V 70
Mercredi 1er août
Sept heures et quart. – Impossible de laisser passer le premier jour d'un nouveau mois sans une entrée dans ce journal pour l'accueillir. Donc, voilà.
Jeudi 2 août
Sept heures et demie. –
Je ne sais si c'est l'effet de mon presque arrêt du tabac, mais je n'ai
pas plus envie qu'hier de venir raconter je ne sais quoi ici. Je dis
“presque arrêt” car si Catherine, elle, a totalement abandonné la
cigarette, j'en fume encore quelques-unes lorsque je suis à Levallois,
mais m'abstiens totalement ici. En fait, oui : ce qui me rend d'humeur
assez morose, c'est la perspective de ce week-end que nous allons passer
chez mes parents sans fumer. Mais enfin, c'est comme cela : tout
allait trop bien, la vie s'écoulait trop facilement, il fallait sans
doute que nous trouvions quelque chose pour la corser un peu, la rendre
moins attrayante. Pour ça, la privation de tabac est en effet idéale.
–
Notre vie sociale confine ces derniers temps à la mondanité
outrancière. Après les deux ivrognes du Kremlin-Bicêtre (non, en
réalité, Claude vit à Villejuif) le week-end dernier, ce sera donc mes
parents et Yanka – à qui il faudrait bien que j'expédie un mail demain,
du reste – dès samedi. Mais, il y a deux jours, la Crevette nous a
proposé de venir déjeuner chez eux ce même samedi, invitation que nous
avons été contraints de refuser. Et voilà que coup de fil des Fernique
qui, interrompant leurs vacances cabourgeoises pour rentrer à Strasbourg
(pardon : sur Strasbourg…), nous demandent s'ils pourraient
faire escale chez nous vendredi ou samedi ! Samedi, impossible, donc ;
nous les verrons demain soir, ils dîneront et dormiront ici, avant de
repartir le lendemain, à peu près en même temps que nous je suppose. Au
milieu de toutes ces agitations, s'il y en a un qui ne fait pas le
malin, c'est notre régime “tout eau minérale”.
– Reçu aujourd'hui “Comme disent les imbéciles”, de Sarraute, que je n'attendais pas si tôt. Du coup, Les Confessions de Jean-Jacques, à peine rouvertes vont être refermées.
– Et la tondeuse du voisin soudain se tait…
Vendredi 3 août
Quatre heures.
– André et Béa devant arriver chez nous en fin d'après-midi, je viens
dans ce journal tout de suite, sachant que ce sera la dernière occasion
de la journée. Journée assez bien occupée : courses, ménage, tonte du
jardin, justement en prévision de cette visite. Non, j'exagère :
j'avais décidé de tondre aujourd'hui avant que les Fernique ne se
manifestent. Bref, je n'ai à peu près pas lu, à part une dizaine de
pages de Rousseau ce matin, pendant que Catherine était au presbytère.
Et comme demain matin nous partons pour Sedan, ce n'est pas non plus ce
week-end que je vais améliorer mon “rendement”. Sans importance.
–
L'idée d'aller à Sedan avec, dans la poche, les seules cigarettes
électroniques me gâche un peu la perspective. Non, parce que ça paraît
tout beau et très facile, les cigarettes électroniques, lorsque
quelqu'un vous explique en quoi ça consiste, mais que vous-mêmes en avez
toujours un paquet de vraies à portée de doigts. Lorsqu'il s'agit de
s'y mettre, c'est autre chose : on s'aperçoit très vite que le leurre ne
fait pas beaucoup illusion. En fait, et tout le monde le sait bien, la
seule solution pour faire disparaître l'envie de cigarette, c'est de
fumer une cigarette.
Dimanche 5 août
Cinq heures et demie.
– À Sedan depuis hier. Nous sommes arrivés à peu près à l’heure
qu’il est en ce moment, après un trajet rapide (Paris, puis autoroute
de l’Est) et sans encombre. Nous avons trouvé mon père dans une forme
très moyenne, et ma mère nous a donné de son état de santé des
nouvelles plutôt alarmantes (mais qui ne l’alarment nullement, elle, en
raison de la puissance de son déni). En gros, non seulement son cancer
des poumons ne régresse plus, mais il aurait même repris de la
vigueur, et, tout récemment, je ne sais plus quel type d’examen aurait
révélé la présence de nouvelles métastases ailleurs, dans d’autres
organes, mais sans qu’il soit possible encore de les localiser. Certes
je ne suis pas médecin, ni Catherine, mais il semblerait bien que le
cancer soit entré en phase de généralisation. Du coup, je me sentais
moins d’attaque pour réaborder avec ma mère la question d’un
déménagement rapide vers la Normandie : serait-ce vraiment bien
nécessaire d’en imposer à mon père les fatigues inhérentes, s’il lui
reste six mois ou un an à vivre ? D’autant que lui-même ne paraît
plus y tenir tant que cela : lors de la discussion, qui a finalement eu
lieu, au moment toujours propice de l’apéritif, il ne nous a nullement
appuyés dans nos arguments, et semblait même se désintéresser à peu
près complètement de la question.
Du reste, et c’est
peut-être ce qui est le plus attristant, il semble se désintéresser
d’à peu près tout. Comme s’il était déjà un peu ailleurs, un peu
au-delà. Comme dans la chanson de Kent, Je suis un kilomètre :
il tend à s'éloigner des choses. Un exemple : il y a quelques mois,
alors que nous étions ici, à Sedan, il m’avait dit avoir très envie
de s’acheter le nouveau modèle de chez Peugeot, la 5008, mais qu’il
craignait de ne pouvoir convaincre ma mère (et en effet, la tâche
s’annonçait peu aisée, surtout pour lui qui n’a jamais convaincu ma
mère que de choses dont elle s’était déjà persuadée elle-même
avant et toute seule...). Hier soir, après avoir compris que ma mère
ne déménagerait pas tant que la maison d’ici ne serait pas vendue,
Catherine et moi avons lancé la discussion sur le terrain de la fameuse
voiture, argumentant en faveur d’un “achat plaisir”. Dans un premier
temps, nous nous sommes rendu compte avec une certaine stupéfaction que
mon père ne lui avait même jamais parlé de ce désir qui l’animait
(on avait l’air malin...). Ensuite, en prenant cet air pincé qui
n’appartient qu’à elle, celui par lequel elle entend signifier qu’elle
se rend à l’adversaire, mais qu’elle ne le fait que contrainte et
forcée et non sans continuer à n’en penser pas moins, ma mère a fini
par laisser tomber : « Oh, mais après tout je m’en fiche ! Qu’il se
l’achète, sa voiture ! Tiens, tu iras la commander dès la semaine
prochaine, je le dis devant témoins... » À ce moment-là, mon père
qui n’avait encore rien dit s’est mis à rétro-pédaler comme un fou,
disant que non, il serait sans doute plus prudent d’attendre d’être en
Normandie, au cas où leur nouvelle et fort hypothétique maison
coûterait plus cher que prévu, etc. Sur le coup, ce “lâchage” en rase
campagne m’a presque indigné (oui, moi aussi je suis capable de me
transformer en indigné !), et puis je me suis aperçu qu’en fait mon
père ne désirait déjà plus cette voiture, que l’envie s’était
éteinte en lui aussi rapidement qu’elle y était apparue. Ce qui m’a
rendu plus triste que furieux.
– Aujourd’hui, en début
d’après-midi, nous avons traversé la frontière pour aller rendre
visite à Ygor Yanka, avec qui nous avons passé deux heures fort
agréables. Lui était très en verve, fort aise de pouvoir parler de
choses qui lui tiennent à cœur. Nous l’avons trouvé en excellente
forme, nourrissant divers projets dont je ne dirai rien ici, certains
d’ordres professionnels, d’autres plus personnels, voire intimes. De
plus, devant sa porte paradait sa toute nouvelle voiture, une Toyota
bleu électrique, vieille d’un certain nombre d’années et affichant
deux cent mille kilomètres au compteur, mais nantie d’un aspect
extérieur “sortie d’usine” tout à fait pimpant.
– Et
me voici, à presque six heures, assis à la table de la sale à manger,
devant l’ordinateur portable de Catherine, auquel je ne parviens
décidément pas à m’habituer – mais c’est tout de même mieux que
d’écrire à la main. Mon père qui s’était assoupi dans son fauteuil
(comme il lui arrive désormais de nombreuses fois dans la journée)
vient de s’éveiller pour s’inquiéter de l’heure qu’il est, avant de se
rendormir. Ma mère est dans l’autre fauteuil, occupée à remplir une
grille de sudoku, passion qu’elle s’est découverte récemment. Quant à
Catherine, elle est tout franchement allée se coucher “une petite
demi-heure” (elle en est déjà à cinquante minutes...), escortée par
Bergotte qui, comme d’habitude, ne la lâche pas d’une semelle.
–
Je crois avoir déjà dit ici que je ne supportais pas de rester plus
de deux jours en compagnie de mes parents, parce qu’ils m’énervaient
très vite. Ce n’est pas tout à fait exact, je crois. Le fait est que
voir mes parents vieillir, c’est-à-dire diminuer, m’attriste
profondément. Et, pour lutter contre cette tristesse, qui est fort peu
agréable, je n’ai pas trouvé d’autre moyen que de la transformer en
agacement (qui peut aller jusqu’à l’exaspération par moments),
sentiment beaucoup plus familier, anodin, et donc plus facile à
“gérer”. Évidemment, ensuite, je m’en veux de ce que je ressens comme
une sorte d’intolérance de ma part à leur endroit, d’étroitesse
d’esprit, défaut de compréhension, voire manque d’amour véritable.
Tout à l’heure, chez Yanka, à qui j’exposais l’échec total de notre
conversation d’hier, à propos du déménagement rapide, Catherine m’a
dit que, au moins, en l’ayant eue, cette conversation, cela
m’éviterait, après (on commence à parler par litotes : mauvais
signe), d’éprouver le remords de ne l’avoir pas fait. Je lui ai
répondu : « Ce remords-là, oui, sans doute. Mais ne t’inquiète pas,
je me sens parfaitement capable de m’en fabriquer d’autres, le moment
venu. » Elle m’a alors confirmé que l’on n’était jamais en manque de
remords, lorsqu’il s’agissait de la mort de ses parents.
–
Tout cela nous a conduits (mais sans transition brutale et pas sur le
mode rapace/cynique...) à parler d’héritage, de succession, etc., dans
la voiture en allant chez Yanka. Nous ne parlions nullement d’argent,
mais de modalité de transmission. À un moment, nous nous sommes
avisés de ce que, si je mourais avant ma mère, chose fort plausible vu
l’âge de sa mère à elle, ma part d’héritage reviendrait alors à
mon frère et à ma sœur, lesquels n’en ont et n’en auront sans doute
nul besoin. Catherine m’a alors dit, évidemment en plaisantant, que la
seule solution serait que nous adoptions un enfant. Je l’ai assurée que
je préférerais encore finir ma vie sous un pont même pas étanche.
C’est alors qu’une idée a jailli dans son cerveau peut-être un peu
surmené : « Tu n’as qu’à adopter Élodie ! » (Le père “biologique”
d’Élodie est mort voilà déjà quelques années.) Sur le coup, cette
idée m’a paru séduisante en raison même de son aspect farfelu. Mais,
cinq kilomètres plus loin, y ayant réfléchi plus sérieusement, je ne
la trouvais plus farfelue du tout. Sans même aborder le cas de mes
parents, en les laissant en dehors du raisonnement, le fait est que si
je meurs avant Catherine, hypothèse la plus probable, mes héritiers
naturels seront Philippe et Isabelle, qui gagnent bien leur vie tous les
deux et n’attendent évidemment rien de moi. Alors que si j’adopte
Élodie, ma très maigre fortune lui sera tout entière dévolue, à
charge pour elle d’aider sa mère financièrement si elle se trouve dans
la gêne. Catherine a illico téléphoné à sa fille (nous venions
juste de franchir la frontière) pour lui faire part de cette
mirobolante idée. Le hasard a voulu qu’elle la réveillât au milieu de
sa sieste, si bien que l’annonce qu’elle allait en quelque sorte avoir
prochainement un troisième père a commencé par la désarçonner
quelque peu. Puis, mieux réveillée, elle a rit, a dit à sa mère que
nous avions vraiment des idées de fous, et s’est préparée mentalement
à ajouter un troisième nom de famille aux deux qu’elle a déjà, l'un
en France, l’autre au Canada. Et lorsque j’ai coupé le moteur au pied
de chez Yanka, j’étais devenu le père adoptif putatif de ma
belle-fille. Quand il sera rentré de vacances, je demanderai à mon
avocat – l’ami de l’amiral Woland qui s’occupe de faire rendre gorge à
GdV – quelles sont les démarches à entreprendre pour que cette
adoption devienne réalité.
Lundi 6 août
Quatre heures et demie. – Soirée fort agréable, hier. Ma mère et moi avons évoqué beaucoup de souvenirs d'Allemagne, d'Algérie, et même de Châlons, bien que j'en aie pour ma part fort peu, puisque nous en sommes partis lorsque j'avais cinq ans. Nous avons quitté Sedan ce matin, aux environs de neuf heures et demie, et à une heure nous étions à la maison, le trajet s'étant déroulé sans incident et entièrement sur autoroutes et voies rapides. Après avoir déjeuné sommairement, je suis allé faire deux ou trois courses (il n'y avait plus rien pour l'apéritif de ce soir…), puis nous avons regardé (re-regardé en ce qui me concerne), la pièce de Sarraute, Pour un oui ou pour un non, filmée par Doillon et superbement interprétée par Dussollier et Trintignant. Actuellement, chacun de nous deux lutte comme il peut contre le sommeil, qui se fait insistant jusqu'à la lourdeur ; moi en venant babiller ici, Catherine en remplissant des grilles de mots fléchés au salon. Quant aux trois chiens et aux chats, ils n'ont même pas tenté de résister, et dorment.
Il faudrait que je
note l'histoire de mon vélo rouge, reçu en cadeau à Noël, dont ma mère
m'a fait ressouvenir, mais je n'ai pas le courage aujourd'hui.
Dix heures et quart.
– Long téléphonage et assez dur avec Isabelle. Au départ avec moi, et
donc pas trop dur, parce qu'évidemment je suis son frère aîné et donc
inattaquable. Mais, elle m'en veut de penser que notre père va mourir –
c'erst-à-dire qu'elle m'en veut de penser et de dire qu'il n'a plus
d'autre solution que de mourir, et en en effet c'est bien ce que je
pense –, tout en étant incapable de s'en prendre à moi, puisque je suis
son “grand frère”. Donc, ce soir, parce qu'elle était particulièrement
stressée par notre conversation téléphonique, elle s'en est prise à
Catherine, ce qui était évidemment beaucoup plus facile pour elle. De
son côté, Catherine vit très mal la future agonie (si je puis dire) de
mon père, parce que cela la replonge dans la mort de son propre père, il
y a dix ans. Le résultat est que j'ai récupéré ma sœur en larmes au
téléphone, puis Catherine en direct.
– Isabelle nous
reproche (et donc à Catherine, principalement, pour les raisons évoquées
plus haut) de dire qu'elle-même est “dans le déni”, par rapport à notre
père. Or, personne ne lui a dit cela, ni Catherine ni moi. Si bien que
l'évidence semble être qu'elle sait parfaitement l'être, dans le déni,
ou dans une forme de déni. Et, du reste, elle l'est en effet : elle
parle en boucle de tel scanner, elle répète trois fois ou plus les
lambeaux de connaissances médicales qu'elle peut avoir, qu'elle croit
avoir, et bien entendu ça ne change rien à l'état de mon père.
–
Du reste, et j'en parlais avec Catherine (avant qu'elle aille se
coucher presque complètement bourrée…), ça n'a même pas d'importance
que mon père ait ou non un cancer. Il va, le mois prochain, avoir 80
ans, son fils aîné (moi) en a 56 : qu'y a-t-il de scandaleux à ce que
cet homme meure ? Même si sa mort me crucifie en effet, pourquoi
s'agiter pour cela ? C'est ce que je me demande depuis deux ou trois
ans.
(Il s'est mis à pleuvoir, c'est extrêmement apaisant. Les trois chiens dorment dans la case, quasiment à mes pieds, etc.)
Mardi 7 août
Sept heures et quart. –
Journée fatigante, mais il est vrai que, suite à notre week-end,
j'étais déjà fatigué en la commençant. Comme nous sommes repassés en
mode abstème, cela devrait aller mieux demain, et c'est préférable car
il me tombe toutes sortes de travaux à exécuter pour Enquêtes et
il va convenir d'avoir l'esprit aussi alerte que possible. J'ai tout de
même réussi sans trop de peine à écrire les trois feuillets consacrés à
Claire Chazal que l'on me réclamait ce matin, et même un court billet à
propos de la pièce de Nathalie Sarraute. Au retour, mauvaise surprise :
l'A 14 était totalement fermée dans le sens Paris-province, ce qui m'a
obligé à descendre tous les quais de Seine jusqu'à l'entrée de l'A 13.
Je suppose qu'il en ira de même demain.
Mercredi 8 août
Huit heures moins le quart. – Je me suis laissé embarquer dans un boulot fleuve, du côté de chez Enquêtes,
dont je vois mal comment je vais me tirer, aux deux sens du verbe :
m'en tirer en refusant l'obstacle ou m'en tirer en réussissant l'article
au long cours (à paraître sur trois numéros…) que l'on attend de moi.
Il est à extraire, cet article, d'un assez gros livre paru en 1970, et
concerne une espèce de navigateur anglais qui, parti pour gagner le Golden globe (je viens d'écrire Golden blog…),
s'est contenté de faire des ronds dans l'eau de l'Atlantique sud avant
de disparaître de son trimaran purement et simplement, sans doute par
suicide. Le premier problème est que les histoire de mer, de marins, de
bateaux et de courses navales m'ennuient au plus haut point, ce qui
n'est pas se mettre dans les meilleures dispositions d'esprit pour
réaliser du bon travail. Ensuite, le livre se perd dans une foultitude
de détails et de personnages même pas secondaires, ce qui en rend
l'élagage particulièrement délicat. J'ai passé tout à l'heure une grosse
demi-heure au téléphone avec Catherine P., l'ancienne patronne d'Enquêtes,
qui l'est redevenue provisoirement pendant les vacances de
Rochechouart, si j'ai bien compris. Il est vrai que cette conversation
m'a plus ou moins rasséréné, même si elle n'a pas augmenté mon envie
d'écrire ce machin. En principe, Catherine P. et moi devons avoir une
nouvelle conversation vendredi. Là, nous mettrons une sorte de plan sur
pied (ç'a des pieds, un plan ?) et, surtout, motivation des motivations,
elle devrait me dire combien Rochechouart est disposé à me payer pour
ce travail. Pour bien faire, il faudrait que je me fixe un seuil en
dessous duquel je refuserai d'écrire l'article. Mais c'est impossible
puisque ce n'est que vendredi que je saurai sa longueur globale, et donc
la quantité de travail à fournir. Bref, je patauge, tout comme mon
Donald dans ses quarantièmes rugissants.
– Cette
Catherine P., je l'ai brièvement connu en 1990, lorsque j'ai recommencé à
produire des BM, après une interruption de trois ans : elle était
l'auteur du synopsis de celui qui s'intitule Le Justicier du Bois de Boulogne,
que Bernard T. m'avais chargé d'écrire. Elle devait également me
fournir le suivant, mais à ce moment-là sa carrière a rapidement décollé
à Enquêtes et elle a cessé d'en faire. Du coup, sur la
suggestion de Bernard T., je me suis mis à les imaginer moi-même, ce qui
était beaucoup mieux. Et plus lucratif.
Jeudi 9 août
Sept heures et demie. – Journée plutôt productive, puisque j'ai écrit les sept mille signes du papier “animaux” que je devais à Enquêtes,
puis j'ai fini de lire et d'annoter les quatre-vingts pages du livre
dont je parlais hier, afin d'être prêt demain matin, lorsque Catherine
P. va m'appeler pour que nous en parlions. Le fait de l'avoir terminé me
fait paraître la tâche un peu moins insurmontable, mais pas beaucoup
plus désirable pour autant. Le problème est qu'il faut bien, de temps en
temps, gagner sa vie.
– Plus agréable et, j'espère, plus intelligent : j'ai terminé “Disent les imbéciles”, de Sarraute, et commencé Tu ne t'aimes pas, de la même. En outre, j'ai signalé à Catherine, à toutes fins utile, que j'avais mis dans mes “envies de cadeaux” d'Amazon, le volume de ses œuvres complètes dans la Pléiade…
Vendredi 10 août
Sept heures et demie. – Conversation d'une demi-heure, ce matin, avec Catherine P. à propos du (très) long article qu'il est prévu que j'écrive pour Enquêtes.
Il sera donc en trois volets, d'environ douze mille signes chaque, et
le but de cette conversation était de fixer un découpage plus ou moins
précis de ces trois parties. Cela a été fait et, du coup, je me sens
déjà moins embarrassé pour les écrire. Le livre qui sert de base à tout
cela étant un invraisemblable foutoir, j'ai décidé, pour chaque épisode,
de procéder en deux étapes : dans un premier temps, je vais relire
toutes les pages qui concernent directement ce que je dois mettre dans
tel chapitre, en recopier les phrases, les paragraphes utiles, accumuler
les matériaux en tâchant de les ordonner suivant le plan. Et, le
lendemain, je passerai à l'écriture proprement dite, l'idéal étant, à ce
stade, de n'avoir plus du tout besoin du livre. En ce qui concerne le
premier volet, ces deux étapes auront lieu demain et dimanche.
Là-dessus,
Catherine P. m'a annoncé qu'elle n'avait pas encore joint Rochechouart
pour lui parler du montant de ma pige, ce qui ne me convenait qu'à
moitié. Mais elle m'a assuré qu'elle me rappellerait avant la fin de la
journée. Une ou deux heures plus tard, c'est Rochechouart lui-même qui
m'a téléphoné de son lieu de villégiature estivale. Il commence par me
parler du tarif habituel, quatre cents euros, plus un bonus de cent pour
la lecture du livre. Je lui dis tout net que non, qu'à mon avis ce
travail vaut au moins cinq cents euros par volet, plus les cent de
bonus. Réponse évidemment stupide de ma part : lorsqu'on dit à un
rédacteur en chef que l'on veut au moins cinq cents euros, il
entend simplement : cinq cents euros. Et il a accepté avec un tel
empressement, ne faisant pas semblant d'hésiter plus de vingt secondes,
que, comme souvent quand je suis placé dans ce type de situation que
j'exècre, la “négociation”, je me suis dit qu'il aurait probablement
accepté de me donner davantage que les mille six cents euros qui vont
finalement m'échoir. La cerise sur le gâteau – et là encore c'est
habituel chez moi –, c'est que j'ai ensuite la certitude que je vais
passer pour un guignol, au moins sur le plan financier, une sorte de
bouseux un peu niais que ces messieurs de la ville peuvent rouler dans
la farine comme ils l'entendent, et sans se priver de se foutre
copieusement de lui dès qu'il a le dos tourné. Enfin…
– Ayant terminé en début d'après-midi Tu ne t'aimes pas de Sarraute, et n'ayant plus de livres d'elle pour le moment, je me suis décidé à ouvrir La Route des Flandres, qui se trouve là depuis maintenant un mois ou deux, si ce n'est davantage. Comme cela avait déjà été le cas pour La Bataille de Pharsale,
j'ai eu un peu de mal avec les dix premières pages, puis le roman m'a
happé d'un coup et j'en ai lu quatre-vingts pages d'une traite. J'en
suis ressorti tout bouillonnant du désir de venir noter, au moins dans
ce journal, l'enthousiasme qui était, qui est le mien, et surtout de
tenter de dire son pourquoi. D'où une certaine frustration irritée
lorsque je me suis rendu compte que je n'y parviendrais pas. (Et au
moment où j'écris cela, mon impuissance m'énerve de nouveau, comme une
piqûre d'ortie qui se faisait oublier et qui se ravive parce qu'on l'a
effleurée du bout des doigts sans y penser.)
– En
principe, j'aurais également dû tondre le jardin, mais quand je me suis
trouvé disponible pour cette tâche-là, en milieu d'après-midi, je me
suis avisé qu'il faisait déjà trop chaud pour s'y livrer. J'ai d'abord
remis à demain matin, avant de me me dire que, l'herbe ne poussant plus
depuis environ une semaine, elle pourrait bien, s'il ne tombait aucune
pluie d'ici là, attendre le week-end prochain. Donc, nuages bulbeux et
noirs, merci de passer au large.
Samedi 11 août
Sept heures et demie. –
Journée fatigante, industrieuse et finalement plutôt frustrante. Ce
matin, j'ai donc commencé à me livrer au travail préparatoire à mon
article, tel que je le décrivais hier. Je pensais devoir y consacrer
plus ou moins la journée, en fait à une heure ou une heure et demie,
c'était terminé. J'ai donc décidé que j'avais bien mérité une pause,
voire un après-midi de repos. Sauf que, essayant de lire au salon, je me
suis aperçu que je ne comprenais rien à ce que je lisais, mon esprit
restant entièrement pris par ce maudit article à écrire. Il faut dire
que quand on a l'esprit ailleurs Claude Simon n'est pas l'auteur idéal.
J'ai donc décidé, pour tenter de me changer les idées, ou pour mieux
dire de me les nettoyer, d'aller tondre le jardin. Ce fut fait en un
tournemain (à ce propos, j'avais oublié de le noter, j'ai été surpris de
m'apercevoir, à deux reprises et dans deux romans différents, que
Sarraute confondait apparemment tournemain avec tour de main),
et je retournai, l'âme plus sereine, m'installer dans mon fauteuil ;
j'étais tellement serein que je m'y endormis aussi sec. À mon réveil,
vers trois heures et demie, toujours incapable de penser à autre chose
qu'à mon marin fou, je revins à ce clavier pour tenter d'en écrire au
moins les deux ou trois premiers paragraphes. Finalement, à cinq heures
et demie, le tiers de l'article était fait. Ce qui aurait dû engendrer
une certaine satisfaction a au contraire fait naître la frustration dont
je parlais car, d'une part ce premier tiers emplit à lui seul la moitié
de l'espace maximal qui m'a été imparti, et d'autre part j'en suis
sorti avec la quasi certitude d'avoir pondu une grosse bouse informe et
fadasse, ne contenant pas le cinquième voire le dixième de ce qu'il
aurait fallu y mettre. Sagement, j'ai décidé de ne rien relire et de
laisser reposer jusqu'à demain.
– Sur ces entrefaites,
parce que Catherine, sans doute, en avait mal refermé la porte, le
congélateur a rendu l'âme. Après avoir tant bien que mal entassé ce qui
s'y trouvait – et n'avait pas eu le temps de décongeler – dans le
compartiment idoine du réfrigérateur, cette même Catherine est descendue
à Pacy pour en acheter un autre. Elle est remontée vers cinq heures, et
le livreur du magasin a suivi une heure plus tard avec l'appareil neuf.
C'est tout de même beau, le petit commerce de proximité. L'engin nous a
coûté la modique somme de 399 euros, ce qui, à peu de chose près,
correspond à la pige que je vais toucher le mois prochain pour l'article
que je vais tâcher de finir demain.
– Le miracle est
que, au milieu de toutes ces consternantes âneries, j'ai tout de même
réussi à lire une quarantaine de pages de La Route des Flandres.
Dimanche 12 août
Huit heures vingt. –
Évidemment : huit heures vingt pour venir ici signifie : soirée où
l'eau pure n'a pas régné en maîtresse. Et, en effet, elle n'a pas. Je
n'ai ni le courage ni l'envie de remonter jusqu'à hier, mais il me
semble que j'avais annoncé que je prendrais l'apéritif ce soir. (Ah,
non, pas ici : c'était en conclusion d'un petit billet idiot.)
Bref. J'ai passé l'essentiel de ma journée à écrire ce putain d'article
dont je parlais hier. J'en ai tiré quelques souffrances et, plus ou
moins paradoxalement, du plaisir.
J'aimerais bien
expliquer ce que je viens juste de dire, mais ça n'est pas très facile.
Enfin, pour toute personne qui n'est pas écrivain en bâtiment. Il me
semble que nous (les écrivains en, etc.) souffrons comme les vrais
écrivains, et peut-être plus dans la mesure où nous savons que nos
douleurs n'engendreront rien d'intéressant. Du coup, rapidement, on
s'aperçoit qu'on souffre pour rien, qu'on est même un petit peu ridicule
: les écrivains ont des cancers, nous des panaris. Un panaris fait
beaucoup plus mal qu'un cancer, généralement. Mais ça ne tue pas ni ne
rend intéressant : ça fait simplement souffrir et ça ne sert à rien : du
pus qui s'écoule.
Bon, stop ! Voilà une chose dont je
crois n'avoir jamais parlé ici : de la difficulté à écrire après boire.
De la manière dont l'esprit (s'il y en a un) s'enroule sur lui-même, se
regarde comme suprême, enchaîne une idée à peine exprimée à une autre
inintelligible, etc. L'intelligence de l'homme saoul (si réduite qu'elle
puisse être au départ) s'embobine elle-même, répète à l'envi ce qu'elle
a à dire de plus sot et ne se rend compte de rien.
Et
alors voilà le problème de l'homme dont je parle, lorsqu'il clôt un
paragraphe et passe à la ligne : bon dieu de bon dieu, de quoi est-ce
que je pouvais bien essayer de parler il y a cinq minutes ?
Ah,
oui, évidemment, il (je) voulait parler des 15 000 signes dont il était
venu à bout, aux alentours de cinq heures de l'après-midi.
Interruption
: coup de téléphone d'Isabelle. Sans importance au départ, juste pour
me dire que notre rencontre du week-end du 25 ne lui convenait pas
tellement. Notre conversation aurait dû durer trois secondes, dans la
mesure où je lui ai immédiatement répondu que cela m'arrangeait encore
plus que nous annulions (en raison de ce putain d'article en trois
épisodes, dont je me demandais comment j'allais pouvoir faire le
troisième).
Là-dessus, évidemment, nous nous mettons à
parler de nos parents, et notamment de mon père. La conversation à bien
duré une heure ou presque. Elle m'a été précieuse. Isabelle m'est
précieuse, de toute façon, et depuis très longtemps. Nous nous sommes,
je crois, trouvés à peu près d'accord quant à nos parents, et par
moments j'avais les larmes aux yeux et j'essayais que ça ne se sente pas
dans ma voix, parce que tout de même c'est moi le grand frère – mais je
me doute qu'Isabelle l'entendait bien.
Lundi 13 août
Huit heures. – L'heure d'arrivée ici est un peu tardive, non pour cause d'apéritif (bizarrement) mais parce que je viens de passer trois quarts d'heure à écumer le site Volvo dans ses tréfonds. Olivier, le mari d'Isabelle, nous conseille plutôt la V 70 que la XC 70, au motif qu'elles se ressemblent beaucoup mais que la première coûte cinq mille euros de moins : je viens d'aller comparer, il a parfaitement raison. Bizarrement, Catherine semble plus excitée que moi par la perspective de cette nouvelle voiture, de notre “transfert” chez les Suédois. Ce qui ne veut pas dire que je ne le sois pas, excité, puisque j'ai toujours eu plus ou moins envie d'avoir une Volvo ; mais enfin, elle plus, depuis quelques jours.
– Journée tranquille à FD. D'abord
parce que j'étais pratiquement tout seul sur la route à l'aller comme au
retour, et ensuite parce que j'ai eu deux feuillets à écrire sur
Adjani, ce qui m'a pris à peine plus d'une demi-heure. Arrivé à onze
heures moins le quart, j'en suis reparti à quatre heures ; et encore, en
ayant passé près d'une heure dans la salle de réunion, à lire Les Confessions de Jean-Jacques.
– Cet après-midi, trouvant sur Price Minister,
site où je n'étais encore jamais allé, un exemplaire de Sarraute en
Pléiade à 38 euros au lieu de 66, j'ai décidé que ça ne valait pas la
peine d'attendre Noël pour me le faire offrir par Catherine et je l'ai
commandé. Ce qui est un peu bête c'est que, dans le même temps, deux
livres de la même arrivaient à la maison, commandés par moi il y a deux
semaines, avant que je ne me décide pour la Pléiade. Je pense que je
vais les offrir à Nathalie (de FD).
– Aucune nouvelle
de Catherine P., à qui j'ai envoyé la première partie de mon
article-fleuve dimanche en fin d'après-midi. Comme je l'ai dit à
Catherine (la mienne…) : « Soit elle en reste muette d'admiration, soit
elle est tombée en dépression après avoir lu cette bouse… » Le pis est
que je ne plaisantais qu'à moitié. C'est tout de même curieux, à mon
âge et après plus de trente ans de métier, ce besoin que j'ai d'être
rassuré, presque materné, dès que j'écris un truc sortant un tout petit
peu de mon ordinaire. Et même quand ça n'en sort pas du tout,
d'ailleurs. Je parcourais tout à l'heure une interview d'Amélie Nothomb
(dont je n'ai par ailleurs jamais lu une ligne des romans) dans laquelle
elle disait, mais c'était peut-être de la coquetterie, qu'elle avait
peur qu'un jour les gens se réveillent et s'aperçoivent qu'elle n'est
qu'un clown belge et pas du tout un écrivain. Eh bien, à mon petit
niveau, c'est un sentiment, s'il est sincère chez elle, que je comprends
fort bien.
Mardi 14 août
Sept heures et quart.
– Rien à noter ici, sinon que j'ai dû, toute la journée, partager mon
bureau avec une pigiste que je ne connaissais pas et qui avait deux
qualités : elle n'était pas désagréable à regarder et elle était
parfaitement silencieuse.
– Dans un Nième communiqué,
ce matin, le parti de l'In-nocence en appelait carrément à la résistance
contre l'islam et à une sécession nette entre lui et nous. Je me suis
fait un plaisir de relayer ce communiqué sur le blog-mère. Depuis, la
discussion bat son plein et certains se croient déjà dans les maquis.
Cela dit, notamment les plus jeunes d'entre eux, et encore plus ceux qui
ont des enfants, ils n'ont sans doute pas tort de se préparer sinon au
pire (mais c'est quoi : le pire ?) du moins à des choses fort
désagréables. En arriver à se réjouir de sa propre mort presque
prochaine, parce qu'elle vous évitera sans doute d'assister à ce qui
vous désespère, voilà une réaction que je ne m'attendais pas, jusqu'à
récemment, à éprouver dans le cours de ma vie.
– À part ça, il fait beau.
Mercredi 15 août
Sept heures et demie.
– Cette pauvre Rosaelle va finir par me faire pitié, à force. Aveuglée
par la merveilleuse image qu'elle a d'elle-même, elle ne se rend
absolument plus compte de rien, et notamment pas qu'en dehors de trois
guignols qui lui ressemblent, elle est en train de devenir la risée de
la blogosphère (enfin, bon : d'une partie…). Les blogueurs de tous bords
s'échangent des mails privés pour se signaler sa dernière perle parue
avec des gloussements de joie et des tremblements d'impatience. En plus
de ça, elle est désormais affligée de deux ou trois trolls (et je sais
de qui il s'agit) dont elle ne s'aperçoit même pas qu'ils en sont,
simplement parce qu'ils délirent dans le même sens qu'elle mais,
évidemment, en allant encore plus loin. Et, par-dessus tout, la
principale caractéristique de cette malheureuse, au fond, c'est un
inextinguible besoin de reconnaissance : elle veut être quelqu'un, une
femme importante, lue, influente, etc. Je l'imagine très bien passant
l'essentiel de ses journées, la pupille dilatée et rivée à ses douze
compteurs de visites. D'un autre côté, pendant qu'elle est occupée à
produire presque à la chaîne ses baragouins de semi-démente
(idéologiquement démente, s'entend), elle doit foutre la paix à son mari
et à ses enfants : peuvent nous dire merci, ceux-là.
–
Catherine P. m'a envoyé un mail pour me dire, à propos du premier volet
de mon article fleuve, que, l'exercice étant “horriblement difficile”,
je m'en étais tiré aussi bien qu'il était possible – ce dont je ne suis
pas persuadé du tout, mais enfin, si le commanditaire est satisfait ou
se déclare l'être… Il me reste à écrire la deuxième partie le week-end
prochain, et la fin le suivant.
– Ce matin, impression
de disposer de l'autoroute pour moi seul : c'était presque trop ; ou pas
assez, selon le point de vue adopté.
Vendredi 16 août
Sept heures et demie. – Nous sommes revenus d'Évreux avec la nouvelle Volvo pratiquement en poche, si je puis dire. Si nous n'avons encore rien signé, c'est que je tenais à m'assurer avant, auprès du concessionnaire Renault, que la reprise de la Mégane se ferait au jour dit et sans douleur financière excessive – ce dont je vais m'occuper dès lundi. Nous avons donc opté pour la V 70, moteur de 163 chevaux. Avec les deux ou trois options indispensables à mes yeux, le véhicule nous coûtera 43 000 euros. Ou plutôt nous aurait coûté car le vendeur – alors que nous avions la bêtise consternante de ne rien lui demander – nous a spontanément offert une remise de 10 %, ce qui ramène la voiture à 39 000 euros. Un crédit de cinq ans (après un apport personnel de 8000 euros) mettra les mensualités à 700, ce qui ne fait que 200 de plus que ce que nous payons actuellement. Évidemment, après ce petit tour de passe-passe, nous n'aurons plus un sou en banque ; mais comme les banques vont sans doute s'écrouler prochainement, nous n'aurons ainsi rien à regretter.
– Sur le front des rentrées,
maintenant. Catherine P. m'a appelé tout à l'heure, pour me dire qu'elle
avait finalement décidé de reprendre mon texte plus en profondeur afin
de le clarifier. J'ai commencé par en être un peu (et sottement)
froissé, mais je me suis rapidement rendu à ses raisons : tirer un récit
intéressant et clair pour les lecteurs à partir du fatras innommable
qu'est le livre d'origine nécessite plusieurs “couches d'écriture”, pour
parler comme Renaud Camus. Et le rewriter que je fus si longtemps sait
parfaitement qu'il est beaucoup plus facile à quelqu'un d'autre que le
premier auteur de donner la seconde couche. La conséquence est que la
parution est repoussée d'une semaine et que, donc, le second volet que
je croyais devoir écrire demain et après-demain est remis au week-end
suivant. J'en étais encore à savourer la perspective de ces deux jours à
ne rien faire lorsque le téléphone a sonné de nouveau. C'était Étienne
T. qui voulait savoir si je pourrais lui écrire une page “animaux” pour
le prochain numéro d'Enquêtes. J'ai évidemment dit oui. Si tout
le monde, là-bas, se ligue pour payer la Volvo à ma place, je ne vois
pas pourquoi je viendrais me plaindre.
– Ce matin, ayant terminé hier La Route des Flandres, j'ai commencé à lire L'Inquisitoire,
de Pinget. Pas longtemps : la factrice, dans une courte halte devant
notre portail, a déposé le Pléiade de Sarraute dans la boîte aux lettres
; je me suis précipité dessus, ou plutôt dedans, et ce pauvre Pinget a
réintégré la pile d'attente qu'il venait à peine de quitter.
–
Sinon, il s'est mis à faire très chaud. Il y a quelques minutes,
Catherine, comme il lui arrive régulièrement dans ces cas-là, a décidé
d'arroser les chiens. Le problème est que, désormais, lorsqu'il la
voient en maillot de bain se diriger vers le tuyau d'arrosage, tous les
trois se carapatent dans toutes les directions et il devient fort
difficile de les faire revenir. Mais enfin, à force d'obstination, elle
a fini par y arriver, comme toujours.
Samedi 18 août
Sept heures vingt. –
Chaleur de bête depuis le début de l'après-midi : environ 36° (notre
thermomètre n'est pas installé dans les règles de l'art, d'où la
prudente incertitude). Catherine, sous la fenêtre de ce bureau, est
occupée à passer les trois chiens au jet ; ils apprécient modérément
mais leur maîtresse a décrété que cela leur faisait du bien… Et c'est un
concert de « Bergotte au pied ! Elstir pousse-toi ! Swann assis ! », ad lib.
– Ce matin, comme prévu, appel téléphonique d'Étienne T., le jeune responsable des pages “froides” d'Enquêtes, pour parler de l'article
que je dois écrire pour lui. Il avait un plan, j'en avais un autre, il
s'est rendu au mien sans faire de façon ; notre entretien fut donc assez
bref. J'écrirai cela demain matin, le plus tôt possible, avant le
retour de la chaleur.
– Car nous avons vécu la journée,
en tout cas sa seconde partie, soigneusement calfeutrés et dans une
rigoureuse immobilité. À part les deux heures que nous avons passées
devant la télé à revoir Urga, le film de Mikhailkov, je n'ai rien
fait d'autre que lire Sarraute dans le volume de La Pléiade reçu hier
ou avant-hier (non, hier) ; d'abord la suite des “essais et conférences”
commencés hier, puis Tropismes. Et j'ai également parcouru les préfaces de Bruges-la-Morte et du Chagrin des Belges, arrivés aujourd'hui.
–
La Case s'étant transformée en simili-fournaise dès la mi-journée, je
ne suis pratiquement pas allé lire mes blogs accoutumés et m'en suis
fort bien porté. Il en ira probablement de même demain, et sans doute
encore lundi.
Dimanche 19 août
Sept heures vingt. –
Journée en tous points semblable à celle d'hier, hormis le coup de
téléphone professionnel du milieu de matinée. Il n'y a d'ailleurs pas de
quoi se flatter de cette gémellité dans la mesure où j'étais censé me
débarrasser ce matin du travail qui m'a été confié hier ; ce sera donc
pour demain. Sinon, similitude parfaite du point de vue de la lecture,
puisque j'ai continué avec Sarraute (Portrait d'un inconnu), et
sur le plan cinématographique, dans la mesure où Catherine et moi avons
comme hier interrompu notre lecture vers quatre heures pour aller
regarder un film. Aujourd'hui : La Comtesse de Hong-Kong.
–
Depuis plus de quarante ans, j'avais toujours refusé de voir l'ultime
film de Chaplin : je pressentais, en m'appuyant sur ce que j'avais pu en
lire ici ou là, qu'il allait cruellement me décevoir, et je refusais
d'être déçu par Chaplin. Je comprends mieux le bien fondé de ma position
désormais, après avoir vu cette comédie poussive, boulevardière, où
l'agitation tient lieu de rythme. Ôtez Chaplin de l'affaire, transportez
le film de nos jours, remplacez Sophia Loren et Marlon Brando par
Sandra Bullock et Hugh Grant : personne ne verra la différence, vous
obtiendrez une comédie comme Hollywood en produit dix par an. J'ajoute
n'être pas certain que Grant ne s'en tirerait pas mieux que Brando, qui a
drôlement bien fait de s'en tenir là (à ma connaissance) dans le
registre de la comédie.
Lundi 20 août
Sept heures et quart. – Les grosses chaleurs (canicule,
en langage journalistique) de ces jours derniers ont nettement refluées
aujourd'hui, en tout cas en Normandie. Je ne sais où elles sont parties
faire suer mes contemporains mais je leur souhaite bon vent. Ce qui m'a
permis, entre onze heures et demie et une heure et demie,
approximativement, je ne me chronomètre pas non plus, de boucler les
quelque neuf mille signes que je devais au jeune Étienne T. ; qui, par
retour de mail, s'est déclaré satisfait de ma petite production.
–
Envoyé un mail au seigneur de Yanka pour l'avertir que je lui
expédierai demain deux enveloppes contenant chacune deux livres de
Sarraute au format “poche” : maintenant que je possède la totalité de
ses œuvres dans la Pléiade, et la saturation de mes bibliothèques étant
ce qu'elle est, il est inutile que je m'encombre de doublons. Les autres
Sarraute, je les apporterai demain au bureau, sachant que Nathalie et
Eugénie en feront leur miel.
– À propos toujours de Sarraute, relisant son essai sur Dostoïevski et Kafka, qui ouvre L'Ère du soupçon,
j'ai été de nouveau frappé par la façon dont, à propos du Russe (mais
aussi de Proust), elle s'approche vraiment très près de René Girard, et
ce dix ans avant la parution de Mensonge romantique et vérité romanesque
: on sent que le terrain était labouré et fertilisé, que le désir
mimétique n'avait plus qu'à paraître. J'avais prévu de noter ici un
paragraphe ou deux afin de tenter de mettre en lumière ce que je viens
d'affirmer, mais j'ai évidemment, comme deux fois sur trois, oublié le
volume dans le salon et n'ai guère le courage de retourner le chercher :
on fera l'effort de me croire sur parole. J'avais même comme une vague
envie d'en faire un petit billet, mais Catherine m'a plus ou moins
signifié, fort gentiment certes, que mes considérations sur Sarraute, ça
commençait à bien faire…
– Puisque j'en suis à évoquer
le blog-mère, le pseudonommé Frédi Maque, qui me faisait la grâce de
son absence depuis près d'un mois, est réapparu brutalement hier soir.
Je ne sais s'il avait bu ou quoi, mais il a laissé coup sur coup quatre
commentaires sans queue ni tête. J'ai pris comme un coup de sang (la
chaleur ?) et je les ai tous supprimés. Comme il revenait à la charge,
je lui ai assez rudement dit qu'il commençait à me les briser menu, pour
parler comme Ventura, et j'ai réactivé la “modération” des commentaires
afin de m'en débarrasser. Ce qui ne l'a pas empêcher, ses commentaires
passant systématiquement à la trappe, d'en redéposer encore six ou sept
comme si de rien n'était. Serait-il fou ?
Fou, sans
doute pas, non. Mais j'ai parfois l'impression qu'il a établi avec moi
des rapports d'adoration-haine assez dostoïevskiens, justement : il est
mon homme du souterrain et je dois être son Zverkov. Je ne peux pas dire
que cela m'enchante particulièrement.
– Demain,
comme chaque semaine, retour à Levallois pour trois jours. Voilà déjà
huit mois que j'ai endossé mon nouveau costume de rédacteur, et aucune
lassitude n'est à déplorer pour le moment.
– L'herbe du
jardin est depuis quatre ou cinq jours d'un jaune réjouissant, en ce
sens qu'il repousse l'échéance d'une prochaine tonte à une date
heureusement indéterminée ; sauf sur l'arrière de la maison, face à la
porte de ce bureau, à l'endroit où nous avons toujours supposé qu'était
enterrée la fosse septique : pour cette raison, sécheresse atmosphérique
ou pas, l'herbe y croît et reverdit avec une belle imperturbabilité.
Elle n'a cessé de le faire qu'une seule fois, en août 2009, lorsque nous
étions à Plieux ; ce qui était normal puisque, nous absents, la fosse
septique ne se remplissait ni ne s'écoulait plus. Cela nous avait, à
l'époque, confortés dans l'idée que c'est bien là qu'elle doit se
trouver, cette fucking fosse.
Mardi 21 août
Sept heures et demie. –
Allons-y donc pour une minute d'autosatisfaction imméritée. Par mail,
Suzanne m'a signalé que, sur son blog, Patrick Mandon (qui doit être
journaliste, en tout cas il écrit dans (ou dit-on plutôt sur ?) Causeur)
avait cru bon de me consacrer un billet ; laudateur, le billet, et même
sans doute un peu trop à mon point de vue, mais enfin, dans la mesure
où j'accorde à chacun, sincèrement je crois, le droit de penser pis que
pendre de moi, il ne serait pas très logique de leur refuser celui de me
tresser des couronnes s'ils jugent pertinent de le faire. Donc, voici
ce qu'il dit de moi :
« Au vrai, je le connais peu, et mal. Je lui rends visite trop rarement ;
pourtant, il me paraît qu'il conduit une « entreprise d'écriture
numérisée » fort ambitieuse et de belle facture. Il se pourrait - mais
il faut tout de même étudier la chose plus attentivement - qu'il fût un
authentique écrivain et que son « œuvre » constituât la première
tentative proprement littéraire, usant du support numérique (outre son
blogue, il tient son Journal). Je m'avance beaucoup, certes, et je
plaide la vaste ignorance de l'ensemble de son travail. Il est de la
race des grognons, des atrabilaires, des ironistes, des « diaristes »
fatigués du monde, des êtres et des choses en apparence, mais qui leur
gardent malgré tout plus qu'un semblant d'intérêt. Il aime les animaux ;
il a pour eux, ces être souvent aimables que nous terrorisons, des mots
d'une belle compassion. Avec cela, il manie contre lui-même l'ironie
féroce des hommes lucides. Et c'est une vraie plume !
« Nos deux univers sont très différents, et le romantique vieillissant que
je suis ne se satisferait pas totalement de son paysage de laboureur,
raffiné certes, mais alourdi de prosaïsme. Il a écrit deux ou trois
articles remarquables sur Nathalie Sarraute (que je persiste à trouver
admirable, et très éloignée du naufrage du Nouveau roman), ainsi qu'une
irrésistible réflexion sur le thème « rester jeune ou se faire vieux ».
Il semble, par ailleurs, hanté par la menace que ferait peser l'Islam
sur la France : cela lui inspire des textes discutables, mais très
efficaces. Bref, je vous conseille d'aller lire le blogue de Didier
Goux, afin de vous faire votre propre jugement (Didier Goux habite ici).
En revanche, si j'en crois une photographie de son salon, je trouve à
ce Goux un goût, dans la décoration intérieure et, surtout, dans le
choix du mobilier, détestable. »
Pour ce qui concerne
la décoration intérieure, je le laisse face à ses responsabilités, et
surtout face à Catherine : qu'il se débrouille.
–
Journée fort agréable, dès avant ce coup de brosse à reluire : on m'a,
ce matin, donné deux articles à écrire, dont le second pas si facile que
cela, ce qui m'a occupé de façon presque continue jusqu'à cinq heures
et m'a donc évité d'aller m'assommer de stupidités blogueuses. De plus,
ma climatisation fonctionne parfaitement. Entre mes deux travaux, je me
suis tout de même accordé une petite heure de lecture dans la salle de
conférence, mais Rousseau et ses Confessions n'ont pas pu lutter bien longtemps contre le sommeil.
Jeudi 23 août
Sept heures dix. – Journée plutôt morne, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi dans la mesure où je sens bien que sa mornitude (à force d'inventer des néologismes bâtis sur ce modèle, je vais finir par perdre les mots corrects qui leur correspondent, je le sens !) est directement liée à la massivité de mon apéritif d'hier soir. Mais bon, comme “disent les imbéciles”. (Depuis que j'ai lu le roman de Sarraute qui porte ce titre (“Disent les imbéciles”), j'essaie de ne plus employer ce genre de formules, dont je me suis rendu compte que j'en abusais jusque-là. Mais j'ai encore quelques rechutes. Dans ce cas, je mets foireusement de petits guillemets autour, pour tenter de faire croire, et de me faire croire, que tout cela est vachement distancié.)
– Journée morne mais pas tout à
fait vide cependant. Ce matin, j'ai conféré téléphoniquement avec un
Rochechouart fraîchement rentré de vacances, afin d'établir une ébauche
de plan pour le second volet du papier qui m'a été commandé et dont j'ai
déjà parlé. La mauvaise nouvelle est qu'il n"y aura pas de troisième
volet, ce qui ampute ma pige de cinq cents euros ; la bonne nouvelle est
qu'il n'y aura pas de troisième volet et que je n'en ai donc plus qu'un
à écrire : ce sera mon travail de samedi, qui débordera sans doute sur
dimanche. Demain, je dois écrire six mille signes sur Lady Di, dont ce
sera, le 31, le quinzième anniversaire de la mort. Thème : “Comme elle
aurait été fière de ses deux fils !” Tu parles, Charles… J'ai passé une
grosse heure, cet après-midi, à dépouiller la documentation que j'avais
fait préparer hier ; en principe, écrire l'article ne devrait pas,
demain, me prendre plus d'une heure, une et demie en mettant les choses
au pire. C'est fort bien dans la mesure où, l'après-midi, nous avons
rendez-vous à trois heures à Évreux, avec M. Volvo qui doit nous vendre
une de ses voitures. Ce qui méritera sans doute un petit apéritif (mais
vraiment petit pour le coup, car il faut absolument que je travaille
samedi).
J'ai également lu cinquante pages de Martereau,
le deuxième roman de Sarraute, et j'ai consenti à manger des haricots
verts en salade alors que je n'aime pas les haricots verts. Enfin, tout
en traînassant sur les blogs, j'ai copié sur CD (huit, pour le moment)
la moitié de Du côté de chez Swann lu par Dussollier : ils sont
pour la grand-mère de Catherine qui, devenue quasiment aveugle, se
morfond dans sa maison de retraite et trouve les journées bien longues,
privée de lecture qu'elle est désormais. Il est question que nous lui
achetions d'autres livres enregistrés, notamment des nouvelles de
Maupassant.
– Et le voisin de derrière vient enfin de faire taire sa fucking tondeuse. Ah ! non, merde : il la remet en marche !
Vendredi 24 août
Huit heures moins le quart. –
Eh bien voilà, la connerie est faite, nous avons signé pour une Volvo V
70 à 41 000 euros environ, ce qui signifie un endettement pour cinq
ans, à raison de 700 et quelques euros de remboursement mensuel (sans
parler des huit mille euros d'acompte que nous nous sommes engagés à
verser sans les avoir réellement). Le pire est que nous en sommes ravis
tous les deux, et que nous avons même fêté cela par un mini-apéritif
(mini parce qu'il ne me restait plus grand-chose à boire, ce qui était
parfait vu le travail qui m'attend demain). La difficulté va maintenant
être de patienter jusqu'au mois de janvier sans trépigner d'impatience
comme de sombres crétins : il n'est pas dit que nous y parvenions très
bien.
– Quoi d'autre aujourd'hui ? En dehors du fait
que j'ai écrit, ce matin, un peu plus de sept mille signes sur cette
pauvre fille que fut Lady Diana, dont on commémore ces jours-ci le
quinzième anniversaire de sa mort stupide, rien. Si, évidemment, il y a
plus important et précieux : j'ai terminé Martereau, deuxième
roman de Sarraute, et je brûle de commencer le suivant, ce qui sera pour
demain, dans le temps que me laissera l'article que je dois à Enquêtes,
ce deuxième volet concernant Donald Crowhurst, marin d'occase,
demi-fou, dont je me moque complètement mais auquel il faut bien
pourtant que je m'intéresse. D'autant que ce n'est pas au moment où on
se colle un crédit inutile sur le dos que l'on peut se permettre de
négliger ses employeurs annexes.
– Pour en rester à mes
employeurs annexes, j'aimerais vraiment beaucoup me voir confier la
totalité des pages “animaux” de leur journal, que j'écris avec beaucoup
de plaisir et, je crois, une certaine verve, plus un article pour leur
magazine que j'ai dû appeler Zodiaque. L'affaire me rapporterait
environ 1200 euros net par mois sans me coûter d'efforts surhumains, et
même en m'amusant un peu. Il faudrait que je pousse Rochechouart dans
cette voie, mais en même temps je me sens assez peu capable de pousser
qui que ce soit dans aucune voie. Et, surtout, me mettre en avant m'est
absolument impossible. Conclusion habituelle : on verra bien.
–
J'ai appris en rentrant d'Évreux la mort de Jean-Luc Delarue. 48 ans.
Je me fous évidemment que ce type soit ou ne soit pas mort. Néanmoins,
et ce n'est pas la première fois que j'observe cette réaction chez moi :
je commence à trouver… à trouver quoi ? Jouissif ? Non, ce serait
exagéré. Disons : pas désagréable, que meurent des gens assez nettement
plus jeunes que moi. L'impression d'avoir volé quelques années de “rab”,
ou quelque chose comme ça. Il n'est pas exclu que ce sentiment soit
multiplié lorsque le mort en question était riche et célèbre ; ce qui
n'est pas à porter à mon actif, évidemment.
Samedi 25 août
Huit heures moins dix. –
Un peu travaillé mais moins que je ne l'aurais dû. J'avais prévu de
bâtir le “pré-papier”, d'en construire le plan en notant pour chaque
partie les pages du livres où j'aurais besoin d'aller puiser des
anecdotes et des citations, puis d'écrire au moins le premier tiers de
l'article : je n'ai exécuté que la première partie de ce programme, si
bien que je devrai écrire les dix ou douze mille signes demain, d'un
seul tenant.
– Poursuivi la lecture de Sarraute (Entre la vie et la mort plus sa première pièce de théâtre, Le Silence),
ce que certains se mettent à me reprocher sur le blog-mère, où ils
trouvent que les citations de la dame commencent un peu à bien faire. Je
m'en fous : je tiens cet auteur pour l'un des plus importants du
dernier demi-siècle et je n'ai l'intention de leur faire grâce de rien.
Lundi 27 août
Cinq heures et demie. – J'ai finalement écrit hier, sans trop de douleur, la suite et fin des mésaventures de Donald Crowhurst, héros malheureux du Golden Globe
de 1969 : 13 500 signes, soit 1500 de trop. Pour l'instant je n'ai eu
aucun “retour” de mes vénérés chefs… Évidemment, à peine l'article
expédié, l'envie d'un petit apéritif compensatoire n'a pas tardé à
poindre. Et, pour une fois, il le fut vraiment, petit : j'ai bu à peine
la moitié de ma dose habituelle. Si bien que, pour me récompenser de
cette étonnante sobriété, j'ai décidé de boire la seconde moitié tout à
l'heure, après le repas des chiens.
– Je ne sais par
quelle mystérieuse voie Marcel Meyer a appris que nous serions
paimpolais au début d'octobre, mais il vient de nous inviter à déjeuner
et à visiter en leur compagnie (celle de son épouse, canadienne
anglaise, et la sienne) le château voisin de La Roche Jagu, qui semble
avoir très fière allure. En fait, il nous invitait également à dîner et
même à dormir, mais nous avons décliné cette seconde partie de
programme, notamment parce que Catherine et moi aimons beaucoup nous
retrouver seuls après une journée “sociale”, et aussi parce que j'ai de
plus en plus horreur de me réveiller ailleurs que chez moi, même si
c'est un chez-moi très temporaire. Il y avait aussi que nous pensions
laisser Bergotte au gîte et que nous ne pouvions l'abandonner trop
longtemps, mais Meyer m'a répondu que nous devions l'amener avec nous.
Enfin, il y a le fait que Catherine ne se sent jamais tout à fait à son
aise avec les gens qu'elle ne connaît pas vraiment bien et depuis
longtemps ; par conséquent, un déjeuner et un après-midi lui
paraissaient suffisants. J'espère juste que Marcel Meyer ni sa femme ne
prendront cela pour de la froideur de notre part, car ce n'en est
nullement.
Mercredi 29 août
Sept heures et quart. –
Tiens, je n'ai rien écrit ici hier… Bon, il y a eu apéritif, certes,
mais tout de même… Ah, oui : je me suis embarqué, sur le blog-mère, dans
un billet interminable et filandreux, à propos de la musique, des
progressistes et des réactionnaires, que j'ai abandonné en son milieu,
puis que j'ai publié par erreur, en cliquant sur le mauvais cartouche.
Je l'ai évidemment supprimé aussitôt, mais ce temps d'existence très
bref a suffi pour qu'il se retrouve dûment annoncé dans toutes les
blogrolls et se faufile par ces maudits flux RSS qui ne vous passent
aucune erreur. J'aurais bien mieux fait de venir radoter ici.
–
Le déjeuner d'hier, avec l'amiral Woland et son ami Alexis, qui est
désormais mon avocat, a été fort agréable. Nous étions en terrasse à La Villa (je ne parviendrai jamais à me faire à son nouveau nom : À table !…),
il faisait beau, le Sancerre était bien frais. L'amiral nous a fait
part de son désir de s'expatrier, d'ici deux ou trois ans, si possible
en se faisant muter par sa boîte actuelle, soit dans le sud-est
asiatique, soit à Houston au Texas. Ce qui risquera de compromettre un
peu la régularité de nos déjeuners. Après les avoir quittés à l'entrée
du métro, je me suis trouvé suffisamment frais et dispos pour expédier
7500 signes sur Johnny Hallyday en moins d'une heure et demie. Ce qui
m'a conduit presque directement à l'heure de l'apéritif.
– Aujourd'hui, journée blanche, rien à en dire.
Jeudi 30 août
Sept heures et quart. – « Suis allé lire le journal de Didier Goux, ce matin. Extraordinaire ennui, massif.
Et dire qu'il y en a qui lisent ça chaque mois ! La bloge est déjà d'un
ennui profond, étouffant, mais lui, Didier Goux, s'essaie à en exprimer
le suc, et le pire est qu'il y parvient. C'est trop affreux pour qu'on
ne ressente pas, durant un court laps de temps, une certaine forme de
dépression. Le seul passage drôle est évidemment celui où il reconnaît
que ses "commentateurs" l'emmerdent, et que très souvent il ne les lit
pas. On va certainement avoir droit à des coups de pieds dans les tibias
et à quelques crachats intéressants. Mais comme Didier Goux est un
pervers, il va très bien se tirer d'affaire, comme d'habitude. Il sait
d'ailleurs parfaitement ce qu'il fait en écrivant ce qu'il écrit. »
Tel
est le début du billet publié ce matin par Jérôme Vallet alias Georges.
Comme si lui-même ne le lisait pas chaque mois… Cela dit, je comprends
parfaitement cet ennui qu'il dit ressentir : moi qui m'astreins toujours
à trois lectures avant publication, dans le but chimérique d'éradiquer
totalement les fautes de français ou de frappe, je le ressens mieux que
personne, cet ennui. Ce qui est toujours un peu surprenant, chez Jérôme,
c'est la déconnexion tranquille qu'il opère entre Georges et lui.
Ainsi, avant-hier, il m'adressait encore un mail privé, court et anodin
certes, mais plutôt bon enfant, voire sympathique. Vingt-quatre heures
plus tard, Georges se réveille pour m'asséner cela, qui n'est pas
grand-chose évidemment (il m'en a balancé de bien plus raides dans un
passé pas très lointain), mais enfin qui laisse planer ensuite une
certaine perplexité.
– Sinon, toujours en rapport avec
la publication de ce journal de juillet, un certain nombre de mes
commentateurs s'offusquent en effet, depuis ce matin, d'un court
paragraphe, dans lequel je dis que, lorsque les commentaires deviennent
trop nombreux et trop copieux, et encore plus lorsqu'ils dérivent très
loin du sujet initial (ce qui est toujours le cas lorsqu'on dépasse un
certain volume), je cesse presque complètement de les lire. Mais, moi,
je ne m'indigne nullement à l'idée que bon nombre d'entre eux ne lisent
presque jamais mes billets jusqu'au bout – j'en ai la preuve constamment
renouvelée –, je trouve même cela assez logique, finalement : tous les
lecteurs de presse font la même chose, et sans penser à mal, avec les
articles de leur journal favori, que pourtant ils ont payé. Alors, un
blog, un blog parmi tant d'autres… Mais eux, non. Déjà je sentais bien
que certains étaient un peu froissés de ce que je ne réponde pas
systématiquement et individuellement à chacune de leurs interventions.
Et voilà que je me mêle d'avouer que, si je ne réponds pas, c'est
parfois (mais pas toujours) parce que je ne les ai tout simplement pas
lus. Bien entendu, deux ou trois ont aussitôt franchi le pas et, pour
ceux-là, je suis devenu le blogueur-qui-ne-lit-jamais-ses-commentaires.
Ainsi souffle le vent des blogs.
– Depuis trois jours
que j'ai rendu la deuxième partie de mon article sur Donald Crowhurst,
aucune réaction du côté des instances dirigeantes d'Enquêtes,
pour qui je l'ai écrit. Dans la mesure où on a passé beaucoup de temps à
en parler, à définir l'angle, à établir un plan, etc., il me semble que
j'aurais pu espérer quelques mots en retour, simplement pour me dire si
le résultat convenait ou ne convenait pas, et pourquoi. Mais non, rien.
–
Comme désormais presque toutes les semaines, Gabriel m'a confié ce
matin (enfin, ce matin : il était midi moins le quart…) mon travail
d'aujourd'hui et celui que j'aurai à faire demain, d'ici. La différence
avec d'habitude est que j'ai écrit les deux articles l'un derrière
l'autre, de façon à pouvoir quitter Levallois l'esprit libre et en
sachant que je n'aurais rien à faire demain pour FD.
–
Car, demain, nous avons ici un “dîner de curés”, comme j'ai pris
l'habitude de dire. Le père B., tout comme il l'avait fait l'été
dernier, passera la soirée et la nuit à la maison, escale un peu
décentrée vers l'ouest entre l'Angleterre qu'il quitte et la Bresse
qu'il rejoint. Comme il se trouve qu'il connaît le père Éric, curé de
Pacy, nous avons également invité celui-ci à dîner. Je vais donc, demain
matin, avoir autre chose à faire (mais je ne sais pas encore exactement
quoi) qu'à m'occuper de mon métier officiel.
Vendredi 31 août
Six heures moins le quart. –
Heure inhabituelle pour journée qui l'est aussi. Catherine ne va pas
tarder à descendre à Pacy, afin d'assister à la messe de six heures et
demie, en la compagnie très probable du père B. qui doit nous arriver
d'Étretat – c'est du moins de là qu'il m'a téléphoné hier soir. Ensuite,
ils remonteront tous les deux ici avec le père Éric et nous dînerons
tous les quatre, loin des fureurs et de la connerie du monde.
–
À propos de connerie du monde, je me suis résolu, une fois de plus, à
fermer les commentaires sur le blog-mère, après en avoir supprimé une
bonne vingtaine : on se serait cru dans la salle commune d'un institut
pour jeunes déficients mentaux. Je ne sais pas si je les rouvrirai ; il
serait très bien que je ne le fisse point.
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