samedi 1 avril 2023

Mars 2023

 

 

 

 

 

 

 iBIGO HOME !

 

 

 

 

Mercredi 1er

Dix heures. – Bizarrement, et même miraculeusement, aucune panne d'internet n'a été à déplorer ici depuis hier après-midi : c'en deviendrait presque angoissant, cette persistance dans la connexion.

– Depuis hier, lu deux romans d'Hubert Monteilhet, écrivain chaudement recommandé par Michel Desgranges : Les Mantes religieuses hier matin et, dans l'après-midi, Le Retour des cendres. Qu'on ne s'empresse pas de crier à l'exploit sportif de haut niveau : ces deux romans ne dépassent ni l'un ni l'autre les 180 pages, format “poche”. Ils s'avalent rapidement et agréablement, un peu comme un grand verre d'eau fraîche au retour d'une promenade d'été. Ils s'oublient également aussi vite, une fois la soif étanchée. On comprend que je ne partage guère l'enthousiasme de Michel à propos de Monteilhet ; ou, du moins, ne le partage pas plus qu'à demi. Mais enfin, cela reste une lecture assez gouleyante, à condition de n'être pas gêné par les intrigues parfaitement invraisemblables (mais qui sont, ensuite, conduites en toute rigueur). J'ajouterai que Monteilhet écrit en un français qui serait parfait… si seulement il savait que le verbe “se départir” appartient au troisième groupe et non au second…

Toutes ces choses étant dites, cela ne m'a pas empêché, à l'instant,  de mettre un autre roman de lui (Le Procès Filippi) dans mon petit panier Rakuten.

Cinq heures. – J'avais beau dire qu'être privé d'internet ne me faisait rien, c'est tout de même avec un vif plaisir que j'ai retrouvé, ce jour, mes chers analphabètes atlanticoïdaux et leurs titres abscons ! Un petit, pour se remettre dans le bain : 

« Alimentation : le gouvernement promet de “casser les prix du quotidien” pour lutter contre l'inflation. »

C'est très bien, de vouloir casser les prix des journaux paraissant chaque jour. Mais d'une part je vois mal le rapport avec l'alimentation, et d'autre part je pense que les patrons d'hebdomadaires et de mensuels risquent de renauder vilain.


Jeudi 2

Dix heures. – Donc, tout à l'heure, en début d'après-midi, je vais faire le grand saut dans la modernité la plus sotte, puisque Catherine et moi, laissant la femme de ménage à ses saines activités domestiques, nous propulserons jusqu'à Vernon afin d'y faire, en l'échoppe Bouygues, l'emplette d'un téléphone portatif pour moi. Ensuite, il incombera à ma malheureuse épouse la tâche herculéenne de m'apprendre à utiliser l'engin maudit ; que, de toute façon, je compte utiliser le moins possible. Pour commencer, j'envisage de n'en donner le numéro à personne, sinon peut-être à ma mère et à mon frère. enfin, on verra.

– Après la parenthèse Monteilhet est revenue la question aussi classique que sempiternelle : que lire maintenant ? Je n'en avais aucune idée, ce qui, finalement, n'est pas si fréquent. Et puis, tout soudain, je me suis souvenu que, dans Vie et Destin, les divers membres de la famille Strum s'entretenaient à plusieurs reprises de leur lecture, ou relecture, des nouvelles de Tchékhov…

Très bien, très bien : va pour Tchékhov.

– Pour une fois, le titre qui me laisse perplexe vient du site Contrepoints et non de chez mes analphabètes de référence. Le voici : « Les JO 2024 face aux nouvelles mobilités aériennes urbaines électriques. » J'ai beau me mettre plus ou moins la rate au court-bouillon et la pensarde en surchauffe, je ne parviens pas à comprendre, ni même à entrevoir, ce que peut bien être une “mobilité aérienne urbaine électrique”. Et nouvelle, en plus !

Quant à l'article qui fait suite à celui-ci, il se présente sous forme d'une injonction : « Mettons fin à la “call-out” culture. » Moi, je m'en fous : je n'avais planté aucun pied de call-out cette année.

– Appris hier que Calmann-Lévy venait de rééditer plusieurs livres de Vassili Grossman, dont ce Pour une juste cause, premier volet de Vie et Destin, que j'envisageais d'acheter le mois dernier. Ce qui m'énerve est qu'ils rééditent aussi Vie et Destin… dans une nouvelle traduction. Ce qui m'a évidemment donné une furieuse envie de l'acheter aussi : pour l'instant, je résiste…

Six heures. – Eh bien, c'est fait : me voici le très moyennement heureux propriétaire d'un iPhone 13 flambant neuf. Jusqu'à maintenant je me suis bien gardé de l'approcher : j'attends les jours prochains, que Catherine l'apprivoise, si faire se peut. En réalité, cet engin ne m'a été pour l'instant que pénible. Pénible l'interminable heure passée dans la boutique Bouygues, à faire semblant d'écouter ce qu'avait à me dire une très jeune femme, qui semblait tout à fait compétente mais était affligée d'une voix “pétasso-commerciale” assez éprouvante. Pénible ausi en ce que l'ensemble de l'opération m'a coûté mille euros ; pour un gadget dont je compte bien me servir le moins possible. Merveilleuse époque…

– Le seul point positif de cet après-midi est que, par l'intermédiaire de la sœur de Catherine (je n'ai plus de compte amazonien depuis déjà un moment), j'ai passé commande de Pour une juste cause, lequel me sera livré demain. En temps ordinaire, le livre m'aurait sans doute paru un peu cher, mais aujourd'hui, je n'étais plus à trente euros près.


Vendredi 3 (soixante-troisième anniversaire de mon frère)

Une heure. – Matinée fort occupée. De huit heures et demie à dix heures, courses pacéennes diverses. Ensuite, jusqu'à l'heure du déjeuner, Catherine s'est mesurée avec mon tout nouveau iBigo. Comme elle parcourait les innombrables rubriques à “renseigner” à voix haute – vu que, parfois, elle avait besoin de mon avis –, j'ai eu l'impression d'assister à une longue lecture de poèmes ésotériques, tant je ne comprenais pas le quart du dixième des mots qui sortaient de sa bouche. Si j'ai bien compris, tout s'est passé de manière satisfaisante et l'ensemble des opérations touche à sa fin. « On a fait le plus dur ! » s'est exclamée ma geekienne épouse en reposant les deux engins (son iPhone et mon iBigo). Ça, c'est ce qu'elle croit, la naïvement optimiste : le plus dur, cela va être maintenant de m'apprendre à me servir de ce boitier aussi diabolique que stupide. On verra ça à partir de demain : à chaque jour suffit, etc.

Cinq heures. – Catherine, occupée à entrer divers numéros de téléphones dans mon iBigo, à mettre Charlus en fond d'écran, etc. : « Qu'est-ce que je m'amuse avec ton téléphone ! » Moi, illico : « Si tu veux, je peux te le céder à un prix intéressant… »

– Commencé à lire Pour une juste cause : lecture rendue un poil ardue par les fréquentes interruptions iBigotiennes de Catherine.


Samedi 4

Dix heures. – Il y a une demi-heure, tout deux assis sur le canapé du salon… Catherine m'a appris à téléphoner. (Si on m'avait dit qu'un jour, à mon âge, je pourrais sérieusement écrire une chose pareille, je m'en serais probablement taper le fondement sur l'asphalte.)


Dimanche 5

Dix heures. – Catherine est toujours aux prises avec l'iBigo, ce qui lui procure énervement et fatigue. Je ne le lui reproche nullement : si je devais faire tout cela à sa place, j'aurais déjà passé le  boitier maudit par la fenêtre et serais en train de me rouler par terre, la bave aux lèvres et l'œil sanguin. Ce matin, il s'agissait de suivre la procédure pour que Bouygues-Bouygues nous rembourse 80 euros sur notre achat. Sur le coup, à la boutique l'autre jour, lorsque notre vendeuse pétassoïdale nous a expliqué la chose, je n'ai pas bien compris son intérêt : pourquoi nous les faire payer, ces fameux 80 €, si c'est pour nous les rendre quelques jours après ? Depuis ce matin, je commence à mieux comprendre, enfin je crois : la promesse d'un remboursement doit agir sur beaucoup de cerveaux primitifs comme la promesse d'un cadeau ; et, donc, susciter la convoitise. Ensuite, la complexité et les nombreuses étapes de la procédure font certainement que la moitié des gens doivent abandonner avant le drapeau à damier, en se faisant la réflexion que je me suis faite : « Venant de dépenser mille euros pour cette saloperie, qu'est-ce que j'en ai à faire, de leur misérable aumône ? Laissons tomber ! » Tout bénéfice pour Bouygues-Bouygues…

Six heures. – Passé l'essentiel de ma journée à Stalingrad (mais avant l'attaque allemande, ce qui diminue un peu mon mérite…). Et, en ce moment même, j'écoute l'émission que France-Culture a consacrée à Grossman en 2001.


Lundi 6

Onze heures. – Ce brave iBigo et moi-même continuant de faire doucement connaissance. Après avoir envoyé divers sms (sans faute !), à ma mère, à Nicolas et au Père B., j'ai réussi ce matin non seulement à me connecter au site de notre banque, mais en outre à “activer la reconnaissance faciale”. Et je suis très heureux que cet établissement financier connaisse enfin ma tronche.

– Reçu à l'instant au courrier Vassili Grossman – Un écrivain de combat, volumineuse biographie due à la plume de Myriam Anissimov, dont je possède déjà une autre biographie, celle de Primo Levi. 


Mardi 7

Neuf heures et demie. – Le titre qui vient de me faire hausser légèrement un sourcil : « Élisabeth Borne annonce le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les moins de 25 ans. » D'après les bruits qui parviennent jusqu'à moi, fortement assourdis par chance, cette dame serait le Premier ministre de la France. Se rend-on compte à quel degré de décrépitude et de ramollissement un pays doit en être arrivé pour que son Premier ministre se sente obligé d'annoncer en personne une “nouvelle” aussi anecdotique, aussi navrante d'inintérêt ? Non, je crois que, justement, on ne s'en rend pas compte. Sinon, cette pauvre femme tomberait en poussière sous la pression du ridicule. Et la prochaine fois qu'elle donnera de la voix, cette Borne-là, ce sera pour nous annoncer quoi ? Une baisse d'un demi-point de la TVA sur les protège-slip ?

– Sinon, début de matinée tout à fait routinier. Après ma séance de petit vélo immobile (j'ai repris hier après une longue interruption, et je me demande où ont bien pu passer les muscles qui se trouvaient auparavant dans mes cuisses et mollets…), j'ai fait mon petit tour chez Twitter ; chez le professeur Cingal d'abord, pour connaître les noms des deux ou trois écrivain-e-s nègres qu'il a découverts depuis hier, puis chez Mlle Jauneau afin de savoir combien de femmes martyres avaient été tabassées par leurs maris ou violées par le voisin du dessus durant la nuit écoulée : ils étaient tous deux fidèles au poste, tels des chasseurs à l'affût perchés dans leurs petits abris forestiers, ce qui est bien rassurant.

– Je lis depuis hier après-midi – en parallèle avec Pour une juste cause – la biographie de Grossman reçue hier. J'en saute régulièrement des passages, non pas parce que le livre souffre de défauts, mais au contraire parce que Mme Anissimov a très bien fait son travail. Ne t'énerve pas, Madeleine : j'explique. À mesure qu'elle avance dans la vie de son personnage, et donc, ce faisant, également dans l'histoire de la Russie, elle a à cœur de brosser le cadre général dans lequel Grossman est appelé à se mouvoir : la NEP, les famines ukrainiennes, la Terreur stalinienne, les grands procès de 1937-38, etc. ; c'est-à-dire des événements, des situations, des drames que je connais fort bien, vu les nombreuses lectures “soviétiques” dont je sors tout juste, et que je n'ai donc ni le besoin ni l'envie de “réviser”. Je survole donc ces pages-là, jusqu'au moment où Vassili fait sa réapparition en personne.

Trois heures. – En août 1941, Vassili Grossman arrive au front, comme correspondant (il le sera durant toute la guerre, jusqu'à la prise de Berlin) du journal Krasnaïa Zvezda (L'Étoile rouge). Alors que les chars du général Gurerian enfoncent partout les lignes de défense soviétiques, il a la surprise, dans un autre journal du front, de lire cette phrase (c'est moi qui souligne) : « L'ennemi fortement malmené a continué à attaquer frileusement. »

–Dans la série “on ne se refait pas” : hier, histoire de lui faire un petit signe fraternelle – et aussi pour “jouer avec le jouet” –, j'envoie un premier sms à mon frère, qu'à la suite d'une panne momentanée du cerveau je néglige de signer, ne pensant pas qu'il n'avait pas encore mon numéro “en mémoire”. Sa réponse commençait par : « Je suppose que c'est toi, Didier ? » Dans ma réponse à sa réponse, je m'étonne qu'il ait pu me deviner alors que mon message était fort général, sans aucun indice “familial”. Alors, lui, laconique mais un peu ironique tout de même : « Personne n'envoie de messages comme ça. » Le phraseur impénitent était bel et bien démasqué.

Six heures. – L'idée a surgi tout à l'heure d'aller passer une soirée avec Nicolas dans son antre loudéacien, et d'y “convoquer” Hélène, sa sœur, avec qui Catherine et en relation depuis déjà un bon moment mais qu'elle n'a encore jamais rencontrée. Ce serait l'occasion pour nous, ensuite, d'aller passer une nuit ou deux au domaine de Rochevilaine, qui nous fait envie et où nous avons failli aller l'année dernière (mais je ne sais plus pourquoi cela ne s'est pas fait). 


Mercredi 8

Midi. – Renseignements pris, l'hôtel que j'ai mis en lien hier soir ici s'avère fermé le dimanche, qui était un des deux jours où nous comptions y séjourner. Je me suis donc rabattu sur cet autre établissement, qui a l'air fort accueillant et a en outre l'avantage d'être deux fois et demie moins cher que le précédent. En outre, il dispose d'un spa pour Madame…


Vendredi 10

Midi. – J'ai été ravi d'apprendre que Pour une juste cause était le titre qui avait été imposé à Vassili Grossman par les idéologues abrutis qui, en URSS, décidaient de tout, et notamment de ce qui pouvait ou ne pouvait pas être publié. Au départ, Grossman avait appelé son roman tout simplement : Stalingrad. Ce qui avait le mérite de la sobriété et de la clarté.

– Depuis que je suis en possession de l'iBigo, il m'arrive d'aller voir ce qui se cache derrière les icônes qui s'affichent sur son écran. Et je suis à la fois amusé et agacé, parfois consterné, par l'innommable sabir que ses créateurs ont engendré. Les notices “explicatives” de certaines des applications proposées atteignent à l'incompréhensible parfait. En prenant les mots un par un je devine qu'il doit pourtant s'agir du français. Mais par la façon dont ils sont choisis puis assemblé, on bascule dans une langue qui n'a même pas de nom.

Six heures. – Je reçois à l'instant, par himmel, le programme des parutions mai-juin des Belles Lettres. C'est très gentil d'avoir pensé à moi… mais j'aimerais mieux qu'ils m'envoient les livres, en tout cas quelques-uns d'entre eux ! La jeune personne (pourquoi “jeune” ? tu ne la connais même pas !) qui a pris l'initiative de cet himmel s'y fend de quelques mots, dont ceux-ci : « En espérant que vous y puisiez matière à de futurs articles et réflexions. » Des articles à partir du seul programme ? Faudrait voir à pas m'prendre pour une pomme, hein ! Ni pour une poire, d'ailleurs.


Lundi 13

Onze heures. – J'ai eu l'idée, ce matin, après avoir entré dans l'iBigo le numéro de téléphone d'André, de lui demander s'il connaissait ceux de nos vieux amis (CFJ) Luc Évrard et Jef Loiseau, le premier pas vu depuis quinze ans et le second depuis environ dix. Comme il les possédait en effet, j'ai envoyé un court message à chacun ; histoire de montrer que j'étais toujours plus ou moins de ce monde sublunaire. Pour l'instant, aucun des deux ne m'a répondu. S'ils ne le font pas, j'en tirerai la conclusion qui s'impose, à savoir que non seulement ils se passent aussi bien de moi que moi d'eux, mais qu'en outre ils n'ont aucune envie de renouer les liens anciens – à supposer qu'ils soient encore en état d'être renoués.

– Il me reste une petite centaine de pages (sur 1050 exactement) à lire pour en avoir fini avec Pour une juste cause. Et, en effet, il est temps que ça se termine : on ne peut pas passer toute sa vie à Stalingrad non plus… 

Cinq heures. – Ce sacré réchauffement climatique est décidément beaucoup plus vieux qu'on ne pouvait le penser ! Note de Viel Castel au § août 1857 : « La chaleur depuis près d'un mois était très grande, il pleut ce matin et tous les Parisiens se font mouiller avec plaisir ; jamais pluie n'avait été plus ardemment désirée. Avant-hier, le thermomètre marquait 35 degrés au-dessus de zéro [évidemment, pas en dessous !] à une heure de l'après-midi et 24 degrés à minuit. »


Mardi 14

Onze heures. – Repris ce matin Le Maître et Marguerite, dans la collection “Bouquins” de Robert Laffont. Très pratique puisque, en un seul volume, sont proposés les quatre romans écrits par Boulgakov. Pratique… à condition d'éviter comme la peste et le choléra réunis les abondantes notes déposées en bas de pages par les deux redoutables bas-bleus, Femmes savantes hyper-moliéresques, malencontreusement chargées de cette édition, à savoir Mmes Laure Troubetzkoy et Marianne Gourg, toutes deux universitaires bien entendu, comme l'indique assez l'impeccable sabir de leur copieuse introduction. 

Mais leur vrai chef-d'œuvre, ce sont donc les notes, dont ces deux pénibles punaises de bibliothèque ont maculé à peu près près chaque page. Elles sont en gros de deux sortes, les bénignes et celles qui devraient, dans un monde bien ordonné, relever de la justice pénale voire des Assises. Les bénignes sont celles dans lesquelles nos Bécassines surdiplômées étalent leur pseudo-science hors de propos, avec une candeur qui ferait sourire d'indulgence si la chose n'était pas aussi répétitives. Les notes “malignes” sont toutes celles où ces dames se croient autorisées à nous révéler brutalement et tout de suite ce que le malheureux écrivain qu'elles mettent à la torture avait choisi, lui, de nous distiller subtilement et plus loin dans son roman. 

Pour donner à ceux qui ne lisent pas une image à peu près correcte de ce que cela représente, qu'ils imaginent se trouver au cinéma avec, derrière eux, deux bonnes femmes qui ont déjà vu le film et ne cessent de commenter et d'expliquer à haute voix ce qui va se passer sur l'écran dans la demi-heure suivante.

Le malheureux et bouillonnant lecteur de Boulgakov, lui, soupire de regret en songeant aux belles époques médiévales, celles où Mmes Troubetzkoy et Gourg auraient été condamnées à subir deux jours complets de pilori sur la place publique, tandis que les ribaudes de la ville seraient venues leur jeter au visage pommes pourries et trognons de chou.

(Finalement, transformé ce qui précède en billet pour le blog-mère.)

– La bonne nouvelle du jour (qui n'est bonne à peu près que pour Catherine et moi) : au Plessis-Hébert, les éboueurs travaillent comme d'habitude. Quant à ceux de Paris, ils doivent être en train de réchauffer les petits fours et de faire péter les bouchons de champ' : par voie de blog, l'inracontable Seb Musset vient de leur apporter son soutien franc et massif ; prouvant ainsi, une fois de plus, que les bobos sont totalement privés du sens du ridicule. Comme dirait Audiard : c'est même à ça qu'on les reconnaît.

 

Mercredi 15

Deux heures. – Deux jours après les avoir envoyés, pas la moindre réponse à mes deux messages écrits à Luc et à Jef. À moins de supposer qu'André m'ait donné deux numéros de téléphone erronés, ce qui serait tout de même curieux, il faut donc bien admettre que, comme disait Apollinaire, “nous ne nous verrons plus sur terre”. Bien qu'un peu tristes, ou disons : mélancoliques, ces non-réponses ont toutefois un aspect positif. Souvent, lorsqu'il m'arrivait de songer à l'un ou l'autre de ces deux  zouaves, et à regretter la longue mer de silence qui s'étalait désormais entre nous, je me disais que j'étais mal placé pour me plaindre puisque, de mon côté, je ne faisais strictement rien pour l'assécher, cette mer ; désormais, j'aurai au moins la conscience tranquille de ce côté.

– Demain, journée Desgranges.


Samedi 18

Midi. – Surprise, ce matin, de trouver dans ma boitamel un courrier de Pierre Moulier, m'informant qu'il venait, à la (dé)faveur d'une insomnie, de relire une grosse moitié d'En territoire ennemi et que le livre lui avait paru excellent. Il se montrait plus disert que cela, et j'ai eu envie, dans un premier temps, de transporter son himmel ici. Puis, je me suis dit qu'il y aurait là, dans cette parade, une certaine fatuité, et j'ai renoncé : les lauriers me resteront donc personnels.

– Non, décidément, La Garde blanche de Boulgakov n'est pas un livre “pour moi”. Ce matin, comme lors de mes tentatives précédentes, j'ai jeté l'éponge après soixante pages environ. en revanche, sa Vie de monsieur de Molière, commencée aussitôt, m'est apparue toujours aussi séduisante.

Cinq heures. – Au bas du roman moliéresque de Boulgakov sévit toujours l'affligeante commère Troubetzkoy, mais heureusement de façon moins virulente que dans Le Maître et Marguerite. On trouve tout de même quelques perles ayant suinté de sa plume. J'ai noté celle-ci, pour mémoire et édification des générations futures, s'il s'en trouve. 

Boulgakov relate brièvement  l'épisode bien connu qu'est la “prise de pouvoir” du jeune Louis XIV au lendemain de la mort de Mazarin, en mars 1661 : « Je vous ai fait assembler, messieurs, dit le jeune roi en les regardant sans ciller [ses ministres] pour vous dire que le temps est venu pour moi de diriger tout seul l'État. » Là-dessus, appel de note de notre bas-bleu : « Cette déclaration de Louis XIV rappelle étrangement celle du gouverneur au début du Revizor de Gogol (“je vous ai convoqués, messieurs, pour vous faire part d'une fort désagréable nouvelle : il nous arrive un revizor”). »

Deux bévues, ici, sauvagement imbriquées l'une dans l'autre. D'abord, on notera que les deux phrases n'ont à peu près rien à voir l'une avec l'autre – hormis l'adresse “messieurs” –, concernent des événements, des situations et des personnages tout à fait étrangers les uns aux autres. Ensuite, le lecteur naïf se demande comment une phrase attribuée à Louis XIV pourrait rappeler celle prononcée par un personnage de roman près de deux siècles plus tard. Alors, évidemment, la cuistresse pense sans doute se couvrir en précisant que la déclaration du roi rappelle étrangement l'autre. Mais non, madame, ce n'est pas du tout étrange : simplement stupide.

– Cela dit, elle est vraiment très plaisante, cette Vie de monsieur de Molière. On peut pourtant y relever quelques rares bévues commises par Boulgakov, notamment celle qui suit. Boulgakov relate la façon dont, se croyant ridiculisé par l'un des personnages de La Critique de l'École des femmes, le duc  de La Feuillade a déchiré le visage de Molière au moyen des diamants taillés en pointe de son pourpoint. Il ajoute ceci : « Il est amer de penser que Molière laissa sans réponse l'outrage que lui infligeait le duc. […] En tout cas, il ne provoqua pas le duc. On peut penser d'ailleurs que, dans le cas contraire, son activité se serait arrêtée avec La Critique de l'École des femmes, car La Feuillade l'aurait immanquablement tué. »

Certainement pas. La Feuillade n'aurait évidemment pas tué Molière en duel, dans la mesure où il était impensable qu'un aussi haut personnage qu'un duc, maréchal de France par surcroît, puisse faire l'honneur à un saltimbanque, fût-il génial, de tirer l'épée contre lui. En admettant que Molière commette la folie de “provoquer” La Feuillade, celui-ci l'aurait plutôt fait assassiner par ses gens, ou au moins sévèrement bâtonner, comme Voltaire le sera plus tard par les domestiques du chevalier de Rohan. 

En revanche, deux siècles plus tard, un tel duel sera devenu effectivement possible : en 1896, 13 avril, le prince de Sagan (un Talleyrand-Périgord) put croiser le fer avec l'écrivain Abel Hermant (l'Abel au bois d'Hermant de Léon Daudet...).


Dimanche 19 (67 ans…)

Deux heures. – Je viens de faire un rapide aller-retour au Super U de Saint-Aquilin afin d'y remplir le réservoir de Soraya. Je n'étais pas le seul à avoir eu cette brillante idée : si je suis passé tout de suite à l'une des deux pompes en libre-service, quatre voitures attendaient leur tour à chacune quand j'ai vidé les lieux.

Cela dit, plein ou pas plein, je considère notre escapade bretonne de la semaine prochaine comme d'ores et déjà annulée : même si les stations bretonnes restaient en service jusqu'à dimanche prochain, ce qui m'étonnerait, je n'ai aucune envie de passer trois jours à me demander si je pourrai ramener tout le monde à bon port. Et, en plus, la météo de Vannes est de pire en pire à mesure qu'on se rapproche de notre date de départ.


Lundi 20

Trois heures. – Première tontine de la saison, à l'instant : voilà une soixante-huitième année qui démarre très fort.

– Commencé ce matin la relecture du Don paisible de Cholokhov (s'il est bien l'auteur de ce roman : le doute ne semble pas entièrement levé encore). 1300 pages bien serrées : le Don est bien un long fleuve, mais pas si tranquille qu'on le dit ; surtout en ces années-là (1912 – 1922 approximativement).


Mercredi 22

Onze heures. – Passer de Vassili Grossman à Cholokhov et son Don paisible produit tout de même un effet bizarre : à peine avez-vous gagné la Seconde Guerre mondiale qu'il vous faut, sans pratiquement souffler, vous lancer dans la Première.

Six heures. – Passé une bonne partie de l'après-midi devant la télé, volets fermés, à regarder le film d'Agnieszka Holland qui s'intitule In the Darkness et, en français de France, Sous la ville (les Québécois, de leur côté, ont opté pour Sous la terre…). œuvre étrange, largement réussie à mon sens, dont les deux heures et demie se passent pour l'essentiel dans les égouts de Lvov (aujourd'hui Lviv) durant toute l'année 1943. Par souci de réalisme, tous les personnages s'expriment dans leur langue propre : les Polonais en polonais, les Juifs en yiddish, les Ukrainiens, etc. Cela dit, par curiosité malsaine, j'aimerais tout de même bien jeter un coup d'œil – ou plutôt un coup d'oreille – à la version doublée en français par des Québécois.


Jeudi 23

Onze heures. – Matinée hebdomadaire de ravitaillement. Catherine avait décidé que nous nous risquerions au grand Carrefour d'Évreux, lieu maudit que d'ordinaire nous évitons, essentiellement pour cause de surpopulation pénible. Mais Catherine est une maîtresse de maison : comme nous approchons de la fin du mois, elle savait que les salauds de pauvres seraient peu nombreux à arpenter les allées ; et du fait du ramadan en vigueur depuis hier, elle savait aussi qu'il n'y aurait pas un musulman à l'horizon. De fait, nous étions presque seuls, c'était limite fout-la-trouille.

Trois heures. – Comme je suis occupé à lire le roman, je viens de mettre dans mon p'tit panier Rakuten Le Don paisible, film soviétique des années années cinquante, d'une durée de… cinq heures et demie ! Trop forts, ces Russes…

–Un couple de mésanges (je n'ai pas pu distinguer, de la terrasse, si elles étaient bleues ou charbonnières) vient d'investir le nichoir dit “du grand volet”. Je crois bien que c'est la première année où elles commencent aussi tôt à nicher : ce doit être des mésanges particulièrement averties, ayant lu à fond le dernier rapport du GIEC et, donc, sachant que l'été prochain sera infernalement caniculaire. Je ne vois pas d'autre explication.


Vendredi 24

Neuf heures. – Catherine me faisait remarquer il y a un instant que beaucoup de gens, dont moi, continuaient à employer l'expression “tirer la chasse d'eau”, alors que, hormis peut-être dans quelques masures antédiluviennes, on ne rencontre plus nulle part de chasse d'eau à chaîne et poignée. Dans l'ensemble, on m'accordera qu'il valait la peine de me transporter de la maison à la Case pour y venir noter cela.

J'ai, depuis hier, très envie d'acheter le Guerre et Paix de Sergueï Bondartchouk, film soviétique des années soixante qui dure plus de huit heures (dont il existe également une version “courte” dépassant à peine les sept heures…).  Mais, pour cela, il faudrait déjà que je le trouvasse ; et à un prix acceptable. Pas gagné, apparemment…

Midi. – Mon vieil ami “dominico-français” (pour les mal-comprenant : adjectif forgé par mes soins à partir de France Dimanche…), Jean S., m'envoie une coupure de presse émanant de France Info Bretagne. Elle relate, cette coupure, qu'à Dinan, le 10 mars dernier, une femme a été massacrée à coups de couteau, et jusqu'à ce que mort s'ensuive, par sa concubine. Par acquit de conscience, je suis allé fouiller les entrailles du compte touitteresque d'Élodie Jauneau, pour voir si elle avait bien pensé, alors, à pousser un grand cri d'indignation face à cette violence-faite-aux-femmes (syntagme figé), comme elle le fait environ cinq fois par semaine. J'ai été fort surpris de ne rien trouver. Un moment d'inattention peut-être ? Ou bien, quand les petits meurtres se passent entre femmes, peut-être ne peuvent-ils être comptabilisés comme féminicides ? Du coup, dois-je lui signaler l'affaire ? Et, si je le fais,  la demoiselle en sera-t-elle éperdue de gratitude pour ma vigilance, ou bien si elle m'en voudra pour la légère trace d'ironie qu'elle s'imaginera déceler chez son lanceur d'alerte ? Je me perds en conjectures.


Samedi 25

Dix heures. – Je ne suis évidemment pas qualifié le moins du monde pour trancher la question : Cholokhov est-il ou non le véritable auteur du Don paisible, roman “fleuve” publié sous son nom et qui lui a valu le prix Nobel au milieu des années soixante ? On trouvera les détails de la polémique chez Dame Ternette, et notamment les attaques convergentes de Soljénitsyne et de Roy Medvedev contre Cholokhov. 

Ce qui est sûr, après en avoir relu le tiers (soit quatre cents pages tout de même…), c'est qu'il me paraît hautement improbable qu'une telle œuvre, aussi large, aussi puissante dans son ensemble et fouillée dans ses moindres détails, ait pu être écrite par un jeune homme de 23 ans ; surtout si l'on prend en compte le fait que, dans toute la suite de sa vie – né en 1905, il est mort en 1984 –, il n'a plus jamais été à même d'écrire le moindre roman arrivant ne serait-ce qu'à la cheville de celui-ci.

Mais, finalement, le temps ayant passé et accompli son œuvre, cela n'a plus guère d'importance : l'auteur quel qu'il ait été est .


Dimanche 26

Six heures. – Ceci est un test. Ça ne marche pas !

Les deux lignes précédentes ont été tapées directement de mon iBigo. Comme on voit, il a fallu que je m'y reprenne à deux fois, je ne sais pourquoi. De plus, j'ai prudemment attendu d'être revenu vers un clavier plus familier pour mettre gras, italique et tiret. Ces détails sont d'ailleurs sans importance, puisque personne autre que moi n'a accès à ce blog “atelier”. Mais je suis ravi de pouvoir y noter des choses quand je suis hors de la maison. Avant, si par extraordinaire une idée me traversait l'esprit, je me disais simplement : « Tu noteras ça en rentrant. » Désormais, vu l'état piteux de ma mémoire, ce n'est même pas la peine que je me le dise : le temps de prononcer mentalement la phrase, j'ai déjà oublié ce qu'il convenait de noter. 

Sept heures. – Oublié de préciser tout à l'heure, tant la chose devrait paraître évidente, que c'est grâce à Catherine que j'ai réussi à écrire dans ce journal depuis l'iBigo ; ce que, du reste, je fais en ce moment même.

(Mais je ne sais toujours pas comment me dépêtrer du gras et de l'italique...)

 

Lundi 27

Six heures. – J'ai, depuis ce matin, écrit trois ou quatre paragraphes dans ce journal, depuis l'iBigo ; notamment tout à l'heure, en début d'après-midi, pendant que je me trouvais sur un parking de Saint-André-de-l'Eure à attendre Catherine, laquelle se faisait manipuler les épaules et la nuque par un ostéopathe de ses relations. 

Il y a cinq minutes, j'arrive ici, devant le clavier à taille humaine de la Case, afin de “peigner” ce que j'avais écrit, en particulier pour mettre en italique ce qui devait l'être… Surprise : rien de ce que j'avais écrit sur le bidule n'apparaissait sur l'ordinateur ! Qu'à cela ne tienne, me dis-je in petto, je vais faire un copier/coller…

Sauf que tout ce que j'ai écrit depuis ce matin a également disparu de l'iBigo, alors que je suis certain à 99,99 % d'avoir à chaque fois enregistré ce qui venait d'être écrit. Mystère, donc.

– Reçu ce matin au courrier Le Don paisible de Guerassimov. Quand j'ai dit à Catherine qu'il s'agissait d'un film soviétique des années cinquante d'une durée de conq heures et demie, j'ai eu l'impression de la voir légèrement pâlir.


Mardi 28

Dix heures. – L'information capitalissime de ce jour : « Le gouvernement demande aux industriels de baisser les doses de nitrites dans la charcuterie. » C'est tout de même rassurant de savoir que règnent, à la tête de l'État, des gens capables  de se concentrer sur l'essentiel, sans se laisser distraire par des épiphénomènes telles que les grèves sans fin, les manifestations violentes des gaucho-fascistes, les démences écolos, les délires liberticides des féministes décérébrées, etc.

– Lassitude soudaine de mes Cosaques et de leur foutu fleuve. J'ai donc remisé Le Don paisible entre les cinq et six centièmes pages et, d'un coup, traversant l'Europe et sautant par-dessus la Manche, j'ai prié Anthony Trollope de bien vouloir me suivre au salon, en compagnie de son Directeur (en version d'origine : The Warden).

Deux heures. – Je refais une tentative de "journal dans un fauteuil" afin de voir si j'aurai plus de chance qu'hier avec mes écritures iBigophonesques. On pourrait d'ailleurs intituler cela : Prélude à l'après-midi d'un iPhone. (Et je ne sais toujours pas comment maîtriser ce fichu italique...)

Que dire d'autre ? Rien, ma foi ! De toute façon, si c'est pour constater tout à l'heure que ces deux paragraphes ont proprement disparu, inutile de se mettre la rate au court-bouillon.

Quatre heures. – Parce que Michel et moi avons, lors de ma dernière visite chez lui, évoqué rapidement Aragon, l'envie m'est – vaguement… – venue de lire certains de ses romans, ou plutôt de retenter de les lire, chose que je ne suis jamais parvenu à faire (à part Les Communistes,  pavé de 1500 pages que j'ai bravement ingurgité vers 15 ou 16 ans et dont, naturellement, je ne conserve pas le moindre souvenir), sans être vraiment capable de m'expliquer pourquoi. Je viens donc de commander Les Cloches de Bâle, premier roman du cycle appelé Le Monde réel.

Lors de notre amorce de discussion, j'ai dit à Michel que les romans que nous évoquions étaient réunis sous un titre général que j'étais en train d'oublier, chose qu'il paraissait ignorer (est-ce possible ? J'aurais donc, un jour, su une chose ignorée par Michel D ? Le vertige me saisit et m'effraie presque, tel un sacrilège…). C'est donc cela : Le Monde réel. Après celui que je viens d'acheter, il y a Les Beaux Quartiers, puis Les Voyageurs de l'impériale et ensuite Aurélien. Le cycle se clôt sur ces monstrueux Communistes inachevés que j'évoquais à l'instant et que je suis bien certains de ne pas relire, à supposer que je vienne à bout des quatre romans qui les précèdent.

Dans un article, Albert Thibaudet évoque l'expression : "avoir son bâton de maréchal dans sa giberne." En note, Antoine Compagnon précise : " l'expression signifie qu'un simple soldat peut arriver aux plus hauts gradés de l'armée. "

Oui et non. Je veux dire que si M. Compagnon a raison dans son affirmation, l'expression elle-même a tort dans ce qu'elle dit. Pour l'excellente raison que non seulement maréchal n'est pas l'un des plus hauts gradés de l'armée, mais qu'en outre ce n'est même pas un gradé du tout : c'est une distinction. À ce titre, elle peut, en théorie, être accordé à tout militaire s'étant distingué de manière exceptionnelle ; et ce,  indépendamment de son grade.

Si bien que, à un autre niveau de la spirale, la formule redevient exacte : un simple soldat peut très bien, en principe, être fait maréchal de France. En revanche, il n'a aucune chance d'être nommé capitaine ou général, s'il n'est pas auparavant passé par tous les grades intermédiaires.

Au passage, n'oublions pas la définition de "giberne" donnée par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues : "étui pour bâton de maréchal de France".

Thibaudet juge la seconde partie des Confessions de Rousseau "bien inférieure à la première" : j'en suis fort aise car c'est exactement mon avis. Cette concordance des opinions ne veut pas dire forcément que nous ayons raison, Albert et moi ; mais au moins, on se tient chaud.


Mercredi 29

Midi. – Restons un peu encore avec Thibaudet. Des livres d'histoire écrits et publiés par les frères Goncourt il dit ceci : " Ils intéressent non  pas même l'amateur qui s'occupe du XVIIIe siècle, mais l'amateur qui s'occupe de la façon dont on s'est occupé du XVIIIe siècle. 

L'idée est intéressante, il faudrait remonter à la source pour voir si elle est pertinente... et on n'en a pas forcément très envie.

Trois heures. – Premier après-midi de l'année que nous  passons avec la porte grand ouverte (c'est pour mieux laisser entrer ce brave réchauffement climatique, on l'aura compris). 

Cinq heures. Oublié de noter que nous attendons, vendredi en fin de journée, la visite d'Adrien (le neveu de Catherine)  pour le week-end. De tokyoïte qu'il est habituellement, Adrien est redevenu parisien pour quelques mois (si j'ai bien compris...). 

Sa venu me sera une excellente excuse, sinon une raison, pour rompre mon jeûne alcoolique ; lequel, mine de rien, dure depuis près de six mois : j'ai intérêt à y aller piano sur la reprise...

En réalité, il ne s'agit exactement d'un jeûne, dans la mesure où la volonté ni la décision n'y sont entrées en rien : je me suis arrêté de boire sans y penser, exactement comme Carherine, voilà trois mois, à cessé de fumer. Trop forts, les Goux, trop forts... 


Jeudi 30

Midi. Une phrase de Léon Werth : " Les enfants n'imaginent pas que leurs maîtres vivent d'autres heures que les heures de classe. " Ils n'ont pas forcément tort, on devrait pouvoir trouver sans mal des instituteurs et des professeurs dont la vie, hors de leurs salles, est un morne désert. Du reste, combien d'ouvriers ne vivent pas d'autres heures que les heures d'usine ? De fonctionnaires que les heures de bureau ou de guichet ? De journalistes et d'avocats que celles des salle de rédaction ou des prétoires ? Etc.

Tous ceux-là devraient recevoir comme une bénédiction le report de deux ans de l'âge de la retraite (et voilà une cascade de génitifs qui aurait fait hoqueter d'horreur le bon Flaubert...)

J'ignorais totalement - c'est  Antoine Compagnon qui me l'apprend à l'instant -  que le mot rescapé fût, je cite, "un régionalisme employé par les mineurs du Hainaut pour réchappé ; le mot à été diffusé par les comptes rendus des journalistes venus couvrir la catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais) qui coûta la vie à un millier de mineur en 1806.

Pourquoi cette soudaine - et même brutale - envie d'être revenir à Anatole France ? Aurais-je été marabouté ?

Thibaudet dit de Proust - en janvier 1923, dans le numéro hommage de la NRF - qu'OL fut un Dangeau qui serait lui-même devenu Saint-Simon. C'est plutôt judicieux (et pas envie de développer).


Vendredi 31

Dix heures. – Je devais ce matin aller passer un temps indéterminé au laboratoire d'analyses médicales. Grande première : j'avais décidé de m'y présente sans livre, résolu à m'y comporter comme n'importe quel crétin post-moderne, à savoir pianotant furieusement sur le clavier de l'iBigo.

Le hasard a déjoué ce plan mûrement pensé : le labo de Pacy étant exceptionnellement vide de patients en attente, je n'ai même pas eu le loisir de m'assoir avant d'être appelé par la jeune pompeuse de raisiné.

Si je n'ai pas plus à attendre, cet après-midi, à la gare de Vernon avant de voir Adrien descendre de son train, tout sera parfait.

Pour l'heure, ne perdant pas de vue les fondamentaux, j'ai déjà mis les vins à fraîchir et les fromages à chambrer.

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