mercredi 1 juin 2022

Mai 2022

 

 

 

 

 

 DU MITARD À L'HOSTO

 

 

 

 

 Dimanche 1er

Dix heures. – Voici un mois qui commence par une bien triste et pénible nouvelle : « Céline Dion reporte sa tournée européenne pour des raisons de santé. » Moi qui me faisais une telle joie…

– Dans son billet d'hier, Jacques Étienne dit redécouvrir les livres de Romain Gary, écrivain qu'il semble placer très haut, beaucoup trop si je me fie à mon propre jugement, qui ne vaut que ce qu'il vaut. J'ai bien dû en lire une douzaine, de ses romans, voilà une vingtaine d'années, mais je n'ai aucune envie d'y revenir : pour une fois assez net, mon souvenir d'eux me dit que ce serait vraiment du temps gaspillé. Ça tombe bien car, lors de mon dernier holocauste livresque, tous sont partis à la déchetterie.

– Repris Marcel Aymé : Travelingue, pour commencer. Ensuite, sans doute, les nouvelles, lecture facile à interrompre lorsque, dans quatre ou cinq jours, je recevrai le Céline “inédit” (je mets les guillemets parce que, si je le reçois, c'est bien qu'il ne l'est plus, inédit).

Et, comme chaque fois que je reviens à Aymé, je me demande pourquoi il continue à être si mésestimé, alors que sa place devrait être parmi les tout premiers écrivains du vingtième siècle. Pourquoi, durant des décennies, lui a-t-on préféré les pâteuses tartines sartriennes et la grisaille ennuyeuse des romans de Camus ? Je sais bien qu'Aymé n'avait pas la carte, qu'il n'était pas assez résistant, pas assez communisto-compatible, pas assez professoral, etc. ; mais tout de même.


Lundi 2

Trois heures. – Courte visite médicale de routine ce matin ; courte parce que – apparemment – tout va bien, que mes analyses sanguines d'il y a trois jours sont nickel, et que, donc, la précieuse doctoresse Ana D. ne s'est guère attardée sur ma personne. Comme, en plus, et contrairement à sa sale habitude, elle ne m'a quasiment pas fait attendre, ce pauvre Marcel Aymé a fait un aller-retour Pacy à peu près pour rien ; il en semblait d'ailleurs quelque peu froissé. Mais, qu'on se rassure, nous nous sommes réconciliés depuis. 

Six heures. – Je tombe, chez mes analphabètes atlanticoïdaux, sur un titre curieux : « Indignation d'Israël face aux propos de Sergueï Lavrov expliquant qu'Hitler était en partie juif. » Il n'y a pas là de motif à indignation. Tout ce que l'on peut faire, c'est réfuter l'affirmation, si on le peut et si elle est fausse. Et, si elle est avérée, eh bien, il reste à “faire avec”. Accessoirement, on voit mal comment un pays pourrait s'indigner, au contraire de ses habitants qui, eux, en ont effectivement le pouvoir.


Mardi 3

Onze heures. – Généralement, le cancer pâtit auprès des gens d'une réputation détestable – sauf peut-être chez les oncologues dont il assure la pitance. C'est pourtant un compagnon d'une exemplaire fidélité, qui vous prend par la main dès votre jeunesse et ne vous l'abandonne qu'en dernière extrémité. Il y a d'abord le cancer des autres, généralement plus âgés que soi mais pas toujours, sans doute pour nous habituer à sa présence avec le moins de brutalité possible ; puis arrive le sien propre, voire les siens. On connaît des amis moins constants que celui-là.

– Sinon, j'ai accompagné Catherine lors de sa tournée de courses diverses : une grande première dont je sens qu'elle menace de devenir une “tradition”…

Trois heures. – Marcel Aymé, toujours. Mais j'ai provisoirement laissé les nouvelles pour suivre La Vouivre à la trace, dans les sentiers du Haut-Jura. Dans un tout autre genre, je viens de tirer de son étagère, et n'en déplaise à Michel Desgranges qui n'aime pas ce livre, l'Auto-da-fé d'Élias Canetti, parce que Claudio Magris, dans les derniers kilomètres de son Danube, m'a incité à sa relecture : on verra ce qu'elle donne, trente ans après sa découverte…

 

Jeudi 5

Onze heures. – Revu avec grand plaisir hier soir Tampopo, film japonais des années quatre-vingt, à base de nouilles et de bouillon. J'en ai même fait un billet assez approximatif sur le blog-mère, lequel est désormais en mode semi-léthargique.

– D'autre part, je poursuis ma relecture d'Auto-da-fé, l'unique roman (à ma connaissance) de Canetti, dont je ne parviens pas à déterminer avec certitude, après deux cents pages, s'il s'agit d'un chef-d'œuvre ou d'un pur foutage de gueule. C'est en tout cas un livre qui ne ressemble à aucun autre, ce qui est déjà quelque chose.

Ce que je vois mal, c'est le pourquoi de ce titre français, l'original allemand étant Die Blendung, c'est-à-dire L'Éblouissement ou encore Le Reflet. Du coup, le lecteur soupçonneux se met à nourrir quelque inquiétude en ce qui concerne la fidélité de la traductrice à son texte de base…

Six heures. – La palme d'or du titre-qui-donne-envie-de-lire-l'article revient aujourd'hui au site de Causeur,  grâce à celui-ci : « La Guerre d'Ukraine : le choc des eschatologies politiques et le nouveau nomos de la terre. » À part peut-être l'ami Marco Polo, je ne vois pas à qui ça va donner envie d'en savoir plus. Et puis, qu'est-ce que c'est que cette majuscule initiale au mot “guerre” ? Jusqu'à une date récente, on écrivait pourtant en français, chez Causeur. Ils seraient en voie d'atlanticoïdisation, vous croyez ?


Vendredi 6

Deux heures. – Michel Desgranges, qui, contrairement à moi, continue de lire son journal chaque jour, m'apprend que Renaud Camus vient de signer une “promesse” pour la vente de Plieux. Ce qui me ramène d'un bond à l'année 2009, lorsque Catherine et moi fûmes adoubés “châtelains furtifs” durant tout le mois d'août, en ce même Plieux. Et c'est aussi à cette occasion que j'ai commencé à tenir ce journal, lequel continue vaille que vaille, treize ans plus tard.


Samedi 7

Six heures. – Depuis ce matin, lu presque entièrement – il s'en faut de quelques dizaines de pages – le Cinoche d'Alphonse Boudard, simplement parce que mes yeux sont tombés sur lui en rangeant La Jument verte de Marcel Aymé, son presque voisin de rayonnage (ils ne sont séparés que par Barbey d'Aurevilly, Beaumarchais et Jacques-Émile Blanche).

Roman réjouissant, et hautement, que ce Cinoche. De par la langue bien épicée de Boudard, bien sûr, mais aussi par les portraits qu'il trace au moyen d'elle. Notamment celui du couple central, les Galano. 

Lui est un cinéaste raté – ou aux trois quarts raté, si on veut absolument être gentil –, elle est une vedette de l'écran, mais déjà bien engagée sur la pente abrupte du déclin. Le lecteur, même pas spécialement perspicace, ne met pas très longtemps à identifier Marc Simenon et Mylène Demongeot. 

S'il avait encore quelque doute à ce sujet, ceux-ci voleraient en éclat aux deux tiers du roman, lorsque la fine équipe de branquignols, dont Boudard lui-même, va passer un mois chez le père de Luc Galano, Ralf Galano, “peintre mondialement célèbre et richissime”, dans lequel il est très facile de reconnaître Georges Simenon lui-même, dont l'auteur donne un portrait peut-être poussé à la caricature mais ce n'est même pas certain. 

En tout cas, la minutieuse description qu'il donne de la demeure du peintre (faisant penser aussi bien à une clinique psychiatrique qu'à une laiterie ultra-moderne…) correspond très fidèlement à la maison d'Épalinges, avant-dernière villégiature de Simenon. 

On croise aussi des producteurs en pleine banqueroute, des scénaristes fiotards prétentieux (et vaguement pédophiles), des soixante-huitards fumeux (le roman date de 1974), ainsi qu'une lionne, un python et un mainate, qui, à eux trois, ravagent de fond en comble la suite nuptiale d'un grand hôtel genevois. Bref, on s'amuse beaucoup et on ne voit pas le temps passer. D'ailleurs, peut-être ne passe-t-il pas réellement, comment savoir ?


Dimanche 8

Onze heures. – Presque terminé Guerre, le Céline retrouvé, commencé ce matin au saut du lit (pas de mérite : le roman ne comprend que cent cinquante pages, bien “aérées”). Pas vraiment convainquant, pas mauvais non plus (si on aime Céline). On dirait d'une pâte de boulanger qui a bien été pétrie mais à laquelle on n'a pas laissé le temps de lever. Bref, il manque sans doute à ce livre, pour en être vraiment un, deux ou trois “couches d'écriture”, comme dirait l'autre. 


Lundi 9

Six heures. – Catherine soudainement ressaisie par un prurit vacancier. Pour l'instant, c'est la Bretagne qui tient la corde, mais l'Auvergne n'a pas dit son dernier mot…


Mardi 10

Dix heures. – Hier, la douceur du temps semblant revenue, Catherine a fait appel à mon aide pour réinstaller la moustiquaire à la porte d'entrée de la maison. (Nous nous en sommes tirés avec les honneurs.) Ce matin, tout à l'heure, je me suis rencontré avec une mouche. Elle était à l'intérieur de la salle à manger et, désireuse de repartir vers les grands espaces naturels, s'en trouvait empêchée par notre moustiquaire frais posée.

– Marcel Aymé présente cette particularité, que son nom et son prénom semblent indétachables l'un de l'autre. Pour n'évoquer que des écrivains qui lui sont à peu près contemporains, on parlera facilement de Sartre et de Camus, de Mauriac et de Bernanos, de Nimier et de Blondin, de Gide et de Montherlant, de Drieu et de Léautaud, mais jamais personne ne vous dire : « La semaine dernière, j'ai relu quelques nouvelles d'Aymé. » Prudent, voire frileux, Aymé ne sort jamais sans son Marcel.

En y réfléchissant mieux, je me demande si cela ne tient pas au fait que son patronyme sonne lui-même comme un prénom. La preuve de cela serait qu'on ne dit jamais non plus Benoit, Jacob, Philippe ou Laurent, quand on veut évoquer Pierre Benoit, Max Jacob, Charles-Louis Philippe ou Jacques Laurent. Marcel Aymé rentrerait donc dans ce sous-ensemble-là.

Contre-exemple : Céline. Mais il est vrai que c'est un prénom féminin.


Mercredi 11

Dix heures. – Après-midi pas très drôle en perspective. Rendez-vous à trois heures chez le dentiste, pour qu'il me pose la couronne molaire sur laquelle il a travaillé voilà une dizaine de jours. Catherine m'accompagne, désirant aller s'acheter une paire de chaussures. Ensuite, étant là, je ne couperai pas à la (longue…) séance d'achats alimentaires en ce hangar-à-bouffe (angarabouf ?) ébroïcien dont Catherine s'est entichée il y a déjà quelque temps et où je n'ai encore jamais mis les pieds : il s'appelle “Grand Frais”, car il est grand et spécialisé dans les produits frais. Et, oui, bien que modestes retraités, nous continuons à faire nos courses à Grand Frais : question de standing et d'estime de soi. Bref, un après-midi perdu pour la lecture.

– À propos (de lecture), je m'apprête à regagner le salon avec, sous le bras (c'est une image), Poussières de Paris, recueil de chroniques de Jean Lorrain. Qu'est-ce qui m'a incité à tirer de son alignement ce volume-là plutôt qu'un autre ? La tête sur le billot, je resterais incapable de le dire.

Ce qui ne m'a pas empêché, à l'instant et sans savoir davantage pourquoi, de commander, du même Lorrain, Monsieur de Phocas, roman “qui passe pour son chef-d'œuvre”, au dire du Dupont qui a “introduit” Poussières de Paris.

Onze heures. – Je viens de parcourir, à très grands pas, les vingt pages (douze de trop, au moins), de l'introduction évoquée plus haut : son auteur, Jacques Dupont, est un cuistre de la plus belle eau, écrivant en tortillons pour tenter de masquer le fait qu'il n'a rien à dire sur Jean Lorrain et ses écrits, hors quelques lieux communs. Un exemple ? D'accord :

« Les rubriques un temps envisagées par Lorrain nous éclairent sur le sens, somme toute ambigu et incomplet, qu'il donnait à son titre. “Poussières” suggère une discontinuité, comme des confetti de la durée, un émiettement aléatoire et pulvérulent du temps sitôt que le jour – systématiquement marqué par une date, ou plutôt par une date comme signe ostensible et dérisoire du quotidien dans son apparition/disparition, et donc comme pseudo-référence “vérifiable”, et d'autant moins vérifiable que ces dates sont souvent inexactes, ce que prouve l'examen des pré-originales… »

On pourrait gloser durant six pages sur ces six lignes, non ? S'extasier d'apprendre, grâce à M. Dupont que le mot “poussières” puisse suggérer une discontinuité, par exemple. S'ébahir de ce qu'un jour puisse être marqué par une date “ou plutôt par une date” ; et que cette date – c'est inouï – soit le signe du quotidien, lequel a en outre l'extraordinaire capacité d'apparaître puis de disparaître. Et pas n'importe quel signe encore : un signe “ostensible et dérisoire” : voilà deux adjectifs qui vous posent leur signe un peu là ! Hélas, c'est pour apprendre, juste après, que ce signe, tout ostensible et tout dérisoire qu'il soit, ne sera jamais qu'une pseudo-référence, laquelle, comme beaucoup de pseudo-références, est non seulement vérifiable-entre-guillemets, mais en outre “d'autant moins vérifiable”. 

Enfin, comme M. Dupont est un grand coquet, il prend bien garde de ne pas affubler d'un s final ses confetti, pour bien montrer qu'il connaît l'origine italienne du mot. On suppose que lorsqu'il en trouve un seul au revers de sa veste, il parle alors d'un confetto. Et aussi d'un spaghetto, s'il est à table et qu'il en a oublié un au fond de son assiette.

Quels que soient les défauts que l'on pourra trouver à Jean Lorrain, je ne crois pas qu'il ait mérité d'être attelé avec ce Dupont-aux-ânes.

Une heure. – Reçu au courrier le volume “Omnibus” contenant cinq romans d'Alphonse Boudard. Aussitôt commencé Les Combattants du petit bonheur. (J'ai aussi transformé ma diatribe dupontophobe en billet sur le blog-mère.)

Quatre heures. – Partis à deux heures, nous voilà déjà de retour au nidouilley ; Catherine chaussée, et moi couronné.

Six heures. – Je croyais ce matin – ça n'aurait rien eu d'étonnant – avoir perdu Les Morot-Chandonneur, le livre de pastiches de Philippe Jullian et Bernard Minoret. Joie, bonheur et félicité : je viens de le retrouver ! Il était simplement rangé dans une bibliothèque quand je l'avais cherché dans une autre. Du coup, je crois que je vais remiser Lorrain : c'était bien la peine de m'énerver comme je l'ai fait, après son introducteur…


Jeudi 12

Trois heures. – Lecture de Boudard, Les Combattants du petit bonheur, depuis ce matin : grand bonheur…

– On dirait bien que je n'arrive plus à laisser le moindre commentaire sur les blogs Blogger. Ce n'est sans doute pas plus mal : cela m'évite d'écrire des conneries à la suite des conneries laissées par d'autres imbéciles, plus rapides que moi.

– C'est quand on lit un recueil de pastiches – Les Morot-Candonneur par exemple – que l'on s'aperçoit (mais en fait on le savait déjà) que notre prétendue culture est tellement pleine de trous qu'elle ressemble  assez fâcheusement à un filet de pêche : beaucoup plus de vide que de matière solide. Cela se produit au moment où l'on referme le livre, forcé de constater que la moitié des cinquante textes qu'on vient de lire nous sont passés largement au-dessus de la tête, faute d'une relation suffisamment intime avec les auteurs qui y étaient pastichés.

Pas rancunier, je viens tout de même de ressortir de son rayon le Journal 1940 – 1950 de Philippe Jullian.


Vendredi 13

Onze heures. – C'est une expérience intéressante que de lire “en panaché” Les Combattants du petit bonheur de Boudard et le Journal de Jullian. Les deux se déroulent, pour partie, à Paris et durant l'Occupation. Or, le contraste est si violent entre les deux qu'on a bien du mal à se persuader que ces deux jeunes gens (ils sont presque du même âge) ont effectivement vécu dans une même ville et en ce même moment de l'histoire ; comme si l'un passait son temps dans les caves et les arrière-cours obscures, cependant que l'autre prenait un interminable thé dans le salon illuminé, deux ou trois étages au-dessus.

Six heures. – Deux informations capitales qui, il n'en faut point douter, seront dès demain reprises par l'ensemble de la presse nationale, voire internationale :

1) Valérie Pécresse s'exprime pour la première fois depuis le 10 avril. 

 2) Francis Lalanne fait condamner Fort Boyard.


Samedi 14

Midi. – Chez les gauchistes cingalo-décérébrés, on s'indigne ce matin de ce qu'une femme (j'ai déjà oublié son nom) ayant été mise en examen pourrait avoir été pressentie pour aller jouer au Premier ministre dans le bac à sable de Matignon. Car, bien entendu, pour ces mini-Fouquier-Tinville, mise en examen égale condamnation. La tache indélébile, le péché originel ad vitam. Sinistres guignols…

Six heures. – La question qui me taraude depuis ce matin : pourquoi dit-on “le héros” en aspirant l'h, alors que l'héroïne est privée de cette même aspiration ? Il y aurait là comme une volonté sournoise d'abaisser les femmes que je n'en serais pas étonné. M'en vas mettre la petite Jauneau sur le coup…

– Je viens de commander les Nouvelles asiatiques de Gobineau, ainsi que Les Pléiades du même, cependant que je passais prudemment au large de son Essai sur l'inégalité des races humaines : ma réputation est déjà assez calamiteuse sans ça.

– Depuis une dizaine de jours, les divers coucous qui peuplent notre environnement immédiat ne cessent de coucouter, à en devenir irritants. Le plus étrange est que, non contents de pousser leur cri monotone du matin au soir, ils donnent également de la voix par la nuit noire : ils font les trois-huit ou bien ?


Dimanche 15

Dix heures. – Lu hier Bleubite, roman de Boudard, assez nettement moins bon que Les Combattants du petit bonheur, dont il est la suite immédiate dans l'ordre du récit mais qui a été écrit une douzaine d'années plus tôt. Commencé ce matin Le Corbillard de Jules, sorte d'équipée comico-macabre à travers le nord-est de la France durant les derniers mois de 1944 : l'ambiance est résolument célinienne, mais privée des gouffres que Céline est capable d'ouvrir brusquement sous les pieds de son lecteur et des vertiges qui s'ensuivent chez celui-ci.

Pendant ce temps, dans le Journal de Philippe Jullian, la guerre et l'Occupation réussissent à peine à fournir un pâle arrière-plan, qui pourrait tout aussi bien se résorber, se dissoudre, s'évanouir sans que personne ne s'en aperçoive vraiment.

– Qui donc vient de remporter cette exhibition pitoyable qu'est l'Eurovision ? L'Ukraine. Alors, ça, pour une surprise…

– Depuis trois ou quatre jours, je regarde (j'écoute, surtout) sur Toitube un certain nombre de conférences d'Étienne Klein. J'ai l'impression, sans doute fausse, d'y comprendre quelque chose.


Mardi 17

Deux heures. – Guillaume Cingal est indigné, et ô combien à juste titre : cette grande et belle conscience avait dûment signalé au comité de censure touitteresque un compte où il avait débusqué des “saloperies homophobes”. Or, honte et damnation, il vient de constater que le dit compte hors-la-loi était toujours en activité ! C'est donc très logiquement qu'il nous invite de manière pressante à réclamer à notre tour la réduction au silence (si possible définitif, j'imagine) de la hyène homophobique qui l'empêche de woker et de canceller en parfaite bonne conscience. Car non seulement le gauchiste universitaire est toujours prêt à se transformer en délateur puis en flic, mais il exige de n'être point seul à le faire et qu'on lui fournisse des escouades de supplétifs, un bonne petite troupe d'Adolfo Ramirez, sans pitié aucune pour les déviants de la modernité.

Je me félicite un peu plus chaque matin de n'avoir jamais ouvert de compte touittiforme, quand je vois la quantité de vers blancs qui grouillent dans les entrailles de ce grand cadavre en putréfaction.

– Dans les années 1895, si l'on en croit ses Poussières de Paris, Jean Lorrain remonte régulièrement la rue Pierre-Charron, jusqu'à l'immeuble où vivait alors la Belle Otero, cette superbe horizontale d'époque. Et le lecteur se prend à imaginer que, ressortant de chez elle et reprenant la même rue dans l'autre sens, il lui arrive de croiser, sans lui prêter la moindre attention, un garçonnet de sept ans, sans doute accompagné de sa bonne, et que ce petit garçon serait Paul Morand, dont Pierre-Charron était également la rue.

– Une phrase de Samuel Beckett, piquée au vol dans une conférence d'Étienne Klein : « On est peut-être cons, mais pas au point de voyager pour le plaisir. » Évidemment, hors de tout contexte (la phrase est simplement inscrite en exergue sur l'écran lumineux situé derrière le conférencier), je ne puis dire si la phrase est dite par Beckett lui-même ou par l'un de ses personnages, ce qui ne serait pas la même chose.

Six heures. – Je viens de virer Cingal de mes liens (ce qui lui fera une belle jambe…). On a beau se dire que rester au bord de la fosse à purin est fort différent de s'y ébattre en brasse coulée, il arrive un moment où les effluves qui en émanent vous retournent quelque peu l'estomac. Dans ce cas, une seule solution : demi-tour droite et adieu aux barboteurs de la méphitique mare !


Mercredi 18

Midi. – Catherine vient de me rapporter du garage Ford un deuxième volume Omnibus (quoi de plus logique, finalement, que de trouver des Omnibus dans un garage ?) contenant quatre livres de Boudard : La Métamorphose des cloportes, La Cerise et deux autres. Il tombe à pic, puisque je suis occupé à lire le dernier titre du volume précédent, L'Éducation d'Alphonse.

– On ne trouve plus ni huile (sauf d'olive) ni moutarde dans les rayons des hangars à bouffe de par ici. Et on ne peut même pas s'en énerver, puisque nous n'avons plus rien pour nous monter au nez.


Jeudi 19

Neuf heures et demie. – Tout à l'heure, déjeuner chez les Desgranges.


Vendredi 20

Dix heures. – Le titre qui m'amuse ce matin : « Les pesticides s'invitent aux législatives. » J'espère au moins qu'ils entreront masqués et après s'être essuyé les semelles sur le paillasson.

– Passé au garage Ford (sous la pluie), y récupérer Les Pléiades de M. de Gobineau. Je sens que, après Boudard, le contraste va être vif…

– J'ai dit plusieurs fois, ici où là, que, la machine à remonter le temps existant, j'aimerais beaucoup aller vivre au XIXe siècle. Cela reste vrai, mais j'introduis une restriction importante : à condition de pouvoir conserver la dite machine et en user à ma guise pour de rapides aller-retour au XXIe. Notamment chaque fois que j'aurai besoin de consulter un dentiste.

Six heures. – Ayant achevé L'Éducation d'Alphonse en milieu d'après-midi, j'ai, provisoirement, abandonné Boudard au profit de Courteline et de ses Ronds-de-cuir.


Samedi 21

Dix heures. – Les jeunes mésanges sont, en ce moment même, en train de quitter leur nichoir natal. Nous en avons vu quatre et, pour l'instant, aucune perte n'est à déplorer. Il en reste encore à l'intérieur de la petite cabane mais, évidemment, nous ignorons combien.

Six heures. – Fort étrangement, huit heures après les premiers envols, il reste une ou deux mésanges dans le nichoir, qui refusent obstinément de le quitter. Heureusement pour elle(s), les parents continuent de passer de temps en temps afin de les nourrir. Mais continueront-ils à le faire demain, alors qu'ils ont tout le reste de leur nichée – les déjà envolées – à s'occuper encore activement ? Rien n'est moins sûr. Dans le cas d'une amnésie parentale entraînée par la nuit passée, je ne donnerai pas cher de la survie de la timorée…


Dimanche 22

Dix heures. – Elles n'étaient ni une ni deux, nos mésanges retardataires, mais bel et bien trois ! Qui, plus ou moins pressées par leurs parents qui venaient régulièrement aux nouvelles, ont fini par se décider à quitter enfin le nid, entre six heures et demie et sept heures du soir. 

– Ni Catherine ni moi ne nous souvenions à quel point la huitième et dernière saison de Dexter pouvait être péniblement bavarde. Et on se demande ce que Charlotte Rampling est venue faire dans cette galère, pour y interpréter un personnage parfaitement artificiel, pour ne pas dire ridicule. Elle fait ce qu'elle peut pour le sauver, mais c'était perdu d'avance. Voilà qui ne me donne guère envie d'acheter la saison supplémentaire, qui a été tournée l'année dernière (je crois), c'est-à-dire, en gros, dix ans après la saison “finale”. D'autant moins que Michel me disait, il y a deux jours, l'avoir trouvée… bavarde.


Lundi 23 (Saint-Didier)

Dix heures. – Cet après-midi, Catherine a rendez-vous chez l'ostéopathe de Saint-André-de-l'Eure : suite à un genre de “tour de reins” qu'elle s'est fait, elle marche depuis quelques jours un peu comme une centenaire en petite forme. C'est pourquoi, avec la générosité de cœur qu'on me connaît, je me suis (et lui ai) proposé de faire le chauffeur.

Elle : « Mon pauvre ! tu risque d'attendre un moment ! Pense à emporter un livre

Moi, aussi sec : « La recommandation est à peu près aussi superflue que si tu me disais : “n'oublie pas de mettre un pantalon.” »

À la réflexion, elle l'est même peut-être davantage : quand il prendra à Herr Alzheimer la fantaisie de me ravager les connexions cérébrales, je suis persuadé que je sortirai me promener cul nu avant de partir sans un livre sous le bras. 

Mais enfin, il ne faut jurer de rien…

Onze heures. – Je viens de transformer les quelques lignes qui précèdent en un mini-billet ; histoire de faire croire aux âmes naïves que le blog-mère est toujours vivant.

– Mes lectures boudardiennes m'ont poussé, il y a quelques minutes, à commander un livre d'Albert Simonin, que je n'ai jamais lu. Très classiquement, j'ai choisi un volume contenant la trilogie dite “du grisbi”. Que bien sûr, comme tout un chacun, je connais déjà plus ou moins par les films qu'en ont tirés Jacques Becker (Touchez pas au grisbi), Gilles Grangier (Le Cave se rebiffe) et Georges Lautner (Les Tontons flingueurs). Pour les deux derniers, il va être intéressant – du moins l'espéré-je – de voir ce que donnent ces histoires, une fois débarrassées du “filtre” d'Audiard.


Mardi 24

Dix heures. – Il m'aura donc fallu atteindre l'âge passablement déprimant de 66 ans pour apprendre qu'il a existé un homme politique français nommé Jean Bon (1872 – 1944). Lequel avait suffisamment le sens de l'humour – ou de la profonde adéquation de sa personne à son nom – pour s'en aller mourir à Bayonne. Il eût d'ailleurs été plus satisfaisant qu'il y fût né, à Bayonne. Comme on dit : la perfection n'est pas de ce monde…

Trois heures. – Je lisais tout à l'heure quelques titres de presse concernant le Papet, notre nouveau ministre de la Garderie nationale. Par association d'idées (et de couleur…), je me suis mis à penser à tous ces meeerveilleux écrivains issus des savanes africaines et des arrière-bidonvilles du Proche-Orient, dont mon ami Guillaume Cingal, du haut de sa chaire, découvre trois ou quatre nouveaux exemplaires par semaine et qu'il nous enjoint de lire toutes affaires cessantes et, si possible, pieusement agenouillés sur un prie-Dieu. Et je me suis dit qu'il serait fort intéressant de savoir de quelle façon tous ces génies sont lus dans leurs respectives contrées d'origine, et même s'ils le sont. Car, pour tout dire, j'ai l'intuition (évidemment nauséabondamment méphitique) qu'ils sont, pour l'essentiel, uniquement destinés à l'exportation vers l'Occident honteux et repentant. En gros : des petits malins – et, parmi eux, pas mal de petites malignes – qui ont bien compris qu'il y avait de l'argent à se faire en venant flatter notre mauvaise conscience, l'entretenir à coups de romans et d'essais insidieusement ou franchement “décoloniaux”, leur assurant de belles vitrines dans les librairies moderno-gauchisteuses et l'énamouré respect des étudiants en lettres, qu'ils soient de Tours ou d'ailleurs. Il resterait ensuite à savoir si ces génuflexions qu'on leur accorde si volontiers se traduisent effectivement par de gros tirages et des ventes juteuses ; rien n'est moins sûr : il est à craindre qu'à l'instar du crime le décolonialisme ne paie pas.

Du reste, il est tout à fait possible, voire probable, que parmi eux se rencontrent en effet deux ou trois écrivains véritables, et même, pourquoi pas ?, de haute valeur. Auquel cas, ils doivent se sentir fort marris de leur compagnonnage, délicates serviettes fondues, amalgamées, perdues dans cet énorme monceau de torchons.

(L'évocation de M. Ndiaye a provoqué chez moi des songeries encore plus fétides que celle sus-évoquée, puisque m'est revenue à la mémoire la vieille blague qu'affectionnait mon père : « On ne doit plus dire : Montenegro, mais : Prenez l'ascenseur, M. le ministre. »)


Mercredi 25

Six heures. – Si j'évoque un écrivain russe du XIXe siècle dont le prénom et le patronyme sont Fedor Mikhailovitch, tout le monde va aussitôt penser que je veux parler de Dostoïevski. Or, non. En tout cas, pas cette fois-ci. C'est en reprenant le gros volume des Écrivains et Artistes de Léon Daudet que j'ai découvert l'existence d'un second Fedor Mikhailovitch, dont le nom est : Rechetnikov. Je n'en avais jamais entendu parler. (Enfin, si, au moins une fois, lors de ma première lecture de l'article de Daudet ; disons que je devais être, ce jour-là, un peu endormi…)

Étant mort à trente ans, d'alcoolisme aggravé de tuberculose, ou l'inverse, ce malheureux Fedor n'a évidemment pas eu le temps d'écrire grand-chose. Son premier roman, qui semble être également son plus connu, s'intitule Ceux de Podlipnaïa. Je viens de le commander. J'en suis comme tout excité : ce n'est quand même pas tous les jours qu'on découvre un nouveau Russe garanti d'époque. Merci au gros Léon pour ça.


Jeudi 26 (Ascension)

Neuf heures et demie. – Curieuse expérience, hier soir. Catherine et moi gardions un excellent souvenir du film The Game, porté par Michael Douglas, vu il y a déjà pas mal d'années. Comme il venait d'atterrir dans la poubelle netflicarde, nous avons donc décidé de nous offrir une seconde séance, bien certains que la soirée serait bonne…

Patatras ! comme on dit dans les livres pour enfants. Dès le début, nous nous sommes aperçus, assez interloqués, que ce que nous avions cru être un excellent film était un machin totalement artificiel, assez prétentieux de surcroît, auquel il était impossible de s'intéresser plus de dix minutes pour peu qu'on ait dépasser les quinze ans d'âge mental. Notre ébahissement ne fit que croître, pour se résoudre en une sorte de rire nerveux face au “bouquet final”, lequel faisait sombrer corps et bien le film dans le ridicule le plus affligeant.

Le générique vint à point pour me rappeler – je l'avais totalement oublié –, que ce machin était dû à David Fincher, cinéaste m'as-tu-vu, n'ayant à peu près enfanté que des daubes aussi boursouflées que creuses, du genre Seven, Fight Club ou encore Zodiac. (Dans ma scrupuleuse honnêteté intellectuelle, je lui accorde toutefois une remise de peine, pour avoir été le créateur de l'excellente série House of Cards.)

Et nous sommes restés, Catherine et moi, aux prises avec la même question sans réponse : comment avons-nous pu aimer, naguère, une bouse de ce calibre ? J'aurais bien mieux fait de passer la soirée avec Boudard ou Léon Daudet…

Onze heures. – Je crois bien avoir déjà noté ce qui va suivre – sans doute lors de ma première lecture –, j'y reviens tout de même. Il est une manie à laquelle, dans ses portraits d'écrivains, Léon Daudet succombe constamment, et qui peut être touchante ou comique ou irritante, selon l'état d'esprit où l'on se trouve. Cette manie consiste, à tout propos et souvent hors de propos, à nous refourguer les membres du Félibrige qui ont bercé son enfance et sa jeunesse, en feignant de tenir les Roumanille, les Aubanel et consorts pour ce que la poésie française, voire mondiale, a produit de plus rare et de plus haut. 

Il atteint lui-même des sommets lorsqu'il évoque (ce qu'il fait presque à chaque page) le plus connu d'entre eux, à savoir Frédéric Mistral. Dans ces moments-là, le bon Léon semble la proie d'une ébriété que rien ne pourra dissiper ; laquelle le pousse, par exemple, à affirmer tranquillement que les deux plus purs joyaux de la poésie française sont Ronsard… et Mistral. Je ne dis rien pour Ronsard, mais enfin : Mistral plus grand que Villon ? Que La Fontaine ? Que Baudelaire ? Que Verlaine ou Hugo ? Qu'Apollinaire, même ? On pourrait encore lui accorder le bénéfice du doute – car, après tout, on n'est pas vraiment un “expert” en poétrie… –, s'il n'avait, çà et là, la malencontreuse idée de citer quelques quatrains mistraliens ; lesquels ne donnent aucune envie, à moi en tout cas, d'aller en lire d'autres.

Il nous replace aussi un peu trop Alphonse Daudet, qu'il n'hésite pas à jucher sur le même podium que Balzac ou Dostoïevski. Mais enfin, là, on dira que la piété filiale excuse tout.

– Affirmation d'une certaine Sonia qui tient un blog qu'elle qualifie un peu hasardeusement de “littéraire” : « Je suis régulièrement avide de romans qui me vident la tête. » À mon humble avis, c'est inutile : le travail est déjà fait, et depuis longtemps. Le dernier roman-videur-de-tête que chronique cette jeune oie s'intitule : Les Tartines sont meilleures quand on les partage à deux. Inutile, je pense, d'en dire plus.


Vendredi 27

Onze heures. – Je reçois à l'instant, via la camionnette de la Poste, le volume contenant les trois romans “Grisbi” d'Albert Simonin : il attendra que j'en ai terminé avec Boudard, ce qui ne devrait plus tarder puisque j'en suis au dernier roman du second volume : Hôpital (récit que l'auteur qualifie d'hostobiographie…). Je suis donc passé du “mitard” à la salle de soins pour tubards, ce qui, à en croire l'auteur, est à peine un progrès.

– Téléphoné tout à l'heure à ma mère, savoir si elle avait des nouvelles de notre frère et fils. Philippe doit, en principe, atterrir de Dubaï demain aux aurores, voire un peu avant, s'installer au volant d'une camionnette, passer chez nous récupérer des affaires entreposées au sous-sol depuis des années, puis filer à Fontaine-le-Dun pour faire la même razzia dans la cave de ma mère, avant de filer vers Meung-sur-Loire où vit l'une des deux sœurs de Dominique (une journée de merde, donc, que je ne lui envie pas). Comme je m'y attendais, connaissant mon frère, il n'a pas plus confirmé son arrivée auprès d'elle qu'auprès de nous. Comme dirait ma mère, justement : on le prendra quand il arrivera. S'il arrive…


Samedi 28

Neuf heures et demie. – Nous avions estimé que Philippe devrait arriver vers neuf heures, l'avion de Dubaï s'étant posé à Roissy à six heures ce matin. Sauf que… Sauf que, le bus qu'il a emprunté pour rejoindre le terminal 1, où il devait récupérer sa camionnette de location, ne s'est pas arrêté au terminal en question, celui-ci étant, pour une cause inconnue, fermé ! Du coup, Philippe – lesté de son bagage ET des boites contenant leurs trois chats… – s'est retrouvé à Paris, place de l'Opéra, où il a dû affréter un taxi… pour retourner à Roissy. Bref, on ne l'attend guère avant dix heures et demie, s'il ne trouve pas le moyen de se tromper de chemin en route.

Six heures. – Philippe nous est tombé peu après dix heures et demie et, trois quarts d'heure plus tard, il nous quittait pour se diriger vers Fontaine-le-Dun, guidé par le GPS dont était heureusement munie sa camionnette louée. Il faut dire que, finalement, il n'avait que fort peu de paquets entreposés dans nos placards, lesquels furent chargés en un clin d'œil. La seule affaire un peu délicate fut de ne pas, en ouvrant les portes de la camionnette, laisser s'échapper les trois chats qui s'y trouvaient en liberté (liberté relative, donc).


Dimanche 29

Onze heures. – Entre hier après-midi et ce matin, lu Touchez pas au grisbi : fort décevant. Au point que j'ai plutôt parcouru que lu les trente ou quarante dernières pages, las de ces allées et venues incessantes de truands falots et de putes qui ne le sont pas moins. Surtout comparé à Boudard, véritable écrivain dont je sortais à l'instant, Simonin m'a semblé tout juste apte à fournir des scénarios pour le cinéma. Le problème de ses romans – en tout cas de celui-ci que je viens d'achever –, c'est qu'il y manque Gabin, Ventura, Frankeur, etc… et les dialogues d'Audiard.

S'ajoute à mon désintérêt le fait que la lecture de Chalamov (Récits de la Kolyma) m'a définitivement guéri, il y a déjà un bon moment, de cette espèce de sotte fascination dont les petits bourgeois de mon espèce sont trop souvent la proie en face de ce qu'on appelle la pègre, ou le “milieu”.

Six heures. – Hier, Catherine m'annonçait que le colis amazonien qu'elle attendait lui serait livré aujourd'hui, dimanche. Je n'en ai évidemment rien cru, pensant à une aberration électronique, un insecte informatique, quelque chose dans ce genre. Eh bien, j'avais tort : sur les coups de quatre heures, effectivement, un couple de jeunes livreurs s'est bien arrêté devant notre portail pour nous remettre le précieux paquet. Déjà que l'Amazone ne jouit pas d'une très bonne réputation auprès des esprits les plus progressistes de notre belle patrie des droits de l'homme, si en plus elle se met à piétiner le repos dominical si cher à nos laïcards de gauche, onémal

– Il semble que je suis entré dans une mauvaise passe, en ce qui concerne mes lectures : après la déception Simonin de ce matin, ce sont successivement Arthur de Gobineau (Les Pléiades) et Jean Lorrain (Monsieur de Phocas) qui sont passés cet après-midi à la trappe – pour des raisons fort différentes, que je n'ai guère l'envie d'exposer ici tout au long. Bref, je me retrouve tout seul avec les souvenirs de Léon Daudet, et plus aucun roman en vue : la dèche.

Cela dit, voilà que, justement, Daudet me ramène Jean Lorrain sur le devant. À ce personnage dont il dit avoir “une horreur insurmontable” (Qu'on imagine le clapotement d'un égout servant de déversoir à un hôpital.), il consacre sur une page et demie un portrait “qui n'est pas dans un pot”, comme dirait Léautaud.


Lundi 30

Dix heures. – Je ne sais pourquoi, j'ai longtemps été persuadé (jusqu'à ce matin, en fait…) que les mots “imberbe” et “glabre” étaient rigoureusement synonymes. En fait, pas du tout : ils ne sont que voisins, si je puis dire. C'est en lisant sous la plume de Daudet que Nadar était “imberbe et moustachu” que m'est venu le soupçon de mon erreur. De fait, après deux brefs conciliabules avec Robert puis Littré, il m'a bien fallu convenir que si “glabre” signifie bien : sans poil aucun, “imberbe” ne veut dire que : sans barbe. Si j'avais été moins bête, j'aurais pu le deviner tout seul rien qu'en observant mieux le mot…

Avec tout ça, je ne sais toujours pas ce que je vais bien pouvoir lire, comme roman. Et pourquoi pas un mini-cycle Thomas Hardy ? Retour au pays natal, par exemple. Ou bien Le Maire de Casterbridge. Pfff !

Deux heures. – Je venais tout juste de commencer le premier des deux romans de Hardy évoqués ci-dessus, lorsque l'ange silencieux de la librairie – la postière dans sa voiture électrique – m'a apporté Ceux de Podlipnaïa, le roman de Fedor – ou Theodor – Rechetnikov (du diable si j'arrive un jour à retenir son nom, à celui-là !) dont je parlais il y a quelques jours. Je vais donc me précipiter sur le Russe, avec la voracité d'un Poutine lorgnant le Donbass.

Six heures. – On reste quand même sidéré – et amusé, aussi – de la somme considérable de délires à haute teneur en sottise que Zola a pu provoquer chez les écrivains et critiques de droite, entre 1880 et 1950 approximativement, la palme en ce domaine revenant, me semble-t-il, à Daudet et à Bloy, les deux Léon ; avec tout de même un bel et mérité accessit à Haedens, Kléber.




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