samedi 27 novembre 2010

Octobre 2010








LA DERNIÈRE
POUR LA ROUTE








À Catherine




Vendredi 1er


Neuf heures du soir. – Rien à dire, mais pas envie de manquer le premier jour du mois. C'est absurde, je sais, mais c'est ainsi. Comme d'habitude, grand plaisir d'être revenu ici, chez moi. Il pleut à boire debout, et je m'en fous, les chiens ressemblent à des chiens morts, épuisés, et nous aussi, et cet apéritif extrêmement agréable après nos cinq cents kilomètres de voiture, dont les derniers, entre Dreux et Saint-André-de-l'Eure, m'ont paru absolument interminables...


Samedi 2

Cinq heures. – Journée au ralenti, afin de se remettre gentiment de nos agapes franc-comtoises de ces derniers jours. J'ai à peine quitté mon fauteuil, sauf pour venir m'installer dans celui-ci où j'écris. Lu deux courts livres de Taillandier, son Balzac et un petit ouvrage sur la langue française. Dans un genre approchant, je préfère tout de même Renaud Camus. Je compte essayer de son journal (celui de Taillandier), un de ces jours.


Dimanche 3

Onze heures et demie du matin. – Catherine vient de réserver notre table à L'Hôtellerie d'Acquigny pour le dîner du 23 octobre. Finalement, nous serons douze, comme les apôtres. Là-dessus, il m'a fallu expédier un mail à Axelle et Damien pour m'enquérir de leurs éventuelles allergies alimentaires, tous les autres ayant déjà mangé chez nous à plusieurs reprises et ne posant donc plus de problèmes de cet ordre.

Je ne sais pas si c'est la coupure franc-comtoise qui agit, mais aller lire les blogs ne me dit rien du tout, depuis quelques jours. Et écrire sur le mien pas davantage.

Je n'ai pas parlé, je crois, de ce petit épisode irritant qui s'est déroulé chez Nathalie. Je voulais profiter de la présence d'Adrien – plus doué en informatique qu'aucun de nous, ce qui n'est pas, il est vrai, mettre la barre à une hauteur excessive – et du fait que sa mère et lui utilisent des PC et non des Mac pour actualiser Roselyne. Pour cela, il suffisait en théorie de désengager du GPS une petite carte nommée “SD”, de l'introduire dans l'ordinateur, de se connecter au logiciel idoine puis de suivre les instructions. Sauf que la première instruction qui a été donnée à Adrien fut de connecter l'appareil à l'ordinateur, chose évidemment impossible puisque le dit GPS est solidaire du tableau de bord de la voiture. Et puis, dans ce cas, à quoi servirait la fameuse carte SD qui est censée être le cerveau de cette damnée machine ? Adrien a eu beau s'escrimer, il n'y a rien eu à faire – et Roselyne est revenue en Normandie aussi ignorante qu'elle en était partie. J'espère que, demain, au garage Renault où je porte la voiture pour sa révision des trente mille kilomètres, il se trouvera quelqu'un de plus doué, mais j'en doute un peu. Je vois le moment où je vais devoir faire le déplacement vers la maison mère, dans je ne sais plus quelle banlieue sinistre d'Évreux, pour que l'on m'arrange ça. Ce n'est rien, et en même temps très énervant.

Un peu déçu par Les Nuits Racine de Taillandier, qui me semblent inférieures à sa Grande Intrigue. Mais comme cette dernière œuvre est largement postérieure à l'autre, c'est finalement une bonne nouvelle que cette pente ascendante.

Quant à moi, pente ou pas pente, il va me falloir songer sérieusement au prochain BM, tout du moins à son synopsis. Qui devrait s'intituler LE CLUB DES TUEUSES, une histoire de femmes qui s'associent afin de se débarrasser de leurs maris respectifs, la dernière admise au club étant chargée d'éliminer celui de la femme se trouvant en tête de liste. Ce qui permet, la meurtrière et la victime n'ayant absolument aucun lien, d'égarer les soupçons de la police (l'idée m'a été fournie par L'Inconnu du Nord-Express, d'Hitchcock, mais aussi par un téléfilm allemand vu par Catherine et qui reprenait déjà ce thème).


Lundi 4

Deux heures. – Je n'ai encore lu que 200 des 570 que compte La Leçon d'allemand, le roman de Siegfried Lenz que j'ai acheté “sur les conseils” de François Taillandier. Mais, déjà, commence à se dégager la polyphonie des thèmes, l'un d'eux apparaissant de manière plus nette que les autres, au stade où j'en suis de ma lecture. Il pourrait s'intituler : la naissance de l'écrivain, ou quelque chose d'approchant.

Le point de départ du roman est à lui seul une idée lumineuse : un élève d'un centre de redressement, dans l'Allemagne du Nord de l'après-guerre, Siggi Jepsen, est puni parce qu'il a rendu copie blanche à l'issue de la rédaction d'allemand imposée, dont le thème était : Les joies du devoir. Copie rendue blanche non parce qu'il n'avait rien à dire, mais parce que, au contraire, trop de choses, soudain, demandaient à être dites, ramenées à la surface et expressément consignées. Car, au début du temps imparti aux élèves, Jepsen avait choisi de parler de son père. Lequel, petit policier de campagne sous le IIIe Reich, avait été à ce titre chargé d'annoncer au grand peintre vivant dans sa juridiction (et inspiré par Emil Nolde, nous dit-on dans la préface) qu'il était désormais interdit de peinture, et surtout de veiller à ce que cet ordre soit suivi d'effet : tel était son devoir.

Tout manquement méritant punition, Siggi s'en voit infliger une : il sera enfermé dans une pièce, où il dormira et sera nourri, sans plus de contact avec ses condisciples – et il y restera tant qu'il n'aura pas mené à bien sa rédaction, pour laquelle on lui fournit cahiers, encre et plumes. Et c'est alors qu'il entreprend la rédaction du livre que nous tenons entre les mains.

Au bout de cent cinq jours (105 !), le directeur du centre, secondé par une armée de psychologues à la fois terrifiants et cocasses, décide de lever la punition, annonçant au jeune Siggi que tout va bien, qu'il a dû comprendre la leçon, qu'on est très content de lui., mais qu'il faudrait voir à mettre un terme à une situation qui devient embarrassante pour tout le monde. C'est alors que l'adolescent se dresse contre cette décision et exige littéralement que sa punition soit prorogée tant qu'il n'aura pas mené à son terme sa “rédaction”. Ce qui lui est finalement accordé. Voilà où j'en suis arrêté.

Siggi Jepsen est devenu écrivain en acceptant la punition, ou plutôt en la faisant sienne. Juste après cet épisode, il se voit proposer un plan d'évasion par trois de ses camarades : il refuse de les suivre pour retourner se faire enfermer dans sa chambre-cellule. Entre une évasion ne débouchant sur rien de précis, sauf de vagues rêveries d'adolescent, et une claustration lui permettant de ressaisir tout le passé, de l'ordonner, de le mettre en lumière, il n'a que très peu hésité et sa réponse a été ferme, malgré l'incompréhension méprisante qu'elle suscite chez le camarade qui lui a proposé l'évasion.

Lorsque, dans la première partie du roman (située en 1943), le policier, père de Siggi, annonce au peintre qu'il doit cesser toute activité artistique à compter de maintenant, l'artiste l'avertit catégoriquement : « On ne peut pas s'arrêter de peindre. » De même, ayant commencé, Siggi ne peut non plus s'arrêter d'écrire – et tous deux le font et feront au prix d'un enfermement. Mais je suis obligé de m'arrêter là, puisque là aussi s'est arrêtée ma lecture.

Tout de même, encore ceci : Siggi a un frère aîné, absent au début du roman. Klaas s'est volontairement mutilé pour échapper au front, et il a été incarcéré dans une prison-hôpital des environs de Hambourg. Il s'en évade et, en se cachant, vient demander à son jeune frère, de le protéger. Celui-ci l'enferme dans un moulin désaffecté dont il s'est fait un refuge. Mais Haas, qui est incapable de dire pourquoi il s'est échappé de son hôpital, ne supporte pas cette claustration pourtant passagère et bienveillante. En moins de vingt-quatre heures de solitude, à attendre le retour de Siggi, il parvient pratiquement au bord de la folie, d'une espèce de folie, qui reste d'ailleurs mal identifiée, dans le flou. Le parallèle s'esquisse donc, entre l'enfermement consenti, assumé, revendiqué même, et l'évasion sans but, qui n'est qu'une fuite en avant vers... Vers quoi ? Vers le moulin lugubre pour Klaas et vers les dangereuses eaux de l'Elbe en crue pour les trois camarades de Siggi.

Qui est libre ? Qui erre ? La littérature (l'art en général) est-elle une punition ? Et doit-elle être acceptée pour se muer en une liberté supérieure ? Les questions sont bel et bien posées, me semble-t-il (et dans une langue superbe, onduleuse, colorée – une écriture de peintre, et de peintre tout de couleurs et de lumière).

Dix heures et demie. – Logiquement, ce journal devrait s'interrompre assez vite, faute d'avenir, ou plutôt de viabilité. Je me suis en quelque sorte piégé tout seul, mais je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement. Si ce journal existe, je sais très bien que c'est uniquement grâce à (à cause de) sa publication mensuelle. Sans cette carotte, je l'aurais abandonné depuis déjà des mois, et sans doute jamais entrepris.

Mais la publication, justement, en est la mort à court terme. J'ai écrit cette phrase ici même il y a quelques semaines : Le journal intime : je vous dis tout mais n'espérez pas en savoir davantage. Phrase reproduite aujourd'hui sur le blog-mère. Eh bien voilà l'aporie, au moins en ce qui me concerne : comment tenir un journal où l'on dirait tout, sachant que, le publiant, il faudra en soustraire un certain nombre de choses, et généralement celles qui vous tiennent le plus à cœur, afin de ne pas peiner voire blesser tel ou telle ? Bien sûr, on peut toujours tenir deux journaux, ou du moins extraire le publié de l'autre, de sa matrice. Mais quel intérêt, si l'on n'est pas écrivain par ailleurs, de tenir un journal que personne ne lira jamais, simplement parce qu'il n'intéressera personne, et encore moins après la mort de son auteur ?

Il est bien possible que les vrais diaristes se moquent de ce genre d'interrogations ; que tenir leur journal ne dépend en rien de ces contingences, que cela leur est tout simplement constitutif. Mais alors, retour à la même question : si l'on n'est pas diariste à ce point (et je ne crois pas qu'on puisse l'être à un point moindre, inférieur), pourquoi tenir un journal ? On tourne en rond.

Néanmoins, au même moment, j'ai bien envie de noter les deux ou trois réflexions que m'inspire le disque de Vallet, écouté simultanément (ou plutôt juste avant de me mettre à écrire ici). Et où les écrire ailleurs qu'ici ? Où noter ces sensations volatiles, intenses et évidentes sur le moment mais fugitives, parce que nées de l'heure, d'un état, d'une conjonction avec la pluie ou le vent au dehors ? Évidemment, vu leur intérêt, on pourrait tout aussi bien ne pas les noter du tout, et ce serait sans doute sage. Oui mais si on en a envie ? Si on tient vraiment à les fixer, au moment où elles se présentent ? (Et justement elles se sont envolées, le temps que l'on écrive autre chose, et on se désespère un peu de ne pas les retrouver.)

Je me souviens de la tonalité générale de ce que je voulais dire. Cela tournait autour de la construction classique de cette musique, de la présence d'adagios, de scherzos, non plus juxtaposés, sortant les uns des autres, s'engendrant par paliers (mais c'est sans doute déjà dire une sottise), mais se mêlant de manière beaucoup plus intime, se présentant tous presque simultanément... Et, à ce moment, j'avais des exemples précis à l'appui de cela. Mais, le temps de finir ce que que je faisais, achevant de dire ce que j'écrivais, tout s'était envolé – et il me faudra du temps et des écoutes pour retrouver cela, si je le retrouve.

Les mots, ça console et ça venge ? Pas si sûr. Ça peut aussi bien vous crucifier si vous les tirez par la queue sans être à la hauteur de leurs exigences. Ou pis : passer sans vous voir, comme dans une chanson de Trenet.

Je me suis un peu évadé de mon sujet initial : le journal. C'est que je n'ai pas de réponse : continuer en s'amputant ou s'envoyer par le fond ? Il semble aller de soi qu'un Gide – et même un Léautaud – ne pouvaient pas se poser la question de la même manière, dans la mesure où ils existaient en dehors (et surtout Gide, encore une fois) et que, donc, leur journal était un complément de leur œuvre – même si, pour Léautaud, elle en constitue le principal massif. Oui mais, alors, quid d'un Samuel Pepys ? D'un Amiel ? Et même de Léautaud, dont le journal débute dix ans avant sa première publication (Le Petit Ami) ?

(Et, juste là, alors que je viens de passer du disque de Vallet à L'Offrande musicale, et que la pluie se remet de cette partie nocturne, je suis pris d'une crise d'éternuements comme mon oncle/beau-père en avait souvent, et qui rend n'importe quel homme ridicule – sauf s'il est absolument seul, comme c'est heureusement le cas.)

Donc, pour en revenir... Eh bien, si on va au fond, on bute sur ce que je dis obstinément, et qui me fait souvent passer pour un poseur : tricherie. Donc imposture. Internet permet ceci, en effet, de n'être nullement écrivain mais de “publier” tout de même et d'avoir vingt lecteurs (sincères, sans aucun doute, mais s'abusant néanmoins) qui vous tiennent pour un écrivain. Pourquoi vous tiennent-ils ? Parce qu'ils vous aiment bien par ailleurs ? C'est une raison solide, évidemment. Elle ne tient pas si vous avez vingt mille lecteurs, mais vingt oui.

Il y a aussi (mais je change de sujet, là) que l'époque fait tout pour vous empêcher de voir clair. Entre ceux qui vous tiennent pour un pic de culture (Puits de science ! Luminaire céleste !) parce qu'eux-mêmes sont parfaitement incultes et répugnent à l'admettre, comme tout un chacun, et ceux qui vous flétrissent d'élitisme dès que vous citez un écrivain (un peintre, un musicien...) dont ils n'ont jamais entendu parler, comment adopter une attitude à peu près naturelle ? On en arrive à cette solution que l'on se reproche, mais en silence et tout seul, qui consiste à faire profil bas devant le pithécanthrope satisfait, à presque s'excuser d'avoir lu tel livre, de se poser telle question, etc. Et à l'assurer que, oui, il a raison, on tortille du cul pour chier droit, alors que lui, ignorant magnifique, a bien raison de se redresser sur ses pattes de derrière, puisque telle est sa fierté et son horizon ultime.

Mais merde, pourquoi ? Cet adjectif, “élitiste”, que les chimpanzés modernœuds nous balancent quotidiennement à la figure, pourquoi ne le revendiquons-nous pas ? Même et surtout si l'on a conscience que des humains, beaucoup d'humains, nous sont supérieurs ? Être élitiste ne signifie pas se sentir supérieur à tout le monde : c'est avoir la pleine conscience qu'on est encore inférieur à certains ; qu'il y a encore du travail à fournir pour devenir soi-même. Mais je m'énerve tout seul, là...

Tentons de poursuivre. Par quel mécanisme mental pervers me porte-t-on à charge les trente ou quarante livres que j'ai lus, alors qu'ils ne me servent qu'à contempler l'immense désert de ceux que je n'ai pas lus, ou lus et pas compris ? Et comment peut-on être assez bête pour penser et dire qu'un Jérôme Vallet se barde de ce qu'il connaît de la musique pour mépriser et enfoncer ceux qui l'ignorent, alors que personne, il me semble, n'est aussi humble devant elle, et aussi désolé de ce qu'il en ignore ?

Non mais pour qui nous prenez-vous, à la fin des fins ? Vous ne voyez pas la perversion mentale qui est la vôtre ? Parce que lui est capable d'accorder un do avec un ré, et moi d'écrire correctement une phrase sujet-verbe-complément, vous commencez par nous engluer de sirop (Musicien ! Écrivain !), pour mieux ensuite nous affirmer qu'on ne devrait pas se vanter d'être musicien et écrivain parce que, vraiment, dans le genre, il y a mieux. Mais qui sait plus que moi que je ne suis pas écrivain ? Et qui mieux que Jérôme Vallet a mesuré sa taille par rapport à celles de Beethoven et Bach ? À votre avis, petits je-sais-tout improductifs ?

Non, parce que, si vous nous poussez à bout, on peut aussi avoir des sursauts d'orgueil, vous savez ! Je laisserai humblement la musique à Vallet, mais enfn, pour ce qui concerne l'écriture, je peux démontrer à un certain nombre de blogueurs (c'est-à-dire à presque tous) que s'ils avaient un minimum d'amour-propre ils fermeraient définitivement leur triste boutique. Puisque non content de ne savoir que répéter ce qu'ils ont lu, ils ne peuvent le faire qu'en y ajoutant des lourdeurs, des fautes, des impropriétés, des approximations – bref, finalement : ils ne savent que montrer la manière dont ils pensent.

Mais, disant cela, je deviens élitiste. Je refuse aux gens ayant des choses merveilleuses à dire de le faire, sous prétexte qu'ils ne savent pas le dire selon les normes de la culture bourgeoise dominante. Hein ? Avouez que c'est ça ! Le problème est qu'on ne dit pas des choses subtiles dans un langage imbécile, de même qu'on ne confectionne pas un repas sublime avec des merdes de chez Leader Price, ni qu'on ne se confectionne ses plus beaux souvenirs amoureux avec une pute droguée ramassée au long des Maréchaux. C'est brutal, mais ça reste vrai.

Reprenons. Si je comprends bien ce que je lis dans la blogosphère (de gauche, évidemment : celle de droite reste attachée bêtement à la culture), on peut éventuellement avoir lu des livres (ç'a un côté folklorique, amusant), mais on ne doit jamais s'en targuer, s'en prévaloir. Or, je suis d'accord avec cela : on ne doit pas s'en prévaloir, ce serait parfaitement absurde et snobinard. En revanche, il n'est pas mal d'essayer de “faire passer”. Pour ne parler que de moi, je ne pardonnerai jamais à l'humanité de ne pas m'avoir offert de ces “passeurs”, dans ma jeunesse, hormis les deux ou trois que j'ai rencontrés tout seul, et qui n'avaient rien à voir avec l'Éducation nationale.


Mardi 5

Sept heures et demie. – Mais quelle logorrhée ! Je me demande encore ce qui m'a pris d'écrire des tartines pareilles, hier soir, en alignant les pastis comme des soldats de plomb (le même plomb qui ornait ma tête ce matin). Le plus étonnant est que, à part la fin que je supprimerai sans doute, le reste se tient plutôt droit. Du coup, aujourd'hui, vertu et eau minérale. Et fainéantise puisque je n'ai toujours pas écrit le Sartre & Beauvoir que je dois rendre demain à FD pour mise en page. J'en serai quitte pour le faire durant l'heure du déjeuner, entre bento et lecture-canapé.

J'ai interrompu pour la journée ma lecture du roman de Lenz afin de lire le court Journal de Marseille de Taillandier, sorte de promenade touristico-historico-littéraire, qui m'a fait penser (mais en bien différent) aux “Départements” de Renaud Camus. Je l'ai terminé juste avant de dîner et compte, s'ils ne l'ont pas déjà lu, l'envoyer à Anna et Dominique, puisqu'à Marseille ils sont contraints de vivre.

Demain, arrivée de Ludovic. Et reprise du travail pour moi, après ces onze jours de jachère.


Mercredi 6

Huit heures et quart. – Jérôme Vallet prend plaisir à me torturer. Du moins, il ne veut pas se torturer tout seul. D'où la vidéo qu'il met en lien sur le blog-mère où l'on voit un splendide connard, cachant ses yeux, qui se plaint de ce que les tables d'orientation ne signalent pas davantage les clapiers où vivent ses frères de race plutôt que le Mont Blanc. Encore une fois je reprécise : ce pauvre vociférant a raison de récriminer comme il le fait, puisqu'il trouvera automatiquement des Célestes, mâles et femelles, pour s'agenouiller devant lui, lui demander pardon, etc. Dans six mois, on rajoutera son clapier das le paysage, et dans un an ou deux on virera le Mont Blanc, parce qu'il s'appelle "Blanc". Ou bien, il se trouvera un député (de droite comme de gauche : mêmes raclures désormais) pour rebaptiser ce pic Mont de la Fraternité (par exemple). Et tout sera dit. Je suppose qu'on lancera un concours citoyen, pour déterminer le nouveau nom du Mont Blanc, relié par Le Monde, Libération, Médiapart – et la plupart des blogs les plus atteints idéologiquement, les plus haineux d'eux-mêmes, ceux que l'on trouve dans mon asile personnel.

Pic du métissage, pas mal non plus : de l'allure, du dans-le-vent. – Et on viendra de loin, faire du snow-machin sur la mer de glace, rebaptisée la Mère de glisse, pour le fun. Et au sommet des remonte-pente, les bonnets rose fluo seront priés de s'extasier sur la vue plongeante qui leur sera offerte, regards braqués vers Lyon, non vers la Croix-Rousse ou les Terreaux, mais droit sur ces fières cités immondes où se mitonne l'avenir de notre pays.

Cool.

Dix heures. – Évidemment, ça devient pénible (pour lui, je suppose) ; chaque soir où, seul, je récoute le disque de Vallet, j'ai immédiatement envie de lui infliger un nouveau mail pour lui dire à quel point j'aime ce que j'écoute : c'est absurde. (Du reste, par exemple ce soir, je parviens à m'en empêcher.) Mais c'est aussi que chaque écoute fait naître des idées, des sensations (déclenchées vers la foule secrète des esprits...) nouvelles ; ou pas si nouvelles, mais qui se précisent. Et, lorsque cela se produit, je deviens comme une sorte de gamin idiot, et j'ai envie de le lui dire, là, maintenant, tout de suite. Si nous habitions à trois maisons l'un de l'autre, je serais capable d'aller tambouriner à sa porte à une heure du matin pour lui dire : « Jérôme ! Jérôme ! je viens de comprendre un truc ! » Il a de la chance, finalement : je sens qu'on se fâcherait très vite...

Sans importance, du reste : on s'est déjà fâché plusieurs fois – surtout lui d'ailleurs. Et on se refâchera, je le sais très bien – et ce sera encore probablement lui. Et sans doute se fâchera-t-il parce que j'en suis, moi, incapable. Si j'ai bien compris, cela fait partie de ce qu'il me reproche : je n'arrive pas à être à l'unisson de ses colères. Cette facilité que j'ai à admettre les gens comme ils sont l'énerve ; il me souhaiterait plus roide, je suppose.

Il n'a pas tort. J'admets en effet les gens comme ils sont. Enfin, je crois. Au fond, il est possible que Jérôme Vallet aime davantage les gens que moi. Et que, du coup, il leur pardonne moins, qu'il s'en foute moins. La différence est peut-être là, et c'est possiblement le fond de ce qu'il me reproche : cet ondoiement dont je ne peux me départir, cette incapacité que j'ai à trancher, ce manque absolu à décider de qui est digne de fréquentation et qui ne l'est pas.

Catherine, de ce point de vue (et de tous les autres, d'ailleurs), me connaît bien. Elle sait mieux que quiconque – et à peu près comme Vallet – mon incapacité à l'affrontement, ma répugnance à opter pour Paul contre Jacques, ou l'inverse.

Et voilà deux soirs – mais pas de suite – qu'après le disque de Vallet, j'écoute L'Offrande musicale, et que je trouve sans doute non un rapport mais... Mais quoi ? Évidemment je ne sais pas. Si, au fond, peut-être un rapport. Mais alors lequel ? Je suppose que Vallet le premier trouverait cela absurde. Pourtant, je persiste : L'Offrande derrière son disque à lui, il y a quelque chose, quelque chose qui fonctionne. Il ne s'agit pas de mettre Vallet et Bach en regard, dans les plateaux de je ne sais quelle balance. Mais par exemple, je ne vois pas comment je pourrais écouter cette même Offrande après une symphonie de Mahler ou un quatuor de Beethoven (ça ne se discute pas !). Plus facilement en revanche, plus naturellement, à la suite d'une pièce de Webern (mais moins de Schönberg : qu'on ne me demande surtout pas de m'expliquer). Enfin voilà, après Jérôme Vallet, Bach ne crée aucune rupture, si l'on veut. Et je me demande si ce n'est pas une affaire de contrepoint, comme j'en parlais il y a quelques jours, je ne sais même plus où – ici, probablement.

Parce que, enfin, à propos de contrepoint, il me semble (je sais que je l'ai déjà dit, mais merde !) que Jérôme Vallet surclasse tous les musiciens “concrets” que je connais (ce qui est sans doute peu). Je me demande même s'il n'est pas le seul à s'en soucier, et s'il n'est pas non plus le seul – dans ce domaine étroit – compositeur lyrique, c'est-à-dire le seul à tendre vers l'opéra. Il m'a parlé une fois d'une symphonie qu'il avait en tête et qu'il voudrait écrire : j'aimerais bien qu'il le fasse, évidemment. Mais plus j'écoute son Double silence et plus je me demande s'il ne devrait pas plutôt écrire un opéra. Mais, naturellement, qui suis-je pour en juger ? Néanmoins... Cette maîtrise des voix... Et, encore une fois, ce contrepoint que je perçois, sans y rien comprendre, mais qui me permet, avec mes oreilles de sourd, de l'apparier avec Bach...

Changement radical de sujet. Ce matin, exceptionnellement, je me suis levé avant Catherine. Et, tout aussi exceptionnellement, Elstir avait moulé deux superbes colombins au beau milieu de la salle à manger. Je passe sur l'odeur épandue dans la maison. L'une de ces deux merdes (très molle) était sur l'un des tapis qu'on laisse devant la porte d'entrée ; l'autre, énorme (mais plus ferme...), était juste à côté. J'ai tenté de replier celle-là sur celle-ci afin d'éliminer le tout et me suis vu au bord de vomir par-dessus l'ensemble – envie irrépressible. Il m'a donc fallu aller – très gentiment – réveiller Catherine, pour lui demander si, par hasard, elle ne s'en ressentirait pas de... Elle a été parfaite.

Aujourd'hui, travaillé vingt minutes en tant que rewriter, plus deux heures comme déménageur, puisque nous en sommes à faire nos cartons avant notre départ pour la maison mère (immeuble Europa, rue Anatole-France, à 50 m d'où nous sommes encore). Si tout se passe comme prévu, ce déménagement devrait se traduire par deux journées de vacance.

Finalement, Catherine a raison : moi aussi je souhaite qu'on me vire de ce canard aussi vite que possible. Non à cause de FD, que je continue à bien aimer, mais pour tout ce qui se passe autour, l'ambiance de travail mesquine, petite, frôlant parfois l'ignoble, terriblement triste par rapport à ce que j'ai vécu auparavant. Je voudrais me désengager du monde, et rapidement. Je plains énormément les jeunes gens de trente ans : en regard de ce que j'ai connu, ils sont des esclaves, et des esclaves forcément consentants puisqu'ils n'ont jamais rien connu d'autre.


Jeudi 7

Trois heures et demie. – J'en ai déjà parlé ici (et peut-être également là), mais il me semble qu'il faut y revenir un peu. Je parle de la remarque piégée : « Vous qui êtes quelqu'un de très cultivé... » D'abord, il convient de noter, je crois, que la formule est absurde dans son principe : la culture, ou le fait d'être cultivé, ne peut pas du tout être un absolu. On est plus cultivé qu'une personne, moins qu'une autre, autant qu'une troisième, peut-être, ou bien on est plus cultivé qu'on ne l'était soi-même dix ou vingt ans plus tôt, mais on n'est pas cultivé tout court. Et même ce prudent comparatif est bien sujet à caution. Par exemple comment déterminer qui est le plus cultivé des deux, entre un homme qui aurait grappillé toutes les littératures du monde de toutes les époques et un autre qui connaîtrait en profondeur et parfaitement la littérature française du XVIIIe siècle, mettons, à l'exclusion des autres ? Du reste, la question n'est pas seulement insoluble, elle est aussi purement rhétorique. Car enfin, on imagine mal une personne ayant suffisamment d'appétence littéraire pour creuser à fond son sujet, et se désintéresser absolument de tout ce qu'il y a autour. Cela posé, revenons à notre formule piégée.

Dans l'optique “relativiste” que l'on vient de dire, il va de soi qu'il faut toujours entendre : vous qui êtes plus cultivé que moi. C'est même pour cela qu'on ne s'entend presque jamais dire : « vous qui êtes cultivé... », mais bien : « vous qui êtes très cultivé... » – sous-entendu plus que moi qui le serai toujours bien assez. Et c'est là qu'est le piège, évidemment. car si on laisse dire, on se transforme en cuistre ou en fat, au moins à ses propres yeux ; on se vautre dans l'imposture. Mais si l'on rectifie en précisant que non, pas du tout, vous faites erreur, en réalité je ne suis qu'assez médiocrement cultivé – ce qui est en effet ce que vous pensez de vous-même –, dans ce cas vous déclarez tout uniment à votre interlocuteur que lui l'est encore plus médiocrement, voire pas du tout. Ou, si vous ne le lui déclarez pas explicitement, au moins vous l'invitez à se voir tel dans le miroir que vous lui avez tendu.


Vendredi 8

Neuf heures du soir. – Les blogueurs sont des gens étonnants. Les modernœuds en général sont des gens étonnants, avec leur vertu à géométrie variable. Aujourd'hui, le réjouissant CSP nous gratifie d'un petit billet dans lequel il m'associe étrangement à Jérôme Leroy (je dis étrangement car Leroy et moi ne nous connaissons absolument pas et parce que, en outre, je me sens assez peu d'affinités avec lui), et où il nous traite tout tranquillement d'alcooliques, comme ça, en passant, sur le ton que l'on prend pour rappeler une évidence universelle. Déjà, je ne sais pas ce qu'il en est de Leroy, mais enfin, en ce qui me concerne, je ne le suis nullement, alcoolique. Pur coup de chance, j'en conviens, ivrogne tant qu'on voudra, mais alcoolique non. Évidemment que ce brave petit CSP se foutrait de moi si je venais lui rappeler que, citant mon vrai nom, il peut par cette assertion me causer un tort considérable (professionnellement, par exemple) et que, partant, je serais fondé à le traîner devant je ne sais quel tribunal, chose qui bien entendu ne m'a pas effleuré l'esprit une seconde.

Mais enfin, il ressort que pour ces gens-là, on devient une pourriture nazoïde dès que l'on émet un doute, aussi léger soit-il, sur l'immigration (exemple pris totalement au hasard...) ou sur la parfaite moralité républicaine de tel trigame barbu, toucheur d'allocs en tous genres et bâcheur de femelles, mais que l'on peut tout tranquillement taxer quelqu'un d'alcoolisme – lequel est censé être, je le rappelle, une maladie. Si moi, je risque une plaisanterie sur les enfants mongoliens ou sur les aveugles qui s'emplâtrent la gueule dans un réverbère, je vais illico passer pour un monstre. Mais se moquer de supposés alcooliques (à condition qu'ils aient été au préalable estampillés de droite, bien entendu) ou faire des blagues atroces sur les vieux, ça c'est très fun. Le signe d'une belle indépendance d'esprit. Eh bien, n'en déplaise à ce pauvre CSP, mimant la révolution dans son HLM pourri, je préfère prendre une murge tout seul dans mon salon en écoutant L'Offrande musicale que d'aller pousser de la fonte avec lui dans sa salle gymnique de pue-la-sueur. Bon, il est vrai que je l'avais un peu titillé avec mon billet d'hier soir. Le pis est que je ne peux me défendre d'une certaine sympathie, bien réelle, pour ce garçon. Je le trouve rafraîchissant, il me rajeunit.

À part ça, rien d'intéressant à signaler. Sinon que je m'enfonce avec délices dans les symphonies de Bruckner, dont je viens de commander l'intégrale par Jochum, pour le prix imbattable de 24,90 €. Et que Jérôme Vallet va probablement me faire parvenir les mêmes symphonies, mais par Karajan. On éprouve un sentiment de petite victoire lorsqu'on parvient à pénétrer dans une œuvre qui vous était auparavant fermée (fermée par pur préjugé, du reste). L'impression, certes volatile, de s'être hissé quelques centimètres au-dessus de soi-même.

À FD, on vit dans les cartons et la fièvre du déménagement des bureaux, qui aura lieu le 21 octobre prochain. J'espérais que ça se prolongerait le vendredi 22, veille de notre mariage, mais non. Je découvrirai les nouveaux locaux deux semaines plus tard, à mon retour de vacances. De toute façon, il s'agit d'un déplacement de 80 mètres au plus...

Axelle “Crevette”, à qui je prédisais par jeu, voici quelques semaines, sur ILYS, qu'elle n'allait pas tarder à nous mettre un neuvième enfant en route, Axelle est en effet enceinte. Elle vient de nous l'annoncer par mail, à Catherine et à moi, alors que ses propres enfants (les déjà faits...) ne sont pas encore au courant. Il faudra d'ailleurs que je pense à lui demander si elle leur a finalement dit, avant de publier ceci fin novembre. Neuf enfants ! Je ne comprends pas comment ils font (pas pour les fabriquer : pour supporter la charge)...

Dix heures et demie. – Il va falloir que je songe à arrêter d'écrire sur le disque de Jérôme Vallet à chaque soir où je l'écoute : ça devient ridicule, radoteur. D'autant que, me mettant à pianoter ici, je cesse aussitôt de l'écouter vraiment. Et que, le temps de mettre l'ordinateur de Catherine sous tension, j'ai perdu ce que je voulais dire un instant auparavant.

Mais enfin, là, non, pour une fois. Jérôme Vallet a réactivé un fantasme récurrent chez moi : celui du professeur. De l'homme-qui-sait et, du coup, va me rendre moins con, moins ignorant. Ce fantasme personnel porte sur deux domaines principaux : la philosophie et la musique. Lorsque nous vivions près de Mortagne-au-Perche, alors que je venais de découvrir les livres de Michel Onfray – lequel vivait à Argentan, à trente kilomètres de chez nous –, je lui avais écrit une assez longue lettre pour lui demander de devenir mon professeur particulier. Il m'a répondu avec célérité, mais pour m'envoyer courtoisement paître, ce que je comprends parfaitement. Si bien que, aujourd'hui, je n'ose plus trop dire du mal de tel ou tel de ses livres, parce que je me demande toujours s'il ne s'agirait pas par hasard (?) de la réaction dépitée d'un amoureux éconduit.

La musique, maintenant. Le fantasme est actif, chez moi, depuis très longtemps, de rencontrer quelqu'un qui pourrait m'apprendre la musique. Non pas jouer d'un instrument, je sais bien être trop vieux pour ça, mais m'enseigner des rudiments (au moins) d'architecture. Que veut dire que telle sonate est en sol mineur ? Qu'est-ce qu'une fugue ? La forme sonate ? Un contrepoint ? Etc. Voilà ce que je me consume d'ignorer.

Et survient dans ma vie Jérôme Vallet. D'où réactivation, presque douloureuse, du fantasme : je m'imagine habitant Alès, venant chez lui deux fois par semaine, pour qu'il m'ouvre ces portes obstinément fermées. Moi le rétribuant, bien sûr, parce qu'il convient de respecter les formes : que nous ne soyons plus deux quinquagénaires se connaissant vaguement, mais un professeur et un élève, séparés par tout le savoir mais, de la part de l'élève, aspirant à réduire cet écart autant que faire se pourrait – voilà ce dont je rêve, certains soirs. Seulement, il a le mauvais goût de vivre dans le Gard, ou moi celui d'être en Normandie. Je ne connaîtrai jamais rien à la musique, tant pis pour ma gueule.

Dans une moindre mesure, par une sorte de “réactivation dérivée” si je puis dire, et pour revenir de la musique à la philosophie, le fait d'avoir connu Damien m'a presque ramené à ma “période Onfray”. Mais beaucoup moins : j'ai fait mon deuil de la philosophie. Trop vieux, trop con, pas assez de temps, plus suffisamment de neurones. Cela étant, si Jérôme Vallet était là, il me rétorquerait probablement que la musique n'est ni moins subtile ni moins ardue, ni moins vaste que la philosophie, et bien entendu il aurait raison.

Donc, je vais rester ignare, tant pis. Je continuerai à lire des livres, à en comprendre 10 à 15 %, mais à y prendre plaisir : rien de mieux pour patienter jusqu'à la mort.


Samedi 9

Sept heures et demie. – Pas envie. Non, vraiment, aucune envie, ce soir, d'écrire dans ce journal. D'abord parce qu'il ne s'est rien passé de notable en cette journée. Sinon que j'ai suspendu la lecture du roman de Lenz, ne résistant pas à l'envie que j'avais d'aller jeter un coup d'œil au Balzac et son monde de Félicien Marceau. Dont je viens d'apprendre avec une certaine surprise qu'il était encore vivant (97 ans tout de même) et que son véritable nom est Louis Carette.

Le mariage se rapproche dangereusement, le stress monte gentiment.


Dimanche 10

Trois heures. – Le livre de Félicien Marceau est décidément dangereux, en ce sens qu'il me donne de plus en plus envie, à mesure des pages, de reprendre Balzac. Or il ne le faut pas, ce ne serait pas du tout raisonnable, compte tenu de tous les livres qui m'attendent sur le petit meuble du salon, à droite de mon fauteuil. Et puis, on sait comment ça marche, on ne le sait que trop bien : on se dit que relire Le Cabinet des antiques (c'est celui qui me fait envie, là, tout de suite) ne va pas nous manger tant de temps que ça, mais sitôt refermé celui-là, on aura envie de le prolonger par un autre (vous reprendriez bien un peu de Cousine Bette ? Deux doigts de Modeste Mignon ?). Et c'est fini, on se retrouve pour deux ou trois mois dans le tunnel balzacien. Non, non, pas de ça, mon garçon !


Lundi 11

Sept heures et demie. – Eh bien, pas plus envie d'écrire ici qu'hier. Commencement de la fin ? Ah, si, tout de même : j'ai pris ce matin la décision d'arrêter complètement l'alcool le 25 octobre : ce sera mon cadeau de mariage à Catherine. Bien entendu, je ne lui en ai rien dit. D'abord parce qu'on ne dévoile pas un cadeau avant de le faire, et qu'ensuite, je me ménage comme toujours une petite porte de sortie. Si je change d'avis, j'en serai quitte pour effacer ces lignes avant la publication de fin novembre, afin de m'éviter un ridicule trop ostentatoire.

Demain, nous allons à Évreux afin de tenter de m'acheter un costume (nuptial) et une ou deux chemises (partiellement nuptiales elles aussi, au moins l'une d'elles) – tout ce que je déteste, donc. Les seules pièces de vêtement que je prends plaisir à m'acheter ce sont les chaussures. Et seulement dans les magasins qui valent la peine qu'on s'y arrête, genre Weston ou autres du même niveau de qualité et de service. Je suis coquet des pieds, et c'est à peu près tout. Nous allons nous livrer à ces édifiantes activités le matin, afin d'éviter les hordes à drapeaux revendicatifs et à ballons multicolores qui vont déferler sur la ville à partir de deux heures et demie : je ne tiens pas à me trouver englué dans les cortèges de la France en pré-retraite.

Rien sur les blogs, à part les sempiternelles âneries sur les retraites et les manifestations de demain, justement. Même pas envie d'en parler. De toute façon je n'ai à peu près rien lu de ce fatras, sinon selon une diagonale très pentue.


Mardi 12

Sept heures et demie. – Je suis passablement accablé par la teneur des “récriminations” qu'a entraînées mon billet d'hier, qui traitait (fort sommairement et assez maladroitement) de la haine de l'art, sentiment que je persiste à croire assez répandu et qui me semble directement découler d'une autre haine contemporaine, encore plus répandue et virulente, celle de l'inégalité entre les hommes. Personne ne semble vouloir plus admettre qu'il y a des hommes “supérieurs absolus”, et que nous sommes tous des hommes “supérieurs relatifs” (à certains) et par voie de conséquence “inférieurs relatifs” (à d'autres). Non, non, me dit-on avec un mélange d'empressement et d'affolement perceptible : ne parlez pas de supériorité, dites différence. Mais oui, je veux bien, moi, parler de différence ! Encore que je préfère toujours parler de différences. Mais n'attendez pas que je confonde différence avec supériorité, et encore moins que j'annule le second au profit du premier. Parlons des différences entre Stendhal et Flaubert, si vous voulez : c'est un sujet intéressant. Encore que, pour en dire des choses vraiment fécondes, il y faudrait une intelligence supérieure à la mienne. Mais vous voudriez vraiment que l'on perde ne serait-ce que cinq minutes à évoquer les différences entre... je ne sais pas moi : Arnold Schönberg et sa ligngère ? Virginia Woolf et son jardinier ? George Clemenceau et son banquier ? Louis-Ferdinand Céline et ses patients ? Charles Baudelaire et Ernest Pinard ? Réellement, ça vous amuserait ? Eh bien pas moi.


Jeudi 14

Neuf heures du soir. – Donc, voilà : rien hier. Et, sans doute, rien ce soir non plus. Enfin, si, ce soir. Forcément des choses, puis que j'ai bu, mais des choses que je supprimerai sans doute au moment de publier cette pauvre chose, ce journal.

La décision est prise : passé le mariage, j'arrête complètement et définitivement de boire. C'est-à-dire que, ce jour-là, ou plus certainement le lendemain (et à condition que je respecte ma propre décision, ce qui n'est pas certain), je boirai le dernier verre de ma vie. Car je compte procéder comme si j'étais alcoolique, c'est-à-dire ne plus jamais boire la moindre goutte d'alcool.

Ce qui est une façon de me punir, mais je ne sais pas trop de quoi. C'est aussi une manière de me priver pour faite plaisir à Catherine, puisqu'elle n'aime pas que je boive (même si elle boit aussi, mais dans des proportions sans commune mesure). Et puis, entre moi et moi, il est exact que j'ai assez bu. Je ne tiens pas particulièrement, je crois, à augmenter mes années d'existence, de toute façon je vois bien l'arnaque des hygiénistes de ce point de vue, mais il se trouve que j'ai fait le tour de la question (plusieurs fois, d'ailleurs...).

Je mâchouille l'affaire depuis quelques jours, j'essaie de m'affermir dans cette résolution. Je sens le gouffre sous mes pieds : ne pas boire à titre personnel n'est rien, mais comment supporter les autres à jeun ? Voilà mon problème. Commet accepter une invitation de X ou Y à déjeuner (et même si j'aime beaucoup X ou Y) en me disant que je ne vais boire que de l'eau ? Comment se débarrasser de la certitude que je vais être chiant et que je vais m'emmerder à cent sous de l'heure ? C'est-à-dire, en fait, accepter l'idée que je suis inapte à ce genre de “contacts sociaux” ?

Mais alors, oui, sans doute : c'est l'habitude de boire qui crée ce genre d'illusion que l'on est supportable uniquement grâce à une certaine quantité d'alcool. En réalité, on ne doit pas être plus supportable à jeun (mais moins bruyant, moins m'as-tu-vu, moins pousse-toi-de-là-que-j'm'y mette) et donc, si on tient compte de la parenthèse, sûrement plus supportable, justement.

Dix heures et demie. – Amusante cabale, depuis deux jours, contre “Georges” sur le blog-mère. Encore plus amusant le fait que, régulièrement, tel ou tel de mes commentateurs (un “nouveau’”, en général) me suggère (c'est-à-dire me somme) de "me" débarrasser (le "me", ici, veut évidemment dire "nous") de ce type qui les gêne. Or, j'ai déjà dit, de façon claire je crois, qu'ils pouvaient tous récriminer à l'envi, mais que Georges resterait, in fine, mon commentateur, tant qu'il lui conviendrait de l'être.

Et, du coup, ça remeugle. Par exemple, je suis surpris de ce Jacques Etienne qui, dans ses premiers commentaires, était d'un accommodement systématique et qui, depuis quelques semaines, ne perd plus une occasion de m'allumer. Il en a le droit, là n'est pas la question, mais enfin... Qui a changé ? Lui ou moi ?

Bon, fin de parenthèse. Revenons à Georges. Tous les autres (non, pas tous, d'ailleurs ; pas Emma, pas Pluton, pas quelques autres) aimeraient que je le vire, parce qu'en effet il les gonfle sans qu'ils trouvent le moyen de lui répondre. Je ne le ferai jamais. Georges sait très bien pourquoi et comment il exagère (car il exagère souvent, oui), mais tout cela m'amuse énormément.


Samedi 16 octobre

Trois heures de l'après-midi. – Cette idée d'arrêter brutalement, totalement et définitivement de boire me séduit de plus en plus. Créer de la sorte un avant et un après. Je suis certain que cela va se faire sans difficulté (mais c'est peut-être une illusion). La seule chose qui m'assombrit un peu c'est de penser aux repas pris chez d'autres gens – ou chez nous mais avec des invités –, car je ne parviens pas à me défaire de l'idée que je vais être très emmerdant pour mes hôtes si je ne bois pas (Catherine, hier, me disait que c'était l'inverse : c'est quand j'ai bu que je deviens emmerdant...) et que je vais moi-même m'ennuyer beaucoup – ce qui est rien moins qu'aimable pour les hôtes en question. Mais enfin, je suppose que la réalité se chargera de me détromper, en tout cas je l'espère. Ensuite, il ne restera plus qu'à en finir avec le tabac, se remettre à la marche quotidienne et mourir en bonne santé.

Ce qui m'amuse, c'est que si mon sevrage marche et si ça vient à se savoir, un CSP en tirera a contrario la conclusion que j'étais bel et bien alcoolique avant.

Je suis un peu déçu par Les Enjeux de la liberté, le recueil d'articles de Vargas Llosa si chaudement recommandé par Damien il y a une semaine ou deux. Il est vrai que je me sens assez éloigné de la pensée libérale. Sans être cependant trop capable de déterminer où je me situe, ni même certain de me situer quelque part, précisément quelque part. Mais enfin, il lui arrive tout de même d'être brillant, dans certains de ces textes. Disons qu'il y est trop question de politique et pas assez de littérature pour mon goût.

J'ai oublié de noter ici que Renaud Camus venait de se déclarer candidat à l'élection présidentielle de 2012. Je trouve la démarche don quichottesque à souhait. Il va de soi qu'il n'obtiendra jamais les signatures requises – je doute même fort qu'il accomplisse la moindre démarche pour cela –, mais ce peut être l'occasion de briser le cercle vertueux du silence autour de son œuvre, ce qui est bien, et autour de son parti fantôme, ce qui est moins bien à mon sens, car il me semble que les In-nocents – au moins certains d'entre eux – le tirent vers le bas, avec leurs rabâchages et leur risible prétention.


Dimanche 17

Huit heures. – Il n'est pas impossible que notre mariage du 23 octobre soit annulé – ou plus exactement reporté sine die. Pour cause de grèves. Si nos invités/témoins venant de la lointaine Alsace ne peuvent risquer le voyage, pour cause de fermeture des raffineries pétrolières, nous serons bien obligés de surseoir, dans la mesure où il est hors de question que nous nous passions d'eux. Ce qui signifierait que Dieu recule devant Besancenot : mauvaise nouvelle. D'un autre côté, je le comprends : si j'étais Dieu, je ne parlerais pas non plus avec Besancenot, préférant le recul au contact. Ou alors, qu'il le foudroie une bonne fois, mais ce serait sans doute lui faire trop grand honneur. Et puis, l'éternité étant à portée de nos mains, quelle importance de repousser ce mariage de quelques mois ?

Sinon, j'ai repris tout à l'heure la lecture de La Découverte du ciel, roman de Harry Mulisch, écrivain hollandais, lu il y a dix ans avec une excitation maximale et presque totalement oublié depuis (contrairement à Catherine, qui s'en souvient fort bien et qui, donc, m'énerve). Fils d'un collaborateur nazi et d'une mère juive, Harry Mulisch a pu dire sans ridicule : « Je suis la Seconde Guerre mondiale. »


Lundi 18

Trois heures. – Ce pauvre mariage semble de plus en plus compromis à mesure que les jours passent et que les conflits, loin de faire mine de se résoudre, semblent au contraire s'aggraver. Je pense que si rien n'est réglé mercredi, nous pourrons faire une croix (!) dessus, car il m'étonnerait que toutes les pompes puissent être réapprovisionnées dans les 48 heures.

Avec toutes ces histoires, je n'ai absolument pas la tête à me mettre au synopsis du prochain BM, ce que je devrais pourtant bien faire si je veux l'écrire durant mes deux semaines de vacances, à compter précisément de ce fameux 23 octobre. Mais j'ai bien plus envie de retourner au salon et de me replonger dans le roman de Mulisch. La routine, quoi.


Mardi 19

Trois heures. – Eh bien voilà, c'est fait : mariage annulé, ou tout au moins reporté (probablement au mois de février, afin de tenir compte des vacances scolaires des jeunes Fernique). Il reste à en avertir tout le monde, depuis les invités jusqu'à la marchande de petits fours, en passant par le restaurateur et le curé. En fait, cela ne me contrarie pas plus que ça, parce que février arrivera vite. Et puis, c'est beaucoup plus raisonnable financièrement, dans la mesure où, alors, le studio sera vendu depuis deux ou trois mois et que nous croulerons sous l'argent (oui, enfin, bon...).

Chez les Ruminants, ce matin, le nommé Rémi Bégouen se lance dans un vibrant auto-panégyrique pour plastronner de ses engagements successifs chez les communistes d'abord, chez les maos ensuite. On peut difficilement avouer sa malfaisante sottise avec plus candeur. J'imagine le tollé si un vieillard encore plus antédiluvien que lui venait nous informer de son engagement premier chez les Camelots du Roi (gentils rêveurs inoffensifs par rapport à la vermine communiste) puis de son basculement chez les nazis, en nous affirmant que, malgré les excès regrettables commis, il ne reniait rien de ses engagements, car c'était au nom d'un idéal, pour un homme nouveau dans un monde neuf. Or, l'homme nouveau et le monde neuf étaient bel et bien présents dans le nazisme, tout comme dans le communisme, cette autre face d'une même médaille. Décidément, cette génération née tout au long des années 40 est vraiment ce qui s'est fait de plus répugnant dans le genre – celle qui m'a vu naître ne valant pas beaucoup mieux, il faut bien le reconnaître.

Heureusement, il est aussi permis de rire de ces enragés de la révolution qui vous avouent ingénument qu'ils ne pourront malheureusement pas aller manifester du fait de leur arthrose...

Quant aux lycéens même pas encore majeurs qui vont défiler pour préserver leurs pensions, j'en ai fait ce matin un petit billet. Je plaisante, mais il y a néanmoins quelque chose de profondément triste dans le spectacle de ces petits vieillards festifs de 17 ans, qui semblent considérer que l'âge adulte pris dans son ensemble n'est rien de plus qu'un passage obligé, morne voire pénible, entre leur jeunesse déresponsabilisée à outrance et leur future vieillesse protégée. Je vois bien pourquoi ils ont sont arrivés là, bien sûr : à lui seul, le spectacle navrant de leurs parents, assorti au matraquage infantile des journaux et de la télévision, devrait y suffire. L'incertitude économique par là-dessus, à laquelle s'ajoute (si elle n'est pas première) la contre-colonisation toujours plus active et arrogante mais officiellement invisible, voilà qui suffit amplement à susciter ces peurs que l'on voit s'exprimer, ces désirs de demeurer du berceau à la tombe à l'état de pensionnaires d'une gigantesque crèche à l'échelle de la société tout entière. Et ce sont les mêmes qui vont venir nous accuser de toutes les “phobies” possibles, alors qu'on peut, soir après soir, les voir trembler de trouille devant les caméras, malgré leurs ballons multicolores et leurs rires morts.

Trois heures et demie. – Et voilà que Fillon annonce un déblocage des raffineries. On parle de quatre à cinq jours. Mais s'agit-il de quatre à cinq jours pour que les stations soient réapprovisionnées, ou bien pour que les raffineries recommencent à fournir du carburant ? Voilà qui, pour nous, pour le mariage, changerait tout. On verra ce qu'ils diront au journal télévisé de ce soir ou, au plus tard, à celui de demain. Après, il faudra bien prendre une décision – commune avec nos invités, évidemment.


Mercredi 20

Six heures. – Mariage toujours en suspens. Nous attendons le journal de huit heures avant d'appeler les Fernique. Et savoir ce que eux ont décidé. Aucun problème du côté des Crevette, qui ont prévu un bidon d'essence “spécial Goux”, ainsi que me l'a précisé Axelle.

Sinon, ces grèves et manifs commencent à me déprimer un peu, non à cause d'elles-mêmes (je m'en fous) mais en raison des tombereaux de bêtise dont elles sont le prétexte dans les blogs, ceux de gauche et encore plus d'extrême-gauche étant bien entendu particulièrement atteints. Quand je parlais de démence idéologique, je crois que j'étais encore en-dessous de la vérité : certains (notamment chez les Ruminants) semblent vivre dans un univers parallèle auquel ni vous ni moi n'avons accès. Et le pire est qu'ils prétendent nous y faire entrer de force. Heureusement, ils sont tellement minoritaires (et vieux...) qu'ils en deviennent rapidement risibles. Cela étant, leur infinitésimal nombre ne les trouble pas plus que ça, enfermés qu'ils sont dans leur logique “parallèle” : les révolutions ne sont-elles pas toujours le fait d'une minorité ? Il n'empêche : j'aimerais bien voir à quoi ressemble une grand action subversive conduite par des gens pour qui, à ce qu'il semble, le petit livre rouge de Mao a depuis longtemps été remplacé par le Vidal comme ouvrage de chevet véritable.

Pendant ce temps, Catherine passe du temps sur les forums afin de savoir quelles pompes sont réapprovisionnées ou pas...


Jeudi 21

Huit heures. – Assez saoul, ce soir. Dans quelques jours, je serai une autre personne. Pour la dernière fois, au volant, peur de la police.


Vendredi 22

Cinq heures et quart. – Le trac monte à El Paso ! Dans 24 heures, la cérémonie sera derrière nous et, devant, la perspective d'un dîner dont je me réjouis grandement. Mais pour l'instant... Heureusement, j'ai eu aujourd'hui quelques dérivatifs : aller chercher mon costume neuf à Évreux, cirer les chaussures, et, il y a quelques minutes, tenter d'apprendre par cœur les trois “répliques” qui seront les miennes au cours de la cérémonie, que je repasse en boucle dans ma tête tout en sachant qu'au moment de les dire, il faudra que je baisse les yeux sur le petit livret confectionné par Catherine (en 15 exemplaires, entièrement à la main !) afin d'en retrouver les mots.

Je me suis arrangé pour qu'il me reste, tout à l'heure, assez de Ricard pour me coucher et m'endormir tôt, mais suffisamment peu pour n'avoir pas à redouter de gueule de bois demain : on n'est pas plus prévoyant.

Pas le temps de traquer non plus demain matin puisque je dois aller conduire les chiens au chenil, filer à Vernon pour récupérer Adrien et Ludovic à la descente de leur train commun, repasser par Pacy afin d'acheter du pain et les petits fours que nous avons commandés la semaine dernière. Dans l'intervalle, les Fernique (qui bivouaquent cette nuit à Reims) seront probablement arrivés, tel que je connais André, au moins aussi “traqueur” que moi de ce point de vue.

J'écris tout cela dans l'attente d'un coup de fil de Brice puisque hier, au sortir de L'Ambiance d'à côté, et en lui tordant un peu le bras, je l'ai plus ou moins contraint d'accepter que je télé-travaille aujourd'hui plutôt que d'aller à Levallois. Jusqu'à maintenant, rien à faire. Ce qui prouve que j'ai vraiment bien fait de n'y pas aller. Je suppose que d'ici une demi-heure, je pourrai me considérer comme sauvé et me consacrer au repas des chiens puis à l'apéritif des humains.

Ce matin, Catherine est passée au presbytère pour je ne sais plus quoi. Ah, si : remettre notre “petite enveloppe”. Lorsqu'elle est arrivée, le prêtre et sa secrétaire étaient en grande discussion, pour savoir s'il était préférable de pendre les syndicalistes ou de les guillotiner... Catherine a dit au curée que lui avait toujours la possibilité de les excommunier. Alors, lui : « Mais ça ne servirait à rien : ils s'en foutent ! » Ce qui est très certainement exact.

Neuf heures. – Je me demande si le fond de ma nature (ou en tout cas l'une de ses composantes les plus agissantes) ne serait pas une certaine forme d'ingénuité – qui s'accentue et devient assez ridicule avec l'âge. Celle qui me fait m'enthousiasmer comme un adolescent à chaque nouvelle rencontre, ne voir (et en les grossissant sans mesure) que les qualités de tel inconnu, dont je suis chaque fois tout prêt à me faire un ami d'enfance. Catherine, dans ces cas-là, ne dit rien et me laisse donner libre cours à cet enthousiasme juvénile (au sens où l'acné est juvénile) ; elle sait que, plus ou moins vite mais immanquablement, va survenir la désillusion, la découverte des défauts, des manques, ou tout simplement des distances existant entre ce nouveau venu et moi. Je le sais moi aussi. Mais je suis absolument incapable d'appréhender un individu globalement : il me faut toujours voir ses qualités (réelles et supposées, presque toujours grossies) avant le reste. J'aurais fait un bien piètre homme politique, un DRH piteux, etc.

D'un autre côté, il reste quelque chose de cet élan initial, de cette "couleur rose" dont j'ai paré tel ou tel, même après qu'elle a totalement disparu officiellement. Je ne saurais dire quoi exactement, mais je suis certain que cette flambée de sympathie, cet élan d'amitié factice laisse sa trace.


Lundi 25

Deux heures et demie. – Eh bien voilà, c'est fait : Catherine et moi sommes donc mariés “devant Dieu” puisque c'est l'expression consacrée. Tous s'est admirablement déroulé, depuis la cérémonie jusqu'au dîner à Acquigny, et même la matinée du lendemain. Comme nous nous y attendions, l'alchimie a parfaitement fonctionné entre les Fernique et les Crevette.

Nous avons pas mal bu, bien entendu, et durant deux jours consécutifs, si bien que je me sens tout à fait vaseux aujourd'hui. Mais enfin, c'était hier ma dernière journée avec alcool et il convenait d'en terminer dignement.

À partir de demain, Brigade mondaine...


Mardi 26

Sept heures et demie. – J'aurais été plus prudent, hier soir, en conclusion, d'écrire : « à partir d'après-demain, Brigade mondaine ». Car pour ce qui est d'aujourd'hui...

La journée n'a pas été totalement inutile, pourtant, puisque, m'armant de patience, je suis allé faire la queue à la pompe (pourquoi cette phrase résonne-t-elle bizarrement en moi ?) pour gorger le réservoir de la Mégane pratiquement à sec : ce ne fut ni trop long ni spécialement pénible.

Elle a surtout été passionnante, cette journée, car presque entièrement consacrée aux entretiens donnés par Pierre Manent, livre dont je fais mon miel depuis ce matin. Avec cependant, comme chaque fois que je lis ce type de livres, la question un peu déprimante : que va-t-il m'en rester, une fois refermé ?

Les 200 ou 250 dernières pages du roman de Mulisch m'ont bien déçu : trop de surnaturel, de dérapages onirico-religieux, etc. En incomparablement supérieur bien sûr, je pensais parfois au Da Vinci code... Mais enfin, les huit ou neuf cents premières valent largement qu'on les parcoure, et ce n'est déjà pas si mal.

Je m'aperçois que je n'ai presque rien écrit ici à propos du mariage de samedi. Et le plus étrange (pour moi) est que je n'ai aucune envie d'y revenir ce soir. Y faudrait-il un décantage (si le mot existe...) ? Les journées trop parfaites seraient-elles comme les journées catastrophiques, provoquant pour des raisons inverses la même envie de n'y plus revenir ? Je ne sais pas. On verra ces jours prochains.

Pendant ce temps, Lediazec, des "Ruminants", qui affirmait voici deux ou trois jours sur leur blog commun qu'il en avait définitivement terminé avec moi, continue de ferrailler contre Georges en commentaire de mon dernier billet...


Mercredi 27

Trois heures et demie. – Hier j'ai reçu par la poste une exemplaire des œuvres de Flannery O'Connor, à l'occasion de notre mariage. Il m'a été envoyé par un prêtre catholique de l'Ain, lequel me dit lire assidument mes différents blogs depuis leurs débuts respectifs. Le livre était accompagné d'une lettre assez longue (assez longue selon nos critères modernes...), sobre et belle. Je viens de lui répondre, en lui disant que j'aimerais bien que nous gardions ce contact qui vient de s'établir par son initiative. Je ne sais trop pourquoi, du reste, mais enfin c'est une proposition que j'ai eu envie de lui faire : correspondre avec un prêtre que je ne connaîtrais pas autrement que par lettres (enfin, par mails...) est une idée qui me séduit. Il n'en sortira peut-être rien, mais cela vaut le coup d'être tenté, il me semble.

Pierre Manent, à la fin de ses entretiens (Le Regard politique) parle sans trop développer des différences qu'il voit entre la compassion et la charité – la première relevant selon lui de l'identification à l'autre souffrant, mais avec, en dessous, le plaisir et la satisfaction de n'être pas souffrant soi-même ; tandis que la charité découle directement de Dieu et n'entraîne de ce fait ni identification ni plaisir. Partant de cela (que j'ai résumé de façon atrocement grossière), il en déduit que l'abbé Pierre dans ses actes (non dans son âme forcément) était plutôt du côté de la compassion, en cela qu'il s'occupait essentiellement de soulager les corps. Tandis que l'affaire de Mère Teresa était avant tout de sauver des âmes – ce qui bien entendu la conduisait à s'occuper des corps qui en sont le réceptacle. Si j'ai bien compris ce que j'ai lu, c'est là, pour Manent, une ligne de partage entre le christianisme et notre religion humanitaire moderne.

Or, je ne suis pas tout-à-fait d'accord. Il me semble percevoir chez nos modernœuds une tentation chrétienne, des velléités de tendre vers la charité, mais évidemment une charité qui, amputée de Dieu, privée de toute transcendance, niée elle-même, est condamnée à retomber comme un vieux soufflé. Je me souviens m'être assez vertement moqué de Dame Céleste lorsque, réfléchissant si elle devait ou non payer les trente euros de caution qui devaient permettre à un couple d'Indiens de sa connaissance de s'installer dans son propre logement, elle avait décidé de subordonner ce cadeau à l'acceptation par le mari du travail de sa femme (à quoi jusque-là il se refusait). N'y avait-il pas là comme une caricature de charité ? Grimaçante et pitoyable, certes, mais existante ? Que faisait d'autre Céleste, alors, que de tenter de sauver ces deux âmes ? De les convertir à son culte abâtardi, le seul qu'elle connaisse, celui des droits de l'homme ? De l'égalité imposée ? Du Tout-semblable ?

La différence, essentielle, est que la charité pratiquée au nom de Dieu n'appelle aucune récompense, sinon elle cesse, je crois, d'être charité. Tandis que, pour Céleste, la récompense était immédiate : celle de se trouver si belle en son miroir. Mais le miroir, contrairement à Dieu je suppose, ne peut renvoyer l'homme qu'à sa propre image, c'est-à-dire à celle qu'il a déjà de lui-même – donc fausse.

Huit heures. – J'ai terminé cet après-midi le livre d'entretiens de Pierre Manent, Le Regard politique, et j'ai enchaîné avec, du même, Les Métamorphoses de la cité, lecture qui s'annonce aussi excitante et sans doute plus riche encore, même si sans doute un peu ardue pour mes quelques neurones. Avec, comme toujours, la certitude énervante et déprimante qu'on ne va pas (moi en tout cas) retenir la vingtième partie de ce qu'on aura finalement lu.

D'après les quelques pages lues (l'introduction essentiellement), la ligne directrice est la suivante : la politique est née en Grèce avec la cité, laquelle, suite à son affaiblissement dû essentiellement aux guerres entre les cités, a cédé la place à l'empire, lequel c'est à son tour effondré. S'en est suivie une longue période d'incertitude (les âges chrétiens), d'oscillation entre la cité et l'empire, avant que n'apparaissent les nations, au XVIIe siècle. Lesquelles sont en train de s'effacer sous nos yeux. Pour faire place à... mystère.


Jeudi 28

Sept heures et quart. – Cet après-midi, dernière relecture du journal de septembre avant publication dimanche (ou lundi, je ne sais) : excellente excuse pour ne pas m'être encore penché sur le synopsis du BM à rendre le 15 novembre. Le scénario se reproduit à l'identique, donc : j'ai pris deux semaines de vacances pour avoir du temps devant moi, or nous sommes déjà demain vendredi et rien n'est commencé. Au mieux je vais me mettre à l'écriture dimanche, ce qui voudra dire une semaine entière carbonisée. Je ne sais même pas pourquoi je persiste à noter ici ce genre de choses.

Lecture décidément passionnante que celle du livre de Pierre Manent, mais aussi lecture ardue en ce qui me concerne. Si bien que je ne puis guère en lire plus d'une trentaine de pages d'affilée, et encore. C'est pourquoi, j'ai commencé tout à l'heure le livre de Michel Pastoureau (Noir, histoire d'une couleur) qu'Adrien, sachant qu'il me faisait envie depuis sa sortie (mais je reculais un peu devant son prix), a eu la gentillesse et la bonne idée de nous donner en cadeau de mariage. Livre richement illustré et, comme d'habitude avec Pastoureau, d'une lecture elle aussi très excitante (mais d'un abord beaucoup plus facile, moins hérissé).

Je ne sais plus si j'ai noté ici que je m'en suis tenu à ma résolution de dire un adieu définitif à l'alcool au lendemain du mariage. En fait, ce fut le surlendemain, puisque, dimanche, il restait des invités et des bouteilles... Mais enfin, depuis, pas une goutte. Ce qui ne représente nullement un exploit, puisqu'il n'y a que quatre jours – ce que je fais régulièrement – et quatre jours sans aucune sollicitation. Le premier test va être le 13 novembre, puisque ce samedi-là nous sommes invités à déjeuner chez les Crevette en compagnie d'autres blogueurs (ou fréquenteurs de blogs), dont Restif que je suis bien aise de rencontrer (il paraît que lui aussi). Bref, je vais devoir affronter mon premier “épisode social” sans boire : hâte de voir.

En fait, ce ne sera pas le premier, d'ailleurs, puisque j'aurai repris le travail trois jours avant et qu'il faudra affronter la perspective d'une privation d'apéritif après une journée à FD. Mais enfin, ça, je l'ai déjà fait. Alors que ne boire que de l'eau dans le cadre d'une journée “publique”, je crois bien que cela ne s'est jamais produit en ce qui me concerne.

Bon, demain, synopsis : j'en prends l'engagement solennel devant moi-même.


Samedi 30

Sept heures vingt. – Eh bien, engagement tenu ! Non seulement je m'y suis mis, mais en plus la mayonnaise a pris tout de suite, ce qui est finalement assez rare : en général, la première journée, je tourne autour du sujet comme d'un pot sans arriver à attraper la queue de la moindre idée palpable. Cette fois, presque toute l'histoire s'est mise en formation d'attaque pratiquement d'elle-même. Du moins dans ses grandes lignes, car il reste à imaginer les péripéties de détail, la nature des indices, les lieux où se passeront les différents chapitres, les caractéristiques des protagonistes, etc. Mais enfin, il se pourrait bien que tout soit bouclé demain soir. Auquel cas je me mettrai à l'écriture dès lundi et disposerai alors de 16 jours pour “mener le petit au bout”. Enfin, non, 15 seulement, puisque nous sommes invités à déjeuner chez les Crevette le samedi 13. (Je ne sais pas si j'ai noté ici que j'avais appelé Brice hier matin pour tâcher d'enchaîner mes derniers RTT de l'année sur ces vacances. La réponse fut oui, si bien que je ne retournerai pas à Levallois avant le mercredi 17, au lieu du 10 comme initialement prévu.

Tout à l'heure, Catherine me demande : « Mais on va faire quoi, à Noël, si “on” ne boit plus ? » (Ce “on” est un “on” de solidarité conjugale, puisqu'il n'y a que moi qui ai décidé d'arrêter totalement l'alcool, et que je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'elle s'octroyât quelques verres pour l'occasion – et même sans occasion, du reste.) Bref, la même réponse nous est venue spontanément et simultanément : « Rien ! » Comme on ne faisait déjà pas grand-chose les autres années, à part boire justement, la différence ne sera pas si grande.

Pour moi, le test de vérité va être non pas ce déjeuner chez les Crevette dont je parlais à l'instant, car j'aurai évidemment à cœur, en public, de ne pas rompre si vite mon serment, mais les quatre jours que Catherine projette d'aller passer avec Adeline et ses deux enfants quelque part en Auvergne, me laissant tout seul face à ma résolution vertueuse...

Poursuivi la lecture des Métamorphoses de la cité ; je sais déjà qu'il ne me restera à peu près rien de cette lecture difficile, mais ce que je découvre me passionne, au moment où je le découvre, et c'est une justification suffisante pour aller jusqu'au bout, il me semble. J'ai aussi terminé, ce matin, le Noir, histoire d'une couleur de Pastoureau ; livre si bellement illustré que je me suis empressé de commander le Bleu du même auteur, que nous n'avons jamais possédé qu'en poche.

Sur le blog-mère, petit billet ironique à propos de ces imbéciles montpelliérains qui, pour “soutenir” les deux journalistes français retenus en otage en Afghanistan depuis dix mois maintenant, n'ont rien trouvé de plus intelligent et efficace que de lâcher 304 ballons, chacun accompagné d'un “petit message d'espoir” : la bêtise satisfaite de nos contemporains ne se reconnaît désormais plus de bornes. C'est bien comme cela, d'ailleurs : elle se voit de mieux en mieux.


Dimanche 31

Sept heures et quart. – Intense activité blogueuse aujourd'hui, au détriment du synopsis BM qui s'est langui de moi toute la journée sans parvenir à me faire fléchir. D'abord, j'ai commencé par créer un nouveau blog (le sixième, si je compte La Meute des gâteux qui est en co-gestion avec Catherine, et guère actif en ce moment). Il s'appelle Didier Goux chez les modernœuds et devrait servir de collecteur à phrases absurdes, ou ridicules, ou galimatiesques, etc., repérées ici ou là. J'ai d'ailleurs lancé un appel à contribution auprès de mes lecteurs, afin d'enrichir plus rapidement ce futur florilège. Ensuite, j'ai mis en ligne le journal de septembre, mais sans encore le signaler sur le blog-mère, ce qui sera fait demain matin. Mais, évidemment, je suppose qu'avec le système des flux RSS, certains de ses lecteurs, au journal, le savent déjà. Enfin, cet après-midi, me trouvant chez Raphaël Juldé (qui a écrit un bon billet sur Henri Calet, me donnant aussitôt envie de relire Le Tout sur le tout), j'ai basculé sur le site de Pierre Driout, où je n'étais pas allé depuis plus d'un an – et j'ai passé deux heures à lire les paragraphes et aphorismes de cet homme étrange (étrange pour moi), en tout cas fascinant – mais je parlerai, peut-être, de Driout plus tard, quand j'aurai plus de temps et qu'il sera moins tard (ou plus). À propos de Raphaël Juldé, dont j'ignorais qu'il pût seulement avoir entendu parler de moi, j'ai eu la surprise de découvrir que non seulement le blog-mère mais aussi ce journal étaient en lien dans sa blogroll. Comme par ailleurs il collabore au Magazines des livres de Joseph Vebret, j'ai supposé de façon un peu hasardeuse que ce dernier lui avait peut-être parlé de moi. Mais en fait je n'en sais rien.

J'ai tout de même avancé d'une cinquantaine de pages dans le livre de Pierre Manent, avec l'impression pénible que la lecture en est de plus en plus ardue, ou moi de plus en plus stupide ; les deux ne s'excluant pas forcément l'un l'autre.

J'ai également contracté un abonnement de trois mois au mensuel La Nef, où écrit régulièrement ce fameux Père B., mon lecteur de blog sorti de l'ombre il y a une semaine, à l'occasion de notre mariage. Mais je crois bien n'avoir pas dit grand-chose de lui.

Le Père B., dont je n'avais comme de juste jamais entendu parler, m'a donc envoyé, en cadeau de mariage les œuvres plus ou moins complètes de Flannery O'Connor, en me signalant qu'il était depuis déjà un bout de temps lecteur de mes blogs. Là-dessus, échange de mails entre nous, et dans son dernier, ayant vu sur le blog-mère la photo de notre mariage, il m'annonce qu'il connaît un peu le curé qui nous a marié, qu'il l'avait même rencontré quelques jours plus tôt. J'ai cru comprendre qu'ils faisaient tous deux partie d'Ecclesia Dei, association de religieux ex-lefebvristes ralliés à Rome. Lui, le Père B. est l'un des collaborateurs réguliers de cette revue, La Nef, qui, apparemment, ne représente pas l'aile progressiste de l'Église, ce qui me convient parfaitement. En parcourant sur leur site quelques-uns des derniers sommaires, j'ai repéré deux ou trois noms connus de moi, dont celui de Paul-Marie Coûteaux, collaborateur de Radio Courtoisie et camusien patenté.

Voilà donc un mois d'octobre qui se conclut par une grande aspersion d'eau bénite. Dont je ne sais si elle aura le moindre effet sur moi. Il n'empêche : pour quelqu'un qui a arrêté l'alcool, cela commence à faire beaucoup d'eau.

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