mardi 31 août 2010

Journal de juillet 2010








TOMBEAUX ÉPARS





À la mémoire de Jean-Philippe Chatrier




Jeudi 1er juillet


Neuf heures du soir. – Belle journée, finalement. D'abord, arrivant au rewriting ce matin, j'ai constaté que la climatisation était rétablie – partiellement au moins. Ensuite, beaucoup de travail, ce qui est rare le jeudi, qui m'a amené jusqu'à une heure moins dix sans que je sente passer le temps. Là, départ, puisque j'avais rendez-vous pour déjeuner avec Joseph Vebret, à À Table ! (anciennement La Villa). Arrivé le premier (mais de peu), j'ai eu le plaisir de constater que travaillait toujours là ***, dont je trouve le sourire parfaitement irrésistible, et dont je suis content pour elle : une femme qui a un sourire magnifique restera magnifique jusqu'à 80 ans, voire davantage.

Excellent déjeuner (je parle de l'ambiance entre nous et non de la nourriture, tout juste acceptable et scandaleusement onéreuse pour ce qu'elle vaut). On a parlé de nous – et surtout de nos femmes respectives, une belle discussion d'hommes, comme je n'en avais pas eu depuis longtemps. Rien à dire de plus.

M'emmerde ce qui se passe sur le blog-mère, ces empoignades idiotes à propos de mes billets concernant Jan Valtin et Evguenia Guinzbourg. L'impression que tout le monde se fout de ce que j'ai pu dire, et surtout des gens à propos de qui j'ai fait ces billets, lesquels ne sont plus que prétextes à crêpages de chignons. Bien entendu, je suis plus d'accord avec X qu'avec Y, et encore plus qu'avec Z. Mais tout le monde semble avoir perdu de vue ce dont il était question au départ. J'ai l'impression d'avoir réveillé de petits diablotins munis de sabres en bois, de leur avoir fourni le bac à sable dans lequel ils s'ébattent. Ça ne me gêne pas, mais ça m'énerve un peu. Que XP ou Nebo (avec lesquels je suis très souvent en accord, mais pas toujours et justement pas aujourd'hui) se fritent avec Henri me semble une perte de temps dont ils devraient s'aviser avant même de taper le premier mot sur le clavier. D'un autre côté, suis-je vraiment le mieux placé pour leur reprocher ces “éruptions” incontrôlées, moi qui ne m'y laisse aller que trop souvent ?

Henri m'intéresse, d'ailleurs. J'ai souvent l'impression d'un lecteur très malicieux qui a inventé cet avatar juste pour moi. Il dit trop ce que j'attends de lui, trop au bon moment. Par exemple, aujourd'hui, au moment où je me disais : « Mais à quel moment va-t-il me rameuter le catholicisme ? », eh bien, précisément, Henri a dit ce que j'attendais de lui, débouchant au tournant où je l'attendais.

Là-dessus, ceci : il fait une chaleur bestiale, la sueur coule le long de mes cheveux à peu près absents ; j'entends, par la fenêtre ouverte, le bruit de la télé que Catherine doit regarder.

Je ne suis pas sûr de poursuivre ma lecture commentée de Guinzbourg, puis de Chalamov. Ou alors, en fermant les commentaires.


Vendredi 2 juillet

Dix heures du soir. – Chaleur de bête, qui ne me dérange pas plus que cela. Demain, “Boutfil” et son mari à déjeuner, Catherine a quasiment passé la journée à préparer ses terrines et ses salades et son dessert. Moi, je perds mon temps depuis cinq ou six jours à nourrir ce sous-ensemble du blog-mère que j'ai intitulé (de manière un peu ridicule et grandiloquente, je le regrette mais c'est trop tard) : Vertige totalitaire.

L'ai-je dit ? Catherine, lisant mon journal de mai où j'en évoquais l'éventualité, a commencé son propre journal. Elle semble pour l'instant y prendre du plaisir et j'en suis ravi. Au moment où j'écris cela, elle est sur la terrasse, dans la chaise longue, poursuivant sa lecture du Maître et Marguerite.

À un moment de notre déjeuner, hier, je disais à Joseph Vebret que l'une des choses dont j'étais le plus content, et même le plus fier, disons-le, dans mes vingt ans de vie commune avec Catherine, était de l'avoir amenée à la littérature – en tout cas à la littérature qui m'est, à moi, accessible, ce qui n'est hélas pas tout à fait la même chose. Il n'empêche : tourner, en ce moment, la tête, et voir Catherine lire avec passion Boulgakov, quand je l'ai “prise” à Régine Desforges, Stephen King ou autres, m'est quelque chose de précieux. Et d'autant plus qu'elle-même se rend parfaitement compte du chemin parcouru.

Chemin qu'elle pense me devoir, mais elle a tort, en grande partie : on peut bien semer ce qu'on veut sur du béton, même avec le geste le plus auguste du plus auguste semeur, il ne poussera jamais rien. Il se trouve que j'ai épousé (par hasard, simple coup de chance...) une femme intelligente et féconde de ce point de vue (juste de ce point de vue, grâce au Ciel). La terre était grasse, il n'y avait qu'à faire tomber des livres – ce que j'ai fait, et rien de plus. Le reste, l'important reste, était déjà en elle.

Nefisa nous a contacté par mail (et je ne lui ai même pas encore répondu : “oncle” indigne) pour venir passer deux jours ici : j'en suis non seulement content mais, d'une certaine manière, attendri. Je ne sais trop pourquoi cette fille me plaît autant, après tout nous ne nous sommes vus qu'une seule fois (merde, j'ai l'impression de répéter des choses déjà écrites... tant pis), et à peine parlé. Peut-être parce qu'elle (elle contre tous les autres) est potentiellement un écrivain. Mais il ne doit pas y avoir que cela. En réalité, j'aimerais beaucoup qu'elle soit vraiment ma nièce, tout comme j'aimerais qu'Adrien soit mon neveu – mais lui l'est davantage, “par alliance” comme on dit.

On en arrive à se demander si le tenancier de ce journal n'aurait pas, quelque part, des fantasmes de paternité mal résolus. Le tenancier proteste vigoureusement, mais doit-on le croire sur parole ?

Mon déjeuner d'hier avec Vebret me ramène à ce que je disais il y a quelque temps : je suis un diariste nul. Il va de soi que je n'ai pas à retranscrire certains passages de notre conversation-fleuve (il est bavard et moi aussi...), mais enfin des pans entiers de ce que nous nous sommes dit mériteraient de figurer ici. Or... rien. De l'eau ou du sable entre les doigts. Quand je pense au journal d'Edmond de Goncourt ou, encore mieux, aux Carnets de la Petite Dame, je vois bien que ce journal n'aura jamais le moindre intérêt. Et d'autant moins que je ne reçois jamais ni Flaubert, ni Zola, ni la princesse Mathilde, ni Roger Martin du Gard, ni Mauriac, ni personne.

Je viens de quitter la Case pour aller me chercher une bière. Rectification : Catherine ne lit pas Boulgakov dans la chaise longue, elle dort dans la chaise longue. J'aurais dû m'en douter : il fait désormais beaucoup trop sombre pour lire, même pour une nyctalope comme elle. (Mais pas pour que les décervelés passent en voiture à 70 km/h dans cette rue de l'Église où je ne dépasse pour ma part jamais les 40.)


Samedi 3 juillet

Huit heures et demie. – Boutfil et son mari (Dominique) viennent de repartir. Très bonne journée, grâce à eux, même si, vers la fin, Catherine s'est montrée, je ne sais trop pourquoi, assez distante (elle est allée se coucher vers six heures et demie du soir, sans même dire au revoir à personne...). Il n'empêche que Boutfil (Danielle de son prénom) m'a bien plu.

Trop bu, tout de même, évidemment.


Dimanche 4 juillet

Sept heures et demie. – Ça m'énerve. Tout à l'heure, lors du repas (pris sur la terrasse : le temps n'a été pourri qu'une seule journée, celle d'hier alors que nous avions “du monde”..), j'ai su ce que je devais noter ici. Et tout s'enchaînait parfaitement, comme dans ces rêves où l'on se met à bâtir des romans entiers dont on ne retient rien au réveil. Et, là, plus rien. Plus la moindre trace, même pas un semblant de piste, nada.

La femme d'Ygor Yanka a ouvert un blog depuis leur installation en Gaspésie, et elle prend un malin plaisir à nous asticoter le fantasme avec des photos de maisons à vendre, ne coûtant rien et situées dans un cadre idyllique. Du coup, réactivation du fantasme en question, chez Catherine principalement mais aussi chez moi.

J'ai repris aujourd'hui les Récits de la Kolyma de Chalamov. Juste avant, trouvé ce proverbe russe chez Evguenia Ginzbourg : Dieu connaît la vérité, même s'il ne la dit pas très vite.

Ce soir, dernier apéritif avant vendredi prochain, libation dont le prétexte était l'anniversaire d'Adeline qui tombait aujourd'hui. Et, comme pour la nourriture, ayant eu des invités hier, on a “fini les restes”. Par exemple, pour moi : deux bières, un verre de Morgon et un demi-whisky. Dans cet ordre. Étrange...

Hier, attendant nos invités, je m'étais installé ici pour une première relecture du journal de juin. Je tiens cela de mon père : l'attente des invités, si je n'ai rien de précis, de contraignant à faire, finit rapidement par m'absorber tout entier. Je me souviens de lui, à La Ferté, lorsque nous attendions du monde, tirant une chaise vers la fenêtre de la cuisine pour s'accouder à la planche à repasser dont c'était étrangement la place attitrée (et qui servait également de chambre à coucher aux divers chats que nous avons eus à cette époque), les yeux braqués vers le portail, incapable de faire quoi que ce soit d'autre jusqu'à ce que les invités arrivent en effet.

Donc, pour obvier à cette fascination un peu idiote, relecture du journal de juin. Sauf que, lorsque Boutfil et son mari sont arrivés, j'ai tout abandonné précipitamment pour aller les recevoir, sans prendre la peine de sauvegarder. Résultat, ce matin, une semaine de journal dont les corrections étaient perdues. Or, il s'agissait des soirées Vebret et Finkielkraut. Et comme j'avais pris ces notes sitôt rentré, et après avoir bu un peu, ces passages étaient constellés de fautes de frappe... qu'il a fallu éliminer une nouvelle fois ce matin.

Ce soir, Raoul Walsh et Gary Cooper. Pour un film dont j'ai oublié le titre. Et, demain, relecture annotée du Loin de Camus, pour le prochains BM.


Lundi 5 juillet

Sept heures vingt. – Je sens que cette “entrée” va être fort courte, à la limite de l'inexistence. En dehors du fait que j'ai passé la journée à relire Varlam Chalamov plutôt qu'à travailler, absolument rien à consigner ici. Je crois que c'est surtout le désir qui fait défaut. Même pas envie de rien noter sur ces Récits de la Kolyma qui me tiennent depuis hier après-midi. Et pourtant, Dieu sait...

Ai-je noté ici que le journal de juin allait probablement s'intituler La Femme qui s'éloigne ? Voilà qui est fait. Sauf si je trouve mieux lors de la seconde ou troisième relecture.

Non, décidément, pour ce soir ce journal me sort littéralement par les yeux. Mieux vaut surseoir.


Mardi 6 juillet

Trois heures. – Un de ces après-midi d'été où le temps semble s'être replié sur lui-même, afin de s'assurer d'une parfaite immobilité. Nulle activité humaine n'est perceptible, aucune présence discernable. et même le bruit ronronnant que fait l'avion militaire passant en ce moment même pour la troisième fois en moins d'une heure semble avoir à cœur de souligner la léthargie presque parfaite de notre monde du sol. Jusqu'aux oiseaux qui ne pépient et chantent qu'avec un extrême discernement.

Pendant ce temps, à Villiers-le-Bel, de nombreux “jeunes” déclarent ouvertement et tranquillement que la chasse est ouverte aux “traîtres” qui ont permis, par leurs témoignages, la condamnation des émeutiers par la justice. Avec l'efficace soutien des collabos habituels, ceux de Libération étant comme toujours en première ligne. Que les populations issues du monde arabo-musulman soient absolument incapables de vivre en démocratie (le refus des décisions de justice en est un signe indubitable) n'a rien en soi pour étonner : tous les pays arabes sans exception sont des dictatures, ce qui doit bien signifier quelque chose sur leurs populations. Mais que nous nous résignions aussi facilement, et même avec jubilation pour certains, à voir disparaître, détruit ce qui coûta tant de peine, et de peines, pour être édifié, voilà qui continue de me laisser pantois. Nul peuple, nulle civilisation, dans l'histoire de l'humanité depuis son aube, n'a dû aller à la mort avec autant d'allant, un si bel enthousiasme. Les Chinois ont eu la dynastie Ming, nous aurons eu nos générations lemmings.


Mercredi 7 juillet

Neuf heures moins le quart. – Ludovic est là, sa mère et lui braillent dans tous les coins, comme à chaque fois. Et, bien entendu, ils se parlent l'un dehors l'autre dans la maison – et en plus ils parlent de n'importe quoi, toujours proches de s'engueuler.

Petit billet à propos de Kafka et Proust, lus tous deux par Dussolier, absolument magnifique, d'une intelligence rare et d'une incroyable douceur de voix, qui “colle” plus que tout autre au texte de Proust. Sans parler de l'architecture de la phrase proustienne, dans laquelle le lecteur novice s'enfonce comme dans une jungle, et qui, là, se déploie presque trop facilement. On pourrait d'ailleurs reprocher cela à Dussolier : rendre Proust trop facile. Mais, évidemment, ce serait stupide.

Durant ce temps (à propos du studio si je comprends bien), Catherine et Ludovic continuent de se chamailler. Ils ne s'engueulent même pas : ils se chamaillent.


Jeudi 8 juillet

Onze heures moins le quart du soir. – Retour sur la terrasse, la température baissant un peu, un demi-verre de muscadet devant moi. Soudain, je dis à Catherine (devant la télé) : « J'y retourne : j'ai oublié de “faire du journal” ! » C'était vrai, j'avais oublié, ce qui m'énerve toujours lorsque ça m'arrive. N'avoir rien à dire ne me dérange pas, mais oublier...

Or, nos voisins “d'en face” sont dans leur cuisine, comme chaque soir que Dieu fait, mais plus présents parce que leur fenêtre est ouverte, en raison de la chaleur, comme le sont les nôtres. Ils regardent la télé, ou, plus exactement, ils écoutent la télé, si j'en juge par le bruit qui m'en parvient, malgré les quatre-vingts mètres qui nous séparent. En réalité, je n'entends leur poste que par intermittence. Car, le plus souvent, leurs voix couvrent ce qui s'y dit, et je ne sais que la télé n'est pas éteinte qu'à cause de la musique sirupeuse qui m'en parvient.

Mes voisins ont un salon, aussi invisible pour nous que la face cachée de la lune pour l'humanité entière, mais enfin ils en ont un. Or, leur poste de télévision se trouve dans l'entrée, et ils le regardent depuis la cuisine, assis sur des chaises (dont j'entends, au moment où j'écris, le raclement des pieds sur le sol). Ils me font penser à Mme Loiseau, notre voisine d'Assay (1992-1996) qui vivait avec son mari (que l'on a vu mourir durant notre bref séjour dans cette partie du Loiret) dans une toute petite maison, si petite que, eux aussi, bivouaquaient dans une pièce à peu près unique, et passaient leurs soirées sur des chaises de cuisine, devant la télé, hâtivement fourrée dans un coin. Or, ils auraient pu disposer d'une pièce entière, située sur l'arrière, donc face à nous, mais Mme Loiseau ne voulait pas en entendre parler : c'était la chambre de sa mère, et elle entendait que cela reste une sorte de sanctuaire ; elle n'avait rien touché, rien bougé, et tous les deux se tassaient dans ce qui restait de la maison. Même jeune comme je l'étais alors (35 ans), je ne parvenais pas à trouver cela ridicule.

En réalité, j'aime les gens qui passent leurs soirées dans la cuisine, et sans doute que le souvenir de Juan n'est pas étranger à cela. Mais pas seulement. Au fond, et bien que nous ayons – à partir de 1961 – toujours possédé un “salon”, mes plus chaleureux souvenirs familiaux restent liés à la cuisine. Chez mes parents, habitués ni l'un ni l'autre à avoir eu, dans leurs enfance et jeunesse, une “salle à manger”, cette pièce-là, sans doute symbole de leur élévation sociale par rapport à leurs propres parents, restait réservée aux invités. Lorsqu'il n'y avait personne – soit presque tout le temps –, on déjeunait et dînait dans la cuisine. D'où ma passion pour cette pièce qui, à mes yeux, résume la famille. La soude. L'exprime. Et m'exprime, moi, par la même occasion.

Et c'est bien ce qui me sépare radicalement de Renaud Camus (enfin, radicalement est peut-être exagéré – mais pas sûr) : sa famille lui est une blessure, une souffrance, un abaissement, un regret – il est, par rapport à elle, une sorte de “queue de comète”, et il le sait fort bien. On lui a inculqué des choses que, déjà à sa naissance, on n'avait plus les moyens de “tenir” ; il est né dans une famille fausse. (Michel Foucault disait d'Hervé Guibert : « Il ne lui arrive que des choses fausses. » : Il me semble que c'est également le cas de Camus sur le plan de sa généalogie. – À développer.)

Je crois être né dans une famille vraie. Sans grand intérêt, mais vraie. Je veux dire : en adéquation avec elle-même. Et nourrie de principes qui ne le cèdent en rien à ceux de la famille Camus (ou d'autres). La différence est peut-être que mes grands-parents, mes parents, étaient capables de soutenir leurs principes, de s'y accorder, de vivre selon eux. Alors que la famille Camus, telle qu'elle était lorsque Renaud y est apparu, ne pouvait plus vivre que dans le paraître, et dans ce qu'il a de plus futile, ou en tout cas de plus douloureux (oui, beaucoup plus douloureux que futile, et même pas futile du tout, à la réflexion). C'est pourquoi, en dehors de nos talents respectifs, Camus a pu écrire un magnifique Éloge du paraître, et que, moi, même si j'en avais eu le talent, je n'aurais pas seulement eu l'idée de le faire – c'est du reste ce que me reproche volontiers et non sans raison Jérôme Vallet : de n'avoir aucun “paraître”.

Il y a, chez Renaud Camus, une blessure profonde, celle de l'identité, qui, si on y réfléchit (et si j'étais capable d'y réfléchir vraiment) engendre finalement toute son œuvre. Et, en tout premier lieu, ces mystérieuses et si jouissives Églogues. Car elles sont d'abord, il me semble, la volonté de se perdre, de se diluer dans les noms. De prouver qu'un nom en vaut un autre, se relie à tous les autres, permet de circuler à l'infini dans les livres, les lieux, les gens... De même ce concept superbe d'étrangèreté, ou ce verbe dispar'être. Sans parler du thème surinvesti de l'origine.

Car enfin, qui se soucie à ce point de son origine, sinon celui qui ne s'en connaît pas, ou qui doute de celle qu'on lui a collée ? Question féconde, évidemment. Douloureuse sans doute, mais féconde. Didier Goux pourra bien faire semblant de s'interroger vingt ans sur son origine, il n'en tirera jamais trois lignes intelligentes ni intéressantes. Parce qu'il est parfaitement assuré de celle-ci. Pour dire les choses très bêtement et très brutalement : Didier Goux est certain d'être le fils de Daniel Goux (en réalité, il ne PEUT pas l'être totalement, mais puisqu'il le croit, il l'est), cependant que Renaud Camus ne sait pas s'il est Camus.

Et admettons d'ailleurs que nous soyons tous les deux assurés de notre filiation : cela ne résoudrait rien, il serait encore perdant, d'une certaine manière (mais d'une certaine seulement : j'y reviendrai, si j'ai le temps et le courage). Car enfin, être “Goux” signifie être sur une pente ascendante. C'est avoir une vision claire et agréable de ses ascendants : vous avez deux grands-pères (comme tous le monde), l'un était concierge, l'autre peintre en bâtiment (et c'est en hommage à celui-ci que vous avez forgé l'expression “écrivain en bâtiment”). Ensuite, vous avez eu deux parents, fonctionnaires, contents de s'être élevés par rapport à leurs parents. Et extrêmement fiers (même s'ils ne le diront jamais : la pudeur des “petites gens”) de voir leurs propres enfants grimper eux-mêmes deux ou trois barreaux au long de cette fameuse échelle sociale.

En face, cette famille Camus. Où la conscience est nette – sinon nette, du moins impitoyablement ressentie – de descendre à chaque génération. Et de le faire douloureusement, c'est-à-dire sans l'admettre. Jusqu'à celui qui nous intéresse, évidemment plus intelligent que tous ses aïeux, et donc beaucoup plus conscient de cette “dégringolade”.

J'arrête là : il est presque minuit et je travaille demain. J'espère avoir le courage d'y revenir.


Vendredi 9 juillet

Neuf heures. – Coup de téléphone d'Yves Josso, vers quatre heures. Pour m'apprendre la mort brutale de Jean-Philippe Chatrier, mardi, d'une crise cardiaque conséquente à une partie de tennis. Assommé. J'aimais énormément ce garçon. Énormément. Depuis qu'il avait quitté FD, en 1997, je crois, peu avant que je ne démissionne moi-même, nous ne nous voyions que de loin en loin – mais tout de même quelques déjeuners, à peu près tous les deux ans, durant lesquels nous nous retrouvions intacts. Et solliciter sa voix, là, maintenant, revoir son sourire, dans cette presque nuit, me fait monter les larmes aux yeux. Enfin, bon : de loin en loin peut-être, mais nous n'avons jamais perdu ce contact presque miraculeux (miraculeux pour moi : je ne sais pas trop ce qu'il en était pour lui), et, dans un restaurant de Neuilly, toujours le même (dont le nom m'échappe, mais je repasserai devant la semaine prochaine et noterai le nom), nous partagions cochonnailles et vins divers, et reprenions le fil de l'une de ces conversations nonchalantes dont on a l'impression qu'elles ne se rompent jamais tout à fait.

(J'ai bien conscience de raconter n'importe quoi, mais c'est que j'ai simplement envie de parler de lui, comme si...)

En réalité, et c'est bien sûr d'une banalité navrante, je n'arrive pas encore à bien concevoir, admettre qu'il soit mort. Mort pour de vrai. L'impression que le téléphone va sonner et que l'on va m'annoncer que non, oh la la, terrible mistake, on a confondu avec un autre, on est désolé, Jean-Philippe va très bien ! Comment avez-vous pu croire... D'ailleurs, il aimerait bien déjeuner avec vous la semaine prochaine, si vous n'êtes pas en vacances... Ou trop pris... Oui, moi aussi j'aimerais bien. Vraiment bien.

J'ai vécu ce même genre de chose (encore plus intensément et durablement), lorsque j'ai appris, en 2001 ou 2002, que Marie Méo comptait parmi les victimes du raz-de-marée thaïlandais. Il n'y a pas si longtemps qu'il m'arrivait de rêver que, justement, on m'informait que non, on avait confondu, etc. Sauf que, dans le cas de Marie, vu les circonstances, il y a tout de même un semblant de plausibilité. Et, du reste, je me rends bien compte que je reste tout prêt à y croire. Que je ne serais pas autrement surpris de la voir resurgir, avec ce sourire merveilleux qui était le sien, et de se moquer de moi pour avoir eu le chagrin de sa mort factice.

Évidement, pour Jean-Philippe, c'est autre chose. Je sens que je ne dois pas trop me mettre à penser à ces années 90 dont je conserve un souvenir ébloui, tendre, amusant, vivace, jeune encore, viril et anodinement alcoolique. C'est qu'ils sont tous partis. Ayant raccroché le téléphone, je me suis dit qu'il fallait que j'informe ceux qui, ceux que. En dehors de Véronique, présente dans le bureau, je n'ai trouvé qu'une personne, dans toute la rédaction, pour avoir connu Jean-Philippe. Une. Durant quelques secondes, j'ai eu envie de rédiger ma lettre de démission, d'envoyer chier GdV dans un même mouvement et de partir mourir au loin sans dire à personne où, avec Catherine et les chiens – mais si possible de mort lente. Bien entendu je n'en ai rien fait.

(Chez Papinou : le nom du restaurant neuilléen où nous nous retrouvions.)

Ma dernière rencontre avec Jean-Philippe est particulièrement absurde. Ce devait être il y a un an et demi ou deux ans. Je déjeunais avec François à la terrasse de L'Ambiance d'à côté, et nous avons vu surgir Jean-Philippe qui, lui, avait mangé tout seul à l'intérieur. Il a pris un verre ou deux avec nous, puis le travail l'appelait (formule idiote : le travail ne nous appelle jamais réellement, on croit qu'il le fait, alors on devance l'appel, comme des rats de laboratoire bien élevés) et il est parti. Nous nous sommes promis de nous téléphoner afin de déjeuner tous les deux et, bien entendu, nous ne l'avons fait ni l'un ni l'autre. On avait le temps.

Ce soir, le simple nom de Jean-Philippe Chatrier, l'évocation de son sourire, me font naître une certaine chaleur assez agréable au creux de la poitrine, laquelle se mélange au chagrin et à la tristesse, mais sans s'y dissoudre. On verra bien ce qu'il en sera ces prochains jours.


Samedi 10 juillet

Deux heures. – J'ai bien entendu, hier soir, écrit un billet “nécrologique” à propos de Jean-Philippe. Et, ce matin, un autre pour tenter de dire cette joie d'être vivant, cette gourmandise presque, que l'on ressent généralement au sortir des enterrements, mais pas seulement, la preuve. C'est un plaisir dont on ne se sent pas très fier, mais que cette vague honte n'empêche pas d'être extrêmement fort, agissant. Hier, à un moment de la soirée, je n'ai pu m'empêcher de penser au titre que j'aurais fait si j'avais dû faire un article sur lui dans FD : « Jean-Philippe Chatrier : le même destin tragique que Michel Berger ! » Je suis bien sûr que la chose l'aurait fait rire – ce qui est évidemment une absurde façon de parler.

Quatre heures. – Tout à l'heure, ronronnement régulier de la tondeuse (de coiffeur, pas de jardinier), en provenance de la salle de bains. C'était Catherine qui, n'en pouvant plus de chaleur venait de mettre sa chevelure à bas. Mais c'est ensuite à moi qu'a incombé la tâche délicate de l'égalisation et du peaufinage. Se reconvertir en coiffeur pour dames à mon âge...

Dans l'intervalle (mais l'intervalle de quoi ?), j'avais suspendu ma lecture de Chalamov pour prendre L'Imposture de Bernanos, que je crois bien n'avoir jamais lue. L'envie m'en a été donnée par un billet publié sur Causeur et consacré à cet imbécile pontifiant et crispant de Bégaudeau – lequel m'aura au moins servi à cela.

La température monte inexorablement. C'est-à-dire qu'elle monte plutôt exorablement, mais que le point d'inversion de la courbe semble encore loin.


Sept heures et quart. – Tout à l'heure, coup de téléphone. Une voix de femme, que je n'identifie pas, demande à me parler. C'était Marie-France Chatrier. Qui tenait à me remercier pour mon billet d'hier. Même si, a-t-elle ajouté, elle se serait, pour son fils qui a lu le billet aussi, passé du paragraphe sur Duruflé... Il est vrai qu'elle a ajouté aussitôt qu'elle-même était heureuse de ce que j'avais écrit car mon texte montrait un Jean-Philippe que peu de gens avaient connu. La pauvre était si en dehors d'elle-même qu'elle m'a tutoyé spontanément, chose que nous n'avons jamais faite lors de nos différentes rencontres.

Contrairement à ce que m'avait dit Josso, et que j'ai reproduit dans le billet, Jean-Philippe est mort à la suite d'un jogging et non d'une partie de tennis. Tant pis, je laisse comme c'est : quand la légende est plus belle, etc.

Il y a des livres – la majorité sans doute – que l'on peut se contenter de lire. il en est d'autres qu'il convient de se lire. Il ne s'agit pas de le faire à haute voix (encore que...), il faut tâcher que l'esprit se dédouble suffisamment pour qu'une partie de lui lise les phrases à l'autre – j'ai du mal à être plus clair. Cette opération mentale, au prix d'une lecture plus lente, et même plus laborieuse en un certain sens, interdit alors toute distraction, tout glissement, toute approximation. Et rend la phrase beaucoup plus plastique, presque charnelle. Bernanos fait à l'évidence partie de cette seconde catégorie.


Dimanche 11 juillet

Huit heures. – Trop chaud, pas envie d'écrire quoi que ce soit ici. Mais encore moins envie de n'y rien écrire. Donc...

Ce matin, profitant de ce que Catherine n'était pas là (et au moment où j'écris cela je suis incapable de me souvenir pourquoi elle est sortie aujourd'hui. Ah, oui : le pain et la messe !), je me suis lu à haute voix une quinzaine de pages – Pléiade – de L'Imposture de Bernanos, et en m'imaginant que j'avais un auditoire, c'est-à-dire en m'efforçant de rendre ma lecture aussi intelligible et agréable que possible. Je pense que je renouvellerai l'expérience. Et la phrase de Bernanos est très agréable à dire – mais il est vrai que je manque de points de comparaison. Je me souviens que, vers 1993 ou 94, j'avais lu Le Livre de ma mère d'Albert Cohen à Catherine, dans notre lit, à raison d'une quinzaine de pages par soir. Mais en dehors de cette expérience, on ne peut pas dire que je sois un familier de l'exercice.

Contre toute attente, ma journée a été plutôt productive, puisque j'ai relu (très en diagonale évidemment) et annoté le roman, Loin, de Camus, et que j'ai ensuite “carcassé” le synopsis du BM que je suis censé en tirer, et qui doit être écrit pour le 15 août. Demain, il va me falloir résoudre les cent mille problèmes, contradictions, aberrations que recèle cette malheureuse carcasse. Puis écrire véritablement le scénario mardi et mercredi – sachant que je ne pourrai y travailler mardi matin, en raison de la messe d'enterrement de Chatrier, qui a lieu à Neuilly à dix heures et à laquelle nous assisterons, Catherine et moi. Heureusement, mercredi étant le 14 juillet, cela me donne une journée supplémentaire. Si je suis très raisonnable et raisonnablement courageux, je me mettrai à l'écriture proprement dite dès le dimanche 18. Dans le cas contraire (qui est aussi le plus probable), ce sera pour le samedi 24, premier de onze jours de vacances studieuses. Avec, au milieu d'elles, la visite de Nefisa durant deux jours.

Ce soir, pour rester dans le ton, Catherine étant plongée dans les mémoires d'Evguenia Ginzbourg et moi pas encore sorti du livre de Chalamov, nous allons regarder un film de Nikita Mikhalov (orthographe incertaine) qui se passe dans la Russie de 1936. Puis, un film fantastique espagnol. Les titres de ces deux chefs-d'œuvre m'étant tout à fait sortis de l'esprit.

Pendant ce temps, sur le blog d'Olympe, on débat gravement afin de savoir si interdire la burka aux femmes ne serait pas une manière de leur dicter leur manière de s'habiller, donc attenter à leur liberté. Comme si la burka avait quoi que ce soit à voir avec un vêtement, avec le fait de s'habiller. Je me demande avec une certaine curiosité à quel moment de l'avenir proche mes amies féministes vont devenir réellement, cliniquement schizophrènes.


Lundi 12 juillet

Huit heures moins dix. – Ce soir, Nicolas Sarkozy s'exprimera (si l'on peut dire...) à la télévision, aiguillonné (on peut y compter) par le toujours très pugnace Pujadas. Je ne peux pas dire que j'aie hâte d'être à demain pour voir ce que ses propos vont entraîner comme lieux communs chez mes amis blogueurs, puisque, mutatis mutandis, je les connais déjà. Ça va pavloviser à tour de clavier. Néanmoins, à chacun de ces déchaînements de conformisme, il y en a toujours un ou deux qui parviennent à me surprendre ; parce que, sous les yeux ébahis de leurs lecteurs, ils se donnent soudain à voir pour ce qu'ils sont : des cas cliniques.

À propos de cas clinique, je finissais par être inquiet du sort de Dame Céleste, dont le silence de ces derniers temps m'alarmait. Heureusement, elle est revenue, et en pleine forme, pour reprendre où elle l'avait laissée l'édification de sa propre statue de Mater vertuosa. « J'aime être étrangère. », affirme-t-elle. Rien de plus faux, évidemment, puisque son souhait le plus ardent est que chacun finisse, de gré ou de force, par ressembler à tout le monde, ou plus précisément à elle. Il y a de la graine de “citoyenne du monde” chez cette pauvre derviche tourneuse idéologique. Or, s'il est une chose qu'un citoyen du monde ne peut supporter, c'est précisément l'étranger, le concept même d'étranger, l'étrangèreté pour parler comme Renaud Camus. Enfin, bon, la voilà repartie je ne sais où (mais loin et à grande dépense de kérosène) pour baiser les plaies des lépreux et leur casser les pieds – lesquels sont pourtant déjà fort endommagés, de par la nature même de leur mal. Par chance, Dame Tartine ne s'intéresse qu'aux lépreux moraux – les maris qui ont le mauvais goût de ne pas vouloir que leur femme passe dix heures par jour à la manufacture locale pour trois roupies mensuelles, par exemple. – Celle-là, si elle fermait son blog, elle me manquerait vraiment, c'est un magnifique sujet d'étude.

Passé l'essentiel de ma matinée en coups de téléphone divers afin d'avertir celui-ci et celui-là de la mort de Chatrier. Et les informer de la messe d'enterrement de demain matin. J'ai par ailleurs reçu un mail de William, le frère de Jean-Philippe qui, lui aussi, me remercie de ce que j'ai écrit sur le blog-mère. D'autres tordent un peu le nez sur le paragraphe durufléen et sodomite, le trouvant “déplacé” (Véronique entre autres). Il ne l'est pas pour moi, correspondant exactement à l'image que j'ai et souhaite conserver de Jean-Philippe. Mon intention n'était pas de barbouiller une image pieuse.

Apparemment, la BM serait assurée de continuer encore en 2011. Sauf que s'il n'y a pas d'argent pour les auteurs, comme c'est le cas en ce moment, elle continuera sans moi. Je suis déterminé, si je ne reçois pas une somme substantielle d'ici le 20 juillet à ne pas rendre le numéro 316, que je suis censé écrire pour le 15 août et dont le synopsis est pratiquement achevé. Après, ce sera le grand saut, surtout si le studio n'a toujours pas trouvé acquéreur.


Mardi 13 juillet

Quatre heures vingt. – Donc, ce matin, enterrement de Jean-Philippe. La messe avait lieu en l'église Saint-Jean-Baptiste de Neuilly, aux trois-quarts pleine de gens, dont quelques têtes connues : Claude Lelouch, qui a dit quelques mots, Jean-Marie Cavada, Bernard Fixot, qui a parlé lui aussi, ainsi que deux ou trois autres sur lesquelles je n'ai pas été capable de remettre un nom : j'aurais fait un très mauvais reporter “people”. Toujours ce même étonnement à trouver le cercueil si petit par rapport à l'image que l'on a de celui qu'il contient. La cérémonie était plutôt belle, simple, classique, avec juste ce qu'il fallait de “discours extérieurs”. Tout aurait été parfait avec une sonorisation moins pourrie ou un prêtre nanti d'une voix plus forte : j'attrapais un mot sur deux. Quant à Catherine, elle aurait été incapable de dire s'il parlait en français ou non. Je ne m'en plains pas : cela m'a laissé tout le temps pour penser à Jean-Philippe, et plus précisément à nos fous-rires légèrement alcoolisés de fin de journée, au rewriting, voilà maintenant 15 ans. Nous avions tout juste 40 ans, lui et moi, et pensions encore plus ou moins – lui davantage que moi je crois – que l'avenir existait. Il n'en a plus, et moi pas tellement davantage, indépendamment du nombre d'années qui me restent.

Comme à chaque enterrement auquel j'ai assisté, une intense fatigue m'est tombée dessus au sortir de l'église, un brusque relâchement de la tension et des muscles qui donne l'impression d'avoir soudain vieilli de vingt ans en quelques secondes. Or, c'est un luxe que je ne puis plus me permettre sans danger.

Association d'idées sans doute mécanique, j'ai repensé – plusieurs fois durant cette messe, puis aussi lors du trajet de retour au Plessis – à mes autres morts, dispersés un peu partout sauf en moi-même : ma grand-mère à La Ferté (la pauvre qui voulait absolument avoir sa tombe là, à proximité de la maison de mes parents, lesquels ont quitté la Sologne quelques années plus tard. C'est sans doute stupide, mais la savoir finalement toute seule, dans ce cimetière où personne ne la connaît, parvient encore à me serrer les tripes) ; mon grand-père à Sedan ; Bernalin à Caluire ; Juan dans son urne, suivant Carlos au gré de ses déménagements ; Marie Méo, dispersée par la vague ; plus tous ceux dont je ne sais ou ne veux pas savoir où ils reposent parce qu'ils ne le font pas au bon endroit : ainsi le père de Catherine, qui devrait être à Candas et n'y est pas, simplement parce qu'il est mort ailleurs – lui qui fut incinéré un 19 mars à Châlons-sur-Marne, quand je suis né moi-même un 19 mars à Châlons-sur-Marne. Mes tombeaux épars, destinés à se multiplier.

Lors du trajet aller et une partie de celui du retour, nous avons écouté la Lettre au père de Kafka lue par André Dussolier, et ce n'était pas tout à fait hors de propos puisque Jean-Philippe était occupé à écrire (ou bien était-ce seulement un projet ?) son autobiographie, laquelle bien entendu aurait fait la part belle à son (relativement) célèbre père.

Cet après-midi, retour à l'existence quotidienne, avec une visite chez le vétérinaire, pour les rappels de vaccins de Swann et Bergotte.

Aucun mail de Nancy, qui devait pourtant voir GdV aujourd'hui pour déterminer les paiements de chacun des auteurs des diverses collections : mauvais signe. Des préoccupations pécuniaires que l'on pourra juger mesquines, surtout aujourd'hui, mais qui me ramènent pourtant très près de Jean-Philippe, lui qui a consacré une grande partie de sa vie d'adulte à courir derrière un argent déjà dépensé.


Mercredi 14 juillet

Huit heures moins le quart. – Treize pays d'Afrique ont donc envoyé leurs armées défiler ce matin sur les Champs-Élysées. Quand on sait de quoi se rendre régulièrement coupables ces différentes soldatesques – exactions, prévarications, tortures, coups d'État, etc. –, on a vraiment de quoi être fier : inviter ces clowns sinistres était vraiment une idée digne de la France d'aujourd'hui (car je n'ose même plus parler de “France d'après”, laquelle est désormais hors d'imagination). En tout cas, cette grotesque exhibition a au moins le mérite de dire franchement où nous en sommes, dans notre descente rapide. Le plus divertissant est encore de voir les moderneux (modernœuds ?) protester eux aussi de cette invitation indigne, mais pour stigmatiser (eux ont le droit de le faire, et même le devoir sacré) en elle un “relent de colonialisme”. Ils sont vraiment à enfermer. Ça tombe bien, c'est sans doute ce qui les attend.

Hier, chez le vétérinaire, profitant de la séance de vaccination, nous avons montré au praticien la grosseur que Swann présente à la patte avant gauche depuis quelque temps. Verdict : il faut opérer sans trop tarder (car ce genre de boule a vocation à grossir). Ce sera pour mardi prochain, et le pauvre chien va se retrouver affublé d'une collerette pour deux ou trois semaines.

Activé de nouveau la modération des commentaires, à cause d'une folle prénommée Jane (me dit-on...), dont la vie semble consister en tout et pour tout dans le parasitisme infectieux des blogs des autres. Elle me fait plus pitié qu'autre chose.


Jeudi 15 juillet

Trois heures et demie. – C'est tout de même curieux : voilà six jours que je n'ai pas bu la moindre goutte d'alcool, sans y penser le moins du monde, et il suffit que je me retrouve ici, à FD, pour que l'idée de n'en pas boire non plus ce soir se mette à m'agacer les gencives. Je comprends bien qu'il y a un effet d'habitude, presque de réflexe conditionné : retour de Levallois = apéritif. Mais enfin, il y a eu de nombreuses et longues périodes dans notre vie où nous prenions l'apéritif tous les soirs, y compris donc les jours où je ne bougeais pas de la maison ; or m'en priver ces soirs-là ne m'a jamais coûté le moindre effort, une fois que décision en était prise. Le plus étrange est qu'arrivé réellement au Plessis je sais bien que je cesserai immédiatement d'y penser : c'est maintenant que cette privation m'importune, à trois heures de l'après-midi.

Il y a aussi que je n'ai pas le moindre travail à faire et que l'ennui commence à poindre. Je ferais bien mieux, plutôt que de contempler cet écran d'un œil hébété, d'aller m'installer dans la salle de réunion immédiatement voisine de ce bureau, en compagnie de Chalamov et de Chostakovitch. D'ailleurs je vais le faire.

Huit heures et demie. – Discussion entre Catherine et moi, à propos de notre mort prochaine. Elle tient à être incinérée, je refuse, moi, de l'être. Pourquoi ? Raison simple et brute : on n'est pas des Hindous, bordel ! Il est hors de question que je sois cramé, le côté "moderne" me fait vomir. J'exige d'être enterré, suivant la tradition la plus pure, comme mes grands-parents le sont déjà, comme mes parents le seront bientôt, et sans se poser la question.

(Le voisin hurle, il est vivant...)

Comment peut-on avoir envie d'être brûlé ? Se passer de la douceur d'être déposé dans la terre ? Qui, dans ce pays, peut décliner...

Je ne sais plus ce que je voulais dire, le voisin fait du bruit. Merde.


Samedi 17 juillet

Neuf heures. – Pour des raisons qui m'échappent totalement aujourd'hui, j'ai passé environ trente ans de ma vie dans l'idée que je détestais la musique symphonique du XIXe siècle et du premier XXe, et plus particulièrement les compositeurs russes : seuls Moussorgsky et Stravinsky trouvaient grâce à mes oreilles.

Or, dans mon iPod se trouvent entreposées quinze symphonies de Chostakovitch, et des concertos, et des pièces pour piano, et aussi d'autres de Prokoviev, Scriabine, Rachmaninov, and so on. Il se trouve que, depuis une semaine ou deux, je me gorge des symphonies de Chostakovitch – et que j'ai de plus en plus de mal à comprendre ce Didier Goux qui faisait profession de le détester. À la lettre, je ne me comprends plus.

Pour autant, je crois savoir comment j'en suis venu à écouter et aimer ces musiciens : je les ai contournés. Je suis passé de Beethoven à Varèse (et Schönberg, et d'autres, plus contemporains encore) directement, mais avec beaucoup d'efforts. Je sais bien qu'on va me prendre pour un con, mais il est des musiciens que j'ai mis dix ans à apprivoiser – ce qui est encore beaucoup dire. Dix ans à les écouter sans le moindre plaisir, à petites doses, en n'entendant rien, au début ; en grinçant des dents. Et puis, petit à petit, une sorte d'aurore...

Bien que ne comprenant rien à ce que j'écoutais (et pas davantage aujourd'hui, je le crains), je me familiarisais. Et, du coup, l'envie m'est venue de remonter le temps, de combler ce “trou noir” dont je viens de parler. Grâce à un raisonnement sans doute stupide : tu es capable d'écouter les symphonies de Beethoven et America d'Edgard Varèse : pourquoi pas l'entre-deux ? Pourquoi pas Mahler, par exemple ? Et, donc, j'ai écouté les symphonies de Mahler. Et je n'ai plus compris pourquoi ni comment j'avais pu faire pour ne pas aimer cette musique. Depuis quelques semaines, il se passe la même chose avec les symphonies de Chostakovitch. On ne s'attendra pas à ce que j'en dise des choses intelligentes : hormis la 13e, celle avec chœur et voix de basse, les autres, écoutées dans le désordre, forment dans mon cerveau une gabegie indiscernable, une bouillie sonore qui s'ordonnera en son temps. – Mais je suis extrêmement content de ce champ qui s'ouvre.

Tout à l'heure, sirotant un apéritif modeste, Catherine me parlait des HLM d'Étouvie (banlieue d'Amiens) où sa famille a vécu quelques années au tournant des années 60-70. Elle me disait : « Je me demande ce que sont devenus ces HLM... » Comme je lui faisais remarquer qu'on le savait très bien, ce qu'ils étaient devenus, compte tenu des gens qui les habitent aujourd'hui, elle ajoutait : « À l'époque, au centre d'Étouvie, il y avait déjà des Arabes... » Et d'ajouter : « Mais des Arabes normaux, ceux de notre époque... »

Tout était dit.

Pour rester dans le domaine des “Frasques”, il y a une heure ou deux Catherine s'inquiétait de savoir si nous étions encore capables de nous faire rire mutuellement, comme au début. Qu'elle soit rassurée en ce qui la concerne : la réponse est oui.


Isabelle G. m'a signalé, hier, par mail, qu'elle serait à Paris au mois de septembre et qu'elle aimerait bien que nous déjeunions ensemble. J'ai d'abord failli lui répondre que non. Parce que j'ai un peu peur de la revoir. Pour reprendre l'image de Richard Desjardins, je ne suis pas sûr que “la suture tienne le coup”. J'ai été trop amoureux d'elle pour me sentir assuré de moi-même, même aujourd'hui, trente ans après. En même temps, j'ai l'impression de frimer (je l'ai dit à Catherine), de me rendre intéressant, d'en rajouter, enfin bref. Finalement, je lui ai dit oui. Et, même, ce matin, je me suis dit que ce serait sans doute plus agréable qu'elle vienne passer une soirée et une nuit ici, au Plessis.

Mais je sais bien pourquoi j'ai parlé de ça à Catherine : parce que je crains de revoir Isabelle en tête à tête, et que l'accueillir ici, chez “nous”, contribuerait à la rendre inoffensive, à cause de la présence de Catherine, et même des chiens, de la maison, etc. On jouerait sur mon terrain, en quelque sorte.

Je sais bien que j'entretiens volontairement une histoire morte. Cette Isabelle-là représente ma jeunesse et rien de plus. Aussi, elle me rend “noble” à mes propres yeux : rien de plus glorifiant qu'une histoire d'amour malheureuse, n'est-ce pas ? Elle m'a apporté ce merveilleux cadeau : me sentir martyr, victime, crucifié, etc. Et c'est bien pour ne pas céder à cette pose que je dois accepter de la revoir, de la descendre de ce piédestal en papier crépon où je l'ai juchée, simplement pour le plaisir de me contempler souffrant – ce qui est absurde car, bien entendu, je ne souffre plus depuis belle lurette. Mais la puissance du miroir est telle qu'il est bien difficile d'admettre que tout cela n'a plus la moindre importance. Parce qu'enfin être malheureux à cause d'elle était encore une façon de l'aimer, de se faire croire qu'on l'aimait ; et de se trouver merveilleux, grand, glorieux, avec cette blessure fausse.

Dans le même temps, je sens bien que jamais je n'aurais pu refuser de la voir. Que même si je triche, cette tricherie est vraie, qu'elle fait partie de ma vie, de moi. Que ce que j'entretiens existe, du fait même que je l'entretiens. Et je sais aussi que même si elle était par hasard tombée amoureuse de moi, je l'aurais instantanément chassée de ma vie, parce que j'étais comme ça, horrifié par toute femme qui pouvait me trouver un quelconque intérêt – et ce fut ainsi jusqu'à Catherine.

En vérité, ces femmes que j'ai poursuivies dans ma jeunesse, il aurait suffi qu'elles cèdent à mes avances pour être débarrassées de moi dans la semaine, ou à la rigueur le mois. Et c'est d'ailleurs sans doute pourquoi elle ne me cédaient pas : elles savaient bien que je n'étais pas réellement intéressé par elles. Que je ne tombais (le verbe est magnifiquement choisi) amoureux d'elles que parce que Pierre ou Paul me les avait désignées comme désirables, rien de plus.

De ce point de vue, j'étais tout de même même moins atteint que Bernalin. Ou plus modeste, je ne sais pas. Lui tombait systématiquement amoureux de filles qui à l'évidence n'étaient pas pour lui. Tout le monde le voyait, y compris moi dans mon aveuglement, tout le monde sauf lui. Fallait-il qu'il n'ait pas envie de vivre ce à quoi il aspirait pour tomber amoureux de cette Sylvie Kauffmann dont je parlais hier ! Et il l'était, amoureux d'elle, j'en atteste. Moi pas, et je me demande encore pourquoi. En réalité, non, je ne me le demande pas : je le sais. Mais la raison ne m'est pas très agréable. Je savais qu'elle n'était pas une femme pour moi. Que je devais viser en dessous. C'est en tout cas l'impression que j'avais. La certitude de jouer dans la cour des petits, en quelque sorte, par rapport à certains de mes amis de l'époque. Du coup, blocage absolu de ma part, nul désir, et naissance d'une sorte d'amitié. Ce qui semble bien prouver que l'amitié est impossible entre hommes et femmes, qu'elle n'est qu'une sorte de béquille ridicule, un pis-aller – lequel se défait à la première occasion, ainsi qu'il fut entre Sylvie et moi.

Néanmoins, cette amitié a beau être fausse, je la regrette. Sans doute parce que ce n'est pas moi qui y ai mis fin, mais elle. Bernalin avait pris très mal la “désertion” de Sylvie, cette façon qu'elle a eu de nous abandonner en rase campagne, lorsqu'elle est partie pour Londres. Bizarrement, je me souviens m'en être totalement foutu, à l'époque. Mais lui l'avait pris très mal. Il ne comprenait pas. Évidemment, puisqu'il aurait été incapable de faire ce genre de choses. Il n'est pas impossible que, à ce moment de notre vie, Sylvie ait décidé qu'elle devait passer à autre chose, laisser derrière elle ces deux crétins qu'elle avait fugitivement aimés dans sa jeunesse – au point, même, de les inviter un week-end entier chez ses parents, à Thonon ; week-end dont je suis sûr qu'il a existé mais dont je ne conserve aucun souvenir.

Malgré tout cela, je n'en veux pas à Sylvie Kauffmann. Même, je suis extrêmement content de l'avoir connue. Et je me souviens avec délices de ces soirées dont j'ai parlé dans le billet mis en lien plus haut – je ne me souviens plus de quoi on parlait, mais on parlait. Je suppose, importante comme elle est aujourd'hui, qu'elle ne doit même plus se rappeler m'avoir connu, ou alors dans les tréfonds de son cerveau d'avant. Mais, moi, je m'en souviens fort bien.


Dimanche 18 juillet

Sept heures vingt. – Nulle envie d'écrire ici, rien à y noter de toute façon. Je n'ai quasiment pas quitté mon fauteuil de la journée, d'abord pour y terminer les Récits de la Kolyma, puis pour m'attaquer à une Histoire de la Russie, reçue hier par la poste. Et, pour rester chez les Russes, j'ai également commandé Le Pavillon des cancéreux et Le Premier Cercle, lus il y a près de quarante ans et, bien entendu, totalement oubliés depuis.


Lundi 19 juillet

Sept heures et demie. – Rien fait encore aujourd'hui : pas le temps ce matin, trop chaud cet après-midi. Pourtant, en toute bonne logique, le synopsis de La Femme qui s'éloigne devrait être au point demain soir – et il n'y sera pas.

En revanche, j'ai bien avancé dans ma lecture d'Histoire de la Russie : me voilà rendu à Alexandre 1er. Je crois avoir eu la main heureuse en choisissant ce livre-ci : assez détaillé pour n'être pas schématique et suffisamment synthétique pour éviter la noyade.

Sinon, rien. Comme disait Louis XVI.


Mardi 20 juillet

Dix heures du soir. – Un peu saoul, à cause de Catherine qui a acheté deux bouteilles de muscadet, et me l'a dit. De plus, elle m'a avoué avoir quelque part une demi-bouteille de rhum, enfin bref.



Mercredi 21 juillet

Huit heures vingt. – Catherine a fini de lire Evguenia Guinzbourg et est passée directement à Chalamov. Elle me fait remarquer les discordances entre ces deux personnes qui, pourtant, sont censées avoir vécu les mêmes choses au même “moment” historique (1937 - 1953). Elle a parfaitement raison : le témoignage de Ginzbourg est nettement moins “noir” que l'œuvre de Chalamov. Mais je n'ai pas employé ces mots par hasard : Guinzbourg livre un témoignage – irremplaçable, certes, mais rien de plus qu'un témoignage –, tandis que Chalamov bâtit une œuvre littéraire, et des plus hautes. Catherine suggère que, peut-être, Guinzbourg a “trié” ses souvenirs, que sa nature l'a en quelque sorte contrainte à magnifier ce qui allait dans le sens de l'humanité, au détriment de ce qui la niait. Elle a probablement raison. Il me semble aller de soi (mais quoi va de soi, en ce domaine ?) que Chalamov creuse plus profond, parce qu'il est écrivain, et elle non. Il rejoint Primo Levi sur certains sommets (paradoxe de l'écrivain : plus il creuse et plus hauts sont les sommets qu'il atteint), sans pour autant se confondre avec lui, parce que les grands écrivains ne se confondent jamais l'un avec l'autre. Mais enfin, ils parlent de la même chose.

J'ai d'ailleurs décidé de mépriser toute personne, et de ne plus lui adresser la parole, qui tentera de me démontrer une quelconque différence entre les camps d'extermination nazis et communistes. Non pour exonérer les uns par rapport aux autres, mais justement parce que tout ce que j'ai pu lire de ces grandes consciences montre à l'évidence que l'on est face à une seule et même chose. Parler à ces gens est déjà leur accorder une existence, une existence intellectuelle, qu'ils ne méritent pas.

Je dis ça, mais enfin, je me connais : je sais bien que je rentrerai dans le lard à quelques-uns de ces esprits faux, si l'occasion s'en présente.

Une chose me semble certaine : sur le plan de la langue, au moins, il ne faut rien céder. Par exemple, refuser l'adjectif “stalinien” à la place de “communiste”. Si on ne tient pas sur le front de la langue, le reste cèdera, automatiquement.


Jeudi 22 juillet

Huit heures du soir. – Hier soir, alors que j'avais songé, dans la journée, à expédier un mail à Pascale G. pour savoir comment se passait son deuxième mois de juillet à Plieux, un message d'elle m'arrivait. Apparemment, elle est toujours aussi enthousiaste, ce qui me fait bien plaisir. Du coup, petit regret de n'avoir pas dit oui pour le mois d'août, mais très passager, furtif. De toute façon, je doute que j'aurais pu obtenir quatre semaines de vacances pour ce faire.

Tout à l'heure, Brice m'a appris qu'il était désormais presque certain que sa femme serait embauchée pour aller travailler (dans la mode, mais je ne sais pour faire exactement) à Dubaï. Auquel cas, passée la période d'essai de six mois, il prendrait dans un premier temps une année sabbatique, puis démissionnerait de FD. À ce moment se poserait sans doute (mais rien n'est jamais certain évidemment) le problème de mon passage à plein temps, probablement au titre de chef du rewriting. Ce qui veut dire que l'on aurait, alors, tout intérêt à conserver le studio de Levallois. Lequel est en vente, pourtant. Pas facile...

D'un autre côté, cela me permettrait de larguer définitivement les BM (si elles-mêmes ne m'ont pas largué avant...) et d'augmenter considérablement ma future et très hypothétique retraite. Mais, d'un encore autre côté, travailler cinq jours par semaine ne m'enchante guère, et faire le chef encore moins. Il faut être un homme de gauche responsable comme Nicolas, pour faire un vrai chef : les anars de droite dans mon genre y sont totalement inaptes.

J'y pensais l'autre jour, à propos de Sylvie Kauffmann. Je me disais que, en admettant que je sois capable de tenir le poste qu'elle occupe (ce qui n'est évidemment pas le cas), je préférerais encore perdre une jambe que de l'accepter. Même pour un salaire de footballeur, ce qui ne doit pas être le cas. Et puis, un salaire de footballeur quand on a perdu une jambe, qui plus est volontairement...

D'après Pascale G., qui doit avoir eu des nouvelles “fraîches” de Renaud Camus, la température en Suède où M. Pierre et lui se trouvent serait caniculaire. C'est bien la peine de se faire septentrional...


Vendredi 23 juillet

Trois heures. – Et voilà que je me laisse de nouveau entraîner à polémiquer sur le blog collectif “Ruminances”, au moins avec les deux femmes qui en font partie, Clomani et La Pecnaude, et qui sont, à l'exception du pseudonommé Babelouest, largement plus sectaires que leurs compagnons de troupeau. Tout est parti d'un billet dans lequel la dite Clomani relatait une journée idyllique passée par elle en Afrique du Sud, au milieu de noirs pauvres et fraternels, tous unis dans la communion multiculturelle bon enfant, par le truchement d'une bande de joueurs de tam-tam, touchant du doigt l'avenir radieux de l'humanité, etc. Tout cela devant être opposé à quelques journées précédentes passées, dans cette même Afrique du Sud, entourée de méchants blancs pisse-vinaigre et ne pensant qu'à l'argent. Bref : du pur Céleste, comme je me suis laissé allé à le faire ironiquement remarquer en commentaire. Là-dessus, je suis illico redevenu le monstre nazi que je n'ai probablement jamais cessé d'être, et les deux gardiennes du temple moral me sont tombées dessus. Car, bien entendu, La Pecnaude n'a pas manqué de voler au secours de sa petite camarade.

Elle est étonnante, du reste, cette Pecnaude. Je sais qu'elle lit mon blog de temps à autre et, lorsqu'il lui arrive de se risquer à un commentaire, celui-ci est tout sucre et tout miel, très “Prudence-petits-pas”. Mais, dans le même temps, si elle trouve un prétexte pour m'exploser la tête à coups de batte de base-ball sur “Ruminances”, elle ne s'en prive jamais. Bref...

Voici donc le dernier commentaire posté par Clomani, sur le billet en question, et où il est en principe question de moi :

moi je fréquente des noirs et je pense que, du coup, ça vous agace… vous êtes en négatif ce qu’il m’arrive d’être en positif, sauf que vous c’est cinéma “noir” permanent. Sans métissage, vous seriez, nous serions complètement et profondément débiles. Et je ne larmoye pas du tout sur l’Afrique… je trouve que les habitants des pays de ce continent que j’ai visités devraient nous servir d’exemple… le confort, la modernité, les progrès ont fait dee nous des exploiteurs et des pseudo savants qui ne jugent qu’à travers leurs propres références. Si vous alliez faire un petit tour chez ceux qui vous font si peur que vous n’en voulez pas dans le pays (dont je vous rappelle les métissages passés dans les ex colonies… avant, nous n’étions que marchands d’esclaves, on les “entreposait” on ne fricottait pas avec, contrairement aux Portugais, plus tard. Quant aux métissages d’avant, Rémi a fort bien répondu. Côté Mexicain, les civilisations qui avaient dominé en écrasant ont sombré mais il n’empêcheque les échanges entre les différents peuples n’ont jamais cessé. En Extrême-Orient aussi, ça y allait, au niveau déplacements et métissages…
Géographiquement parlant, il y a peu de gens qui sont restés effrayés longtemps par “l’autre”… l’attirance sexuelle a fonctionné… le mâle dominant a laissé des traces partout où il est passé et le mâle voyageait beaucoup. Physiologiquement, les mélanges auront permis à la race humaine de ne pas sombrer dans la dégénérescence…
Et pour en revenir sur vos affirmations “seuls les bazanés sont des voyous”… je vous invite à jeter un coup d’oeil sur les membres du gouvernement qui sont au pouvoir actuellement en France et tous les décideurs de ces grandes entreprises françaises : tous blancs mais vraiment gangsters de chez les gangsters… Evidemment, ils ne brûlent pas de voitures, mais ils poussent les travailleurs au suicide, au chomage, et les élus s’empressent de les reléguer aux pourtours des villes, pour ne pas “faire sale”… vous devriez venir vivre en Suisse, M’sieur Goux, le matin, les camions ramassent les pauvres sur les trottoirs de la vieille ville et de la Genève chique pour aller les jeter tels des détritus dans le “pourtour”… Mais, du côté de l’ONU et de la Croix Rouge, les étrangers foisonnent, pétés de thunes alors là où y’a de l’argent, l’étranger ne gène pas… la racaille, elle est avant tout chez les pauvres. Pourtant, certains étrangers très riches se comportent très mal avec des citoyens, français et frontaliers… Il y a même l’Emir du Qatar qui vit non loin… il n’a jamais payé ses impôts locaux… pourtant ses propriétés sont immenses. On lui a fait une route goudronnée (demandée par Chirac)… Il y a une dizaine dd’années, ses salariés, Français et Haut-Savoyards se sont aperçus qu’ils n’étaient pas déclarés à la Sécurité Sociale, et qu’ils n’étaient jamais augmentés..
Bon, là je suis d’accord avec vous, M’sieur Goux, ces etrangers qui viennent piquer le pain des Français sont de fort mauvais exemples pour les Français qui les “su bissent”.

physiologiquement parlant, le métissage a permis justement de renouveler les races génétiquement…

Le nombre de contre-vérités et de fantasmes purs et simples empilés dans ces quelques lignes est absolument atterrant. Cette femme, qui n'est pourtant pas une volaille de l'année, a la même vision de monde que l'on a généralement entre 15 et 17 ans, à la rigueur 20 si l'on n'est pas trop frétillant du neurone. Et elle profère ses mensonges (dont le côté mensonger est très facilement vérifiable) avec une assurance et une simplicité qui font son discours ressortir à la psychiatrie (mais sans enfermement tout de même...). Elle est un parfait exemple, et elle est malheureusement loin d'être seule dans ce cas, de ce que j'appelle la démence idéologique. La réalité est congédiée d'un revers de main, et tout l'espace est occupé par l'affirmation de principes préalables, détachés de tout, pures idées flottant au-dessus des têtes. Sans parler de la traditionnelle haine de soi qui est commune à nombre d'Européens blancs et de gauche, ces gens tellement en manque d'une religion qu'ils passent leur temps, depuis un siècle, à se bricoler des figures christiques de remplacement. Ce fut le prolétaire, puis le révolutionnaire exotique, c'est en ce moment l'Africain immigré – si possible clandestin : cerise sur la couronne d'épines. Évidemment, ces vieilles bourgeoises nanties (vieilles relativement et comparativement nanties, s'entend) ne s'intéressent nullement aux clandestins en tant que tels, pas plus que leurs mères et grands-mères ne se souciaient celles-ci des prolos et celles-là du soldadito boliviano. La seule chose qui compte réellement, c'est de se bricoler un petit autel, d'y installer l'icône du jour, afin de pouvoir se livrer à la génuflexion rédemptrice.

Du coup, celui qui refuse de s'agenouiller, et même qui dessine une moustache au charbon sous le nez du nouveau Christ en vogue, celui-là doit être chargé de tous les péchés les plus noirs, les crimes les plus abominables : pour cela, “raciste” remplit très bien l'office qu'on lui a assigné. Et c'est ainsi que, dans le commentaire de Mme Clomani, je serais “agacé” parce qu'elle fréquenterait des noirs – ce dont je me fous absolument. C'est logique (dans sa cervelle à elle...) puisque, deux lignes plus bas, j'apprends que ces mêmes noirs me font “si peur”. Et encore un peu plus loin je découvre avec surprise que j'aurais affirmé : « Seuls les bazanés sont des voyous. » Bien sûr, ça me ressemble tout à fait. Notamment d'écrire basané avec un z, d'ailleurs. De même que, lorsque je passe une soirée à la Comète, je me recroqueville en tremblant à un bout du zinc si d'aventure j'aperçois Tonnégrande à l'autre extrémité. Mais on me dira sans doute que, dans mon cas, Tonnégrande joue le rôle traditionnel du “bon nègre”, celui qui permet de mépriser tous les autres : charme inoxydable de la pensée en boucle...

Tout cela est risible, absurde, on barbote dans le non-sens, dans la contre-vérité historique, dans le déni scientifique, mais nos vierges folles n'en ont rien à faire : seule compte la réaffirmation de la foi qu'elles affichent en leur christ innombrable. Elles trépignent devant leur miroir, elles se veulent pures absolument. Et, bien entendu, chacun comprend que ce sont elles qui ont peur de ces étrangers qui les fascinent. Sinon, pourquoi joindraient-elles les mains en baissant le front à chaque fois qu'ils élèvent la voix et montrent les dents ?


Samedi 24 juillet

Cinq heures et demie. – J'apprécie beaucoup les échanges que je puis avoir avec Jérôme Vallet, à propos de musique et plus particulièrement de sa musique – que j'aime de plus en plus à mesure que je l'apprivoise, ou crois le faire. Avant-hier, évoquant un site internet où il "entrepose" sa musique, il m'écrivait ceci :

c'est comme You Tube, ce n'est pas chez moi, c'est un machin
pour les musicos paumés comme moi qui cherchent à accrocher les studios
Dysney ou la mère Bettencourt, vous voyez. On paie 30 euros par an et on a
la paix. À mon avis, ça ne sert à rien, mais on ne sait jamais (c'est
toujours ce qu'on dit : "On ne sait jamais, je ne gagnerai jamais au Loto,
mais je joue quand-même.").

Je me suis mis à faire la pute sur facebook aussi, c'est l'enfer ce machin !
J'avais même été jusqu'à mettre un manuscrit chez Léo Scheer, et puis non,
merde, j'ai tout enlevé, j'ai quand-même encore un peu de dignité. Purée,
jusqu'à quel trou du cul à lécher vais-je aller ???

Je lui ai répondu :

Oui, ben, non. Vous ne devez pas penser cela de vous-même. Évidemment, moi qui ne crée rien, cela m'est sans doute facile de prononcer des sentences ex cathedra, mais enfin... vous êtes musicien et personne ne vous écoute ? D'abord, pas "personne", et d'une. On n'est sûrement pas des milliers, d'accord. Vous avez 50 auditeurs, Renaud Camus a 500 lecteurs (nombres donnés parfaitement au hasard) : et alors ? Je comprends bien que vous préféreriez en avoir 50 000, ou bien n'en avoir que 50, mais triés sur le volet – être reconnu. Et Camus tout comme vous, il ne cesse de le dire. Admettons même que nous ne soyons que dix à avoir découvert, par vous, une musique à laquelle on se pensait rédhibitoirement fermé, à avoir vécu ce qui m'est arrivé ces dernières semaines, cette découverte que l'on peut créer du chant avec des voix qui parlent (c'est ce que j'aime le plus, chez vous. Pour l'instant au moins), nous n'en existerions pas moins, et vous seriez directement responsable de cet élargissement de notre conscience, de cette ouverture de nos oreilles. Ce n'est sans doute pas grand-chose, mais ce n'est pas rien. Vous n'êtes pas rien, ce qui sort de vous n'est pas rien.

Et puis, merde : Proust a plus ou moins léché les culs des Léo Scheer de son époque ! Parce qu'il voulait être lu, cela passait avant toute chose, et avant sa fierté, et avant lui-même. À vous de voir. Si demain Catherine gagnait 10 millions d'euros au loto (mais cette femme inconséquente s'obstine à jouer des numéro idiots...), je vous offrirais Pleyel et tous les musiciens dont vous auriez besoin. Mais je ne pourrais rien vous offrir de plus : tout serait néanmoins entre vos mains. Avec mes dix millions d'euros, je serais toujours incapable d'aligner un do et un ré. Mais, à ce moment-là, je jouerais volontiers les mécènes, à l'ancienne : je vous COMMANDERAIS une symphonie, et vous auriez intérêt à bosser ! J'exigerais 90 musiciens, et me plierais néanmoins à votre volonté si vous décidiez d'écrire une symphonie pour trois violons et une scie musicale...

En même temps, il me faut “bémoliser” sans doute mon enthousiasme : je me doute bien que j'aime votre musique en partie parce que, justement, elle est vôtre. Et que, du coup, j'avais envie de l'aimer avant même de l'avoir écouter. Mais enfin, je la récoute, ce à quoi personne ne m'oblige. Et je ne pense pas être particulièrement masochiste. Si je l'avais détestée, ou si simplement la porte m'en était restée fermée, je ne sais pas si j'aurais eu "les couilles" de vous le dire ; je ne sais pas comment je m'en serais "tiré". Mais il se trouve que plus je vous écoute et plus je prends de plaisir à le faire. Et que je trouve très "bizarre" d'aimer ce que vous faites – d'où ma question : est-ce cette musique qui me séduit, ou le fait qu'elle vienne de vous ?

Amorce de réponse : les autres compositeurs de musique concrète que vous m'avez fait parvenir, eh bien je les écoute aussi. Moins volontiers que vous, parce qu'ils ne sont pas vous, mais tout de même, il me semble qu'être "passé" par vous me permet de les entendre, de pouvoir mettre un pied à l'intérieur de leur univers – en toute modestie évidemment. Mais de le faire avec plaisir et excitation ; le même genre d'excitation – très exactement le même – que, ces dernières semaines, lorsque je me suis avisé de risquer une oreille du côté de Chostakovitch, et que j'ai constaté avec une grande excitation que je disposais de QUINZE symphonies à découvrir.

Bon, je m'arrête là pour ce soir : je sens que vous somnolez déjà...

Didier

Sa réponse de ce matin, qui fait également allusion à mon billet d'hier soir, sur le même sujet :

Encore une fois vous touchez juste. Si existe une petite originalité dans
"ma musique" concrète, elle est due à ce goût que j'ai de faire "chanter les
voix qui parlent". Et aussi sans doute à avoir accepté, avec le temps, de ne
rien (ou presque) inventer. "Est-ce que tu me souviens" a certainement joué
un rôle non négligeable dans cette démarche. Longtemps j'ai cru que si l'on
n'avait pas quelque chose de parfaitement original à dire (qui ne venait de
nulle part) il était inutile d'écrire quoi que ce soit. Je me souviens
encore du premier bout de partition que j'ai soumis à Carlos Roque Alsina,
mon maître. C'est lui qui m'a expliqué que rien ne venait de rien, que toute
la musique venait de toute la musique déjà écrite. Mais j'ai mis encore très
longtemps à supporter cette idée.

Quand j'ai fait ce disque, l'année dernière, je m'y suis pris à la dernière
minute, comme d'habitude. J'avais déjà l'idée, bien sûr, mais j'ai
quand-même travaillé dans l'urgence, enfin vous connaissez le truc. Quand il
a été fini, j'ai trouvé que c'était vraiment très mauvais. Ce n'est qu'en le
récoutant un an plus tard que je me suis dit que finalement il n'était pas
si mauvais que ça, et que même, j'ose le croire, il sortait un peu de
l'ordinaire de cette musique. Bref, on a toujours le cul entre deux chaises.
Pas mal mais peut mieux faire. Le problème est que ce n'est pas ce genre de
musique qui me passionne, même si j'aime ça. Mais je ne me verrais pas faire
uniquement ça toute ma vie, c'est trop limité, à mon avis. L'orchestre est
infiniment plus riche, passionnant, profond, complexe. Quand je dis
l'orchestre, je parle de l'instrumentarium occidental traditionnel. Il est
toujours facile de se trouver borgne en se comparant à des aveugles, et dans
la musique électroacoustique, il y a beaucoup d'aveugles. Même les "Grands"
ne m'impressionnent pas beaucoup, je l'avoue, même s'ils ont infiniment plus
de métier que moi. Bayle, par exemple, qui est considéré comme un des papes,
m'ennuie très vite. C'est toujours parfait, mais ça pisse quand-même pas
très loin. Tous les grands compositeurs de la fin du XXe ont tâté de
l'électronique, Boulez, Berio, Pousseur, Stockhausen, Maderna, Xenakis,
Ligeti, etc. mais ils ont tous rapidement passé leur chemin. C'est bien
comme ça que je conçois la chose. L'électroacoustique permet deux choses
très précieuses : pouvoir composer à la maison et être joué sans rien
demander à personne (ce qui est quand-même le pied, faut reconnaître), à
très peu de frais, et surtout, pouvoir faire toutes sortes d'expériences
acoustiques de son propre chef, qu'on peut ensuite mettre en pratique dans
des compositions instrumentales, de "vraies compositions" ai-je envie de
dire. Le seule chose qui me botterait réellement actuellement serait
d'écrire la symphonie que j'ai en tête. Mais comment se mettre au travail
pour deux ans à raison de quatorze heures par jour pour des prunes quand on
ne sait pas comment payer le loyer de septembre ???

(...) Je continuerai plus tard, il faut que j'aille faire le marché à Alès.

Jérôme

Nous en sommes là pour le moment.

Je viens de passer plus d'une heure à remplir un formulaire concernant ma retraite. J'ai eu la stupéfaction de constater que j'étais crédité, fin 2009, de 139 trimestres – et encore n'ont-ils pas pris en compte l'année 1998, durant laquelle j'ai cotisé auprès de l'AGESSA). Ce qui, si j'ajoute à ceux-ci les quatre trimestres de l'année en cours, m'amène à un total de 147 trimestres, alors que la loi en exige – me dit à l'instant Catherine – un minimum de 164. Il m'en manquerait donc 17, soit quatre ans de salariat (ou de chômage...) avant le taux plein. L'explication est que j'ai suffisamment travaillé (en tant qu'étudiant) dans les années 1974-1978 pour avoir droit à quatre trimestres pour chacune de ces années. Bonne nouvelle...


Dimanche 25 juillet

Sept heures et demie. – Synopsis bouclé ! Certes, il demeure très “basique” (pas plus de trois ou quatre lignes manuscrites par chapitre à écrire), mais enfin il me semble que les grosses contradictions et les “blancs” non moins préoccupants qui le constellaient encore sont résolus. Je m'y mets mercredi matin.

Demain, nous recevons Nefisa, qui arrive à Vernon par le train d'onze heures et repartira, si j'ai bien compris, dès mardi. Mais elle fera bien ce qu'elle voudra. Sa visite me faire très plaisir, étant resté assez frustré de notre première rencontre chez Zoridae et Balmeyer, qui en était à peine une, de rencontre.

Je suis plongé dans le livre de Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive. Passionnant, et très instructif quant à nos modernes “antisionistes” de gauche qui recyclent sans état d'âme les pires poncifs de l'antisémitisme le plus répugnant.

À propos de ce mot, antisémite, Taguieff le récuse plus ou moins, au motif qu'il serait mal formé. Il n'a pas tort, puisque certains Arabes, ou fidèles serviteurs de ceux-ci, arguent du fait qu'ils sont eux-mêmes sémites pour se laver à peu de frais de l'accusation d'antisémitisme. Cela dit, je me refuse à employer le judéophobe que Taguieff préconise en lieu et place, à cause de mon dégoût de plus en plus grand pour tous les mots suffixés ainsi : pratiquement par définition, le phobophone est mon ennemi, à tout le moins mon adversaire. Je propose – et me propose – de restaurer le vieil adjectif antijuif (dont Taguieff se sert parfois, du reste), qui possède à mes yeux un double mérite : d'une part celui d'être parfaitement clair, sans ambiguïté ; d'autre part celui de rappeler l'hebdomadaire fondé en 1896 par Jules Guérin, président de la Ligue antisémite, et ainsi de bien mettre l'accent sur la filiation, les accointances entre l'extrême-droite de cette époque et l'extrême-gauche toutes tendances confondus (communistes, trotskystes, altermondialistes, pro palestiniens, etc.) de la nôtre.


Mercredi 28 juillet

Sept heures et demie. – Rien écrit ici ces deux derniers jours. Pour avant-hier, la faute en incombe à Nefisa, qui a passé la journée et la soirée (et la nuit bien entendu) chez nous. Voilà une fille que nous aimons vraiment beaucoup, Catherine et moi. En dehors de son intelligence et de son charme (et de son talent littéraire, que je crois très réel et prometteur), elle a une espèce de folie contrôlée, dont elle joue (pour les autres) et s'amuse (pour elle-même), mais avec un grand naturel et beaucoup de grâce. Ainsi, alors que Catherine venait de parler de l'ancienne phobie d'Adeline, sa fille, pour les plantes vertes, Nefisa : « Moi, c'est des ballons, que j'ai peur. Des ballons et des balles... » Et, devant notre air légèrement interloqué, elle s'empresse d'ajouter : « Mais seulement dans les pièces fermées. » Ah bon, ouf ! nous voilà pleinement rassurés...

Logiquement, nous devrions, début octobre, aller passer un week-end dans le château de sa mère, qui fait “chambres d'hôtes” et qui est situé au nord de Charleville, dans la vallée de la Meuse. Nous ferions d'une pierre deux coups en allant également passer deux jours à Sedan, chez mes parents.

Quant à hier, si je n'ai pas écrit non plus dans ce journal, c'est que, la veille, entre midi et minuit, je n'avais guère cessé de boire (pas de “fort”, heureusement) que durant deux ou trois heures dans le milieu de l'après-midi...

Presque achevé le livre de Taguieff, qui m'a déjà fourni matière à deux billets sur le blog-mère, et qui pourrait m'en inspirer encore plusieurs autres. Mais je ne vais pas non plus me métamorphoser en héraut de l'anti-antisémitisme...

Il n'empêche que toute une partie de la gauche (sa partie extrême...) est en train de se déshonorer complètement, par ses accointances avec l'antijudaïsme le plus crapuleux de ses plus ou moins alliés musulmans. Comme le fait observer l'un des auteurs cités par Taguieff (mais j'oublie lequel en ce moment et n'ai pas trop le temps d'aller chercher) : si l'antisémitisme, il y a un siècle, a pu être appelé le socialisme des imbéciles, c'est devenu aujourd'hui l'anti-impérialisme des imbéciles.

J'ai commencé à écrire La Femme qui s'éloigne ce matin... et j'ai eu mon premier “coup de mou” dès cet après-midi. Encore, quand je dis que j'ai commencé à l'écrire : je n'ai pratiquement fait que recopier l'ouverture du roman de Renaud Camus, Loin, qui me sert de fil conducteur, de trame, de motif à variations. Tout de même non sans y incorporer trois ou quatre passages de mon cru en essayant que la “descente de style” se sente le moins possible...

Et ce n'est pas demain que je vais rattraper ce retard, je vais même l'aggraver puisque, anniversaire de Catherine oblige, nous allons déjeuner à L'Hôtellerie d'Acquigny. Ce qui signifie chablis dans les verres, donc pas de travail l'après-midi. Et pas davantage le matin, en fonction de la règle bien connue : si c'est pour s'arrêter à midi autant ne pas s'y mettre du tout.

Ensuite, il va falloir cravacher la bête, comme d'habitude, et même pis que d'habitude dans la mesure où, tout le monde étant en vacances ou presque, à FD, je ne puis “carotter” la moindre journée sur ce front-là. Et, d'autre part, nous sommes attendus en Auvergne, chez Mère et Fidel Castor, le week-end du 21 août : il faudra donc bien que tout soit écrit, relu, corrigé et expédié avant cela. Ce qui n'arrive même plus à provoquer chez moi le moindre frémissement d'inquiétude.

Pour marquer l'anniversaire de Catherine, je pense que je vais publier le journal de juin demain, sans attendre la fin du mois. De toute façon, qui s'en soucie ?


Jeudi 29 juillet

Neuf heures moins vingt. – Catherine n'a pas vu sa fille aînée depuis au moins trois ans. Élodie vit à Saint-Malo, avec un mec (tout à fait charmant) dont la famille habite à vingt kilomètres de chez nous. Nous savons très bien qu'ils vont visiter cette famille environ une fois par mois et que, pour ce faire, ils passent, en voiture, à une quinzaine de kilomètres de la maison. Et cela fait trois ans que Catherine n'a pas vu sa fille.

J'en arrive à la détester pour cela. Catherine parvient à se persuader qu'elle se passe de sa fille, mais ce n'est pas vrai, je sais bien que ce n'est pas vrai. Et l'autre, comment peut-elle passer à quinze kilomètres de chez sa mère sans venir la voir ? Est-ce que quelqu'un sait comment une fille que j'ai connue charmante peut se transformer en un tel monstre d'égoïsme ?

Est-ce qu'on peut être aussi misérable ? Peut-on se conduire comme cela quand il s'agit de sa mère (ou de son père, d'ailleurs) ? A-t-on le droit, sous prétexte qu'on est une fille ou un fils, de se comporter de cette manière ?

En fait, je crois bien n'avoir jamais connu personne d'aussi égoïste, d'aussi replié sur sa petite personne qu'Élodie. Probablement ne se rend-elle même pas compte du mal qu'elle répand autour d'elle, dans la mesure où elle ne sait pas qu'il se trouve des gens autour d'elle. Véritablement, tout à l'heure, j'ai eu du mal à ne pas arracher le téléphone des mains de Catherine pour dire à Élodie tout le mépris que sa conduite m'inspire.

Catherine est sa mère, n'est-ce pas ? Il est tout à fait possible que, à ce titre, Catherine l'ennuie. Ma mère aussi, parfois, m'ennuie. Ou me “gonfle”, pour plonger dans le vocabulaire contemporain. Admettons même que Catherine soit une mère pénible, pourquoi pas ? (Il me semble, moi, que non ; mais il est sûr qu'elle n'est pas la mienne.)

Et alors ? ET ALORS ? C'est sa mère, non ? Comme la mienne est la mienne. On ne fait pas de “chantage à la présence” à sa mère. Sinon, on est juste une merde, je m'excuse (en fait, non : je ne m'excuse même pas). On plie le genou, devant sa mère. On lui fait autant que possible le seul cadeau qu'elle attend de vous, à savoir sa présence, son existence ; on lui confirme qu'elle a bien eu cet enfant dont elle ne demande qu'à être fière, ou en tout cas heureuse.

Un enfant qui prive sa mère de lui-même démontre par là-même son insignifiance, sa pitoyable inexistence – et surtout il s'exclut du monde des humains, et même de celui des grands singes et des chiens et des merveilleux ânes. Il n'est plus rien qu'un ensemble de membres articulés, surmonté d'une tête qui ne sait plus rien faire que ricaner. Un humain qui repousse sa mère devient laid.

Et je vais m'arrêter là, mais l'envie ne m'a pas encore quitté de hurler après ces cloportes. Pas de crier ni d'argumenter avec violence : juste hurler.

Neuf heures vingt. – Tout de même, je ne voudrais pas laisser penser que cette journée d'anniversaire (qui marque l'entrée de Catherine dans sa dernière année de cinquantaine) a été si pénible. Elle a au contraire été fort agréable. Notamment les deux heures que nous avons passées à L'Hôtellerie d'Acquigny, où nous avons été aussi bien reçus qu'à l'accoutumée et mangé encore mieux si cela est possible.

C'est très étrange comme je suis incapable de m'ennuyer avec Catherine, quel que soit l'endroit ou le “contexte”. C'est bien pourquoi il me serait tout à fait envisageable d'aller vivre en Gaspésie, en Mongolie extérieure, à New York ou ailleurs, cela ne ferait aucune différence notable, pourvu que ce soit avec elle. Mais enfin, je préférerais la Gaspésie à New York, tout de même.

Il n'est pas impossible, pour “relier” les deux thèmes que je viens d'aborder ce soir, que, de mon côté, j'aide Catherine à supporter ses enfants.


Vendredi 30 juillet

Sept heures et demie. – C'est fou ce que j'ai envie d'écrire ici ce soir... Naturellement, suite à nos libations d'hier, je n'ai pas avancé le BM d'une ligne. Je me retrouve donc dans la même situation que d'ordinaire : 230 pages à faire en douze jours, soit vingt par jour sans possibilité de “faux pas”. Et je commence à maudire cette idée que j'ai eu de bâtir mon histoire à partir du roman de Camus, idée qui, bien entendu, me complique la tâche plutôt qu'autre chose.

Ayant terminé le livre de Taguieff en début d'après-midi, j'ai enchaîné directement avec Le Premier Cercle. Pour l'instant, après une centaine de pages lues, je ne peux pas dire que je sois emballé. Il manque quelque chose, à ce roman. Je ne sais pas encore quoi mais il manque quelque chose. Ou alors c'est à moi qu'il manque quelque chose, mais enfin la carburation a du mal à se faire.

Jérôme Vallet me faisait remarquer tout à l'heure, parlant du second mouvement de la sonate K 377 pour piano et violon, que Mozart semblait presque avoir inventé le tango 150 ans avant Carlos Gardel. Et c'est parfaitement exact, à un point troublant même. En tout cas ces sonates – pour le peu que j'ai pu en écouter aujourd'hui – sont de vraies merveilles. Moi qui pensais n'aimer pas trop le violon, je sens que je ne tarderai plus à changer mon archet d'épaule.

Hier, Catherine m'a donné à lire son journal de juillet, le premier qu'elle tenait : il n'est pas mal du tout, contrairement à ce qu'elle craignait ; varié, naturel, pas m'as-tu-vu pour un euro, sans la moindre pose, ni affectation d'aucune sorte (contrairement à celui-ci, parfois). Je me demande d'ailleurs si, pour tel ou tel événement donné, je ne pourrais pas, de temps en temps, mettre en regard de mes notes éventuelles ce qu'elle aura pu en dire de son côté. À voir.

Lorsqu'elle était chez nous, Nefisa m'a fait remarquer, après être venue ici consulter ses mails, que mon clavier d'ordinateur était immonde. Elle a raison, il est absolument dégueulasse. Et moi qui ne m'en avisais nullement jusque là, j'en suis littéralement obsédé depuis – mais pas encore au point de le nettoyer...


Samedi 31 juillet

Sept heures et demie. – Cette fois, ça y est : après un an et demi de vacuité, la “maison de Mamie” (à gauche de la nôtre quand on se tient dans la rue de l'Église face à elles) vient de se remplir de ses nouveaux propriétaires. Il s'agit d'un couple “entre deux âges”, mais plus près encore de la jeunesse que de leur prochaine sénilité, contrairement à nous. Pour l'instant pas d'enfant en vue, mais ne nous réjouissons pas trop vite. Ils sont arrivés en milieu d'après-midi avec le pack papa-maman de l'un ou de l'autre, et depuis ça n'arrête pas : on tond la pelouse, on taille les bordures, on lave les carreaux des fenêtres, on désherbe le carré de fleurs, etc. Bref, nous semblerions, une fois de plus, être tombés sur des agités voire des hyperactifs.

Je me souviens qu'à chaque fois que nous avons pris possession d'une nouvelle maison, Catherine et moi, notre travail de cette première journée consistait à :

1) brancher le frigo pour fabriquer des glaçons,
2) faire le lit,
3) dégager deux fauteuils pour prendre l'apéritif et ainsi arroser dignement notre nouveau petit palais.

Pourquoi ne tombons-nous jamais sur des voisins qui nous ressemblent ? Des semi-intellectuels ne s'agitant et faisant du bruit qu'en dernière extrémité, et prenant plaisir, les beaux soirs d'automne, à vider une bouteille en devisant négligemment de Proust à voix mesurée ? Je sais bien que la statistique joue contre nous, mais enfin ça pourrait bien nous arriver au moins une fois, tout de même.

Sinon, première vraie journée de travail sur le BM : 18 feuillets annoncés à Catherine, 15 réellement écrits. Et demain, déjà, danger : Catherine m'abandonne toute la journée pour cause d'agility. C'est-à-dire qu'il va falloir travailler sans garde-fou psychologique. Je prends virilement, ici même, l'engagement solennel d'y parvenir.

Et c'est sur cette mâle affirmation que se clôt ce mois de juillet, qui ne fut ni pis ni meilleur que d'autres, et ne laissera guère de traces dans ma mémoire – sauf catastrophe imprévue d'ici minuit.

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