Louis, Paul & Gédéon
Dimanche 1er
Six heures. — Levé depuis déjà plus d'une demi-heure. Rien à noter ici, mais le plaisir enfantin de commencer un nouveau mois. Plaisir qui en vaut bien un autre.
Sept heures et demie. — Je viens de me risquer à faire une chose encore jamais tentée par moi avant ce jour : mettre en lien le journal de novembre, programmé pour sept heures, dans le billet d'annonce du blog-mère, resté, lui, à l'état de brouillon depuis hier, puis publier la dite annonce. Et le plus fort, c'est que tout a fonctionné impeccablement, alors même que j'étais persuadé du contraire. (Bon, j'ai quand même tâtonné un peu, avant de remporter ce formidable succès...)
— Sinon, je commence ce mois comme j'ai achevé le précédent : en faisant la révolution à Petrograd et, l'après-midi, en ronchonnant avec Léautaud.
— À propos de Léautaud, justement. Non content d'avoir des idées parfaitement farfelues sur la santé et la médecine, il est passablement hypocondriaque (il est vrai que ça va souvent ensemble) et passe rarement plus d'une semaine sans consulter le Dr Saltas. En mai 1930, alors qu'il était exceptionnellement resté un mois sans consulter, réflexion de la petite bonne de Saltas : « Ce monsieur ne vient plus : il doit être malade... »
— Je n'ai évidemment jamais vu aucune de ces grandes foires de charité télévisée que l'on appelle téléthon. Mais j'ai dans l'idée qu'on doit y atteindre des sommets, dans la niaiserie, l'émotion sur commande et l'autosatisfaction frelatée.
Lundi 2
Sept heures. — Voilà ce pauvre Élie Arié qui refait surface. Avec deux commentaires et un himmel personnel... tous trois rigoureusement identiques. Et pour me dire quoi ? Que j'ai fait une impardonnable confusion en disant que Proust avait eu son Goncourt grâce à Léon Daudet. « C'était grâce à son frère Lucien ! », me braie cet âne wikipédiesque qui, apparemment, n'est même plus capable de lire correctement ce qu'il ignorait la minute d'avant. Car c'est bien évidemment Léon, membre influent de l'Académie Goncourt, qui a fait avoir le prix à son ami Marcel ; tout comme il tentera de le faire, une douzaine d'années plus tard, pour le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand. Mais, cette fois, sans succès.
Deux heures. — Catherine vient à l'instant de voir les deux premiers chardonnerets de la saison venir à la cabane à graines.
— Ce pauvre Dagrouik (Ronald) pense avoir, dans son dernier billet, réglé leur compte aux “vieux cons” de l'Académie française, à propos de la nouvelle édition de leur dictionnaire. Moyennant quoi, il publie un tissu d'âneries et se couvrirait de ridicule, s'il était encore accessible au ridicule, en prouvant quasiment à chaque phrase qu'il ne comprend pas ce qu'il lit, n'y voyant qu'un simple reflet de ses préjugés et approximations modernoïdes.
Quatre heures. — Léautaud c'est Perrette ; et son pot au lait c'est Le Petit Ami. Et que la réédition de la nouvelle version me rapportera tant quand le Mercure la publiera ; et que j'ajoute l'édition illustrée que m'a promise Ambroise Vollard ; sans oublier l'édition limitée “de luxe” que Télin s'est fermement engagé à faire ; et tous ces gens ont déjà carnet de chèques et stylo en main ; et que les droits d'auteur grimpent, que les zéros se multiplient... Et, pendant qu'on rêvasse à la fortune imminente, Le Petit Ami reste en cale sèche, comme il l'est depuis une vingtaine d'années et où il restera coincé durant les 25 suivantes. Adieu veaux Mercure, vaches Vollard, couvées Télin...
Six heures. — Du même Léautaud, le 18 janvier 1931 : « Commencé aujourd'hui ma 60e année. » Ciel ! Pour une fois, il tombe juste, étant né le 18 janvier 1872. Malheureusement, il a fallu qu'il ajoute aussitôt : « Changement de chiffre, C'est le 6 maintenant. » Eh non ! Quand on entame sa soixantième année, cela veut dire qu'on vient d'avoir 59 ans : pour le 6, il faudra patienter 365 jours de plus...
— Ce même jour anniversaire, Léautaud déjeune à la Vallée aux Loups chez le Dr Le Savoureux, là même où il viendra finir ses jours au début de 1956 (mais il n'en sait rien…). Après le repas, Julien Benda et lui en viennent à parler d'Alain : « Nous nous trouvons d'accord, note le soir même Léautaud, pour le trouver assommant, plat, avec ses phrases de professeur dévidées sur le même ton gris, sans jamais un mot qui éclate. » Sentence qui m'a fait plaisir, moi qui ai toujours trouvé artificiel et pénible le “style” de ce pontife, dont le professeur de philosophie qui me fut échu en terminale (1975) nous assomma tout au long de cette année scolaire ultime.
Mardi 3
Dix heures. — Tombera ? Tombera pas ? Tombera et se relèvera aussitôt ? S'il est une question pour me laisser remarquablement serein, c'est bien celle de l'avenir immédiat de ce gouvernement. Dont par ailleurs, à l'exception du premier d'entre eux, je serais bien incapable de citer le nom d'un seul de ses ministres.
— Régulièrement, chez les internés sociaux, revient ce reproche, on pourrait même dire : cette accusation, visant celui-ci ou celui-là, de n'avoir jamais rien fait d'autre dans sa vie que de la politique. Oui, et alors ? Impute-t-on à charge au boulanger de n'avoir jamais rien fait d'autre que du pain ? Au mécanicien de passer toute sa vie dans les moteurs de bagnoles ? Pourquoi la politique devrait-elle être dévolue aux seuls amateurs ? Aux intérimaires ? Ces braves vertueux internautiques en sont visiblement restés au bon vieux mythe de Cincinnatus revenant à sa charrue.
Midi. — On disait devant l'abbé Mugnier qu'en somme le médecin et le prêtre se ressemblaient, qu'ils étaient deux confesseurs. Commentaire de l'abbé : « Oui... mais il y en a un qui ne pardonne pas ! »
Quatre heures. — Il est toujours amusant de voir les gens du passé se montrer choqués à l'apparition d'une nouvelle expression, d'un mot soudain employé dans une acception inusitée. Ainsi Léautaud en 1931 :
« Dans les Nouvelles littéraires de ce matin, un long article de Cassou : Hommage à l'Espagne profonde. L'Espagne profonde ? Qu'est-ce que cela veut dire, Seigneur ? Un écrivain est jugé quand il tombe dans ces niaiseries. »
En fait, c'est moins amusant qu'intéressant, voire instructif en ce sens que cela incite à la réflexion (enfin... n'exagérons rien !). Le premier mouvement est de se dire que Léautaud fait bien des histoires pour rien : nous-mêmes, n'est-ce pas ?, parlons couramment de la France profonde, et cela nous semble aussi naturel d'emploi que limpide de sens...
Mais, juste après, l'indignation de Léautaud (ou d'un autre) nous pousse à nous attarder sur l'expression stigmatisée ; à l'examiner d'un œil neuf ; ou même à la loupe. Et on en arrive assez vite à se dire que, en effet, cette France “profonde” n'a peut-être pas grand sens... au fond. Et qu'on serait bien en peine si l'on devait justifier de son emploi d'une façon tant soit peu rationnelle.
Six heures. — À la même époque, le même Léautaud découvre dans la NRF le début du roman de Jean Schlumberger intitulé Saint-Saturnin. Par deux fois il le qualifie de “remarquable”. Je me souviens, moi, d'avoir commencé à lire ce roman il y a quelques années, et qu'il m'était tombé des mains après une cinquantaine de pages. Alors ? Qui est dans le vrai, de Paul ou de moi ? Y a-t-il seulement une vérité ? Après tout, Léautaud change assez souvent d'avis, même radicalement, sur les choses qu'il a pu aimer et qu'il relit des années plus tard — et moi itou, dans un sens comme dans l'autre.
Mercredi 4
Sept heures. — Matinée agitée (à notre échelle tout au moins) : à huit heures et demie, emmener Charlus chez l'esthétichienne, à charge pour elle de transformer ce gros Gremlin en rat pelé. Passage à la boulangerie avant de remonter au Plessis. Puis, un peu plus tard, avec Catherine cette fois, redescente à Pacy pour une razzia au Carrefour Market, avant de récupérer le rat sus-évoqué. Je n'aurai pas volé ma sieste...
— Sous X, un “enseignant-chercheur en psychologie sociale” lance cet émouvant appel à l'aide :
Hello, est-ce que des personnes ont des références visant la critique du modèle des variables latentes dans le contexte spécifique de la psychologie sociale et de son usage de la psychométrie pour mesurer l’adhésion à des systèmes de croyance ?
Comme je n'étais pas absolument sûr de mes références en la matière, j'ai préféré ne pas me manifester...
Neuf heures. — Première partie de l'emploi du temps pleinement accomplie : j'ai du pain pour midi et Charlus est en train de se faire baigner et raser. Tout cela dans un brouillard à trancher à la hache. Sur la route, j'ai “navigué aux instruments”, comme aurait dit mon aviateur de père. Récupération du rat à onze heures moins le quart. Avant ça : hangar à bouffe.
— On a beau s'imaginer que l'on connaît parfaitement la stupidité dogmatique et criminelle des communistes dès lors qu'ils s'emparent du pouvoir quelque part, il faut lire des livres comme La Révolution russe d'Orlando Figes pour bien se rendre compte des sommets de nuisance qu'ils sont capables d'atteindre.
Et il se trouve quand même encore des gens pour appeler de leur vœux ce genre de paradis-sur-terre. Comme le disait Proust : nos croyances ne sont pas engendrées par la raison, de ce fait celle-ci est incapable de détruire celles-là.
Onze heures. — Retour de Charlus shampouiné et rasé, ayant donc changé d'aspect et d'odeur : Petit Loup l'observe d'un œil méfiant, sans oser encore s'approcher trop de lui, semblant se demander par quelle diablerie son chien s'est soudain transformé en cette réplique approximative, et donc forcément douteuse.
Jeudi 5
Sept heures. — Le gouvernement est donc tombé hier soir, ce dont je me fiche dans les grandes largeurs. Ce qui m'amuse, c'est cette union des censureurs d'extrême gauche et des motionnistes lepenoïdes : ils n'étaient pas censés faire barrage au fascisme, les guignols de Mélenchon ? Une nuance très fine m'aurait-elle échappé ? Sûrement...
(M'amusent aussi les pantins-sous-X, qui se précipitent vers leur petite mare, pour annoncer triomphalement une nouvelle que tout le monde a appris à la même seconde qu'eux.)
En tout état de cause, je sens qu'on ne va pas tarder, chez les asilaires collectivistes, à nous ressortir la petite Lucie de son bocal de formol. La mère Castets va finir par muer en môme Casse-Burnes.
— Dans le copieux (près de 80 pages) mais passionnant Avertissement qui prélude à l'édition Boislisle des Mémoires de Saint-Simon, je tombe sur cette phrase de La Bruyère :
C'est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu'à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires.
Voilà un avis dont les éditeurs modernes devraient bien s'inspirer, spécialement ceux de la Pléiade, pour se désencombrer de tous leurs parasites universitaires.
Midi. — Aux abords de la 800ème page, il commence à me tarder d'en finir avec cette putain de Révolution russe. Bien hâte que Vladimir Ilitch se décide à casser sa pipe — ce que, pour le bien de l'humanité, il aurait été mieux avisé de faire une dizaine d'années plus tôt, mais bon...
— Devient-on jamais adulte ? Je veux dire : parvient-on, un jour, à se considérer soi-même comme pleinement adulte ? J'en doute de plus en plus. C'est d'ailleurs peut-être pour cela que tant de gens font des enfants : obligés devant leur marmaille de jouer aux “grandes personnes”, ils finissent tant bien que mal par s'identifier aux personnages fictifs dont ils ont passé le costume. C'est peut-être aussi la raison pour laquelle on dit que les vieux “retombent en enfance” : ce n'est pas qu'ils y retombent, c'est qu'ils n'en sont jamais sortis, mais que, parvenus pas très loin de la ligne d'arrivée (ou de départ, c'est selon...), ils n'éprouvent plus le besoin de jouer aux adultes et désendossent leur panoplie.
Quatre heures. — En juin 1931, notre Léautaud s'enflamme pour Fernande Olivier, l'ex-maitresse de Picasso, qui est venue le voir trois ou quatre fois à son bureau du Mercure. Elle vient tout juste de fêter son cinquantième anniversaire, il s'approche dangereusement de son soixantième. Mais, dans son journal, on dirait d'un gamin de 17 ans bandant pour sa première pucelle et, du coup, s'en croyant amoureux. Ce qui est tout à fait charmant.
À côté de cela, on apprend par le même Léautaud que, dans ces années-là, il y avait à Paris un inspecteur de police nommé... Colombo.
Six heures. — Gagné ! La môme Casse-Burnes a bien été réactivée, déformolisée, comme je le prévoyais dès ce matin, sans grand mérite à dire vrai. Elle sera ce soir, tout à l'heure, à Tours, pour un barnum public destiné à sauver les services, publics eux aussi. La chose aura lieu au Sanitas, quartier de Tours qui était déjà peu reluisant dans les années soixante, quand je fréquentais cette ville de loin en loin, mais qui, alors, était un quartier français : j'imagine sans peine ce qu'il doit être devenu, et qu'on devine fort bien à travers les circonlocutions embarrassées de Dame Ouiki. Évidemment, qui trouvera-t-on au premier rang de la claque ? Notre bon professeur Saint-Graal, que pareille réjouissance va encore faire coucher à pas d'heure. C'est tout de même beau, l'enthousiasme de l'âge mûr...
Vendredi 6
Huit heures. — Scène toujours croustillante que celle de la princesse Palatine, femme du duc d'Orléans et donc belle-sœur de Louis XIV, giflant devant le gratin de la Cour son fils, duc de Chartres et futur Régent de France, parce qu'il vient d'accepter d'épouser Mademoiselle de Blois, bâtarde du roi, mariage auquel elle était violemment opposée. Voilà qui me donne envie de relire les lettres si goûteuses de la Palatine en question. Ainsi que, par rebond en quelque sorte, les Historiettes de Tallemant des Réaux. Mais bon : ne mélangeons pas tout, une chose à la fois, revenons à Saint-Simon, témoin oculaire et auditif de la gifle ducale sus-évoquée. Gifle qui, entre autres éclats, lui fera écrire dans ses mémoires que la Palatine “n'étoit pas femme à contraindre ses mépris”. Pour sûr...
— L'art d'épingler un papillon humain en quelques mots : « Montchevreuil étoit Mornay, de bonne maison, sans esprit aucun, et gueux comme un rat d'église. »
Ce “gueux comme un rat d'église” fait mes délices depuis au moins cinq minutes.
Onze heures. — En dehors de ces réjouissances versaillaises, on peut me voir considérablement frustré depuis ce matin : aucun compte rendu sous X de la glorieuse assemblée tourangelle d'hier soir, durant laquelle, nul ne peut en douter, la môme Casse-Burnes a forcément sauvé l'ensemble de nos administrations publiques, agonisantes sous les coups portés par les requins néolibéraux qui mettent la France en pièces.
— J'apprends seulement aujourd'hui que Le Monde s'enorgueillit d'abriter en son sein une journaliste “spécialiste des violences masculines”, une certaine Lorraine Foucher. Elle vient même de recevoir le prix Albert-Londres, que nos naïves metooffettes qualifient de “prestigieux”. Je trouve, moi, qu'ils auraient pu, ce prix, le rebaptiser Albertine, en l'honneur de cette courageuse exploratrice des sentiers battus.
Samedi 7
Dix heures. — Je me demande si j'aurai le bonheur, avant de mourir, que se réalise mon vieux rêve : voir un adulte monté sur trottinette s'exploser la tronche contre un réverbère, un abribus, ou n'importe quelle autre pièce du mobilier urbain. Je devrais peut-être passer plus de temps à arpenter les rues des villes...
Midi. — Les petites phrases qui n'ont l'air de rien mais montrent parfaitement qu'entre Saint-Simon et nous le monde a vraiment changé. Ainsi : « J'arrive à Paris et j'achète un régiment de cavalerie. » On se prend un instant à imaginer une hypothétique vendeuse s'enquérant : « Votre régiment, vous l'emportez avec vous ou bien je vous le fais livrer ? Et je vous signale qu'à partir de trois régiments, nous faisons la livraison gratuite ! »
— Dans la presse soviétique des années trente du siècle passé, chaque article, quel que soit son sujet, devait inclure un péan à la gloire de Staline. Dans les années vingt de celui-ci, chaque série Netflicarde doit également respecter quelques impératifs moraux, deux des plus importants étant la diversité raciale et l'homosexualité. Les deux dernières que nous avons commencé à regarder semblent avoir trouvé sans se consulter (à moins que...) le même moyen de se débarrasser en une seule fois de ces deux obligations de leur cahier des charges : en affichant, dès le premier quart d'heure, un couple homo biracial, un blanc, un noir. Ça m'a paru tout à fait astucieux, mais encore un peu timide. S'ils avaient collé une jambe de bois au pédé blanc et une surcharge de soixante kilos de gras au nègre, ils se mettaient du même coup en règle avec les questions du handicap et de la grossophobie. Il n'y avait plus qu'à les faire copiner avec deux naines gouines dont l'une aurait été sexuellement harcelée par son chef de bureau blanc, et le tour était joué, cahier des charges impeccablement rempli avec seulement quatre personnages.
(Une autre chose amusante, et que chacun pourra constater : l'iBigo, toujours si prompt à deviner et à terminer avant moi les mots que je lui pianote, l'iBigo à des pudeurs de pucelle progressiste qui le poussent à ignorer — ou à feindre de — des vocables aussi méphitiques que “nègre” ou “pédé”. Et il doit bien y en avoir encore une ribambelle d'autres, dans son petit enfer personnel.)
Trois heures. — Le critique littéraire et historien Émile Magne, familier du bureau de Léautaud au Mercure, annonce à celui-ci que son fils, récemment marié, s'apprête déjà à avoir un enfant. Réaction :
Grand-père ! Vous allez être un personnage ridicule. C'est la vieillesse, la sénilité, l'attendrissement niais. Mon pauvre ami ! Grand-père ! Cela vous rejette dans les vieillards. Un grand-père, ce n'est plus un homme. C'est un souffre-douleur à marmot. Je ne vois déjà pas drôle d'être père. Mais grand-père ! Et Mme Magne grand-mère ! Je ne voudrais pas être à votre place à tous les deux. Vous allez être d'un ridicule complet.
On est quand même assez loin des niaiseries de Victor Hugo...
Dimanche 8
Huit heures. — Une jolie formule de Saint-Simon, pour bien commencer cette journée excessivement venteuse : « Mme de Maintenon, qui vouloit tenir le roi par toutes les avenues... » Tenir son mari “par toutes les avenues” : ce ne serait pas un peu comme de la très vilaine emprise, ça ?
Là-dessus, attaquons le tome second de ces Mémoires.
Midi. — Le travail accompli par Arthur de Boislisle sur les Mémoires
du petit duc est réellement prodigieux. Des centaines de personnages en
traversent les pages : chacun ou presque a droit, en note, à sa “fiche”
biographique, avec ascendants, date et lieu de naissance, date de mort,
qui a-t-il épousé, quels furent ses emplois et charges, etc. Tout cela
sans une once de verbiage inutile et prétentieux, comme nous sommes plus
ou moins résignés à en subir de la part des commentateurs modernes. Dès
lors qu'on s'aventure dans ce maquis qu'il a soigneusement
débroussaillé et balisé, on ne s'étonne plus que Boislisle ait consacré à
cette tâche les trente dernières années de sa vie, et encore sans en
voir la fin (heureusement, il avait un disciple, qui devint successeur).
Le plus fort est que, au départ, Arthur de Boislisle était un simple
fonctionnaire, sans la moindre formation universitaire d'historien.
C'est d'ailleurs peut-être cette absence de “bagage” qui lui a permis
d'aller de l'avant et de parvenir en vue du port.
Dans l'édition du tricentenaire (dont je regrette de plus en plus cruellement d'avoir interrompu l'achat voilà quarante ans...), toutes ces notes sont proposées en bas de page. Si bien que, vu leur abondance, de nombreuses pages ne contiennent que cinq à dix lignes de texte proprement dit, le reste étant pris par les dites notes.
Deux heures. — Je ferme Saint-Simon et rouvre Léautaud. Comme ils paraissent reposants, tous ces gens que l'on croise chez le second, et qui n'ont ni ancêtres, ni parentèle, ni alliances, ni descendants !
Quatre heures. — Comme je le fais quotidiennement, je viens de lire Le Jour ni l'Heure, où Renaud Camus inscrit chaque jour le déroulé de sa journée de la veille. Constater que même lui utilise l'expression “rien moins que” à contresens m'a fait un instant envisager le suicide...
Lundi 9
Huit heures. — En le débarrassant de ses poils, l'esthétichienne a constaté que Charlus présentait une sorte de boule entre œil et mâchoire, côté gauche, laquelle semble lui être indolore. Nous avons rendez-vous cet après-midi avec le Dr Le Thomas pour lui faire examiner la chose. Depuis quatre ou cinq jours, nous vivons dans l'espoir de n'avoir affaire qu'à un banal kyste...
— Pour ce qui concerne l'interminable procès opposant le duc de Luxembourg à un certain nombre d'autres ducs et pairs — une histoire de préséance —, l'affaire me semblait plus claire résumée par Michel Desgranges qu'exposée tout au long par Saint-Simon. Ce qui ne doit guère être à l'honneur de mon intelligence.
— Je savais déjà que le mot “comté” (pas le fromage...) avait d'abord été féminin, comme en porte trace notre Franche-Comté, avant de se masculiniser. Mais je n'apprends qu'à l'instant, par un court extrait du journal de Dangeau cité en note par Boislisle, qu'il en allait de même pour “duché”. Ignorance qui a perduré faute d'une région s'appelant Franche-Duché, sans doute.
— Découverte fort perturbante : même Saint-Simon emploie la locution “rien moins que” à rebours de ce qu'il veut dire ! La conclusion que j'en tire ? Qu'il est sage, désormais, de s'interdire absolument l'emploi de la dite locution, laquelle, comme on voit, est rien moins que claire et nette.
Midi. — Dans notre rubrique, désormais récurrente, “comment s'expriment les jeunes journalistes d'aujourd'hui et de demain”, je viens de dénicher un certain Tristan Lescot, qui affirme ceci :
Preuve supplémentaire, ce "skeet" est un vrai flop. Désespérant comme les personnes en situation de handicap ne sont pas considérées dans ce pays, merveilleuse empathie.
J'ai beau tourner et retourner cette bouillie dans tous les sens — et Dieu sait que retourner une bouillie n'est pas ce qu'il y a de plus aisé à faire —, je suis incapable de lui trouver le plus petit soupçon de début de cohérence. Mais ça doit sans doute venir de moi.
— Un peu plus loin, je tombe sur une sociologue prénommée Alina. Que fait-elle sous X ? Ceci :
Ici je morcelle mes lectures en actualités.
Avant de les passer au four parsemées de comté râpé, supposé-je.
— De Léautaud, 3 mai 1932 : « Je change, je change ! J'aime mieux réfléchir qu'écrire, du moins j'ai grand plaisir à réfléchir, et quand j'ai réfléchi, je n'ai plus envie d'écrire. » Moi, c'est pareil. Moins la réflexion.
Cinq heures. — Bon, le vétérinaire est formel : Charlus n'a pas de tumeur ! Plutôt un genre d'abcès qui, les antibiotiques aidant, devrait être presque entièrement résorbé d'ici vendredi. S'il ne l'est pas : rappeler l'homme de l'art...
Quant à Petit Loup, qui était de la fête pour son rappel de vaccins, il atteint presque les 3,5 kg ; c'est-à-dire que, depuis son entrée chez nous, il a multiplié son poids par 7.
— Léautaud ironise sur le compte des ministres et présidents modernes (modernes d'alors...), qui ne peuvent avoir une discussion avec un homologue étranger sans aussitôt se faire photographier se serrant la main et tout sourires, “en montrant les dents comme des vedettes de cinéma”. S'il avait pu voir les nôtres, faisant des selfies avec des zoulous de banlieue dégenrés...
Mardi 10
Huit heures. — Le Dr Le Thomas nous a avertis hier que, par l'action secondaire des antibiotiques qu'on lui fait avaler deux fois par jour, Charlus allait boire nettement plus qu'à l'ordinaire et, donc, pisser également davantage. Ce n'est pas gênant dans la journée, puisque nous sommes toujours avec lui et que nous lui ouvrons la porte dès qu'il en manifeste le désir. Mais il y a les nuits... Ce matin, me levant, j'ai traversé le salon télé et la salle à manger avec mainte précaution, histoire de ne pas mettre le pied dans une flaque indésirable : il n'y en avait pas. Je ne m'estime pas quitté d'épongeages matinaux pour autant : commencé seulement hier soir, le traitement n'a peut-être pas encore produit pleinement ses fâcheux effets...
Midi. — Quand j'ai lu Saint-Simon depuis mon lever, je sens bien, alentour l'heure du déjeuner, qu'il est temps que nous nous séparions jusqu'au lendemain. D'un autre côté, passer l'après-midi entier avec Léautaud me paraissait excessif. Il me fallait donc trouver une lecture intermédiaire ; ou pour mieux dire : intercalaire...
C'est Mme de Sévigné et ses lettres qui viennent de décrocher la timbale. Non sans une certaine logique, me semble-t-il.
Je les possède, ces lettres, dans l'ancienne Pléiade, 1953, dont l'édition est due à Émile Gérard-Gailly, écrivain et critique belge qui fut aussi l'exécuteur testamentaire de son ami René Boylesve dont j'avais lu avec grand plaisir la Leçon d'amour dans un parc. Pour revenir à cette Pléiade, elle s'ouvre sur une magistrale introduction (pas loin de cent pages) de Gérard-Gailly, dont les malfaisants baragouineurs-pour-ne-rien-dire d'aujourd'hui feraient bien de s'inspirer.
À quel moment et pourquoi le mot “homme” a-t-il doublé sa consonne centrale ? Il dérive directement du latin homo, hominis et, au XVIIe siècle encore, s'écrivait fort logiquement home. Alors ?
— Je trouve hautement savoureuse l'anecdote que raconte Saint-Simon, mettant aux prise l'évêque de Noyon, François de Clermont-Tonnerre, et l'archevêque de Paris, François de Harlay. En qualité de comte et pair, l'évêque de Noyon avait le privilège de pouvoir pénétrer en carrosse dans la cour des résidences royales. Un jour, entrant dans celle de Saint-Germain où le roi se trouvait, Monsieur de Noyon se rencontre avec Monsieur de Paris qui, lui, n'étant pas pair, était à pied. L'archevêque s'avance vers le carrosse, pensant que l'évêque va en descendre pour marcher à ses côtés. Point du tout : imbu de son privilège, Monsieur de Noyon se contente de tendre la main à Monsieur de Paris depuis son carrosse “et le conduit ainsi en laisse jusqu'au degré”, précise Saint-Simon.
Une historiette de l'époque assure que c'est pour éviter désormais ce genre d'humiliation à l'archevêque de la Cour qu'en 1690 l'archevêché de Paris fut érigé à son tour en duché-pairie.
Rappelons que, jusque-là et depuis le XIIIe siècle, les pairs ecclésiastiques étaient au nombre de six ; trois ducs : l'archevêque de Reims, les évêques de Langres et de Laon, et trois comtes, les évêques de Beauvais, Châlons et Noyon. Ils passèrent donc à sept en 1690.
Dix heures. — information réjouissante, communiquée à l'instant par Catherine : un abruti quadragénaire qui avait trouvé naturel d'emprunter je ne sais quelle autoroute, de nuit et à trottinette, a été percuté par un camion et en est mort drette là. Bien fait, un con de moins. J'espère que le camion n'a rien.
Midi. — Dans le court billet publié ce matin sur le blog-mère, je me moque d'un crétin sous X et de ses grossières fautes d'accord. Moyennant quoi Cherea, lecteur dangereusement attentif et implacablement éveillé, me signale avec une courtoise ironie que j'ai moi-même remplacé un participe passé par un infinitif tout à fait incongru. Mon premier mouvement a bien sûr été d'aller rapidement et la queue entre les jambes corriger ma bévue. Finalement, j'ai décidé de la laisser : une petite mortification ne peut pas me faire de mal...
Jeudi 12
Huit heures. — Les jeux du chien et du chat sont désormais tout à fait codifiés, les règles en devenant presque des rituels. C'est toujours Charlus qui poursuit Petit Loup, mais c'est ce dernier qui sollicite et obtient la traque. Il commence par s'aplatir au sol comme s'il avait peur d'un soudain danger, puis file se cacher derrière mon fauteuil. C'est le signal : Charlus bondit à sa suite (nous faisant sursauter, Catherine et moi, en raison du vacarme que produisent ses griffes dérapant sur le faux parquet...).
De derrière mon fauteuil, le chat peut ressortir par la gauche ou par la droite ; le chien le sait et fait des petits bonds d'un côté à l'autre pour tenter de le surprendre. Peine perdue : non content d'être silencieux, le félin est plus rapide, d'ailleurs il a déjà filé derrière le canapé, lui aussi à double issue.
À ce stade du jeu, Charlus commence à être sérieusement tourneboulé et parcourt le salon un peu dans tous les sens. Quand il risque un œil entre le canapé et le mur, c'est déjà trop tard : Petit Loup est passé derrière le fauteuil de Catherine...
C'est le moment où l'on sent le chien au bord du renoncement — après tout, il a quand même déjà sept ans : jouer avec les gosses, ça va un moment. Mais le chat ne l'entend pas de cette oreille. On le voit alors passer la tête hors de sa dernière cachette et émettre un bref miaulement qui, sans tomber dans l'anthropomorphisme exagéré, signifie clairement quelque chose comme : « Eh ! Oh ! Je suis là, gros balourd ! » Et la cavalcade reprend.
De même que le jeu a commencé à l'initiative du chat, c'est également lui qui y met fin quand il le juge bon, sautant sur le canapé, de là sur le dossier d'icelui, et encore de là sur le buffet où il se sait inaccessible. Somme toute ravi d'en être quitte de toute cette dépense d'énergie, Charlus va se recoucher, bientôt imité par Petit Loup.
Midi. — Du côté des metooffettes, on s'étonne, pour s'en indigner, de ce que la plupart des hommes politiques n'aient pas trouvé bon de livrer publiquement leurs commentaires concernant le fameux procès de Mazan. Mais pourquoi devraient-ils s'exprimer à propos d'un fait divers, aussi sordide qu'il puisse paraître ? D'autant que la seule chose que les sœurs-de-combat exigent en fait d'eux, chacun le comprend fort bien, c'est qu'ils se contentent de faire docilement écho à leur propre vision de l'affaire, elles pour qui le procès est jugé d'avance et depuis le début. Et gare à la moindre voix discordante, si par hasard elle avait l'inconscience folle de se faire entendre !
— Sa fille étant comme il se doit “le fruit de ses entrailles”, Mme de Sévigné appelle l'enfant de Mme de Grignan, dont elle est donc la grand-mère, “mes petites entrailles” ; ce que le lecteur trouve d'abord un peu surprenant, et finalement charmant.
Vendredi 13
Sept heures et demie. — Vendredi 13, n'est-ce pas ? J'ai bien fait, hier, d'acheter mon pain pour deux jours : il m'aurait déplu fortement, ce matin, de voir mes accortes boulangères transformées en de répugnants succubes, voire pire encore.
À propos de succubes et d'incubes, je me demandais tout à l'heure si ces démons, eux aussi, comme de simples mortels, s'adonnaient à la mode du transgenrisme. Par exemple, est-ce qu'un honnête incube, qui tout soudain se sentirait succube “dans sa tête”, délaisserait aussitôt les humaines femelles pour venir nuitamment s'accoupler avec nous autres mâles ? C'est là une question qui mérite d'être examinée de près.
— Un trait de Saint-Simon (c'est moi qui souligne) : « Phélypeaux, fils unique de Pontchartrain, avoit la survivance de sa charge de secrétaire d'État. La petite vérole l'avoit éborgné, mais la fortune l'avoit aveuglé : une héritière de la maison de la Trémoïlle ne lui avoit point paru au-dessus de ce qu'il pouvoit prétendre [...]. »
Dix heures. — Que de beau et grand monde, à la signature du contrat de mariage de notre duc avec Marie-Gabrielle, fille du duc de Lorges, contrat que Boislisle donne en appendice ! Et que de subtiles variations entre tous ces gens : certains sont “hauts et puissants” ; d'autres, plus favorisés par la naissance ou le sort, sont “très-hauts et très-puissants” ; les princes du sang sont “très-hauts, très-puissants et très-excellents” ; quant au Grand Dauphin et à son fils, duc de Bourgogne, les voici “très-hauts, très-puissants et très-illustres”. Enfin, tout au sommet trône le roi de France, ce qui est bien naturel, seul à être “très-haut, très-puissant, très-illustre et très-magnanime”.
L'énumération de toutes ces gloires présentes à la signature n'occupe pas moins des dix mille premiers signes (je viens de “calibrer” la chose...) dudit contrat.
Midi. — Un niais de respectable envergure se présente ainsi sous X :
Dans les sillons creusés par le hasard, je compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants et insolites.
Je ne sais pas si quelqu'un, par ici, a déjà essayé de composer des bouquets dans des sillons, mais il me semble que notre ravi-de-la-crèche, s'il y parvient réellement, a droit à tout notre respect. Ce qui est bien, avec la pseudo-poésie pour semi-mongos, c'est qu'on peut en mélanger les termes sans rien lui faire perdre de sa puissance d'évocation. Par exemple :
Dans les sillons creusés par les rencontres piquantes, je compose régulièrement un bouquet de hasards insolites.
Ou encore :
Dans les piquants bouquets de hasard, je creuse des sillons de rencontres régulièrement insolites.
On en est toujours aux beaux yeux de la belle marquise moliéresque.
Samedi 14
Sept heures. — Après cinq jours d'antibiotiques sur sept, la “tumeur” de Charlus est presque entièrement résorbée, comme il était prévu qu'elle le fût. Cet imbécile nous aura tout de même foutu la trouille.
Quant au chat, il gagne chaque jour en force, ressort et souplesse, comme il est naturel, et saute donc de plus en plus haut, ce qui lui permet d'atteindre certains meubles qui lui étaient jusqu'ici inaccessibles. Comme par exemple l'espèce de guéridon d'osier sur lequel se trouvait une mini-plante grasse en pot ; pot qu'il a gentiment renversé, répandant terre et petits cailloux dans la moitié du salon télé. Ça tombait bien : j'ai toujours beaucoup aimé sortir pelle et balai dès mon lever...
— Avec la pitoyable Sandrine Rousseau en porte-étendard, nos metooffettes sont vent debout contre la Cinémathèque, qui a osé programmer, demain je crois bien, Le Dernier Tango à Paris de Bertolucci. Je ne serais d'ailleurs pas surpris si le pas de deux entre Marlon Brando et Maria Schneider était, dans les heures qui viennent, piteusement retiré de l'affiche.
Motif des castratrices indignations metooffues ? Évidemment la fameuse scène de sodomie, qui aurait durablement “traumatisé” la jeune comédienne et qui ferait du film un noir emblème de la mythique “culture du viol”, par quoi nous sommes censés être tous plus ou moins gangrenés.
Or, deux petites choses me semblent à rappeler. La première est que, dans la réalité, il n'y eut jamais le moindre viol, la scène étant bien entendu, comme elles le sont toujours, parfaitement simulée. La deuxième est que, même dans le film, il n'est jamais explicitement question d'une sodomie. Parler de “viol” n'a donc à peu près aucun sens, dans le cas d'une scène qui ne concerne même pas deux personnes réelles mais les personnages imaginaires qu'ils sont chargés d'animer entre “action !” et “coupez !”. À ce compte, pourquoi un acteur n'accuserait-il pas son metteur en scène de meurtre, sous prétexte de s'être pris une balle entre les deux yeux dans une scène de leur dernier film commun ?
Mais c'est bien sûr sans la moindre importance : si on peut, en piaillant assez fort et longtemps, faire interdire un film, voire en confisquer et brûler publiquement toutes les pellicules existantes, on aurait bien tort de s'en priver. Un petit autodafé à intervalle régulier, c'est toujours très sain pour l'organisme et bon pour le moral.
Dimanche 15
Six heures et demie. — Isabelle aurait eu 60 ans aujourd'hui.
— Comme je le prévoyais hier, sans y avoir grand mérite, la Cinémathèque a annulé la projection prévue du Dernier Tango à Paris. Nos metooffues sont-elles contentes ? Apaisées ? Non point ! Car les raisons invoquées pour cette annulation (en gros : on n'a pas envie que les membres de notre personnel se fassent tabasser par une poignée d'excitées) leur semblent “lamentables”. Et il faut reconnaître que la brève déclaration d'annonce manque cruellement de mea culpa honteux et d'humilité de mâles repentants.
Huit heures. — Me voici en panne de Saint-Simon : je viens de tourner la dernière page du premier volume (soit celle du tome II de Boislisle) et, Catherine dormant, je ne puis, sans risquer l'incident diplomatique sérieux, me hasarder dans la Case pour y prendre le suivant et remiser celui-là. Je vais patienter avec Léautaud, mais, peu accoutumé à ce que je le tire des limbes aussi tôtivement, il pourrait bien se montrer particulièrement grognon.
Neuf heures. — Catherine levée, Case libérée, retour à Saint-Simon, an de grâce 1696...
— Chez notre duc, un siège pliant est encore, à l'ancienne mode, un siège ployant, forme dont l'Académie dit qu'elle “n'est plus guère en usage”. Du reste, le changement de son qualificatif ne doit pas rendre le dit siège plus confortable ; mais le laisser tout aussi désirable pour ceux, les cardinaux par exemple, qui en sont privés par le protocole de la Cour (même phénomène que pour le fameux tabouret des duchesses...). Vanitas vanitatis, et toutes ces sortes de choses.
Le même duc, qui vient de parler des Grimaldi, en particulier d'Honoré, second du nom, duc de Valentinois et pair de France, donne ensuite sa définition de Monaco. Parlant de la dite seigneurie, il écrit :
C'est, au demeurant, la souveraineté d'une roche, du milieu de laquelle on peut, pour ainsi dire, cracher hors de ses étroites limites.
J'aurais aimé voir la tête de mes puissances souveraines d'il y a dix ans, si j'avais glissé un tel blasphème dans un article franco-dominical...
Midi. — Joie, bonheur et allégresse : j'en ai trouvé un beau ! Un certain Nicolas Steiner, qui se présente ainsi, non pas sous X mais, pour changer un peu, chez blouski :
Écologie 🌻, veganisme, antispécisme, droits des animaux 🐋 Anarchisme, antifa, luttes sociales, défense des services publics. Droits LGBTQIA+🌈, antiracisme. Et aussi science, actualité, politique. Cinéma, littérature, arts. Et humour patte éthique.
C'est peut-être prendre l'expression “cocher toutes les cases” un peu trop au pied de la lettre, mon bon Nico. Comme aurait dit Michel Audiard, ce n'est plus un cas psychiatrique, c'est une synthèse. Même le Saint-Graal ne pourra pas s'aligner, face à un tel palmarès tous azimuts.
(Hélas ! Déception à la lecture des dix ou quinze plus récents bafouillis de notre VRP multicartes, dont l'intelligence ne m'a pas toujours semblé digne de la multiplicité de ses centres d'intérêt.)
Trois heures. — De Léautaud, 4 octobre 1933, rapportant la conversation qu'il vient d'avoir avec Rosny aîné :
Cette affaire, de ces bastringues à domicile, avec la T.S.F. que tant de gens se sont empressés d'avoir chez eux, m'a amené à lui dire que rien que cela juge l'humanité et que je suis arrivé à juger les gens selon la capacité de vivre seul et dans le silence, et qu'ils ne sont pas foule.
Ici, jamais de radio et pratiquement plus jamais de musique : Oncle Paul serait content de moi.
Cela étant, malgré tout le bien que Léautaud dit de lui et de son œuvre, je ne me sens nulle envie de découvrir les “romans préhistoriques” de Rosny aîné. Pourtant, ils ont été réunis en un volume Bouquins, lequel doit sûrement se trouver pour quelques piécettes. Il faudra tout de même que j'aille voir...
— La Sévigné m'emmerde un peu, et même pas mal, sans doute à cause de son côté “maman” omniprésent. Ce doit être un effet secondaire de ma masculinité toxique. Bref, en lecture “intermédiaire”, je viens de me résoudre à la remplacer par son exact contemporain Tallemant des Réaux. Comme ça, entre lui, mon Saint-Simon matinal et le Léautaud vespéral, on restera entre hommes.
— J'avais oublié (tu m'étonnes...) que M. Tallemant se prénommait Gédéon. Voilà un prénom que nos ridicules bobos se piquant d'originalité (tous ensemble et donc s'imitant les uns les autres) n'ont pas eu le courage, ou la véritable originalité, de ressusciter afin d'en affubler leur consternante progéniture.
D'autre part, précoce en diable, notre Gédéon était à peine adolescent lorsqu'il tomba fou amoureux d'une jeune veuve. Laquelle répondait au nom de Marie Le Goux, ce qui me la rend tout de suite familière — pour ne pas dire familiale.
— Dans la très-savoureuse introduction qu'il a écrite pour l'édition Pléiade (1960) des Historiettes, Antoine Adam fait plusieurs fois référence aux travaux érudits d'Émile Magne. Ce même Magne, je viens tout juste de le voir quitter le bureau de Léautaud au Mercure...
Du reste, il y a un côté Tallemant chez Léautaud ; un parfum d'Historiettes dans le Journal. Si, au lieu de l'anglais, j'avais choisi “jargon universitaire” comme première langue au lycée, j'écrirais bien 150 ou 200 pages sur ce sujet.
Cinq heures. — À défaut de connaître la langue française, on a, chez Atlantico, le sens de la nuance et celui des proportions. Ainsi, ce titre, à propos du cyclone ayant traversé Mayotte : “Situation catastrophique” sur l'île, un premier bilan fait état d'au moins deux morts.
Et les guillemets, ils les enlèvent à partir de combien de morts ? Cinq
? Dix ? Et c'est à partir de 20 ou plutôt de 30 macchabées que la
situation passe de catastrophique à cataclysmique ?
Lundi 16
Neuf heures. — Font mes délices tous ces mots ou expressions “mouvants”, je veux dire : qui, à travers le temps, continuent d'être employés mais en changeant de sens. Ainsi, dans une situation devant laquelle nous aurions tendance à renâcler, Saint-Simon et ses contemporains du XVIIIe siècle préféraient renifler. Comme exemple de ce sens, “témoigner de la répugnance”, Littré donne : « Le cheval renifle sur l'avoine. » Exemple d'ailleurs curieusement choisi, car ambigu.
Me ravissent également les sortes de “fulgurances syntactiques” de Saint-Simon, ses ellipses, ses raccourcis de langage. Ils pullulent dans les Mémoires. Voici le dernier que j'ai rencontré : « On perdit en même temps Mme de Miramion, à soixante-six ans, dans le mois de mars, et c'en fut une véritable. »
— Comme il n'y a pas de mal à divulguer les couronnes que l'on vous tresse, voici ce que me dit un blogueur normand, maire de sa commune :
En fait, je vais vous l’avouer. Je vous adore pour la qualité de ce que vous écrivez, mais aussi pour cette dérision dont nous avons le plus grand besoin. Vous êtes notre oxygène. Bref, sans vous, la blogosphère serait d’une tristesse infinie. Vive les réacs, vive votre humour, vive cette dérision dont, hélas, nous ne sommes même plus capables à gauche, moi le premier ! Merci
Mon Dieu, il n'y a vraiment pas de quoi, très cher ! Si je puis rendre service, n'est-ce pas, en déridant un peu les forces de Progrès et les combattants du Bien...
— Façon délicate qu'a Saint-Simon de nous apprendre que M. de Saint-Géran, qui vient de mourir en cette année 1696, était cocu jusqu'à l'os : « Sa femme, charmante d'esprit et de corps, l'avoit été pour d'autres que lui. » D'autre part, le même Saint-Simon juge bon de noter que Mme de Saint-Géran “mangeoit avec un goût exquis et la délicatesse et la propreté la plus poussée”. Ce qui semble induire que les autres dames de la cour, en tout cas beaucoup parmi elles, devaient bâfrer comme des cochonnes.
Midi. — Je referme Saint-Simon sur les mésaventures de Saint-Géran cocu, et rouvre Tallemant. Titre de la première historiette : Marys cocus par leur faute. L'historiette suivante ? Cocus prudents ou insensibles. M'en sortirai jamais, moi...
Cinq heures. — Curieux et attachant personnage que ce Fagus, poète plus ou moins alcoolique, qui va répétant depuis des années qu'il est sûr de mourir écrasé sur la voix publique. Il en est si persuadé qu'il ne sort jamais sans avoir mis, autour de son cou, un petit écriteau mentionnant ses nom et adresse, afin qu'on puisse l'identifier et le ramener chez lui quand surviendra l'accident fatal. Et en effet, le 8 novembre 1933, sur le trottoir devant chez lui, il est accroché et jeté sur la chaussée par un camion. Il meurt à l'hôpital quelques heures plus tard. Léautaud écrira sa "nécro” dans le numéro suivant de la NRF.
— Je ne sais plus si je l'ai ou non déjà noté ici : l'ayant trouvé proposé à trois euros, j'ai mis dans mon panier Rakuten le volume Bouquins contenant les romans “préhistoriques” de Rosny aîné. Mais j'attendrai le prochain “mois carte dorée” pour passer commande, soit dans cinq jours... si la petite envie que j'en ai ne s'est pas évaporée d'ici là.
Mardi 17
Sept heures et demie. — Apparemment, Mme de Sévigné a très mal supporté que j'abandonne hier, sans plus de façon, la lecture de son courrier : Saint-Simon vient de m'annoncer sa mort, à Grignan. Il écrit son nom Sévigny, comme il était courant de le faire à l'époque, si l'on en croit Boislisle.
Et comme un deuil en appelle presque toujours un autre, me voici, quelques pages plus loin, jetant une poignée de terre sur le cercueil de La Bruyère...
Cinq heures. — Peu de gens ont droit à l'estime de Léautaud ; Julien Benda en fait partie [Rajout du 31 : ses prises de positions et son militantisme très “front popu” ne tarderont pas à lézarder sérieusement l'estime en question]. Il vient de faire paraître, dans la NRF du premier juin 1934, une série de réflexions sur des sujets divers :
Par exemple, sur ceci, à quoi j'ai pensé souvent, que j'ai souvent exprimé, ce besoin grotesque, entré dans les mœurs, quand des gens ont un enfant, d'en faire part aux amis et connaissances. Ces deux individus, qui ont forniqué, et qui, parce que cela a eu un résultat, se croient obligés de le faire savoir.
Hé ! Hé !...
Six heures. — En juillet 34, Léautaud et Vallette vont faire une visite à Grasset, dans la maison de santé de Garches où il a été admis :
Il nous a confié (j'emploie ce mot parce qu'il y a mis le caractère d'une sorte de secret) que c'est presque lui qui a écrit Du côté de chez Swann, tant il l'a fait recommencer plusieurs fois à Proust.
Mouarf ! On s'étonne moins, après ça, que ce brave éditeur se soit retrouvé interné.
Mercredi 18
Dix heures. — C'est très bien de se débarrasser des courses de la semaine dès neuf heures, les hangars à bouffe étant encore à peu près déserts. La seule personne à errer en même temps que nous dans les allées du Carrefour Market était notre ancienne femme de ménage (personne en situation de nettoyage domiciliaire), celle que j'appelais : la géante biélorusse — parce qu'elle est très grande et biélorusse. Quant à l'unique caissière (personne en situation de facturation des achats), elle somnolait à moitié en nous attendant, devant son tapis roulant immobile.
Cette bonne chose faite, retour à la cour de Versailles, où l'on m'attend pour en chasser la comtesse de Blanzac... dont j'ignore encore ce qu'elle a bien pu faire pour encourir une telle disgrâce.
— Je me demandais ce matin, pataugeant dans divers cloaques ixe ou blouski, si les gauchistes asilaires et les trépignantes metooffettes étaient aussi constamment indignés par les broutilles qui leur passent sous les yeux, ou bien s'ils jouaient les indignés pour “rester dans le personnage”. Le fait que, chez eux, les sujets d'indignation se suivent et s'enchaînent sans paraître jamais laisser de traces durables de leur passage m'inclinerait à opter pour la pose théâtrale. En outre, je l'espère pour eux : être constamment violacé de colère du lever jusqu'au coucher doit être diablement fatigant.
— L'édition Boislisle des Mémoires du duc me fait bien regretter, par comparaison, que la Pléiade n'ait pas opté pour les notes en bas de page, beaucoup plus faciles et agréables de consultation que celles rejetées en fin de volume.
Une heure. — Tallemant en vient à évoquer un certain M. de Bullion, conseiller au Parlement, bref de taille et rabougris de corps, mais pas disgracié de partout :
« La comtesse de Sault eut de l'affection pour ce petit M. de Bullion à cause, dit-on, que le proverbe : De petit chien belle queue estoit fort véritable en luy. »
Quatre heures. — Phrase de Léautaud (31 juillet 1934), qui vient de recevoir un témoignage d'admiration de la part de Jouhandeau :
J'aurai vécu dans une grande ignorance, et je peux même dire une grande indifférence des petites satisfactions de la notoriété littéraire.
À quelques variantes près, cela doit bien faire la centième fois que cette affirmation est faite, tout au long des années. Et Léautaud est tellement indifférent à ces petites satisfactions-là... qu'il s'empresse d'en faire part à son journal dès qu'il lui en arrive une nouvelle.
Jeudi 19
Huit heures et demie. — Croisant tout à l'heure, chez Saint-Simon, l'un des représentant de la famille d'O, je me suis demandé s'il en existait d'autres, des familles, dont le nom se résumait à une seule lettre. À ma connaissance, non ; mais pour ce que valent mes connaissances…
Je me souvenais qu'un François d'O avait fait partie des fameux “mignons” d'Henri III ; en revanche, j'ignorais (merci Dame Ouiki...) que le nom vînt du château d'Ô, situé à Mortrée, dans l'Orne. Et je me demande si ce n'est pas là, où tout près de là, que Messire Jacques Étienne avait sa maison il y a quelques années, maison où nous vécûmes une soirée passablement alcoolisée et néanmoins fort agréable.
Je me souvenais aussi que Rohmer avait tourné un film intitulé La Marquise d'O (jamais vu), mais j'ignorais qu'il fût tiré d'une nouvelle de Heinrich von Kleist (jamais lue ni lu).
— Je me félicite (personne n'étant là pour le faire à ma place) d'avoir acheté, il y a déjà quelque temps, le coffret contenant les trois premières saisons de True Detective. En réalité, il serait plus juste de parler de trois mini-séries, puisqu'il s'agit d'histoires totalement indépendantes les unes des autres, se passant dans des lieux différents et mettant en scène des personnages tout aussi différents. Comme nous avions déjà vu — et trouvé remarquable — la première, à l'époque où nous avions la télé, nous avons commencé par la saison 3, qui nous a semblé du même niveau d'excellence. Nous avons ensuite enchaîné sur la deuxième, sans doute un cran au-dessous des deux autres, mais tout de même à un niveau plus qu'honorable. Et, hier, faisant confiance à notre mémoire défaillante pour l'avoir remise à neuf, nous avons repris la saison initiale : elle est, au moins dans ses deux premiers épisodes revus, largement aussi remarquable que dans nos lambeaux de souvenirs : scénario parfaitement maîtrisé, bien qu'assez retors, dialogues serrés, personnages vivants et superbement mis en reliefs par ces deux excellents acteurs que sont Woody Harrelson et Matthew McConaughey. Tant et si bien que je commence à avoir hâte que soit disponible en dvd la saison 4, qui met en vedette Jodie Foster.
— Décidément, les subtilités hiérarchiques, les préséances de la cour me ravissent. Ainsi, les enfants et petits-enfants de France, s'ils partageaient la table ou le carrosse du roi, pouvaient y amener leurs domestiques ; les princes du sang, eux, n'y étaient admis que “sans accompagnement”, si je puis dire. Bien.
Or, il advint qu'un jour Monseigneur (le Grand Dauphin, héritier de la couronne), qui venait de courre le loup et ne retrouvait plus son carrosse, se dirigeait vers Versailles à pied avec deux de ses gens, MM. de Sainte-Maure et d'Urfé. Ce faisant, ils tombent sur le carrosse du prince de Conti, dans lequel MM. de Xantrailles et de Sillery attendaient leur maître.
Incontinent, Monseigneur s'installe dans le carrosse, y fait monter à sa suite ses deux domestiques, et fouette cocher, direction Versailles... en laissant en plan les infortunés Xantrailles et Sillery ! Un peu plus tard, le Grand Dauphin éprouva quelque remords de les avoir abandonnés en pleine nature, alors qu'il y avait largement place pour eux dans le carrosse qu'il venait en quelque sorte de réquisitionner. Le soir même, il s'en ouvre à son royal géniteur, lui explique qu'il n'a pas osé faire monter ces deux messieurs avec lui. Je cède la parole à Saint-Simon :
« Je le crois bien, lui répondit le roi en prenant un ton élevé ; un carrosse où vous êtes devient le vôtre, et ce n'est pas à des domestiques de princes du sang à y entrer. »
L'histoire ne dit pas la tête que dut faire le prince de Conti en ne trouvant plus son carrosse, et seulement ses deux domestiques “mis à pied” par Monseigneur...
La chose peut être poussée jusqu'au cocasse, comme le montre ce qui arriva à Mme de Langeron. Dame d'honneur de la princesse de Condé, elle était de ce fait interdite de tables et de carrosses royaux quand sa maîtresse y était invitée. Mais voici qu'en 1685 elle passe au service de Mme de Guise, petite-fille de France. Si bien que, d'un coup, la Langeron se retrouve admise à partager les promenades et dîners royaux quand sa nouvelle maîtresse s'y trouve ! On imagine la fierté de la dame... Oui, sauf que, à quelque temps de là, elle revient au service de la princesse de Condé, “simple” princesse du sang : du jour au lendemain, adieu repas, promenades et petits séjours à Marly ! On savait se distraire, à Versailles...
Deux heures. — À peine ai-je quitté Saint-Simon pour Tallemant que, dans l'historiette consacrée à Louis XIII, je me retrouve nez-à-nez avec... Saint-Simon ! Mais il s'agit du père du mémorialiste, premier duc du nom, devenu le nouveau favori de ce souverain aux mœurs incertaines. La raison de cette faveur ludovicienne ? Tallemant :
Il prit amitié pour Saint-Simon, à cause, disait-il, que ce garçon luy rapportoit tousjours des nouvelles certaines de la chasse ; qu'il ne tourmentoit point trop ses chevaux, et que, quand il portoit son cor, il ne bavoit point dedans. Voylà d'où vint sa fortune.
Heureuse époque que celle où savoir retenir sa salive suffisait à faire de vous un duc et pair ! Cela dit, Saint-Simon le fils donne de cette nouvelle dignité une raison un peu différente...
(Si la chose est possible, j'aimerais bien dénicher un iBigo spécialiste de la langue du XVIIe siècle : ça m'éviterait de rétablir après coup les terminaisons verbales en oi, que cet imbécile d'appareil s'obstine à transformer en ai.)
— J'évoquais il y a quelques jours, ces mots qui ont changé de sens au fil du temps. En ce chapitre : comment le mot goinfre est-il passé du sens de “joyeux compagnon” qu'il avait au XVIIe à celui, nettement péjoratif, qui est le sien aujourd'hui ?
— Parfois, une question me traverse l'esprit (heureusement, elle a le tact de ne pas s'y arrêter) : pourquoi est-ce que je m'intéresse à tous ces gens morts ?
— Entre deux longues pages de regrets de tous ordres, littéraires, mondains, amoureux, etc., Léautaud a pris l'habitude d'affirmer haut et fort qu'il ne regrette jamais rien.
— Le même Léautaud s'effare, en s'en amusant, de ces romanciers qui veulent à tout prix trouver des variantes aux “dit-il” et aux “répondit-elle” de leurs dialogues, et les truffent de “rectifia-t-il”, de “gémit-elle”, voire de “sursauta-t-il”. Cela m'a rappelé Frédéric Dard qui, pour se moquer de la même tendance, avait écrit dans l'un de ses nombreux San-Antonio quelque chose comme : — Puisque c'est comme ça, je m'en vais ! claqua-t-il la porte.
Cinq heures.
— Titre trouvé chez mes analphabètes : « Insécurité : une nouvelle
étude révèle que les familles de victimes d'agressions violentes sont
elles-mêmes deux fois plus exposées au risque d'anxiété. » Comme c'est
étrange ! et surtout inattendu : j'aurais personnellement juré qu'une
agression violente avait au contraire un effet apaisant, lénifiant, sur
les proches du tabassé. Comme quoi, on se fait bien des idées.
Six heures. — Et voici que je tombe, chez blouski, sur un zigue se présentant comme “potagiste urbain sur sol vivant”. Il faudrait que je lui organise une rencontre avec un ami à moi, qui est potagiste rural sur bitume renforcé.
— Le dernier roman de Houellebecq, Anéantir, a été publié il y aura trois ans dans deux semaines : il serait peut-être temps de songer à nous en donner un nouveau ? En attendant, je pourrais bien relire le précédent ; même si, la première fois, il ne m'avait guère enthousiasmé.
Vendredi 20
Huit heures. — Les ravis de la crèche syntactique et grammaticale, quand on leur fait remarquer que le français, aussi bien (ou plutôt aussi mal...) écrit que parlé, se désagrège à une vitesse et dans des proportions inquiétantes, croient clouer le bec aux ridicules réactionnaires que nous sommes en nous assénant que “la langue é-vo-lue”, qu'elle l'a toujours fait et le fera toujours. Diraient-ils aussi, ces bon apôtres langagiers, devant une masure aux murs lézardés et au toit prenant l'eau par toutes ses tuiles envolées, diraient-ils qu'il est tout à fait normal, sain et même rassurant que cette maison évolue ?
Trois heures. — Quand il évoque l'auteur des Essais, Tallemant écrit Montagne ; c'est-à-dire comme on prononçait son nom, et comme on a cessé de le faire par ignorance.
Samedi 21
Huit heures. — Les chats sont censés n'aimer pas l'eau : réputation usurpée, au moins en ce qui concerne Petit Loup. Cet imbécile a soudain été saisi par l'envie de venir jouer dans la gamelle à eau de Charlus et de lui, alors que je venais juste de la remplir. Je ne sais comment il s'y est pris, mais il a trouvé le moyen d'en répandre plus de la moitié tout autour. Avant de partir chercher le pain (et après avoir épongé…), j'ai à nouveau empli la gamelle... pour la constater partiellement vidée à mon retour. S'il persiste dans ses fantaisies aquatiques, il faudra se résoudre à exiler la gamelle dehors, sur la galerie.
— Première allusion de Saint-Simon à ce fameux “esprit propre aux Mortemart”, vanté par maint contemporain, mais que notre duc ne définit jamais, comme s'il allait de soi. En un sens, c'est tant mieux puisque Proust, agacé et frustré de cette désinvolture du mémorialiste, s'est efforcé, en réaction, de vraiment créer et d'illustrer cet “esprit des Guermantes”, qui est l'une des choses les plus réjouissantes de son œuvre.
— Dans un fragment non intégré aux Mémoires, Saint-Simon évoque Mme de Sévigné (qu'il écrit tantôt ainsi, tantôt Sévigny) ; il ne s'y montre pas tendre pour Mme de Grignan, fille de la précédente :
« [...] si idolâtriquement célébrée par les lettres de Mme de Sévigné, sa mère, que tout le monde a lues avec tant d'avidité et de plaisir, et qui n'ont que le défaut de cette passion folle de sa fille, qu'on aperçoit bien qui n'y répondoit pas, à beaucoup près, de même dont la beauté y est meilleure à lire qu'elle n'a été à voir, et dont l'esprit, gâté de tant d'adorations personnelles et d'état si principal en Provence, aigre, altier et dominant, ne répondoit guère à ce torrent d'esprit naturel, aisé, facile, agréable et gai, qui ne se piquoit de rien et qui s'ignoroit soi-même, d'ailleurs juste, sage et plein de bonté quand l'intérêt de sa fille lui laissoit sa liberté, tel qu'on le voit briller dans Mme de Sévigny, qui faisoit les délices de ses amis, dont elle avoit grand nombre, et des plus distingués et choisis, tandis que sa fille, qui n'en avoit guère, faisoit la contrainte des siens. »
Et voilà la Grignan habillée pour l'hiver. En somme, la seule raison de son passage sur terre, à celle-là, ç'aura été de susciter les lettres de sa mère.
Midi.
— Elle est curieuse, cette conception de la justice semblant se
répandre de plus en plus, et qui voudrait que la peine des criminels
soit proportionnée aux souffrances des proches de leurs victimes. Comme
si ces souffrances allaient s'apaiser mieux et plus vite avec une peine
de quinze ans plutôt qu'avec une de cinq. Comme s'il existait une sorte
de barème non écrit et comme si la peine subie par le coupable faisait
office d'analgésique pour les survivants. Exemple typique de ce
dévoiement, le pauvre Renépol, fidèle reflet de l'époque, qui écrit
aujourd'hui ceci (c'est moi qui souligne) : « Je salue le verdict du procès Samuel Paty où des peines supérieures aux
réquisitions ont été prononcées. La famille du professeur décapité
s'est déclarée satisfaite. »
Or, la justice n'a pas à s'occuper, à tenir compte de ce que peuvent ressentir ou non les proches d'une victime, elle n'est pas là pour les satisfaire : elle est là, je crois, pour juger et punir, s'il y a lieu de punir, en ne s'occupant que de la gravité de l'acte commis. Sinon, si le verdict doit désormais être vu comme un baume pour les proches des victimes, on pourrait très bien imaginer un homme détesté de tous, ou même simplement ignoré, dont les assassins, pourtant dûment confondus, ressortiraient libres du tribunal, au prétexte que leur acte n'aurait causé de souffrance à personne, hors leur victime.
Six heures. — Les jolies descentes de lit islamolâtres ne se tiennent plus de joie et semblent ne pas en revenir eux-mêmes de l'aubaine qui vient de leur échoir : le tueur qui a opéré le massacre sur un marché de Noël allemand est certes arabe, mais c'est surtout un sympathisant de l'AfD, les méchants nazis teutons. Et, en plus, il semble être un follower de Marine Le Pen ! Du coup, ça exulte sous X, ça s'entre-congratule chez Blouski. On n'en est pas encore à féliciter le tueur pour ce coup de main inespéré à la cause du Bien, mais on sent que ça en démange certains.
— Je viens de suspendre jusqu'à demain la lecture du journal de Léautaud. Nous sommes le 24 septembre 1935, et je sais qu'Alfred Vallette, directeur-fondateur du Mercure de France depuis 40 ans, va mourir brusquement dans quatre jours : je préfère attendre demain pour la veillée mortuaire et l'enterrement...
Dimanche 22
Sept heures. — Au chapitre des vieux mots remplacés par de nouveaux, nettement plus chic, j'ai remarqué que, depuis quelque temps, les gens — enfin, les plus modernes d'entre eux — ne souffrent plus de maladies : à la place, ils ont des pathologies.
— Nous avons, hier soir, terminé notre revisionnage de la première saison de True Detective, décidément remarquable ; et je viens de voir que la quatrième est désormais disponible à la vente. Mais, comme il s'agit d'un produit “tout frais”, je vais attendre que les revendeurs se manifestent et en fasse baisser le prix, ce qui ne devrait guère tarder.
— Chez Saint-Simon, et je suppose chez ses contemporains, Cambrai s'écrit Cambray : chaque fois qu'il en est question, j'ai l'impression de sauter à pieds joints chez Proust, d'échanger mes bêtises contre des madeleines. On pourra m'objecter que Cambrai et Cambray sont aussi voisins l'un que l'autre de Combray. Phonétiquement sans doute, mais pas visuellement. Alors, hein : camembert, les objecteurs !
Trois heures. — Il m'aura fallu patienter jusqu'à ce jour pour apprendre que le prénom Philippe avait été épicène dans les temps anciens. Apparemment, dans certaines régions de France, il était même plus souvent féminin que masculin. Une chose reste m'étonner, qui est de ne n'avoir jamais rencontré aucune femme ainsi prénommée, malgré tous les livres d'histoire que j'ai pu lire.
— Dans l'historiette qu'il consacre à l'illustre marquise de Rambouillet, Tallemant écrit : « [...] il en fit présent à celle qui en estoit l'auteur, s'il est permis d'user du masculin quand on parle d'une dame. » Ah ! Plaignons ces siècles obscurs, qui ne connaissaient ni l'autrice, ni l'écrivaine ! Sans même parler de la doctrice et de la professeure...
Six heures. — Comme annoncé par moi dès hier après-midi, Alfred Vallette est mort aux alentours de quatre heures et a été enterré dans les vingt minutes qui ont suivi. C'est Georges Duhamel, gloire des lettres bien oubliée aujourd'hui, qui a aussitôt pris sa succession à la tête du Mercure de France.
Lundi 23
Neuf heures et demie. — Prédictions météo (à ce stade, on ne peut plus, raisonnablement, parler de prévisions) égales à elles-mêmes : nuages compacts dans l'iBigo, soleil hégémonique au-delà des fenêtres...
— J'ai comme l'impression depuis deux ou trois jours que, chez mes amis gauchistes, la traque aux cyber-fascistes et aux e-nazillons fait un peu relâche : la trêve des cons faiseurs, probablement.
Cinq heures. — Une histoire drôle d'époque (1936), évidemment rapportée par Léautaud :
Un homme rentre chez lui le soir. À sa femme : « Prépare-moi ma valise, je pars. — Tu pars ? — Je pars en Éthiopie. — En Éthiopie ? — Oui. On embauche là-bas, pour baiser les femmes des hommes qui sont à la guerre : vingt francs par coup. — Ah ? Eh bien, moi, je pars aussi ! — Toi ? Mais tu n'as rien à faire dans cette affaire ! — Si, je viens pour voir comment tu t'en tireras avec quarante francs par mois. »
On savait rire, sous le Front populaire...
Sept heures. — Léautaud face à la modernité : « Je ne suis pas plus enchanté que cela de mon chauffage central. Évidemment, cela chauffe et je n'ai plus la corvée et la fatigue de monter des seaux de charbon au premier. Mais c'est bien laid. Plus l'intimité que donne le feu qu'on voit, dans une cheminée ou dans un poêle. Plus le plaisir de se placer devant, assis dans un fauteuil à rêver. Comment veut-on qu'on s'asseye devant un radiateur ? »
Épineuse question, en effet. Il faudra que j'essaie, tout de même.
Mardi 24
Sept heures. — À peine le nouveau gouvernement est-il nommé que, déjà, nous gagnons une minute de soleil supplémentaire. Ils sont vraiment forts.
— Je viens d'appeler la boulangerie “de la mairie” pour savoir à quelle heure ils ouvriront demain matin. Réponse : demain on est fermé, Monsieur, “parce que c'est Noël”. Je crois que c'est la première fois que je vois une boulangerie-pâtisserie fermer justement ce jour-là. Il est vrai que je n'ai pas fait d'étude de cette question à l'échelle nationale, mais enfin tout de même : qui donc est censé nous vendre les bûches à la crème avec de petits pères Noël juchés dessus, précisément le 25 décembre ? Curieux...
— À l'époque de Saint-Simon, on savait encore, lui en tout cas, faire la différence entre les locutions “de suite” et “tout de suite”, la première signifiant quelque chose comme “dans la foulée”, dès que j'aurai fini ce que j'ai en train, quand la seconde veut dire “sur-le-champ”, au besoin en interrompant ce que je fais en ce moment. Je crois bien que, à part Renaud Camus et moi (ainsi, sans doute, que quelques autres non identifiés...), plus personne ne marque cette différence, et que les deux sont devenues parfaitement synonymes. C'est dommage : il est toujours ennuyeux de perdre une nuance — qui, ici, est d'ailleurs bien plus qu'une simple nuance.
Imaginons par exemple une femme appelant en début d'après-midi son mari à son travail pour lui signaler un problème domestique soudain ; une fuite d'eau, disons. S'il lui répond “ma chérie, je viens tout de suite”, cela veut dire qu'il va quitter son bureau toutes affaires cessantes pour se précipiter au domicile conjugal. Alors que s'il lui dit “j'arrive de suite”, cela signifie, ou devrait signifier, qu'il rentrera à la maison sans traînasser au bistrot, mais seulement sa journée de travail terminée. Si bien qu'il risque de retrouver son gourbi complètement inondé, et sa femme debout sur une chaise de la cuisine pour garder ses jolies pantoufles au sec — et probablement pas de très bonne humeur.
Bon, il faut reconnaître que la grande proximité entre ces deux locutions les rend un tantinet piégeuses. Un peu, dans un autre genre, comme “rien moins” et “rien de moins” ; qui, elles, trouvent le moyen de signifier radicalement le contraire l'une de l'autre.
Midi. — Je suis à peu près certain (mais je sais ce que vaut ma mémoire...) de ne m'être jamais fâché avec qui que ce soit, ma vie durant. Il y eut des gens pour se fâcher avec moi, certains le sont peut-être encore, mais ils le firent à sens unique, sans la moindre réciprocité de ma part. Cela dit, je ne suis pas sûr que cette inaptitude à la brouille soit à porter à mon crédit ; ou pas entièrement. Enfin, je n'en sais rien et m'en fous.
Quatre heures. — Mlle d'Acquaviva, d'illustre famille napolitaine, devait épouser un certain Doni, de noblesse prétendue mais fort incertaine. Elle n'y consentit que s'il devenait duc ou au moins comte. Pour que l'union se fît, le Doni en question se rendit acquéreur du comté de Chasteau-Vilain. Alors, Mlle d'Acquaviva : « Fort bien ! Il aura le vilain, et moy j'auray le chasteau. »
— Il serait amusant de dresser la liste des personnages ayant trouvé moyen de mourir le jour même de leur anniversaire de naissance. J'en ai déjà croisé un certain nombre et je regrette de ne les avoir pas notés à mesure. À l'instant encore, l'historien royaliste Jacques Bainville : 9 février 1879 — 9 février 1936. On sent là des gens parfaitement organisés et méthodiques ; les mêmes qui, de leur vivant, devaient savoir faire des valises impeccablement rangées et leurs lits au carré.
Sept heures. — Notre réveillon de ce jour : une assiette de chili con carne, un film en dvd... et dodo à dix heures. Tout cela noyé dans des flots d'eau minérale. Seule micro-entorse : Catherine s'est acheté une boîte de bouchées Mon Chéri, et moi une d'esquimaux Magnum. L'orgie, quoi.
— Léautaud explique, à un écrivain de passage dans son bureau, la “règle” selon laquelle on ne doit employer “second” que lorsqu'il n'y a que deux éléments en cause, et “deuxième” dès lors qu'il y en a un troisième, un quatrième, etc. Or, il ne s'agit nullement d'une règle, mais d'une simple coutume, sans fondement aucun. La preuve est fournie par toutes les entorses qu'elle subit de façon tout à fait licite. On parle par exemple, pour les lycéens, de la classe de seconde, alors qu'il y en a six, ou de la seconde classe dans les trains, y compris quand il y en avait trois. Par conséquent, Apollinaire, dans Les Sept Épées, avait tout à fait le droit d'écrire :
La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Non mais...
— Un peu plus bas, toujours de Léautaud, qui sort de chez son médecin, cette phrase : « Je vais tout à fait bien de mes oreilles. » Ce raccourci de l'expression, ce court-circuitage grammatical aurait pu être trouvé par Saint-Simon.
Mercredi 25
Sept heures et demie. — Aujourd'hui, trois aller-retour prévus à Pacy. Le premier dans une petite demi-heure pour faire l'ouverture de la boulangerie ; le second deux heures plus tard pour conduire Catherine à la messe de Noël ; et le troisième pour la récupérer au sortir d'Office.
Neuf heures. — Je déconseille fortement la boulangerie “du pont” les matins de Noël, surtout quand celle “de la mairie” a eu l'étrange idée de ne point ouvrir. J'y étais à huit heures une (ouverture à huit heures), il y avait déjà quatre personnes à l'intérieur, et pas de simples acheteurs de baguettes : croissants, pains au chocolat, pains spéciaux tranchés (pour les huîtres, évidemment...) : chacun de mes sympathiques devanciers achetait une véritable cargaison. Et encore, bien chanceux quand ils savaient d'avance ce qu'ils voulaient...
Quand je suis ressorti de là, la file d'attente débordait sur le trottoir, donnant à l'échoppe des allures soviétiques — à la différence qu'à l'intérieur il y avait des choses comestibles à vendre. Bref, je vais tâcher d'éviter de renouveler l'expérience le premier janvier.
Trois heures. — Ce que Tallemant dit de Conrart, le co-créateur, avec Richelieu, de l'Académie française, ou plus précisément de sa bibliothèque : « Je pense que c'est la seule bibliothèque du monde où il n'y ayt pas un livre grec, ni mesme un livre latin. »
C'est à de petites remarques de ce genre que l'on voit à quel point les ânes d'estrade et les baudets d'amphis ont raison : le fameux “niveau”, dans l'Éducation devenue nationale, n'arrête pas de monter depuis des siècles. S'il continue son ascension selon la même pente, on finira bientôt par noter comme des bizarreries inexplicables l'existence de bibliothèques contenant des livres en français.
À propos de l'Académie, Conrart en fut le premier secrétaire perpétuel. Mais, d'après Tallemant, “c'est luy qui le premier y a introduit le desordre et la corruption”, en manigançant pour y faire entrer tel membre par alliance de sa famille : le ver était dans le fruit, alors même que le fruit était à peine en fleur. De cette toute première académie faisait également partie le Rouennais Girard de Saint-Amant, dont me comblent toujours autant les trois vers suivants (je ne sais où mettent la ponctuation) :
Accablé de paresse et de mélancolie
Je rêve dans un lit où je suis fagoté
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté
Ah, vraiment, ce lièvre !...
Cinq heures. — Ce n'est pas la première fois, ce 4 avril 1936, que Léautaud accable de son ironie les écrivains qui invoquent la postérité, et qu'il prétend se moquer complètement que l'on dénature ou même détruise son journal après sa mort, puisqu'il n'en saura rien.
Sauf que cela fait déjà plusieurs années qu'il se torture la cervelle pour déterminer s'il devrait confier ses manuscrits à la bibliothèque Doucet, ou bien à un notaire, ou encore à une banque, voire les faire imprimer à une dizaine d'exemplaires qu'il confierait à des amis sûrs, de façon à ce que, après sa propre mort, les amis en question puissent se surveiller mutuellement, en quelque sorte, et s'assurer que le précieux journal soit publié absolument intact. Ce qui est une étrange façon de se moquer de la postérité.
— Décidément en forme, ce printemps 36, Léautaud prend connaissance d'un fait-divers : voulant tirer sur un chat qui allait entrer dans son jardin, un Breton a tué son fils. Léautaud lui envoie aussitôt la lettre suivante :
Monsieur,
Je lis dans les journaux “l'accident” qui vient de vous arriver. En voulant tuer un chat, vous avez tué votre enfant. Je suis ravi. Je suis enchanté. Je trouve cela parfait. Cela vous apprendra à être à ce point cruel à l'égard d'une malheureuse bête.
Encore tous mes compliments.
Lettre écrite sur papier à en-tête du Mercure de France et signée lisiblement Paul Léautaud. Ce qui est peut-être pousser un peu loin l'amour des animaux...
Deux jours plus tard, il exulte littéralement en apprenant par les journaux qu'à la foire du Trône, un lion vient de massacrer son dompteur. Mais son ciel s'assombrit dès le lendemain, quand il apprend, toujours par voie de presse, que le lion a été à son tour abattu. Conclusion léautaldienne : « C'est toujours la victime qui paie... »
Jeudi 26
Sept heures et demie. — Je suis bien certain qu'en ce moment même ma boulangerie est absolument vide de client. Sauf que je n'ai nul besoin d'y aller : j'ai mal calculé mon coup. En revanche, je suis à peu près sûr que, tout à l'heure, Catherine et moi serons tout à fait tranquilles dans les différents hangars à bouffe que nous avons prévu d'aller arpenter : on ne peut pas se tromper sur tout et tout le temps.
— Reçu avant-hier une carte de vœux d'Anna et Dominique “Pluton”. Comme elle représente un tableau de Cézanne, je vais leur en envoyer une avec Marie Laurencin, que, depuis quelques semaines maintenant, je croise de loin en loin dans le bureau de Léautaud.
— De Bernard Frank : « C'est une honte ce qui vient d'arriver à Alain Peyrefitte et il a bien fait de déclarer qu'il traînerait devant les tribunaux tous ceux qui prétendraient que ce n'était pas lui qui avait écrit ses livres, bref qu'il se servait de nègres. Quelle horreur ! Quel racisme rampant ! C'est déshonorer les nègres que d'imaginer qu'ils pourraient écrire comme Peyrefitte. »
Je suis tout à fait d'accord.
Midi. — Répondu aux Pluton, pendant que Catherine vidait les sacs que nous avions préalablement remplis au Carrefour Market puis au Grand Frais d'Évreux et au Picard voisin.
— Comme ils devaient être aimables, ces religieux du XVIIe siècle ! À tout le moins certains d'entre eux, témoin Mme l'abbesse d'Avenet. Elle était si accorte que M. de Guise, archevêque de Reims s'en éprit. À présent, Tallemant :
Quelquefois elle sortoit par la porte des bois, desguisée en paysanne, et portoit du beurre au marché d'Avenet mesme ; le bon archevesque, desguisé en paisan, l'attendoit dans les bois. Je ne sçay pas ce qu'ils y faisoient avant d'aller ensemble au marché.
Allons donc, Gédéon ! Tu le sais fort bien, ce qu'ils y faisoient.
— L'actrice Judith Godrèche (gode rêche, vraiment ?), qui eut ses douze minutes de célébrité il y a vingt ou trente ans, ne cesse de s'accrocher au mur pour regrimper au haut de l'affiche (elle n'est pas la seule dans ce cas). Ce faisant, elle se pose d'essentielles questions :
Combien de fois faudra-t-il prendre la parole pour être entendues pour de vrai ?
Exactement dix fois, ma petite Judith. La prise de parole, ça marche comme les bons points et les images de notre enfance : au bout de dix prises de parole pour de faux, tu as droit à une prise de parole pour de vrai.
— À quelle époque les noms propres sont-ils devenus invariables ? Ils ne l'étaient ni au XVIIe siècle, ni au suivant, quand Tallemant des Réaux et Saint-Simon écrivaient : les Seguiers ou les Colberts.
Vendredi 27
Huit heures. — Douleurs dentaires de retour depuis deux jours. Intermittentes, certes, mais bien gênantes tout de même. Elles proviennent de la droite (on est toujours embêté avec la droite...), maxillaire supérieur, mais j'ai parfois l'impression, lors de certains “pics”, qu'elles viendraient plutôt du bas. Bizarre...
J'ai hésité à téléphoner à notre dentiste de Pacy, pour tâcher d'avancer mon rendez-vous “de routine”, prévu le 4 février. Finalement, je viens de me décider à appeler : le cabinet est fermé jusqu'au 2 janvier. Problème réglé, donc, d'une certaine manière.
— En ce début d'année 1698, voici que surgissent chez Saint-Simon M. et Mme de Charlus : l'impression que, dans un coin du tableau, Proust m'adresse un petit signe de connivence...
C'est d'ailleurs curieux, ce qui arrive au jeune marquis de Levis-Charlus. La veille de son mariage avec Mlle de Chevreuse, on s'avise que, s'il a bien été ondoyé quelque temps après sa naissance, il n'a jamais été baptisé ! Qu'à cela ne tienne : le lendemain, en une seule journée, il sera porté sur les fonts, fera ses premières confession et communion, sera officiellement fiancé puis, minuit ayant sonné (on ne pouvait se fiancer et se marier le même jour...), dûment marié.
— À les fréquenter un peu, on se rend compte que les fameuses “communautés” — écologistes, féministes, gauchistes, nationalistes, etc. — forment de parfaites illustrations de la formule énoncée par Léo Ferré : Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes.
Trois heures. — Léautaud fait l'emplette de la partition de Lulli pour Le Bourgeois gentilhomme. Il se la fait jouer au piano par Marie Dormoy : grosse déception, complète désillusion (peu importe pourquoi). Il conclut : « Enfin, j'ai toujours eu le plaisir très vif de la pensée du plaisir que je croyais que j'aurais. » Se sortir une phrase pareille sans se prendre les pieds dans le tapis n'est pas donné à tout le monde.
— Oublié de noter que j'ai, hier, commandé le volume Bouquins proposant les “romans préhistoriques" de Rosny aîné. Six euros, port inclus : même en cas de déception, assez prévisible tout de même, elle n'aura pas été trop onéreuse.
— Plus un combat est gagné nettement, plus ceux qui entendent continuer quand même à le mener produisent de tintamarre, par une sorte d'espoir naïf d'en camoufler le dérisoire. Ainsi les féministes d'aujourd'hui, prêtes à s'en prendre à n'importe quel moulin à vent plutôt que de déposer leurs sabres en bois et leurs ciseaux en mousse.
Samedi 28
Huit heures et demie. — Catherine avait suggéré hier que, descendant ce matin à Pacy en quête de pain, je pourrais en profiter pour nous rapporter une galette des rois. Je suis remonté bredouille : les dites galettes n'arriveront à la boulangerie du pont que le 3 janvier. J'aurais pu tenter une seconde chance à celle de la mairie, mais j'ai eu la flemme : on attendra le week-end prochain, pour se bourrer de sucré et de gras.
— Demain, aller-retour à Fontaine. Déjeuner à Saint-Valéry, au restaurant du casino où nous sommes déjà allés, avec ma mère, Philippe et Dominique ; les deux derniers étant de passage, sans doute venant d'Angleterre et retournant chez eux, dans les Landes. Beaucoup de kilomètres pour une entrée-plat-dessert, mais enfin.
Quatre heures. — Un niais d'anthologie souhaite à ses commentateurs de blog un “bon bout d'an”. Bout d'an toi-même, eh ! (Il faudrait peut-être expliquer à ce pesant modeste qu'en général on formule des vœux pour l'année à venir ; et non pour les trois ou quatre jours qui restent de l'agonisante.)
— De Léautaud, le 28 avril 1936 : « [...] ce mot servir, qu'on emploie depuis quelques années, est pour moi un véritable écœurement, et [...], c'est la vérité, il rabaisse pour moi les écrivains qui l'écrivent au rang de domestiques. Je ne dis pas que j'ai raison. Je ne dis pas que j'ai tort. Je suis ainsi. Je pense ainsi. Je sens ainsi. Un écrivain ne doit rien servir. Il ne doit pas, du moins, se faire un postulat de servir. Il écrit ce qu'il pense, comme il sent, ce qui lui fait plaisir à écrire, ce qu'il estime être la vérité, en tout cas sa vérité à lui. L'effet, le résultat, l'influence de ce qu'il écrit, il n'a pas à s'en occuper. Un écrivain n'est pas un instituteur. »
— Ce n'est pas la première fois que, par Léautaud interposé, je déjeune à la Vallée aux Loups, chez le Dr Le Savoureux, en compagnie du professeur Robert Debré. Chaque fois, je repense à ce vieux numéro d'Apostrophes pour lequel Pivot avait reçu trois générations de Debré : le professeur en question, devenu très vieux, son fils Michel qu'on ne présente plus et son petit-fils Jean-Louis, qui doit être aujourd'hui presque aussi vieux que l'était son grand-père ce soir-là.
Six heures. — Gabriel Brunet, critique littéraire au Mercure, disait que, politiquement, il n'était d'aucun bord : « Je redoute autant l'ordre de droite, que le désordre de gauche. »
L'ordre de droite me parait pourtant préférable. Parce qu'on a toujours la ressource (à ses risques et périls parfois, certes...) de contester l'ordre. De le dénoncer, de le transgresser, de le saper, de l'outrager. Alors qu'on reste désarmé face au désordre ; à plus forte raison s'il se donne des airs vertueux.
Dimanche 29
Huit heures et demie. — Mû par je ne sais quel accès de gâtisme de moins en moins précoce, je viens de relire les douze ou quinze derniers billets écrits et publiés par moi. La conclusion s'est imposée d'elle-même : il n'est pas mal, ce blog, finalement ; vraiment pas mal...
Six heures. — Chez Blouski, grâce à un imbécile se faisant appeler Flo, on peut apprendre que les témoignages de femmes sont trop souvent silenciés. Oui madame ! Je suppose qu'ils peuvent également être doutifiés, quand ce n'est pas carrément moquifiés. Voire poubellifiés.
— À part ça, ma journée haut-normande s'est bien passée, même si faire 240 km dans le brouillard pour déjeuner dans un restaurant passable sans plus (mais donnant sur la mer, hein !) n'est pas mon activité dominicale favorite. Mais enfin, ma mère semblait contente de voir les deux enfants qui lui restent. En plus, c'est elle qui a payé.
Lundi 30
Huit heures. — Emploi curieux (curieux pour nous) du verbe licencier par Saint-Simon, et sans doute par d'autres de ses contemporains : « Nous badinions et plaisantions fort ordinairement ensemble, et, de temps en temps, il se licencioit avec moi sur Monsieur de la Trappe. » On comprend fort bien le sens : il se permettait de parler ; ou mieux : il se donnait licence de parler. Boislisle note toutefois que, si l'on rencontre chez d'autres la tournure “se licencier à”, la construction “se licencier sur” ne se trouve qu'ici. Je suppose qu'il faut y voir l'un de ces raccourcis d'expression dont le duc est coutumier, et entendre : “il se licenciait à parler sur Monsieur”.
Deux paragraphes plus bas, on tombe sur le verbe se raccoutrer, signifiant “remettre de l'ordre dans ses vêtements” ; ou, si l'on préfère : dans son accoutrement.
Encore un peu plus avant, on croise très fugitivement un duc de Caderousse (noblesse vaticane...), ce qui nous fait sauter à pieds joints dans Le Comte de Monte-Cristo. Bref, on n'a jamais le temps de s'ennuyer, avec M. de Saint-Simon et ses Mémoires aux pouvoirs spatio-temporels.
— En fouillant dans ses vieux papiers de famille, ma mère a retrouvé le relevé de notes de mon bac (1975), qu'elle m'a rendu hier. Les voici :
Français écrit : 15
Français oral : 17
Sciences nat. : 16
Anglais : 15
Sc. physiques : 12
Philosophie : 16
Mathématiques : 09
Éducation. phys : 12
Total des point en vue de la mention : 259. Il m'en a donc manqué sept, pas un de plus, pour décrocher la mention “Bien” que j'aurais été le seul à obtenir de cette classe de jeunes crétins. Un petit 10,5 en maths y aurait suffi. Cinquante ans après, ce ratage continue de m'agacer un peu les dents. Depuis un demi-siècle — mais en n'y pensant pas tous les jours... —, je me console en me disant que, ayant commencé ma scolarité en étant “premier de la classe”, je l'ai terminée au même rang.
(Mais cette fucking mention, tout de même... à sept points près... merde !)
Dix heures. — En jouant dans ce que j'appelle sa yourte, Petit Loup, à force de sauts et de gambades, parvient à la faire rouler sur elle-même jusqu'à la transporter ainsi, lui toujours à l'intérieur, d'un bout à l'autre du salon. Ce qui ne manque pas de sens, la yourte étant traditionnellement une habitation nomade.
— Du rififi à la cour. Au mariage de Monsieur Gaston, frère de Louis XIII (mariage dont naîtra Mlle de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, dont les mémoires sont à lire), la duchesse de Rohan prétend passer devant la duchesse d'Halluin qui la précédait de quelques pas. Celle-ci refuse. Saint-Simon : « [..] la contestation s'échauffa ; des paroles, elles vinrent aux poussades et aux égratignures [..]. » On imagine avec un certain amusement ces deux grandes dames s'injuriant comme des harengères des Halles et finissant pas se battre comme des chiffonnières. De plus, en note, Boislisle insinue que la querelle a pu être avivée par le fait que le premier mari de la duchesse d'Halluin, M. de Candalle, était de notoriété publique l'amant de Mme de Rohan. Histoires de cul se mêlant à celles de préséance : cocktail détonnant.
Midi. — J'entame aujourd'hui le second volume Pléiade (oui, M. Léautaud : il n'y en a bien que deux !) des Historiettes de Tallemant des Réaux. Il se distribue comme le premier : 900 pages de texte, 900 pages de notes, toutes utiles, claires, informatives, indemnes de toute logorrhée universitaire : merci, M. Adam, Antoine pour les intimes.
— Tallemant écrit Bruxelles Brusselles ; c'est-à-dire comme il convient encore aujourd'hui de le prononcer. Du coup, je me demande pourquoi, comment et quand ce X malencontreux est venu s'immiscer au cœur de la capitale belge.
— Un certain Saint-Savin, dont Tallemant nous dit qu'il était “bossu devant et derrière”, entreprit de séduire la présidente Le Cogneux. Sans détour superflu, le président le mit ainsi en garde :
Escoutez, fait comme vous êtes, vous ne ferez que l'eschauffer et quelque blondin la f... sous vostre moustache comme sous la mienne.
C'était la sagesse même.
Sept heures. — Les militants et commentateurs politiques m'amusent beaucoup, autant qu'ils me sidèrent. À gauche, on dispute de savoir si le PS exsangue doit conserver son petit caudilllo actuel, ou bien mettre une autre marionnette à sa place. À droite, on se demande si on a le droit d'embrasser Marine Le Pen sur la bouche sans être damné ; et, si oui : avec ou sans la langue. Ils me font penser à des gens qui, dans une maison tremblant sur ses fondations et s'écroulant par pans entiers, discuteraient gravement de la futur couleur du papier peint qui est bon à changer, et se demanderaient si, à la salle à manger, les serviettes en coton ne seraient pas préférables à celles en lin.
Mardi 31
Huit heures. — Ma corvée de ce dernier jour : relire et corriger l'ensemble de ce journal de décembre. En me demandant pourquoi je m'inflige un tel pensum.
Onze heures. — Grâce à l'irremplaçable Pr Saint-Graal, je viens de tomber, sous X, sur un certain Ilan Gabet, jeune homme de 19 ans, visiblement fort satisfait de lui-même, cuirassé dans ce qu'il pense être ses “idées”, et qui ne sont que la plate reproduction des slogans et des lieux communs en vigueur dans son petit milieu de progressistes à belle âme. On peut lire autant de ses vagissements que l'on voudra — je m'y suis essayé —, on ne trouvera jamais le moindre aperçu un tant soit peu original : c'est très reposant, presque attendrissant.
Mais j'ai tort de me moquer. Il est évident que les jeunes gens de 19 ans à l'époque où je les avais moi-même, s'il étaient sans doute moins incultes et analphabètes (mais pas de beaucoup...), barbotaient dans le même conformisme, moi inclus, et prenaient leur psittacisme pour de pénétrantes analyses, leur indignation convenue pour une remise en cause radicale du monde auquel ils ne comprenaient à peu près rien.
La différence est que la bêtise adolescente de ces temps obscurs restait discrète, circonscrite, ne disposant pas de la funeste “chambre d'échos” que sont aujourd'hui les réseaux sociopathes. Les petits Ilan Gabet des années soixante-dix ne pouvaient se vanter naïvement, en roulant des mécaniques absentes, de leurs cent mille followers. Car mon Ilan à moi semble être réellement persuadé qu'il est fidèlement lu par cent mille autres petits Ilan de son acabit. C'est son côté attendrissant, que j'évoquais plus haut. Un échantillon de la pensée ilanesque ? Voici :
Le courage de ces petits fascistes qui ne s’assument pas : bloquer à la moindre petite contradiction. Vous ne valez pas mieux que l’extrême droite.
Il aura donc fallu attendre l'extrême fin de 2024 et la fulgurance de l'esprit ilanien pour découvrir enfin que les fascistes ne valaient pas mieux que l'extrême droite. Un de ces jours, il va nous révéler que les assassins tuent autant que les meurtriers, et qu'une ondée mouille tout pareil qu'une averse.
Midi. — De Léautaud, premier avril 1938 : « [...] un écrivain ne doit pas avoir de dictionnaire. Toute recherche d'un mot, même s'il en est besoin, est une atteinte au naturel. On doit écrire avec les mots qu'on connaît, qu'on a dans la tête, qui vous viennent naturellement. »
Le Grognon de Fontenay semble oublier deux choses. D'abord le fait qu'un mot “qu'on a dans la tête” et qui en est sorti naturellement, on puisse, ensuite, éprouver le besoin de vérifier qu'on ne se trompe pas sur son sens exact. Ensuite, il me paraît évident que l'une des fonctions importantes du dictionnaire, et peut-être la plus courante pour un écrivain, est de permettre de contrôler l'orthographe des mots qui “viennent naturellement”, de pallier en ce domaine les faiblesses de chacun. Ainsi, pour prendre mon exemple, il se trouve que je suis assez sérieusement fâché avec les mots en ot(t)e. Si bien que régulièrement, si les mots ravigote ou biscotte me sont bien “venus naturellement”, je dois tout de même avoir recours au dictionnaire pour m'assurer du nombre de T que ces emmerdeurs exigent.
Cinq heures. — Pour ce qui est de notre réveillon de ce soir, il sera exactement semblable à celui de Noël la semaine dernière : dîner frugal peu après sept heures, station assise devant la télé, et au lit à dix heures.
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