lundi 15 août 2011

Juin 2011








LES EXALTÉES DE JUMIÈGES








Mercredi 1er juin

Midi. – J'éprouve toujours une sorte de jubilation (fort discrète et très fugace : il ne faut rien exagérer…) lorsque je crée ici, dans ce blog qui ne sert que de brouillon au journal, un nouveau “message”, correspondant au mois qui commence. La raison en est, je crois, que j'ai chaque fois l'impression puérile, et toujours déçue bien entendu, que ce mois-ci, enfin, mon journal va prendre de la consistance, de la profondeur, acquérir une certaine richesse, que sais-je – bref, qu'il va se produire un truc faisant que… Et, naturellement, il ne se produit rien de tel.

– Je suis, depuis ce matin, d'une humeur absolument délicieuse, limite bisounoursonne. Je cherche pourquoi depuis deux ou trois heures et ne trouve aucune raison plausible. Du coup cela m'inquiète un peu, et mon humeur finirait bien par s'en ressentir.

– Reçu hier un mail de l'amiral Woland (qui – scoop – ne s'appelle pas Woland et ne semble pas non plus évoluer au sein de notre marine nationale) me demandant si nous ne pourrions pas, un de ces jours prochains, déjeuner ensemble. Ce qui l'a poussé à “faire sa demande” est la lecture de mon journal d'avril dans lequel je dois faire mention de rencontres avec tel ou tel blogueur. Je lui ai répondu que oui, bien volontiers, avec plaisir, mais en l'avertissant que, comme mon grand âge m'y autorise, je ne bougerai pas de Levallois et que ce sera à lui de se déplacer jusqu'à moi. Il a souscrit au diktat avec grâce et nous devons nous retrouver à À Table ! jeudi prochain, 9 juin. Yanka sera très probablement des nôtres, dans la mesure où il est prévu qu'il revienne faire un second essai à FD, afin que l'on puisse tester sa rapidité d'action.

– En fait, je crois savoir ce qui m'a mis d'excellente humeur ce matin – humeur dont j'ai pris conscience dans la voiture, à peine dépassé Pacy-sur-Eure : c'est que je ne devais pas, en principe, bouger de la maison aujourd'hui, et que cette journée levalloisienne ne s'est décidée qu'en toute dernière instance, hier. Si bien que j'ai soudain éprouvé, au volant de ma voiture, Arrau jouant la sonate en si bémol majeur D 960, le sentiment d'une sorte d'escapade imméritée. On voit à quel degré de puérilité me voilà rendu.

[Ajout du 30 juillet : juste avant de m'atteler à l'ultime relecture avant publication de ce journal de juin, j'ai “cliqué” dans iTunes sur cette même sonate D 960 jouée par Arrau.]

– Hier soir, Ygor m'a passé deux années de son journal pour que je les lise (années anciennes : 1992 et 93 je crois). Je me doutais bien que cela se produirait assez rapidement et j'avais moi-même très envie de lire des choses de lui, hors blog, mais je m'astreignais à ne rien lui demander dans cet ordre : si jamais je me trompais et qu'il n'avait nulle envie que je le lise, je ne voulais pas le mettre en position de devoir me dire non. Je me mettrai à tout cela dès demain sans doute.

– Je viens du Monoprix, Catherine m'ayant passé commande. J'avais exactement trois articles différents à acheter, j'en ai bien évidemment oublié un, et en plus le seul qui était pour moi : des assiettes en plastique pour mes déjeuners au bureau. Je n'ai pas eu le courage d'y retourner.

– Tout est donc arrangé en ce qui concerne notre week-end ardennais du 18 juin. Nous partirons la veille, vendredi, et nous attarderons en Thiérache pour y visiter les églises fortifiées qui, dans ce coin, sont légion ; le samedi midi nous emmènerons mes parents à La Gourmandière, restaurant de Carignan qui nous a paru tout à fait acceptable (quand je dis que nous les y emmènerons, c'est manière de parler car, ma mère ne buvant pas du tout, c'est dans sa voiture et conduits par elle que nous ferons le voyage) ; le dimanche, déjeuner chez Nefisa ; et lundi retour en Normandie. Pendant ce temps, Ygor Yanka sera promu maître-chiens, puisque nous lui laisserons les deux mâles.

– À propos de chiens, les relations sont désormais tout à fait cordiales et ludiques entre eux et le petit Golo. C'est même le chat qui, désormais, pousse les autres au jeu (sauf Swann qui a décidé de l'ignorer, après avoir été pourtant le plus hystériquement curieux de lui durant les premières quarante-huit heures), leur attrapant le museau, les pattes ou les oreilles dès qu'ils sont à sa portée. Je pense qu'il se passera peu de temps avant qu'il n'aille les relancer jusque dans leurs paniers respectifs. De plus, il a commencé à sortir sur la terrasse, et même à descendre quelques marches en direction du jardin. Mais, là, il reste assez largement sur le qui-vive.

– Et voici qu'arrive l'heure du déjeuner, sans que j'aie encore fourni la moindre bribe de travail…


Jeudi 2 juin

Une heure vingt. – Je suis, depuis hier, plongé dans le journal d'Ygor Yanka, en tout cas dans les quatre volumes – un par année – qu'il a bien voulu me confier. Années 1986 et 87, puis 1992 et 93. Première constatation : ce journal lui ressemble, ou du moins ressemble à l'idée que je me fais de lui et à ce que je pensais que son journal devait être. En second lieu me frappe le changement de ton assez net entre 1987 et 1992, que je lis actuellement : il y a comme une “prise de hauteur” peut-être, ou bien une sorte d'épuration qui le conduit à laisser dans l'ombre les éléments extérieurs (qui ne le sont évidemment jamais tout à fait, extérieurs) au profit d'un univers mental de plus en plus dense. Il faudra d'ailleurs que je lui demande pourquoi il m'a privé des années intermédiaires ; ce que je regrette car j'aimerais bien voir à quel moment son journal change et selon quelles modalités.

(Ces notes vont être sans doute fort décousues, car, en même temps que je les prends, je m'occupe de reporter dans iTunes les dix CD des entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet – pour Yanka, précisément –, ce qui m'oblige à m'interrompre sans arrêt pour effectuer telle ou telle opération.)

Ce que j'ai lu jusqu'à présent me fait penser à ces bandes de papiers millimétrés que l'on utilise pour les sismographes ou lors des électrocardiogrammes : il y a là une précision ultra-sensible dès qu'il s'agit d'enregistrer la moindre variation du climat intérieur. Le tout dans une langue très élégante, que pimentent çà et là quelques belgicisme – dont je me demande s'ils lui ont échappé, ou s'il les a mis intentionnellement, ou s'il s'est contenté de les laisser, ou encore s'il s'en moque tout simplement (en rue pour “dans la rue”, brosser (la messe) pour manquer…). Le monde extérieur n'est évidemment pas absent de ces pages, mais on a parfois l'impression qu'il n'est qu'un reflet outrageusement étendu d'un état d'esprit ; voire d'un “état de corps” car celui-ci a également son importance, grande, et est à ce titre régulièrement ausculté. Ou plutôt non : le corps – ses exigences et ses dysfonctionnements, mais aussi ses silences qui peuvent être troublants – n'est que rarement sollicité : il est plutôt cette fraction du monde matériel qui, régulièrement, vient frapper au carreau de la chambre où s'élabore l'écriture – chambre que je ne peux me figurer que dépourvue de fenêtre, ou plus exactement dont la fenêtre serait soigneusement aveuglée.

Je mets à part le premier volume, celui de 1986, étonnant parce qu'il émane d'un jeune homme de vingt-quatre ans mais qui me repousse pour des raisons toutes personnelles et difficiles à démêler : la folie et la psychiatrie en sont l'axe principal, quasiment unique même, et c'est une chose, la folie, avec laquelle je ne m'affronte que fort peu volontiers. Et d'autant moins dans le cas présent dont, par la force de l'écriture et l'acuité des perceptions, émane une menace sourde, diffuse, à laquelle je ne suis que trop sensible.

De même, pour des raisons n'ayant rien à voir avec Yanka, mais tout avec moi, je saute les récits de rêves – relativement nombreux – pour la seule et inexplicable raison que je n'ai jamais été capable, nulle part, de lire vraiment un récit de rêve : si je force là ma nature, le livre me tombe immanquablement des mains.

J'ai sursauté plusieurs fois, et en particulier lorsque Yanka place Kundera au-dessus de Flaubert. Mais je suppose qu'un léautaldien comme lui pouvait difficilement aimer ce dernier. D'un autre côté, je crois l'être autant que lui, léautaldien, et je place néanmoins L'Éducation sentimentale au-dessus de presque tout.

Le très jeune âge de l'auteur ne se trahit pratiquement jamais, dans ces pages déjà lues, même si, par moment, il subsiste une tendance à “prendre la pause”, durant un court paragraphe, voire une simple phrase ou fragment de phrase.

Ensuite, à partir de 1992 où je suis rendu, cette faiblesse me semble avoir tout à fait disparu.

Je reviendrai sans doute sur le sujet dans les jours qui viennent.

– Ce matin, Nicolas annonce sur son blog la mort d'Olivier Porret, blogueur castelroussin (et socialiste), avec qui j'ai passé une soirée à la Comète il y a de cela un an ou deux – sans doute plutôt deux. Il était atteint d'un cancer, dont personne ne semblait, sauf moi, douter qu'il se remettrait. Il était ce soir-là accompagné de son fils adolescent et je me souviens avoir été assez heurté par la manière grossière dont il laissait ce gamin lui parler, sous couvert d'une “camaraderie” qui n'a pas lieu d'être entre un père et son fils, et qui d'ailleurs sonnait très faux. Mais, bien entendu, tout cela n'a plus la moindre importance. Il reste que nous avions solidement bu, beaucoup parlé et de manière plutôt joyeuse.

– Catherine nous (Yanka et moi…) a abandonnés pour toute la journée : elle fait le tour des églises de la région avec d'autres personnes gravitant dans l'entourage du père Éric. Je suis donc de facto tout seul puisque notre réfugié matrimonial poursuit vaillamment sa nuit. (Mais, si j'en juge par son journal, cette inversion jour/nuit est chez lui une habitude déjà fort ancienne.)

– On ne s'étonnera pas si, étant allé à Levallois hier et devant y retourner demain, j'ai décidé de ne strictement rien faire durant ce jeudi ascensionnel.


Vendredi 3 juin

Midi et demie. – Il y a environ une heure, coup de téléphone de Pierre Lachkareff, ancien grand reporter de FD. Il m'apprend la mort subite de Daniel Groutteau, ce maquettiste que nous appelions le Chinois fou, tellement son amour de l'Extrême-Orient avait fini par le faire en effet ressembler à un vieux mandarin, avec son invraisemblable barbe filasse qui lui descendait jusqu'à mi-poitrine. C'était un petit bonhomme replet, voire franchement gros à certaines époques, qui ne devait sans doute pas atteindre le mètre soixante. Il peignait, dessinait, sculptait, ne vivait que pour l'art et prenait l'obligation de devoir venir gagner sa vie à FD comme une injustice permanente, une sorte d'insulte personnelle. Je me souviens qu'une année (1987 ? 88 ? 89 ? L'une de ces trois, à coup sûr) nous avons passé une bonne partie du mois d'août ensemble, moi parce que c'était traditionnellement la période où j'avais, chaque soir, du mal à me trouver des commensaux et des compagnons de beuveries, lui parce qu'il avait tendance à fuir son appartement du quartier chinois du treizième arrondissement où son père semi-grabataire agonisait interminablement. Nous avons ainsi eu d'assez nombreuses soirées très agréables, car Daniel était un homme cultivé et de belle humeur. Nous dînions généralement dans le triangle d'or Ivry-Choisy-Tolbiac, qu'il connaissait mieux que sa propre cuisine, et nous nous quittions à des heures avancées, assez considérablement torchés mais fort satisfaits l'un de l'autre. Il a dû quitter FD voilà sept ou huit ans, alors qu'il devait en avoir lui-même une soixantaine. D'après Lachkareff, qui ignore encore les détails, il semble avoir succombé à cette bonne vieille crise cardiaque, qui surveille toujours d'un œil réprobateur les joyeux vivants dans notre genre. Il s'était plus ou moins retiré dans sa maison de Touraine, et c'est là que la mort a frappé, non à la porte mais directement au cœur.

Trois heures et demie. – Le hasard a fait que, reprenant tout à l'heure, en salle de conférence, les Croquis de mémoire de Jean Cau, j'en sois arrivé à son texte sur Venise, lequel a évidemment ramené Daniel Groutteau sur le devant de la mienne, de mémoire, qu'il n'avait d'ailleurs guère quitté depuis l'annonce de ce matin. Daniel connaissait presque aussi bien Venise que Pékin ou les steppes de Mongolie extérieure (capitale Oulan-Bator, je ne m'en lasserai jamais). Il y avait même un ami libraire, ce qui n'est pas donné à tout le monde – librairie française, ou plutôt franco-vénitienne. Nous lui rendîmes visite, à cet expatrié marié à une Vénitienne de souche, lors du premier séjour que nous fîmes à Venise, en 1997 si ma mémoire – toujours elle – est bonne. (Premier séjour commun car, pour ma part, j'y étais allé une première fois à l'automne 1985, avec Philippe Bernalin et Jean-Michel Comte – c'est même vers la fin de ces vacances romano-florentino-vénitiennes que Philippe fut rattrapé par le cancer qui allait le tuer environ deux mois plus tard et que nous quittâmes Venise un jour plus tôt que prévu, nous l'âme très grise et lui le corps ravagé par la douleur qui n'allait pratiquement plus cesser jusqu'au terme.)

En 1997, j'avais fait les choses en grand. M'avisant que, mariés – civilement… – en 1994, nous n'avions jamais pris la peine de partir en voyage de noces, et sous le prétexte que je gagnais, à cette époque, plus que confortablement notre vie, j'avais réservé quatre nuits au Gritti, avec voyage aller par l'Orient-Express, pour en faire la surprise à Catherine – surprise que je fus incapable de garder jusqu'au bout, tant était grande mon excitation et mon impatience de sa joie. Exactement comme lorsque, à l'école primaire, on nous faisait confectionner un petit cadeau pour la Fête des mères : pas une fois, je crois, je n'ai pu tenir ma langue jusqu'au dimanche fatidique. Durant une semaine ou deux, le temps de la confection de l'objet, je ne parlais que de cela une fois rentré à la maison. Je crois bien que le danger qu'il y avait à frôler les précipices et le sentiment de toute-puissance sur moi-même que cela me procurait faisaient que, rapidement, je n'étais plus capable d'avoir d'autre sujet de préoccupation et donc de conversation, à la table du soir. Immanquablement, alors que le drapeau d'arrivée était en vue, je chutais d'un mot, impossible à ravaler. Ma mère faisait celle qui n'avait pas entendu, enchaînant un peu trop précipitamment sur autre chose, mais enfin elle savait et je savais qu'elle savait.

Donc, lors de cette lune de miel, s'il faut appeler les choses par leur nom consacré, dûment mandaté par le Chinois fou, nous étions allés rendre une courte visite de courtoisie à son ami libraire en son échoppe, laquelle était située tout près de la place où trône la statue équestre du Colleone. J'y avais acheté un livre, comme je le fais systématiquement lorsque je tombe sur une librairie française à l'étranger (ainsi avais-je déjà fait, en mars 1985, dans celle de Porto, avec son magnifique escalier à double révolution ; et encore plus tôt, en 1981, avec Bernalin, dans celle de Florence), et bien entendu je suis incapable de me rappeler ce dont il pouvait bien s'agir – probablement un livre de poche qui se trouvait déjà à la maison et qui n'a été racheté ce jour-là que pour mémoire : on voit aujourd'hui que j'ai bien fait.


Samedi 4 juin

Trois heures et demie. – Depuis ce matin, de l'autre côté de la rue, un tailleur de haie me cisaille les nerfs, en plus des arbustes qu'on a dû le payer pour leur infliger le même traitement. Au moment de la pause de midi j'ai naïvement cru qu'il en avait enfin fini, mais pas du tout : depuis une heure il est reparti avec une inquiétante vaillance.

– Terminé les Croquis de mémoire de Cau : excellents. Je vais enchaîner, je crois, avec Le Juge et son bourreau, de Dürrenmatt, ou bien avec le Jésus de Nazareth de Benoît XVI.

– Il fait depuis ce matin une chaleur lourde d'orage, qui ne fait que croître à mesure des heures. Le temps est censé tourner à la pluie à compter de demain : nous verrons bien. En attendant, j'en ai déjà assez d'être à ce bureau et ne vais pas tarder à rejoindre les animaux au salon – Catherine quant à elle vient de s'installer dans l'un des deux Lafuma, sur la terrasse.

– J'ai beau avoir pris la décision de n'en pas acheter, je conserve l'envie d'un livre électronique, tout en sachant que c'est parfaitement ridicule (l'envie, pas l'objet).

– Mon Dieu qu'elle était risible, hier soir, cette équipe dite “de France”, entraperçue quelques minutes à la télévision ! Cette fois, à part un ou peut-être deux, il n'y entre vraiment plus que des Africains et des Arabes. Et en plus , ils perdent, ces cons-là ! Du reste, gagneraient-ils qu'ils ne parviendraient pas davantage à devenir, à se constituer en une équipe de France. J'aimerais voir la tronche ébahie de mes modernœuds si, demain, lors d'un championnat africain quelconque, un des pays participants s'autorisait la fantaisie d'aligner une équipe comptant neuf blancs sur onze joueurs. Celui-ci de la Rochelle, cet autre de Düsseldorf, un troisième de La Corogne, etc. Que feraient-ils ? Tout le monde le sait : ils hurleraient au colonialisme, en l'affublant d'un “néo” censé tout expliquer. Mais, évidemment, le plus drôle, le plus jouissif, le plus long en bouche, ce serait une équipe africaine composée quasi exclusivement de Chinois. Peut-être suffit-il d'attendre et de laisser les choses suivre leur pente naturelle.

Car j'ai bien peur que, pour les Africains, cette pente ne les conduise toujours vers une forme de sujétion coloniale. Les Européens, d'abord, qui les ont – assez violemment, il faut bien le dire – tirés de la longue nuit antéhistorique dans laquelle il somnolaient. Ce faisant, cela a déjà permis aux différentes tribus de s'émanciper de l'esclavage que les Arabes (et momentanément les Européens après la conquête de l'Amérique) faisaient peser sur eux depuis près d'un millénaire – esclavage dont ils étaient eux-mêmes les complices actifs.

Lorsque les Occidentaux leur ont très obligeamment (car toutes les guerres coloniales pouvaient facilement être gagnées par les militaires blancs : c'était une simple question de volonté politique et de moyens) rendu les clés des pays qu'ils avaient fait littéralement surgir des friches éternelles, les malheureux Africains ont aussitôt tourné le dos à la chance qui était la leur et se sont précipités comme un seul homme dans les bras de satrapes corrompus et sanguinaires qui, à eux tous, ont saigné le continent à blanc. Et voilà qu'aujourd'hui, ils se laissent recoloniser, par les Chinois cette fois, qui, je le crains, n'auront pas pour les indigènes qu'ils pressureront les indulgences et les délicatesses qui furent les nôtres.

Il me semble que si l'on veut comprendre quelque chose à l'Afrique, aux capacités de l'homme africain à évoluer dans le monde moderne, à en tirer parti, et même pourquoi pas à le dominer, il faut sans cesse garder à l'esprit l'histoire récente de l'Afrique du Sud, pays prospère et sûr lorsque les noirs étaient plus ou moins assujettis à leurs compatriotes blancs, et qui, dès qu'ils en ont eu la pleine possession, a immédiatement commencé à sombrer dans le chaos économique et la violence tribale. À mesure que les anciens Afrikaaners la quittent, l'Afrique du Sud sombre.


Dimanche 5 juin

Cinq heures. – Eh bien, cette fois ça y est : l'orage qui a éclaté hier soir, vers sept heures, a bel et bien mis un terme à ce temps absurde qui régnait depuis un mois, si ce n'est plus. Depuis ce matin il pleut par intermittences, une pluie lourde, serrée, grasse et placide comme on est d'ordinaire habitué à en voir par ici. Le soulagement des plantes et des petits animaux en devient presque palpable.

Le Juge et son bourreau, de Dürrenmatt : court récit construit comme un roman policier ordinaire, s'offrant le luxe d'une apparence de banalité, voire de maladresse, dans la conduite de l'action, mais qui se révèle au bout du compte implacable et presque fantastique, aucun personnage n'étant vraiment ce pour quoi il tente de se faire passer. Et le vieux commissaire condamné par son cancer de l'estomac se révélant soudain comme une sorte d'entité surhumaine, un dieu païen, une créature lovecraftienne, avant de revenir à son humanité première. Je pense que c'est un livre qui devra (devrait ?) être relu, tant son apparente innocuité, durant au moins sa première moitié, peut conduire à le traiter à la légère – ce que je crains d'avoir fait précisément.

Pour suivre, n'ayant pas trop envie de commencer maintenant le Jésus de Nazareth de Joseph Ratzinger, je me suis plongé dans Rémy de Gourmont. Avec beaucoup d'intérêt et même de plaisir. Avantage de ces textes courts et indépendants les uns des autres : on peut abandonner le volume quand on veut, pour lire autre chose, puis le reprendre. Danger : qu'il passe ensuite des mois et des années dans la salle d'attente. sans plus jamais être rouvert, simplement parce qu'on a oublié plus ou moins qu'il se trouvait là : sort qui semble être celui des nouvelles de Marcel Aymé chez moi.

Abandonné, Gourmont va probablement l'être assez vite, dans la mesure où j'ai tout à l'heure commandé chez Amazon le livre de l'évêque de Bruxelles-Maline, Mgr Léonard, intitulé Des raisons de croire (livre d'apologétique si j'ai bien compris, se penchant notamment sur le problème toujours épineux du Péché originel). D'un même clic j'ai aussi acheté l'un des deux volumes de la collection Bouquins consacrés à Graham Greene, celui qui propose La Puissance et la Gloire, ainsi que cinq autres romans aux titres fort connus.

(Longue interruption : Venant de sa chambre (qui est dans mon dos), Ygor Yanka est passé à deux mètres de moi pour aller fumer une cigarette dehors. Comme je lui ai bêtement demandé s'il avait déjà lu Graham Greene, nous nous sommes offert un impromptu littéraire à deux voix d'au moins une demi-heure. Lequel s'est conclu sur les différentes prononciations possibles du nom de Kléber Haedens, selon que l'on serait belge ou français.)

Je voulais noter, juste avant, que je n'avais encore, malgré mon âge canonique, jamais lu une seule ligne de ce Greene-là. Et je ne sais pas pourquoi, n'ayant aucune prévention contre lui.

– Jean-Louis Bory, à propos d'Aragon et de ses dévergondages homosexuels, sitôt Triolet descendue au caveau : Il a retrouvé les pédales.

– Encore rien fait aujourd'hui. Demain, je dois absolument me mettre au synopsis des Métamorphoses du vampire.


Lundi 6 juin

Cinq heures moins le quart. – Cette fois le synopsis des Métamorphoses du vampire est bel et bien sur rails. Ce n'est pas qu'il se soit tant que ça éloigné de sa gare de départ, mais enfin la chaudière ronfle et il avance.

– Sous prétexte que Catherine et moi sommes allés, ce matin, nous faire pomper du sang à fins d'analyses, j'ai décidé que nous pouvions nous autoriser un petit verre d'alcool ce soir – whisky pour elle et bière pour moi. Nous le pouvons d'autant mieux que cela fait exactement quinze jours qu'une telle chose n'est pas arrivée.

– Demain matin, Catherine emmène Ygor Yanka au Pôle emploi d'Évreux. Ils doivent y être à neuf heures, ce qui implique de partir d'ici vers huit heures et quart. Pour quelqu'un qui se couche rarement avant cinq ou six heures du matin, ça ne va pas être facile… Mais Catherine l'a déjà prévenu qu'à sept heures et demie, s'il n'était pas levé, elle le pitchait en bas du lit – et je la sais parfaitement capable de le faire en effet.

– Golo a subi en fin de matinée sa première visite chez notre vétérinaire. Il est entré garçon dans le cabinet et en est ressorti fille ! Personnellement, mâle ou femelle je m'en fiche. C'est juste que l'opération de stérilisation va nous coûter plus cher, mais à part ça…

– Reçu au courrier les deux petits livres de Jean Cau commandés il y a quatre ou cinq jours : Le Candidat, où il raconte sa candidature à l'Académie française, et Proust, le chat et moi, que j'ai acheté pour son titre.


Mardi 7 juin

Quatre heures et demie. – Après-midi pour ainsi dire solitaire puisque Catherine est partie faire des courses à Vernon (essentiellement chercher à la boucherie des os pour les trois chiens…), tandis que le señor Yanka, épuisé par sa visite matinale au Pôle emploi d'Évreux, s'est empressé de se recoucher sitôt le déjeuner terminé.

– Hier, coup de téléphone de Joseph Vebret, pour nous inviter à dîner, Yanka et nous. Avec bien du mal nous avons arrêté la date de mardi prochain. Demain, c'est avec l'amiral Woland que Yanka et moi devons déjeuner (non, c'est après-demain) : on dirait que nous sommes entrés dans un nouveau cycle social. Vebret vit désormais à Chatou, où j'ai passé nombre de fort agréables soirées, il y a entre 25 et 30 ans, chez les Allignol – dont je n'ai pas eu de nouvelles depuis fort longtemps. Daniel faisait partie de mes deux amis – l'autre étant Jef Loiseau – qui essayaient des voitures pour différents journaux ou radios. Grâce à eux, j'ai conduit pratiquement tout ce qui a pu sortir des chaînes de montage dans les années quatre-vingt. Depuis, j'ai tout à fait cessé de m'intéresser aux bagnoles.

– Hier soir, nous nous sommes donc autorisé un apéritif, le premier depuis deux semaines, sous prétexte que nous avions fait des analyses de sang le matin et que l'on ne risquait plus de faire remonter les différents signaux dans le rouge. Comme je n'ai bu que de la bière, j'étais frais et rose ce matin. Ce qui ne m'a pas empêché de ne strictement rien faire aujourd'hui. À part la vaisselle pendant que les deux autres étaient à Évreux.

– Le docteur Ali Baqna, religieux saoudien de son état, s'indigne (par quoi il est dans l'air du temps) de ce que le nouvel aéroport de Jeddah ressemble à un pénis sortant du vagin d'une femme. Évidemment, il ne ressemble à rien de tel : ces musulmans sont vraiment de dangereux tarés (oui, oui, je sais : pas tous. Disons que ceux qui s'expriment le plus volontiers sont de dangereux tarés). En revanche il n'explique pas la différence qu'il y a, à ses yeux, sur le plan du design aéroportuaire, entre un pénis entrant et un pénis sortant. Mais j'ai peut-être lu trop vite.

– À cause d'un article lu sur Atlantico, me voilà repris par mes envies d'ebook. C'est énervant, à force.


Mercredi 8 juin

Six heures. – L'enterrement – ou plus exactement la crémation, hélas – de Daniel Groutteau aura lieu demain, près de Tours, dans le village où est situé le crematorium de la région. J'avais d'abord dit que je n'irais pas, mais je me suis ravisé. Ça me tournait dans la tête, je ne parvenais pas à me défaire de l'impression que, coupant à cela, je faisais quelque chose dont je n'aurais pas lieu d'être fier. Qu'il me fallait m'imposer ce déplacement (je vais tout de même faire six cents kilomètres pour aller passer une demi-heure dans ce lieu sinistre, imbécile et totalement inhumain qu'on appelle donc un crematorium – nom d'une laideur et d'une impersonnalité très méritées). Les autres (ceux de FD) vont s'y rendre en groupe et au départ de Paris, perspective qui m'avait d'abord conforté dans ma résolution de ne pas faire le déplacement. Mais, quand je me suis avisé que je pouvais parfaitement y aller seul dans ma voiture, en partant de chez moi pour y revenir directement, et de ce fait sans me rendre du tout à Levallois, alors la perspective même de la cérémonie m'est apparue comme une escapade. Catherine a failli se joindre à moi, ce qui aurait transformé tout cela en une véritable journée de vacances. Hélas, elle est retenue à Pacy par ses responsabilités presbytéro-ancillaires.

– Parmi les “facteurs aggravants” lorsque l'on a des problèmes cardiaques, je me réjouissais jusqu'à présent d'échapper à un (mais un seul…) : le diabète. Eh bien c'est terminé, me voilà diabétique comme tout un chacun. Et je ne sais pas si le fait de ne plus fumer depuis à peine six mois suffit à compenser. Enfin, ça durera ce que ça durera.


Vendredi 10 juin

Midi. – Journée d'hier éprouvante à plus d'un titre. D'abord parce que j'ai conduit durant six cents kilomètres (est-ce qu'on conduit durant des kilomètres ? J'ai un doute…) pour me rendre à Tours et en revenir presque de suite, le tout sans emprunter le moindre tronçon d'autoroute, et ensuite parce qu'il m'a fallu supporter la crémation de Daniel, laquelle crémation m'a fait l'effet d'une pitoyable singerie. Singerie au sens propre et bête : l'espèce de cérémonie à laquelle j'ai assisté n'était qu'une caricature vide de la messe d'enterrement telle que des générations de chrétiens l'ont connue avant nous – et certains encore maintenant. Je veux bien que l'on rejette le christianisme et les pratiques culturelles qui vont avec, mais alors qu'on le fasse vraiment et à fond. Que l'on mette fin à ce qui s'est déroulé hier sous mes yeux, et qui était aussi grotesque qu'indigne. Si l'on tient tant que cela à vider la mort de tout contenu sacré, qu'on évite au moins d'en exhiber les oripeaux malhabilement rapiécés : cette “cérémonie” était à la messe (j'ai failli écrire : messe d'antan…) ce qu'un épouvantail à moineaux est à l'homme qui cultive le champ. Au nom de quelle autorité morale, de quel magistère, ce fonctionnaire crématorien nous a-t-il fait plusieurs fois lever puis rasseoir ? Nous nous levions devant qui, d'ailleurs ? Et cette minute de “recueillement” (une minute, pas davantage : pas que ça à foutre non plus…) qu'il nous a si généreusement accordée, elle correspondait à quoi ? Dans quelle oreille résonnait notre silence ? En fait, il ne restait que les mots : cérémonie, recueillement, etc. : de la paille sèche bourrée à la hâte dans de vieux habits que plus personne ne veut endosser. Le comble du pitoyable a été atteint par notre officiant, qui a eu cette phrase : « Si certaines personnes désirent voir entrer le cercueil dans le four, je les prie de bien vouloir me suivre dans la pièce à côté… »

Et puis, il y avait, fixé à la paroi inclinée qui nous faisait face, juste au-dessus de la bière, l'incongruité violente de ce téléviseur dernier cri (eh oui : dernier cri…). Dont j'ai compris qu'il devait servir à certaines familles, plus avancées dans la modernodosité que d'autres, pour projeter des vidéos du trépassé. Il est donc désormais admis que l'immortalité de l'âme se mesure en pixels et que nous entrerons tous dans la mort par le truchement d'un écran plat.

Le résultat fut que, durant cette journée presque exclusivement solitaire, la demi-heure que j'ai passée dans cet endroit insupportablement neuf aura été le seul moment où je n'ai pas pensé au mort à qui nous étions censés rendre hommage. Heureusement que ma voiture était là pour faire office de chapelle et de lieu de mémoire.

– La gauche modernœuse : un tiers-mondiste, deux tiers mondains.


Samedi 11 juin

Quatre heures. – Flemme intense. Rien fait depuis ce matin, sinon essayé sans succès de faire passer sur Blogger le texte que Robert Marchenoir m'a envoyé sous forme de document Word : rien à faire pour le moment. Mais comme je n'ai prévu la publication de ce billet (une sorte de réponse à Malika Sorel sur la laïcité) que mardi matin, lorsque tout le monde sera rentré de son long week-end, j'ai le temps d'y revenir.

– Ygor Yanka file un mauvais coton, ou en tout cas un coton bizarre : loin de reprendre un rythme de vie normal, il a au contraire aggravé son décalage initial. Il en est à se lever vers huit heures du soir et à se coucher vers neuf ou dix du matin. Comme il reste volontiers silencieux et immobile (lorsqu'il est éveillé), j'ai parfois l'impression d'avoir adopté un hibou. Il se demande ce qui peut faire qu'il soit fatigué à ce point. Mais je crois qu'il n'est pas fatigué : il fuit.

– Demain, synopsis. Et dès le matin s'il vous plaît !


Dimanche 12 juin

Cinq heures et demie. – Eh bien je n'ai pas travaillé avant trois heures cet après-midi, il n'empêche que mon synopsis est bel et bien bouclé ! Demain, journée supplémentaire à FD et, mardi, il me restera toute la journée pour les dernières recherches internet, et aussi pour relire le BM que j'avais fait dans les milieux gothiques, car je compte bien le repomper outrageusement, pour ce qui concerne les ambiances et les décors.

– Fini aussi l'étonnant Fatigue du sens de Richard Millet : par moment, j'avais l'impression, le lisant, de m'entendre penser – toute prétention mise à part. J'ai lu ensuite la première partie de La Puissance et la Gloire, de Graham Greene, sans grand enthousiasme pour le moment je dois dire.

– Yanka est descendu à pied (évidemment à pied…) à Pacy sans même que nous le voyions partir, et il a pique-niqué dans un champ, nous a-t-il dit à son retour, peu après trois heures. Là-dessus il a filé se recoucher. Ce n'est donc pas demain qu'il va reprendre un rythme de vie à peu près normal. Je pense – ou plutôt : Catherine pense, et je suis d'accord avec elle – qu'il va falloir que nous ayons rapidement une conversation sérieuse et claire quant à son avenir immédiat. Je crois qu'il ne se rend pas bien compte que son rêve de vivre en France et d'y vivre de sa plume n'a que fort peu de chances de se réaliser, qu'en tout cas il y faudrait du temps, même s'il se montrait plus volontaire qu'il ne l'est, et qu'il n'est pas dans nos intentions de le garder ici durant des mois et des mois. Il va donc bien falloir qu'il admette que la solution la plus raisonnable, pour lui, est de retourner en Belgique, de s'y inscrire à l'équivalent du RSA chez nous et, ensuite, sa subsistance assurée, tenter de s'ouvrir des pistes de travail en France s'il le souhaite toujours.


Lundi 13 juin

Midi et demie. – Et encore un lundi qui se profile comme un lundi, bien qu'il soit de Pentecôte. En arrivant à Levallois, j'ai pu juger de l'élan de solidarité d'après le nombre de voitures occupant les trois étages du parking souterrain : ce n'est pas avec ça que les vieux vont faire bombance dans les mouroirs. Arrivé à dix heures et demie, donc, pour participer au bouclage du numéro en cours. Et, depuis deux heures, aucun d'entre nous quatre n'a eu le moindre travail à faire. Du reste, les bureaux sont quasiment déserts, si bien qu'on se demande qui va pouvoir écrire les articles que nous serons ensuite censés rewriter. Je sens que tout cela va commencer à s'animer un peu entre cinq et six heures…

Je suis un peu con, aussi : j'aurais dû venir avec le BM “gothique” que j'ai prévu de relire afin de m'en resservir à partir de la semaine prochaine : à tant faire que d'attendre, n'est-ce pas ? Mais je pense soudain que je pourrais toujours me livrer à une première lecture du journal de mai.

– Lorsque Yanka apparaît, le matin, pour prendre un café en notre compagnie, on ne peut jamais dire avec certitude s'il s'agit du premier de la journée qui est devant nous ou du dernier de celle qui est derrière lui, et que nous appelons, nous, la nuit. D'autre part, il semble tellement tête en l'air, tellement déconnecté des basses contingences quotidiennes, que je commence à m'inquiéter de devoir lui laisser Swann, Elstir et Golo durant les quatre jours que nous serons à Sedan. J'essaie de me rassurer en me disant que même s'ils mangent un peu n'importe quand au lieu des heures fixes auxquelles ils sont habitués, il n'y aura pas mort de chiens (ni de chat), vu le peu de temps que durera notre absence. Je vais toutefois lui suggérer fortement de laisser la porte de la maison ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, afin que les deux pépères puissent au moins aller faire leurs besoins dans le jardin plutôt qu'au milieu du salon. Je me fais l'effet d'un père qui, pour la première fois, confie la maison à son fils adolescent…

– La règle tacite, dans un bureau collectif, est toujours la même depuis que je suis en âge, et dans l'obligation, de fréquenter des bureaux collectifs : celui qui a froid l'emporte sur celui qui a chaud – ce que je trouve idiot et injuste dans la mesure où celui qui est frileux a toujours la ressource de s'emmitoufler davantage. Là, par exemple, alors que je méditais de “pousser” un peu la climatisation, Nathalie m'annonce que, gelée, elle vient de couper carrément le système de ventilation. Que puis-je dire ? Rien. Ma seule ressource, alors que je transpire et ai le sang à la tête, comme on disait jadis, est d'attendre qu'Eugénie et elle consentent à partir déjeuner pour pouvoir retransformer ce bureau en chambre plus ou moins froide.


Mardi 14 juin

Quatre heures. – Catherine et le prince Ygor viennent de partir faire quelques courses au Super U de Pacy. But : acheter des provisions de bouche pour que notre réfugié matrimonial ne meure pas de faim durant les quatre jours où nous serons à Sedan – risque très faible dans la mesure où la maison est pleine de diverses denrées de première nécessité et qu'en outre il est parfaitement capable de descendre à Pacy à pied et d'en revenir.

– Dans un peu moins de trois heures, nous monterons tous les trois dans la voiture pour nous rendre à Chatou, chez les Vebret qui nous ont invités à dîner. Comme d'habitude, alors que je suis très content de les voir et que je vais probablement être ravi de cette soirée qui s'annonce, à l'heure présente l'idée de devoir ressortir d'ici m'accable.

– Déprime passagère, hier, lorsque, croisant Alain S. (ancien reporter de FD passé à Ici Paris il y a déjà quelques années), il m'a appris qu'il était en pleine négociation avec la direction en vue de sa très prochaine retraite. Il a 59 ans et, une fois de plus, je me suis maudit de n'en avoir que 55.

– J'ai l'impression que mes rapports avec la remplaçante de Marie-Thérèse, chez Vauvenargues, vont être moins cordiaux qu'avec cette dernière – mais je peux encore me tromper, et même je l'espère. En réalité je m'en fous car si elle s'emploie à me contrarier, je claquerai la porte sans difficulté et utiliserai mon nouveau temps libre à apprendre à vivre en dépensant moins, voilà tout.

– Ai-je dit que la tourterelle (on suppose qu'il s'agit de la même, vu son peu de frayeur lorsque nous passons juste à côté d'elle) est revenue nicher au-dessus du volet de la Case ?

– J'ai appris il y a peu que, cet été, Renaud Camus et M. Pierre partaient pour l'Italie durant deux mois. Ce qui signifie que le prochain volume “étranger” des Demeures de l'esprit sera consacré aux écrivains et donc aux maisons péninsulaires, ce dont je me réjouis beaucoup : la Scandinavie c'est bien, mais il ne faut pas en abuser. Du reste, je n'ai même pas acheté ces deux volumes-là. Actuellement il semble préparer le volume “France” consacré aux écrivains ayant vécu dans le Sud-Est.

– Bernanos fait à Catherine le même effet que la moelle de bœuf il y a vingt ans, lorsque je l'ai connue : après avoir énergiquement refusé d'y goûter, elle ne se nourrirait bientôt plus que de cela. Heureusement, Bernanos c'est que du bon gras…

– L'idée de ne boire que de l'eau chez les Vebret, ce soir, m'emmerde au plus haut point. Mais comme je l'ai décidé ainsi, et très bêtement annoncé, plus moyen de reculer. Et puis, bon, je suis censé aller travailler demain, pas tout à fait aux aurores mais tout de même.

– J'ai relu et annoté tout à l'heure mon BM intitulé La Vierge gothique, publié en 2003, et dont je vais me resservir, non pour l'intrigue mais pour les lieux et ambiances “gothiques”, dans mon histoire de vampires. Si je le commence réellement mercredi prochain, je devrais pouvoir n'y travailler que le matin, puisque je disposerai alors de 26 jours pour le mener à terme. Si j'enlève les trois ou quatre jours où, sous des prétextes divers mais également futiles, je ne vais pas travailler, cela veut dire dix feuillets par matinée les jours restants, soit moins de trois heures d'écriture : on devrait y arriver. Et, l'après-midi, je vais me pencher sérieusement sur le synopsis “Tour de France” que Yanka est censé écrire pour la mi-septembre.


Mercredi 15 juin

Onze heures (du matin). – Coup de téléphone de mon père, ce matin, pour nous annoncer que ma mère est à l'hôpital depuis hier soir, admise en urgence parce qu'elle était, apparemment, au bord de l'hémorragie interne. Elle y restera probablement jusqu'à lundi et devra ensuite être opérée, quelque part dans les intestins, je n'ai pas bien compris ce qu'elle avait au juste. Naturellement, elle a commencé à se plaindre de douleurs dès dimanche, mais, toujours aussi tête de mule, elle a refusé de prendre ça au sérieux avant hier soir, quand son état s'est subitement aggravé. Résultat, elle semble être passée pas loin de la culbute finale. Ça plus le cancer pulmonaire paternel, je trouve que cette famille commence à prendre des allures funèbres.

Le résultat immédiat est que notre petit périple ardennais est remis à des temps moins troublés. Cela m'ennuie car j'étais content de voir mes parents et me réjouissais de ce déjeuner que nous devions prendre chez Nefisa. Mais, en même temps, je dois bien avouer ici que la perspective de ne pas bouger me met plutôt de bonne humeur. Je vais en outre disposer de quatre jours de plus pour le BM qui se profile à l'horizon, ce qui n'est pas un mal. Enfin, je vais cesser de m'angoisser comme un imbécile en me répétant que Yanka va oublier de nourrir les chiens, les laisser sortir dans la rue, etc.

– Soirée Vebret, hier, donc, dans leur nouvel appartement de Chatou. Très agréable de mon point de vue, sans doute moins de celui de Catherine. Je suis arrivé résolu à ne pas boire du tout, mais comme un apéritif s'amorçait, j'ai finalement décidé de prendre un pastis puis de repasser à l'eau dès le début du repas. J'ai finalement pris deux pastis, et me suis rendu compte que cela suffisait à m'interdire toute velléité de conduite pour le restant de la soirée. J'en ai fait part à Catherine, ce qui l'a mise de mauvaise humeur (seulement contre moi, heureusement) notamment parce qu'elle déteste conduire de nuit. Mais aussi parce que, ne devant plus conduire, je ne me suis plus senti tenu de refuser le vin blanc qu'on me proposait si aimablement, alors qu'elle-même a dû s'en passer.

À la fin de l'apéritif, comme les Vebret et Yanka se dirigeaient vers le petit balcon pour y fumer une cigarette (Joseph a replongé), Catherine a décrété qu'elle allait en fumer une aussi. Et, bien entendu, moi qui ne pensais à rien moins jusque là, j'ai suivi le mouvement. Au total de cette soirée, j'ai donc fumé trois gitanes légères, ce qui est stupide, mais heureusement sans conséquence : je me suis réveillé ce matin sans envie de remettre ça, et ce manque d'envie perdure pour l'instant. D'autre part, dans la foulée de cette entorse, Catherine m'a avoué qu'elle avait refumé lorsqu'elle se trouvait chez Élodie, à Saint-Malo, le mois dernier.

– Naturellement, sachant que notre expédition sedanaise était annulée, je n'ai tout de même pas poussé l'héroïsme salarial jusqu'à prévenir que je pourrais finalement venir travailler ce vendredi. En revanche j'ai averti Gabriel que s'il avait un article à me faire écrire – contre grasse pige –, j'étais tout disponible : pendant les maladies parentales, le petit commerce continue.


Jeudi 16 juin

Deux heures et demie. – Je rentre à l'instant de notre déjeuner (le prince Ygor et moi) avec l'amiral Woland, garçon d'à peine trente ans ressemblant assez curieusement à Beigbeder en mieux, avec aussi quelque chose de Depardieu. Déjeuner durant lequel je fus sobre comme un moine bouddhiste tandis que les deux autres vidaient une bouteille de côtes de Brouilly après avoir bu un apéritif. Du coup, je pense que je vais récompenser cet héroïsme ce soir en m'offrant une ou deux bières. Et puis, après tout, je suis en vacances à compter de tout à l'heure. Alors que nous en étions au café, Yanka a essayé de nous convaincre tous les deux de retenter notre chance auprès de l'Ulysse de Joyce. Je crois qu'il n'a pas convaincu l'amiral, mais moi oui, en grande partie. En revanche, l'amiral et moi sommes tombés pleinement d'accord, lorsqu'il fut question des mousquetaires de Dumas, pour dauber sur ce grand niais de Raoul de Bragelonne et sur son oie blanche boîteuse. L'amiral, qui nous dit détester les voyages, et particulièrement lorsqu'ils sont lointains, s'apprête à aller passer trois semaines à Kuala Lumpur, alors qu'il rentre tout juste d'Australie, où il a également passé trois semaines : c'est un amiral au long cours. Déplacements professionnels, bien entendu.

– D'après ce que mon père a dit ce matin à Catherine au téléphone, ma mère est vraiment passée très près de mourir, et elle le serait fort probablement si ses douleurs providentielles dans le ventre ne l'avait conduite à l'hôpital, où la prise de sang a permis de se rendre compte qu'elle avait dans le sien une quantité mortelle de son médicament anticoagulant. Elle a donc été littéralement sauvée par la maladie, si tant est qu'elle soit réellement hors de danger. Or, rien n'est moins certain, mon père n'étant pas du genre à questionner les médecins au-delà de ce qu'ils veulent bien dire spontanément. Petit fait significatif : alors que, dans un premier temps, il avait été question qu'elle sorte dès lundi, elle resterait finalement à l'hôpital jusqu'à la fin de la semaine prochaine. Or, mon père, lui, doit subir une nouvelle chimio – jeudi si j'ai bien compris. Du coup, nous allons peut-être nous rendre tout de même à Sedan, mais plus pour faire garde-malade qu'autre chose.

– Hier, Nancy m'a annoncé par mail qu'elle venait de virer sur mon compte bancaire la totalité du BM n° 324, soit sept mille euros : heureuse surprise car je n'y croyais pas du tout. Et comme Catherine a reçu ce matin les contrats du 328 (celui que je commence demain ou après-demain, Les Métamorphoses du vampire), nous allons pouvoir tout de suite réamorcer la pompe à phynances en les renvoyant signés.


Vendredi 17 juin

Sept heures et quart. – Passé l'essentiel de la journée à lire Parti pris, le journal 2010 de Renaud Camus. J'ai été content (pour ce que j'en ai lu jusqu'à maintenant : environ deux cents pages) d'y retrouver une sorte de verve qui, me semble-t-il, avait tendance à se perdre un peu dans les deux volumes précédents. Il n'est pas impossible que cette étrange lubie de se mettre à la peinture y soit pour quelque chose : la peinture rendant des couleurs et du brillant au diariste. Il revient, aux pages 135 et 136 sur “l'affaire Asensio”. À cette occasion, il a une phrase assez drôle à mon sujet, qu'il assortit de deux inexactitudes. Je voulais les noter et les rectifier ici, mais j'ai bêtement oublié le volume à la maison : ce sera pour demain. Quoi qu'il en soit, il a parfaitement raison de pointer – pour s'en moquer – le brutal revirement d'Asensio au sujet de ses écrits, de son talent d'écrivain, encensé d'abord, mis plus bas que terre ensuite, et pratiquement du jour au lendemain. Je me doutais un peu que c'est ce qui allait se passer et je me souviens fort bien, lors de notre premier et à ce jour unique dîner avoir demandé à Juan, très remonté contre Camus en effet, de ne pas laisser sa mauvais humeur contre l'homme venir polluer son jugement sur l'écrivain et ses livres. Il m'avait assuré qu'il était parfaitement à l'abri de ce genre de chose…

– Demain matin, début de l'écriture des Métamorphoses du vampire. Catherine a reçu hier (puisque c'est elle qui est censée l'écrire) les contrats s'y rapportant. La “nouvelle Marie-Thérèse”, Anne M., a rajouté des clauses, une notamment disant que l'auteur doit veiller à ne pas tomber sous le coup des lois, etc. Ce qui confirme ce qu'elle me disait il y a une semaine ou deux par mail, à savoir que nous ne devions plus, en gros, décrire de scènes susceptibles de choquer tel ou tel, ce qui revient en clair à vider la BM de sa substance, puisque précisément le principe de la série est de montrer des salopards en action et la manière dont ils vont in fine être punis. On peut qualifier ce principe d'éminemment hypocrite, faux-derche, etc. – et ce l'est –, mais enfin, c'est bel et bien le fondement de la série et le saper reviendrait à la faire immanquablement s'écrouler. Je suis bien décidé à écrire le prochain, celui qui s'annonce, exactement comme les précédents : on verra bien ce qui se passera. Après tout, cette dame qui se pare du titre de directrice éditoriale n'est tout de même pas la patronne des éditions Vauvenargues, que je sache. En cas de friction trop pénibles, j'aurai toujours la ressource d'en appeler à GdV.

– Il commence à courir un bruit insistant, y compris dans certains milieux “autorisés”, selon lequel Arnaud Lagardère chercherait à vendre les quatre magazines “people” qui rapportent de l'argent au secteur presse du groupe, à savoir Match, Public, Ici-Paris et FD. La nouvelle a bien entendu été démentie, mais on sait ce que valent les démentis de ce type. Si cela devait se confirmer, on pourrait s'attendre, juste avant la vente, à une espèce de plan social, dans la mesure où il est toujours plus facile de vendre des journaux dont la rédaction a déjà été épurée : cela diminue la “masse salariale” d'autant et cela évite au nouveau patron d'avoir à dégraisser lui-même. Si c'était le cas, il y aurait peut-être alors pour moi une belle occasion de tirer ma révérence. Car, bien entendu, dans ces cas-là, pour que les choses se fassent vite et sans heurt, le patron a tendance à se montrer un peu plus généreux que le minimum requis. Or, j'ai 55 ans. Comme il est peu probable que la vente devienne effective avant décembre, j'aurai donc 56 ans au moment où elle se ferait. Dans la mesure où les salariés de plus de 55 ans ont droit à plus longtemps de chômage lorsqu'ils sont licenciés – parce que tout le monde sait bien qu'ils ne retrouveront rien –, je pourrais presque faire la jonction avec ma retraite, qui deviendra effective le jour de mon 62e anniversaire.

Et voilà le paradoxe amusant : ce qui arrangerait le plus mes affaires, de ce point de vue, serait donc un retour de la gauche au pouvoir l'année prochaine, dans la mesure où ces guignols se sont solennellement engagés à remettre l'âge légal de départ à 60 ans, comme précédemment. Si c'était le cas, je n'aurais alors plus d'hésitation à avoir, me semble-t-il. Irai-je jusqu'à voter pour un Hollande ou une Aubry pour cette raison d'intérêt particulier ? Non, franchement, je ne crois pas. Pourtant, le scénario idéal serait bel et bien celui-ci :

– Possibilité d'un départ début 2012, avec substantielles indemnités ;
– En mai de la même année, retour de la gauche au pouvoir et, dans la foulée, de la retraite à 60 ans ;
– Continuation de la BM jusqu'en 2015 ;
– Retraite “carton plein” en 2016.

Évidemment, si Lagardère ne vend pas, tout s'écroule. Mais j'ai comme l'impression que les choses se présentent plutôt bien. Arnaud, mon gars, je compte sur toi.


Samedi 18 juin

Trois heures. – Après un rapide tour des blogs – accompli plus machinalement que par réelle envie, du reste –, je m'apprêtais à retourner poursuivre au salon ma lecture du journal de Camus, lorsque Catherine a débarqué dans la Case afin de s'y livrer à sa petite corvée personnelle : le repassage. Du coup, par une espèce de solidarité, je me sens tenu de rester ici avec elle, ce qui explique mon arrivée dans ce journal à une heure somme toute peu habituelle.

– Je parlais du journal de Camus (Parti pris, année 2010). il faut que je me résolve, comme je le signalais déjà lors du précédent volume, je crois, que je me résolve à sauter les mois de juillet et d'août, ou du moins à ne les lire qu'en diagonale – et encore une diagonale très pentue. En raison des voyages estivaux pour les Demeures de l'esprit (dont je ne me plains pas puisque c'est l'un d'eux qui nous a permis de jouer les châtelains à Plieux en 2009, ce séjour ayant été lui-même à l'origine de ce journal), il n'est plus question, durant cette période que de descriptions de maisons ou de châteaux ou d'églises dont nous ne pouvons même pas voir les photos, et surtout des sempiternelles jérémiades à propos des hôtels, des portes qui claquent, des voyageurs indélicats et bruyants, etc. Je n'ai rien contre le côté répétitif du journal, de la “forme journal”, mais enfin il me semble, là, que les limites du supportable sont allègrement franchies. Donc, je survole, je prends mon mal en patience en attendant le retour de septembre. Ce qui est amusant c'est qu'il se produit donc dans le journal de Camus exactement la même chose que dans ma vie réelle où, n'ayant jamais aimé les mois d'été (mais encore bien moins quand j'étais jeune et avais plus ou moins une vie sociale), j'attends toujours avec une certaine hâte le retour de l'automne – c'est-à-dire à une vie normale, l'été étant à mes yeux la saison où la bêtise, dans ce qu'elle a d'authentiquement contemporain, trouve le plus d'occasions de s'exprimer et de facilités pour le faire : la saison modernœuse par excellence.

– Je devais en principe commencer d'écrire ce matin le prochain BM. À ce “en principe”, on a déjà compris qu'il n'en fut rien. C'est que, profitant de ce que le fort vent soufflant depuis hier soir devait assécher rapidement l'herbe, de même que le soleil qui pointait par intermittence, je me suis décidé à sortir la tondeuse dès ce matin, craignant qu'il ne pleuve cet après-midi. Courage en trompe-l'œil, donc, car tondre la pelouse est évidemment bien moins long et emmerdant que de commencer un BM. Le vrai courage aurait d'ailleurs été de commencer le livre juste après la tonte et la douche consécutive – mais il faudrait voir à ne pas s'exagérer les vertus du courage.

– J'ai encore oublié le journal de Camus à la maison et ne puis donc pas, pas plus qu'hier, en noter ce que je voulais en extraire – pour le discuter – et qui me concerne.

– Il y a une minute, Catherine me faisait observer qu'alors que nous étions aux petits soins pour la première tourterelle qui est venue nicher au sommet du volet de la porte, nous n'accordons pratiquement plus aucune attention à celle qui y couve en ce moment – et qui est probablement la même, mais je me comprends.

Sept heures et demie. – Donc, à la page 135 de Parti pris, Renaud Camus revient sur “l'affaire Juan A.” Mais il commet ce faisant quelques inexactitudes, que je veux rectifier au moins ici, après avoir pensé en faire un billet sur le blog-mère – mais comme tout le monde s'en fout, et moi presque autant au fond, je me suis abstenu. Camus écrit [Là encore, je m'abstiens d'écrire en entier le nom de J. A., afin de ne pas le “rénerver” pour rien…] :

« M. A. me trouve toutes les qualités (littéraires, au moins) et juge que Rannoch Moor, en tout cas, est un livre somptueux. Puis voilà que Didier Goux, un habitué du forum des lecteurs (du temps que celui-ci vivait car, pour l'instant, il est mort), cherche querelle à ce critique et déclenche, ce faisant, une guerre à laquelle je ne prends pas part, malgré les appels des deux parties, mais qui ravage le dit forum pendant des semaines. »

Je n'ai à aucun moment “cherché querelle” à J. A., dont j'ignorais alors jusqu'à l'existence (je n'avais découvert la “blogosphère” que quelques mois auparavant). Simplement, il s'est trouvé qu'ayant acheté la revue consacrée aux écrivains “infréquentables” dont il était le maître d'œuvre (achetée en raison de l'article consacré à Camus par Valérie Scigala et où j'ai, par la même occasion, découvert Ygor Yanka qui y parlait, lui, de Léautaud), j'ai bien entendu lu sa longue introduction, laquelle m'a déplu pour diverses raisons, mais en particulier par son style, dont la fluidité n'est pas la vertu la plus saillante. Et, en toute innocence, j'ai écrit sur le blog-mère (qui était alors le seul) ce que j'en pensais. Ce sont ces trois ou quatre lignes qui ont déclenché l'invraisemblable guerre de tranchées, riche en tirs de shrapnels et en jets de gaz moutarde, dont parle Camus.

Il commet une deuxième erreur : lorsque ce combat de chiffonniers s'est transporté (du fait d'A.) sur le forum de la SLRC, c'est lui et lui seul qui en a appelé à l'arbitrage de Camus. Les autres (Valérie Scigala, Guillaume Cingal et moi, principalement) le connaissaient suffisamment par ses livres pour savoir qu'il n'en ferait évidemment rien et qu'il était donc inutile d'en appeler à lui. D'autant qu'il n'y avait, je crois, pas lieu de le faire, la “querelle” ne le concernant que de fort loin.

Renaud Camus expose ensuite les faits – résumés très rapidement – et conclut par la phrase que j'ai mise hier sur le blog-mère, parce que j'y ai vu un trait d'humour final qui m'a fait sourire (ce qui n'a pas été le cas de tous mes commentateurs, apparemment) :

« Il n'empêche que je vais devoir me coltiner l'A. nouvelle manière jusqu'à la fin de mes jours, je le sens bien – c'est un joli cadeau de Didier Goux, qui ferait mieux de se fabriquer des ennemis pour lui-même plutôt que de les lâcher sur moi une fois qu'il les a bien exaspérés. »

Que j'aie exaspéré J. A., cela ne fait aucun doute, en effet. Mais je ne l'ai nullement lâché sur Camus, j'étais même assez ennuyé que la querelle rebondît sur le forum au lieu de rester cantonnée à ma modeste gargote.

Le plus piquant de tout cela est que, dans l'intervalle, je me suis réconcilié (défâché serait plus juste, et il le serait encore davantage de dire que c'est lui, J.A. qui s'est défâché) avec le critique en question, avant d'être de nouveau en froid, plus ou moins, depuis que je lui ai refusé mon soutien dans le procès qui l'a opposé à Valérie Scigala et deux autres personnes que je ne connais pas. C'est en tout cas ce que m'a appris Restif, un blogueur dont nous avons fait la connaissance il y a quelques mois chez les Crevette, lors de l'un de leurs fameux déjeuners sabbatiques. Mais peut-être, cette fois, que bouderie serait plus approprié que fâcherie.


Dimanche 19 juin

Cinq heures. – Ce matin, Catherine s'est levée assez remontée contre Ygor Yanka. Enfin pas contre lui, pas contre sa personne, mais plutôt contre son absence de réaction, sa tendance à se laisser aller au fil de l'eau sans rien faire de ce que, d'après elle et d'après moi, il devrait faire pour mettre fin à sa situation actuelle, parfaitement intenable même à court terme. Il est vrai qu'alors qu'il a parfaitement su trouver le courage et les mots pour m'appeler au secours lorsque sa situation s'est gâtée, il semble maintenant être pris de pudeurs excessives et n'ose plus solliciter personne, y compris au sein de sa propre famille. Il se retrouve donc au centre d'un cercle vicieux qui est le suivant : pour toucher l'équivalent d'un RSA belge, il doit retourner en Belgique ; mais, là-bas, pour y prétendre, il lui faut un logement ; et, pour trouver un logement, il doit d'abord être hébergé sur place ; or, comme à part son frère (qui n'a pas répondu), il n'a, je crois, contacté personne d'autre, eh bien il attend. Et c'est précisément cette passivité qui commence à énerver Catherine. D'autant que, sur le front du travail, c'est un peu la même chose.

D'un côté, je comprends parfaitement cette espèce de tétanie dont il semble être la proie : je serais, je crois, à peu près victime de la même à sa place. D'un autre côté, il n'est évidement pas possible qu'il reste ici éternellement, à attendre que les choses s'arrangent d'elles-mêmes, comme par miracle, puisqu'elles ne s'arrangeront pas d'elles-mêmes et qu'il n'y aura pas de miracle.


– Tout cela fait, ou contribue à faire, que je n'ai toujours pas commencé le BM ce matin, même si j'ai affirmé à Catherine – tradition oblige – que j'avais écrit les deux premiers feuillets. Je n'ai d'ailleurs rigoureusement rien fait, à part terminer le journal 2010 de Camus. Volume plus “tonique” que les deux précédents, m'a-t-il semblé, peut-être aussi en raison de cette histoire de candidature à la présidence de la République qui, dans les derniers mois de l'année, a créé un peu d'agitation autour de lui, notamment sur le plan médiatique.

À deux ou trois reprises, Camus exprime cette idée intéressante, et que je crois féconde : le peuple (il n'emploie pas ce mot, je crois bien, mais j'ai la flemme de retrouver les passages) au fond, en notre époque d'hyper-démocratie, s'est fait flouer. On lui a promis (on = la gauche, mais pas seulement elle) l'accès à la culture, au baccalauréat, aux voyages faciles, etc. D'une certaine manière il croit d'ailleurs avoir désormais accès à tout cela, sauf qu'il n'a en fait accès qu'aux mots, lesquels ont tout d'abord été vidés de leur ancien contenu. Dix pour cents des écoliers parvenaient, avant, à décrocher le bac et nous en sommes à 80 % ? Certes, mais ce bac-là n'est plus le garant d'aucun savoir et ne facilite l'accès à aucun métier ; le peuple (la petite bourgeoisie) n'allait presque jamais au concert et elle y va désormais très facilement ? Oui, mais c'est un concert de Madonna. Aucun ouvrier ou paysan, jusqu'aux années cinquante, ne pouvait guère espérer connaître le Maroc ou encore moins la Thaïlande et ils le peuvent désormais ? Certes, mais ils n'en verront qu'un artificiel village de vacances où on les parquera selon les mêmes modalités que dans leur zone pavillonnaire suburbaine. Etc., etc. Évidemment, comme presque toujours chez Camus, la thèse est rien moins que sympathique.

– Le maire de Caen, lui, l'est éminemment, sympathique, puisqu'il a eu la très belle idée, hier, à l'occasion de je ne sais pédé pride ou gouine parade, d'accrocher un “drapeau gay” (mais qu'est-ce que peut bien être un drapeau gay ?) au fronton de sa mairie. Je suppose qu'on doit le remercier de l'avoir mis à côté du drapeau français, et non à la place… Et je trouve merveilleux d'humour involontaire que ce maire s'appelle Duron.

Sept heures et demie. – Le vent est enfin retombé, après deux jours de déchaînement. Je n'aime le vent que la nuit, lorsque je suis au lit.

– Pour la fête des pères, j'ai appelé le mien vers une heure. Triste fête puisqu'il était seul à la maison, ma mère toujours à l'hôpital et lui avec la perspective d'une nouvelle chimiothérapie, mercredi ou jeudi, je ne sais plus.

– Comme toujours, ou disons comme souvent, la lecture du journal de Camus m'a donné une furieuse envie de me livrer à de considérables achats de disques, de musiciens que je ne connais que de nom et d'autres dont je n'avais jamais entendu parler avant qu'il ne les mentionne – souvent des compositeurs anglais, mais cette fois-ci, également, pour cause de périple scandinave l'été dernier, suédois et norvégiens. Pour l'instant, je résiste. D'ici deux ou trois jours le danger sera passé car j'aurai probablement oublié les noms qu'il donne et la flemme d'aller les rechercher au fil des pages. J'aurais bien sûr pu les noter au courant de ma lecture, mais c'eût été (c'eût ou c'eut ? Je crois que je ne saurai jamais, bon sang !) du vice ; ou, pire, de la préméditation.

– J'ai déjà hâte que les jours commencent à raccourcir, alors qu'ils ne sont même pas encore tout à fait à leur acmé. De ce point vue (comme d'autres), je suis une espèce d'anti-Camus.


Lundi 20 juin

Sept heures et quart. – BM toujours pas commencé. Et comme il n'y a pas d'urgence, il n'y a pas non plus d'envie de s'y mettre. Il le faudrait, pourtant. J'ai laissé s'écouler cette journée comme elle l'entendait, sans la contrarier, sans prendre la moindre initiative, sinon celle de lire paresseusement, très paresseusement, une grosse centaine de pages de Graham Greene (Le Fond du problème, roman “colonial” qui par instant fait penser à ceux de Simenon du même genre, mais par instants seulement).

– Depuis hier, j'ai peur d'avoir franchi un palier en ce qui concernent mes fourmillements aux pieds (et aux mains, mais là, la situation est stationnaire), qui sont d'abord devenus une sorte d'engourdissement gênant et qui, depuis hier donc, sont douloureux, notamment à la plante du pied gauche lorsque je marche. Je suis à la limite de boiter. Si cela persiste, voire s'aggrave encore, il va bien falloir que je retourne consulter Garrigue afin qu'il prenne sérieusement les choses en mains, si je puis dire. Ou alors qu'il me dise carrément qu'il ne peut rien faire pour moi. L'hypocondrie étant ce qu'elle est – toujours sur la brèche, ne dormant jamais que d'un œil –, et comme je ne peux décemment pas m'imaginer atteint d'un cancer des pieds, j'ai commencé d'avoir des fantasmes d'amputation.

– Les blogueurs de gauche me font rire lorsqu'ils pleurnichent sur la disparition de Coluche et surtout sur le fait qu'il n'aurait pas été remplacé. Ils veulent dire par là que, de nos jours, une liberté de ton et de parole comme la sienne dépasse le courage de ses successeurs. Ils ne se rendent pas du tout compte que 1) Coluche n'a jamais cogné que sur des gens ou des institutions sur lesquels il était de bon ton de le faire (Église, police, armée, hommes politiques, anciens combattants, etc.) ; et que 2) si un humoriste aujourd'hui s'avisait de tourner en dérision les véritables vaches sacrées de notre époque (droits de l'homme, écologie, islam, immigration), ils seraient les premiers à exiger qu'on le fasse taire, si possible par voie de justice. Il est évidemment tout à fait inutile de le leur faire remarquer, puisqu'ils ont décidé de rester aveugles et sourds à tout phénomène ne relevant pas rigoureusement de ce qu'ils appellent le social. Et s'ils se forcent parfois à parler tout de même (mais avec combien de répugnances et de ridicules pudeurs) de l'un de ces sujets, c'est après l'avoir préalablement ramené à des causes sociales. Ainsi en va-t-il des immigrés et de la violence, de la décivilisation, qu'ils engendrent, ou au moins contribuent à aggraver et à accélérer. À les écouter, si l'on donnait du travail à tous ces gens, les problèmes s'évanouiraient comme par enchantement. Mais, déjà, ils pourraient s'aviser qu'un travail ne se donne pas. Il se cherche et se conquiert plus ou moins. L'effort doit venir de celui qui est censé désirer un emploi. Or, il ne semble pas que ce désir soit bien fort au sein de ces populations hâtivement et mal greffées, même s'il doit en effet l'être chez un certain nombre d'entre eux, et qui du coup, ceux-là, pâtissent du climat détestable que font régner les autres. Mais aussi, les “bons” immigrés seraient sûrement plus crédibles dans leur volonté de vivre en paix et de travailler sans faire d'histoire s'ils ne prenaient pas systématiquement fait et cause pour tous les délinquants issus de leurs communautés. Ils pourraient au moins faire en sorte que leur silence, dans les cas d'émeutes ethniques qui se multiplient, soit moins assourdissant, moins parlant.


Mardi 21 juin

Midi et demie. – Eh bien ça y est : le BM 328 est en route. Et, du coup, les trois premiers feuillets à peine écrits, je me suis interrompu pour venir noter ici que j'avais commencé, ce qui n'est pas très malin.

– Golo commence à s'enhardir et à explorer la terrasse. Il descend (non : elle !) même les quelques marches menant au jardin mais les remonte encore plus vite au moindre danger supposé, ou même si l'un des chiens pointe le museau hors de la maison. Avec les chiens, du reste, l'ambiance est à la détente ludique, même s'il joue beaucoup plus avec Elstir qu'avec Bergotte (et pas du tout avec Swann, qui semble s'en ficher complètement), simplement parce qu'Elstir est davantage partant que Bergotte.

– Ce matin, ma douleur plantaire était toujours présente lorsque je me suis levé. Je ne sais pourquoi j'ai eu l'idée de troquer les charentaises fourrées, ressorties du placard la semaine dernière, contre de vieilles savates à semelle de corde, toujours est-il que cela a suffi pour faire diminuer la gêne au moins des trois-quarts – ce qui m'a regonflé le moral et m'a permis d'ouvrir le chantier BM : pauvres petites mécaniques fragiles que nous autres…

– Je me plais décidément beaucoup à la fréquentation de Graham Greene. De son côté, Catherine continue de se colleter avec la prose de Bernanos – le Journal d'un curé de campagne. Lorsqu'elle lâchera le volume, je crois que je vais me décider, enfin, à lire Monsieur Ouine.

– La tourterelle nicheuse couve toujours.

– La lecture des blogs m'emmerde de plus en plus (eh bien arrête, espèce d'aliéné ! clame le chœur), et je pressens que cela ne va pas aller en s'arrangeant à mesure que l'on se rapprochera de l'élection du printemps prochain.

– Je me demande comment font les lecteurs de ce journal pour, à chaque nouvelle parution, y repérer certains mots-clés afin de “cibler” leur lecture, comme on le fait avec un index, dans le cas d'un journal imprimé. Nicolas m'avait déjà dit rechercher systématiquement son prénom (pour voir ce que je dis de lui), et voilà que Cherea me laisse un commentaire sur le blog-mère pour me dire qu'il cherche généralement “ILYS”, puis son propre pseudo. Grand bien leur fasse d'ailleurs, même si c'est une manière un peu candide d'avouer qu'en fait, ils ne lisent pas ce journal.

(À peine ai-je écrit ce qui précède que je me rends compte que c'est absurde : moi-même, lorsqu'un nouveau volume du journal de Camus arrive, je n'ai rien de plus pressé que de filer à l'index pour y débusquer les phrases me concernant. Et ça ne m'empêche pas, ensuite, de lire le volume de la première à la dernière page. Mais enfin, dans le cas de Nicolas au moins, je suis bien sûr qu'il ne prend pas le temps de lire ce qui ne le concerne pas. L'avantage, avec lui, c'est qu'il ne se sentirait pas du tout obligé, si je lui posais la question, de prétendre le contraire. Mais il sait aussi très bien que je ne suis pas assez mal élevé pour la lui poser, cette question.)

Cinq heures et quart. – Tout à l'heure, alors que nous discutions ici même des affaires courantes, elle repassant et moi préparant un petit billet pour La Meute des gâteux, j'ai “vendu” à Catherine l'idée d'un petit apéritif-sans-raison, idée à laquelle elle s'est ralliée sans même faire semblant d'être contre. Je viens donc de faire un petit aller-retour à Pacy, où j'ai pu me féliciter chaudement de ne point habiter : pour cause de fête de la musique, il fallait supporter la soupe tiédasse et primaire diffusée par les haut-parleurs, à quoi s'ajoutait, sur l'espèce de scène installée devant la mairie, les répétitions d'un trio de godelureaux électrifiés. Bref, tout se mettait en place pour une soirée pénible. J'ai néanmoins été raisonnable (pourquoi néanmoins ?) et n'ai acheté, pour ma consommation personnelle, que trois bières – mais des 50 cl tout de même. Du coup, le roman de Greene que je pensais finir avant le dîner ne le sera que demain.

Si le vent nous fait la grâce de demeurer aussi discret qu'en ce moment, nous allons même pouvoir prendre cet apéritif sur la terrasse – sauf si un tondeur fou décide d'entrer en action bien entendu, mais le risque semble mesuré.

– Demain après-midi, il faut absolument que je pense à faire le tour du jardin afin de couper toutes les branches de ronces qui jaillissent de la haie : cela m'évitera de me faire lacérer les bras lors de la prochaine tonte, laquelle ne devrait pas être très lointaine car, la pluie et la (relative) douceur aidant, l'herbe est de nouveau toute impatiente de croître, et vert fluo comme elle l'est d'ordinaire au début du printemps.

– Ce matin, Yanka me disait avoir été impressionné par la lecture de mon synopsis, qui traîne sur le bureau que nous partageons en ce moment. Il est pourtant des plus sommaires. S'il voyait ceux que je rédigeais à l'époque où il me fallait obtenir l'aval de Bernard T. avant de me lancer dans l'écriture proprement dite, c'est pour le coup qu'il pourrait l'être, impressionné. Car si ceux de maintenant ne dépassent pas quatre ou cinq feuillets, les anciens pouvaient en faire facilement vingt-cinq ou trente.


Mercredi 22 juin

Midi. – Hier soir, alors que nous nous accordions un apéritif léger, Catherine et moi avons soudain eu l'idée de nous octroyer une journée d'escapade et d'aller la passer à Jumièges et environs. C'est-à-dire que j'ai eu l'idée de l'escapade et elle de la destination. Naturellement, cela a suffi pour rendre le temps d'aujourd'hui épouvantable, parfaitement insortable. Mais comme je m'étais fait à l'idée (on se fait très bien à ce type d'idées) de ne pas travailler aujourd'hui, eh bien en effet je ne travaille pas : voilà deux heures que je traîne sur les blogs, en me disant, au vu des pauvretés que j'y lis, que je ferais bien mieux de retourner au salon pour me replonger dans Graham Greene, ou dans tout autre lecture intelligente. Mais quelque chose me maintient vissé à ce fauteuil et à ce bureau, comme si le fait de rester là rendait moins flagrante mon invincible paresse du jour. Moins flagrante, elle l'est en effet pour Catherine qui, si elle jette un coup d'œil par la porte de la maison, me verra en train de clavioter comme un frénétique ; mais ce qui est plus étonnant c'est que cela marche aussi à mes propres yeux – comme si le fait de rester ici voulait dire que je n'ai pas encore totalement renoncé à être productif, alors que renoncement il y a bien.

Je crois qu'une tasse de café va s'imposer…

Tasse qui n'a rigoureusement rien changé. Et je vais arrêter d'écrire n'importe quoi ici sous prétexte de passer le temps, ça devient ridicule.

Il me semble que, le gâtisme aidant, on devrait pouvoir finir par passer toute la journée devant un écran, à noter des bouts de phrases sans suite, des illusions d'idée, des fumeroles de pensée : ainsi la journée aurait été totalement occupée – mais à rien. Un peu comme quand je vais à FD, finalement.

Ce qui m'énerve le plus, au fond, c'est que je n'arrive pas à comprendre pourquoi je bloque durant des jours et des jours sur un BM qui n'est pas plus compliqué que les autres à écrire – celui-ci devrait même être plus simple que certains par le passé. Pourquoi est-ce que, tel ou tel jour, à la fin de chaque paragraphe ou presque, un poids énorme me tombe sur le cerveau et que je me demande avec accablement, durant d'interminables minutes, ce que je vais bien pouvoir mettre dans le paragraphe suivant ? Je crois que je n'en saurai jamais rien. En tout état de cause, il va vraiment être temps d'arrêter d'écrire ces conneries et d'accepter de devenir pauvre pour le restant de nos jours.

Six heures et demie. – Finalement, le temps s'étant brusquement dégagé, nous sommes allés à Jumièges. Ensemble de ruines superbe, très impressionnant, mais pas le temps d'en parler pour le moment. Grâce à un harpon accroché au flanc du bac qui nous a fait traverser la Seine, j'en suis revenu avec une idée de BM. Titre probable : Les Exaltées de Jumièges. Ce pourrait même être le titre de ce journal de juin, d'ailleurs.

Il est étonnant – et fort déprimant si l'on y songe – de constater que des bâtiments médiévaux presque totalement défigurés par le temps et les vandales post-révolutionnaires présentent encore mille fois plus de beauté que n'importe quelle réalisation architecturale contemporaine.

L'aspect le plus immédiatement séduisant de Jumièges est qu'il est possible de tout voir, ou presque, à travers les cadres naturels formés par les différentes fenêtres restant debout, et qui donnent à voir des tableaux sans cesse changeants à mesure que l'on se déplace de quelques pas dans un sens ou dans un autre. Chaque élément d'architecture se présente dans son écrin de pierre, et même dans plusieurs, selon l'endroit où l'on se place pour le regarder.


Jeudi 23 juin

Quatre heures et demie. – Toujours pas travaillé au BM. Et, aujourd'hui, je n'ai même pas eu la plus fugitive velléité de m'y mettre. En outre, je m'en fous. Ma seule activité a consisté, tout-à-l'heure (je pense que je ne saurai jamais avec certitude si tout à l'heure réclame des traits d'union ou pas – je crois que non, mais le doute est là, bien enkysté) à descendre à Pacy pour y acheter le vin que nous boirons samedi midi, avec ma sœur et Olivier – plus Yanka évidemment. Catherine ayant déterminé que trois bouteilles de blanc suffiraient, j'en ai évidemment acheté quatre. Une valeur sûre : le chablis premier cru (Montée de Tonnerre) que nous achetons d'ordinaire dans ce genre d'occasion. Plus deux bouteilles de rouge – saumur-champigny – au cas où tel ou tel convive en aurait assez du chablis. Ensuite, je suis venu m'installer ici, devant l'ordinateur, afin de me livrer à une dernière lecture du journal de mai qui sera mis en ligne jeudi prochain.

– Je ne sais plus plus si j'ai noté que Yanka va probablement nous quitter en juillet pour aller s'établir chez de vieux amis à lui, en Belgique. Il a demandé à Catherine si, lorsque nous irions voir mes parents, nous nous pourrions les emmener, lui et ses bagages. Évidemment la réponse fut oui, et d'autant plus empressée que nous aspirons maintenant, après ces presque six semaines de cohabitation, à reprendre le cours de notre vie familière, même si nous n'avons, au presque bout du compte, à peu près rien à reprocher à Yanka en tant qu'hôte.

– À propos de voyage à Sedan, ma mère est sortie de l'hôpital aujourd'hui – non : hier. Enfin, elle est sortie. Si bien que, en effet, nous envisageons d'aller les voir soit le week-end prochain, soit le suivant, cela dépendra de leur forme à tous les deux. Si ma mère était normale, nous pourrions y aller le plus vite possible afin de nous charger de ce qu'elle doit être encore trop faible pour faire elle-même (courses, repas, petit ménage…). Mais c'est impossible : jamais ma mère ne laissera qui ce soit travailler à sa place dans sa maison. Ou alors il faudrait qu'elle soit à l'article de la mort – et encore.

Sept heures et demie. – Après téléphonage à mes parents, nous sommes convenus avec eux que nous irions les voir le premier week-end (week-end d'ailleurs légèrement décalé) de juillet. Nous partirons le dimanche 3 au matin, avec Bergotte, le réfugié matrimonial et ses bagages. Les derniers cités seront déposés quelque part en Belgique, là où Yanka nous dira d'aller. Puis, nous redescendrons sur Sedan, dont nous repartirons dès le lendemain matin, lundi ; ce, afin de ne pas trop fatiguer ma mère d'une part, et d'autre part parce qu'à force de jouer au con avec le BM, je n'aurai plus tellement de marge de manœuvre si je veux rendre ce dernier aux alentours du 15 ou 16 juillet. Ensuite, la vie reprendra son cours normal – en principe… – ; cours normal que Yanka n'aura finalement, il faut le dire, qu'assez peu perturbé.

(Catherine me signale que le petit chien des voisins “de gauche” est passé par un trou du grillage dans le champ à moutons des fermiers “de derrière”. Du coup il aboie comme un perdu – ce qu'il est plus ou moins – et fait aboyer Elstir en retour.)

– Pour ce qui concerne les deux mâles de la meute, plutôt que de les mettre au chenil Catherine a eu l'idée tout à l'heure de demander à Damien, le grand fils des voisins “d'en face” de venir les nourrir le dimanche soir, ce qui permettrait de les laisser ici, avec jardin et sous-sol à leur disposition. Un billet de dix euros devrait suffire pour intéresser la partie, comme disent les joueurs. Après tout, il n'aura que le mal de traverser la rue, de poser au sol les deux gamelles préparées et d'attendre qu'ils aient fini d'engloutir pour rentrer chez lui.


Vendredi 24 juin

Onze heures et demie (du matin). – Foin de ces atermoiements continuels : j'ai pris la décision de ne me mettre vraiment au BM que le 5 juillet, lorsque nous serons revenu des Ardennes, à la fois belges et françaises, et que l'existence en doublette aura repris son cours. Ce qui a emporté la décision (tu as remarqué, cher Journal, à quel point je suis énergique dès qu'il s'agit de ce genre de décisions ?), c'est qu'Isabelle et Olivier viennent déjeuner demain ; donc pas de travail ; donc, inutile de s'y mettre ce matin si c'est pour arrêter dès demain ; et à quoi bon travailler lundi et mardi si c'est pour retourner à FD les trois jours suivants, hmm ? Soyons carrés, bordel ! Il me restera donc 14 jours pleins ensuite, ce qui impliquera de travailler aussi un peu l'après-midi, avec relecture générale le mardi 19 juillet et expédition du pensum dans la foulée. Ensuite, on s'accordera une pause estivale – durant laquelle un court séjour chez les Pluton semble se dessiner, ce qui m'agrée tout à fait – jusqu'au 31 août. Dès les premiers jours de septembre, je m'attèlerai au synopsis “Jumièges”, où nous retournerons en repérages, probablement en compagnie de Robert Marchenoir qui s'est déclaré enchanté de ma proposition, faite hier par voie de mail. L'idéal, l'idéal absolu, si je puis dire, serait que je profite d'août pour me débarrasser enfin de cette damnée série sur Versailles et sa cour : les quatre mille euros qui en résulteraient dans le courant de l'automne seraient tout à fait les bienvenus.

– Sans doute pour compenser plus ou moins ma fainéantise mal assumée, je viens d'employer une demi-heure à couper toutes les ronces qui dépassaient de la haie entourant le jardin, en vue de la tonte que je vais pratiquer cet après-midi – tonte non urgente encore, mais bien commode pour se donner bonne conscience à frais nuls.

(Pendant que j'écris ce qui précède, et encore à l'instant, des courriers publicitaires ne cessent d'arriver en rangs serrés dans ma boitamel ; incroyable est le nombre d'organismes qui semblent n'avoir pas de plus brûlants désirs que de me prêter de l'argent. Mais ça me change de ceux qui, à coup de pilules ou de crèmes miracles, veulent à tout prix me faire grossir et durcir la queue.)

– Relativement à ce que je viens de dire, je ne sais plus si j'ai déjà noté ceci, à propos de ces publicités à caractère sexuel : ici, à la maison, je reçois régulièrement des annonces me promettant le secret absolu pour séduire les femmes et les combler, ou pour rencontrer toutes les chaudasses de ma région ; alors qu'à FD, dans mon ordinateur professionnel, n'arrivent que des propositions à caractère nettement homo, émanant notamment d'une échoppe en ligne s'appelant explicitement .outikgay (je n'écris pas le nom entier de peur que ces fâcheux ne viennent me traquer jusqu'ici). Si bien que je me retrouve hétéro (mais apparemment pas très vaillant) ici, et homo là-bas. Je me suis longtemps demandé par quelle bizarrerie j'en étais arrivé là, puis j'ai compris : ce doit être le résultat direct des recherches que je peux faire sur internet pour mes différents BM. Depuis que j'ai compris (ou cru comprendre) ça, je deviens très circonspect et y regarde à plusieurs fois avant de taper tel ou tel mot-clé dans Goux gueule


Samedi 25 juin

Huit heures et demie (du matin). – Levé presque aux aurores pour cause de visite à déjeuner : Isabelle et Olivier. Catherine étant partie au presbytère comme tous les samedis matins, c'est à moi qu'il revient de nettoyer ce qui reste à nettoyer, c'est-à-dire la cuisine – d'où mon réveil fort matinal. Et, au lieu de me livrer à ces saines activités ménagères, me voilà en train de clavioter ici pour expliquer que je devrais bien aller m'y livrer, justement.

– Hier, pour vérifier si, comme je le prétendais, l'œuf de la tourterelle nicheuse devait avoir éclos (je deviens un authentique spécialiste en mœurs tourterelliens), Yanka a profité d'une courte absence de la mère putative pour monter sur un tabouret et regarder ce qu'il y a dans le nid. Éclosion il y a bien eu, mais ce sont deux tourtereaux et non un seul qu'il a découverts. Je me demande comment ils vont tenir lorsqu'ils seront gros, dans ce nid exigu et tout mal foutu.

– Je ne sais plus si j'ai déjà noté ici que Catherine appelait Ygor Yanka l'Égyptien. Cela par référence à Astérix légionnaire (quand on pense que certains croient dur comme fer que la maison Goux est un temple de Haute Culture…), dans lequel le centurion instructeur passe son temps à demander : « Que dit l'Égyptien ? », dès que ce dernier se met à parler en hiéroglyphes. Or, il se trouve que Yanka parle en effet assez doucement, et les problèmes auditifs de Catherine font qu'elle est souvent obligée de le faire répéter, ou de me demander à moi ce qu'a dit l'Égyptien. Pour un Belge débarquant du Québec, je trouve le surnom bien trouvé et délicieusement mondialiste.

– Il est dix heures et je me suis déjà acquitté de toutes les tâches qui m'étaient imparties (vaisselle, etc.). Il ne me reste donc plus qu'à attendre l'arrivée de nos hôtes et, une fois de plus, j'ai l'impression d'être mon père qui, dans ce genre de situation, devenait incapable d'entreprendre quoi que ce soit, passant son temps à faire des allers et retours à la fenêtre de la cuisine dès qu'il entendait le moindre bruit de moteur. J'en parle au passé non parce que cette manie l'aurait quitté mais parce que c'est dans la maison de La Ferté que je le revois, et seulement là.

D'ailleurs, je crois que cette maison de Sologne restera à jamais pour moi LA maison : nous avons, avant 1975, déménagé trop souvent – de et dans des appartements parfaitement interchangeables – pour que ma mémoire se fixe convenablement. Quant à leur maison suivante, l'actuelle, à Sedan, je n'y ai évidemment jamais vécu et, donc, lorsque mon père guette par la fenêtre de la cuisine, c'est moi qu'il attend.

Non, j'exagère, il y a aussi notre premier logement (c'est ainsi que l'on disait) en Allemagne – dit : “le bloc 2” –, occupé de 1961 à 1966, et qui reste donc le lieu de l'enfance, presque même celui de la naissance, vu le peu de souvenirs que je conserve de l'appartement de Châlons, et le flou de ceux-ci. Mais il est aussi celui de la grande jeunesse de mes parents, à quoi je préfère ne pas trop penser ces temps-ci.

L'appartement occupé durant un an et demi en Algérie n'a en revanche pas la moindre importance à mes yeux. Sans doute parce que c'est là-bas que je suis brusquement passé de l'enfance à l'adolescence et que, alors, tout l'effort a consisté à sortir de la maison familiale, après cette étonnante découverte que chacun a faite en temps et heure : le monde extérieur existe. Aïn-el-Turck, c'est le soleil et le vent chaud du large, lequel s'étalait pratiquement à nos pieds. Il n'était pas, ce large, une barrière, ni à l'inverse un appel au voyage, mais quelque chose comme une douce ceinture de protection ; un décor réel qui se trouvait là pour ne pas rendre le monde trop vaste d'un seul coup, trop effrayant.

Dix heures (du soir). – Expérience étonnante et première. En milieu d'après midi, après un déjeuner copieux et bien arrosé, nos hôtes et Catherine ont décidé d'une petite promenade digestive. Resté seul à la maison, j'ai eu, moi, l'envie d'une petite sieste… et me suis réveillé comme une fleur à neuf heures, parfaitement dispos, tout de même étonné d'avoir dormi autant sans escale. Me levant, j'ai eu la surprise de découvrir Catherine devant la télé, ce qui ne lui arrive jamais le matin. J'ai ensuite été désagréablement étonné de constater qu'elle n'avait même pas pris la peine de faire le café – ce que j'ai donc fait, tandis que je prenais mon petit déjeuner ET mes médicaments du matin. Ce n'est qu'ensuite, en allant boire mon premier café de la journée dans le jardin que j'ai constaté que le soleil n'était pas du tout à sa place normale. Et compris qu'il était en fait neuf heures et demie du soir. Impression que le soleil, se couchant, n'a fait ensuite que confirmer. J'espère juste que prendre deux fois ses médicaments dans la même journée (mais à plus de douze heures d'intervalle) n'a pas trop d'importance. Question qui demeure : vais-je pouvoir redormir tout à l'heure ? Corollaire : dois-je reprendre une bière ou deux afin d'accélérer le processus ? Pfff


Dimanche 26 juin

Trois heures et demie. – Ce matin, j'ai oublié de dire à Catherine de remonter un paquet de tabac pour l'Égyptien. Résultat, comme tout est fermé à Pacy le dimanche après-midi, j'ai bien dû l'emmener jusqu'à Évreux pour qu'il puisse se ravitailler. Entre temps, il s'était mis à faire très chaud, et ce doit être encore pis demain. Rafraîchissement mardi, journée que Catherine vient de suggérer que… Non, je ne m'en sortirai pas, de cette phrase. Pouf, pouf… Journée dont Catherine a suggéré que nous pourrions aller la passer à Chartres. J'ai dit oui.

– Sinon, hier, recouché aux alentours de minuit, j'ai dormi comme une fleur jusqu'à huit heures ce matin. Puis, écrit un petit billet sur le blog-mère afin d'y narrer l'anecdote en question.

– Golo est désormais tout à fait chez lui – ou plutôt chez elle. Elle s'est approprié le jardin presque dans son entier, est venue de son propre chef visiter la Case, a inspecté le sous-sol avec Catherine et fait la connaissance de Mitaine. Le corollaire de cette aisance est qu'il devient de plus en plus difficile de la récupérer le soir, au moment d'aller se coucher.

Huit heures et quart. – Grosse chaleur, donc possibilité de prendre un apéritif en terrasse. Ce que nous avons fait, tous les trois. Soirée fort agréable. Parler avec Yanka est…(à compléter).


Lundi 27 juin

Sept heures et demie. – Grosse chaleur aujourd'hui. Naturellement, on s'attend à ce que cette andouille béate de Pujadas, ou ce qui en tiendra lieu, parle tout à l'heure de canicule, puisqu'il est entendu désormais qu'un journaliste est d'abord quelqu'un qui ignore totalement le sens des mots qu'il emploie. Mais enfin, canicule ou pas, j'ai mené une existence dignement végétative aujourd'hui, ne quittant ni mon fauteuil ni Bernanos.

– À propos de Bernanos, j'ai abandonné Monsieur Ouine au bout d'une centaine de pages, ne parvenant pas du tout à saisir cette histoire par aucun bout, ne comprenant nullement ce qu'on essayait de me raconter. Comme j'en parlais à Ygor Yanka peu après, il m'a avoué qu'il lui était arrivé la même chose il y a peu de temps. En revanche j'ai lu avec passion les Dialogues des carmélites, que je ne connaissais pas, pour enchaîner directement sur le Journal d'un curé de campagne, que je n'avais pas davantage lu. Pour couronner cette journée bernanosienne, je suis venu ici commander sur Amazon le deuxième volume en Pléiade des Essais et écrits de combat, auquel je résistais héroïquement depuis quelques semaines, à cause de son prix exagéré (70 €).

– Si la température baisse au cours de la nuit, comme il en est question, nous irons demain à Chartres. Si elle se maintient, nous-mêmes nous maintiendrons dans une stricte immobilité.

– Catherine, tout à l'heure, a arrosé et shampooiné les trois chiens, qui n'apprécient que fort peu ce traitement, y compris Swann qui pourtant adore l'eau au point de ne pouvoir apercevoir une mare sans s'y précipiter aussitôt. Il faut croire que douche et bain sont pour eux deux choses fort différentes.

– Et je vais en rester là pour ce soir car, à ce bureau, je transpire à grosses gouttes, malgré toutes les fenêtres ouvertes.


Mardi 28 juin

Deux heures et demie. – Température à peine moindre aujourd'hui, mais petite brise salutaire. Je suis seul devant cet écran : Catherine fait la sieste et Yanka n'est pas encore levé…

– Finalement, Catherine m'ayant demandé si cela ne me dérangeait pas qu'elle reste ici, c'est tout seul également que je vais conduire Yanka jusqu'à sa nouvelle villégiature belge, dimanche. De là, les ayant déposés, lui et ses bagages, je redescendrai sur Sedan pour passer la soirée avec mes parents, et rentrerai ici lundi. Cela me dérange d'autant moins que je n'étais guère enchanté de laisser les chiens seuls ici et que, d'autre part, j'aime beaucoup ces petites escapades en solitaire (en solitaire moins la première partie du trajet de dimanche, donc). Je pense que, lundi, n'étant pressé par rien, je vais m'offrir le luxe de contourner largement la région parisienne par le nord, en passant par Compiègne ou Saint-Quentin, puis Beauvais et enfin Vernon. Cela devrait aussi dépendre du temps qu'il fera : s'il tombe des hallebardes l'autoroute sera toujours assez bonne.

– Je suis allé tout à l'heure consulter mes comptes bancaires afin de voir si mon salaire FD était “tombé” : il est. J'ai touché ce mois-ci presque 3500 euros nets : l'effet des articles écrits ici le week-end commence à se faire sentir. Malheureusement, il en ira différemment fin juillet, puisque voilà trois semaines que l'on ne me donne plus rien à écrire. Les affaires devraient reprendre dès la mi-juillet, après mes “vacances mondaines”. Toucher 3500 euros tous les mois en moyenne m'arrangerait beaucoup, je pourrais commencer à envisager sérieusement de tirer ma révérence à GdV : on doit pouvoir vivre avec 3500 euros par mois, je suppose, pour peu qu'on se mette à compter un minimum.

(Visite éclair de Bergotte et Elstir dans ce bureau. Comme s'ils venaient juste vérifier que j'étais toujours là, bien à ma place.)

– Demain, retour à FD jusqu'à vendredi. Reprise en douceur puisque je serai tout seul au rewriting demain et en doublette avec Anne jeudi, Brice ne rentrant que vendredi. Ensuite, deux semaines enchaîné à ce clavier pour en sortir le BM n°328.


Mercredi 29 juin

Une heure. – Le journal de mai n'aurait dû en principe être publié que demain. Mais, comme à peu près une fois sur deux, saisi d'une impatience toute de puérilité, je viens de le mettre en ligne, avec petit message d'annonce sur le blog-mère. Catherine – qui aime bien le lire avant tout le monde : chacun sa puérilité… – ne va pas être contente : étant à Paris aujourd'hui, elle ne pourra pas y aller avant ce soir, en mettant les choses au mieux.

– Tout seul au rewriting avec Nathalie, ce qui est toujours agréable, et juste assez de travail pour ne pas trouver le temps long, mais assez peu néanmoins pour avoir tout le loisir de penser à autre chose. Mais à quoi ?

– Je me demande si cette campagne électorale qui se lance ne va pas avoir pour résultat de me dégoûter tout à fait de la lecture des blogs – au moins de ceux dits “de gauche” : à dix mois du premier tour, ils ne parlent déjà plus que de cela, et sans avoir jamais, ou rarement, quoi que ce soit d'intelligent ou d'original à en dire. Mais peut-être les choses vont-elles un peu se calmer lorsque cette stupide primaire socialiste sera passée – quoique j'en doute. En fait, la seule chose qui m'amuserait vraiment serait que, totalement blanchi dans les mois qui viennent, Strauss-Kahn décide de se présenter tout de même, en plus du candidat socialiste qui sera désigné ; qu'il sorte de la tranchée pour aller prendre le parti socialiste à la hussarde. Hélas, il y a peu de chances pour qu'un tel scénario se réalise.

– J'ai commencé le Jésus de Nazareth de Benoît XVI : passionnant et brillant, pour autant que je puisse en juger, mes connaissances en théologie étant pratiquement équivalentes à rien.


Jeudi 30 juin

Quatre heures. – Après-midi extraordinairement pénible. J'ai l'impression que chaque minute hésite au moins un quart d'heure avant de s'écouler. Pas le moindre travail à faire, un ennui boueux et envahissant comme un raz-de-marée. S'ajoute à cela le fait que, comme chaque fois que je “pique-nique” (saucisson et fromage) au bureau, je mange deux fois trop, m'en trouve désagréablement ballonné (je veux dire : encore plus qu'au naturel…) et m'en veux de m'être comporté en goinfre stupide.

– Catherine a reçu un mail d'Axelle Crevette lui demandant si elle pourrait venir chez nous à la mi-juillet, nous présenter la petite Gabrielle, en compagnie d'Hervé XP mais sans Damien qui sera aux États-Unis. J'en aurais été ravi, mais c'est malheureusement impossible : mon BM pas encore commencé doit absolument être chez l'éditeur le 20 juillet. Et quelque chose me dit qu'il ne sera pas fini avant le 19 au soir. À la rigueur, en temps normal, il m'aurait été possible de soustraire une journée au travail pour les recevoir. Mais, cette année, je dois compter avec le fait qu'il sera peut-être nécessaire que nous allions à Sedan voir mes parents, visite que les événements commanderont et qu'il m'est impossible de planifier. Je dois donc me garder une “mini-réserve” de deux ou trois jours, pour le cas où. Dommage, mais qu'y faire ?

– Nous ne sommes pas encore en juillet – il s'en faut de peu, certes – et déjà les travaux d'été de réfection des rues et routes ont commencé un peu partout, ce qui rend mes trajets habituels très aléatoires. Le pont de Courbevoie, par exemple, que je traverse le soir pour rejoindre le souterrain de la Défense, est depuis cette semaine presque impraticable, ce qui va m'obliger ce soir à traverser Neuilly pour l'éviter. Mais je ne sais pas dans quel état je vais trouver les rues de Neuilly…

Vivement samedi, quoi.

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