lundi 3 janvier 2011

Novembre 2010








LES TENTATIONS AU DÉSERT









Lundi 1er

Sept heures vingt. – Reçu il y a quelques minutes des photos de notre mariage envoyées par Axelle, retour de Bretagne : je déteste toujours autant me contempler. Et surtout lorsque, certaines ayant été prises au restaurant avec fort peu de recul, je me vois en assez gros plan. Enfin...

– Sinon, journée parfaitement improductive, pas plus aujourd'hui touché au synopsis qu'hier et, également comme hier, ai passé près de deux heures à lire le blog de Pierre Driout, avec beaucoup de plaisir et de beaux moments d'excitation que je n'ose pas qualifier d'intellectuelle, mais qui enfin y ressemble tout de même. Et puis, cette espèce de fatuité faussement candide qu'il étale à plaisir, avec une sorte de sourire en coin que l'on devine, m'amuse beaucoup.

– Je n'aime pas arriver en vue de la fin du livre en train sans savoir ce que je vais lire après : c'est le cas aujourd'hui. L'idéal serait que je reçoive demain Max Havelaar, ce roman hollandais du XIXe siècle, dont j'ai appris l'existence en lisant Harry Mulisch. Jusqu'ici, comme à peu près tout le monde je suppose, je prenais ce Max pour un marchand de café “équitable”. (Du café équitable : quelle grandiose époque que la nôtre, tout de même ! Pourquoi pas de la mayonnaise magnanime ? Un iPod humaniste ? Du chou-fleur citoyen ?)


Mardi 2

Sept heures vingt. – Bon, cette fois, ça est : le synopsis du BM 319 est bouclé (ce qui me fait penser que je devrais bien, demain, adresser un mail à Marie-Thérèse pour qu'elle m'envoie le contrat correspondant, ainsi qu'un autre à Nancy pour me rappeler à son bon souvenir financier, puisque nous venons d'entamer un mois tout neuf...). À partir de demain matin, donc, on poussera le navire à l'eau. Une fois de plus, on va naviguer au plus juste puisque, compte tenu de la semaine supplémentaire de vacances que j'ai obtenue de Brice, et compte également tenu des 12 et 13 septembre où je ne pourrai pas travailler, le premier de ces jours pour cause de rendez-vous médicaux à Levallois et le second en raison de festivités crevettiennes, il ne me reste finalement qu'onze jours pour écrire ces 240 pages. Au vu de mon scénario, j'ai l'impression que ce BM devrait être facilement mené à bien, mais je sais aussi que je suis désormais capable de m'échouer sur le moins intimidant des récifs invisibles à l'œil nu. Bref, tout est comme d'habitude.

– J'achève la lecture des Métamorphoses de la cité, de Pierre Manent, livre passionnant, riche, foisonnant – tellement riche et foisonnant qu'il ne devrait malheureusement pas m'en rester grand-chose, je le crains. Les dernières pages m'ont donné envie de lire enfin ce petit livre de Paul Veyne qui traîne depuis des années dans ma bibliothèque : Les Grecs croyaient-ils (ont-ils cru) à leurs mythes ? Je vais le commencer demain.

– Ludovic est arrivé par le train en fin de matinée, essentiellement pour laver son linge, et doit en principe repartir demain. Entretemps, et si le temps y consent, je ne serais pas fâché qu'il tonde le jardin à ma place...

Il a tout à l'heure bu les deux bières que sa mère avait achetées pour lui, ainsi que du vin à table, sans que cela induise la plus petite tentation chez moi. Détail touchant : il ne voulait pas que Catherine les achète, ces bières, pour ne pas me tenter...

– Interruption d'une vingtaine de minutes due au coup de téléphone de François M., ancien du CFJ dont j'étais sans nouvelle depuis la dernière fois que nous dînions ensemble, il y a bien sept ou huit ans. Il a démissionné du Monde il y a un an et a passé un CAP de cuisinier : il travaille désormais à mi-temps dans une crèche parentale (j'ai fini par comprendre qu'il s'agissait d'une crèche gérée par les parents et non d'un local où on les entasse pendant que leurs enfants vaquent à leurs occupations socio-professionnelles). Il m'apprend qu'un autre de nos condisciples, Philippe C., a quitté lui aussi la presse pour monter une entreprise de pompes funèbres dans le Gard. C'était notre rubrique : le CFJ mène à tout à condition...

Je suppose que François aurait bien aimé qu'on se voie rapidement. Mais j'ai préféré surseoir jusque janvier, en lui expliquant pourquoi : je ne tiens pas à multiplier pour l'instant les tentations de retomber dans l'alcool. À part ça, je serais très content que ces retrouvailles aient lieu : c'était l'un des trois ou quatre de cette promotion à être véritablement fin et cultivé. Et, sans être jamais devenu réellement amis, nous nous aimions beaucoup.


Mercredi 3

Sept heures et quart. – En principe, je devrais avoir écrit les 20 premiers feuillets du BM. En principe... Dans les faits, m'étant levé très tard (neuf heures et quart), j'ai estimé que ça ne valait pas le coup de m'y mettre ce matin et, du coup “au carré”, pas non plus cet après-midi. En conséquence de quoi, c'est moi qui ai eu la charge de conduire Ludovic à la gare d'Évreux.

– J'ai aussi engagé un périlleux corps à corps avec la carte SD de Roselyne afin de l'actualiser. Je pense y être parvenu, mais rien n'est moins certain. Mon optimisme vient du fait que lorsque j'ai remis la fameuse carte dans son logement, le graphisme de Roselyne et de ses petites icônes avait changé. Donc, il s'était bien produit quelque chose dans cette fichue carte. Débordant d'un juvénile enthousiasme, j'ai entraîné Catherine dans un second voyage à Évreux, afin de tester le GPS sur le nouvel échangeur. Las ! à l'endroit crucial, la voiture, d'après Roselyne, a continué de rouler à travers champs comme avant. Ne m'avouant pas vaincu, au retour j'ai de nouveau introduit la carte dans l'ordinateur. Première victoire : j'ai trouvé comment obtenir les indications de la marche à suivre en français. Et, là, le logiciel Tom-Tom m'a informé qu'il ne pouvait rien faire pour moi, ma carte étant parfaitement à jour. Dont acte, il n'empêche que Roselyne persiste à couper à travers champs lorsque nous sommes à l'échangeur d'Évreux.

– À part cela, je ne vois rien à noter de cette journée, sinon que j'ai terminé le livre de Manent, que je n'ai pas retrouvé le petit ouvrage de Paul Veyne dont je parlais hier – alors que j'étais persuadé l'avoir –, que j'ai commencé de lire Le Savant et le Politique de Max Weber, qui m'a rapidement ennuyé, et que j'ai fini la journée en lisant les deux premiers actes d'Amphitryon 38, lecture beaucoup plus amusante et gracieuse. Je ne crois pas me tromper en affirmant que c'est la première fois de ma vie que j'ouvre un livre de Giraudoux (à moins d'un oubli complet, toujours possible). Arrivé à presque 55 ans, mon inculture me sidère et m'accable un peu plus chaque jour.


Jeudi 4

Huit heures moins le quart. – Cette fois, je m'y suis mis, le chapitre premier est bien entamé (mais pas plus qu'entamé). Bilan de ce premier jour : 9 feuillet selon les organisateurs, 7,5 selon la police de caractère. C'est peu, bien sûr, mais c'est toujours comme ça, le premier jour. Un roman qui commence, c'est comme une mer trop froide : dans ma jeunesse, je plongeais d'un seul coup d'un seul, maintenant j'y vais orteil par orteil. Mais enfin, signe encourageant, ces huit feuillets (je ne peux décidément pas m'empêcher de tricher...) se sont faits sans effort ni déplaisir. Avec ennui, mais sans déplaisir.

– J'ai reçu le Bleu de Michel Pastoureau ce matin, dans l'édition originale (non “poche”) et je me suis mis à le relire ; il exagère tout de même un peu, l'historien : il y a des pages entières qui sont reprises à la virgule près de Bleu dans Noir, sans parler des répétitions d'un chapitre sur l'autre à l'intérieur d'un même livre.


Vendredi 5

Huit heures. – Reçu, un nouveau mail du Père B., qui est en fait plutôt une réponse à ma réponse. Je suis bien heureux qu'il ait découvert – et aimé – Jan Valtin grâce à moi qui l'avais aimé grâce à Dominique et Anna. Il me confirme qu'il connaît le blog de la Crevette mais que contrairement à ce que j'avais cru comprendre (et qui ne collait pas avec le fait qu'il prétende me lire depuis longtemps), il a découvert La Joie du Jour par mon blog et non l'inverse.

– À propos du Père B., je me suis plongé dans le volume de Flannery O'Connor qu'il m'a offert en cadeau de mariage, en commençant par la correspondance, laquelle est un véritable délice, un crépitement d'intelligence et d'humour, mais avec toujours un arrière-plan de douleur, de douleur tenue à distance, de douleur à qui elle intime le respect.

Avant d'en venir à ce livre, j'ai commencé de lire Siegfried et le Limousin, de Giraudoux, mais il m'est tombé des mains au bout de trente pages : ce style un peu précieux, un peu chantourné, un peu chichiteux m'ennuie tout de suite et pourrait m'exaspérer assez rapidement, en cas d'obstination de ma part. Il y a aussi que, chez Giraudoux (et contrairement à O'Connor, tiens, puisqu'on en parlait), l'humour, la drôlerie, la cocasserie se poussent un peu du col, se donnent complaisamment à voir et exigent qu'on les admire : c'est pénible et puéril. Donc, passons outre.

– Sur le front BM, la situation n'est pas brillante : 20 feuillets en deux jours et avec toutes les peines du monde. Non peine à trouver des phrases, mais accablement lorsqu'il s'agit, l'une terminée, d'en commencer une autre derrière. Cet après-midi j'en étais arrivé à faire une pause quasiment après chaque paragraphe. Et il me reste en tout et pour tout dix jours : la catastrophe pointe son mufle.


Samedi 6

Sept heures et demie. – Aujourd'hui, sur un blog tendance “transgenre/indigènes de la République, qui s'appelle Mademoiselle S, la discussion avait pour thème le droit à l'avortement. L'un des commentateurs suggérait tranquillement que ce droit était scandaleusement restrictif et qu'il conviendrait de le prolonger jusqu'à la fin du neuvième mois de grossesse. En gros, disait cet âne malfaisant, tant que l'enfant est dans le ventre de sa mère, c'est sa chose, un non humain dont elle peut disposer à sa guise. Une des commentatrices “institutionnelles” de ce blog de tarés, qui signe subtilement Gouine Mum, se pose fréquemment en vestale du temple féministe, en cerbère de tous les déviationnismes machistes. En réalité il s'agit d'un travesti ou transsexuel qui gagne sa croûte en se prostituant, si j'ai bien compris. Et les autres sont à l'avenant. Passer dix minutes sur ce blog, et notamment à lire les commentaires, produit à peu près les mêmes effets qu'un buvard de LSD trop imbibé. C'est très curieux. Expérience à faire, à renouveler, mais de manière assez espacée.

– Sur le front BM, les choses s'arrangent mais pas autant qu'il le faudrait. Je veux dire que le nombre de feuillets quotidiens augmente, mais étant parti de fort bas il est encore nettement insuffisant (aujourd'hui : 18 selon les organisateurs, 14 selon la police).

– Mail de la Crevette cet après-midi, m'informant de la présence possible de François Desouche à son déjeuner de samedi prochain. J'avoue que je suis très curieux de connaître ce garçon. Mais enfin, l'affaire ne semble pas encore tout à fait conclue. Son blog est à mon avis irremplaçable, mais à condition de s'abstenir de lire ses commentateurs (très nombreux) : il y a là un ramassis de frontistes “à la papa”, très Algérie française scrogneu-gneu, difficilement supportables. Surtout quand ils se mêlent, en plus, d'être antisémites. Ces gens-là ne sont sans doute pas la majorité, loin de là, mais, telle une trace de merde sur un mur immaculé, on ne voit qu'eux.

– Je poursuis avec délectation la lecture de la correspondance de Flannery O'Connor. Femme d'une intelligence aiguë (on s'en doutait) mais aussi d'une ferveur catholique sans faiblesse, intense, et traversée par de grands éclairs d'humour ravageur. Il est tout de même inouï qu'une telle fleur ait pu croître et s'épanouir dans les conditions où elle a vécu. Mais ce que je dis là est stupide et vain, dans la mesure où elle-même explique très bien que sa vie de recluse dans son sud profond (comme on dit) était la condition sine qua non pour que son talent puisse produire quelque chose de bon. Et Dieu sait si elle n'y a pas manqué.


Dimanche 7

Sept heures et demie. – Poursuivi goulument la lecture de la correspondance de Flannery O'Connor et, avec nettement moins d'enthousiasme, l'écriture du BM n° 319 (18 pages selon les organisateurs, 15 selon la police). Les lettres d'O'Connor sont émaillées de superbes considérations sur sa religion (catholique), la foi, la grâce, la rédemption, le Christ, etc. Mais jamais elle ne se départ de cet humour qui fait tout le sel de ses lettres : on voit toujours très nettement le petit sourire en coin qui est le sien lorsqu'elle se sent devenir trop sérieuse, en voie de grandiloquence.

– Pendant ce temps, en commentaires sur le blog-mère, le ruminant Clarky étale sa bêtise crasse et sa sotte agressivité impuissante. Ce type finit par devenir fascinant : aucune des flèches qu'il croit décocher n'atteint la cible qu'il s'était donnée. Avec cela qu'il exsude l'autosatisfaction béate, tare qui n'est arrangée en rien par ses co-ruminants qui, à chacune de ses pitoyables approximations langagières, lui persuadent qu'il est le fruit d'une union céleste entre San-Antonio et Michel Audiard – ce qui, du reste, ne serait de toute façon pas viser bien haut, mais enfin nettement au large de ce tartarinesque rodomont.

Et puis, en voilà un qui n'est absolument pas gêné pour traiter les autres de pédé. Et je dis bien bien : traiter. Car on sent très nettement qu'il s'agit, à ses yeux, de rabaisser, de meurtrir. Ah, quand on leur gratouille un peu le vernis de tolérance et de vivre ensemble, à ces frustrés du mirador et des barbelés, on arrive très vite à la chair de leur vrai visage – rien que pour ça, il vaut bien la peine de les asticoter un peu de temps en temps.

Enfin, il sombre, le Clarky (mais aussi les autres, à des degrés divers), dans le ridicule le plus complet, lorsqu'il passe son temps à déclarer qu'il préférerait se faire couper en huit plutôt que de venir lire mon blog, mais qu'il administre à chaque paragraphe la preuve qu'il le connaît sur le bout des doigts.

Et puis, tout de même, ces sexa voire septuagénaires, qui se donnent du “Mon Roro” et du “mon Lolo” à chaque fois qu'ils viennent s'enduire les uns les autres de compliments hyperboliques, c'est à se tordre de rire et de pitié.

– Reçu hier un livre de Pierre Manent et Max Havelaar, le roman de ce Hollandais du XIXe siècle qui avait adopté l'étrange et un peu ridicule pseudonyme de Multatuli. Mais je n'ai pas envie de quitter Flannery aussi vite : les hommes attendront.

– Il y a deux semaines, à cette heure, j'étais déjà passablement saoul, et c'était ma dernière soirée alcoolisée. Depuis, tout se passe très bien sur ce front-là, mais il est vrai que, ne bougeant pas de la maison ni ne recevant, je n'ai pas eu à affronter la moindre tentation. La première surviendra samedi prochain, lors du déjeuner chez les Crevette. Je me sens très sûr de moi. Mais évidemment, on ne doit jamais trop faire le malin face aux tentations. Surtout lorsqu'on a décidé de se retirer en plein désert de la soif.

Depuis deux jours, quand je me contemple au miroir, j'ai l'impression sans doute trompeuse que les deux valises qui avaient élu domicile sous mes yeux depuis plusieurs années ont déjà repris un format d'attache-case. Je pense qu'il s'agit d'une pure illusion de ma part. Et si Catherine me soutient mollement le contraire c'est sans doute à des fins d'encouragement. Comme on affirme à un enfant que, oui, il a grandi, alors qu'il n'a pas pris un millimètre – et au besoin on triche avec le trait de crayon que l'on inscrit sur le mur servant de toise familiale.


Lundi 8

Huit heure et quart. – Juste quelques mots en coup de vent, puisque j'ai un peu sottement perdu du temps à écrire un petit billet aussi polémique que sans intérêt sur le blog-mère (je ne le mets même pas en lien ici, il ne le mérite absolument pas).

– Journée mitigée sur le front du travail : 18 selon les organisateurs (SLO, à partir de maintenant), 13 SLP – de moins en moins brillant. En tirant au maximum sur la corde (vis-à-vis de l'éditeur), il me reste dix jours pour écrire 170 pages. Et encore, en fractionnant la relecture des chapitres déjà écrits, un peu chaque soir au lieu de traîner sur les blogs, et non d'un coup à la fin du livre comme il serait beaucoup mieux que cela soit. On y arrivera bien sûr, mais avec quelles simagrées !

– Terminé la correspondance de Flannery O'Connor et enchaîné sur les deux premières nouvelles de son recueil posthume, Mon mal vient de plus loin. Titre superbe, entre parenthèses, comme ceux de ses autres livres.

– Face à des Hank, des Pélicastre et quelques autres, je me fais souvent l'effet d'être le blogueur-au-nez-rouge, celui qui assure les intermèdes comiques pendant que les gens sérieux réfléchissent et qu'on change les décors de la pièce...

En tout cas, je suis peut-être partial, sans doute même, mais je ne vois pas, parmi les blogueurs de gauche que je connais, qui pourrait rivaliser avec ceux que je viens de citer et une bonne dizaine d'autres sur le plan de la réflexion, de la hauteur de vue, des capacités à développer et à creuser une idée – ni, disons le mot, sur le plan de la culture. Le Coucou, peut-être.


Mardi 9

Huit heures. – Finalement, je crois bien que Bernstein et Boulez sont ce qu'il y a de mieux pour diriger Mahler. Et, notant cela, je ne peux m'empêcher de sourire : qui suis-je et que connais-je pour prononcer ce genre de décret ? On me passerait, dans une heure, la version de la 6e symphonie que j'écoute en ce moment que je serais probablement incapable de la reconnaître (pas la symphonie tout de même, la version ; encore que...). Et on tenterait de me vendre Abbado ou Karajan pour Boulez que je n'y verrais sans doute que du feu. Ma seule possible excuse est peut-être que je n'ai jamais tenté de faire croire à qui que ce soit que je connaissais la musique, et aussi que je ne suis pas la dupe de mon ignorance. Mais enfin, il m'est déjà arrivé de “parler musique” et j'aurais probablement mieux fait de m'en abstenir.

– M'abstenir, c'est ce que je viens de faire sur le blog-mère en renonçant à écrire un billet sur Les boiteux entreront les premiers, cette extraordinaire nouvelle de Flannery O'Connor faisant partie de son recueil posthume (posthume de peu) : Mon mal vient de plus loin. Nouvelle dont la puissance maléfique qui en exsude relègue au rang d'amusette pour ados tous les Exorciste que Hollywood pourra jamais imaginer et filmer. Mais je ne vais pas me mettre à ânonner ici ce que j'ai eu la sagesse de taire là-bas.

– Front BM : 18 SLO, 16 SLP, ce qui reste insuffisant mais pas encore catastrophique. Encore, sur ces 16 pages, ai-je trouvé le moyen d'en repomper deux et demie dans un ancien volume, ce qui ne m'a coûté qu'un copier/coller et quelques adaptations mineures. Ce n'est pas la première fois que je me dis que, après mon passage à l'informatique, j'aurais dû me faire des “fiches cul”, si je puis dire. À savoir stocker systématiquement les scènes explicitement érotiques en les rangeant par genres : couple hétéro, couple lesbien, trio 2H + 1 F, et le contraire, sexe dans une baignoire, domination d'un homme sur une femme, l'inverse, etc. Dans la mesure où, quoi que vous fassiez, une pipe est toujours une pipe, n'en déplaise à ce nul de Magritte, je pourrais aujourd'hui me dispenser de composer la moindre scène de cul en me contentant de recycler celles déjà écrites – et nul n'y verrait rien, car un lecteur qui bande est forcément moins attentif à ce genre de détails. Voilà ce que c'est que de n'être ni organisé ni prévoyant.

– Dans la blogosphère, le quarantième anniversaire de la mort de de Gaulle donne l'occasion d'une belle déferlante de connerie partisane chez mes amis gauchistes et gauchisants. Déferlante à double échappement, si je puis dire : ceux qui vous démontrent que le Général ne fut qu'un piètre dictateur secrètement acoquiné avec l'extrême-droite, et les autres qui se confondent en révérence devant sa statue, sans paraître se souvenir que la famille politique dans laquelle ils barbotent a toujours traîné de Gaulle dans la fange. Je n'ai répondu à aucun, je deviens sage...


Mercredi 10

Sept heures et quart. – Plus que celle du Bien et du Mal en tant que tels, c'est la question du Mal se parant des oripeaux du Bien qui traverse toute l'œuvre de Flannery O'Connor, la sous-tend. C'est-à-dire que le démoniaque y est à l'ouvrage, que la tentation est là, toujours présente, ne relâchant que très rarement son emprise. Satan est presque tout entier contenu dans ce masque que les damnés prennent pour leur visage même. Et on comprend, du coup, pourquoi Flannery O'Connor fut une lectrice passionnée et assidue de Bernanos. Ce phénomène du Mal agitant une caricature de Bien comme un montreur le fait d'une marionnette est particulièrement intense et effrayant dans la nouvelle intitulée Les Boiteux entreront les premiers, où le personnage du père ne cesse de clamer son goût du dévouement, sa passion d'aider autrui, de soulager les misères. Or, pendant que ses lèvres remuent et produisent des sons, ce qu'on voit à l'œuvre c'est sa profonde sécheresse de cœur et d'esprit, lesquels sont le plus grand obstacle à une grâce éventuelle par la satisfaction qu'ils exposent d'eux-mêmes. Cette sécheresse brutale s'exprime clairement une fois lorsque le père reproche à son fils de pleurer à l'évocation de sa mère, morte depuis un ans. "Tu as tout de même onze ans!", lui dit-il, ce ce ton de componction raisonneuse et mielleuse dont il ne parviendra jamais – sur le temps de la nouvelle – à se départir. Et l'on se doute qu'après le suicide de son fils, parti rejoindre sa maman au ciel après avoir découvert le ciel physique – et seulement lui – au travers d'un téléscope, et à moins d'une grâce dont Flannery O'Connor ne refuse jamais la possibilité, y compris pour ses “damnés”, le père continuera de se dévouer aux autres tout en restant aussi éloigné que possible de la charité.

Il faudrait bien sûr parler du troisième personnage de cette nouvelle, dont le nom m'échappe (je suis dans la Case et le livre est resté à la maison...), ce semi-voyou (délinquant, caillera...) très intelligent que le père force à venir s'installer sous le toit familial afin qu'il le conforte dans la vision merveilleuse qu'il; a de lui-même ; ce garçon toujours soumis à une tension presque inhumaine et qui, dès l'entrée du récit, proclame qu'il est damné et ira rôtir en enfer. De fait, il ressemble puissamment au diable, au Père du mensonge, au Prince de la tentation, et encore plus lorsqu'il brandit la Bible pour mieux détruire le fils. C'est lui qui va lui faire découvrir le ciel, par le téléscope, mais un ciel vide qui ne peut susciter rien d'autre que des hallucinations. De fait, l'enfant croira y découvrir sa mère et se pendra pour la rejoindre.

Dans ce Sud où nous plonge Flannery O'Connor, la religion est omniprésente. Mais, le plus souvent, privée de la charité et de la grâce, elle ne fait que se résoudre en émanations malsaines qui rendent les hommes fous, assassins, alcooliques ou prêcheurs – parfois tout ensemble.

Les nègres sont en toile de fond, aussi fous et haineux que les blancs (pas de rédemption bon marché chez Flanerry O'Connor), toujours présents, circulant dans les consciences comme les termites dans une maison de bois, un remords à bas bruit, un exutoire à la violence qui ne résout jamais rien, une vision matérielle et niée avec rage et rancœur du monde dévalant vers le Jugement dernier.

Les prêcheurs ne sont fous que parce qu'ils invoquent un dieu auquel ils tournent le dos ; leurs disgrâces physiques plaident contre eux, en même temps qu'elles pourraient être une occasion de rachat.

Le soleil change de forme, de couleur, de taille et de nature selon qu'on le supporte ou le contemple. Mais il est toujours là, pour qui veut bien s'en aviser : Tout ce qui s'élève converge.

Si peu d'amour au fond. Et lorsqu'il survient, il se gauchit, s'exacerbe et se dénature. Pas davantage de sexe ou à peine : l'élan vital fait défaut.

Chaque personnage, par la profondeur du regard et la puissance du verbe, est retourné comme une peau d'animal écorché et contraint de montrer son vrai visage ; lequel peut être soit brûlé soit illuminé.


Jeudi 11

Sept heures et demie. – Ce n'est qu'au moment de fermer l'ordinateur, hier soir, que j'ai décidé sur un coup de tête de transformer mes notes éparses sur Flannery O''Connor en billet pour le blog-mère. Du reste, quand je dis “transformer”, c'est inexact, puisque je me suis contenté de les reproduire telles quelles, me sentant incapable plus ou moins de les organiser et encore davantage de les approfondir. Du coup, évidemment, me gênent beaucoup les compliments qu'elles m'ont valus, ces notes – et comme en même temps ils me font plaisir, que j'en retire une espèce d'aliment pour ma vanité, j'en suis encore plus embarrassé, et finalement mécontent de moi-même pour les avoir publiées, alors qu'elles étaient parfaitement à leur place dans ce journal où à peu près personne ne se serait avisé de leur présence.

– Je n'ai réalisé qu'aujourd'hui, et encore parce que je l'ai lu sur le forum de l'In-nocence, que la fameuse phrase, In girum imus nocte et consumimur igni, était un palindrome, au grand étonnement de Jérôme Vallet, qui me prête plus d'intelligence et de jugeotte que je n'en ai. Comme j'ai eu la candeur de le dire, ce n'est évidemment pas ça qui va renflouer mon crédit auprès des très graves et très dignes membres de cette minuscule assemblée.

– Le roman d'O'Connor, Et ce sont les violents qui l'emportent, est tout simplement prodigieux, habité par une tension presque douloureuse pour le lecteur. Mais j'ai suffisamment blablaté comme ça sur elle hier.

– Front BM : 16 SLO, 14 SLP.

– Tout à l'heure, lisant en attendant l'heure du dîner, je me suis dit que j'étais de plus en plus content de ma décision d'arrêter l'alcool. Et il me tarde d'être à samedi, non seulement parce que je me réjouis de cette demi-journée chez les Crevette mais aussi parce que j'ai hâte d'affronter ma première vraie “épreuve” (j'y mets des guillemets parce que, tout de même, il n'y a rien de surhumain là-dedans). Y pensant, je me suis dit qu'il va être temps, maintenant, de songer à arrêter aussi le tabac une bonne fois pour toutes. Ce qui risque fort d'être une toute autre paire de bretelles. Car, là, contrairement à l'alcool, accro je suis bel et bien. Mais, pour la première fois peut-être, je sens poindre une envie réelle d'arrêter et, avec elle, un commencement d'espoir (on est encore loin de la certitude nécessaire) d'y parvenir. Et puis, quelle plus merveilleuse excuse, pour ne plus sortir du tout ni ne plus voir personne, que la peur de la rechute ? C'est pour le coup qu'il s'agirait d'une véritable retraite au désert.

– Demain, interruption du BM pour une “journée toubibs” à Levallois et à Neuilly : à une heure de l'après-midi, c'est la dermatologue qui ouvrira les hostilités pour mon inspection de détail annuelle, à laquelle je suis soumis depuis mon cancer de la peau (embryonnaire, fort heureusement) de 1993. Une demi-heure plus tard, dans le même cabinet médical levalloisien, le dentiste sera chargé de me détartrer les quenottes et de me désensibiliser les gencives comme il l'a déjà fait deux ou trois fois, en les enduisant d'une espèce de vernis à ongle, qui n'est évidemment pas un vernis à ongle mais produit un peu le même effet protecteur. Enfin, transport à Neuilly pour y rencontrer le docteur Garrigue, mon médecin traitant, qui, en plus du renouvellement normal de mon ordonnance, sera prié de se pencher un peu sérieusement sur mes problèmes de fourmillements incessants dans les pieds et les mains, qui durent depuis maintenant plus de deux ans et ne vont pas en s'arrangeant. Le résultat de ce phénomène est que j'ai constamment les pieds gelés – ou l'impression de les avoir, ce qui revient au même – et que ce froid est en train de gagner mes mains, en commençant par les deux auriculaires. Si la médecine est impuissante suer ce chapitre, il faudra que je m'habitue à l'idée de finir en bloc de glace. Ou en bonhomme de neige.


Vendredi 12

Huit heures et quart. – Journée à haute teneur médicale, donc. Pas de cancer en vue chez la dermatologue, ni de carie chez le dentiste. Du côté de la médecine générale, le docteur Garrigue, mon “traitant” comme on dit dans les romans d'espionnage, m'a dit que mes fourmillements continuels dans les pieds et les mains, ainsi que le fait que j'aie toujours, désormais, les pieds très froids, relevaient d'une neuropathie légère, laquelle frappe souvent les diabétiques et... les personnes buvant beaucoup d'alcool. Il m'a assuré que le fait d'arrêter totalement de boire suffisait à stopper l'évolution du processus et même, parfois, à le faire un peu régresser. Eh bien j'étais très content qu'il m'annonce qu'il n'y avait rien à faire (car ça revenait à ça) : j'étais accablé d'avance à l'idée de devoir aller consulter un machinologue, qui m'aurait prescrit une batterie d'examens, avant de me renvoyer vers un confrère trucopathe, lequel m'en aurait à son tour imposé d'autres, etc. Je préfère nettement continuer à vivre avec mes fourmis.

– Demain, déjeuner chez les Crevette, avec d'autres jeunes gens, et premier vrai test pour moi, quant à l'alcool. En dehors de cela, je me réjouis fort de cette journée qui, en plus du plaisir de la passer avec des gens que j'aime beaucoup, me fournit une excuse parfaite pour oublier le BM en cours. Qui ne manquera pas de se rappeler à mon bon souvenir dès matines, dimanche.

– Terminé Et ce sont les violents qui l'emportent : fin très impressionnante. Remisé momentanément O'Connor pour lire le petit livre de Paul Veyne : Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?

– Avant mes rendez-vous médicaux, comme j'étais bien entendu en avance, je suis monté à FD : aucun plaisir de me retrouver là. Et même un certain sentiment d'étrangeté, comme si j'avais connu tous ces gens dans une vie antérieure et qu'ils venaient brusquement de sauter dans l'actuelle avec la ferme intention de me rendre fou.


Samedi 13

Huit heures moins le quart. – Je suis rentré de cette journée chez les Crevette avec de la fièvre : on dirait que boire de l'eau ne me réussit pas (car j'ai passé ce premier teste avec honneurs et félicitations du jury). Si bien qu'il ne s'écrira rien ici ce soir alors que je comptais noter pas mal de chose – pour une fois que je me souviens parfaitement de ce qui s'est dit.

– Cette poussée de fièvre, pas trop importante pour le moment, m'inquiète pour demain, car si je tombe malade, c'est vraiment la catastrophe sur le chantier BM. Il est possible qu'elle vienne de ce damné bouton énorme qui m'est revenu à la fesse droite. Si c'est le cas, on peut espérer que les antibiotiques prescrites hier (et avalées aussitôt) par la dermatologue commenceront à produire leurs effets bénéfiques demain.

Ce sera tout pour ce soir, donc.


Dimanche 14

Sept heures et demie. – La fièvre qui m'avait quitté ce matin est revenue en catimini dès le milieu de l'après-midi. Je pense qu'elle est due à ce damné bouton énorme qui squatte ma fesse droite, comme il y a trois mois. La dermatologue, vendredi, m'as mis sous antibiotiques, mais évidemment, il faut toujours bien deux jours avant que cela ne commence à faire effet, quand ça fait effet. Il est tout de même curieux que ce nouveau venu dans ma cartographie bubonique ne se présente que lorsque je suis, pour cause de BM, contraint à demeurer assis derrière mon bureau. J'en aurais à dégoiser, si j'avais la tripe freudienne...

Et je m'aperçois que j'ai déjà dit tout cela hier soir.

– Je constate autre chose, et ce n'est pas non plus la première fois, c'est que mes journées “sociales”, lorsqu'elles sont pleinement réussies et agréables, ce qui était le cas hier, eh bien je n'éprouve pas le besoin de les raconter ; quelque chose même m'en empêche, qui doit ressortir plus ou moins à une sorte de pudeur mais sans être tout à fait cela. Catherine, elle, peut relater tout cela dans son propre journal (ce qu'elle a d'ailleurs fait), dans la mesure où, en dehors de moi, personne n'est autorisé à le lire. Preuve de plus que la publication gauchit le principe même du journal. Encore une fois, il faudrait en tenir deux. Ou, plus exactement, comme le faisait Julien Green, tenir un journal comme si personne ne devait le lire jamais et, chaque mois, en publier des morceaux choisis aussi larges que possible. C'est peut-être à quoi je vais me résoudre.

Dans le cas de ce déjeuner d'hier, il y a aussi le fait qu'avec les blogueurs on ne sait jamais à quel degré d'anonymat ils veulent se tenir. Il va de soi que je ne dévoilerais pas les identités réelles de ceux qui écrivent sous pseudonymes, mais j'en sais de suffisamment paranoïaques pour ne même pas vouloir que leur “avatar” blogosphérique soit mentionné comme présent à telle ou telle manifestation, fût-ce la plus innocente.

– Front BM : cote mal taillée aujourd'hui. Comme il fallait que je travaille mais que je n'en avais nulle envie, j'ai opté pour un moyen terme : relecture et correction des cent pages déjà écrites. Il me reste donc six jours pour cent trente pages : jouable. Il y a quinze ans, il m'en aurait fallu deux et demi...


Lundi 15

Huit heures et quart. – Front BM : 22 feuillets SLO et SLP. Étonnant, non ? Ce n'est pas lors d'une manifestation politico-syndicaliste qu'on pourrait voir un tel unanimisme.


Mardi 16

Sept heures et quart. – Mauvaise journée. D'abord et surtout à cause de cette saloperie de bouton à la fesse qui, tout comme la première fois il y a trois mois, n'en finit pas de grossir et, donc, de devenir plus douloureux : j'en suis à ne plus pouvoir m'asseoir sur une chaise sans qu'un gros oreiller ne vienne jouer les médiateurs entre le siège et mon séant – et encore, sous paracétamol du matin au soir. Pour quelqu'un censé écrire au moins cinq heures par jour s'il veut satisfaire aux exigences de son éditeur, on ne pouvait rêver plus subtile torture.

Ensuite, mon logiciel Word a planté près d'une dizaine de fois aujourd'hui. Non seulement c'est inquiétant pour la suite du BM et les délais que je viens d'évoquer, mais en outre je perdais deux ou trois paragraphes à chaque fois, qu'il fallait bien entendu refaire une fois le bourrin remis en route. Jérôme Vallet va encore me dire de laisser tomber ce logiciel qui est d'après lui une saloperie. Le mien l'est sans doute d'autant plus qu'il m'a été installé à FD, “en douce”. C'est-à-dire qu'il doit s'agir d'un truc qui avait déjà été copié dix ou vingt fois avant de venir se loger dans ce Mac.

Malgré tous ces contretemps, bilan BM : 19 SLO & SLP (l'heure des petits mensonges puérils est passée).

– Nous nous sommes ce matin levés dans le brouillard, et il est déjà retombé depuis environ deux heures. J'aime beaucoup le brouillard, mais point trop n'en faut. La Normandie – notre coin de Normandie en tout cas – n'est pas une terre de brumes intensives et durables, mais je me souviens que lorsque nous vivions dans le Loiret, près du canal de Briare et de la Loire, entre 1992 et 1996, il pouvait arriver que le brouillard ne se lève pas du tout des trois ou quatre jours d'affilée, ce qui finissait par transformer l'existence en une sorte d'attente irréelle et un peu morne.

– Mail de Dominique P., cet après-midi, Dominique que je n'ai pas vue depuis au moins dix ans. À l'époque, Jean-Louis, son mari, connu au CFJ, était encore de ce monde. Elle m'annonce qu'elle vient de se remarier, mais ce qui est amusant c'est la manière dont j'ai resurgi dans ses pensées (nous n'avons jamais été très proches) : son nouveau mari lui avait parlé deux ou trois fois d'un blog qu'il aimait bien, mais sans qu'elle y prête une attention particulière ; je suppose qu'elle se fiche des blogs. Il y a environ trois semaines, ce même mari lui annonce que le taulier convole en justes noces, ce qui ne provoque pas davantage l'enthousiasme de Dominique, jusqu'à ce que son mari ajoute : « C'est curieux, ses témoins ressemblent à tes amis Fernique, de Strasbourg... » Du coup, elle se penche sur l'ordinateur et identifie Didier Goux, qu'elle connaît depuis plus de trente ans. C'est le côté plaisamment saugrenu de la blogosphère.

– Je ne sais plus si j'ai noté ici que l'acheteur éventuel du studio de Levallois avait bel et bien reçu les offres de prêt de sa banque. Par conséquent, de potentiel, il devient acheteur ferme. Ou, s'il se rétracte maintenant, les 10 000 € versés à la signature de la promesse d'achat nous resteront acquis. Je suppose que la vente définitive devrait intervenir entre le 15 décembre et Noël. Si bien que nous allons terminer en principe l'année non pas bourrés d'argent, mais remis à flot et avec un petit matelas de 10 à 15 000 euros. Que nous sommes fermement déterminés à ne pas dépenser, ou en tout cas pas entièrement.

– Dépassé de deux jours les trois semaines sans alcool. Mon record d'abstinence étant de six mois (mais c'était en 1981 ou 82...), j'ai encore de la marge. À l'époque, c'était pour des raisons uniquement esthétiques et ce passage à l'eau minérale accompagnait un régime alimentaire strict qui, en trois mois, m'avait ramené de 112 à 97 kg. Ce qui n'est d'ailleurs pas mon record en matière d'amaigrissement : en 2003, je suis passé de 120 à 99 kg (mais très vite remonté à 103-105, où je suis encore actuellement). Je crois que, sauf cancer généralisé et terminal, je mourrai gros.


Mercredi 17

Huit heures vingt. – Je me suis laissé allé à écrire un assez long billet pour le blog-mère, que j'ai programmé pour demain matin, et, de ce fait, il ne me reste plus guère de temps pour écrire ici, avant l'heure de La Vie est belle de Capra. De toute façon, pas grand-chose à noter, sinon que j'ai peu et mal travaillé, et que, hier soir, juste avant de me mettre au lit, mon bouton fessier a percé, ce qui m'a obligé à réveiller Catherine pour qu'elle me confectionne un pansement. Heureusement encore qu'elle était là : comment vivent les célibataires à boutons ? Et à boutons sur la fesse, notamment ? Il est vrai qu'ils ne prennent pas tous du Plavix, lequel a pour effet d'empêcher le sang de coaguler. Le résultat est que je ne grimace plus de douleur chaque fois que je dois m'asseoir, ou changer de position une fois assis, ce qui est beaucoup. Néanmoins une légère fièvre subsiste, qui est peut-être bien, finalement, due à autre chose.

– Demain, retour à FD après presque quatre semaines d'interruption. J'en ai autant envie que d'une sodomie passive non lubrifiée.


Jeudi 18

Huit heures moins dix. – Journée morose, grisâtre, même pas triste : juste profondément ennuyeuse. J'ai peine à me souvenir qu'il y a encore quelques années, après une semaine ou deux d'absence (à plus forte raison quatre comme c'était le cas cette fois-ci), j'avais plaisir à revenir à FD, revoir les gens avec qui je travaillais, humer de nouveau l'ambiance, me replonger dans ce travail que j'aimais bien. C'est définitivement terminé. Je n'ai rien contre les gens que je côtoie à Levallois, il en est même quatre ou cinq que j'apprécie, mais ils ne suffisent plus, et il s'en faut de beaucoup, à compenser tout le reste. Je pense que si je quittais FD, au bout de deux mois je ne me souviendrais même plus avoir connu ces gens-là, alors que ceux d'il y a 15 ou 20 ans oui, et même très bien. Mais l'âge joue probablement aussi son rôle dans cet effacement, ce retrait que je sens s'opérer en moi.

En moi et peut-être tout autant chez les autres : je vois bien que je ne suis plus au centre ; plutôt comme un meuble ancien dans lequel on ne range plus grand-chose mais qu'on garde par habitude de le voir là, dans son coin de vestibule. Ce n'est pas que ça me gêne ni m'attriste, mais cela doit bien contribuer un peu, et même sans doute plus que cela, à ce sentiment d'être de moins en moins "dedans”. En réalité, et quitte à m'en mordre les doigts si cela arrivait vraiment, je rêve de plus en plus ardemment à une porte dérobée qui me permettrait de sortir de toute vie professionnelle avant terme. Quelle malchance de n'avoir pas 58 ou 59 ans plutôt que 54 ! Ma situation pour négocier un départ serait évidemment beaucoup plus favorable.

Conséquence plutôt comique : j'ai hâte d'être à samedi pour me remettre au BM...


Samedi 20

Cinq heures et demie. – Retour à la normale, c'est-à-dire au BM en cours. 20 feuillets écrits, 20 feuillets annoncés (annoncés dans quelques minutes, lorsque je rejoindrai la maison). Il en reste 60 et trois jours pour en venir à bout, ce qui n'est pas la mer à boire, surtout quand le cheval commence à sentir l'écurie (mais quelle double formule idiote !). En tout cas, je ne sais si c'est dû au plaisir que j'éprouve à n'être pas à FD, mais ces pages se sont écrites sinon dans l'enthousiasme du moins sans les moindres difficulté ni accablement.

– Ce matin, mail du père B., très en verve, assez drôle, se déclarant assez ébahi, suite à mon billet clownesque d'hier, de me voir m'intéresser au droit canon. Dire que je m'y intéresse serait tout de même beaucoup s'avancer. Je lui ai répondu aussitôt et, comme précédemment, ai archivé cet échange, sans savoir du tout pourquoi j'éprouve le besoin de conserver tout cela qui reste assez anecdotique, au moins pour le moment.

– Commencé après le déjeuner la lecture de Max Havelaar, le roman de Multatuli qui s'annonce fort drôle, verveux, caustique. Le personnage qui apparaît en premier – un courtier en café dont le nom m'échappe en cet instant – pourrait sortir d'un roman de Dickens, il me semble. Je ferai peut-être un petit billet tout à l'heure, après le dîner, pour en dire quelques mots.

– Hier, Catherine tout à trac m'a demandé si je n'aurais pas “un peu grossi”. Un peu est faible : vérification faite ce matin, j'ai pris cinq kilos en quelques semaines. Moi qui pensais qu'arrêter l'alcool allait me faire maigrir sans le moindre effort, je dois constater que c'est l'inverse qui se produit. Catherine prétend que c'est parce que je mange davantage depuis l'arrêt – c'est possible. En tout cas, tour de vis depuis ce midi. Il faut surtout que, le soir, je cesse de m'empiffrer de fromage blanc généreusement additionné de confitures diverses, puis, avant d'aller me coucher, d'avaler une demi-baguette tout aussi généreusement garnie de camembert. Je dois absolument redescendre sous la barre des 105 kg (j'étais ce matin à près de 110...). 101 ou 102 seraient parfaits, compte tenu de mon renoncement définitif à l'espoir d'être un jour autre chose que gros – espoir qui, du reste, ne m'a jamais exagérément taraudé.

– Sibelius : découverte. L'un des rares compositeurs (je ne sais pourquoi ; à cause de La Valse triste probablement) qui se trouve depuis toujours dans la maigre discothèque classique de mes parents et qui, durant des années, m'a été d'un ennui profond. Et, une fois de plus, aujourd'hui, l'écoutant, je ne parviens pas à comprendre cet ennui, à me comprendre alors. Didier Goux : le type qui n'est jamais raccord.


Dimanche 21

Cinq heures et demie. – Peu à dire ici. La journée s'est passée sur le BM, qui a avancé de 18 feuillets. Il en reste environ 40 ou 45 et deux jours pour les écrire : tout roule. J'ai tout à l'heure envoyé un mail à Renaud Camus pour le prévenir de l'arrivée prochaine de deux BM, justement : celui que j'ai fait tout récemment à partir de son roman, Loin, et aussi Les Filles du château, un peu plus ancien, dont la première partie se passe à Plieux à l'époque où Catherine et moi en étions les occupants.

– Poursuivi la lecture de Max Havelaar, roman que je trouve fort séduisant, par sa construction d'abord, ce système de narrateurs multiples, de styles divers, et aussi par l'esprit de satire qui y est sans cesse présent. Mais il vaut mieux que je reproduise simplement ici les quelques notes rapides que j'ai publiées tout à l'heure sur le blog-mère, histoire d'occuper un peu le terrain :

Un roman dont le personnage éponyme, cent ans plus tard, saute à pieds joints dans le monde réel pour y devenir l'emblème d'une réalité nouvelle et ô combien concrète, ce n'est pas si fréquent – C'est pourtant le sort dévolu à Max Havelaar. Lequel, dans un livre de 380 pages, n'apparaît pas avant la 104e.

Réussir à survivre à un nom de plume aussi pathétique que Multatuli (Multa tuli : j'ai beaucoup souffert...), il y fallait tout le génie d'Eduard Douwes Dekker, écrivain contemporain de Flaubert.

Max Havelaar est écrit d'un bout à l'autre à la première personne, mais ce n'est pas toujours le même narrateur qui parle. Et ce n'est jamais Havelaar lui-même.

Les quatre premiers chapitres sont vus par le courtier en café Droogstoppel, le bourgeois hollandais dans toute l'horrible drôlerie de ses déficiences morales et intellectuelles : étriqué, cupide, papelard, inculte, matois, lâche, pontifiant et bête, il pourrait sortir d'un roman de Dickens. Ses charges contre la poésie et le théâtre, les arguments qu'il produits à leur encontre sont d'une irrésistible bouffonnerie. Il dit aussi (page 58) : « J'en arrivais à la conclusion de plus en nette qu'il faut être courtier en café pour savoir avec exactitude ce qui se passe dans le monde. » Bref, Droogstoppel a un grain.

L'art de la digression à la fois saugrenue et docte vient de Sterne. D'ailleurs, le jeune Allemand à qui Droogstoppel demande d'écrire son livre à sa place (par prudence...), livre qui doit se baser sur le récit à venir des tribulations indonésiennes d'Havelaar, ce “nègre” s'appelle Stern.

Il y a dans ce roman de la hargne et de la grandeur, de la cocasserie et du romantisme, un éclatement des styles et une unité profonde.

Je laisse de côté pour le moment le ressort principal, la dénonciation rageuse de l'oppression hollandaise sur les Javanais, car j'aborde tout juste cette partie “exotique” de l'œuvre.

Multatuli est un satiriste éblouissant doublé d'un moraliste soupe-au lait.

– Aujourd'hui, journée essentiellement consacrée à Chostakovitch, sauf le temps que Catherine a passé en repassage dans la Case, durant lequel nous avons "basculé” sur Sibelius. (J'ai l'impression d'écrire en pur charabia...)

– Tout à l'heure, après le dîner, il me faudra encore relire et corriger les pages 146 à 182, afin d'être à jour. Car, ce matin, entre deux paragraphes, j'ai trouvé le moyen de rédiger la quatrième de couverture : travail facile et rapide mais qui n'est désormais plus à faire.

Il y a un petit moment m'est venue l'idée que, mardi soir, lorsque j'inscrirai le mot fin de ce BM, je vais être pris d'une violente envie d'apéritif...


Lundi 22

Sept heures vingt. – Front BM : 21 feuillets. Il m'en reste exactement autant pour demain et c'en sera fini. Je me doute déjà que, vers cinq heures de l'après-midi, approchant du point final, c'est là que l'absence d'apéritif va sans doute se faire sentir. Car, de mémoire de brigadier mondain, onc on ne vit se terminer un roman sans l'arroser dignement. Mais il y a un début à tout. Ce sera ma deuxième tentation au désert, si je puis dire, après le déjeuner chez les Crevette…

– Ai-je dit que, depuis deux jours, j'ai déjà reperdu un kilo sur les cinq ou six pris durant ces dernières semaines ? Pour aider, abandon du camembert vespéral et retour à la cancoillote (8% de matières grasses contre 45...). En plus, comme j'aime tout de même moins ça, je n'ai pas trop tendance à boulimer excessivement. J'ai également supprimé le fromage blanc (ou yaourt) que je mangeais en m'installant devant la télévision. Non que le fromage blanc (ou yaourt) soit mauvais en soi, mais il y avait le quart de pot de confiture que j'y ajoutais chaque soir...

– Cet après-midi, économie de trente euros. La lecture du roman de Multatuli m'a donné envie de reprendre Tristram Shandy, que je possède en édition de poche depuis ma première lecture remontant à sept ou huit ans je crois. Or je me souvenais qu'une nouvelle traduction, paraît-il géniale, était sortie en 2004, c'est-à-dire peu de temps après ma première lecture. J'ai failli la commander chez Amazon, l'index menaçait déjà la souris, mais j'ai finalement reculé devant le prix et décidé, si l'envie persistait encore d'ici quelques jours, de reprendre sagement la vieille traduction qui dort dans mes rayonnages. De toute façon, lorsque j'aurai fini Max Havelaar, arriveront les deux livres de Cees Nooteboom commandés il y a deux jours. (Je ne me souviens déjà plus des titres...) Et, ensuite, ce devrait être le tour du Journal 2009 de Renaud Camus ainsi que de ses Demeures de l'esprit – France du Nord-Est. Une fois tout cela lu, l'envie me sera probablement passée du livre de Sterne.

– Comment font les blogueurs pour s'intéresser depuis des jours et des jours à ce qu'ils appellent assez ridiculement le Karachigate ? S'y intéressent-ils vraiment, d'ailleurs ? N'est-ce pas plutôt une excuse commode pour faire la seule chose dont au fond ils soient vraiment capables, à savoir taper sur Sarkozy (quand le pape ne vient pas faire diversion) ? Ce serait alors le même processus que celui qui les a conduits à se passionner pour “l'affaire Bettencourt”, c'est-à-dire pour rien, strictement rien. On peut toujours penser que ça les occupe.

– Dès la fin du BM – demain, donc – je vais me replonger (tiens, voilà ce que j'oubliais dans mon programme de lectures, plus haut !) dans les mémoires de Saint-Simon et dans la correspondance de la princesse Palatine afin de préparer ma série pour FD dont le sujet est les turpitudes de la cour de Louis XIV, vues par un petit gentilhomme de province. Compte tenu de la quantité de travail que je commence à entrevoir, je suis déterminé à poser comme préalable à Philippe B. qu'il me rétribue pour ces quatre doubles pages non au tarif normal (500 €) mais au “tarif de Villiers”, soit 1000 € la double page. S'il n'y consent, je crois que je refuserai d'écrire la série, malgré l'envie que j'en ai, ne serait-ce que par principe et pour lui montrer que tout le monde n'est pas forcément disposé à se laisser exploiter jusqu'aux tréfonds, et en plus en disant merci. Si on en arrive là, je suppose que ça signifiera l'arrêt total des séries pour ce qui me concerne ; tant pis, je m'en fous. Je veux bien ne pas gagner d'argent, mais je refuse d'être payé au rabais pour ce que j'accepte de faire. Surtout quand on venu me solliciter pour cela. Les jeunes gauchistes qui s'imaginent que parce qu'on est étiqueté de droite (ou réactionnaire, ou de n'importe quel autre label qu'il leur plaît de nous coller au front), on en devient automatiquement des proies consentantes et faciles pour les patrons se trompent lourdement : j'ai connu de vieux journalistes parfaitement réacs qui savaient se montrer férocement revendicatifs dès qu'ils estimaient qu'on portait atteinte à leur intégrité professionnelle, ou même tout simplement à leur portefeuille. Mais, évidemment, ils ne s'empoissaient pas les babines de toute la gaucholalie ambiante.


Mardi 23

Six heures. – 17 h 43 : fin du BM n° 319. Et première fois depuis 22 ans que cela ne sera pas suivi par un apéritif réparateur (qui d'ailleurs ne réparait rien du tout). Mais, contrairement à ce que j'imaginais hier, je n'en ai pas tellement envie. Presque pas du tout envie, même. En revanche, la sensation peu agréable de vide intérieur est, elle, bien présente, comme à chaque fois. Je ne me souviens d'ailleurs pas si j'ai connu ce phénomène depuis le début, soit en 1986, ou s'il est apparu ensuite.

On va penser que je ne sais plus compter, avec mes 22 ans et mon 1986. C'est que j'ai écrit trois BM coup sur coup cette année-là, mes trois premiers donc, mais qu'il y a ensuite eu une interruption jusqu'au début de 1990. Je ne compte qu'à partir de cette deuxième date.

– Rien de plus à dire, et rien envie d'écrire ici non plus : le vide...

– Je comptais abandonner cet ordinateur pour aller lire au salon en attendant le dîner mais, au moment de le faire, je vois se découper les deux phares de la voiture de Ludovic (qui est en fait la nôtre, mais bon). Du coup, sachant par expérience qu'il est rigoureusement impossible de lire autre chose que le programme de télévision lorsqu'on se trouve dans la même pièce que Ludovic, je reste ici.

(Catherine, m'apercevant par la fenêtre taper sur mon clavier, vient de venir ouvrir la porte de la Case pour me demander si mon BM serait fini pour sept heures. J'ai un peu lâchement répondu oui, de manière à ce qu'on me laisse tranquille. Et, effectivement, mère et fils viennent de repartir vers la maison.)

Je pourrais d'ailleurs commencer tout de suite à relire et corriger les 25 pages écrites aujourd'hui, mais je préfère me garder ça pour l'après-dîner.

– Demain, Levallois, et pour trois jours : il me semble que cela fait des éternités que je n'ai pas fait une semaine de travail “complète”.

– Il y a un mois tout juste, la maison était pleine de monde, et d'agréable monde, Catherine et moi étions mariés depuis un peu moins de trois heures. Et j'avais encore le droit de boire de ce merveilleux Riesling apporté par André, bordel !

– Il y a quelques jours est apparu sur le blog-mère un nouveau commentateur signant Jazzman. Depuis, il passe littéralement ses journées à squatter, laissant des huit ou dix commentaires à l'heure, le plus souvent dénués du moindre intérêt. Tout à l'heure, après quelques allusions non suivies d'effet, je lui ai dit que ça suffisait comme ça. Depuis, je lui en veux de m'avoir contraint à cet acte d'autorité : j'ai horreur de jouer les propriétaires, les “charbonnier est maître chez soi”.

– Intéressant développement de XP/Hervé, sur Ilys, tout à l'heure, à propos de la gauche et de la droite. Il disait que la gauche étant, à ses propres yeux, le parti de la tolérance – non pas qui pratique la tolérance mais qui la symbolise, qui l'incarne – les gens de droite, en tant qu'adversaires, ne pouvaient être, par voie de conséquence, que des partisans de l'intolérance. Et que, donc, ils ne pouvaient prétendre à aucune espèce de légitimité. Et c'est bien cela que je ressens toujours, avec les gens de gauche, même sans le dire comme XP : lorsqu'ils acceptent de parler avec vous, ils s'arrangent toujours pour vous faire sentir la faveur qu'ils vous font. On devrait, je suppose, leur être reconnaissant de ce qu'ils acceptent de se compromettre en nous adressant la parole. Au fond, ils réagissent exactement comme les racistes de la vieille école, ceux qui avaient leur “bon nègre”, le fréquentable, celui qui n'était pas comme les autres, et à qui on faisait sentir qu'il aurait presque pu être blanc, qu'il s'en fallait de peu qu'il puisse être hissé jusqu'à cette dignité suprême. Ils sont drôles. Bêtes et dangereux, mais drôles.


Mercredi 24

Huit heures moins le quart. – Un commentateur anonyme du blog-mère me signale à l'instant que je suis cité (non, pas cité : évoqué, je suppose) plusieurs fois dans le journal 2009 de Renaud Camus, ce qui n'est guère surprenant vu que nous avons tout de même occupé le château de Plieux durant un mois. Le même anonyme me dit aussi que, d'après l'index, je serais né en 1977. Je lui ai aussitôt envoyé (à Camus) un petit mail pour le remercier de ce rajeunissement appréciable, mais en lui demandant de ne pas poursuivre dans cette voie, ne tenant pas plus que ça à devoir retourner prochainement à l'école.

– Rien à dire de ma journée de travail à FD, sinon qu'elle fut calme, courte et fort peu travaillée.

– Reçu deux romans de Cees Nooteboom que je compte lire juste après Multatuli, afin de rester dans mon cycle batave. Mais si les deux Camus arrivent avant, le Hollandais devra attendre.

– Comme Marie-Thérèse avait d'ores et déjà besoin du titre de mon prochain BM (n°322, à rendre le 15 février), il a bien fallu que je décide d'un thème. Je vais donc le faire dans le milieu associatif (modèle d'association : quelque chose entre les Indivisibles et les Indigènes de la République). On y verra des SM transgressant à des fins de jouissance leurs propres interdits. Et ce sera l'occasion de certains petits portraits dont je me réjouis d'avance – même si je sais que je me réjouirai beaucoup moins au moment de les écrire. Titre prévu : Ardentes Bénévoles. Je pense que je le dédierai (s'il le veut bien) à Pierre Robes-Roule, puisque, d'une certaine manière, c'est grâce à un billet de son blog que l'idée m'est venue. Dédicace possible : À Pierre Robes-Roule, terreur de toutes les Girondes...


Jeudi 25

Huit heures moins le quart. – Ce soir, un véhicule en panne ou accidenté, on ne sait, au bout du tunnel de la Défense, tunnel où j'ai par conséquent passé une demi-heure au lieu des quatre minutes habituelles. Du coup, j'ai été contraint de m'arrêter pour pisser sur une aire de l'autoroute, sentant que je ne tiendrais pas jusqu'à la maison. Vieillesse, vieillesse...

– La vente du studio sera effective mardi prochain (30) : nous devons être chez le notaire à midi et demie. Bonne chose de faite. On va enfin pouvoir repartir sur des bases financières saines. (Pourquoi repartir d'ailleurs ? Partir serait plus juste, puisque, en 20 ans, nous n'avons à peu près jamais fait autre chose que n'importe quoi, en ce domaine.)

– Max Havelaar ne tient pas toutes ses promesses, je trouve ; à une petite centaine de pages de la fin, je commence à m'y ennuyer un peu. Je vais tâcher de le terminer demain midi, afin de pouvoir passer soit à Nooteboom, soit au Journal 2009 de Renaud Camus s'il arrive demain ou samedi. Inutile que je précise qui aura ma préférence en cas de choix.

– Je vais très probablement être doté d'un Mac tout neuf au bureau : il est temps, celui que j'utilise depuis – je crois – 2004 est désormais essentiellement occupé à rendre l'âme.


Vendredi 26

Sept heures et demie. – J'ai dit et répété que la fin d'un BM n'avait jamais rien d'agréable, et presque au contraire. En fait, j'aurais dû écrire : rien d'agréable au moment où ça se produit. Le vrai bonheur, bien réel, pas intense mais pas loin, survient le vendredi soir suivant, lorsqu'on se découvre la perspective d'un immense week-end de quatre jours sans la moindre corvée d'écriture en perspective.

– Coup de téléphone tout excité de Catherine, en fin de matinée, pour m'informer que non seulement il est question de moi à plusieurs reprises dans le Journal 2009 de Renaud Camus (Kråkmo), mais qu'il y a même reproduit le petit pastiche des Tontons flingueurs que j'avais commis pour le forum de la SLRC, peu après la parution de L'Amour l'Automne. Pastiche que je reproduis ici pour mémoire :

La scène se passe dans une grande bâtisse de la région parisienne, entourée d’un parc clos de murs. Bernard, Lino, Jean et Francis, rentrant assez tard dans la soirée, ont la désagréable surprise de constater que la jeune fille de la maison a invité une bonne cinquantaine d’amis. Ils occupent toues les pièces, où ont lieu différentes lectures à haute voix, d’auteurs justement célèbres : Marc Lévy, Paulo Coelho, Philippe Sollers, etc. Écœurés, nos quatre compères sont contraints de se réfugier dans la cuisine. Là, Francis, le comptable du groupe, ouvre sa mallette : elle est pleine de livres de Renaud Camus. À ce moment, entre Robert, le majordome anglomane. Il jette un coup d’œil au contenu de la mallette.

Robert : Ah ! on a ressorti le vitriol ? Ça va rajeunir personne… (il explique aux autres :) Ça remonte à l’époque de Barthes et Ricardou. On a dû arrêter la fabrication : y a des lecteurs qui devenaient fous, ça faisait désordre…

(Pendant ce temps, Francis distribue à chacun un exemplaire de L’Amour l’Automne.)

Lino (feuilletant rapidement le volume) : Il a pourtant l’air honnête, comme ça, à première vue…

Bernard (l’air hébété, après avoir lu quelques pages) : Y a pas à dire, c’est du brutal !

Lino : J’ai connu une certaine Madame de Véhesse qui en lisait au petit-déjeuner, alors… (Il lit à son tour, pâlit brusquement) Faut reconnaître que c’est plutôt une lecture de normalien…

Jean (après avoir lu également) : J’y trouve comme des relents de références littéraires…

Robert : Y en a.

Bernard (le sourire de plus en plus flottant, s’adressant à Lino) : Tu sais c’que ça m’rappelle ? Ces petites choses qu’on lisait vers les années 75 – 76, dans une taule de la rue du Bac. Comment ça s’appelait déjà ?...

Lino : Échange. Ça s’appelait Échange !

Bernard : T’as connu ? Tu l'as lu ?

Lino (l’air indigné) : Si j’ai lu Échange ? Il m’demande si j’ai lu Échange !

(Entre une jeune fille. Elle avise la mallette et avance la main en direction de son contenu.)

La fille : C’est quoi ces bouquins ? Je peux voir ?

Francis (refermant brutalement la mallette et hurlant) : Touche pas aux Églogues, salope !!!

Jean (bredouillant, les yeux presque complètement fermés) : Vous aurez beau dire, y a pas que des références littéraires, là-dedans…


Ils lisent tous encore quelques pages, avant de s’écrouler en avant, le nez dans la sixième églogue.

– Demain, si le temps le permet, reprise de la marche à pied. Je n'en ai pas plus envie que d'une pendaison, mais il le faut. Et puis je sais bien qu'après quelques semaines, cette marche-corvée me sera devenue agréable au point de ressentir un vague manque lorsque les conditions atmosphériques me garderont à la maison.

Demain aussi, relecture du journal d'octobre, qui sera publié au matin du 30 novembre, jour où nous devons aller à Levallois afin de réaliser la vente du studio. (Penser à trouver un titre.)

– Par mail, Suzanne me dit qu'elle a commencé de lire Kråkmo et qu'elle trouve que, le journal de Camus, “ce n'est plus ça”. Elle ajoute qu'elle va en arriver à préférer le mien, ce qui, je suppose, relève de la simple gentillesse – enfin, j'espère pour Camus. N'en ayant lu qu'une dizaine de pages, je ne puis encore rien dire. Sauf que, dès ces pages-là, il est de nouveau beaucoup question des déboires hôteliers de l'auteur, des portes qui claquent, du service qui laisse à désirer, des petits-déjeuners insatisfaisants, etc.


Samedi 27

Sept heures et demie. – Journée anodine et merveilleuse. Cet après-midi, deuxième relecture du journal d'octobre, qui sera mis en ligne lundi ou mardi, plus probablement mardi, tandis que Catherine repassait à côté de moi et que nous écoutions les quatre derniers lieder de Strauss, d'abord par Gundula Janowitz puis par Lisa Della Casa (et vraiment la première conserve tous mes suffrages), avant de passer aux Kindertotenlieder par Fischer-Dieskau. Auparavant, nous avions fait un bref aller-retour à Pacy, où, sans attendre la vente du studio, j'ai acheté deux polos Lacoste à manches longues (découverts tout récemment, je ne savais même pas que ça existait), l'un noir et l'autre d'un très beau gris. Ce matin, un petit billet volontairement polémique sur le blog-mère (mais qui, pour l'instant, n'en a suscité aucune, de polémique – il est vrai que nous sommes samedi). Et, entrelardant ces menues activités, lecture de Kråkmo, le journal 2009 de Renaud Camus.

Je ne partage pas (pour l'instant, après cent cinquante pages lues) la sévérité de Suzanne à propos de ce cru 2009. Je lui trouve même des aspects tout à fait poignants, notamment au moment de l'échec à l'Académie française : c'est, à ma connaissance, la première fois (avec certes des prémisses dans les deux volumes précédents) que Camus dresse une sorte de constat d'échec de sa vie – de sa vie littéraire, sociale, mondaine, etc., mais pas sentimentale – et qu'il en parle comme s'il s'agissait d'une totalité désormais close, comme on tire un bilan. Apparaît la notion de l'irrémédiable ; une ambiance un peu grise de never more. Par un effet de miroirs jouant l'un avec l'autre, comme très souvent chez lui, le roman Loin, achevé en cette même période, prend du coup un relief différent que celui qu'il avait jusqu'ici, une profondeur accrue et une tonalité plus grave. Pas d'interrogation explicite sur la valeur de l'œuvre elle-même, ses capacités pérennes – mais on la sent prête à poindre, déjà là mais en creux, un peu menaçante.

Très anecdotiquement, et peut-être avec un rien de sadisme, la lecture de son journal a toujours ce pouvoir de me faire trouver très enviable ma propre situation financière.


Dimanche 28

Huit heures. – Le journal d'octobre est en ligne depuis cet après-midi, pour la raison que Catherine est assez gamine pour exiger (non, le verbe est trop fort tout de même) de le lire “avant tout le monde”. C'est pourquoi je n'en ai programmé l'annonce, de cette publication, que pour demain matin.

– J'ai fait sur le blog-mère un billet inspiré par la lecture du journal 2009 de Renaud Camus, à propos des liens qu'il repère – et je suis pleinement d'accord avec lui, l'étais même avant de l'avoir jamais lu – entre culture et héritage, pour le dire vite. Et, inévitablement, comme chaque fois avec ce genre de sujet, et ainsi que le pointe justement Georges, les malentendus surgissent avec les commentateurs, mais d'une telle amplitude que l'on a en effet, c'est Georges qui le remarque, l'impression assez perturbante, en tout cas étrange, de brusquement ne plus s'exprimer dans la même langue que ses interlocuteurs habituels. Jusqu'à présent (le billet est en ligne depuis près de huit heures), pas un seul commentaire qui puisse donner un tant soit peu l'impression que ce que j'ai dit – et qui me semble pourtant fort simple, contestable sans doute mais fort simple – ait été compris, entendu. S'ajoute à cela, mais en fait ça ne s'ajoute pas, c'en est juste la conséquence logique et obligée, le fait que personne ne parle sur le fond du propos, sur ces sentiments de manque et d'imposture qui formaient tout de même le sujet central de ce que je n'ose appeler ma réflexion, mais disons de ce court texte. Ce qui me conforte dans mon opinion, déjà exprimée ici, qu'on ne peut absolument pas aborder ces sujets-là, que seule une incompréhension hargneuse, et même offensée, peut en sortir. Du reste, au moment de mettre ce texte en ligne, j'ai été à deux doigts de fermer les commentaires, avant de me raviser ; j'aurais peut-être bien fait de suivre ma première impulsion.

– Finalement, ayant dépassé la page 400, je rejoins plus ou moins Suzanne dans son appréciation assez négative à propos du journal de Camus. Les parties s'écrivant durant ses voyages “Demeures de l'esprit” deviennent assez vite ennuyeuses (pour moi, comme elles l'étaient je crois pour Pascal Sevran), et horripilantes ses perpétuelles jérémiades à propos des chambres d'hôtel bruyantes. Je sais bien que ce n'est pas “sa pente” de couper, élaguer, retrancher, mais enfin tout de même, là, à la relecture, il me semble qu'il pourrait s'apercevoir que trop finit par devenir effectivement trop. Cela étant, ces scories sont compensées par de magnifiques pages, car il y en a encore beaucoup, tout de même.


Lundi 29

Huit heures moins le quart. – Tout à l'heure, parce que je venais de lui dire que Le Sacre du printemps avait été ma porte d'entrée dans la musique du XXe siècle, il y a de cela environ 35 ans (avec les Carmina Burana, mais ça je m'en vante moins, même si, dans cette version enregistrée par Jochum chantait Gundula Janowitz), porte qui fut très longtemps la seule que j'aie franchie, et encore pas très souvent, Jérôme m'a proposé de m'envoyer (par voie internétique, ai-je supposé) la partition du Sacre. Comme je lui faisais remarquer (tout cela par mails) que j'étais incapable de lire une partition, il a prétendu en gros que cela ne faisait rien, qu'il y avait tout de même moyen, pour un illettré de la musique, d'y puiser encore quelque chose, de comprendre plus ou moins de quoi il retourne. Je veux bien essayer – c'est ce que je lui ai répondu –, mais je garde de très sérieux doutes.

– Le même Jérôme m'avait demandé, quelques heures plus tôt, si j'accepterais d'écrire un texte de présentation pour son disque. Accepter n'est pas un problème, d'ailleurs je l'ai fait tout de suite, mais le beau cadeau empoisonné qu'il me fait là ! Car bien entendu j'ai immédiatement commencé à ne plus penser qu'à ça et à me ronger les sangs en me demandant quinze fois par heure si j'allais en être capable, si je ne risquais pas d'écrire trop de bêtises, d'éviter les nombreux écueils inhérents à ce type d'exercice, etc. Je tente de me rassurer en me disant qu'après tout j'ai déjà beaucoup écrit sur Double silence plein la bouche, que Jérôme a lu ces textes, soit sur le blog-mère soit ici, et que, donc, si malgré cela il me demande un texte, c'est bien que... etc. Mais, évidemment, rien n'y fait, ça ne me rassure pas du tout, ou alors pas longtemps.

– Demain, donc, signature chez le notaire, à midi et demie, pour la vente du studio, que Ludovic (il vient d'arriver à l'instant) a fini de vider aujourd'hui. Il faut aussi que je pense à envoyer un mail à Philippe B. pour lui dire que, vu la somme de travail que représente la série sur Versailles, et la complexité (relative) de celui-ci, je ne puis l'écrire à moins de quatre mille euros – au lieu des deux mille qui sont de règle. On verra bien.

– Vu un film étonnant hier, sur l'une des chaînes “cinéma” (TCM je crois bien), intitulé en français Les Cowboys, avec John Wayne, et datant de 1972. Le film en lui-même n'a rien de transcendant (mais il n'est pas déshonorant non plus) ; ce qui m'a semblé extraordinaire, et même peut-être unique dans la filmographie de Wayne, c'est que non seulement il meurt, et dans des circonstances peu glorieuses, sans la moindre apothéose, mais qu'en plus le film continue sans lui pendant encore une vingtaine de minutes. (Je viens d'aller vérifier : le titre original est... The Cowboys.)

– En ce moment même, Le Sacre du printemps dirigé par Simon Rattle. Jérôme me dit que ce n'est peut-être pas la meilleure version de l'œuvre, mais que c'est celle qui est dirigée avec le plus de naturel, comme s'il s'agissait d'une musique facile. Je ne suis pas bien sûr de comprendre ce qu'il veut dire. Il faudra, dans les jours prochains, que j'en choisisse un extrait bien précis, et que je le compare avec le même dirigé par Boulez ou Karajan. Enfin : que j'essaie de le comparer.


Mardi 30

Sept heures et demie. – Nous terminons donc ce mois de novembre dans une opulence encore jamais vue, puisque, vers deux heures cet après-midi, nous sommes sortis de l'étude du notaire chargé de la vente de notre studio lestés d'un chèque de 95 000 €. Là-dessus, il va falloir en reverser 71 000 à l'organisme de crédit et environ 11 000 à notre banque pour combler les différentes “facilités de caisse” dont nous avons largement fait usage depuis deux ans. L'opulence dont je parlais est donc très relative. Mais enfin, à compter d'aujourd'hui, plus de dettes nulle part. Ah, si : il reste le crédit de 450 € pour la voiture.

– Depuis hier, sensation de brûlure à chaque fois que je vais pisser, laquelle va en augmentant à mesure que le temps passe. Et, depuis notre retour de Paris, j'expulse de l'urine mêlée de sang, ce qui m'inquiète un peu. J'attends tout de même demain matin avant de sonner l'alarme conjugale.

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