jeudi 27 septembre 2012

Août 2012












 V 70













Mercredi 1er août

Sept heures et quart. – Impossible de laisser passer le premier jour d'un nouveau mois sans une entrée dans ce journal pour l'accueillir. Donc, voilà.


Jeudi 2 août

Sept heures et demie. –  Je ne sais si c'est l'effet de mon presque arrêt du tabac, mais je n'ai pas plus envie qu'hier de venir raconter je ne sais quoi ici. Je dis “presque arrêt” car si Catherine, elle, a totalement abandonné la cigarette, j'en fume encore quelques-unes lorsque je suis à Levallois, mais m'abstiens totalement ici. En fait, oui : ce qui me rend d'humeur assez morose, c'est la perspective de ce week-end que nous allons passer chez mes parents sans fumer. Mais enfin, c'est comme cela : tout allait trop bien, la vie s'écoulait trop facilement, il fallait sans doute que nous trouvions quelque chose pour la corser un peu, la rendre moins attrayante. Pour ça, la privation de tabac est en effet idéale.

– Notre vie sociale confine ces derniers temps à la mondanité outrancière. Après les deux ivrognes du Kremlin-Bicêtre (non, en réalité, Claude vit à Villejuif) le week-end dernier, ce sera donc mes parents et Yanka – à qui il faudrait bien que j'expédie un mail demain, du reste – dès samedi. Mais, il y a deux jours, la Crevette nous a proposé de venir déjeuner chez eux ce même samedi, invitation que nous avons été contraints de refuser. Et voilà que coup de fil des Fernique qui, interrompant leurs vacances cabourgeoises pour rentrer à Strasbourg (pardon : sur Strasbourg…), nous demandent s'ils pourraient faire escale chez nous vendredi ou samedi ! Samedi, impossible, donc ; nous les verrons demain soir, ils dîneront et dormiront ici, avant de repartir le lendemain, à peu près en même temps que nous je suppose. Au milieu de toutes ces agitations, s'il y en a un qui ne fait pas le malin, c'est notre régime “tout eau minérale”.

– Reçu aujourd'hui “Comme disent les imbéciles”, de Sarraute, que je n'attendais pas si tôt. Du coup, Les Confessions de Jean-Jacques, à peine rouvertes vont être refermées.

– Et la tondeuse du voisin soudain se tait…


Vendredi 3 août

Quatre heures. –  André et Béa devant arriver chez nous en fin d'après-midi, je viens dans ce journal tout de suite, sachant que ce sera la dernière occasion de la journée. Journée assez bien occupée : courses, ménage, tonte du jardin, justement en prévision de cette visite.  Non, j'exagère : j'avais décidé de tondre aujourd'hui avant que les Fernique ne se manifestent. Bref, je n'ai à peu près pas lu, à part une dizaine de pages de Rousseau ce matin, pendant que Catherine était au presbytère. Et comme demain matin nous partons pour Sedan, ce n'est pas non plus ce week-end que je vais améliorer mon “rendement”. Sans importance.

– L'idée d'aller à Sedan avec, dans la poche, les seules cigarettes électroniques me gâche un peu la perspective. Non, parce que ça paraît tout beau et très facile, les cigarettes électroniques, lorsque quelqu'un vous explique en quoi ça consiste, mais que vous-mêmes en avez toujours un paquet de vraies à portée de doigts. Lorsqu'il s'agit de s'y mettre, c'est autre chose : on s'aperçoit très vite que le leurre ne fait pas beaucoup illusion. En fait, et tout le monde le sait bien, la seule solution pour faire disparaître l'envie de cigarette, c'est de fumer une cigarette.


Dimanche 5 août

Cinq heures et demie. – À Sedan depuis hier. Nous sommes arrivés à peu près à l’heure qu’il est en ce moment, après un trajet rapide (Paris, puis autoroute de l’Est) et sans encombre. Nous avons trouvé mon père dans une forme très moyenne, et ma mère nous a donné de son état de santé des nouvelles plutôt alarmantes (mais qui ne l’alarment nullement, elle, en raison de la puissance de son déni). En gros, non seulement son cancer des poumons ne régresse plus, mais il aurait même repris de la vigueur, et, tout récemment, je ne sais plus quel type d’examen aurait révélé la présence de nouvelles métastases ailleurs, dans d’autres organes, mais sans qu’il soit possible encore de les localiser. Certes je ne suis pas médecin, ni Catherine, mais il semblerait bien que le cancer soit entré en phase de généralisation. Du coup, je me sentais moins d’attaque pour réaborder avec ma mère la question d’un déménagement rapide vers la Normandie : serait-ce vraiment bien nécessaire d’en imposer à mon père les fatigues inhérentes, s’il lui reste six mois ou un an à vivre ? D’autant que lui-même ne paraît plus y tenir tant que cela : lors de la discussion, qui a finalement eu lieu, au moment toujours propice de l’apéritif, il ne nous a nullement appuyés dans nos arguments, et semblait même se désintéresser à peu près complètement de la question.

Du reste, et c’est peut-être ce qui est le plus attristant, il semble se désintéresser d’à peu près tout. Comme s’il était déjà un peu ailleurs, un peu au-delà. Comme dans la chanson de Kent, Je suis un kilomètre : il tend à s'éloigner des choses. Un exemple : il y a quelques mois, alors que nous étions ici, à Sedan, il m’avait dit avoir très envie de s’acheter le nouveau modèle de chez Peugeot, la 5008, mais qu’il craignait de ne pouvoir convaincre ma mère (et en effet, la tâche s’annonçait peu aisée, surtout pour lui qui n’a jamais convaincu ma mère que de choses dont elle s’était déjà persuadée elle-même avant et toute seule...). Hier soir, après avoir compris que ma mère ne déménagerait pas tant que la maison d’ici ne serait pas vendue, Catherine et moi avons lancé la discussion sur le terrain de la fameuse voiture, argumentant en faveur d’un “achat plaisir”. Dans un premier temps, nous nous sommes rendu compte avec une certaine stupéfaction que mon père ne lui avait même jamais parlé de ce désir qui l’animait (on avait l’air malin...). Ensuite, en prenant cet air pincé qui n’appartient qu’à elle, celui par lequel elle entend signifier qu’elle se rend à l’adversaire, mais qu’elle ne le fait que contrainte et forcée et non sans continuer à n’en penser pas moins, ma mère a fini par laisser tomber : « Oh, mais après tout je m’en fiche ! Qu’il se l’achète, sa voiture ! Tiens, tu iras la commander dès la semaine prochaine, je le dis devant témoins... » À ce moment-là, mon père qui n’avait encore rien dit s’est mis à rétro-pédaler comme un fou, disant que non, il serait sans doute plus prudent d’attendre d’être en Normandie, au cas où leur nouvelle et fort hypothétique maison coûterait plus cher que prévu, etc. Sur le coup, ce “lâchage” en rase campagne m’a presque indigné (oui, moi aussi je suis capable de me transformer en indigné !), et puis je me suis aperçu qu’en fait mon père ne désirait déjà plus cette voiture, que l’envie s’était éteinte en lui aussi rapidement qu’elle y était apparue. Ce qui m’a rendu plus triste que furieux.

– Aujourd’hui, en début d’après-midi, nous avons traversé la frontière pour aller rendre visite à Ygor Yanka, avec qui nous avons passé deux heures fort agréables. Lui était très en verve, fort aise de pouvoir parler de choses qui lui tiennent à cœur. Nous l’avons trouvé en excellente forme, nourrissant divers projets dont je ne dirai rien ici, certains d’ordres professionnels, d’autres plus personnels, voire intimes. De plus, devant sa porte paradait sa toute nouvelle voiture, une Toyota bleu électrique, vieille d’un certain nombre d’années et affichant deux cent mille kilomètres au compteur, mais nantie d’un aspect extérieur “sortie d’usine” tout à fait pimpant.

– Et me voici, à presque six heures, assis à la table de la sale à manger, devant l’ordinateur portable de Catherine, auquel je ne parviens décidément pas à m’habituer – mais c’est tout de même mieux que d’écrire à la main. Mon père qui s’était assoupi dans son fauteuil (comme il lui arrive désormais de nombreuses fois dans la journée) vient de s’éveiller pour s’inquiéter de l’heure qu’il est, avant de se rendormir. Ma mère est dans l’autre fauteuil, occupée à remplir une grille de sudoku, passion qu’elle s’est découverte récemment. Quant à Catherine, elle est tout franchement allée se coucher “une petite demi-heure” (elle en est déjà à cinquante minutes...), escortée par Bergotte qui, comme d’habitude, ne la lâche pas d’une semelle.

– Je crois avoir déjà dit ici que je ne supportais pas de rester plus de deux jours en compagnie de mes parents, parce qu’ils m’énervaient très vite. Ce n’est pas tout à fait exact, je crois. Le fait est que voir mes parents vieillir, c’est-à-dire diminuer, m’attriste profondément. Et, pour lutter contre cette tristesse, qui est fort peu agréable, je n’ai pas trouvé d’autre moyen que de la transformer en agacement (qui peut aller jusqu’à l’exaspération par moments), sentiment beaucoup plus familier, anodin, et donc plus facile à “gérer”. Évidemment, ensuite, je m’en veux de ce que je ressens comme une sorte d’intolérance de ma part à leur endroit, d’étroitesse d’esprit, défaut de compréhension, voire manque d’amour véritable. Tout à l’heure, chez Yanka, à qui j’exposais l’échec total de notre conversation d’hier, à propos du déménagement rapide, Catherine m’a dit que, au moins, en l’ayant eue, cette conversation, cela m’éviterait, après (on commence à parler par litotes : mauvais signe), d’éprouver le remords de ne l’avoir pas fait. Je lui ai répondu : « Ce remords-là, oui, sans doute. Mais ne t’inquiète pas, je me sens parfaitement capable de m’en fabriquer d’autres, le moment venu. » Elle m’a alors confirmé que l’on n’était jamais en manque de remords, lorsqu’il s’agissait de la mort de ses parents.

– Tout cela nous a conduits (mais sans transition brutale et pas sur le mode rapace/cynique...) à parler d’héritage, de succession, etc., dans la voiture en allant chez Yanka. Nous ne parlions nullement d’argent, mais de modalité de transmission. À un moment, nous nous sommes avisés de ce que, si je mourais avant ma mère, chose fort plausible vu l’âge de sa mère à elle, ma part d’héritage reviendrait alors à mon frère et à ma sœur, lesquels n’en ont et n’en auront sans doute nul besoin. Catherine m’a alors dit, évidemment en plaisantant, que la seule solution serait que nous adoptions un enfant. Je l’ai assurée que je préférerais encore finir ma vie sous un pont même pas étanche. C’est alors qu’une idée a jailli dans son cerveau peut-être un peu surmené : « Tu n’as qu’à adopter Élodie ! » (Le père “biologique” d’Élodie est mort voilà déjà quelques années.) Sur le coup, cette idée m’a paru séduisante en raison même de son aspect farfelu. Mais, cinq kilomètres plus loin, y ayant réfléchi plus sérieusement, je ne la trouvais plus farfelue du tout. Sans même aborder le cas de mes parents, en les laissant en dehors du raisonnement, le fait est que si je meurs avant Catherine, hypothèse la plus probable, mes héritiers naturels seront Philippe et Isabelle, qui gagnent bien leur vie tous les deux et n’attendent évidemment rien de moi. Alors que si j’adopte Élodie, ma très maigre fortune lui sera tout entière dévolue, à charge pour elle d’aider sa mère financièrement si elle se trouve dans la gêne. Catherine a illico téléphoné à sa fille (nous venions juste de franchir la frontière) pour lui faire part de cette mirobolante idée. Le hasard a voulu qu’elle la réveillât au milieu de sa sieste, si bien que l’annonce qu’elle allait en quelque sorte avoir prochainement un troisième père a commencé par la désarçonner quelque peu. Puis, mieux réveillée, elle a rit, a dit à sa mère que nous avions vraiment des idées de fous, et s’est préparée mentalement à ajouter un troisième nom de famille aux deux qu’elle a déjà, l'un en France, l’autre au Canada. Et lorsque j’ai coupé le moteur au pied de chez Yanka, j’étais devenu le père adoptif putatif de ma belle-fille. Quand il sera rentré de vacances, je demanderai à mon avocat – l’ami de l’amiral Woland qui s’occupe de faire rendre gorge à GdV – quelles sont les démarches à entreprendre pour que cette adoption devienne réalité.


 Lundi 6 août

Quatre heures et demie. – Soirée fort agréable, hier. Ma mère et moi avons évoqué beaucoup de souvenirs d'Allemagne, d'Algérie, et même de Châlons, bien que j'en aie pour ma part fort peu, puisque nous en sommes partis lorsque j'avais cinq ans. Nous avons quitté Sedan ce matin, aux environs de neuf heures et demie, et à une heure nous étions à la maison, le trajet s'étant déroulé sans incident et entièrement sur autoroutes et voies rapides. Après avoir déjeuné sommairement, je suis allé faire deux ou trois courses (il n'y avait plus rien pour l'apéritif de ce soir…), puis nous avons regardé (re-regardé en ce qui me concerne), la pièce de Sarraute, Pour un oui ou pour un non, filmée par Doillon et superbement interprétée par Dussollier et Trintignant. Actuellement, chacun de nous deux lutte comme il peut contre le sommeil, qui se fait insistant jusqu'à la lourdeur ; moi en venant babiller ici, Catherine en remplissant des grilles de mots fléchés au salon. Quant aux trois chiens et aux chats, ils n'ont même pas tenté de résister, et dorment.

Il faudrait que je note l'histoire de mon vélo rouge, reçu en cadeau à Noël, dont ma mère m'a fait ressouvenir, mais je n'ai pas le courage aujourd'hui.

Dix heures et quart. – Long téléphonage et assez dur avec Isabelle. Au départ avec moi, et donc pas trop dur, parce qu'évidemment je suis son frère aîné et donc inattaquable. Mais, elle m'en veut de penser que notre père va mourir – c'erst-à-dire qu'elle m'en veut de penser et de dire qu'il n'a plus d'autre solution que de mourir, et en en effet c'est bien ce que je pense –, tout en étant incapable de s'en prendre à moi, puisque je suis son “grand frère”. Donc, ce soir, parce qu'elle était particulièrement stressée par notre conversation téléphonique, elle s'en est prise à Catherine, ce qui était évidemment beaucoup plus facile pour elle. De son côté, Catherine vit très mal la future agonie (si je puis dire) de mon père, parce que cela la replonge dans la mort de son propre père, il y a dix ans. Le résultat est que j'ai récupéré ma sœur en larmes au téléphone, puis Catherine en direct.

– Isabelle nous reproche (et donc à Catherine, principalement, pour les raisons évoquées plus haut) de dire qu'elle-même est “dans le déni”, par rapport à notre père. Or, personne ne lui a dit cela, ni Catherine ni moi. Si bien que l'évidence semble être qu'elle sait parfaitement l'être, dans le déni, ou dans une forme de déni. Et, du reste, elle l'est en effet : elle parle en boucle de tel scanner, elle répète trois fois ou plus les lambeaux de connaissances médicales qu'elle peut avoir, qu'elle croit avoir, et bien entendu ça ne change rien à l'état de mon père.

– Du reste, et j'en parlais avec Catherine (avant qu'elle aille se coucher presque complètement bourrée…),  ça n'a même pas d'importance que mon père ait ou non un cancer. Il va, le mois prochain, avoir 80 ans, son fils aîné (moi) en a 56 : qu'y a-t-il de scandaleux à ce que cet homme meure ? Même si sa mort me crucifie en effet, pourquoi s'agiter pour cela ? C'est ce que je me demande depuis deux ou trois ans.

(Il s'est mis à pleuvoir, c'est extrêmement apaisant. Les trois chiens dorment dans la case, quasiment à mes pieds, etc.)


Mardi 7 août

Sept heures et quart. – Journée fatigante, mais il est vrai que, suite à notre week-end, j'étais déjà fatigué en la commençant. Comme nous sommes repassés en mode abstème, cela devrait aller mieux demain, et c'est préférable car il me tombe toutes sortes de travaux à exécuter pour Enquêtes et il va convenir d'avoir l'esprit aussi alerte que possible. J'ai tout de même réussi sans trop de peine à écrire les trois feuillets consacrés à Claire Chazal que l'on me réclamait ce matin, et même un court billet à propos de la pièce de Nathalie Sarraute. Au retour, mauvaise surprise : l'A 14 était totalement fermée dans le sens Paris-province, ce qui m'a obligé à descendre tous les quais de Seine jusqu'à l'entrée de l'A 13. Je suppose qu'il en ira de même demain.


Mercredi 8 août

Huit heures moins le quart. – Je me suis laissé embarquer dans un boulot fleuve, du côté de chez Enquêtes, dont je vois mal comment je vais me tirer, aux deux sens du verbe : m'en tirer en refusant l'obstacle ou m'en tirer en réussissant l'article au long cours (à paraître sur trois numéros…) que l'on attend de moi. Il est à extraire, cet article, d'un assez gros livre paru en 1970, et concerne une espèce de navigateur anglais qui, parti pour gagner le Golden globe (je viens d'écrire Golden blog…), s'est contenté de faire des ronds dans l'eau de l'Atlantique sud avant de disparaître de son trimaran purement et simplement, sans doute par suicide. Le premier problème est que les histoire de mer, de marins, de bateaux et de courses navales m'ennuient au plus haut point, ce qui n'est pas se mettre dans les meilleures dispositions d'esprit pour réaliser du bon travail. Ensuite, le livre se perd dans une foultitude de détails et de personnages même pas secondaires, ce qui en rend l'élagage particulièrement délicat. J'ai passé tout à l'heure une grosse demi-heure au téléphone avec Catherine P., l'ancienne patronne d'Enquêtes, qui l'est redevenue provisoirement pendant les vacances de Rochechouart, si j'ai bien compris. Il est vrai que cette conversation m'a plus ou moins rasséréné, même si elle n'a pas augmenté mon envie d'écrire ce machin. En principe, Catherine P. et moi devons avoir une nouvelle conversation vendredi. Là, nous mettrons une sorte de plan sur pied (ç'a des pieds, un plan ?) et, surtout, motivation des motivations, elle devrait me dire combien Rochechouart est disposé à me payer pour ce travail. Pour bien faire, il faudrait que je me fixe un seuil en dessous duquel je refuserai d'écrire l'article. Mais c'est impossible puisque ce n'est que vendredi que je saurai sa longueur globale, et donc la quantité de travail à fournir. Bref, je patauge, tout comme mon Donald dans ses quarantièmes rugissants.

– Cette Catherine P., je l'ai brièvement connu en 1990, lorsque j'ai recommencé à produire des BM, après une interruption de trois ans : elle était l'auteur du synopsis de celui qui s'intitule Le Justicier du Bois de Boulogne, que Bernard T. m'avais chargé d'écrire. Elle devait également me fournir le suivant, mais à ce moment-là sa carrière a rapidement décollé à Enquêtes et elle a cessé d'en faire. Du coup, sur la suggestion de Bernard T., je me suis mis à les imaginer moi-même, ce qui était beaucoup mieux. Et plus lucratif.


Jeudi 9 août

Sept heures et demie. – Journée plutôt productive, puisque j'ai écrit les sept mille signes du papier “animaux” que je devais à Enquêtes, puis j'ai fini de lire et d'annoter les quatre-vingts pages du livre dont je parlais hier, afin d'être prêt demain matin, lorsque Catherine P. va m'appeler pour que nous en parlions. Le fait de l'avoir terminé me fait paraître la tâche un peu moins insurmontable, mais pas beaucoup plus désirable pour autant. Le problème est qu'il faut bien, de temps en temps, gagner sa vie.

– Plus agréable et, j'espère, plus intelligent : j'ai terminé “Disent les imbéciles”, de Sarraute, et commencé Tu ne t'aimes pas, de la même. En outre, j'ai signalé à Catherine, à toutes fins utile, que j'avais mis dans mes “envies de cadeaux” d'Amazon, le volume de ses œuvres complètes dans la Pléiade…


Vendredi 10 août

Sept heures et demie. – Conversation d'une demi-heure, ce matin, avec Catherine P. à propos du (très) long article qu'il est prévu que j'écrive pour Enquêtes. Il sera donc en trois volets, d'environ douze mille signes chaque, et le but de cette conversation était de fixer un découpage plus ou moins précis de ces trois parties. Cela a été fait et, du coup, je me sens déjà moins embarrassé pour les écrire. Le livre qui sert de base à tout cela étant un invraisemblable foutoir, j'ai décidé, pour chaque épisode, de procéder en deux étapes : dans un premier temps, je vais relire toutes les pages qui concernent directement ce que je dois mettre dans tel chapitre, en recopier les phrases, les paragraphes utiles, accumuler les matériaux en tâchant de les ordonner suivant le plan. Et, le lendemain, je passerai à l'écriture proprement dite, l'idéal étant, à ce stade, de n'avoir plus du tout besoin du livre. En ce qui concerne le premier volet, ces deux étapes auront lieu demain et dimanche.

Là-dessus, Catherine P. m'a annoncé qu'elle n'avait pas encore joint Rochechouart pour lui parler du montant de ma pige, ce qui ne me convenait qu'à moitié. Mais elle m'a assuré qu'elle me rappellerait avant la fin de la journée. Une ou deux heures plus tard, c'est Rochechouart lui-même qui m'a téléphoné de son lieu de villégiature estivale. Il commence par me parler du tarif habituel, quatre cents euros, plus un bonus de cent pour la lecture du livre. Je lui dis tout net que non, qu'à mon avis ce travail vaut au moins cinq cents euros par volet, plus les cent de bonus. Réponse évidemment stupide de ma part : lorsqu'on dit à un rédacteur en chef que l'on veut au moins cinq cents euros, il entend simplement : cinq cents euros. Et il a accepté avec un tel empressement, ne faisant pas semblant d'hésiter plus de vingt secondes, que, comme souvent quand je suis placé dans ce type de situation que j'exècre, la “négociation”, je me suis dit qu'il aurait probablement accepté de me donner davantage que les mille six cents euros qui vont finalement m'échoir. La cerise sur le gâteau – et là encore c'est habituel chez moi –, c'est que j'ai ensuite la certitude que je vais passer pour un guignol, au moins sur le plan financier, une sorte de bouseux un peu niais que ces messieurs de la ville peuvent rouler dans la farine comme ils l'entendent, et sans se priver de se foutre copieusement de lui dès qu'il a le dos tourné. Enfin…

– Ayant terminé en début d'après-midi Tu ne t'aimes pas de Sarraute, et n'ayant plus de livres d'elle pour le moment, je me suis décidé à ouvrir La Route des Flandres, qui se trouve là depuis maintenant un mois ou deux, si ce n'est davantage. Comme cela avait déjà été le cas pour La Bataille de Pharsale, j'ai eu un peu de mal avec les dix premières pages, puis le roman m'a happé d'un coup et j'en ai lu quatre-vingts pages d'une traite. J'en suis ressorti tout bouillonnant du désir de venir noter, au moins dans ce journal, l'enthousiasme qui était, qui est le mien, et surtout de tenter de dire son pourquoi. D'où une certaine frustration irritée lorsque je me suis rendu compte que je n'y parviendrais pas. (Et au moment où j'écris cela, mon impuissance m'énerve de nouveau, comme une piqûre d'ortie qui se faisait oublier et qui se ravive parce qu'on l'a effleurée du bout des doigts sans y penser.)

– En principe, j'aurais également dû tondre le jardin, mais quand je me suis trouvé disponible pour cette tâche-là, en milieu d'après-midi, je me suis avisé qu'il faisait déjà trop chaud pour s'y livrer. J'ai d'abord remis à demain matin, avant de me me dire que, l'herbe ne poussant plus depuis environ une semaine, elle pourrait bien, s'il ne tombait aucune pluie d'ici là, attendre le week-end prochain. Donc, nuages bulbeux et noirs, merci de passer au large.


Samedi 11 août

Sept heures et demie. – Journée fatigante, industrieuse et finalement plutôt frustrante. Ce matin, j'ai donc commencé à me livrer au travail préparatoire à mon article, tel que je le décrivais hier. Je pensais devoir y consacrer plus ou moins la journée, en fait à une heure ou une heure et demie, c'était terminé. J'ai donc décidé que j'avais bien mérité une pause, voire un après-midi de repos. Sauf que, essayant de lire au salon, je me suis aperçu que je ne comprenais rien à ce que je lisais, mon esprit restant entièrement pris par ce maudit article à écrire. Il faut dire que quand on a l'esprit ailleurs Claude Simon n'est pas l'auteur idéal. J'ai donc décidé, pour tenter de me changer les idées, ou pour mieux dire de me les nettoyer, d'aller tondre le jardin. Ce fut fait en un tournemain (à ce propos, j'avais oublié de le noter, j'ai été surpris de m'apercevoir, à deux reprises et dans deux romans différents, que Sarraute confondait apparemment tournemain avec tour de main), et je retournai, l'âme plus sereine, m'installer dans mon fauteuil ; j'étais tellement serein que je m'y endormis aussi sec. À mon réveil, vers trois heures et demie, toujours incapable de penser à autre chose qu'à mon marin fou, je revins à ce clavier pour tenter d'en écrire au moins les deux ou trois premiers paragraphes. Finalement, à cinq heures et demie, le tiers de l'article était fait. Ce qui aurait dû engendrer une certaine satisfaction a au contraire fait naître la frustration dont je parlais car, d'une part ce premier tiers emplit à lui seul la moitié de l'espace maximal qui m'a été imparti, et d'autre part j'en suis sorti avec la quasi certitude d'avoir pondu une grosse bouse informe et fadasse, ne contenant pas le cinquième voire le dixième de ce qu'il aurait fallu y mettre. Sagement, j'ai décidé de ne rien relire et de laisser reposer jusqu'à demain.

– Sur ces entrefaites, parce que Catherine, sans doute, en avait mal refermé la porte, le congélateur a rendu l'âme. Après avoir tant bien que mal entassé ce qui s'y trouvait – et n'avait pas eu le temps de décongeler – dans le compartiment idoine du réfrigérateur, cette même Catherine est descendue à Pacy pour en acheter un autre. Elle est remontée vers cinq heures, et le livreur du magasin a suivi une heure plus tard avec l'appareil neuf. C'est tout de même beau, le petit commerce de proximité. L'engin nous a coûté la modique somme de 399 euros, ce qui, à peu de chose près, correspond à la pige que je vais toucher le mois prochain pour l'article que je vais tâcher de finir demain.

– Le miracle est que, au milieu de toutes ces consternantes âneries, j'ai tout de même réussi à lire une quarantaine de pages de La Route des Flandres.


Dimanche 12 août

Huit heures vingt. – Évidemment : huit heures vingt pour venir ici signifie : soirée où l'eau pure n'a pas régné en maîtresse. Et, en effet, elle n'a pas. Je n'ai ni le courage ni l'envie de remonter jusqu'à hier, mais il me semble que j'avais annoncé que je prendrais l'apéritif ce soir. (Ah, non, pas ici : c'était en conclusion d'un petit billet idiot.) Bref. J'ai passé l'essentiel de ma journée à écrire ce putain d'article dont je parlais hier. J'en ai tiré quelques souffrances et, plus ou moins paradoxalement, du plaisir.

J'aimerais bien expliquer ce que je viens juste de dire, mais ça n'est pas très facile. Enfin, pour toute personne qui n'est pas écrivain en bâtiment.  Il me semble que nous (les écrivains en, etc.) souffrons comme les vrais écrivains, et peut-être plus dans la mesure où nous savons que nos douleurs n'engendreront rien d'intéressant. Du coup, rapidement, on s'aperçoit qu'on souffre pour rien, qu'on est même un petit peu ridicule : les écrivains ont des cancers, nous des panaris. Un panaris fait beaucoup plus mal qu'un cancer, généralement. Mais ça ne tue pas ni ne rend intéressant : ça fait simplement souffrir et ça ne sert à rien : du pus qui s'écoule.

Bon, stop ! Voilà une chose dont je crois n'avoir jamais parlé ici : de la difficulté à écrire après boire. De la manière dont l'esprit (s'il y en a un) s'enroule sur lui-même, se regarde comme suprême, enchaîne une idée à peine exprimée à une autre inintelligible, etc. L'intelligence de l'homme saoul (si réduite qu'elle puisse être au départ) s'embobine elle-même, répète à l'envi ce qu'elle a à dire de plus sot et ne se rend compte de rien.

Et alors voilà le problème de l'homme dont je parle, lorsqu'il clôt un paragraphe et passe à la ligne : bon dieu de bon dieu, de quoi est-ce que je pouvais bien essayer de parler il y a cinq minutes ?

Ah, oui, évidemment, il (je) voulait parler des 15 000 signes dont il était venu à bout, aux alentours de cinq heures de l'après-midi.

Interruption : coup de téléphone d'Isabelle. Sans importance au départ, juste pour me dire que notre rencontre du week-end du 25 ne lui convenait pas tellement. Notre conversation aurait dû durer trois secondes, dans la mesure où je lui ai immédiatement répondu que cela m'arrangeait encore plus que nous annulions (en raison de ce putain d'article en trois épisodes, dont je me demandais comment j'allais pouvoir faire le troisième).

Là-dessus, évidemment, nous nous mettons à parler de nos parents, et notamment de mon père. La conversation à bien duré une heure ou presque. Elle m'a été précieuse. Isabelle m'est précieuse, de toute façon, et depuis très longtemps. Nous nous sommes, je crois, trouvés à peu près d'accord quant à nos parents, et par moments j'avais les larmes aux yeux et j'essayais que ça ne se sente pas dans ma voix, parce que tout de même c'est moi le grand frère – mais je me doute qu'Isabelle l'entendait bien.



Lundi 13 août

Huit heures. – L'heure d'arrivée ici est un peu tardive, non pour cause d'apéritif (bizarrement) mais parce que je viens de passer trois quarts d'heure à écumer le site Volvo dans ses tréfonds. Olivier, le mari d'Isabelle, nous conseille plutôt la V 70 que la XC 70, au motif qu'elles se ressemblent beaucoup mais que la première coûte cinq mille euros de moins : je viens d'aller comparer, il a parfaitement raison. Bizarrement, Catherine semble plus excitée que moi par la perspective de cette nouvelle voiture, de notre “transfert” chez les Suédois. Ce qui ne veut pas dire que je ne le sois pas, excité, puisque j'ai toujours eu plus ou moins envie d'avoir une Volvo ; mais enfin, elle plus, depuis quelques jours.

– Journée tranquille à FD. D'abord parce que j'étais pratiquement tout seul sur la route à l'aller comme au retour, et ensuite parce que j'ai eu deux feuillets à écrire sur Adjani, ce qui m'a pris à peine plus d'une demi-heure. Arrivé à onze heures moins le quart, j'en suis reparti à quatre heures ; et encore, en ayant passé près d'une heure dans la salle de réunion, à lire Les Confessions de Jean-Jacques.

– Cet après-midi, trouvant sur Price Minister, site où je n'étais encore jamais allé, un exemplaire de Sarraute en Pléiade à 38 euros au lieu de 66, j'ai décidé que ça ne valait pas la peine d'attendre Noël pour me le faire offrir par Catherine et je l'ai commandé. Ce qui est un peu bête c'est que, dans le même temps, deux livres de la même arrivaient à la maison, commandés par moi il y a deux semaines, avant que je ne me décide pour la Pléiade. Je pense que je vais les offrir à Nathalie (de FD).

– Aucune nouvelle de Catherine P., à qui j'ai envoyé la première partie de mon article-fleuve dimanche en fin d'après-midi. Comme je l'ai dit à Catherine (la mienne…) : « Soit elle en reste muette d'admiration, soit elle est tombée en dépression après avoir lu cette bouse… » Le pis est que je ne plaisantais qu'à moitié.  C'est tout de même curieux, à mon âge et après plus de trente ans de métier, ce besoin que j'ai d'être rassuré, presque materné, dès que j'écris un truc sortant un tout petit peu de mon ordinaire. Et même quand ça n'en sort pas du tout, d'ailleurs. Je parcourais tout à l'heure une interview d'Amélie Nothomb (dont je n'ai par ailleurs jamais lu une ligne des romans) dans laquelle elle disait, mais c'était peut-être de la coquetterie, qu'elle avait peur qu'un jour les gens se réveillent et s'aperçoivent qu'elle n'est qu'un clown belge et pas du tout un écrivain. Eh bien, à mon petit niveau, c'est un sentiment, s'il est sincère chez elle, que je comprends fort bien.


Mardi 14 août

Sept heures et quart. – Rien à noter ici, sinon que j'ai dû, toute la journée, partager mon bureau avec une pigiste que je ne connaissais pas et qui avait deux qualités : elle n'était pas désagréable à regarder et elle était parfaitement silencieuse.

– Dans un Nième communiqué, ce matin, le parti de l'In-nocence en appelait carrément à la résistance contre l'islam et à une sécession nette entre lui et nous. Je me suis fait un plaisir de relayer ce communiqué sur le blog-mère. Depuis, la discussion bat son plein et certains se croient déjà dans les maquis. Cela dit, notamment les plus jeunes d'entre eux, et encore plus ceux qui ont des enfants, ils n'ont sans doute pas tort de se préparer sinon au pire (mais c'est quoi : le pire ?) du moins à des choses fort désagréables. En arriver à se réjouir de sa propre mort presque prochaine, parce qu'elle vous évitera sans doute d'assister à ce qui vous désespère, voilà une réaction que je ne m'attendais pas, jusqu'à récemment, à éprouver dans le cours de ma vie.

– À part ça, il fait beau.


Mercredi 15 août

Sept heures et demie. – Cette pauvre Rosaelle va finir par me faire pitié, à force. Aveuglée par la merveilleuse image qu'elle a d'elle-même, elle ne se rend absolument plus compte de rien, et notamment pas qu'en dehors de trois guignols qui lui ressemblent, elle est en train de devenir la risée de la blogosphère (enfin, bon : d'une partie…). Les blogueurs de tous bords s'échangent des mails privés pour se signaler sa dernière perle parue avec des gloussements de joie et des tremblements d'impatience. En plus de ça, elle est désormais affligée de deux ou trois trolls (et je sais de qui il s'agit) dont elle ne s'aperçoit même pas qu'ils en sont, simplement parce qu'ils délirent dans le même sens qu'elle mais, évidemment, en allant encore plus loin. Et, par-dessus tout, la principale caractéristique de cette malheureuse, au fond, c'est un inextinguible besoin de reconnaissance : elle veut être quelqu'un, une femme importante, lue, influente, etc. Je l'imagine très bien passant l'essentiel de ses journées, la pupille dilatée et rivée à ses douze compteurs de visites. D'un autre côté, pendant qu'elle est occupée à produire presque à la chaîne ses baragouins de semi-démente (idéologiquement démente, s'entend), elle doit foutre la paix à son mari et à ses enfants : peuvent nous dire merci, ceux-là.

– Catherine P. m'a envoyé un mail pour me dire, à propos du premier volet de mon article fleuve, que, l'exercice étant “horriblement difficile”, je m'en étais tiré aussi bien qu'il était possible – ce dont je ne suis pas persuadé du tout, mais enfin, si le commanditaire est satisfait ou se déclare l'être… Il me reste à écrire la deuxième partie le week-end prochain, et la fin le suivant.

– Ce matin, impression de disposer de l'autoroute pour moi seul : c'était presque trop ; ou pas assez, selon le point de vue adopté.


Vendredi 16 août

Sept heures et demie. – Nous sommes revenus d'Évreux avec la nouvelle Volvo pratiquement en poche, si je puis dire. Si nous n'avons encore rien signé, c'est que je tenais à m'assurer avant, auprès du concessionnaire Renault, que la reprise de la Mégane se ferait au jour dit et sans douleur financière excessive – ce dont je vais m'occuper dès lundi. Nous avons donc opté pour la V 70, moteur de 163 chevaux. Avec les deux ou trois options indispensables à mes yeux, le véhicule nous coûtera 43 000 euros. Ou plutôt nous aurait coûté car le vendeur – alors que nous avions la bêtise consternante de ne rien lui demander – nous a spontanément offert une remise de 10 %, ce qui ramène la voiture à 39 000 euros. Un crédit de cinq ans (après un apport personnel de 8000 euros) mettra les mensualités à 700, ce qui ne fait que 200 de plus que ce que nous payons actuellement. Évidemment, après ce petit tour de passe-passe, nous n'aurons plus un sou en banque ; mais comme les banques vont sans doute s'écrouler prochainement, nous n'aurons ainsi rien à regretter.

– Sur le front des rentrées, maintenant. Catherine P. m'a appelé tout à l'heure, pour me dire qu'elle avait finalement décidé de reprendre mon texte plus en profondeur afin de le clarifier. J'ai commencé par en être un peu (et sottement) froissé, mais je me suis rapidement rendu à ses raisons : tirer un récit intéressant et clair pour les lecteurs à partir du fatras innommable qu'est le livre d'origine nécessite plusieurs “couches d'écriture”, pour parler comme Renaud Camus. Et le rewriter que je fus si longtemps sait parfaitement qu'il est beaucoup plus facile à quelqu'un d'autre que le premier auteur de donner la seconde couche. La conséquence est que la parution est repoussée d'une semaine et que, donc, le second volet que je croyais devoir écrire demain et après-demain est remis au week-end suivant. J'en étais encore à savourer la perspective de ces deux jours à ne rien faire lorsque le téléphone a sonné de nouveau. C'était Étienne T. qui voulait savoir si je pourrais lui écrire une page “animaux” pour le prochain numéro d'Enquêtes. J'ai évidemment dit oui. Si tout le monde, là-bas, se ligue pour payer la Volvo à ma place, je ne vois pas pourquoi je viendrais me plaindre.

– Ce matin, ayant terminé hier La Route des Flandres, j'ai commencé à lire L'Inquisitoire, de Pinget. Pas longtemps : la factrice, dans une courte halte devant notre portail, a déposé le Pléiade de Sarraute dans la boîte aux lettres ; je me suis précipité dessus, ou plutôt dedans, et ce pauvre Pinget a réintégré la pile d'attente qu'il venait à peine de quitter.

– Sinon, il s'est mis à faire très chaud. Il y a quelques minutes, Catherine, comme il lui arrive régulièrement dans ces cas-là, a décidé d'arroser les chiens. Le problème est que, désormais, lorsqu'il la voient en maillot de bain se diriger vers le tuyau d'arrosage, tous les trois se carapatent dans toutes les directions et il devient fort difficile de les faire  revenir. Mais enfin, à force d'obstination, elle a fini par y arriver, comme toujours.


Samedi 18 août

Sept heures vingt. – Chaleur de bête depuis le début de l'après-midi : environ 36° (notre thermomètre n'est pas installé dans les règles de l'art, d'où la prudente incertitude). Catherine, sous la fenêtre de ce bureau, est occupée à passer les trois chiens au jet ; ils apprécient modérément mais leur maîtresse a décrété que cela leur faisait du bien… Et c'est un concert de « Bergotte au pied ! Elstir pousse-toi ! Swann assis ! », ad lib.

– Ce matin, comme prévu, appel téléphonique d'Étienne T., le jeune responsable des pages “froides” d'Enquêtes, pour parler de l'article que je dois écrire pour lui. Il avait un plan, j'en avais un autre, il s'est rendu au mien sans faire de façon ; notre entretien fut donc assez bref. J'écrirai cela demain matin, le plus tôt possible, avant le retour de la chaleur.

– Car nous avons vécu la journée, en tout cas sa seconde partie, soigneusement calfeutrés et dans une rigoureuse immobilité. À part les deux heures que nous avons passées devant la télé à revoir Urga, le film de Mikhailkov, je n'ai rien fait d'autre que lire Sarraute dans le volume de La Pléiade reçu hier ou avant-hier (non, hier) ; d'abord la suite des “essais et conférences” commencés hier, puis Tropismes. Et j'ai également parcouru les préfaces de Bruges-la-Morte et du Chagrin des Belges, arrivés aujourd'hui.

– La Case s'étant transformée en simili-fournaise dès la mi-journée, je ne suis pratiquement pas allé lire mes blogs accoutumés et m'en suis fort bien porté. Il en ira probablement de même demain, et sans doute encore lundi.


Dimanche 19 août

Sept heures vingt. – Journée en tous points semblable à celle d'hier, hormis le coup de téléphone professionnel du milieu de matinée. Il n'y a d'ailleurs pas de quoi se flatter de cette gémellité dans la mesure où j'étais censé me débarrasser ce matin du travail qui m'a été confié hier ; ce sera donc pour demain. Sinon, similitude parfaite du point de vue de la lecture, puisque j'ai continué avec Sarraute (Portrait d'un inconnu), et sur le plan cinématographique, dans la mesure où Catherine et moi avons comme hier interrompu notre lecture vers quatre heures pour aller regarder un film. Aujourd'hui : La Comtesse de Hong-Kong.

– Depuis plus de quarante ans, j'avais toujours refusé de voir l'ultime film de Chaplin : je pressentais, en m'appuyant sur ce que j'avais pu en lire ici ou là, qu'il allait cruellement me décevoir, et je refusais d'être déçu par Chaplin. Je comprends mieux le bien fondé de ma position désormais, après avoir vu cette comédie poussive, boulevardière, où l'agitation tient lieu de rythme. Ôtez Chaplin de l'affaire, transportez le film de nos jours, remplacez Sophia Loren et Marlon Brando par Sandra Bullock et Hugh Grant : personne ne verra la différence, vous obtiendrez une comédie comme Hollywood en produit dix par an. J'ajoute n'être pas certain que Grant ne s'en tirerait pas mieux que Brando, qui a drôlement bien fait de s'en tenir là (à ma connaissance) dans le registre de la comédie.


Lundi 20 août

Sept heures et quart. – Les grosses chaleurs (canicule, en langage journalistique) de ces jours derniers ont nettement refluées aujourd'hui, en tout cas en Normandie. Je ne sais où elles sont parties faire suer mes contemporains mais je leur souhaite bon vent. Ce qui m'a permis, entre onze heures et demie et une heure et demie, approximativement, je ne me chronomètre pas non plus, de boucler les quelque neuf mille signes que je devais au jeune Étienne T. ; qui, par retour de mail, s'est déclaré satisfait de ma petite production.

– Envoyé un mail au seigneur de Yanka pour l'avertir que je lui expédierai demain deux enveloppes contenant chacune deux livres de Sarraute au format “poche” : maintenant que je possède la totalité de ses œuvres dans la Pléiade, et la saturation de mes bibliothèques étant ce qu'elle est, il est inutile que je m'encombre de doublons. Les autres Sarraute, je les apporterai demain au bureau, sachant que Nathalie et Eugénie en feront leur miel.

– À propos toujours de Sarraute, relisant son essai sur Dostoïevski et Kafka, qui ouvre L'Ère du soupçon, j'ai été de nouveau frappé par la façon dont, à propos du Russe (mais aussi de Proust), elle s'approche vraiment très près de René Girard, et ce dix ans avant la parution de Mensonge romantique et vérité romanesque : on sent que le terrain était labouré et fertilisé, que le désir mimétique n'avait plus qu'à paraître. J'avais prévu de noter ici un paragraphe ou deux afin de tenter de mettre en lumière ce que je viens d'affirmer, mais j'ai évidemment, comme deux fois sur trois, oublié le volume dans le salon et n'ai guère le courage de retourner le chercher : on fera l'effort de me croire sur parole. J'avais même comme une vague envie d'en faire un petit billet, mais Catherine m'a plus ou moins signifié, fort gentiment certes, que mes considérations sur Sarraute, ça commençait à bien faire…

– Puisque j'en suis à évoquer le blog-mère, le pseudonommé Frédi Maque, qui me faisait la grâce de son absence depuis près d'un mois, est réapparu brutalement hier soir. Je ne sais s'il avait bu ou quoi, mais il a laissé coup sur coup quatre commentaires sans queue ni tête. J'ai pris comme un coup de sang (la chaleur ?) et je les ai tous supprimés. Comme il revenait à la charge, je lui ai assez rudement dit qu'il commençait à me les briser menu, pour parler comme Ventura, et j'ai réactivé la “modération” des commentaires afin de m'en débarrasser. Ce qui ne l'a pas empêcher, ses commentaires passant systématiquement à la trappe, d'en redéposer encore six ou sept comme si de rien n'était. Serait-il fou ?

Fou, sans doute pas, non. Mais j'ai parfois l'impression qu'il a établi avec moi des rapports d'adoration-haine assez dostoïevskiens, justement : il est mon homme du souterrain et je dois être son Zverkov. Je ne peux pas dire que cela m'enchante particulièrement. 

– Demain, comme chaque semaine, retour à Levallois pour trois jours. Voilà déjà huit mois que j'ai endossé mon nouveau costume de rédacteur, et aucune lassitude n'est à déplorer pour le moment.

– L'herbe du jardin est depuis quatre ou cinq jours d'un jaune réjouissant, en ce sens qu'il repousse l'échéance d'une prochaine tonte à une date heureusement indéterminée ; sauf sur l'arrière de la maison, face à la porte de ce bureau, à l'endroit où nous avons toujours supposé qu'était enterrée la fosse septique : pour cette raison, sécheresse atmosphérique ou pas, l'herbe y croît et reverdit avec une belle imperturbabilité. Elle n'a cessé de le faire qu'une seule fois, en août 2009, lorsque nous étions à Plieux ; ce qui était normal puisque, nous absents, la fosse septique ne se remplissait ni ne s'écoulait plus. Cela nous avait, à l'époque, confortés dans l'idée que c'est bien là qu'elle doit se trouver, cette fucking fosse.


Mardi 21 août

Sept heures et demie. – Allons-y donc pour une minute d'autosatisfaction imméritée. Par mail, Suzanne m'a signalé que, sur son blog, Patrick Mandon (qui doit être journaliste, en tout cas il écrit dans (ou dit-on plutôt sur ?) Causeur) avait cru bon de me consacrer un billet ; laudateur, le billet, et même sans doute un peu trop à mon point de vue, mais enfin, dans la mesure où j'accorde à chacun, sincèrement je crois, le droit de penser pis que pendre de moi, il ne serait pas très logique de leur refuser celui de me tresser des couronnes s'ils jugent pertinent de le faire. Donc, voici ce qu'il dit de moi :

« Au vrai, je le connais peu, et mal. Je lui rends visite trop rarement ; pourtant, il me paraît qu'il conduit une « entreprise d'écriture numérisée » fort ambitieuse et de belle facture. Il se pourrait - mais il faut tout de même étudier la chose plus attentivement - qu'il fût un authentique écrivain et que son « œuvre » constituât la première tentative proprement littéraire, usant du support numérique (outre son blogue, il tient son Journal). Je m'avance beaucoup, certes, et je plaide la vaste ignorance de l'ensemble de son travail. Il est de la race des grognons, des atrabilaires, des ironistes, des « diaristes » fatigués du monde, des êtres et des choses en apparence, mais qui leur gardent malgré tout plus qu'un semblant d'intérêt. Il aime les animaux ; il a pour eux, ces être souvent aimables que nous terrorisons, des mots d'une belle compassion. Avec cela, il manie contre lui-même l'ironie féroce des hommes lucides. Et c'est une vraie plume !
« Nos deux univers sont très différents, et le romantique vieillissant que je suis ne se satisferait pas totalement de son paysage de laboureur, raffiné certes, mais alourdi de prosaïsme. Il a écrit deux ou trois articles remarquables sur Nathalie Sarraute (que je persiste à trouver admirable, et très éloignée du naufrage du Nouveau roman), ainsi qu'une irrésistible réflexion sur le thème « rester jeune ou se faire vieux ». Il semble, par ailleurs, hanté par la menace que ferait peser l'Islam sur la France : cela lui inspire des textes discutables, mais très efficaces. Bref, je vous conseille d'aller lire le blogue de Didier Goux, afin de vous faire votre propre jugement (Didier Goux habite ici). En revanche, si j'en crois une photographie de son salon, je trouve à ce Goux un goût, dans la décoration intérieure et, surtout, dans le choix du mobilier, détestable. »

Pour ce qui concerne la décoration intérieure, je le laisse face à ses responsabilités, et surtout face à Catherine : qu'il se débrouille.

– Journée fort agréable, dès avant ce coup de brosse  à reluire : on m'a, ce matin, donné deux articles à écrire, dont le second pas si facile que cela, ce qui m'a occupé de façon presque continue jusqu'à cinq heures et m'a donc évité d'aller m'assommer de stupidités blogueuses. De plus, ma climatisation fonctionne parfaitement. Entre mes deux travaux, je me suis tout de même accordé une petite heure de lecture dans la salle de conférence, mais Rousseau et ses Confessions n'ont pas pu lutter bien longtemps contre le sommeil.


Jeudi 23 août

Sept heures dix. – Journée plutôt morne, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi dans la mesure où je sens bien que sa mornitude (à force d'inventer des néologismes bâtis sur ce modèle, je vais finir par perdre les mots corrects qui leur correspondent, je le sens !) est directement liée à la massivité de mon apéritif d'hier soir. Mais bon, comme “disent les imbéciles”. (Depuis que j'ai lu le roman de Sarraute qui porte ce titre (“Disent les imbéciles”), j'essaie de ne plus employer ce genre de formules, dont je me suis rendu compte que j'en abusais jusque-là. Mais j'ai encore quelques rechutes. Dans ce cas, je mets foireusement de petits guillemets autour, pour tenter de faire croire, et de me faire croire, que tout cela est vachement distancié.)

– Journée morne mais pas tout à fait vide cependant. Ce matin, j'ai conféré téléphoniquement avec un Rochechouart fraîchement rentré de vacances, afin d'établir une ébauche de plan pour le second volet du papier qui m'a été commandé et dont j'ai déjà parlé. La mauvaise nouvelle est qu'il n"y aura pas de troisième volet, ce qui ampute ma pige de cinq cents euros ; la bonne nouvelle est qu'il n'y aura pas de troisième volet et que je n'en ai donc plus qu'un à écrire : ce sera mon travail de samedi, qui débordera sans doute sur dimanche. Demain, je dois écrire six mille signes sur Lady Di, dont ce sera, le 31, le quinzième anniversaire de la mort. Thème : “Comme elle aurait été fière de ses deux fils !” Tu parles, Charles… J'ai passé une grosse heure, cet après-midi, à dépouiller la documentation que j'avais fait préparer hier ; en principe, écrire l'article ne devrait pas, demain, me prendre plus d'une heure, une et demie en mettant les choses au pire. C'est fort bien dans la mesure où, l'après-midi, nous avons rendez-vous à trois heures à Évreux, avec M. Volvo qui doit nous vendre une de ses voitures. Ce qui méritera sans doute un petit apéritif (mais vraiment petit pour le coup, car il faut absolument que je travaille samedi).

J'ai également lu cinquante pages de Martereau, le deuxième roman de Sarraute, et j'ai consenti à manger des haricots verts en salade alors que je n'aime pas les haricots verts. Enfin, tout en traînassant sur les blogs, j'ai copié sur CD (huit, pour le moment) la moitié de Du côté de chez Swann lu par Dussollier : ils sont pour la grand-mère de Catherine qui, devenue quasiment aveugle, se morfond dans sa maison de retraite et trouve les journées bien longues, privée de lecture qu'elle est désormais. Il est question que nous lui achetions d'autres livres enregistrés, notamment des nouvelles de Maupassant.

– Et le voisin de derrière vient enfin de faire taire sa fucking tondeuse. Ah ! non, merde : il la remet en marche !


Vendredi 24 août

Huit heures moins le quart. –  Eh bien voilà, la connerie est faite, nous avons signé pour une Volvo V 70 à 41 000 euros environ, ce qui signifie un endettement pour cinq ans, à raison de 700 et quelques euros de remboursement mensuel (sans parler des huit mille euros d'acompte que nous nous sommes engagés à verser sans les avoir réellement). Le pire est que nous en sommes ravis tous les deux, et que nous avons même fêté cela par un mini-apéritif (mini parce qu'il ne me restait plus grand-chose à boire, ce qui était parfait vu le travail qui m'attend demain). La difficulté va maintenant être de patienter jusqu'au mois de janvier sans trépigner d'impatience comme de sombres crétins : il n'est pas dit que nous y parvenions très bien.

– Quoi d'autre aujourd'hui ? En dehors du fait que j'ai écrit, ce matin, un peu plus de sept mille signes sur cette pauvre fille que fut Lady Diana, dont on commémore ces jours-ci le quinzième anniversaire de sa mort stupide, rien. Si, évidemment, il y a plus important et précieux : j'ai terminé Martereau, deuxième roman de Sarraute, et je brûle de commencer le suivant, ce qui sera pour demain, dans le temps que me laissera l'article que je dois à Enquêtes, ce deuxième volet concernant Donald Crowhurst, marin d'occase, demi-fou, dont je me moque complètement mais auquel il faut bien pourtant que je m'intéresse. D'autant que ce n'est pas au moment où on se colle un crédit inutile sur le dos que l'on peut se permettre de négliger ses employeurs annexes.

– Pour en rester à mes employeurs annexes, j'aimerais vraiment beaucoup me voir confier la totalité des pages “animaux” de leur journal, que j'écris avec beaucoup de plaisir et, je crois, une certaine verve, plus un article pour leur magazine que j'ai dû appeler Zodiaque. L'affaire me rapporterait environ 1200 euros net par mois sans me coûter d'efforts surhumains, et même en m'amusant un peu. Il faudrait que je pousse Rochechouart dans cette voie, mais en même temps je me sens assez peu capable de pousser qui que ce soit dans aucune voie. Et, surtout, me mettre en avant m'est absolument impossible. Conclusion habituelle : on verra bien.

– J'ai appris en rentrant d'Évreux la mort de Jean-Luc Delarue. 48 ans. Je me fous évidemment que ce type soit ou ne soit pas mort. Néanmoins, et ce n'est pas la première fois que j'observe cette réaction chez moi : je commence à trouver… à trouver quoi ? Jouissif ? Non, ce serait exagéré. Disons : pas désagréable, que meurent des gens assez nettement plus jeunes que moi. L'impression d'avoir volé quelques années de “rab”, ou quelque chose comme ça.  Il n'est pas exclu que ce sentiment soit multiplié lorsque le mort en question était riche et célèbre ; ce qui n'est pas à porter à mon actif, évidemment.


Samedi 25 août

Huit heures moins dix. – Un peu travaillé mais moins que je ne l'aurais dû. J'avais prévu de bâtir le “pré-papier”, d'en construire le plan en notant pour chaque partie les pages du livres où j'aurais besoin d'aller puiser des anecdotes et des citations, puis d'écrire au moins le premier tiers de l'article : je n'ai exécuté que la première partie de ce programme, si bien que je devrai écrire les dix ou douze mille signes demain, d'un seul tenant.

– Poursuivi la lecture de Sarraute (Entre la vie et la mort plus sa première pièce de théâtre, Le Silence), ce que certains se mettent à me reprocher sur le blog-mère, où ils trouvent que les citations de la dame commencent un peu à bien faire. Je m'en fous : je tiens cet auteur pour l'un des plus importants du dernier demi-siècle et je n'ai l'intention de leur faire grâce de rien.


Lundi 27 août

Cinq heures et demie. – J'ai finalement écrit hier, sans trop de douleur, la suite et fin des mésaventures de Donald Crowhurst, héros malheureux du Golden Globe de 1969 : 13 500 signes, soit 1500 de trop. Pour l'instant je n'ai eu aucun “retour” de mes vénérés chefs… Évidemment, à peine l'article expédié, l'envie d'un petit apéritif compensatoire n'a pas tardé à poindre. Et, pour une fois, il le fut vraiment, petit : j'ai bu à peine la moitié de ma dose habituelle. Si bien que, pour me récompenser de cette étonnante sobriété, j'ai décidé de boire la seconde moitié tout à l'heure, après le repas des chiens.

– Je ne sais par quelle mystérieuse voie Marcel Meyer a appris que nous serions paimpolais au début d'octobre, mais il vient de nous inviter à déjeuner et à visiter en leur compagnie (celle de son épouse, canadienne anglaise, et la sienne) le château voisin de La Roche Jagu, qui semble avoir très fière allure. En fait, il nous invitait également à dîner et même à dormir, mais nous avons décliné cette seconde partie de programme, notamment parce que Catherine et moi aimons beaucoup nous retrouver seuls après une journée “sociale”, et aussi parce que j'ai de plus en plus horreur de me réveiller ailleurs que chez moi, même si c'est un chez-moi très temporaire. Il y avait aussi que nous pensions laisser Bergotte au gîte et que nous ne pouvions l'abandonner trop longtemps, mais Meyer m'a répondu que nous devions l'amener avec nous. Enfin, il y a le fait que Catherine ne se sent jamais tout à fait à son aise avec les gens qu'elle ne connaît pas vraiment bien et depuis longtemps ; par conséquent, un déjeuner et un après-midi lui paraissaient suffisants. J'espère juste que Marcel Meyer ni sa femme ne prendront cela pour de la froideur de notre part, car ce n'en est nullement.


Mercredi 29 août

Sept heures et quart. – Tiens, je n'ai rien écrit ici hier… Bon, il y a eu apéritif, certes, mais tout de même… Ah, oui : je me suis embarqué, sur le blog-mère, dans un billet interminable et filandreux, à propos de la musique, des progressistes et des réactionnaires, que j'ai abandonné en son milieu, puis que j'ai publié par erreur, en cliquant sur le mauvais cartouche. Je l'ai évidemment supprimé aussitôt, mais ce temps d'existence très bref a suffi pour qu'il se retrouve dûment annoncé dans toutes les blogrolls et se faufile par ces maudits flux RSS qui ne vous passent aucune erreur. J'aurais bien mieux fait de venir radoter ici.

– Le déjeuner d'hier, avec l'amiral Woland et son ami Alexis, qui est désormais mon avocat, a été fort agréable. Nous étions en terrasse à La Villa (je ne parviendrai jamais à me faire à son nouveau nom : À table !…), il faisait beau, le Sancerre était bien frais. L'amiral nous a fait part de son désir de s'expatrier, d'ici deux ou trois ans, si possible en se faisant muter par sa boîte actuelle, soit dans le sud-est asiatique, soit à Houston au Texas. Ce qui risquera de compromettre un peu la régularité de nos déjeuners. Après les avoir quittés à l'entrée du métro, je me suis trouvé suffisamment frais et dispos pour expédier 7500 signes sur Johnny Hallyday en moins d'une heure et demie. Ce qui m'a conduit presque directement à l'heure de l'apéritif.

– Aujourd'hui, journée blanche, rien à en dire.


Jeudi 30 août

Sept heures et quart. –  « Suis allé lire le journal de Didier Goux, ce matin. Extraordinaire ennui, massif. Et dire qu'il y en a qui lisent ça chaque mois ! La bloge est déjà d'un ennui profond, étouffant, mais lui, Didier Goux, s'essaie à en exprimer le suc, et le pire est qu'il y parvient. C'est trop affreux pour qu'on ne ressente pas, durant un court laps de temps, une certaine forme de dépression. Le seul passage drôle est évidemment celui où il reconnaît que ses "commentateurs" l'emmerdent, et que très souvent il ne les lit pas. On va certainement avoir droit à des coups de pieds dans les tibias et à quelques crachats intéressants. Mais comme Didier Goux est un pervers, il va très bien se tirer d'affaire, comme d'habitude. Il sait d'ailleurs parfaitement ce qu'il fait en écrivant ce qu'il écrit. »

Tel est le début du billet publié ce matin par Jérôme Vallet alias Georges. Comme si lui-même ne le lisait pas chaque mois… Cela dit, je comprends parfaitement cet ennui qu'il dit ressentir : moi qui m'astreins toujours à trois lectures avant publication, dans le but chimérique d'éradiquer totalement les fautes de français ou de frappe, je le ressens mieux que personne, cet ennui. Ce qui est toujours un peu surprenant, chez Jérôme, c'est la déconnexion tranquille qu'il opère entre Georges et lui. Ainsi, avant-hier, il m'adressait encore un mail privé, court et anodin certes, mais plutôt bon enfant, voire sympathique. Vingt-quatre heures plus tard, Georges se réveille pour m'asséner cela, qui n'est pas grand-chose évidemment (il m'en a balancé de bien plus raides dans un passé pas très lointain), mais enfin qui laisse planer ensuite une certaine perplexité.

– Sinon, toujours en rapport avec la publication de ce journal de juillet, un certain nombre de mes commentateurs s'offusquent en effet, depuis ce matin, d'un court paragraphe, dans lequel je dis que, lorsque les commentaires deviennent trop nombreux et trop copieux, et encore plus lorsqu'ils dérivent très loin du sujet initial (ce qui est toujours le cas lorsqu'on dépasse un certain volume), je cesse presque complètement de les lire. Mais, moi, je ne m'indigne nullement à l'idée que bon nombre d'entre eux ne lisent presque jamais mes billets jusqu'au bout – j'en ai la preuve constamment renouvelée –, je trouve même cela assez logique, finalement : tous les lecteurs de presse font la même chose, et sans penser à mal, avec les articles de leur journal favori, que pourtant ils ont payé. Alors, un blog, un blog parmi tant d'autres… Mais eux, non. Déjà je sentais bien que certains étaient un peu froissés de ce que je ne réponde pas systématiquement et individuellement à chacune de leurs interventions. Et voilà que je me mêle d'avouer que, si je ne réponds pas, c'est parfois (mais pas toujours) parce que je ne les ai tout simplement pas lus. Bien entendu, deux ou trois ont aussitôt franchi le pas et, pour ceux-là, je suis devenu le blogueur-qui-ne-lit-jamais-ses-commentaires. Ainsi souffle le vent des blogs.

– Depuis trois jours que j'ai rendu la deuxième partie de mon article sur Donald Crowhurst, aucune réaction du côté des instances dirigeantes d'Enquêtes, pour qui je l'ai écrit. Dans la mesure où on a passé beaucoup de temps à en parler, à définir l'angle, à établir un plan, etc., il me semble que j'aurais pu espérer quelques mots en retour, simplement pour me dire si le résultat convenait ou ne convenait pas, et pourquoi. Mais non, rien.

– Comme désormais presque toutes les semaines, Gabriel m'a confié ce matin (enfin, ce matin : il était midi moins le quart…) mon travail d'aujourd'hui et celui que j'aurai à faire demain, d'ici. La différence avec d'habitude est que j'ai écrit les deux articles l'un derrière l'autre, de façon à pouvoir quitter Levallois l'esprit libre et en sachant que je n'aurais rien à faire demain pour FD.

– Car, demain, nous avons ici un “dîner de curés”, comme j'ai pris l'habitude de dire. Le père B., tout comme il l'avait fait l'été dernier, passera la soirée et la nuit à la maison, escale un peu décentrée vers l'ouest entre l'Angleterre qu'il quitte et la Bresse qu'il rejoint. Comme il se trouve qu'il connaît le père Éric, curé de Pacy, nous avons également invité celui-ci à dîner. Je vais donc, demain matin, avoir autre chose à faire (mais je ne sais pas encore exactement quoi) qu'à m'occuper de mon métier officiel.


Vendredi 31 août

Six heures moins le quart. –  Heure inhabituelle pour journée qui l'est aussi. Catherine ne va pas tarder à descendre à Pacy, afin d'assister à la messe de six heures et demie, en la compagnie très probable du père B. qui doit nous arriver d'Étretat – c'est du moins de là qu'il m'a téléphoné hier soir. Ensuite, ils remonteront tous les deux ici avec le père Éric et nous dînerons tous les quatre, loin des fureurs et de la connerie du monde.

– À propos de connerie du monde, je me suis résolu, une fois de plus, à fermer les commentaires sur le blog-mère, après en avoir supprimé une bonne vingtaine : on se serait cru dans la salle commune d'un institut pour jeunes déficients mentaux. Je ne sais pas si je les rouvrirai ; il serait très bien que je ne le fisse point.

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