et, sans que je parvienne très bien à saisir le lien, il m'a donné envie de relire le court chapitre que Girard consacre à Joyce, au sein de son livre sur Shakespeare. Et c'est à peu près tout ce qu'il y a à dire sur cette journée assez plate, absolument dénuée d'événements notables, agréables ou non.

– Ah, si, tout de même : le pitre antisarkozyste et blogueur connu sous le nom de  Juan Sarkofrance, voulant sans doute respecter la parité jusque dans son orthographe et sa syntaxe, a aujourd'hui pondu cette monstruosité cocasse : “blogueuses/rs”. Le plus étrange est qu'il ne s'est trouvé personne, parmi ses commentateurs, pour se foutre de sa poire comme il l'aurait mérité. Il est vrai que les siens, de commentateurs, sont particulièrement confits en dévotion. Je l'ai quant à moi épinglé “chez les modernœuds”, pour le plaisir. Je me souviens qu'il y a quelque temps, je lui avais reproché d'écrire grisâtre, de produire une prose “soviétique”. Là, il verse franchement dans le style clownesque : on peut trouver que c'est un progrès.


Jeudi 12 juillet

Trois heures et quart. – Ce matin, il m'a fallu remettre une demi-heure de chauffage dans la salle de bain pour pouvoir y prendre une douche sans claquer des dents ; le thermomètre extérieur affichait neuf degrés tout ce qu'il y a de plus celsius à huit heures et demie du matin. Si ce temps se maintient, et il y a de fortes chances pour que, nous ne risquons pas de pouvoir offrir un déjeuner sur l'herbe aux Woland, qui seront chez nous samedi.

– À part cela, qui est finalement assez coutumier, en dépit du réchauffement qui-n'est-plus-à-prouver de la planète, ma journée a plutôt mal commencé, dans la mesure où mes bien-aimés chefs ne semblaient pas avoir grand travail à me confier pour aujourd'hui, et donc encore moins pour demain. Or, mon but principal, le jeudi, est toujours de me trouver une bonne raison pour ne pas venir ici, à Levallois, le vendredi. Fort heureusement, m'est échu le livre d'Andersen (pas celui de La Petite Sirène, un plus récent) consacré à Mick Jagger. A priori, pas du tout un personnage “pour nous”, comme on est accoutumé de dire, mais enfin il pouvait fort bien, dans sa tumultueuse et sotte existence, avoir croisé celle d'un personnage “pour nous”. (Il y a bien, effectivement, Carla Bruni, mais j'ai déjà traité le sujet la semaine dernière…) Bref, je nourrissais peu d'espoir que ce livre me suffise comme excuse pour ne pas venir demain, lorsque l'idée a point : il me fallait construire un article en partant de l'anoblissement de Jagger, en 2003, et en déplaçant mon projecteur vers la reine (personnage “pour nous” s'il en est) qui s'y est opposée durant plusieurs années – au point de fuir Buckingham le jour de l'anoblissement officiel –, notamment à cause de la liaison sulfureuse (évidemment sulfureuse, tiens !) que Jagger a entretenu il y a longtemps avec sa sœur, la princesse Margaret, joyeuse luronne devant l'Éternel qui n'en pouvait mais. L'idée a été jugée recevable et voici donc encore un vendredi de gagné.

– Nous avons finalement opté pour un autre gîte que celui choisi par moi tout d'abord. Je viens d'imprimer les contrats à renvoyer au propriétaire, nous serons donc paimpolais du 29 septembre au 6 octobre. Avant cela, le 28, nous ferons escale pour une soirée et une nuit chez Jacques Étienne, dont il se trouve, mais c'est un hasard pur, que l'anniversaire tombe ce jour-là. Et, si la chose se révèle possible, nous tâcherons de nous rendre enfin à l'entrepôt de ce couple d'Anglais qui, à quelques kilomètres de chez lui, vend ces fameux fauteuils à oreilles qui me font envie depuis longtemps.

– Avec tout ça, pas lu une ligne.


Vendredi 13 juillet

Sept heures vingt. – Journée de tonalité assez grise, et pas seulement parce que le temps qu'il fait nous a conduits à rallumer le chauffage ce matin. Je ne sais d'ailleurs trop pourquoi je me suis senti toute la journée d'humeur plus ou moins morose. Peut-être parce que je n'ai rien fait de ce que je devais (écrire un article pour FD, aller acheter des croquettes pour les chiens) ? Mais, ce matin, je ne pouvais pas prévoir que je n'allais rien faire de cela, et j'étais pourtant déjà maussade. Enfin…

– Lorsque Catherine est rentrée des courses, vers onze heures, j'ai ouvert la porte aux trois chiens, sans attendre qu'elle ait refermé le portail et surtout sans prendre garde à ce qu'une femme, qui passe tous les jours dans la rue avec son petit chien en laisse, s'était arrêtée juste en face de chez nous pour parler avec le voisin qui jardinait. Ce connard d'Elstir s'est précipité sur la bestiole pour la chiquer, malgré nos braillements conjoints à tous. Le petit chien s'en tire avec une légère morsure à la nuque, mais sa maîtresse n'avait l'air que modérément ravie, ce que je comprends. Cela signifie que, désormais, il va falloir surveiller Elstir de près. Peu après, mal remise de l'incident, Catherine m'annonçait qu'elle avait décidé de le faire piquer. Je suppose qu'elle parlait sous le coup de la colère, mais je n'en suis pas si sûr. À tout hasard, je lui ai signifié que je m'opposerais radicalement à cette barbarie, et que de toute façon le vétérinaire se refuserait à pratiquer une telle injection. Mais il faut reconnaître que ce chien est particulièrement casse-couilles.

– Demain, les Woland à déjeuner. On a décidé de ne pas laisser Elstir s'approcher de leur fils. Dans le doute, n'est-ce pas…

– Fini de lire le livre de Bugden consacré à l'Ulysse de Joyce. C'est très éclairant, évidemment, mais pas toujours passionnant. J'ai décidé de relire L'Odyssée et ai même déjà ressorti le volume de la Pléiade de son étagère pour le rapporter au salon. Je me demande d'ailleurs ce qui avait pu me pousser à acheter Homère en Pléiade. Il est vrai qu'il y a quelques années je dépensais sans compter.


Samedi 14 juillet

Six heures et demie. – Demi-journée passée avec les Woland, donc. C'est toujours un peu délicat, lorsqu'on connaît un membre d'un couple, de découvrir l'autre, évidemment. Là, excellente surprise : l'Amirale est une femme charmante. Qu'elle m'ait plu à moi n'est pas vraiment un exploit, dans la mesure où elle est fort agréable à regarder et que, malgré mon âge, je conserve quelque chose de cette manière mâle d'envisager les jeunes femmes. Mais elle a aussi fait la conquête de Catherine, ce qui est beaucoup plus difficile. Et puis, il y a leur fils, Théophile, dit “le petit mousse”, 20 mois. On aura beau me dire ce qu'on voudra, mais les enfants de ces réacs indécrottables (et je pense aussi à la tribu Crevette en disant cela) sont beaucoup mieux élevés, et donc infiniment moins pénibles (voire pas pénibles du tout) que ceux des progressistes de modèle courant, capables, les pauvres, de se rendre parfaitement insupportables et de pourrir toute réunion d'adultes, avec l'assentiment tacite de leurs esclaves de parents, ainsi que nous avons eu trop souvent l'occasion de le constater. Décidément, je ne parviendrai jamais à comprendre comment des gens apparemment normaux acceptent de voir leur vie totalement pourrie par un enfant, alors qu'il semble finalement si simple (ou en tout cas pas strictement impossible) de l'élever correctement.

Les Woland sont repartis vers cinq heures, et à peine étaient-ils au bout de la rue que Catherine et moi nous sommes abîmés dans un sommeil réparateur, dont je suis sorti juste à temps pour nourrir les chiens, puis pour écrire un petit billet sur le blog-mère et, enfin, pour venir ici noter ce qui précède. Je pense que je vais ensuite aller m'octroyer un petit Ricard, ou deux, mais pas davantage : le vin de midi faisant encore son effet, cette “rincée” devrait m'envoyer au lit rapidement.

Excellente journée donc, pour résumer. Et joie, chez moi, de constater qu'il se trouve encore des gens, dans cette génération dont je pourrais être le père, pour regarder le monde sans trembler.


Dimanche 15 juillet

Sept heures vingt. –  Journée “chou navet”, selon l'expression en vigueur chez nous pour désigner les jours de grande flemme. Les diverses boissons d'hier ne doivent pas y être pour rien. Naturellement, j'ai allègrement remis à demain matin l'article pour FD que j'étais censé écrire vendredi…

– Choux navets peut-être, mais choux navets lettrés, puisque Catherine a passé la moitié de la journée avec Ivy Compton-Burnett ; j'ai quant à moi terminé Ulysse ce matin et j'ai ensuite panaché la lecture de L'Odyssée avec celle de quelques nouvelles des Gens de Dublin. J'ai également commandé le Portrait de l'artiste en jeune homme, ce qui me semble être une mauvaise traduction du titre anglais, mais il est vrai que je ne suis guère spécialiste en ce domaine.

– Il fait toujours un froid de gueux, même lorsque le soleil parvient à transpercer un temps les gros nuages plombés qui circulent au-dessus de nos têtes à grande vitesse.


Lundi 16 juillet

Sept heures. – Si j'en juge d'après l'heure, il semblerait que notre dîner tendrait de plus en plus à devenir goûter. D'un autre côté, comme nous avons supprimé le déjeuner, et que par ailleurs je nomme également “goûter” la rapide collation que je prends entre minuit et une heure, juste avant d'aller me coucher, nous n'en sommes plus à ça près.

– Ce matin, m'éveillant quelques minutes avant huit heures, ma première pensée (agacée) a été pour ce damné article que je traîne après moi depuis vendredi et qui restait à faire. Du coup, sitôt les bêtes nourries, le café avalé et fumée l'initiale cigarette, je me suis littéralement rué sur ce clavier et, sans même prendre la peine (et le risque de la distraction) d'ouvrir la boitamel, il était tout juste huit heures et quart lorsque je me suis attaqué bravement aux démêlés de Mick Jagger avec Elisabeth d'Angleterre. À neuf heures, les presque trois feuillets étaient écrits. La routine, en somme…

– J'ai terminé L'Odyssée à bride abattue : autant j'avais pris, les jours précédents, beaucoup de plaisir à relire les deux premières parties (celles consacrées aux voyages de Télémaque et au récit par lui-même des errances d'Ulysse, autant la troisième – dont j'avais oublié qu'elle fût à ce point la plus longue –, celle qui commence au moment où Ulysse pose le pied sur la terre d'Ithaque, m'a rapidement ennuyé, pour ne pas dire agacé avec ses interminables salamalecs (J'veux pas qu'on m'reconnaisse ! Athéna, fais quèqu'chose !), Eubée, le porcher phraseur, et les babillages sans fin des prétendants, sur fond de bâfrages et de beuveries presque continuels. Brèfle, Homère c'est très bien, les balades en Méditerranée aussi, mais à un moment faut que ça cesse.

– Après cela – et la traversée éprouvante de l'autre Ulysse, précédemment –, les différentes nouvelles de Gens de Dublin (enchanté, moi c'est Didier du Plessis) m'ont semblé être un pur enchantement, dont je ne suis d'ailleurs pas encore sorti.

– Pour bien terminer cette journée, petit mail de Nancy, à l'instant, pour me dire que la GECEP ne serait pas en mesure, ce mois-ci, de me verser le moindre euro. Le contraire m'aurait, je dois dire, laissé sur le cul. En fait, je crois que GdV est bien parti pour m'avoir à la lassitude : encore deux ou trois mois comme cela, et je ne prendrai même plus la peine de rappeler régulièrement à Nancy que l'on me doit encore de l'argent.

– Demain, retour à FD.


Mardi 17 juillet

Huit heures et demie. –  Je ne devrais pas, je suppose, avouer ce genre de chose. Néanmoins, c'est la vérité : quand les commentaires, sur le blog-mère, tombent en rafales, je ne les lis plus. Je m'en fous. Au départ (au départ de la rafale), je commence par ne plus lire ceux de mes commentateurs qui de toute façon m'ennuient, soit parce qu'ils sont bêtes, soit parce qu'ils se croient obligés de passer leur journée ici, sur mon blog. J'ai les noms, évidemment, mais à quoi bon ? Ensuite, je finis par ne plus lire même ceux qui disent des choses intéressantes, intelligentes, et que j'aime par ailleurs – du genre Marchenoir. Je ne lis plus personne, tout le monde m'emmerde.



Mercredi 18 juillet



Huit heures moins vingt. – Les affaires ont l'air de vouloir reprendre du côté de chez Rochechouart, suite à notre déjeuner d'il y a deux semaines (plus ou moins, je ne me rappelle pas la date exacte). Il m'a appelé tout à l'heure, pour me proposer de faire désormais un article par mois pour l'un de ses journaux, celui que j'ai dû appeler Zodiaque ou quelque chose d'approchant, deux papiers “animaux”, toujours par mois (ceux-ci moins bien payés sous prétexte que plus courts…), pour Enquêtes, et sans doute un papier par mois, au plein tarif cette fois, pour ce même journal. Attendons de voir.


– Par ailleurs, l'Amiral Woland m'a mis en contact avec un de ses petits camarades avocats, lequel semble tout prêt à s'occuper de mon contentieux avec GdV, et à récupérer pour moi les 6500 euros que celui-ci me doit et qu'il semble bien décidé à ne me payer jamais. Je dois prendre un premier rendez-vous avec lui demain. Là encore, on verra bien.

– La maison est sens dessus dessous, car Catherine, prise d'un courage qui semble l'étonner elle-même (et moi donc !), s'est mise en tête de repeindre entièrement le salon et la salle à manger. Elle a fini le premier en fin d'après-midi aujourd'hui, ce qui fait que la pièce reste condamnée jusqu'à demain, où elle s'attaquera à la seconde.


Jeudi 19 juillet

Huit heures et demie. –  Discussion à  propos de nos plus de vingt ans de vie commune. Tentative de discerner si nous aurions pu faire mieux. Non, évidemment, nous n'aurions pas pu faire mieux. Du reste, qu'est-ce que cela aurait signifié : faire mieux ? Faire mieux que quoi ? C'est très précisément ce que nous étions occupés à nous demander.


Vendredi 20 juillet

Neuf heures moins le quart. – Et pourquoi donc un apéritif ce soir, alors que nous en avons pris un hier, comme il se doit ? Hein ? Plusieurs raisons concomitantes. La première est que Catherine a, aujourd'hui, presque terminé de repeindre le salon et la salle à manger. Ensuite de quoi, nous avons (à deux, cette fois) rangé tout ce qui avait été déplacé pour cette repeinture. Repeinture très belle, dans les gris, clair ici, plus foncé là, et qui met superbement en valeur les deux peintures d'Olivier Deprez qui sont accrochées au-dessus de mon fauteuil. Mais pas seulement : tout dans cette maison devient neuf, frais, autre, jeune, moderne, je ne sais quoi. Du coup, il nous fut presque indispensable de boire un verre, durant lequel Catherine passa le temps à se demander comment et pourquoi et où elle avait trouvé le courage de se lancer dans ces travaux de rénovation. Et ce n'est évidemment pas moi qui le lui aurait expliqué.

– Là-dessus, donc, je propose un verre, et un verre modéré puisqu'il me restait quelque chose comme une larmichette de Ricard (presque vingt centilitres tout de même…). Catherine dit oui, forcément, parce que, de son côté, il lui restait une demi-bouteille de Gewurzt, et qu'elle avait bien envie de boire un verre, ou deux.

Mais voilà : que faire quand on a bu deux pastis, même tassés, et qu'il n'y en a plus ?  En général, vous commencez par vous dire que vous allez boire un verre de vin d'Alsace, comme ça, histoire d'entretenir.  Et puis, soudain, vous repensez à ce diable d'Amiral (Woland) et à sa femme. La femme n'est pas très dangereuse, puisqu'elle est arrivée avec une orchidée. L'Amiral, en revanche, vous a apporté une bouteille d'un truc brésilien assez fort, un machin dont il vous explique que ça se boit comme une sorte de vodka tropicale, avec du jus de truc et de la glace pilée.

Dans un premier temps, un soir, il y a deux ou trois jours, on essaie. Sans jus de fruit, sans glace pilée.  On se dit : “Putain d'Adèle, que c'est pas bon ! ” Et c'est vrai que ce n'est pas bon, le flacon de l'Amiral, on en arrive à se demander s'il ne nous détesterait pas un peu sur les bords pour avoir introduit ici un liquide de cet ordre.  En fait, on se dit qu'on va le verser dans l'évier, que l'Amiral a rapporté ça sans y réfléchir, que sa femme l'a enjoint de se débarrasser de ce tord-boyau, tout ça.

Donc, dans l'évier. Et puis, on ne le fait pas tout de suite.  D'abord parce qu'on a pris une odeur dans le pif, qui vous rappelle je ne sais quoi de votre jeunesse d'ivrogne ; un alcool de merde, mais dont vous avez bu des litres à une certaine époque – quelque chose de brumeux, voilà.

Puis, comme il n'y a plus de Ricard, mais qu'en revanche il reste du jus d'orange frais, on tente le mélange tord-boyau + jus d'orange ; on ajoute deux ou trois glaçons pas pilés le moindre, on goûte. Eh ! mais c'est que ça glisserait tout seul, cette petite cochonnerie-là ! Du coup, on siffle les deux tiers de la bouteille et on file se coucher bourré. C'est d'ailleurs ce que je vais faire, de ce pas hésitant.


Samedi 21 juillet



Sept heures et demie. – Je n'étonnerai personne, et surtout pas ce journal, en disant que, vu mes excès d'hier soir, il n'a pas été question une seule seconde aujourd'hui que je me mette à l'article que je dois écrire pour Zodiaque. Ce sera pour demain, puisque, ce soir, nous sommes revenus en phase d'abstinence. Je n'ai pas non plus tondu la pelouse, comme il était plus ou moins question que je le fisse. À la place de ces activités formellement dénuées d'intérêt, j'ai poursuivi ma lecture des Centurions de Lartéguy ;  et j'ai décidé de commander la suite, Les Prétoriens. Catherine, de son côté, a travaillé comme dix mille négresses et a fini toute la peinture, à l'exception de celle des portes, qu'elle se garde pour lundi ou mardi, je ne sais plus. Non, pas lundi : elle m'a réquisitionné pour la véhiculer jusqu'au magasin Ikéa de Rouen ; magasin dans lequel, comme d'habitude, je n'entrerai pas, mon refus de pénétrer dans le piège à rats dût-il attrister Marchenoir, grand ikéophile devant l'Éternel.



Dimanche 22 juillet

Sept heures et demie. – Naturellement, j'ai encore trouvé moyen de me pourrir la moitié de la journée d'aujourd'hui, en ne me mettant au travail qu'à trois heures cet après-midi au lieu de ce matin. Ensuite, les dix mille signes furent écrits en un peu plus de deux heures, toujours comme d'habitude.

– Demain, journée à la con : vétérinaire le matin et Ikéa l'après-midi ; avec, en toile de fond, les échafaudages (et probablement le poste de radio…) du peintre qui, toute la semaine, va nous refaire les peintures extérieures de la maison. On aurait presque hâte de se retrouver à Levallois. Ah, et j'oublie que, si j'en trouve le temps et le courage entre tout cela, il serait bon que je tondisse le jardin.

– Ma matinée, quant à elle, fut employée à terminer  Les Centurions de Lartéguy. Très bon roman “populaire”, écrit par un très habile artisan, une sorte de super-écrivain en bâtiment, si l'on veut, mais qui ne va jamais au-delà. D'un autre côté, peut-être n'y aspire-t-il pas le moins du monde. En l'état, c'est une lecture très plaisante et finalement assez instructive – en tout cas pour moi.


Lundi 23 juillet

Huit heures dix. –  Huit heures dix plutôt que sept heures et demie égale… égale : apéritif ! En effet. Pourquoi donc ? Faisceau de raisons. D'abord, le peintre qui, ce salaud, est arrivé à l'heure qu'il avait dite, huit heures et quart du matin. Catherine avait mis (pour lui) son réveil à huit heures moins le quart, persuadée qu'il viendrait en retard, voire ne viendrait pas. Moi-même, de mon côté, je ne m'étais pas endormi avant trois heures du matin. Soudain, huit heures et quelques minutes, aboiement de chiens – les miens. Que faire sinon se lever ? Je. Au lieu de boire tranquillement une tasse de café en me demandant pourquoi il faut absolumernt affronter cette nouvelle journée, me voilà contraint de ne pas boire ce café pour, à la place, débarrasser la terrasse des tables, chaises, balconnières, gamelle à eau des chiens, etc., qui vont gêner le peintre – qui, lui, semble insolemment réveillé.

– La journée amusante continue. Obligation d'aller chez le vétérinaire, en compagnie de Swann et Bergotte, pour leurs vaccins annuels. Au départ, ces séances étaient un peu pénibles, parce que les vétérinaires nous parlaient comme à la majorité de leurs clients, c'est-à-dire à des débiles, à qui il faut longuement expliquer les choses qu'on ne leur demandait même pas. Désormais, la visite est un peu plus rapide, mais à peine : on ne parle plus de nos animaux, mais des BD de Nicolas, car le patron de notre clinique pour pépères est une sorte de “fan”, mais vraiment fan en l'occurrence, des petits mickeys que produit le Nicolas en question.

– Néanmoins, la journée a continué. Nous sommes rentrés à la maison. Le peintre poursuivait son travail. Sans nous déranger, en apparence. Mais ce peintre (qui est déjà venu chez nous l'année dernière et a parfaitement fait ce qu'il avait à faire) ne peut pas travailler sans faire gueuler sa radio comme pour une quinzaine commerciale. Ce n'est pas très grave pour les voisins : soit ils ne sont pas là, soit ils adorent le bruit de la radio. Les seuls qui souffrent, c'est nous, même toutes fenêtres fermées.

– Si on était des “gros cons de droite”, comme se les imaginent les abrutis de gauche, on dirait à notre peintre quelque chose comme : « Éteignez votre radio, salaud de connard de pauvre, elle nous empêche de réfléchir ! » Et c'est vrai que, au bout de quelques heures, ça devient insupportable. Ce qu'il écoute ? Exactement ce que la plupart des blogueurs prennent pour de la musique, et qui n'est évidemment que de la chanson pénible, française ou internationale. Du reste, il n'écoute pas du tout.  Parfois, il est à l'autre bout de la maison et il n'entend rien. D'autres fois, il balance le Kärcher à plein tube et entend encore moins. Mais peu importe : on sent bien que, pour lui, il est nécessaire de balancer ces décibels pénibles ; il faut que ça soit là.


Mardi 24 juillet

Une heure et demie. – Cinq heures de sommeil deux nuits de suite, plus l'effet de l'apéritif : la fatigue et le sommeil me sont tombés dessus hier soir sans prévenir, et j'ai abandonné le récit de ma journée sans le moindre remords. Donc, après un déjeuner rapide et froid (pris au son de la radio extérieure…), nous sommes partis pour la banlieue de Rouen, où se trouve implanté, entre autres, l'entrepôt Ikéa régional : Catherine avait quelques “bébelles” à y acheter pour la maison. Ne sachant trop que faire de lui et voulant le priver d'une bonne occasion de faire des conneries, nous avons embarqué Elstir avec nous. Comme je me refuse à foutre les pieds dans cette espèce de labyrinthe pour rats que constitue tout magasin Ikéa qui se respecte, le chien et moi avons attendu Catherine dans l'espèce d'immense parking bétonné et couvert réservé aux clients de l'endroit. Nous y sommes restés exactement une heure, sans que nous nous ennuyions une seconde, lui ni moi ; lui parce que ma présence suffisait à sa quiétude, moi parce que j'avais pris la précaution d'emporter l'iPod : Nicolaï Ghiaurov et Martti Talvela sont entrés en scène les premiers pour s'affronter dans le duo de Philippe II et du Grand Inquisiteur, qui est le clou de l'acte IV du Don Carlos de Verdi. Puis, ils ont cédé la place à Gundula Janowitz, qui avait concocté un programme basé entièrement sur les grands lieder de Schubert. Ayant récupéré Catherine vers trois heures, nous avons repris le chemin de la maison ; non sans un petit crochet par le Super U afin d'y acheter les bouteilles indispensables à l'apéritif dont nous venions de décider qu'il était bien mérité. À notre arrivée, le peintre était toujours là, et sa radio toujours beuglante. Lorsqu'il a finalement replié son matériel et disparu avec sa camionnette, j'ai sorti la tondeuse de son abri et ratiboisé l'herbe. Moyennant quoi, douche prise et chiens nourris, il fut enfin l'heure de ce putain d'apéro.

– Aujourd'hui il fait chaud, et la climatisation de ce bureau, pourtant toute neuve, ne rafraîchit pas autant que j'aurais pu l'espérer – et l'espérais effectivement. Mais enfin, il fait tout de même bien meilleur que dans le bureau du rewriting, lequel continue d'être l'étuve qu'il a toujours été.


Mercredi 25 juillet

Huit heures. –  Moi qui ne mets jamais les pieds à Paris, j'y suis allé aujourd'hui alors qu'il faisait une chaleur imbécile. J'ai passé tout le retour en rêvant d'une douche – que j'ai prise en effet, une fois à la maison.

– Je devais aller à Paris pour y rencontrer Maître S. (appelons-le comme ça pour l'instant), ami de l'Amiral Woland, qui tenait absolument à ce que je récupère les 7000 euros que me doit Gérard de Villiers, et sur lesquels j'étais à peu près disposé à m'asseoir. La rencontre s'est fort bien passée. Maître S a environ l'âge du camarade Woland, mais comme il est plus fin (physiquement), il semble encore plus jeune et, du coup, j'avais l'impression d'appeler “Maître” un type qui aurait pu être le benjamin de mes fils, si j'avais eu des fils.

– Récupérer cet argent, je n'y croyais pas. Mais mon jeune Maître, lui, a fait preuve d'un optimisme convaincant. On verra ce que ça donne.


Jeudi 26 juillet

Deux heures et demie. –  Me voilà coincé dans ce bureau de Levallois – qui est heureusement silencieux et où la climatisation fonctionne finalement assez bien –, alors que j'ai terminé depuis près de deux heures mon travail de la journée. Mais c'est que j'aimerais bien que l'on me donne celui de demain, de façon à, comme la plupart des vendredis, ne pas être obligé de venir ici. Surtout demain, car Catherine a besoin de la voiture afin de se livrer aux divers achats qui vont ensuite nous permettre de nourrir (et d'abreuver…) Tonnégrande et Nicolas, qui nous arriveront samedi soir.

– J'ai commencé de lire Les Prétoriens, le roman de Lartéguy, reçu hier, qui fait suite aux Centurions. Pour le moment, je le trouve plutôt moins bon, moins homogène. Mais c'est peut-être aussi que la Guerre d'Algérie est un terreau moins riche que celle d'Indochine. En tout état de cause, je n'en ai lu qu'une grosse cinquantaine de pages.

– Il continue de faire très chaud, et même de plus en plus ; mais il se murmure que la température devrait redescendre dès demain. En tout cas, depuis lundi, ce climat estival nous a fourni une excellente raison, à Catherine et à moi, pour prendre l'apéritif tous les soirs. J'ai décidé ce matin que, soleil et chaleur ou pas, il serait mis fin à cette fantaisie dès lundi prochain. Non mais.

– Mon travail d'aujourd'hui, évoqué plus haut, a consisté à relater en cinq feuillets un fait divers, en me basant sur l'article qu'en a fait Détective dans son dernier numéro. La tâche me fut rendue plus malaisée que prévue, par le fait que l'article qu'ils ont publié était quasiment parfait dans son déroulement, les ambiances, etc. Du coup, il devenait difficile de faire aussi bien tout en faisant autrement. Je ne suis pas sûr d'y être parvenu.


Samedi 28 juillet

Deux heures et demie. – En toute logique, je devrais être occupé à écrire mon premier article “animaux” pour Enquêtes, lequel doit être rendu dans la journée de lundi. Et, naturellement, en tout illogisme, je ne le fais pas, sous le prétexte aberrant que, d'ici quatre heures environ, Nicolas et Tonnégrande vont débarquer pour passer la soirée et la nuit à la maison. En quoi cette perspective de visite peut-elle m'empêcher de travailler maintenant, durant une heure ou une heure et demie ? Mystère total. C'est d'autant plus stupide que je sais fort bien que je vais me trouver en très petite forme demain, suite à nos libations hautement probables de ce soir. Par conséquent, il faudra que je me cravache, lundi matin, pour écrire mes quatre feuillets à toute vitesse, de façon à ce que mon commanditaire voie arriver l'article au plus tard en début d'après-midi. Du grand n'importe quoi, quoi.

– J'ai laissé tomber Les Prétoriens à mi-parcours à peu près, tant ce roman de Lartéguy est inférieur au précédent : trop de jactance, trop de flash-back, trop de… Enfin, bon : raté. Pour rester dans une ambiance “virile”, j'ai commencé Les Réprouvés d'Ernst von Salomon.

Cinq heures et demie. –  Bon  sang de bois, ça ne pouvait plus durer comme ça ! J'étais dans mon fauteuil, au salon, essayant de lire le roman de Salomon (Salomon ou von Salomon ? Ne sais…), pas moyen : je ne cessais, comme en surimpression, de penser à ce fucking article que je devais écrire, ainsi qu'aux deux encadrés qui lui étaient adjoints. Au moment où j'ai commencé à rédiger mentalement les premières phrases, j'ai compris qu'il était temps de prendre le taureau par les cornes, ce qui tombait bien puisqu'il s'agissait d'une page consacrée à des histoires d'animaux. Donc j'y fus et, à l'heure qu'il est, je suis très satisfait d'en avoir complètement terminé. Il reste que j'ai, une fois de plus, écrit mille signes de trop.


Lundi 30 juillet

Sept heures. – En matière de dîner “tôtif”, je crois que nous venons de battre un record. Quant à samedi soir, avec Nicolas et Tonnégrande, c'est un autre genre de record que nous avons pulvérisé : ayant commencé à boire dès leur arrivée, vers sept heures et quart, nous n'avons cessé qu'à quatre heures du matin, pour tituber vers nos couches respectives – et en mélangeant allègrement différents alcools, pour finir par quelques verres de Ricard, dosés comme pour des chevaliers teutoniques de haute époque. Inutile de dire que Catherine était au lit depuis belle lurette. Cela dit, je suis un peu mesquin : Claude, lui, est resté assez sagement au vin rouge durant toute la soirée, ce qui lui a permis de se montrer nettement plus pimpant le lendemain midi que Nicolas et moi. Comme il en a informé Catherine le lendemain, « c'est quand Nicolas et Didier ont commencé à parler dans une sorte de langue étrangère que j'ai compris qu'il était temps d'arrêter. » En effet. Mon dernier – et fort vague – souvenir de cette soirée fut une discussion où se mêlaient saint Augustin, la Bible et le général de Gaulle : je suis bien aise de n'en avoir rien retenu, ça devait être très décoiffant. Naturellement, lorsque les deux zèbres furent remontés dans leur voiture, dimanche aux alentours de cinq heures, la gueule de bois était toujours bien présente et, dès six heures, j'ai replongé, mais beaucoup plus modérément, dans le Ricard, afin de la déloger. Tout cela explique que je ne sois pas venu dans ce journal hier, et que je ne compte pas m'y attarder ce soir. Avant l'apéritif en question, nous avions eu droit à un joli faux départ de nos hôtes, Claude ayant trouvé le moyen d'oublier ici sa veste, avec ses papiers dedans. Il a été un peu surpris lorsque Catherine l'a contraint de s'asseoir une seconde ou deux sur une chaise avant de nous quitter pour la seconde fois : d'après elle, il faut toujours se rasseoir en cas de second départ, sinon toutes les catastrophes se déchaînent sur la tête du malheureux. À cette occasion, Claude nous a appris que chez lui, en Guyane, ce qui portait malheur c'était de se passer du piment de la main à la main : il convient de le poser sur la table et de laisser l'autre ne le prendre qu'ensuite. La morale de tout cela, c'est que j'ai rudement bien fait de me débarrasser de mon travail samedi, avant leur arrivée : je ne vois pas du tout comment j'aurais pu pondre huit mille signe hier, ni même aujourd'hui.

– Sinon, hier, lorsque nous nous sommes retrouvés seuls devant un verre, j'ai offert à Catherine, dont c'était l'anniversaire, le premier tome de la Pléiade consacré à Jane Austen, qui est l'une de ses grandes passions littéraires ; elle s'en est montrée fort contente et a passé dedans l'essentiel de sa journée d'aujourd'hui. Quant à moi, j'ai presque terminé Le Planétarium de Sarraute, qui me plaît énormément, au point que je vais rapidement me commander un ou deux autres romans d'elle.

– À propos de Sarraute, Nathalie (de FD) m'a prêté la semaine dernière le DVD de sa pièce Pour un oui ou pour un non, filmée par Doillon et jouée par Trintignant et Dussollier. Texte prodigieux, mais dont on se dit que deux comédiens médiocres, ou même simplement “honnêtes” doivent pouvoir le réduire à néant. Alors que les deux que je viens de citer le rendent absolument éblouissant d'intelligence, de subtilité et aussi de perversité cruelle.


Mardi 31 juillet

Sept heures vingt. – Ce n'est pas que j'aie des choses bouleversantes à révéler ici, mais enfin, tout de même, le dernier jour du mois… je me devais un peu d'être ici, ne serait-ce que pour éteindre les lumières, vérifier l'alarme et fermer la porte.

– J'ai fini tout à l'heure le roman de Sarraute dont je parlais hier, et je viens d'apprendre que je ne recevrai pas les deux commandés hier ou avant-hier avant le 16 août, ce qui m'agace et me frustre, car rien d'autre qu'elle ne me fait envie. De toute façon, ce n'est pas trop le moment de me lancer dans une lecture réclamant une attention soutenue : nous partons à la fin de la semaine pour trois jours chez mes parents, et tout le monde sait qu'il est impossible de lire chez eux. Depuis quelque temps, je ne prends même plus la peine d'y partir avec un livre : si vraiment une demi-heure ou une heure de calme surgit à l'improviste, je puis toujours vivre sur l'habitant.

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