vendredi 1 avril 2022

Mars 2022

 

 

 

 

 

 

 

L'ÉLECTROPHONE D'ISABELLE

 

 

 

 

Mardi 1er

Neuf heures. – En lisant ses lettres, écrites mois après mois, année après année, on se rend compte que Balzac tient à la fois de Sisyphe s'évertuant à pousser son rocher et des Danaïdes s'épuisant à remplir leur foutu tonneau. Le plus étonnant est que ses moments de découragement soient si brefs et finalement si peu nombreux.

– L'information comico-pitoyable de ce jour : « Ukraine : face à la menace nucléaire russe, des Français cherchent à acheter des pastilles d'iode en pharmacie. » Pourquoi ne se rendent-ils pas plutôt dans les maroquineries pour y faire l'emplette d'un parapluie nucléaire ? Ce qui, en plus, après usage de l'instrument, leur permettrait de sauver des baleines à peu de frais.


Mercredi 2

Dix heures. – Je découvre ce matin que notre actuel président doit, s'il veut continuer à l'être, déclarer sa candidature avant vendredi à six heures du soir. Le fera-t-il ? Va-t-il oublier, occupé comme il est à faire revenir la paix dans le monde, et en particulier dans les plaines ukrainiennes ? Je n'ai plus un poil de sec.

– Encore un petit mystère balzacien. La Vieille Fille et Le Cabinet des antiques sont deux romans formant ce qu'on pourrait appeler un “diptyque alençonnais”, puisqu'ils se passent tous les deux dans la préfecture de l'Orne – au moins en partie quant au second nommé. Du reste, Balzac les a écrits quasiment dans la même foulée, le premier étant daté d'octobre 1836 et le second de juillet 1837.  Pour les lier plus étroitement encore, il les a “chapeautés” d'un titre commun : Les Rivalités. Il y a pourtant une grosse discordance entre les deux.

La Vieille Fille, donc, se passe bel et bien à Alençon, la ville est abondamment décrite, souvent nommée par son nom. Mais quand on passe au Cabinet des antiques tout change, et dès le premier paragraphe, qui est celui-ci :

« Dans une des moins importantes Préfectures de France, au centre de la ville, au coin d'une rue, est une maison ; mais les noms de cette rue et de cette ville doivent être cachés ici. […] La maison s'appelait l'hôtel d'Esgrignon ; mais faites comme si d'Esgrignon était un nom de convention, sans plus de réalité que, etc. »

À quoi rime cette “précaution liminaire” puisque la famille d'Esgrignon était déjà présente dans La Vieille Fille, et dûment rattachée à Alençon ? Et à quoi joue Balzac lorsque, faisant revenir d'autres personnages du premier roman, il change leurs noms mais en les faisant parfaitement reconnaissables ?

Je sens que, avec ses cachotteries et ses mystères, Balzac me ferait vieillir avant l'âge, si une telle chose était encore possible.

Midi. – Dans un salon d'Alençon vient d'être lancé (par Mme Camusot, la femme du juge d'instruction bien connu…) le proverbe “à bon chat bon rat”. On le rencontre déjà, ce proverbe, chez François Villon (dans la Ballade de la grosse Margot), mais doublement inversé, si je puis dire : a mau rat mau chat. Les deux animaux concernés ont donc, depuis le XVe siècle, échangé leurs places dans la phrase : première inversion. Et ce qui était mauvais chez Villon est ensuite devenu bon : seconde inversion.  Moyennant quoi, le proverbe signifie toujours la même chose, mais colorée un peu différemment. 

Si l'on a la curiosité de chercher l'expression chez Dame Ternette, on se rend compte que, se copiant sans doute les uns les autres, les différents sites racontent à peu près n'importe quoi, la plupart faisant naître le proverbe au XVIe siècle. La palme revient à celui-ci, qui nous révèle qu'une variante de “à bon chat bon rat” en est apparue au XVIIe siècle sous la forme “à mauvais chat mauvais rat” ; forme que nous venons de trouver chez Villon deux cents ans plus tôt…

Une preuve supplémentaire de ce qu'il est toujours fort hasardeux de se fier aveuglément à tous les wikimachins qui s'épanouissent dans le cyberéther.


Jeudi 3

Neuf heures. – Journée Desgranges. Je vais, comme d'habitude, partir d'ici à dix heures et demie, de façon à frapper à leur huis à midi sonnant. Sauf si je me trouve bloqué par un bataillon de chars russes, embouteillant la N 12 comme de vulgaires camionneurs français.


Vendredi 4

Trois heures. – Hier, Michel et moi nous divertissions de  la stupidité des “résistants” anti-russes de chez nous et de la démence de la propagande dont ils sont les consentantes victimes. Prenant modèle sur Saint-Saëns qui, durant la guerre de 14 poussait l'anti-germanisme jusqu'à vouloir faire interdire de jouer les œuvres de Beethoven et de Wagner, nous nous amusions d'imaginer que, bientôt, nos admirables combattants pro-ukrainiens en chambre allaient faire disparaître des librairies les livres des grands romanciers russes. Bref, nous étions en plein délire…

Oui, sauf que, à l'instant, un himmel de ce même Michel m'apprend que l'université de Milan vient d'annuler un cours consacré à Dostoïevski !

La résistance bat son plein, la connerie aussi : tout est normal, donc. 

– Pendant ce temps, les moutons ont changé de tremblante : le petit Chinois les convulsait de trouille il y a encore une ou deux semaines, et ce depuis deux ans ; ils trémulent désormais de frayeur devant le grand Russe. Et tous de se presser en bêlant d'épouvante au pied de leur auguste totem, le superbe et infaillible Macron, ce Jupiter tonnant à l'allure d'un responsable de comptes dans une agence de quartier du Crédit Lyonnais.


Samedi 5

Une heure. – Parvenu presque au bout des cent cinquante pages que Balzac lui consacre, et avec toute la froide objectivité dont on me sait capable, je suis bien obligé d'en arriver à ce triste constat : la duchesse de Langeais, toute Navarreins qu'elle soit née, n'est qu'une pénible pétasse. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'elle mérite ce qui ne va pas tarder à lui arriver, mais il ne faudrait pas me pousser beaucoup…

– Appris tout à l'heure, par un himmel de Dominique à Catherine, que mon frère quitterait définitivement Dubaï pour la France à l'automne prochain. Mais je ne sais s'ils vont habiter leur maison des Landes (que je ne connais pas) ou ailleurs. Peut-être eux-mêmes ne le savent-ils pas encore.

– Pendant ce temps, je recevais, moi, de Belgique, un autre himmel, émanant d'un mien lecteur dont j'ignorais l'existence. Il s'interrogeait sur l'expression de “petit lyonnais” qu'il m'arrive encore d'employer pour désigner un français particulièrement jargonneux. Il me disait, ce lecteur, avoir même contacté des amis lyonnais qu'il a, afin de savoir s'ils pouvaient l'éclaircir sur ce point, ce qu'ils ne purent évidemment pas. Je me suis chargé, dans ma réponse, de dissiper les ténèbres dans lesquelles il se débattait.

Cinq heures. – Finalement, parvenu au bout de l'œuvre, je me dis que j'ai peut-être été un peu sévère avec cette pauvre duchesse de Langeais…


Dimanche 6

Dix heures. – Je suis venu à ce bureau, et dans ce journal, avec l'idée d'y noter quelque forte pensée à propos du petit Chinois, du grand Russe et du moutonisme incurable et déprimant de nos contemporains.  Après avoir survolé les articles d'un ou deux blogs abordant en gros le même sujet, j'ai décidé de garder le silence.

– Dans l'édition que je possède de La Comédie humaine, les trois romans formant l'Histoire des Treize sont réunis dans le volume treize.  

Deux heures. – Sa nouvelle intitulée Facino Cane, Balzac la commence d'une manière curieusement autobiographique, ce qui ne lui est nullement habituel. Parce qu'il dit “je” mais pas seulement. La première phrase est celle-ci : « Je demeurais alors dans une petite rue que vous ne connaissez sans doute pas, la rue de Lesdiguières, etc. » Or, c'est en effet dans une mansarde assez misérable de cette rue que le jeune Honoré Balzac (la particule ne vint qu'un peu plus tard…) a passé ses deux premières années parisiennes, vers 1819 ou 1820, dans un dénuement pas très éloigné de la misère.

Quelques lignes plus bas, ce narrateur aux caractéristiques balzaciennes nous dit que sa seule distraction, en ce temps-là, était, quand il faisait beau, d'aller se promener sur le boulevard Bourdon tout proche. Et le lecteur du XXIe siècle se prend à rêver, se disant que, si Balzac avait effectué sa promenade un demi-siècle plus tard, il aurait pu assister à une rencontre capitale, celle de François, Denys, Bartholomée Bouvard avec Juste, Romain, Cyrille Pécuchet. Car on se souvient bien sûr de la première phrase du roman de Flaubert : « Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. »

Et le rêve du lecteur moderne vole donc aussitôt en éclats : si ce fichu boulevard était “absolument désert”, cela confirme que Balzac ne s'y trouvait point. Voilà comment on rate des moments historiques.


Lundi 7

Dix heures. – Allons bon ! Hier, le Balzac romancier se télescopait brusquement avec Flaubert – quelque part sur le boulevard Bourdon ; aujourd'hui, c'est le Balzac épistolier qui vient percuter de plein fouet Marcel Proust. En effet, le 15 novembre 1838, dans une lettre à sa Polono-Ukrainienne, il évoque un certain “millionnaire Greffulhe”, récemment rencontré par lui à l'opéra. 

Dans une note de bas de page, M. Pierrot (c'est le nom du maître d'œuvre de l'édition…) nous apprend que ce Jean Greffulhe (1776 – 1867) était le frère aîné de la comtesse Cordelia de Castellane, née Greffulhe donc, qui, nous précise-il, a servi à Balzac de modèle pour sa princesse de Cadignan.

Et c'est là que surgit Marcel. Car environ quatre-vingts ans plus tard, une autre comtesse Greffulhe, Elisabeth, née Caraman-Chimay, lui servira à son tour de modèle pour composer, au moins en partie, sa duchesse de Guermantes.

Je me demande s'il existe encore, aujourd'hui, de belles jeunes femmes portant ce nom. Si oui, nos écrivains en activité auraient sans doute tout intérêt à se faire présenter à elles, tant la famille Greffulhe semble être une sorte de vivier porte-bonheur pour qui veut silhouetter d'inoubliables personnages romanesques.

Cinq heures. – On se demande bien pourquoi les représentants de l'extrême gauche asilaire (je ne citerai personne, mais on en trouve même dans les universités tourangelles…) se soucient encore plus ou moins de la guerre en Ukraine puisque, d'après un enième rapport de cette officine appelée le GIEC, et qui est pour ces gens-là comme le Coran pour d'autres espèces de déments, il devrait rapidement mourir trois milliards de personnes, suite au diabolique réchauffement des températures.


Mardi 8

Deux heures. – Cette campagne électorale m'indiffère absolument. Les deux précédentes avaient déjà eu bien du mal à me faire lever une paupière, mais celle-là bat tous les records, et pas seulement parce que son résultat paraît à peu près acquis, sauf séisme de force 8 ou 9 et encore. Le seul personnage qui réussit à m'arracher un pâle sourire est ce Fabien Roussel, qui tente de ripoliner de frais le vieux parti stalinien exténué. Pour cela, il a trouvé son gimmick, en entonnant le refrain “saucisson-pinard”, sauf qu'il a judicieusement remplacé le ciflard par l'entrecôte, sans doute afin de ne pas trop “faire extrême droite”. Et il s'est aussitôt trouvé tout plein de petits socialistes orphelins pour entonner de tonitruants péans en l'honneur de ce sauveur ayant opportunément remplacé la faucille et le marteau par le couteau à viande et le tire-bouchon. 

Cinq heures. – Parvenu au terme de sa cinquième et dernière saison, je puis le proclamer officiellement : Le Bureau des légendes est une excellente série française. Et Dieu sait que je n'aurais jamais pensé pouvoir lier ensemble ces deux adjectifs-là. Si l'on veut absolument chipoter, on pourra que les saisons quatre et cinq sont plutôt moins réussies que les trois premières, malgré l'arrivée de ce remarquable comédien qu'est Matthieu Amalric.

Il y a pourtant un point noir ; un gros, un énorme point noir. Je veux parler du presque incessant martèlement électronique que, par un abus de langage incompréhensible, on continue d'appeler “musique”. Cela relève, notamment dans les deux dernières saisons, de la torture auditive, de l'abrutissement mental. Les individus produisant les sons d'une morne et insigne laideur que l'on inflige au malheureux téléspectateur, s'il n'a pas la chance d'être en situation de non-entendance, devraient relever du tribunal pénal de La Haye, voire d'un insondable et perpétuel Guantanamo.

 

Mercredi 9

Dix heures. – Il m'est venu ce matin l'idée que, lorsque j'en aurai terminé avec Balzac, ce qui n'est pas encore tout à fait pour demain, je pourrais bien m'offrir un mini-cycle flaubertien, sur le même modèle que l'actuel balzacien : lecture romanesque le matin, suivie de la correspondance après le déjeuner, en choisissant chaque fois de lire les lettres rédigées dans le temps même où s'écrivait l'œuvre lue le matin (ça va dans le fond ? On suit ?). Tel que je le vois, mon cycle s'ouvrirait avec Madame Bovary. Puis, on s'offrirait une sorte de “respiration” avec les deux premiers des Trois Contes (le troisième, Herodias, m'a toujours paru fort ennuyeux, sans doute à cause du clinquant “à l'antique” dont il est presque aussi encombré que Salammbô). Enfin, on terminerait par une troisième œuvre, L'Éducation sentimentale. Ce serait donc une sorte de tricycle… 

Mais, évidemment, d'ici que Balzac ne consente à rentrer dans le silence de ses deux rayonnages, j'ai le temps de changer trois fois d'avis.


Jeudi 10

Dix heures et demie. – Plus moyen, ce matin, d'avoir accès à ma boitamel. Dame Orange me demande de m'identifier… et refuse le mot de passe que je crois être le bon. On me propose donc d'en établir un nouveau, sauf que le code de confirmation que je suis censé recevoir semble vouloir être envoyé à une adresse qui n'est pas la mienne, et qui n'est même pas “Orange”. Bref, je me suis résigné à demander un mot de passe provisoire par courrier, ce qui semble devoir prendre une semaine…

– Les bizarreries balzaciennes. Dans Une ténébreuse affaire, on tombe sur ce début de phrase : « Au fond de quelque longue salle carrée, on voit, etc. » Une salle carrée ne peut pas être longue, pas plus qu'elle ne saurait être large : elle est carrée, un point c'est tout, et c'est là sa gloire. Tout au plus pourra-t-elle être qualifiée de “grande” voire de “vaste”.

Deux heures. – Me voilà réconcilié avec Dame Orange, grâce aux bons soins et à la patience de Catherine car, pour ma part, j'aurais été bien incapable de rétablir le contact.  Mais, dans l'intervalle, l'accès à mes comptes bancaires avait été bloqué (alors que je les avais consultés un quart d'heure plus tôt). Obligé de téléphoner, de se faire envoyer un nouveau mot de passe…

Tout cela commençait à sentir un peu le roussi, tout de même : j'avais beau me moquer de recevoir des himmels me disant que j'étais “hacké”, le hackage s'est finalement peut-être réellement produit. Comme disait Michel Simon dans Drôle de drame : « À force de raconter des choses horribles, elles finissent par arriver. » Du coup, j'ai changé tous mes mots de passe, que j'ai soigneusement notés en dehors de l'ordinateur.

Lors de ma dernière visite chez lui, Michel et moi nous interrogeâmes de savoir si nous serions capables, sautant de trente ans en arrière, de vivre à nouveau sans ordinateur. J'avoue que, certains matins, la tentation est grande, pour ce qui me concerne…


Vendredi 11

Midi. – Un blogueur, qui ne se distingue que très rarement par la finesse et l'acuité de ses analyses, écrit ceci :

« Moralité, les gens sont tous les mêmes, où qu'ils vivent. Ils aspirent tous à la tranquillité dans leur foyer, parmi les leurs, pouvoir se nourrir, se soigner, élever leurs gamins dans la paix et, pourquoi pas, profiter d'un certain confort. [… ] Et cela implique un minimum de démocratie et d'alternance politique. »

Donc, deux parties d'inégales longueurs. D'abord, on déroule des évidences, de celles que personne ne saurait raisonnablement nier (qui a jamais prétendu qu'il existerait quelque part des communautés humaines dont les principaux désirs seraient la guerre, l'éclatement des familles, le dénuement, la famine, la pestilence et la mort ?).

De ces truismes, il déduit deux choses, dont l'une placée en préambule. D'abord que les gens sont tous les mêmes. Si on se base sur les trois ou quatre lieux communs qu'il énonce, c'est indéniable. De même, il pourrait énoncer que “les gens sont tous les mêmes”, puisque possédant tous un cœur et deux poumons ; ce qui lui permettrait d'étendre sa loi de similarité à l'ensemble des mammifères, et même au-delà.

De ce fatras simpliste, surgit enfin, dans sa courte seconde partie, une sentence en forme de verdict, qu'il doit penser irréfutable, d'où il ressort que les humains n'ont jamais été capables de nourrir eux-mêmes et leur progéniture, de se loger ni de se soigner, évidemment pas de connaître la paix, dans toutes les époques où n'existaient ni la démocratie, ni encore moins cette amusante “alternance politique” que notre ravi des urnes semble priser si fort et placer si haut ; c'est-à-dire durant la quasi-totalité de l'âge humain, et dans à peu près toutes les contrées du monde. Et voilà ce qu'on appelle, je crois, un blogueur politique

Retournons à Balzac.

Quatre heures. – Eh bien, justement, à propos de Balzac : je trouve de lui une image piquante, dans la lettre qu'il écrit à Mme Hanska au début de juin 42 (c'est moi qui souligne) : « Je travaille trop, je deviens trop cerveau, le défaut d'exercice m'engraisse démesurément, etc. » Devenir trop cerveau… un mal terrible… Heureusement, la plupart des gens sont tout à fait immunisés contre ses ravages ; moi le premier sans doute.

– Parce que je viens de relire deux romans de Balzac qui s'y déroulent (Une ténébreuse affaire puis Le Député d'Arcis), j'ai la curiosité de demander à Dame Ternette à quoi ressemblait la petite ville d'Arcis-sur-Aube, où je crois bien n'avoir jamais mis les pieds, ce qui est une honte pour le Champenois de naissance que je suis. J'ai eu la surprise amusée d'apprendre que le maire actuel d'Arcis s'appelait Charles Hittler (oui, oui : avec deux t ! Ce qui doit lui donner l'impression, les soirs de déprime, qu'il sauve quand même l'honneur). J'espère qu'il a donné son parrainage soit à Mme Le Penn, soit à Éric Zemmmour, histoire de faire honneur à son patronyme.

Autre bizarrerie : on me dit, on m'assure, on me certifie que la commune est baignée par la Gironde. Voilà décidément une ville où l'homonymie produit ses ravages en toute impunité.


Samedi 12

Quatre heures. – Les bizarreries balzaciennes. Dans divers romans de sa Comédie humaine, il lui arrive d'adresser un “coup de chapeau” à Stendhal. Et l'on connaît le très long article qu'il écrivit spontanément, lors de la parution de La Chartreuse de Parme, pour dire le grand bien qu'il pensait du livre de son aîné. Cela ne l'empêche pas d'être incapable d'écrire correctement le nom de ce pauvre Beyle : le plus souvent, il l'orthographie Stendahl, mais il arrive que ce nom mute en Stendhall.

Du reste, Balzac semble avoir un problème général avec les noms propres, quels qu'ils soient. Dans les lettres à Mme Hanska, c'est un véritable festival de patronymes estropiés. Passe encore lorsqu'il s'agit de gandins russes ou de greluches polonaises : on sait à quel point ces gens-là abusent du droit d'avoir des noms à coucher dehors.  Mais il est tout aussi incapable d'écrire ceux de Rothschild ou de Liszt, alors qu'ils reviennent pourtant assez souvent sous sa plume. On a l'impression, dans ces deux cas, qu'il écrit “Li” et “Roth”, puis qu'il lance en l'air les lettres restantes et les laisse se placer dans l'ordre où elles retombent sur sa feuille.

Sacré Balzak, va !

– Est-ce que je suis le seul à avoir remarqué que la Scandinavie avait la forme d'une grosse bite molle que rien, à moins d'un épouvantable séisme planétaire, ne parviendra jamais à redresser ? Étonnez-vous, avec ça, du taux de suicides régnant chez ces grands crétins blonds : on déprimerait à moins.


Dimanche 13

Cinq heures. – Je note qu'Alain Krivine était d'origine ukrainienne : d'ici que l'on mettre sa mort sur le dos du malheureux Poutine, il n'y a qu'un pas, sûrement très tentant à franchir pour tous nos petits russophobes de circonstance. Cela dit, voilà une disparition qui ne devrait pas m'empêcher, tout à l'heure, de manger de fort bon appétit le gratin de macaronis de Catherine – et peut-être même d'en reprendre…


Lundi 14

Cinq heures. – Vu par le prisme des lettres à Mme Hanska, la vie de Balzac fait penser à ces cauchemars dans lesquels le rêveur produit des efforts surhumains pour courir vers un but quelconque (ou pour échapper au danger qui le menace derrière lui), pour s'apercevoir au bout d'un moment qu'il fait quasiment du surplace et que le dit but est toujours aussi loin de lui. La différence est que Balzac, tout en se démenant en pure perte, écrit La Comédie humaine, cependant que le cauchemardeur lambda ne produit rien du tout.


Mardi 15

Deux heures. – Une douzaine de tâcherons universitaires ont mis en commun leur formidable potentiel d'intelligence, de connaissance et de bonne foi pour pondre un opuscule de 60 (oui, oui : soixante !) pages visant à montrer que, dans le domaine de l'histoire, Éric Zemmour n'est rien qu'un vil falsificateur. Ces soixante pages leur suffisent pour le réfuter sur une vingtaine de points dont certains pourtant aussi vastes que “les origines et le déclenchement de la Révolution française” : on voit tout le sérieux de l'affaire. Ce petit caca nerveux est publié par Gallimard dans une collection qui s'appelle “Tracts”, ce qui est tout dire. Il n'empêche : de ce mince libelle, la charmante Élodie Jauneau est ressortie toute frétillante. Son argument principal – et en réalité unique – contre Zemmour ? Il n'est pas historien estampillé, il n'a pas la carte…

– Globalement, il me semble pouvoir dire que, au sein de La Comédie Humaine,  ce que Balzac a un peu pompeusement nommé ses Études philosophiques est (est ou sont ? diable…) assez loin de valoir les Études de mœurs ; lesquelles sont heureusement, et largement, les plus nombreuses.


Mercredi 16

Dix heures. – Ce matin, contrôle technique de Soraya : rien à signaler, une vraie jeune fille. Je m'étais dit que j'allais profiter des quarante minutes d'attente pour pousser de Saint-Aquilin jusqu'à la mairie de Pacy afin d'y faire provision de pain (à la boulangerie qui est en face de la mairie : ne faites pas semblant de ne pas comprendre, c'est pénible !). Naturellement,  à force de ne faire ce trajet qu'en voiture, j'en étais venu à considérer que tout cela tenait dans un mouchoir de poche. Eh bien, il m'a tout de même fallu plus de vingt minutes, et en marchant d'un bon pas, pour le parcourir, ce foutu mouchoir. Et un peu davantage au retour, vu que j'étais lesté de plus de deux kilos de pain.

Du coup, quand je suis arrivé, Soraya m'attendait. Et Balzac s'est promené pour rien.


Jeudi 17

Dix heures. – Les jours se suivent, et parfois se ressemblent : hier, c'était le contrôle technique de Soraya, c'est aujourd'hui le mien, puisque j'ai rendez-vous à deux heures et quart avec un dentiste d'Évreux – que je ne connais pas encore, mais Catherine oui –, afin qu'il m'examine le portail pour voir si tout y est en ordre et en état de mastication. Y a intérêt…

– Le titre qui, ce matin, me met en joie – une joie “mauvaise”, je le concède, mais on ne se refait pas à mon âge, le mauvais fond adhère trop aux parois. Bref, le voici : « Guerre en Ukraine : des bébés nés par GPA attendent leurs parents dans un abri anti-aérien de Kiev. » J'imagine que les dits parents, qu'ils soient 1 ou 2, ne doivent pas être très pressés d'aller les chercher. 

– Je ne sais pas ce qu'il en est ailleurs, mais à Évreux, dans les rues, beaucoup de gens déambulent encore avec la muselière sur le groin. Ce que j'ai trouvé légèrement déprimant, tous ces encagés volontaires.


Samedi 19

Dix heures. – Dans exactement neuf heures, j'aurai 66 ans. Comme disait, je crois, Voltaire : la vie est une froide plaisanterie.

– Nous avions prévu, aujourd'hui, mais rien à voir avec mon anniversaire, d'aller nous promener sur les bords de la Seine, un peu au-delà de Rouen, au village ayant pour nom : La Bouille. Il s'agit de l'un des “plus beaux villages de France”, ce qui, malheureusement, implique qu'il soit fort probablement infesté de ces chancres que sont les galeries d'art et les ateliers de peintres. Mais enfin, cela faisait un but de mini-excursion sous le soleil…

Sous le soleil peut-être, mais fouettés par un vent à écorner les bœufs, celui qui s'est mis à souffler dès le lever du soleil ! Du coup, nous avons renoncé à sortir. Ce qui ne me procure pas de chagrin, ni même la plus légère déception. En fait, ce serait même plutôt le contraire : cette non-sortie est en quelque sorte mon cadeau d'anniversaire.  

Le Cousin Pons, que je relis depuis hier, est vraiment un roman implacable (j'ai essayé de le plaquer : pas moyen).


Lundi 21

Dix heures. – On a beau le savoir avant même de commencer, parvenir à la dernière ligne écrite d'un roman inachevé est une expérience toujours très frustrante. Surtout s'il s'agit, comme c'est le cas des Petits-Bourgeois de Balzac, d'un roman à personnages nombreux et agités d'avidités violentes, à intrigues retorses, multiples et encastrées les unes dans les autres. Je dois être un tantinet masochiste car, juste après, il y a moins d'une heure, j'ai repris, du même Balzac, Les Paysans, roman extraordinaire… mais lui aussi inachevé. Après cela, il me restera à relire La Cousine Bette – parfaitement achevé celui-là – et c'est avec ce roman terrible qu'Honoré et moi nous séparerons pour cette fois. Mon intention de lui faire succéder Gustave F., dit le Rouennais, tient toujours.

– Je suis tombé hier sur un coffret de huit dévédés contenant autant de films de Sautet, cinéaste que, comme on le sait sans doute, je place très haut. Le miracle est que la liste qui en est donnée ne comprend aucun de ses moins bons films (moins bons pour lui : ils restent tout de même hautement regardables) et n'omet aucun de ses meilleurs. Prenant prétexte que le 19 mars était encore tout proche, j'ai aussitôt passé commande du dit coffret, comme cadeau d'anniversaire “rétroactif”.

Midi. – La factrice vient de me livrer un coffret de DVD (Brothers and Sisters, saison 4), commandé il y a une semaine environ. Vérification faite, on y trouve des sous-titres en une dizaine de langues, dont je ne soupçonnais même pas l'existence de certaines… mais pas en français. C'est agaçant…

Quatre heures. – Descente à Pacy afin d'y faire emplette de drogues diverses chez notre habituel dealer (parfois appelé apothicaire ou pharmacien). Dans l'officine, dealers compris, une douzaine de personnes : seuls une vieille dame et moi étions démuselés ; je me suis retenu de lui adresser un petit salut fraternel. Et ça m'a donné vaguement envie de relire La Boétie. Discours sur la servitude volontaire. J'ai l'air de plaisanter, comme ça, mais je trouve mes pauvres contemporains de plus en plus déprimants, à force de décervelage et de moutonisme aigu. Comme si, réellement, le renépol était l'avenir de l'homme, et le renépolisme son horizon dernier…

Neuf heures du soir. – Peu après six heures, Catherine a reçu un SMS d'Olivier, mari de ma sœur, pour nous dire qu'Isabelle était à l'hôpital et que “ça n'allait pas bien du tout”. Avec, comme précision, que ma mère était avec lui et que Clémence, la fille d'Isabelle, arrivait de Lyon. Bref, tout cela n'annonçait rien de bon, mais enfin…

Moins d'une demi-heure plus tard,  appel téléphonique “en direct” : Isabelle était morte. 

Je vais y aller demain, sans trop savoir pourquoi, pour dire que le frère aîné est là, ou quelque chose comme ça.

Très bizarrement, la première image qui m'es venue de ma sœur est ce jour de… de quelle année ? Difficile de me souvenir… Enfin, c'était au milieu des années soixante-dix, je venais de toucher mon premier salaire d'étudiant-salarié-d'été et j'étais allé, je ne sais où, à Orléans, acheter pour Isabelle un électrophone. Elle-même entrait dans son adolescence et commençait à éprouver le besoin d"'avoir ses disques dans sa chambre, etc. Bref, j'arrive à la maison, un paquet dans les mains. Isabelle : « Qu'est-ce que c'est que ça ? » Moi : « C'est un cadeau pour toi… » Elle, aussitôt, subodorant la mauvaise plaisanterie d'un grand frère pénible et facilement moqueur : « Mais arrête, bon ! » (ou quelque chose d'approchant…). Puis, découvrant qu'il s'agissait réellement d'un cadeau pour elle, se trouvant aux prises avec des sentiments contradictoires et non-miscibles : la joie du présent, la gratitude envers ce grand-frère providentiellement généreux, la honte de s'être mise en colère contre lui, le sentiment de s'être, un court moment, rendue ridicule, au moins à ses propres yeux et rétrospectivement.

Pourquoi est-ce cette scène qui m'a sauté à la mémoire quand j'ai appris sa mort ? Je ne tiens même pas à le savoir, si jamais le savoir était possible.

(Autre chose : depuis environ une demi-heure, je suis la proie d'un hoquet incoercible, chose qui ne m'était pas arrivée depuis quelques décennies ; en un sens, je puis remercier Isabelle de me rajeunir à ce point…)

La décision a été rapidement prise d'aller dès demain retrouver la famille là où elle se trouve. J'ai réussi à appeler ma mère, qu'Olivier venait de raccompagner chez elle : sa voix était claire et presque pimpante, comme si elle ne venait pas de perdre sa fille ; et il est probable, en effet, qu'elle ne l'avait pas encore perdue, que le fait brutal allait avoir besoin d'un peu plus de temps pour s'imposer à son esprit, en fracturer les défenses et y exercer ses ravages.

Que se passera-t-il demain ? Évidemment je n'en sais rien. Je compte partir d"ici vers midi, je serai donc chez ma mère vers deux heures. Après quoi, on improvisera.

(Et j'ai toujours le hoquet…)


Mercredi 22

Neuf heures. – La mort est toujours surprenante. Elle nous prend de court, même lorsqu'elle était prévue, programmée, certaine. C'était le cas d'Isabelle. Dès le début de sa maladie, elle savait qu'elle n'en réchapperait pas et elle le disait sans détour (sauf à notre mère et à sa fille). Pour autant, l'annonce d'hier m'a totalement pris de court. Sans doute parce qu'il en va de la mort des autres comme de la nôtre : on a beau la savoir assurée, on la repousse constamment dans un futur d'autant plus flou qu'on le veut lointain ; ou, au moins, infixable.


Vendredi 25

Neuf heures. – Je ne suis rentré qu'hier midi de chez ma mère, et non dès jeudi matin comme je l'avais tout d'abord prévu. La cause en est que mon frère arrivait de Dubaï ce même jeudi, à midi, et qu'il m'a semblé un peu discourtois de partir alors qu'il arrivait. Et comme Olivier et Clémence avait prévu un dîner à Ermenouville, je suis resté une nuit de plus. De retour à Fontaine, chez ma mère (et la sienne…), Philippe et moi avons fort avant dans la nuit prolongé cette soirée dérisoirement cathartique, et il est inutile, je pense, de préciser que nous ne bûmes que fort peu d'eau. Du coup, mon trajet de retour hier m'a paru bien long…

Ce matin, malgré une sobriété camélienne hier, je sens bien que je ne suis pas tout à fait remis de mes excès ; et comme mon frère nous arrivera de chez ma mère en milieu d'après-midi et passera avec nous la soirée et la nuit (il reprend l'avion demain et, ici, se trouvera donc nettement plus près de Roissy que s'il était resté une nuit de plus à Fontaine-le-Dun), je serais fort surpris que nous ne nous livrions pas à quelque excès de table. Mais enfin, vu que Philippe prend dès demain matin la route puis l'avion, on tâchera d'être plus raisonnable qu'avant-hier…

Pour le reste, eh bien… disons que nous avons tous déjà connu des périodes plus agréables à traverser, et restons-en là pour l'instant.

Il faut tout de même que je note le petit fait suivant, dérisoire certes mais assez navrant dans ses conséquences immédiates : ma mère est, depuis un temps que je ne saurais préciser, équipée d'appareils auditifs dont elle était fort satisfaite. Or, le hasard a voulu que les dits appareils tombassent en panne la semaine dernière et qu'elle ne pourra les récupérer, remis à neuf, que dans quelques jours. Si bien que, quand on voulait s'adresser à elle, il fallait se place bien en face et, sinon hurler, du moins parler très fort en articulant exagérément. Ce qui rendait tout plus pénible que ça n'aurait déjà dû être. Je crois qu'hier après-midi, l'opticien chez qui elle se fournit devait lui en prêter une paire en attendant le retour des siens. Seulement, hier après-midi, moi, j'étais parti !


Samedi 26

Cinq heures. – Philippe nous a quittés ce matin, peu avant neuf heures. (Qu'on ne se méprenne point, vu le contexte général de ces derniers jours : quand j'écris qu'il nous a quittés, je veux simplement dire qu'il est monté dans sa voiture de location afin de rejoindre l'aéroport de Roissy où, en principe, devait l'attendre l'avion à destination de Dubaï…) Comme notre soirée d'hier, bien que nettement plus courte que celle de l'avant-veille chez notre mère, fut tout de même riche en libations vineuses, ma journée d'aujourd'hui m'a vu un peu ralenti par rapport à la normale – laquelle n'est déjà pas particulièrement frénétique. Demain, ce sera le retour à cette normale, justement, mais hélas pas pour très longtemps.


Dimanche 27

Onze heures. – Retour à la normale… il faut le dire vite ! Ce matin, je me sens encore tout vasouillard, la tête cotonneuse et le corps mollasson ; sans d'ailleurs savoir s'il s'agit d'un reliquat de mes excès de ces derniers jours où bien si, pour reprendre le langage maternel, je “couve quelque chose”. On verra demain.

– Passage à l'heure dite d'été, donc. Catherine et moi, après réunion extraordinaire du Conseil des ministres, avons décidé de prendre nos repas au même moment que précédemment, c'est-à-dire une heure plus tard si on se réfère aux horloges. Ce qui devrait nous mettre au lit peu après onze heures, et non plus dix heures, et donc nous permettre de nous coucher “de nuit”, même en juin et juillet, lorsque les journées deviennent stupidement longues.


Lundi 28

Onze heures. – Relire des écrivains que l'on a beaucoup aimés dans sa jeunesse est souvent périlleux : je l'ai souvent constaté et noté ici. Des socles laissent apparaître de dangereuses lézardes, certaines statues se mettent à osciller sur leur piédestal, cependant que d'autres s'effondrent franchement et s'annulent en débris. Au contraire de ceux-là, Balzac, qui m'a paru grand lorsque j'ai découvert la totalité de sa Comédie humaine – j'avais entre 25 et 30 ans –, Balzac n'a cessé de grandir à chaque relecture, et encore à celle-ci qui est sur le point de s'achever.

Deux heures. – Cet état bizarre, “cotonneux”, dont je parlais hier, est toujours là ; ni plus intense, ni moins. Il n'était donc pas lié à mes diverses libations. Mais il n'est pas non plus, je crois, annonciateur d'une “vraie” maladie. J'en veux pour preuve que, dès que je me livre à une activité quelconque (prendre la voiture pour descendre à Pacy, m'occuper de rangement, ou même m'installer pour deux heures devant la télévision), il disparaît instantanément… pour revenir me trouver, fidèle, dès que je me réinstalle dans mon fauteuil. J'en suis donc venu à penser qu'il pourrait s'agir d'une sorte de réaction (je ne sais pas si le mot convient bien) à la mort d'Isabelle ; quelque chose que je maintiendrais comme de force à l'intérieur de moi et qui, de ce fait, agirait comme une sorte de pression, doucereuse et constante.  Comme, de son côté, Catherine s'étonne depuis deux ou trois jours, de devoir lutter constamment contre le sommeil (moi aussi, du reste) alors même qu'elle passe des nuits tout à fait satisfaisantes, je me dis que nous devons subir le contrecoup du même événement, même s'il se manifeste de façon un peu différente chez elle et chez moi.

Il y a une formule qui dit : « Il n'est pas bon que les morts empêchent les vivants. » OK, OK… mais on s'y prend comment, pour les dissuader de le faire ?

– Comme avant chaque élection présidentielle, les nostradamus de comptoir s'en donnent à cœur joie. Chez un blogueur macronolâtre de plus en plus trémulant à la simple idée que son idole pourrait vaciller imperceptiblement sur le socle d'or pur qu'il lui a élevé, je tombe sur ceci, qui m'a bien amusé : 

« Si Marine Le Pen avait gagné en 2017, nous serions actuellement alliés de la Russie en train d'attaquer l'Ukraine, nous aurions eu le vaccin russe qui ne vaut pas un clou, le franc ne vaudrait plus rien et ne pouvant pas payer et importer toute l'énergie nécessaire  la température maximum chez soi serait fixée à 16 degrés. »

16 degrés, hein ? Vous avez bien compris ? Pas 15 ni 16,5 : 16 tout ronds ! J'aimerais que notre Madame Irma d'outre-Vosges nous dise dès maintenant à combien je devrai régler mon thermostat en cas de victoire de Zemmour. À mon avis, vu la haine écumante que ce Philippulus rhénan bave à giclées continues sur ce pauvre Éric, on ne devrait pas avoir droit à plus de 12°, fascistement celsius. Avec création de milices thermostatiques même dans les villages les plus reculés.

Six heures. – Anecdote trouvée dans une lettre de Morand à Chardonne (janvier 1964), à propos de Forain. On disait devant lui que Jacques Porel, le fils de Réjane, avait été “élevé dans les jupons de sa mère”. Forain du tac au tac : « Il a dû se faire bien des relations… »

Le même Morand (à moins que ce ne soit son compère épistolier ?) m'a donné une brusque envie de lire la Correspondance privée, établie entre Lawrence Durrell et Henry Miller, bien que je trouve illisibles les romans du second et que je n'aie pas ouverts ceux du premier depuis belle lurette. Je ne sais si ce volume se trouve encore.

– Au chapitre, déjà bien fourni, que l'on pourrait intituler : “ma bibliothèque maraboutée”, j'ai eu envie (décidément !) en milieu d'après-midi de relire le Danube de Claudio Magris. Je suis donc venu le chercher ici, plein d'une naïve confiance : évidemment, le livre s'est avéré introuvable (ce qui ne veut pas forcément dire qu'il n'y est pas…).


Mardi 29

Onze heures. – Mon état fiévreux, mollasson et cotonneux est peut-être “psychoso” (le thermomètre, tout à l'heure, marquait 36°7 au sortir de mes entrailles), il n'empêche que c'est rudement bien imité ! Tous mes compliments aux concepteurs de cet artefact de maladie, si toutefois il s'agit bien d'un artefact.

– Mon état plus ou moins fébrile ne m'a pas empêché, à l'instant, de commander deux livres. D'abord la correspondance Durrell/Miller dont je parlais hier ; ainsi que le Journal intégral de Matthieu Galey, dont j'ignorais qu'il existât en collection Bouquins (depuis 2017 tout de même…). Vu la différence de pagination entre ce volume et les deux parus avant chez Grasset – que je possède et ai lus –, je suppose que les “plus” ne doivent pas être si nombreux que cela. Mais enfin, je l'ai trouvé à un prix plus que raisonnable. Et puis, quand on est malade, même faussement, on a le droit de s'accorder de petits plaisirs de cet ordre !

Non mais…

Deux heures. – La correspondance Morand/Chardonne. Il est tout à fait épatant, et même attendrissant, de voir ces deux écrivains, un octogénaire (Chardonne) et un quasi (Morand), mettre autant de patience et d'obstination à bâtir, lettre par lettre, leur double mausolée. Un mausolée ? De l'extérieur sans doute, Mais pour qui a la curiosité d'y pénétrer, c'est une véritable salle de bal, dont les deux compères sont les maîtres de danse !

Six heures. – De Mme Paul Morand, ci-devant princesse Soutzo. On parle devant elle d'une dame qu'elle ne prise guère. Quelqu'un dit : « Elle est reçue partout ! » Alors, la princesse : « Partout, une fois… »


Mercredi 30

Onze heures. – Avant-hier soir, comme nous avions bouclé la veille la sixième et avant-dernière saison d'À la Maison blanche, nous prîmes la décision d'enchaîner avec la quatrième – et également avant-dernière – saison de Brothers and Sisters, série peut enthousiasmante à mon goût, assez bébête, mais qui présentait l'avantage, m'avait-il semblé, d'être légère, parfois drôle, n'obligeant à aucune attention soutenue, bref : idéale pour la période assez pénible que nous traversons tant bien que mal. Le choix semblait donc judicieux…

Or, quel événement se produisait, dès le premier épisode ? Un personnage (l'une des Sisters du titre) se découvrait atteint d'un cancer, du genre préoccupant, avec chances de survie ne dépassant guère 50%. Et nous eûmes droit, durant toute la soirée, à des examens, des séances de chimio, des parents éplorés, et tout ce qui s'ensuit. C'est sûrement ce qu'on appelle parfois l'ironie du hasard.

– Deux titres lus à quelques minutes d'intervalle. Le premier sur le site de Contrepoints :

« Déficit, endettement, dépenses publiques : la France au bord du gouffre. »

Puis, juste après, cet autre chez mes analphabètes atlanticoïdaux :

« Budget France : Déficit moins élevé, dette publique moins lourde que prévue. Les trois raisons pour lesquelles l'endettement public n'est pas dangereux. »

Et roulez jeunesses…

Six heures. – Vient de resurgir (chez Catherine…) l'envie d'aller passer trois jours en Bretagne, plus précisément ici. « Pour se changer les idées » est le motif officiel. En effet, je ne puis pas nier que nos idées actuelles ont grand besoin de l'être, changées. Mais, sous-jacente, il y en a une autre, nettement plus liée aux événements récents, et qu'on pourrait exprimer ainsi : « À quoi bon avoir de l'argent sur nos comptes bancaires si on peut mourir demain, quasiment sans prévenir ? » En effet…

– Commandé le Mauriac sous de Gaulle de Jacques Laurent (c'est à cause de Morand et de Chardonne, je ne suis pas responsable…).


Jeudi 31

Deux heures. – Au fond, s'il me semble que si j'accepte beaucoup moins bien la mort d'Isabelle que celle de mon père, il y a un peu plus de huit ans, c'est sans doute parce qu'une partie de mon cerveau proteste que, ma sœur ayant presque dix ans de moins que moi, une telle mort n'est pas dans l'ordre ; et l'est d'autant moins que ma mère vit toujours. L'autre partie de ce même cerveau, celle qui s'imagine avec une sotte fatuité qu'elle tient le gouvernail, mais en fait ne gouverne rien du tout, ou si peu de choses, cette partie-là sait très bien qu'il n'y a aucun ordre, d'aucune sorte ; que la mort n'est pas un baraquement de la Sécurité sociale, où l'on prend en entrant, au distributeur automatique, son ticket d'admission future au guichet. Mais elle peut bien dire ce qu'elle veut, cette partie raisonneuse, elle ne peut persuader l'autre qu'Isabelle étant, ayant toujours été et restant ma petite sœur, elle s'est comportée un peu comme ces resquilleuses qui, dans la file d'attente du supermarché, vous passent devant pour arriver plus vite à la caisse, en vous meurtrissant douloureusement les chevilles au passage en force de leur chariot. Et je sens bien que mes chevilles vont mettre un certain temps à dégonfler. C'est sans doute ce qui me donne cette impression, depuis une semaine, d'avancer plus difficilement ; comme si marcher était soudain devenue une activité à grand risque – ce qu'elle est certainement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.