lundi 1 juin 2020

Mai 2020









CHANSON DE GESTE BARRIÈRE








Vendredi 1er

Midi. – Ceux qui ont la mémoire un peu longue et l'empathie suractive se souviennent sans doute que le journal d'avril s'est clos sur une note aviaire, par laquelle je signalais l'arrivée de Joséphine, la poule noire censée tenir compagnie à Blanche – et, accessoirement, nous donner peut-être, un jour, dans l'avenir, quelques œufs. Eh bien, nous allons commencer mai dans la même tonalité.

Hier soir, tandis que tardait à s'achever un mauvais film de David Fincher (Zodiac) – c'est-à-dire un film de David Fincher –, j'eus soudain l'idée, pour tromper mon ennui, d'aller voir si la nouvelle venue avait bien suivi l'ancienne et était montée, à sa suite, se coucher dans le poulailler. Elle n'y était point ; j'en déduisis très hâtivement qu'elle avait dû choisir de passer la nuit dans un trou quelconque de la haie. Dûment informée par mes soins, Catherine voulut aller se rendre compte par elle-même, et elle disparut dans la nuit (licence poétique assez piteuse, puisque les réverbères municipaux brillaient de tous leurs feux). Tandis que, sur l'écran, les acteurs finchériens n'en finissaient plus de bavasser, achevant de rendre incompréhensible et mortellement ennuyeuse l'histoire que j'étais censé suivre, il me parut que ma courageuse épouse était absente bien longtemps. Finalement elle revint… pour m'annoncer qu'elle avait besoin de mes services séance tenante. Je la suivis donc dehors en maugréant mentalement (je suis un maugréeur mental de première bourre, sans me vanter).  Cette idiote de Joséphine avait cru judicieux de s'installer dans le lilas, mais : 1) suffisamment haut pour être hors d'atteinte de Catherine ; 2) sur une branche en surplomb non du jardin mais de la rue de l'Église, rue dans laquelle elle risquait fort de se retrouver le lendemain matin lorsque, réveillée par le jour naissant, elle déciderait de se dépercher. Je n'eus aucune peine à l'attraper – elle dormait à tête repliée – et à la ramener au bercail où l'attendait Blanche. La question est : que va faire cette idiote aujourd'hui ? Va-t-on devoir tous les soirs partir à sa recherche dès que la nuit sera tombée ? Saloperie de bestiole…


Samedi 2

Dix heures. –  Ce matin, entre le premier et deuxième café de la matinée, Catherine m'a mis la boule à presque zéro. C'est l'avantage d'être claquemuré avec sa coiffeuse : on s'épargne le ridicule de ressembler au Pollux du Manège enchanté… voire à Nicolas.

– Terminé le Bloody Miami de Wolfe. Roman plutôt décevant, finalement, si on le compare au prodigieux Bûcher des vanités ou à l'excellent Un homme, un vrai du même Wolfe. Il manque d'un pivot solide, d'une épine dorsale. Si bien que le récit a tendance à s'éparpiller un peu trop, et la “doc” à prendre une importance exagérée, comme pour combler la faiblesse de l'intrigue, ou des intrigues. Mais enfin, cela reste un roman décevant compte tenu de son auteur. Ce qui veut dire qu'on plane tout de même très au-dessus de la production courante.

J'ai ensuite retraversé l'Atlantique et le temps, pour me retrouver dans l'Angleterre et l'Écosse du XVIIIe siècle, avec le Roderick Random de Smollett, dans l'édition qu'en ont donné Les Belles Lettres. Je prends un risque (oh ! mesuré, le risque, très mesuré !) car je crois bien que ce doit être une sorte de roman “picaresque”, genre qui, en général, me fait tomber le livre des mains après cent ou deux cents pages. C'est ainsi que je n'ai jamais pu lire jusqu'au bous le Gil Blas de Lesage ni le Tom Jones de Fielding, ni deux ou trois autres encore, dont les titres m'échappent pour le quart d'heure. On verra bien.

Midi. – Je ne sais ce qui m'a pris, rentrant de promenade canine, de relire mon journal d'avril, en ligne depuis hier. Quoi qu'il en soit, funeste idée : j'ai bien dû constater qu'il était constellé de fautes de français radicalement impardonnables. Je suppose qu'il doit en être de même les autres mois. Tant pis.

Cinq heures. – Non, décidément non ! Je dois être un peu stupide pour m'obstiner comme ça, à tenter pour la dixième fois de lire des livres qui, de par leur nature même, m'ennuient. Et dont je sais qu'ils vont m'ennuyer. Comme il était prévisible, j'ai donc rangé Mr Smollett à sa place après moins d'une centaine de pages, lues en étouffant de longs bâillements. Pour le remplacer – très avantageusement – j'ai repris Les Fous du roi de Robert Penn Warren.

Un poil plus tard. – Ayant tapé le nom de Warren dans Google, je finis par arriver sur un site répertoriant diverses critiques concernant le roman que je viens donc de recommencer : une de Télérama, une autre du Figaro, une autre encore du Point… et soudain, une de… Didier Goux habite ici ! C'est beau, la gloire, tout de même, non ? Pour me rabattre moi-même mon petit caquet, je me dois de signaler que, juste au-dessus, il y a vait également quelques lignes du roi des cuistres, à savoir le grand Juan Asensio himself : ça relativise méchamment.


Dimanche 3

Onze heures. – Ça dort quand, un coucou ? Depuis environ une semaine, on n'entend plus qu'eux dans la journée – sans parvenir à savoir, du reste, s'ils sont plusieurs ou bien si c'est le même mâle qui n'a toujours pas trouvé de femelle consentante (car, chez les coucous, “quand c'est non, c'est non !”). Bref. J'avais déjà remarqué qu'on pouvait entendre son cri caractéristique très tôt le matin – avant même le réveil des merles – et tard le soir – après le coucher de ces mêmes merles. Mais, cette nuit, étant resté éveillé entre trois heures et demie et quatre heures, et ma fenêtre étant ouverte, j'en ai entendu un coucouter sans interruption durant tout ce temps – ce qui, en passant, finissait par me tomber un peu sur les nerfs. D'où ma question : ils dorment quand, ces putains de parasites nidicoles ? En parlant tout à l'heure à Catherine, j'ai fini par suggérer que, peut-être, ils faisaient les 3/8 comme de vulgaires pue-la-sueur d'usine. Mais j'ai bien vu que cette explication n'était pas entièrement satisfaisante…

Deux heures et demie. – Profitant d'une (sans doute) brève apparition du soleil, assez longue marche avec Charlus, et avec lui seul : Catherine avait décidé de ne point bouger de son canapé, ce qui est son droit de claquemurée le plus strict. On a croisé une dame en ciré jaune sur la voie romaine and that's all.


Lundi 4

Huit heures. – Aujourd'hui, non pas une mais deux sorties ! La première dans une petite heure : d'abord le cabinet médical – deux rendez-vous groupés, pour Catherine et moi, renouvellement d'ordonnances –, puis, écumage des supermarchés locaux afin d'y trouver si possible le fromage de chèvre frais qui est une des bases non négligeables de mon alimentation. Cet après-midi, seconde sortie, mais pour moi seul, afin de convertir l'ordonnance toute fraîche en médicaments absorbables, à la pharmacie qui est fermée le lundi matin. Je suis fatigué rien que d'y penser…

Onze heures. – Ce côté lugubrement – ou comiquement : tout dépend du regard – grégaire des gens. La déchetterie de Saint-Aquilin, fermée depuis des semaines, a rouvert ce matin. Pour descendre à Pacy, nous passons devant la petite voie privée qui y mène : elle était encombrée jusqu'à la route, ce qui veut dire qu'il y avait bien quinze à vingt imbéciles à faire la queue dans leurs voitures. Et pour quoi faire ? Se débarrasser de choses qui, n'étant pas des denrées périssables, auraient très bien pu attendre paisiblement dans un coin de jardin, une semaine supplémentaire voire deux ou trois. Moi-même, jbien qu'ayant des déchets “verts”, et d'autres pas verts du tout, à y porter, il ne me viendrait pas à l'idée de tenter l'expérience avant au moins une dizaine de jours. Mais non : ça rouvrait aujourd'hui, il s'agissait “d'en être”. Et peu importe si, pour se débarrasser de ses trois branches mortes, on doit poireauter durant une heure sous le soleil de mai. Tristes crétins.

– Cet après-midi, après ma visite à la pharmacie : tontine… si le temps se maintient à la non-pluie.


Mardi 5

Dix heures. – Nous avons, ces soirs derniers, regardé, sur Netflix, la première saison d'une nouvelle série intitulée sobrement Hollywood. Elle a été conçue et écrite par Ryan Murphy, l'un des deux créateurs d'American Horror Story. Elle nous transporte dans l'immédiat après-guerre, et braque sa caméra sur un petit groupe de jeunes gens qui viennent de débarquer à Hollywood et veulent à tout prix réussir dans le cinéma. Certains sont apprentis acteurs, un autre scénariste débutant, un troisième se rêve metteur en scène, etc. Quand je dis “à tout prix”, ce n'est pas une expression en l'air, puisque certains, pour vivre, n'hésitent pas à devenir gigolos, soit pour messieurs, soit pour dames plutôt mûres, selon les penchants de chacun. Les acteurs sont excellents, certains étant d'ailleurs des transfuges des diverses saisons d'AHS. Les amateurs de The Big Bang Theory auront plaisir à retrouver Jim Parsons, dans un rôle d'impresario tyrannique et pédé, très éloigné de son personnage de Sheldon Cooper. (Je m'aperçois que, pour ceux qui ne fréquentent pas les séries américaines, ce que je raconte là doit être du pur charabia…)

La série est-elle recommandable, au moins aux abonnés de Netflix ? Si la saison avait comporté six épisodes et non sept, j'aurais répondu oui sans hésiter.  Hélas, il y a ces ultimes 57 minutes, qui sombrent dans un océan de guimauve prêchi-prêchesque, une citerne de mélasse pseudo-progressiste, mais sans risque aucun : il est très facile et confortable, en 2020, de s'indigner du sort réservé aux homosexuels ou aux noirs dans le Hollywood de 1950. Et il faut donc, tout au long de cette conclusion de saison, sous couvert d'une cérémonie des Oscar presque aussi emmerdante qu'une vraie, subir des discours convenus et larmoyants, qui acheminent le spectateur accablé vers un happy end prévisible dès le générique d'ouverture de l'épisode. Le pis est que, en fait, la saison aurait fort bien pu se terminer à la fin de l'épisode 6, en nous laissant sur un cliffhanger assez dramatique. Dommage. Néanmoins, tout cela reste très regardable, bien écrit, c'est-à-dire sans trop de “trous d'air” scénaristiques, bien filmé, bien joué.

Midi. – Nicolas Hulot, imbécile en chef, qui vient d'affirmer, à propos du petit Chinois baladeur, que “la nature nous avait envoyé un ultimatum”. C'est notre nouveau prophète Philippulus, hâtivement barbouillé de vert et agitant sa crécelle en nous enjoignant de nous repentir car, évidemment, la fin du monde est proche. Ce qui est bien, avec l'obscurantisme, c'est que les apôtres de la modernité bougiste ont beau tenter de le repousser vers les siècles passés de leurs petits bras musclés, il est toujours prêt à reparaître, frétillant de jeunesse, dans les yeux vides d'un Hulot ou sur la face de musaraigne enchifrenée d'une quelconque Greta nordique. En réalité, la nature nous a bel et bien envoyé un effrayant ultimatum : eux-mêmes.


Mercredi 6

Onze heures. – Comme plus ou moins prévu dès l'origine, les Dd… Et je m'aperçois soudain que, le mois dernier, suite à une probable avarie de machine neuronale, j'ai attribué à mes “diaristes de confinement” le sigle DdF, ce qui est absurde – mais personne ne semble l'avoir remarqué, fors myself. Je rétablis donc le bon sigle : DdC ; que l'on évitera de traduire par Droite de Combat, s'il vous plaît !

Donc, disais-je, comme plus ou moins prévu dès l'origine, les DdC commencent à donner de sérieux signes de fatigue et à ne plus trop savoir quoi dire à leur page blanche de chaque jour. Dans ces cas-là,  on se trouve toujours devant la même alternative : se taire ou bien radoter. L'option de sagesse étant la première, on se doute bien que c'est la seconde que les DdC ont spontanément choisie. Conséquence naturelle : ils glissent rapidement du comique (involontaire) à l'ennuyeux (involontaire aussi). Cela ne fait pas mes affaires, moi qui comptais assez largement sur eux pour emplir mon propre journal à petits frais. Mais je ne désespère pas : il est possible que le déclaquemurage de la semaine prochaine donne un petit coup de fouet à tous ces sympathiques jeunes gens – qui ne sont pas tous jeunes, et même assez loin s'en faut.

– Lu très rapidement Embuscade à Fort Bragg, de Tom Wolfe, sorte de roman-reportage d'environ cent trente pages, écrit gros : excellent. Et j'ai aussitôt commencé à relire Un endroit où aller, roman-tout-court nettement plus volumineux de Robert Penn Warren.

– Sur les coups de sept heures, descente à Pacy pour en rapporter le pain des dix prochains jours (en gros). Et, tout à l'heure, entre midi et midi et demie, deuxième sortie pour descendre acheter quelques bricoles indispensables au Super U de Saint-Aquilin. Rentrant de chez la marchande de légumes de Ménilles il y a une petite heure, Catherine me disait que le chemin montant à la déchetterie était toujours encombré de voitures en attente ; mais que, en plus, huit véhicules supplémentaires faisaient patiemment la queue sur le “zébra” central de la route, attendant pour pouvoir tourner que ceux du chemin daignent avancer de quelques places. Pourquoi les gens sont-ils aussi cons ? (J'ai failli écrire “aussi bovins”, mais j'aime trop les vaches pour les mêler à tout ça.)

Deux heures. – Le don d'observation des chiens. Charlus, que la perspective d'une promenade rend pratiquement hystérique, sait depuis toujours en repérer les signes avant-coureurs, de façon parfois un peu mystérieuse pour nous. Par exemple, si je vais dans la chambre pour chercher un mouchoir propre, il ne bouge pas. Mais si j'y vais pour enfiler mes chaussures de marche, je ne les ai pas encore empoignées qu'il est déjà de l'autre côté de la porte, à émettre ses petits couinements suraigus d'excitation.

Il ne lui a pas fallu longtemps avant d'intégrer les nouveaux signes précurseurs. Ainsi, tout à l'heure, alors que je m'apprêtais à partir pour le Super U, mais n'étais encore ni habillé, ni chaussé, il s'est mis à donner tous les signes d'excitation pré-baladeurs. Pourquoi ? Parce que je venais de tirer du pot à crayons celui que j'allais utiliser pour remplir ma feuille de déclaquemurage, exactement comme je le fais avant de l'emmener en balade. Et ce n'était pas un hasard, dans la mesure où cela fait déjà un petit moment – au moins une semaine – que le phénomène se produit, dès qu'il s'agir de remplir cette grotesque attestation.

Cinq heures. – On dira ce qu'on voudra d'Emmanuel Macron – “on” ne s'en prive d'ailleurs pas –, mais il est très rassurant pour tous les Français de constater qu'ils se sont dotés d'un président ayant au plus haut point le sens des priorités. Ainsi apprend-on que les droits des intermittents du spectacle vont être prolongés jusqu'en août 2021 et que de chouettes petites mesures, évidemment financières, vont être prise envers le “monde de la culture”. Il a raison notre Grand Syndic de faillite : il est toujours préférable de soigner ses parasites bruyants plutôt que des pue-la-sueur silencieux. Ceux-ci, il suffit de les distraire en donnant de jolies couleurs aux départements et en transformant le pays en une sorte de grand Monopoly covidien. Et pendant que les uns avanceront de trois cases, trop contents d'avoir évité la prison, les autres recevront vingt mille sans jamais avoir quitté la case départ.


Jeudi 7

Dix heures. – Le dernier et magnifique roman de Robert Penn Warren, Un endroit où aller, est écrit à la première personne ; c'est-à-dire que le personnage central, Jed Trewksbury, en est également le narrateur. Sauf qu'il arrive, parfois, pas très souvent et le temps de deux ou trois paragraphes seulement, que le roman repasse à la troisième personne. Est-ce l'auteur qui “reprend le pouvoir” ? Je ne crois pas. On a plutôt l'impression, dans ces brefs moments-là, d'assister à une sorte de dédoublement du narrateur, comme s'il sortait un instant de son propre cerveau pour se regarder penser, sinon agir. Un genre de prise de distance avec soi-même, si l'on veut.


Vendredi 8

Dix heures. – Le Covid de sens continue d'étendre ses ravages – je veux parler de ceux qu'il exerce sur les psychiquement faiblards, évidemment. Même Nicolas, un garçon sain et solide pourtant, commence à donner quelques signes de démence précoce. Hier soir, en commentaire sous son propre billet, il écrivait : « On sait qu'on a des masques à vie… » Des masques à vie ? Il a vu jouer ça où, lui, qu'une épidémie pouvait n'avoir pas de fin ? Même les pestes médiévales savaient se retirer sagement des pays qu'elles venaient de dévaster, alors même que l'on ne disposait d'à peu près aucun moyen pour les enrayer. J'en vois d'autres qui proclament (comme s'ils en savaient quelque chose) : « Oh, mais il reviendra constamment, le Covid ! on ne s'en débarrassera jamais complètement ! » Peut-être… et alors ? La grippe aussi revient presque chaque année : qui s'en soucie ? Qui s'affuble d'un masque lorsque les premiers cas sont signalés ?

Midi. – J'achève tout juste Un endroit où aller : remarquable roman, ainsi que je l'ai déjà noté plus haut. Je vais sans doute enchaîner avec le dernier des trois romans de Penn Warren que je possède, Les Rendez-vous de la clairière. Et il n'est pas impossible que j'en commande un ou deux autres ensuite, si ma soif de cet écrivain n'est pas étanchée. En les attendant, je retenterai peut-être ma chance avec Faulkner (chose que je dis périodiquement… et ne fais jamais), pour rester dans la tonalité sudiste. Mais je n'ai jamais eu grand succès auprès de lui, je dois bien l'avouer. Peut-être Caldwell, alors ?

Je viens de lire la copieuse tartine que Juan Asensio a consacré à Un endroit où aller. C'est fait comme sont faites presque toutes ses tartines, tranchées toujours trop épaisses : une ou deux phrases de son cru, chantournées et souvent fumeuses, puis un large extrait du roman, censé illustrer ce qu'il vient de dire, en prouver la pertinence, alors que, la plupart du temps, il ne s'agit que d'une simple juxtaposition n'éclairant rien du tout. Puis, de nouveau, deux  ou trois phrases asensiennes et, derrière, quinze lignes du texte-prétexte. Le tout en suivant sagement, pieusement, le déroulé du roman.

Il reste qu'Asensio a consacré une tartine à chacun des romans de Penn Warren traduits en français, et qu'il a, de ce fait, au moins le mérite d'avoir reconnu et signalé la grandeur de l'écrivain, alors que, en France, tout le monde ou presque semble ignorer son existence.

Trois heures. – Oublié de noter ceci, au moins pour M. Arié : hier, Joséphine nous a offert son premier œuf ; et elle a récidivé ce matin. Coup de chance : elle qui s'obstine à vouloir dormir sur une branche de lilas au-dessus de la rue a pondu dans le pondoir, comme une poule bien élevée.


Samedi 9

Dix heures. – Quand je disais qu'il commençait à y avoir du mou dans la corde à nœuds du côté des DdC… En dehors de Nicolas qui s'englue dans un morne “j'y vas t'y, j'y vas t'y pas” à propos de sa Bretagne natale et familiale, voilà que le camarade Musseb est silencieux depuis deux jours (porterait-il le deuil de sa salade-coquelicot, finalement tombée au champ d'honneur ?), même mutisme chez Miss Élodie. À moins que ce ne soit la perspective d'un déclaquemurage en demi-teinte qui mine leur moral, déjà fragile ? En demi-teinte est d'ailleurs peu dire. Plutôt qu'à une véritable levée d'écrou, il me fait penser à un prisonnier jusqu'alors enfermé jour et nuit dans sa cellule, à qui on tenterait de faire croire que c'est de nouveau la liberté pour lui,  simplement parce qu'on lui a rétabli la promenade quotidienne dans la cour de la maison d'arrêt. Quant à l'inénarrable Gauche de Combat, il fait mine de continuer sa chasse au nazi (sa chassonasie ? GdC serait donc un Chassonase camouflé en Terrien ?), mais on sent bien qu'il n'a plus guère de munitions dans sa cartouchière : il en est, ce matin, à s'indigner de ce que Brigitte Bardot serait proche du Front national ; ce qui est de notoriété publique depuis environ trente ans. D'ici à ce qu'il découvre que Heidegger avait des sympathies hitlériennes, il n'y a plus bien loin.

– Pourquoi cesse-t-on généralement de fréquenter ses amis de jeunesse ? Les rencontres vont s'espaçant de plus en plus, et puis, un jour, on constate, sans en être étonné plus que cela, qu'on ne s'est pas vu depuis dix ans ; pourquoi ? Sans doute parce que, renouant le fil, il nous faudrait répondre à cette double question : Qu'as-tu fait de ton temps ? Et qu'est-ce que le temps a fait de toi ? On préfère éluder, ne pas se mettre dans le cas de devoir répondre. Et comme l'ami, de son côté, n'a pas plus envie que nous de se soumettre à ces interrogations…

– Il ne faut pas s'étonner outre mesure de ces déclarations tonitruantes qui fleurissent actuellement sur Ternette, émanant de “people” plus ou moins célèbres ( voire en situation de célébrité, pour parler comme Mme Hidalgo), tels que la consternante Juliette Binoche, le pontifiant Vincent Lindon, le délirant Monsieur Hulot, et deux ou trois autres dont l'histoire se fera, je gage, un plaisir d'oublier les noms. Tous ces exemplaires d'humanité, acteurs, chanteurs, amuseurs en tous genres, sont pour la plupart drogués au regard d'autrui, ovatio-dépendants si je puis dire. Or, de quoi le Grand Claquemurage les a-t-il brutalement privés ? Justement de cela qui leur est indispensable ! Plus personne ne les regarde avec admiration, aucun cri d'amour-haine ne monte plus vers leurs oreilles, aucune main tremblant de désir ne touche le bas de leur vêtement, etc.  Pour survivre, il ne leur restait donc plus que ce produit de substitution, ce succédané de gloriole, cette méthadone spécial showbiz : la vidéo youtubarde.

Six heures. – Et pendant ce temps, le petit politicien lyonnais Romain Blachier se soucie grandement de l'avenir de la Culture (avec une initiale majuscule, voui, voui) à Lyon. L'avenir de la culture à Lyon : mon Dieu, on lit de ces choses, c'est à n'y pas croire. Dans la foulée, il nous annonce la tenue d'un grand débat pour demain (sur Facebook…), organisé par je ne sais quelle association lucrative sans but, intitulé : « À Lyon et en Europe quel futur pour la culture ? » Voilà des gens qui prétendent réfléchir sur la culture, mais qui ignorent totalement qu'en français on parle de l'avenir et non du futur, lequel mot n'est pas un nom mais un adjectif, contrairement à ce qu'il est en anglais. D'autre part, il aurait dû leur paraître un peu redondant de réfléchir à l'avenir de la culture à Lyon ET en Europe, l'un étant contenu dans l'autre. Bref : une belle bande de guignols, ce qui est la moindre des choses quand on parle de Lyon. Et puis quoi ? Tout le monde a bien compris que ce qui les inquiétait, ces braves parasites culturels, c'était uniquement l'avenir de leurs subventions diverses et variées.


Dimanche 10

Dix heures. – Terminé ce matin Les Rendez-vous de la clairière : c'est loin d'être mon préféré, des trois romans de Penn Warren que je viens de relire. Je m'y suis même franchement emmerdé, vers le milieu de la seconde partie. J'ai décidé, en attendant les deux livres que j'ai en commande, de retenter ma chance avec Faulkner qui, d'habitude, ne me réussit guère : Absalon, Absalon ! On va bien voir s'il continue de me résister, ce bloody Sudiste alcoolique…

– Hier soir, comme tous les samedis depuis le début du Grand Claquemurage, Nicolas, Miss Élodie et d'autres se sont réunis en “visioconférence” pour se technicolorer la tronche avec ce qu'ils avaient sous la main en fait de boissons alcooliques. Comme ils semblent avoir besoin d'une excuse pour boire, ils en profitent pour s'entretenir gravement… de la survie du parti socialiste. Moi aussi, si on me forçait à participer à ce genre de conversation, je me remettrais à boire, c'est certain. La survie du parti socialiste… Et pourquoi pas, pendant qu'on y est, la renaissance du parti communiste ? La nouvelle vie du parti radical ? Le rebirth du parti légitimiste ? La rentrée en grâce des Capétiens ? Il est plus que temps de les déclaquemurer, tous ces vieux machins, sinon ils vont finir dans des camisoles bien serrées. Quand je dis “vieux machins”, j'excepte évidemment Miss Élodie ; que son jeune âge, au milieu des autres, pourrait faire passer pour la jeune infirmière de cet EHPAD virtuel.

Midi. – J'ai abandonné Faulkner aussi vite que je l'avais adopté. Durant les quinze ou vingt pages que j'ai plus ou moins déchiffrées, je sentais bien que cet homme-là tentait désespérément de me dire quelque chose. Mais j'ai vite compris que je ne saurais jamais quoi : mieux valait, pour notre santé mentale à tous les deux, se détourner en prenant le petit air dégagé de celui qui feint de n'avoir rien entendu.

Trois heures. – Enfin des nouvelles fraîches de Musseb-la-grande-conscience. Hélas, elles sont bien tristes : « J'ai eu la confirmation que je n’ai pas la main verte, mon “coquelicot-salade” a doublé de volume mais il reste une énigme. Ma cuisine n'est pas un pays pour le vieil escargot. Il est mort.  » Comme on voit, le long cortège funèbre du petit Chinois continue à s'allonger. (Il reste au sieur Musseb à nous expliquer comment il s'y prend pour déterminer l'âge d'un escargot ; et surtout d'un escargot de cuisine.)

– Ouvert le premier des quatre livres d'Émile Gabory consacrés aux guerres de Vendée : il y a beaucoup d'acteurs, de l'action à profusion… et on sent déjà qu'il ne faut s'attendre à aucun happy end.


Lundi 11

Dix heures et demie. – Il fait un froid de gueux et souffle un vent à décorner tous ceux qui en arborent (phrase bancale mais qui me sied ainsi). Bref, pas du tout un temps à se déclaquemurer. J'attends de voir, sans impatience néanmoins, si les DdC vont se muer dès aujourd'hui en DdD. À mon avis, non ; mais je puis me tromper. Pendant ce temps, au salon, ces pauvres Vendéens sont aux prises avec le virus révolutionnaire, autrement plus meurtrier que le petit Chinois, si injustement décrié.

Quatre heures et demie. – Reçu ce matin le roman de Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec le Tom du même nom) commandé sur les conseils de Guillaume Cingal. Un peu plus de 500 pages… non coupées ! Un vrai cauchemar, autant dire. Il me semble que si j'avais vécu à une époque où les livres n'étaient jamais massicotés, j'aurais choisi une autre occupation que la lecture – la peinture sur soie par exemple, ou le ski nautique. À moins d'être riche et d'avoir un majordome se chargeant de les couper, ces maudites pages. En revanche, une chose me frappe : tout comme moi, le livre est sorti des presses en 1956. Et, durant ces 64 ans, il a patiemment et longuement attendu que nos chemins se croisent enfin pour accéder à ce qui est la véritable vie des livres, savoir leur lecture.

– Sous le billet que j'ai publié ce matin sur le blog-mère, une dizaine de commentaires, et pas un qui présente un lien, même lointain, avec le billet en question. C'était la même chose hier, et avant-hier, etc. Saisi d'un brusque ras-le-bol, non seulement j'ai fermé les dits commentaires, mais je suis en train d'effacer tous ceux existant. Quand je dis “tous”, c'est une façon de parler, car l'opération est de longue haleine, les commentaires ne pouvant être supprimés que par “paquet” de cent ; et j'en ai environ dix mille en magasin…


Mardi 12

Six heures. – Journée paisible et néanmoins utile : lectures + tontine. Et j'ai profité pleinement de la grande paix silencieuse qui règne sur le blog-mère…


Mercredi 13

Dix heures. – C'est très bien, de ne plus avoir à remplir d'auto-autorisation avant de partir promener le chien. Sauf qu'un vent furibond empêche à peu près toute sortie hors de la maison, à moins d'y être contraint et forcé, ce qui n'est pas encore le cas.

– Ce matin, peu après six heures et demie – la boulangerie dite “de la mairie” a repris ses horaires d'avant-claquemurage –, je suis allé faire provision de divers pains, pour Catherine, les poules et moi. Ma prochaine sortie devrait avoir lieu mardi ou mercredi prochain : nous aurons changé de “mois Visa” et je profiterai de la remise à zéro de ce compteur-là pour aller acheter tabac et cigarettes qui seront fumés les trente jours suivants, ainsi qu'un gros sac de croquettes charlusiennes. On ne pourra pas dire que j'abuse du déclaquemurage à des fins personnelles.

– Je me suis mis à relire les nouvelles fantastiques de Richard Matheson. Elles sont inégales mais beaucoup sont très bien. C'est une lecture idéale pour la fin d'après-midi, quand mon vieux cerveau commence à fatiguer un poil…

Trois heures. – Les écrivains, peut-être emportés par leur élan, écrivent parfois n'importe quoi, y compris les meilleurs d'entre eux. La deuxième partie d'Aux sources du fleuve, de Thomas Wolfe, commence par ces trois courtes phrases :

« Le prunier, noir et fragile, est violemment secoué par le vent d'hiver. Ses millions de ramilles sont autant de petites lances de glace. Mais au printemps il fléchira, souple et lourd, sous le poids de sa charge de fruits et de fleurs. »

Je n'aurai pas la mesquinerie de chicaner Wolfe sur le nombre de ramilles de son prunier, qui, pourtant, me semble excessif. Mais la suite… Personne n'a jamais pu voir un prunier, ni d'ailleurs n'importe quel arbre fruitier, fléchir sous le poids de ses fruits ET de ses fleurs. Pour la simple raison que, sagement, il fera d'abord éclore ses fleurs, lesquelles une fois fanées et mortes donneront les fruits. Les deux ensemble, ce serait comme voir une femme enceinte pousser dans son landau l'enfant qui est encore fœtus en son sein. Ajoutons à cela qu'on n'a jamais vu un arbre, aussi “noir et fragile” fût-il, ployer sous le poids de ses fleurs. C'est pas r'lu, tout ça, Monsieur Wolfe, c'est pas r'lu !


Jeudi 14

Midi. – Au chapitre  “spécial HP à ciel ouvert”, je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici un extrait du himmel que vient de m'envoyer Michel Desgranges :

« Ce matin, au marché de L. fort achalandé, Agnès se gare devant la porte de la coiffeuse  -- divers avis et prohibitions affichés, dont "la porte de l'établissement, quand il est ouvert,  doit rester fermée, à clef".

La coiffeuse voit Agnès, tourne la clef, lui ouvre la porte, papotages, puis

Agnès : je veux prendre rendez-vous…
Coiffeuse : Ah, c'est seulement possible par téléphone…
A. : ???
C. : oui, c'est obligatoire…
A. : je peux aller dehors pour vous téléphoner, puis je vous verrai me répondre…
C. : oui…
A. : hélas, sur la place, il n'y a pas de connexion…
Suite du dialogue, entre Kafka, Ionesco et Jarry…
Finalement, la coiffeuse a pris son agenda, et a, illégalement…., donné rendez-vous à Agnès. »

Plus bas, Michel conclut ainsi : « J'attends la vague d'accouchements avant terme pour les femmes grosses, et la crise des cors aux pieds. »

Je lui ai, entre autres choses, répondu ceci :

« L'anecdote est hautement savoureuse… mais à peine surprenante, dans le grand HP à ciel ouvert où nous vivons désormais. Non seulement la plupart des gens semblent s'arranger très bien du piétinement de leurs libertés les plus "basiques", mais certains parmi eux réclament à hauts cris encore plus de contraintes, davantage d'interdictions : c'est charmant.

« Pour les accouchements avant terme, c'est impossible : tous les gentils fœtus de France et de Navarre ont dû parfaitement intégrer les nouvelles règles du monde, et vont au contraire avoir à cœur de rester soigneusement confinés là où ils sont. On verra ensuite naître des bébés après des grossesses de onze mois, quinze mois, deux ans… Ça va y aller de la césarienne, je vous le dis ! »

Et, sur le blog de mon asilaire préféré, la photo de son masque anti-chinois placé au-dessus de la casserole où ses pâtes sont occupées à bouillir. Tiens, je vais mettre un lien, afin que tout le monde puisse profiter de l'ingéniosité de certains de nos déments actuels.

Dans le même ordre de choses, Catherine me parlait tout à l'heure de la mère d'une de ses amies qui, vivant en maison de retraite vient d'obtenir… l'autorisation de se rendre chez le coiffeur ! Et la plupart des gens, désormais, semblent trouver normal, et même très bien, qu'un imbécile bombardé directeur de mouroir puisse régenter ce qui reste d'existence à des hommes et des femmes octogénaires, cette régence allant jusqu'à leur donner ou non, selon sa fantaisie, l'autorisation de se rendre chez leur coiffeur. Et pourquoi cette situation aussi humiliante que grotesque ? À cause d'un virus qui, finalement touche peu de monde et en tue encore bien moins. Voyant cela, il se trouvera encore des gens pour s'interroger gravement sur les raisons qui peuvent pousser des nations entières à se soumettre sans broncher aux pulsions tyranniques de tel ou tel illuminé : vous les avez sous les yeux, les raisons ! Nous sommes des esclaves nés, tout juste bons à sortir sur nos balcons à heures fixes pour y applaudir le vide.

– Retrouvé hier un épais volume du Serbe Ivo Andrić que je ne savais pas posséder (inutile de dire que je ne me souviens pas de l'avoir lu…). Je l'ai commencé ce matin au réveil. Car, hier, j'ai abandonné Aux sources du fleuve après environ 150 pages. Non pas que Thomas Wolfe ait démérité en rien ; les cinquante premières pages, celles se déroulant avant la naissance de son principal personnage, étaient même fort prometteuses. Seulement voilà : le héros finit par naître, et vient ensuite le long récit de son enfance. Or, à de rarissimes exceptions près (le narrateur dans Combray par exemple, ou Le Moulin sur la Floss de George Elliot), je ne supporte plus les histoires d'enfants dans les romans. S'il n'y en a que quelques dizaines de pages, cela va encore à peu près. Mais, là, après une bonne centaine, je me suis avisé que cette saloperie de môme venait seulement d'atteindre sa douzième année… et j'ai refermé le livre. En me disant que j'avais eu bien tort, le recevant, d'en couper toutes les pages.


Vendredi 15

Onze heures et demie. – Temps beau mais venteux et frisquet : on a l'impression que le dernier “saint de glace” a décidé, pour changer, de bivouaquer par ici. Catherine ayant un tenace mal d'oreille depuis deux jours, elle n'est pas vraiment vaillante (le tramadol est efficace mais assez assommant, au sens premier du mot), je suis donc allé promener le chien tout seul – mais tout de même avec le chien. Depuis ce matin, toujours plongé dans la lecture de la Chronique d'Ivo Andrić.


Samedi 16

Midi. –  Grâce à l'infatigable Gauche de Combat, j'apprends qu'un brave couillon post-moderne, un certain Jean Dussine, président d'une obscure association de Cherbourg appelée Itinérance, a été assassiné ces jours-ci par un clandestin afghan, lequel a ensuite été maîtrisé par d'autre clandestins hébergés au domicile du mort, à Bretteville-en-Saire. Bien entendu, notre Adolfo Ramirez s'indigne très fort de ce que certains, à l'extrême droite, ont eu tendance à trouver, en gros, que c'était plutôt bien fait pour Jeannot. Il a raison : c'est très mal, de se réjouir de la mort d'un pauvre vieux qui s'employait à soulager la misère des Afghans avec l'argent des Normands (il y a encore six mois, ce Dussine mendiait par voie de presse en pleurnichant qu'il n'avait plus d'argent pour nourrir tout son sympathique petit monde), c'est même particulièrement nauséabond, n'est-ce pas ? D'autant que ces salauds-là seraient en plus capables d'en tirer des conclusions aussi erronées que hâtives, à propos du pacifisme et de la reconnaissance de ces mêmes clandestins.

Aussitôt tous les Cherbourgeois à la retraite (il suffit de voir les photos : ils ont tous l'âge de mourir du petit Chinois, ces braves solidaires) se sont précipités vers les micros tendus de la presse régionale pour clamer leur indignation et dire tout le bien qu'ils pensaient de leur camarade Dussine (c'était quelqu'un de bien… il était très gentil… très impliqué…). Personne, en revanche, n'a fait mine de s'étonner qu'il puisse y avoir des clandestins afghans au bout du bout de la Manche. Ou bien, ceux qui l'ont fait ont préféré garder leur étonnement pour eux…


Dimanche 17

Dix heures et demie. – Ce matin, entre huit heures et huit heures et demie approximativement, les mésanges charbonnières nées dans le nichoir du cerisier ont quitté icelui. Nous en avons vu six s'envoler, pratiquement les unes derrière les autres, puis plus rien. Nous avons encore attendu un bon moment, certains qu'il y en avait d'autres, des hésitantes, des plus timorées… En effet, une nichée de mésange, c'est rarement moins de dix ou douze petits. Mais, bientôt, celles qui étaient déjà sorties ont disparu, ainsi que les deux parents. Or, tant qu'il reste des “bébés” à l'intérieur, ces mêmes parents ne cessent de venir s'agripper au bord du nichoir, mais sans y entrer, comme pour inciter les retardataires à y aller. (D'après Catherine, ils se présentent à l'entrée avec une chenille au bec et disent aux petits trouillards : « Tu le vois, ton petit-déjeuner ? Eh bien, viens le chercher dehors, feignasse ! ») Bref, nous avons fini par déduire de cette désertion que ceux que nous avions pris pour les six premiers envolés étaient en fait les derniers. Cet après-midi, je grimperai quelques barreaux de l'échelle, pour aller voir si le nid est réellement vide.

Pendant ce temps, les mésanges bleues de l'autre nichoir, continuent leurs incessants va-et-vient pour nourrir leur marmaille. Alors que, jusqu'à hier, nous étions persuadés que les bleues étaient nées avant les charbonnières. Nous sommes de piètres observateurs, dirait-on.


Lundi 18

Onze heures. – L'épisode tragi-comique du petit Chinois nous aura au moins appris une chose : personne ou presque n'en a rien à faire de la liberté, tout le monde ou presque est disposé à se laisser traiter comme une bande d'enfants irresponsables, et même à exiger de l'être encore davantage. Du moment qu'on nous laisse le droit d'applaudir chaque soir, à heure fixe, à nos balcons. En clair, nous venons, collectivement, d'administrer la preuve que nous étions mûrs, et même plutôt enthousiastes, pour n'importe quelle dictature à qui il plaira de nous mettre en rangs, pour peu qu'elle ait la bonne idée de nous fournir gratuitement les mouchoirs en papier destinés destinés à éponger nos larmes de reconnaissance.

Et je n'arrive pas à déterminer ce qui l'emporte dans cette pantalonnade, entre son côté comique – les pleurnicheries et les hurlements d'indignation des froussards – et son aspect tragique – cette soumission empressée aux contraintes les plus absurdes et les plus humiliantes, cette cavalcade enthousiaste vers la servitude volontaire.

Je suppose que cela doit dépendre de mon humeur du moment.

Plus tard. – Finalement, après mûres réflexions d'une trentaine de secondes, j'ai transformé ce qui précède en billet pour le blog. Quand je dis “transformé”, j'exagère considérablement : je me suis contenté de le transbahuter tel quel…

– Nous avons reçu, il y a quelques jours un petit mot fort laconique de Jean S., ancien reporter de France Dimanche, pas vu depuis de longues années (depuis qu'il a quitté le journal, en fait), petit mot par lequel je comprends qu'il continue à venir me lire, ici et sur le blog. À l'époque où nous vivions à Saint-Scolasse-sur-Sarthe, entre 1998 et 2000, nous le voyions souvent – en dehors de FD –, puisque lui-même avait une maison à Courtomer, soit à huit ou dix kilomètres de chez nous. Visiblement, d'après ce qu'indique son enveloppe postale, il habite maintenant dans un village de la Charente. Je lui ai aussitôt envoyé un himmel pour lui demander de nous donner des nouvelles un peu détaillée de lui-même et de sa famille, que nous connaissions également : pour l'instant, pas de réponse. Mais il est possible que l'adresse électronique que j'ai utilisée ne soit plus valable.

Six heures. – Bon, je viens de rouvrir les commentaires du blog-mère. en espérant que ces quelques jours de silence auront calmé tout le monde, je veux dire : les intervenants qui se croyaient autorisés à parler de tout et de n'importe quoi, à voix bien haute, exactement comme si je n'étais pas là. Bref, j'aimerais mieux que le dit blog ressemble davantage à une bibliothèque bien tenue qu'à la maison de quartier d'une banlieue émotive…

Sept heures. – Et voilà que Michel Piccoli trouve le moyen de mourir… d'autre chose que du petit Chinois. Vieux ringard, va !


Mardi 19

Dix heures. – Sur Causeur, le pénible cuistre Thomas Morales titre sa “nécro” de Piccoli : « Une conscience s'en va. » Piccoli, une “conscience” ? Et pourquoi pas un “phare de la pensée mondiale”, pendant qu'on est dans les boursouflures absurdes ? Je n'ai rien contre Michel Piccoli, excellent acteur ayant eu, me semble-t-il, une carrière très honorable. Mais enfin… c'est un acteur, quoi. De plus, la conscience en question ne s'est pas en allée : elle est simplement morte, comme tout le monde.

Midi. – L'un des très bons côtés du petit Chinois, c'est incontestablement l'annulation de toutes les manifestations culturoïdales qui endeuillent habituellement l'été français, depuis Avignon jusqu'aux Vieilles Charrues, en passant par toutes les prides que l'on a pu inventer pour faire un maximum de bruit dans un minimum d'espace. Hélas, il y aura tout de même des ratés dans ce beau silence tout neuf, puisque j'apprends que la grande et assourdissante beuverie qui absurdement se nomme “Fête de la musique” aura, elle, bel et bien lieu. On pourra toujours se raccrocher à l'espoir que, d'ici la mi-juin, le petit Chinois aura à cœur de lancer contre nous sa deuxième vague d'assaut, laquelle entraînerait l'annulation  de cette pénible démence collective. Mais il est bien mince, cet espoir, bien mince…

Trois heures. – Sur son blog, Guillaume Cingal reconnaît qu'il peine un peu à la lecture de Moi, le Suprême, roman du Paraguayen Augusto Roa Bastos. Voilà qui me rassure, moi qui, il y a quelques mois, ai été, par ce même roman, contraint au jeté d'éponge au bout d'une centaine de pages, lesquelles furent lues sans aucun plaisir. Dans ce genre de cas, il est toujours réconfortant de se dire que l'abandon ne fut pas forcément provoqué par une nullité personnelle…


Mercredi 20

Onze heures. – Les mésanges bleues ont quitté le nichoir ce matin. Je n'en ai vu que trois s'envoler, mais il n'y a pas de raison a priori pour que les autres n'aient pas fait de même. J'irai, demain, vérifier que les deux nichoirs sont bien vides de tout occupant, de façon à ce qu'ils puissent resservir aux deux mêmes couples lors de la “fournée” de juillet.

– Commencé à lire la Cyropédie de Xénophon, dans l'édition du centenaire des Belles Lettres.

Quatre heures. – Je trouve assez irritante cette mode – qui malheureusement semble se répandre chez de plus en plus d'éditeurs – consistant à publier des livres dépourvus de toute table des matières. C'est le cas par exemple de ce volume des Belles Lettres que j'ai commencé à lire tout à l'heure. Pourtant, la Cyropédie est divisée en livres : aurait-ce été un travail surhumain que d'indiquer au lecteur à quelles pages ils commençaient ? Le comble est atteint lorsque le volume contient des œuvres indépendantes les unes des autres. J'ai déjà pesté contre celui de Flammarion contenant neuf livres de Bernard Frank, livres que le malheureux lecteur doit chercher tout seul et à tâtons. Même chose pour le deuxième tome des nouvelles complètes de Richard Matheson chez J'ai Lu : pas moyen de trouver rapidement telle ou telle nouvelle précise (alors que le premier volume, lui, possédait bel et bien sa table des matières. Bref : “du boulot d'Arabe”, pour parler comme à l'époque pré-pénale.

– De l'influence pernicieuse de la bande dessinée : à cause d'Hergé et de son capitaine, il est quasiment impossible de rencontrer sans sourire, même dans un texte fort sérieux, le mot bachi-bouzouk.  Pourtant, en tant que cavaliers mercenaires de l'armée ottomane, il est probable que ces bachi-bouzouks ne devaient pas être spécialement comiques.


Jeudi 21, Ascension

Dix heures. – Les gens avec qui nous sommes bien forcés de partager cette planète me paraissent de plus en plus déprimants (effet de l'âge ?). Hier, Catherine téléphone à la toiletteuse de Charlus afin de prendre un rendez-vous. Cette sympathique dame, au bout d'une minute, sanglotait presque de gratitude d'avoir été en ligne avec quelqu'un qui lui parlait courtoisement, gentiment, etc. “Travaillée au corps” par Catherine, elle a fini par reconnaître que, depuis le déclaquemurage, elle était abreuvée de récriminations et d'injures, par tout un tas de fous furieux qui, l'insulte à la gueule, exigent que leur précieux toutou soit admis au salon séance tenante, et non dans deux ou trois semaines, comme l'afflux de tous les clients en même temps auraient pourtant dû leur faire prévoir. Même phénomène de l'autre côté de l'Atlantique : Adeline, la fille cadette de Catherine, et son homme, qui tiennent au Québec commerce d'engins bruyants et stupides (motos-neige, quads, etc.), sont eux aussi agonis d'injures, par téléphone ou par himmels, par des malades qui exigent d'être servis, livrés, comblés, quasiment dans l'heure et prennent le moindre délai comme un crachat dans leurs faces de crétins éructants.

– Jeudi prochain, premier vrai déclaquemurage pour moi, sous forme d'un déjeuner chez les Desgranges, lesquels, coup de chance, vivent à l'intérieur de “mon” rayon de cent kilomètres (mais peut-on vivre à l'intérieur d'un rayon ? J'en doute… Enfin, on m'aura compris).

Six heures. – Le compagnon de Renaud Camus, que j'ai toujours appelé, ici ou ailleurs, “Monsieur Pierre”, devient auteur chez Causeur : un article sur l'enseignement du fait religieux à l'école, article fort long, assez dense, et, malheureusement, écrit dans une langue qui aurait gagné à être moins “raboteuse”, plus fluide. Disons qu'il faut un peu s'accrocher pour le suivre. (D'un autre côté, s'accrocher à quelque chose de raboteux n'est sans doute pas hors de portée de l'honnête homme…)

Un peu plus tard. – Et voilà que, juste après celui de Monsieur Pierre, je lis l'article, toujours chez Causeur, d'une certaine Nidra Poller, vieille dame américaine qui serait écrivain et journaliste, et vivrait à Paris depuis près de 50 ans : son article est presque aussi long que le premier évoqué. La différence est que cette dame parle pour ne rien dire et dans une langue ridicule d'affectation, totalement artificielle à force de tournicotages. On pourra se rendre compte par soi-même ici.


Vendredi 22

Dix heures. – Je suis occupé à terminer Le Pont sur la Drina, roman d'une grande richesse et passionnant pratiquement de bout en bout. Il y a encore quelque temps, j'aurais sans doute tenté de transformer cette lecture en billet pour le blog-mère. J'aurais probablement tenté de montrer que ce fameux pont était bel et bien le “personnage” central du roman, l'axe qui lui confère son unité et sa cohérence (ou cohésion), en ce que non seulement il relie les deux berges de la rivière – ce qui est bien le minimum qu'on puisse attendre d'un pont, mais aussi qu'il met en contact tout autant qu'il les sépare les Serbes et les Bosniaques, c'est-à-dire, en gros, l'Orient et l'Occident, et qu'en plus de cela, il est le trait d'union entre les siècles, l'invariant de ce creuset toujours instable que sont les Balkans en général, et ce coin-ci en particulier. J'aurais aussi évoqué, très certainement, certains des nombreux personnages qui jalonnent cette foisonnante chronique, qui arrivent, agissent ou “sont agis”, puis disparaissent pour laisser place à d'autres, eux-mêmes sombrant dans l'oubli ou se transformant en légendes. Oui, j'aurais à l'évidence essayé de mettre un peu tout cela en forme.

Mais je n'en ai plus très envie.

Comme trace un peu pérenne de cette lecture, je vais tout de même en conserver une phrase et la placer en exergue du blog-mère, parce qu'elle m'a frappé lorsque je l'ai rencontrée :

Tous voulaient plus, exigeaient mieux ou craignaient pire.

Midi. – Dans ce qu'on pourrait appeler des Chroniques des temps asilaires (titre possible pour le journal de ce mois, d'ailleurs), je consigne ceci, que Catherine a lu chez Ternette : en Allemagne, les boîtes de nuit vont pouvoir rouvrir… mais il sera formellement interdit d'y danser.  Dans le même esprit, on pourrait laisser rouvrir les bistrots mais y prohiber toute boisson, rouvrir les églises mais gare à qui y serait surpris en train d'y prier, rétablir les maisons closes mais avec une stricte observance des distances de sécurité, etc.

Dans le même genre, Catherine est passée tout à l'heure chez l'horloger-bijoutier de Pacy afin qu'il installe une pile neuve dans le boitier de ma montre. Eh bien, il faudra y retourner demain pour récupérer la montre en question. Pourquoi ce délai absurde ? « Désolé, Madame : c'est le protocole… » Il y a donc, quelque part, dans un ministère inutile, un dérisoire crétin qui a jugé nécessaire que les montres passent désormais vingt-quatre heures dans le tiroir du réparateur avant que d'être rendues à leurs propriétaires. Sinon, gare à la recrudescence du petit Chinois !

Et la restitution, elle va s'opérer comment, demain ? L'horloger va me tendre ma montre au bout d'une longue pince métallique, préalablement passée à l'étuvée ? Il va la déposer sur le pas de sa porte et se barricader derrière son rideau de fer avant que j'aie le droit de m'approcher de sa boutique ? Et après quel délai dûment prévu et homologué aurai-je latitude de passer la montre à mon poignet sans provoquer l'ire de la maréchaussée aux aguets ?

Dieu sait que je ne suis nullement ennemi d'une existence délicatement saupoudrée d'inattendu, de cocasse, de saugrenu et même de complet absurde. Mais tout est dans le “saupoudrée” : si l'absurde devient la règle, et une règle dont on se sert pour me taper sur les doigts du matin au soir ; si la cocasserie est reçue et accepté avec un sérieux confinant à la dévotion ; si l'inattendu se mut en prévisible puis en obligatoire, il va advenir un moment, pas très éloigné d'ici, où les survivants au petit Chinois vont commencer, du fond de leurs douillettes cellules capitonnées, à regretter amèrement leur immunité.

Deux heures. – Presque coup sur coup, j'ai transformé les entrées de la matinée en deux billets sur le blog-mère : les ceusses qui parcourront ce journal d'ici huitaine vont probablement trouver que je charrie un peu, à leur fourguer la même daube sous deux emballages (à peine) différents. Ils auront raison, bien sûr, puisque le lecteur, tout comme le client, a toujours raison. Est-ce que cela me soucie ? Pas trop, ça va…

– Les comparaisons absurdes, celles qui, à première vue, ont l'air d'avoir un certain sens et n'en ont en réalité aucun : « Sur une année, les mails professionnels de 100 salariés représentent  [en dépense d'énergie, ndmm] l’équivalent de 13 allers-retours Paris-New-York en avion !  » C'est chez l'inénarrable René Paul, évidemment, notre virussophobe n°1, notre covidifuge de compétition. Et la quantité de slips que salit un homme durant toute sa vie adulte, ça représente combien de terrains de football, en superficie ? Et quelle distance pourrait-on parcourir si on mettait bout à bout tous les traits d'union superflus que les ignorants insèrent en New et York ? Et l'essence qu'on grillerait pour cela, elle équivaudrait à combien de mails professionnels de salariés ? car je suppose que les mails récréatifs des artisans dépensent moins d'énergie, ou davantage ; sinon pourquoi préciser ? Tout cela est bien mystérieux.

Six heures. – Je poursuis ma lecture de Xénophon, “tranquillement pas vite” comme dirait Catherine. La Cyropédie comprenant huit livres d'une petite quarantaine de pages chaque, je me contente d'un livre par jour : les Grecs anciens c'est comme les médicaments, il ne faut pas dépasser la dose prescrite. L'édition que j'ai est celle du centenaire des Belles Lettres (c'est marqué dessus : 100 ans). C'est une reprise de l'édition qui s'est étalée tout au long des années soixante-dix. Traductions et notes sont dues à un certain Marcel Bizos pour les livres I à V et à un non moins certain Édouard Delebecque pour les livres suivants. Bien entendu, je suis dans une double impossibilité de juger de la valeur de leurs traductions : impossibilité matérielle d'abord, car je ne possède pas le texte grec de Xénophon ; impossibilité linguistique ensuite puisque, le posséderais-je, je serais bien en peine d'en tirer quoi que ce soit. Mais enfin, vue par le seul bout de la lorgnette qui me soit accessible, je trouve ces traductions élégantes et fort agréables à lire. En revanche, les neuf dixièmes des notes de bas de page sont de pur bavardage, quand elles ne semblent pas s'adresser à des cancres de classes de seconde, incapables de comprendre ce qu'ils viennent de déchiffrer. Du coup, je me demandais si, reprenant une édition un peu ancienne, comme ici, un éditeur était juridiquement tenu de la reprendre “en bloc”, c'est-à-dire y compris ces notes trop souvent pitoyables. Ce serait la seule excuse que je trouverais aux Belles Lettres pour m'avoir infligé cela.


Samedi 23 – Saint-Didier

Onze heures. – La saison des cerises a commencé, elle fait ici deux catégories d'heureux : les merles qui viennent les manger dans l'arbre, et Charlus qui engloutit celles qui tombent dans l'herbe. Ce ne sera pas long avant que je ramasse des crottes fourrées aux noyaux, comme les autres années et avec les autres chiens…

– Terminé il y a un instant Le Pont sur la Drina. Je vais enchaîner avec le roman de Robert Penn Warren, arrivé il y a une dizaine de jours : La Grande Forêt.

Quatre heures. – Ça n'est pas mal, Richard Matheson, mais de là à en faire un génie, il faut n'avoir jamais rien lu d'autre que de la science-fiction, et encore : j'en connais de la meilleure. Bref, dans ces deux recueils que je viens de lire, j'ai trouvé un certain nombre de bonnes nouvelles (bonnes, sans plus…), mais aussi pas mal de déchet, et notamment des histoires de dix ou quinze pages dans lesquelles le lecteur comprend dès la troisième où l'auteur a décidé de le conduire. Voilà un écrivain auquel je ne reviendrai pas. Pourtant, j'avais gardé un bon souvenir de Je suis une légende… dont le volume a, comme il se doit, mystérieusement disparu d'ici.


Dimanche 24

Onze heures. – Suite au visionnage de l'émission, fort bien faite, qu'Arte a consacrée à Vassili Grossman je ne sais trop quand, et que j'ai trouvée hier sur Youtube tout à fait par hasard, j'ai ressorti les Carnets de guerre du même Grossman de “l'armoire aux Russes”. Je n'allais tout de même pas reprendre Vie et Destin, relu il y a à peine quelques mois : mon petit alzheimer n'est pas encore rendu à ce point. En revanche (?), j'ai abandonné à la moitié La Grande Forêt de Penn Warren, m'y ennuyant ferme.

– Nous voici repartis pour une nouvelle campagne électorale, puisque le deuxième tour des municipales – annulé pour cause de petit Chinois en mars dernier – devrait avoir lieu le 28 juin. Un sujet “non-covidien” mais qui ne m'intéresse pas davantage que s'il l'était. Du reste, il n'est pas impossible qu'une seconde poussée virale vienne de nouveau tout flanquer par terre ; ce qui serait plutôt amusant. On viendrait d'inventer les élections bégayantes.

Quatre heures. – En rangeant Penn Warren à sa place, mes yeux ont rencontré – plus bas et légèrement sur la droite – Joseph Roth. Et, soudain, rien ne m'a paru plus urgent, plus indispensable que de lui consacrer tout mon temps à partir de cette minute même. J'ai donc remisé provisoirement tout le monde (que Grossman et Xénophon me pardonnent !) pour me consacrer entièrement à lui. Il m'a semblé bien de l'attaquer “par la bande”, à savoir par la biographie de David Bronsen et par un choix de lettres de Roth lui-même, notamment celles à Stefan Zweig. Puis, une fois le terrain pour ainsi dire déblayé, je relierai quelques-uns des dix ou douze romans que je possède ici ; au moins quatre : deux romans “juifs” et deux romans “austro-hongrois”. À moins, évidemment, que ma fantaisie ne m'entraîne ailleurs dès demain…


Lundi 25

Trois heures. – Elle n'est pas très satisfaisante, cette biographie de Roth par Bronsen, elle ne l'est même pas du tout, en ceci qu'elle oscille constamment entre la biographie pure et l'essai universitaire… en tombant trop souvent du mauvais côté. Or, quand je lis la biographie d'un personnage, je n'ai pas envie qu'on me l'explique, qu'on me l'analyse : j'ai envie qu'on me le montre. Bref, je l'ai relu au galop et assez distraitement, avant d'enchaîner sur Roth lui-même, en commençant par son meilleur roman “juif” qui, suivant les traductions, s'intitule parfois Job (comme en allemand) et parfois Le Poids de la grâce, on se demande bien pourquoi.

– Demain, corvée : nous avons, Catherine et moi, tous deux rendez-vous au centre ophtalmologique de Vernon, à quatre heures moins le quart et quatre heures respectivement. Comme je serais fort surpris que ces gens soient ponctuels, on n'est sans doute pas près d'en ressortir. Sauf si cette équipe d'oculistes a décidé que le port du masque était obligatoire pour pénétrer dans leur sanctuaire, auquel cas j'annulerai mon rendez-vous et irai attendre Catherine dans la voiture.


Mardi 26

Onze heures. – Il est tout à fait intéressant d'examiner d'un peu près le changement  brusque d'attitude chez le blogueur pseudonommé René Paul. Lui qui n'a cessé de trembler de frousse depuis trois mois devant le petit Chinois, et qui, pour justifier à ses propres yeux la frousse en question, ne manquait jamais une occasion de nous prédire les pires catastrophes si jamais on s'avisait de trembloter moins que lui, voilà qu'on le sent désormais animé par une sorte de rage dont les fermentations remontent à la surface malgré lui. On sent que chaque “bonne nouvelle” qui parvient jusqu'à ses oreilles lui est une sorte d'offense personnelle. À l'inverse, il saute sur les “mauvaises” avec l'avidité d'un roi nègre sur les subventions du FMI : il fallait voir, hier ou avant-hier, sa jubilation mauvaise lorsque est apparue l'information selon laquelle la fameuse chloroquine du Pr Raoult serait en fait inefficace pour massacrer du Chinois… Tout cela est évidemment compréhensible : il est forcément plus confortable, moins dévalorisant pour son amour-propre, d'avoir peur d'une catastrophe réelle, tangible, plutôt que d'une simple fantasmagorie, d'un cauchemar d'enfant, persuadé qu'il y a un monstre dans son coffre à jouets, prêt à en jaillir pour le dévorer.

– Relu presque entièrement le Job (ou Le Poids de la grâce dans la traduction que j'ai) du Joseph Roth juif. Roman remarquable, dense, très beau, qui fait souvent songer à Isaac Bashevis Singer (chronologiquement, d'ailleurs, ce devrait plutôt être l'inverse). N'importe : il m'est déjà arrivé de lire des livres plus gais. Je vais enchaîner ensuite avec le Joseph Roth austro-hongrois : La Marche de Radetzky.

– Catherine a reçu un sms du centre ophtalmologique où nous nous apprêtons à aller perdre notre après-midi. Il était pour nous dire que le port du masque était fortement conseillé, si on en possédait. On va donc dire qu'il ne nous en restait qu'un et que, en mâle responsable, je me suis dévoué pour le laisser à ma compagne, forcément plus faible et apeurée… Et si, malgré tout, on commence à me chercher des poux dans la tonsure, je claquerai la porte et irai m'aérer sur le parking ; ou lire Roth dans la voiture.

Six heures. – Cela promettait d'être pénible : ce le fut. D'autant que l'essentiel de l'heure et demie que nous avons passée dans ce centre a consisté à attendre dans la salle portant ce nom, partiellement emplie de zombis résignés dont on ne voyait pas le visage (nous étions deux ou trois à trogne découverte, tout de même). La partie médicale elle-même se déroule en deux, voire trois temps, avec des personnes différentes et de nouvelles escales dans la salle de poireautage, si bien que le profane peine à comprendre ce qui se passe – et bientôt y renonce. Bref, c'est la dernière fois que nous mettons les pieds et les yeux dans ce centre que je qualifierais volontiers de “ ophtalmo illogique”.


Mercredi 27

Onze heures. – Contrairement à mes vieilles habitudes, j'ai sorti la tondeuse dès ce matin, en prévision de la chaleur annoncée cet après-midi (chaleur toute normande : pas plus de 25° timidement celsius) ; je m'en suis fort bien trouvé. Rentrant d'Évreux, Catherine n'a encore rien vu. Et, après ça, les femmes vont continuer à soupirer avec ce petit air condescendant qui n'est qu'à elle : « Ah ! les hommes… ça ne remarque jamais rien ! »

– Demain, journée chez les Desgranges, ma première vraie sortie depuis le Grand Claquemurage. Inutile, je pense, de préciser que les “gestes barrières” seront traités avec tout le mépris qu'ils méritent.


Jeudi 28

Huit heures. – Retour de chez Michel Desgranges + premier apéro depuis trois mois : j'ai l'impression de m'encanailler à mort, de me vautrer dans une orgie qui n'aurait nulle fin. J'y reviendrai demain : il y a deux ou trois choses drôles à noter, à propos du petit Chinois.


Vendredi 29

Quatre heures. – Récit “covidien” fort cocasse, fait hier par Agnès Desgranges. Son club hippique a pu rouvrir ses portes grâce au déclaquemurage partiel de la mi-mai ; elle y est donc retournée… pour s'apercevoir que, désormais, il ployait sous les contraintes absurdes, les interdits inexplicables, les consignes ubuesques. Apparemment, circuler dans son club est devenu l'équivalent de la course du rat dans le labyrinthe. Par exemple, vous quittez la sellerie, votre selle dans les bras (ou sur l'épaule : je ne suis pas spécialiste…) et il se trouve que votre cheval se trouve dans le box situé immédiatement à votre gauche, vous n'avez que trois mètres à parcourir… Ah, oui, mais non : le “parcours fléché” vous oblige à tourner à droite et, donc, à accomplir tout un périple imbécile avant de finalement retrouver votre bourrin.

Mais le plus joli est ceci. Il a été décrété que les cavaliers, une fois en selle et partis en balade, devaient respecter les distances de sécurité. “Les” ? Pourquoi “les” ? Parce que, quelque part, un Professeur Nimbus appointé, probablement bombardé sous-secrétaire d'État aux gestes barrières, s'est avisé que la nocivité du petit Chinois, son pouvoir de répandre la mort tout autour de lui, devait forcément être tributaire de la vitesse de son support vivant, tout comme peut l'être l'énergie chez Einstein. Conséquemment, la distance entre cavaliers doit être de trois mètres quand le cheval est au pas,  mais elle devient de cinq mètres lorsqu'il passe au trot et s'allonge même à 10 mètres en cas de galop. Des élucubrations d'autant plus élucubroïdales que, d'après la cavalière chevronnée qu'est Agnès, faire respecter ces distances aux diverses montures qui sont amenées à se rencontrer sur les chemins est chose parfaitement illusoire.

C'était ma rubrique : Rions un peu avec le petit Chinois. (J'avais, hier soir, promis “deux ou trois choses drôles”, mais j'ai manifestement oublié les autres…)


Samedi 30

Trois heures. – Avant-hier, je suis reparti de la thébaïde desgrangienne lesté d'une grosse pile de revues diverses, dont les “hors série” du Figaro ainsi que divers numéros du Figaro Histoire des deux ou trois dernières années, mais aussi quelques exemplaires de Causeur, de L'Incorrect, le dernier “opus” de la revue Éléments, etc. Je suis, depuis, occupé à lire ou à feuilleter (cela dépend du titre et du sommaire) tout ça. Et qui en pâtit ? Ce pauvre Joseph Roth, que j'ai abandonné abruptement au seuil de la troisième partie de sa Marche de Radetsky. Je ne serais pas étonné qu'il en tire argument pour picoler encore plus que d'habitude.

– Sinon, l'ex-maire du Plessis (ex de fraîche date, puisque la passation a eu lieu mardi) et notre voisin d'en face, désormais conseiller municipal, sont occupés à distribuer des masques gratuits à tous les heureux habitants pour les aider à lutter enfin efficacement contre le terrible petit Chinois. C'en devrait donc être fini de ces piles de cadavres en déshérence qui encombrent nos rues depuis près de trois mois et que, chaque nuit, viennent dévorer les hordes de chacals et de hyènes qui hantent nos forêts, comme chacun le sait…

Six heures. – Parmi les “hors série” dont je parlais devant, il en est un que l'équipe du Figaro a consacré à Proust, à l'occasion du centenaire de son prix Goncourt – en 2019, donc. Je n'ai bien sûr pas résisté à la pulsion d'ouvrir d'abord celui-là. Funeste erreur ! Il ne m'a, certes, rien appris, mais, depuis, je grésille de l'envie de me replonger dans La Recherche, ce qui ne serait pas raisonnable, confinerait même au “radotage de lecture”, si je puis dire. D'un autre côté, cela ferait du mal à qui, si je cédais à cette envie ? On verra demain ou après-demain, si jamais le désir perdure…


Dimanche 31

Dix heures. – Hé bé… rien ne s'arrange. Après le “hors série” consacré à Proust, je viens de lire – plus rapidement il est vrai – celui voué à Camus (Albert, natürlich…). L'intérêt fut un peu moindre, mais l'effet semblable : envie de relire cet auteur, qui ne m'attire pourtant guère d'habitude et que, de fait, je ne crois pas avoir rouvert depuis mes années de lycée. Voilà une pulsion à laquelle il m'est cependant plus facile de résister, dans la mesure où il n'y a ici aucun livre de Camus (toujours Albert…) ; il faudrait donc commencer par décider quel livre j'ai envie de relire, puis le commander, l'attendre… Au bout de tout cela, il y a de fortes probabilités pour que mon envie de Camus m'ait totalement quitté. Il serait donc beaucoup plus simple et rapide de déconfiner Proust, n'est-ce pas ? Bref : on fera le bilan de tout cela le mois prochain.

– Oublié de signaler que, ayant inspecté les deux nichoirs des mésanges, j'ai eu la bonne surprise de n'y découvrir aucun petit cadavre desséché. C'est donc tout à fait guilleret que je suis redescendu de mon échelle sur la pointe des pieds – ce qui, à la réflexion, n'était peut-être pas très prudent.

– Le roi François 1er s'entretenait avec Léonard de Vinci.
   Le président Emmanuel Macron téléphone à Jean-Marie Bigard.

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