lundi 7 décembre 2009

Journal 2009


Lundi 27 juillet 

Trois heures. – La tension monte. Dans quatre jours, nous serons au château de Plieux, où nous devons passer tout le mois d’août. Les habitués de la SLRC se souviennent que, voilà quelques mois, Renaud Camus a proposé à ceux de ses lecteurs que cela intéresserait de venir s’installer à Plieux en juillet et en août, pendant que lui-même et M. Pierre seraient occupés à parcourir les maisons d’écrivains scandinaves, en vue d’un prochain volume des Demeures de l'esprit. Lorsque j’avais parlé de ça à Catherine – bien imprudemment –, elle s’était enflammée comme de l’étoupe. Mais avait finalement convenu que, pour moi, faire des aller-retour à Levallois durant une période aussi longue était assez peu réaliste.

– Or, voici que, une lectrice s’étant proposée pour juillet, il ne restait plus qu’août à pourvoir : la chose devenait possible, pour peu que je réussisse à grappiller une voire deux semaines de vacances durant cette période. Candidature fut donc posée, et immédiatement agréée par le maître des lieux. Dans l’intervalle, je parvins à m’arroger trois semaines de congés, je ne devrai donc revenir à Paris qu’entre le 11 et le 15 août, pour y accomplir mon glorieux devoir de salarié de la presse. Tout cela se déroulait dans le courant du mois de juin.

– Aujourd’hui, le pied du mur est en vue. Catherine a la tête dans les bagages, dressant fébrilement des listes de choses “indispensables” à emporter, cependant que je me demande – et elle avec – ce que nous allons bien pouvoir raconter aux visiteurs qui se présenteront à la porte du château. Car, sauf le mardi, la maison est ouverte aux visites tous les après-midi : c’est notre seule astreinte. Ah, non : après le 15 août, nous devons récupérer Orage et Ottokar, les deux frères labradors, et faire en sorte qu’ils soient toujours vivants au retour de leurs maîtres. Mais enfin, puisqu’il y aura déjà Swann et Bergotte, nous n’aurons qu’à nous transformer en châtelains chefs de meute, et le tour sera joué. Nous n’en sommes pas là.

– Catherine a posé les premiers jalons du séjour gersois en me faisant demander à la personne nous précédant à Plieux en juillet quelques renseignements d’ordre très pratique, notamment concernant les équipements de cuisine, sujet sur lequel l’Irremplaçable plaisante assez peu. Il nous a été diplomatiquement répondu qu’il s’agissait d’une “cuisine de garçons” ; comprenez : offrant en matière de batterie un peu moins que le strict nécessaire, pour qui prétend faire chanter les papilles deux fois par jour. D’où les listes fiévreuses que Catherine s’emploie à dresser depuis trois jours.

– L’autre grande affaire nous occupant l’esprit est que nous avons prévu de partir à deux voitures, principalement à cause des chiens qui occupent tout le coffre de la mienne, mais aussi pour plus de commodités lors de ma semaine parisienne. Catherine fera le trajet en deux jours – jeudi et vendredi, avec halte nocturne à Argenton-sur-Creuse – ; et moi d’une traite, le vendredi. Mais où se retrouver ? À quelle heure doit-elle partir d’Argenton, sachant que j’aurai quitté le Plessis vers six heures du matin, de façon à ce que nous arrivions néanmoins ensemble à Plieux ? Il y a les portables, bien sûr. Seulement… seulement… Si l’un de nous appelle d’une aire de repos, l’autre, au volant, ne pourra pas répondre (on ne rigole plus avec les points de permis…). Bien sûr, il lui suffira de s’arrêter à l’aire suivante pour rappeler. Mais, alors, le premier aura probablement repris la route et, à son tour, sera dans l’impossibilité de prendre la communication. Bref, à trois jours de la plongée dans le grand bassin, notre affaire commence à prendre des allures de “Les Bidochon en vacances”…


Samedi 1er août 

Quatre heures. – Nous sommes arrivés à Plieux hier en milieu d’après-midi, moi venant du Plessis-Hébert (775 km très exactement) et Catherine d’Argenton-sur-Creuse, donc. Le miracle est que nous sommes finalement arrivés – sans s'être téléphoné – à moins d'un quart d'heure d'intervalle. Nous avons été accueillis par Mme G., qui a fait la châtelaine au mois de juillet, et qui aurait volontiers joué les prolongations, de son propre aveu. Du reste, ce matin, au moment du petit-déjeuner pris dans le jardin, Catherine et elle ont décidé qu’il leur fallait absolument persuader Renaud Camus et M. Pierre de repartir au fin fond de la toundra scandinave l’été prochain, afin de pouvoir réinvestir les lieux. Au besoin en ourdissant complot pour leur forcer un peu la main. Pas sûr que ça marche…

– Hier soir, Mme G. et nous avons passé une soirée un peu étrange à l’auberge de Gramont, où nous fûmes cordialement mal reçus, si je puis me permettre, la serveuse puis le patron essayant de nous persuader que toutes les tables de la terrasse étaient réservées, alors qu’à huit heures et demie, deux seulement sur une dizaine étaient occupées. Après l’intervention musclée de Catherine, on nous accorda – mais de mauvaise grâce – le droit de dîner dehors. Où aucun autre convive ne se présenta plus. Quelques minutes plus tôt, au moment de la commande, premier sketch inquiétant. Mme G. ayant choisi un confit, Catherine un magret grillé et moi du canard en daube, la même serveuse est revenue nous demander si nous ne pourrions pas choisir tous les trois le même plat, afin de faciliter le travail en cuisine. Le plus surprenant est que nous ayons accepté d’obtempérer. Mais enfin, ensuite, la soirée fut chaleureuse, animée, fort agréable.

– Depuis ce matin, donc, nous voilà les maîtres de Plieux, et c’est installé au bureau du “patron” que j’écris ces lignes : les écrivains se suivent dans ce fauteuil, comme dans ceux de l’Académie, mais hélas ils ne se ressemblent guère. Depuis deux heures, Catherine et moi stressons un peu en attendant notre premier éventuel visiteur. Je suis bien certain qu’après ce baptême, toute nervosité disparaîtra, encore faut-il que le baptiste daigne se présenter. Pour l’instant, personne. J’ai passé la seconde moitié de la matinée (la première, c’était à pousser le chariot à l’Intermarché de Lectoure…) à faire plusieurs fois le tour des salles, avec un main le memorandum à nous laissé par M. Pierre. Pour ce qui est des questions sur le château lui-même, je crois que je serai à peu près à la hauteur – sauf à tomber sur des spécialistes de l’architecture militaire gasconne au XIVe siècle. J’ai plus de mal à retenir le nom des différentes œuvres de Marcheschi exposées ici. Mais enfin, ça devrait venir rapidement, je suppose. Pendant que j’écris cela, Catherine est précisément occupée à cette révision que j’ai faite ce matin. Du reste, je crois que je vais m’offrir un tour supplémentaire, pour tester mon savoir tout neuf.


Dimanche 2 août 

Sept heures moins le quart. – C’est fait : nos premiers visiteurs sont venus, ont vu et sont apparemment repartis satisfaits de notre prestation. Le premier était un monsieur seul, qui s’est confondu en excuse de l’être, seul, et qui, dans un premier temps, voulait même attendre “un quart d’heure” dans le jardin pour se joindre aux visiteurs suivants. C’est moi qui menais la visite, Catherine y assistant pour “réviser”. Elle n’a pas pu réviser longtemps puisqu’un groupe de trois personnes est arrivé alors que nous allions passer du premier étage au second : il a bien fallu qu’elle s’en occupe. Après le départ des uns et des autres, nous nous sommes aperçus que nous étions très soulagés d’avoir passé cette épreuve. Du coup, je me suis plongé dans les Demeures de l’esprit « Angleterre II », dont j’ai été tiré par la cloche vers cinq heures et demie : deux jeunes femmes, dont l’une de Saint-Clar, déjà venue visiter Plieux il y a quelques années (elle nous dira d’ailleurs qu’alors la visite était « libre » ce qui me surprend un peu). Toutes les deux se sont montrées très intéressées par les Marcheschi. Elles sont restées environ une heure, désirant revoir le premier étage après être passées au second, tout à fait agréables : s’il n’y a que des visiteurs de ce type, ça devrait aller.

– Le groupe de trois, celui d’avant, se composait d’un homme relativement âgé, d’une jeune femme qui semblait être sa petite-fille et d’un enfant d’une dizaine d’années (ou douzaine : je ne suis pas expert…). Visiblement, les œuvres ne l’intéressaient nullement, il ne les voyait pas et, ce qui est plutôt sympathique, ne se croyait pas du tout obligé de feindre l’intérêt. D’autre part, dès que je lui indiquais quelque chose concernant l’architecture du château, il enchaînait une fois sur deux par un « ah ben, c’est comme avec ma maison… » tout à fait réjouissant.

– Hier soir, prenant l’apéritif dans la salle des pierres, Catherine et moi avons vécu l’expérience d’un bel orage, et une autre avec Calme bloc, la sculpture de Marcheschi. Mais j’en parlerai demain ou plus tard : là, il commence à faire soif.


Lundi 3 août 

Onze heures du matin. – Ce matin, nous avons fait la connaissance de Céline, plaisante jeune femme qui vient ici toutes les matinées afin de faire tourner la boutique et en assurer l’intendance. Catherine, elle, a filé à Lectoure pour y faire provision de produits anti-puces : depuis hier, Bergotte se gratte comme une damnée. Quant à moi, je suis censé commencer le synopsis du prochain BM et, au lieu de, je babille ici pour ne rien dire. D’après Céline, Orage et Ottokar s’entendent assez mal avec les autres chiens : ça promet pour l’après-15 août…

– En réalité, je me sens encore très nettement étranger ici, après deux jours, et ai le plus grand mal à me concentrer sur quoi que ce soit. Je peine même à lire autre chose que le journal de Camus, ce qui est un comble quand on sait dans quelle bibliothèque superbe je suis installé. Je suppose (et espère) que cela va passer rapidement. Ne serait-ce qu’en raison du travail que je dois absolument faire : plusieurs articles pour FD et au moins la moitié du BM à rendre le 15 septembre.

– Ce matin, le temps étais gris et frais. Le ciel se dégage petit à petit et “on” nous annonce de grosses chaleurs pour demain. Par conséquent, sur les conseils avisés de Céline, nous avons ouvert de nombreuses fenêtres afin de créer des courants d’air destinés à emmagasiner de la fraîcheur pour plus tard.


Mercredi 5 août 

Dix heures et demie du matin. – Nous sommes ici depuis à peine cinq jours et j’en ai déjà deux de retard dans ce journal : l’affaire se présente mal (sans même parler du synopsis BM, au point le plus mort qui soit). Essayons de combler, donc. Lundi, un seul groupe de visiteurs, vers quatre heures, mais qui nous a instantanément fait venir les mains moites et la bouche sèche, puisqu’il se composait de trois jeunes adultes (deux femmes et un homme, la trentaine) et de quatre enfants dont les âges s’échelonnaient approximativement (je ne suis pas puériculteur, faites excuse…) entre quatre et huit ans. Finalement, tout s’est déroulé à merveille. Les enfants étaient tranquilles et bien élevés, les adultes très intéressés par ce qu’ils voyaient et entendaient – on peut même pousser jusqu’à l’enthousiasme, en ce qui concerne les œuvres et la manière de travailler de Marcheschi. Finalement, leur visite aura duré près de deux heures, alors que le “modèle courant”, si j’en juge par notre courte expérience et ce que nous en avait dit Mme G., serait plutôt d’une demi-heure à trois-quarts d’heure. L’une des deux femmes a même acheté le volume “Sud-Ouest” des Demeures de l’Esprit, ce dont je me suis trouvé absurdement fier.

Petite anecdote, à leur propos : les parents avaient autorisé les enfants à choisir pour eux-mêmes une carte postale chacun, ce qu’ils ont fait. Remplissant son chèque pour le livre, la jeune femme me précise qu’elle préfère régler les cartes à part et en liquide. Soit. Sauf que, ensuite, nous nous sommes remis à parler de Plieux, de Camus, de Marcheschi ; et c’est seulement après leur départ que nous nous sommes avisés que les maudites cartes n’avaient pas été payées. Voilà donc une visite qui m’a coûté deux euros : comme homme d’affaires, je suis au-dessous du médiocre, et le resterai probablement, il ne faut pas se faire d’illusion.

– Hier, nous étions vraiment en vacances, puisque le château est, le mardi, fermé aux visites. Vers onze heures du matin, je fumais une cigarette à l’une des fenêtres donnant sur la porte d’entrée de la cour, lorsque je vois deux jeunes femmes s’approcher, le nez en l’air et pointé dans ma direction. Nos regards se croisant, je salue l’une d’elles. Aussitôt, avec un accent ostensiblement ibère, elle me demande s’il serait possible de visitar el castillo. Je lui réponds que non, que c’est cerrado le matin, que c’est cerrado au carré le mardi, que la madame elle est sortie ; et qu’elle et sa copine peuvent donc aller se faire voir chez Plumeau – mais tout ça très urbainement. Elle m’informe alors qu’elle est journaliste au Diario Vasco (dont elle est la Delegada en Francia, m’apprendra plus tard sa carte de visite) et qu’elle réalise une série d’articles destinés à vanter auprès des Basques les charmes du Gers. Évidemment, ma conscience professionnelle de guide furtif m’interdit de priver de cette publicité la maison dont j’ai la charge – et puis la solidarité de presse joue également son rôle. Je leur accorde donc cette visite et, bien entendu, je ne la leur fais pas payer : je connais les susceptibilités de mes confrères, fussent-ils euskadiens. Si mon Esperanza (qui ne s’appelle pas Esperanza) tient ses promesses éditoriales, il faut donc s’attendre, dans les semaines qui viennent, à voir débarquer à Plieux des hordes d’Outre-Pyrénéens braillards, forcément braillards.

– L’après-midi, nous avions prévu d’aller explorer quelques-uns des Onze sites mineurs, en emportant le livre, bien entendu. Catherine me guide donc, carte en main, jusqu’au premier d’entre eux (elle avait fait des repérages quelques jours avant notre départ de Normandie, sur Internet). Là, j’ouvre le livre, et constate qu’il n’y est nullement question de lui. À l’heure qu’il est, nous ne savons toujours pas comment les investigations préparatoires de l’Irremplaçable ont pu nous conduire jusqu’à ce village. Du coup, nous avons poussé jusqu’à l’abbaye de Flaran et n’avons finalement pas regretté cette première après-midi d’escapade. Au retour, voulant relire le Discours de Flaran – et le faire lire à Catherine –, je suis monté le chercher dans la bibliothèque, sur l’un des trois rayonnages qui, à droite du bureau, supportent les œuvres complètes du maître de céans, classées par années de parution, les dites années étant inscrites sur le haut de la tranche de chaque livre. Ils y étaient bien tous, sauf le Discours de Flaran. Il est très frustrant, lorsqu’on se trouve chez un écrivain, de ne pas trouver l’un de ses livres.

Or, il y a cinq minutes, au moment où je m’apprêtais à narrer ce petit épisode, ma tête s’est tournée vers la bibliothèque en question, où mes yeux ont avisé, à un étage en principe “non camusien”, quatre minces volumes qui avaient bien l’air de sortir de chez P.O.L. Je me lève : parmi eux, se trouve le fameux Discours. Je me sens mieux.

(Tout peut encore changer, mais il y a une chose dont je suis d’ores et déjà certain : jamais les visiteurs du château de Plieux n’ont été accueillis par un guide affublé de bretelles jaunes, ornées de petits pingouins chaussés de skis et coiffés de bonnets bleus ou rouges, peu conformes à l’esthétique personnelle du maître des lieux.)

– Entre deux visites, Catherine s’occupe utilement. Hier, constatant que la serrure de la porte d’entrée était parfois très récalcitrante, elle a fait l’acquisition, au Casino de Fleurance, d’une bombe de “dégrippant” afin de travailler cette serrure au corps : depuis hier soir, la grosse clé se tourne avec deux doigts. Aujourd’hui, Catherine a prévu de s’occuper des gonds, qui protestent à chaque fois qu’on fait mine d’exiger d’eux la moindre giration : si elle continue sur cette lancée bricoleuse, dans trois semaines nous rendrons à ses propriétaires un château “sorti d’usine” ou quasi.


Jeudi 6 août 

Neuf heures et demie. – Une journée “pic” : cinq visites et demie ! Je sais bien que le côté “et demie” est assez intriguant. Il s’agissait de M. Dupuy, le plus proche voisin, venu montrer le château à l’un de ses amis. Comme M. Dupuy connaît mieux et depuis plus longtemps que moi le château, je me suis contenté de les accompagner : d’où la “demie”. Sinon, on est à peu près mort, Catherine est déjà au lit et je ne vais pas tarder à la rejoindre.

– Deux entretiens avec Jimmy Rodriguez, autre voisin (jeune, lui), bien connu des lecteurs du Journal, le premier rapidement interrompu par une arrivée de visiteurs. Il doit écrire un livre en temps que “nègre” et se demandait comment (et surtout combien) l’affaire était payée. Je l’ai renseigné de mon mieux, lui indiquant surtout le principal piège, ou, plus exactement, la règle d’or de l’écrivain de couleur : se moquer à peu près totalement du pourcentage (dont on ne voit jamais le premier sou, sauf miracle) et ne rien céder sur l’à-valoir, qui est du bel et bon argent, touché tout de suite.

– Catherine, entre deux visites, a émis l’hypothèse que, peut-être, je parlais trop, voulais trop expliquer, raconter, etc. Je crois qu’elle a tout à fait raison. Je me suis aperçu, réfléchissant à ce qu’elle me disait, que j’avais une sorte de peur que les visiteurs, si je restais silencieux, n’en aient pas pour leur argent. C’est idiot et irraisonné : moi-même, quand je me laisse entraîner dans une visite guidée, n’aime pas trop qu’on me saoule d’un flot de paroles, renseignements, détails, anecdotes que je m’empresserai d’oublier à peine tourné le coin de la rue. Il faut privilégier les questions des visiteurs.

– Sinon, Catherine est persuadée que, à force de monter et descendre ces étages monumentaux, elle va revenir chez nous avec des “fesses d’enfer”. Ben et moi alors ?

– Lors de nos deux premières visites à Plieux, j’avais surtout été impressionnés par les grands personnages sombres (Marsyas, Lear, etc.) de Marcheschi, exposés au rez-de-chaussée. Ils m’impressionnent toujours, certes, mais j’aime de plus en plus ce qui se donne à voir dans la Salle des Vents, l’ensemble qui est constitué là. Peut-être aussi parce que, traversant cette salle plus d’une douzaine de fois par jour, je commence à l’apprivoiser, à voir la Carte des Vents souffler à la poupe de la Barque des Morts pour la pousser vers la fenêtre ouverte à l’ouest, c’est-à-dire vers où le soleil bascule dans la nuit, dans les ténèbres auxquelles ces âmes noires de suie sont vouées. (J’ai un mal fou à débrouiller, dans ces noms d’œuvres et de salles, ce qui doit être en majuscule, en italique, etc. On est à la limite de l’inextricable – et même en plein dedans.)

– Ce matin, coup de téléphone d'Olivier Deprez : son épouse et lui seront ici samedi après-midi et jusqu’au lendemain. J’en suis ravi : à lui au moins je n’aurai rien à dire à propos de Marcheschi, son œil valant au moins dix des miens.

– Hier, bref fou rire entre Catherine et moi. Devant conduire la visite pour une femme accompagnée de trois enfants d’une huitaine d’années, non sots mais vraiment “pleins de vie”, je les amène, après le tour extérieur, au rez-de-chaussée où se trouve la “caisse”. Un œil sur deux des trois petits monstres se précipitant sur les Marcheschi, je calcule rapidement combien la “mère” (je mets les guillemets parce que je vois mal comment, à moins d’un service multi-utérin, elle aurait pu être la génitrice des trois) me doit. Et je me trompe de deux euros à mon détriment, ou plutôt à celui de la terrible caisse. Deux visites en deux jours qui me coûtent deux euros : à ce train, mon “job d’été” risque bien de me ruiner.

– En dehors de cela, ce matin je suis allé faire mettre deux pneus neufs à ma voiture. Le garagiste de Lectoure m’a accordé une ristourne ( ?) de 30% sans que, évidemment, je ne lui aie rien demandé. Encore maintenant, je trouve cela bien curieux. Il faut dire que cet homme ne m'a pas semblé d'une nature particulièrement bilieuse : alors que je devais le régler et qu'il avait à faire ailleurs, il m'a simplement dit : « Remplissez votre chèque et laissez-le sous la souris de l'ordinateur... » Là-dessus, il a disparu sans plus se préoccuper de moi.


Vendredi 7 août

Onze heures vingt du soir. – Journée agitée et intensément camusienne. Comme il était prévu, Jeanne Loan est venue nous faire visite, vers trois heures. Thé, canapé dans la Salle des Pierres. La discussion a du mal à prendre, plutôt je pense de notre fait : comment se trouver naturel face à un personnage du journal qui soudain s'incarne ? Il faut un peu de temps. D’autant plus, même, que Mme Loan est d’une discrétion, d’une légèreté, d’une évidente mais libellulienne présence qui inclinent à penser qu’on ne devrait pas hausser le ton avec elle, ni même la contraindre à la parole, à la réponse, au questionnement : il est nécessaire, avec cette femme, que le temps s’installe, qu’il infuse gentiment, comme le thé préparé par Catherine.

Or, précisément, le temps est ce dont nous ne disposons pas : les visiteurs tombent en rafales. Je vais hériter – et je les attendais depuis le début de ce séjour – de mon premier couple de “camusiens”. Je les teste discrètement : ils ne friment pas, ils ont lu (quoi, au juste ? je ne sais pas, mais je ne suis pas là pour leur extorquer des aveux). De fait, la visite n’en est pas une à proprement parler : ils sont ici (lui surtout) pour vérifier qu’existe bien, “dans la vraie vie”, ce qu’ils ont découvert entre les pages. La visite est reposante pour le guide : si je dis “Salle des Vents”, ils savent où l’on est et de quoi on parle – du moins le montrent-ils.

Durant ce temps, Catherine pilote un autre couple. Pas camusiens, ceux-là, et elle tordant le nez en entendant parler d’art “contemporain”. Ils passent néanmoins plus d’une heure et demie à Plieux et, repartant, la jeune femme dit à Catherine que, depuis le début de leur séjour dans la région, c’est la plus belle visite qu’ils aient faite : la guide furtive a les chevilles dans le même état que les miennes. Il s’en serait fallu de peu qu’on ne leur vende un Demeures de l’esprit, sans une courte erreur logistique de Catherine. Eux partis, nous peinards, elle me dit qu’elle en sera quitte pour verser 29,90 € dans la caisse camusienne. Je lui dis qu’il ne faut pas exagérer non plus, et lui ressers un verre de tariquet.

– Il y eut deux autres groupes de visiteurs, et, en contrepoint, une discussion perlée avec Mme Loan. Plus un appel téléphonique de Renaud Camus depuis la Norvège où, apparemment, les demeures de l'esprit se multiplient avec constance, par rapport au plan initial. Avant-hier, deux textes de retard, aujourd’hui quatre : discussion boutiquière entre Matisse et son rafraîchisseur de murs de cuisine, à propos de peinture – inintelligible pour tous ceux que le pinceau professionnel ne concerne en rien.

– Plus important que tout le reste, au terme de cette première semaine de villégiature : l’imprégnation de toutes ces œuvres de Marcheschi, qui s’imposent, grandissent, nous toisent – mais aussi, se mettent à nous accueillir (plus ou moins), le soir en particulier.


Samedi 8 août 

Minuit quinze. – Très belle soirée avec Olivier Deprez et sa charmante Véronique. Ils arrivent vers cinq heures, naturellement au moment où Catherine et moi nous débattons avec les questions de visiteurs qui, justement, n’en posent aucune ; en fin de visite, ils feuillettent interminablement des catalogues d’expositions qui, visiblement, ne les intéressent nullement. Et, ce soir, l’affaire dure et dure et dure encore. Catherine est là, dans la Salle des Pierres avec ses deux visiteuses, moi avec mon couple, lesquels opèrent leur jonction. On sent qu’ils n’ont, les uns ni les autres, rien à faire avant au moins une heure et que cette rencontre à Plieux leur est une belle aubaine. Ils causent, mollement… se promènent sans rien voir… feuillettent encore… échangent quelques mots exsangues… et finissent tout de même par disparaître.

– Enfin, nous nous retrouvons seuls (mais à quatre). Il est sept heures et demie et nous prenons le pari que plus aucun visiteur ne se présentera. On gagne toujours, à ce genre de coup : les “cousus d’enfants” (comme dirait Gombrowicz) sont déjà rentrés au camping ou à la location pour mitonner la tambouille ; les vieux se mettent à sentir leurs articulations et, donc, s’aperçoivent qu’ils n’en ont rien à foutre d’un château de plus. Ajoutez à cela que, le samedi, les congés-payés de la semaine écoulée rentrent chez eux (bouchon au péage) et que les congés-payés de celle qui vient ne sont pas encore arrivés (bouchon aussi, dans l’autre sens, on se fait coucou éventuellement).

Bref, on va vider deux bouteilles de Tariquet dans le jardin, pour le simple plaisir de les remonter légères. Et on parle. Il est assez difficile de décrire le plaisir qu’il y a à parler avec Olivier Deprez qui, à lui seul, suffirait à justifier ma participation à cette sottise rédhibitoire qu’on appelle la blogosphère. Et c’est pour ne rien dire du sourire de son épouse, lequel me rappelle obstinément quelqu’un(e ?), connue il y a très longtemps, sans que je sois capable de me rappeler qui : Alzheimer, nous voilà…

Deux bouteilles plus loin, nous nous rapatrions dans la Salle des Pierres, parce qu’il faut bien déboucher une nouvelle bouteille et, surtout, rendre hommage au Calme bloc. Le repas se déroule, s’enroule sur lui-même, se re-déroule – nous rions beaucoup, mais il est difficile et peu intéressant de dire pourquoi. Olivier et moi parlons de Marcheschi et de Camus ; il dit comme toujours des choses mesurées et intelligentes – j’ai quelques fulgurances imbéciles : chacun est dans son rôle.

À cette heure, tout le monde est au lit, silencieux – à part Swann qui ronfle. Et moi, devant ce clavier, au fond de cette pièce immense dont je ne vois plus rien. L’air circule librement, des cailloux retiennent ce qui doit l’être, etc. En dehors du court ronronnement de cette machine idiote, aucun bruit nulle part.

– Je ne suis pas fait pour tenir un journal. Ainsi, je me souviens d’à peu près tout ce qu’Olivier et moi avons dit de Camus ou de Marcheschi, et surtout des deux ensemble, n’est-ce pas ? Mais je ne tiens pas tant que ça à en parler. Non, pas tant que ça.

(En toute parenthèse : évidemment, le four de la cuisinière ne marche pas, ce qui fait que notre dessert (un “pastis”) fut considérablement raté. Les “cuisines de garçons” ont leurs avantages (le folklore notamment), mais aussi des inconvénients notables – les vraies filles me comprendront…)


Lundi, 10 août 

Cinq heures vingt. – Journée agitée et fertile, hier, si agitée que je n’ai pas eu le courage, après dîner, de noter quoi que ce soit ici. Nous avons donc passé la matinée et le début de l’après-midi avec Olivier Deprez et son épouse : impression, de mon côté, de les connaître depuis des années, tant l’entente entre nous semble naturelle, allant de soi. Puis, deux heures ayant à peine fini de sonner, les visites ont commencé.

– Le premier à se présenter était un camusien chevronné, en tout cas d’ancienne cuvée puisqu’il a découvert l’écrivain à la sortie du Journal romain, en 1986. Malgré cela, il n’était jamais venu à Plieux. Il est resté avec moi plus de deux heures. Les lecteurs de Camus sont vraiment les plus agréables des visiteurs, pour le peu que je puisse encore en juger. D’abord parce qu’ils sont plus reposants que les autres (pour le guide), dans la mesure où ils savent déjà tout. Vous arrivez avec eux au premier étage, ils disent : « Tiens ! La Salle des Vents… » – et il n’est point besoin de leur expliquer le pourquoi du comment du Marsyas ou des Morsures de l’aube. Parvenus dans le bureau-bibliothèque, la seule chose qu’ils attendent du guide c’est qu’il ferme son clapet pour qu’ils puissent jouir en paix de l’endroit où ils sont : le guide, en général, ne demande pas mieux.

Ce visiteur-là, ce qui l’intéressait dès avant de pénétrer dans la maison, c’était Le Jour ni l’Heure, le livre de photographies vendu uniquement par souscription, et que, donc, je ne pouvais espérer lui vendre moi-même, puisque chaque exemplaire est fabriqué à la commande et numéroté pour son acquéreur. Mais j’ai fait si bien miroiter les séductions du livre qu’il feuilletait, si épiquement décrit les proportions qu’allait prendre son existence lorsqu’il le tiendrait entre ses mains, qu’il s’est finalement décidé à s’offrir le plus important des trois “modèles” disponibles, celui à quatre cents euros. Ensuite, je me suis démené, sur le site de la SLRC, pour lui trouver le prix exact, le descriptif, les conditions d’envoi, etc. Car ce lecteur-là n’avait pas internet chez lui (les Camusiens sont parfois de drôles de ptérodactyles). Bref, à moins qu’il ne change d’avis d’ici les premiers jours de septembre, ce qui me surprendrait : il semblait vraiment enthousiaste, je peux donc considérer que j’ai virtuellement fait tomber quatre cents euros dans la cuve perpétuellement vide de M. Totalgaz (celle qui est dans le jardin) : Mme G., dite “la Juilletiste de Plieux”, peut toujours s’aligner. D’autant que le même visiteur est reparti avec deux autre livres du maître des lieux.

– Aujourd’hui, nous avons reçu à déjeuner Orage (pseudonyme de blogueuse…), venue en presque voisine, et qui a accompli l’étonnant exploit de mettre près de trois-quarts d’heure pour venir de Gramont à ici (5 km). Il est désormais six heures moins le quart, les visites devraient normalement se tarir rapidement. Mais on n’est jamais à l’abri d’une surprise, d’un visiteur vespéral, d’un retarde-apéro.

– Demain matin, départ pour la Normandie en ce qui me concerne. Et, ensuite, trois jours de turbinage à Levallois, perspective qui m’enthousiasme autant qu’on peut l’imaginer.


Mercredi 12 août 

Onze heures et demie du matin. – Me voilà donc de retour à Levallois, pour trois jours. Ces temps derniers, Catherine et moi nous amusions de ce que la maison (la nôtre) risquait de nous paraître minuscule, maintenant que nos yeux et esprits s’accoutument aux espaces plieusains. « Je vais avoir l’impression d’entrer dans la niche du chien ! », pronostiquais-je même, après avoir constaté que, à deux ou trois mètres carrés près, nos deux maisons réunies tenaient dans chacune des pièces de Plieux. Eh bien, en fait, pas du tout. Notre cage à lapins du Plessis m’est apparue rigoureusement semblable à ce qu’elle était avant notre départ. Ce matin, en revanche, c’est le séjour à Plieux qui me semble ressortir du rêve, et s’il n’y avait l’absence de Catherine et des deux pépères, j’aurais tendance à penser que rien de tout cela n’a existé hors de mon imagination nocturne. Pour être sûr, je viens d’appeler le châtiau : Catherine y est bel et bien.

– Le voyage d’hier s’est fait sans encombre ni ennui. Parti à huit heures du matin, j’étais à Pacy à quatre heures et demie. J’ai eu un vrai coup de mou (comme souvent) lors de la traversée de la Sologne, ce pays platement ennuyeux. Du coup, passé Orléans, j’ai innové, quitté l’autoroute et piqué à travers la Beauce, défigurée d’éoliennes de merde, en direction de Chartres, puis de Dreux et enfin de Pacy via Anet. Je m’en suis fort bien trouvé et pense faire la même chose pour repartir, samedi : pouvoir éviter le cloaque de la région parisienne est un bonheur qui ne se refuse pas.

– De toutes les régions traversées, lorsque l’on va de la Normandie au Gers, mes préférées sont le Quercy et le Limousin, régions d’élevage et de forêts, qui peuvent, à l’œil, paraître presque vides d’humains. La Sologne, je l’ai dit, m’a toujours découragé et assommé, par sa platitude, ses sapins imbéciles (je n’aime pas les conifères, c’est ainsi : vivent les feuillus, bon sang de bois !) et ces grands espaces forestiers où il est presque impossible de circuler puisque tout ici n’est que propriétés privées overbarbelées, si je puis me permettre. Avant, j’avais un goût particulier pour la Beauce, ses ciels, Chartres, Péguy : les éoliennes me l’ont totalement gâchée. Je pense que l’existence et la multiplication des éoliennes sont une preuve indubitable de l’emprise de Satan sur le monde et le cœur des hommes. La vallée de la Garonne est bien pourrie elle aussi, en raison des intenses activités humaines qui s’y déploient dans toute leur laideur. Par comparaison, et n’en déplaise à M. Camus, le Gers se présente comme une région plutôt bien préservée – mieux que beaucoup d’autres, c’est-à-dire.

– Lors de mon voyage d’hier, étant parti l’estomac vide, je me suis arrêté pour déjeuner dès onze heures et demie, au MacDo de Limoges ! À condition que ce ne soit pas plus de cinq ou six fois l’an, j’aime beaucoup m’empiffrer de deux Big Mac accompagnés de frites grasses et trop salées : plaisir minuscule et caché de la transgression mineure. Afin de rester dans cette tonalité junk food, j’ai dîné de deux hot-dog (hot-dog en kit : j’avais acheté la baguette d’un côté et les saucisses de l’autre…), debout dans la cuisine. Aujourd’hui, je m’apprête à renouer avec les délices gustatives de la cantine – pardon du R.I.E. D’ailleurs, c’est l’heure : j’y vais.


Vendredi 14 août 

Midi moins le quart. – Pas grand-chose à noter ici, à propos de Plieux où je ne suis pas. Hier, Catherine a explosé notre record de visiteurs : 26, mais groupés entre eux, heureusement pour elle. Apparemment, nous n’avons toujours pas de nouvelles des chiens, Orage et Ottokar, que nous sommes pourtant censé récupérer “vers le 15 août”.

– Hier, je m’étais dit que, si le travail le permet, je partirais peut-être dès cet après-midi et m’arrêterais dormir en chemin. Finalement, il est idiot d’affronter les bouchons parisiens alors que je peux les éviter en partant demain matin et en coupant par Dreux et Chartres. Donc, départ demain matin comme initialement prévu.


Dimanche 16 août 

Midi. –Le trajet d’hier a été plutôt du genre épouvantable : chaleur de bête (malgré la climatisation), monde fou sur les différentes autoroutes empruntées.Vers onze heures (pour éviter la cohue), j’ai eu la mauvaise idée, aux alentours de Salbris, de commander dans un relais un poulet-frites : jamais on ne m’avait encore servi un truc aussi immonde – j’en ai laissé les trois-quarts. Ensuite, n’en pouvant plus du flot ininterrompu de voitures autour de moi, j’ai décidé de continuer par les nationales. En effet, jusqu’à Châteauroux, le trajet est brusquement devenu idyllique, les routes presque désertes. À ceci près que je me maudissais à chaque fois que je passais devant un petit restaurant de campagne, avec terrasse ombragée, etc. Mais, après Châteauroux, plus question de nationales : sous prétexte, j’imagine, que l’autoroute devient gratuite, elle remplace purement et simplement l’ancienne voie. Si bien que je me suis retrouvé dans le flot maudit.

– Enfin, bon, le plaisir de se retrouver à Plieux, dans une maison presque fraîche, a compensé tout cela. De plus, peu après sept heures (alors que la première bouteille venait d’être débouchée…), nous avons eu la visite de deux lecteurs, un père et son fils, que le château et les œuvres de Marcheschi ont enthousiasmés, ce qui est toujours agréable pour le “guide”. Du coup, après avoir regardé ensemble le DVD consacré à Marcheschi, nous leur avons offert un verre, puis un autre, et il était dix heures bien sonnées lorsqu’ils sont repartis les bras chargés de livres (c’est une image : ils avaient un sac) de Camus ou consacrés à Marcheschi.

– Ce matin, Catherine m’a très lâchement abandonné pour aller festoyer avec des copines qu’elle a dans la région : à moi les joies des visites, donc. À partir de demain commence la grande saison mondaine de Plieux. Premiers visiteurs attendus : Emma et Pluton.


Lundi 17 août 

Deux heures et demie. – J’ai oublié de dire ici que, vendredi dernier, alors que j’accomplissais mon devoir sacré d’information à Levallois, Catherine a reçu la visite d’un groupe de Suédois. Immédiatement, elle s’est mise à leur parler en danois (tous ces grands crétins blonds se comprennent entre eux), ce qui a eu le don de les scotcher à la muraille, dans un premier temps, puis de les rendre hilares pour tout le reste de la visite. On peut supposer qu’ils se font désormais une très haute idée du personnel culturel gersois, lequel ne comprend, c’est bien connu désormais entre les fjords, que des guides multilingues, rompus aux idiomes les plus imprononçables.

– Ce matin, à la pharmacie de Lectoure où nous attendions notre tour, nous sommes tombés sur l’une des jeunes femmes qui sont venues visiter Plieux hier après-midi. Elle nous a annoncé pour aujourd’hui la visite de l’amie avec laquelle elle villégiature par ici. Si le bouche-à-oreille s’y met, on n’est pas sorti.

– Sinon, nous attendons Emma et Pluton d’ici une heure ou deux, s’ils ne se perdent pas sur les multiples chemins permettant de joindre la Provence à la Lomagne. Il vaudrait d’ailleurs mieux que non : ce sont eux qui apportent la boisson de ce soir.

Minuit vingt. – Je viens de mettre tout le monde au lit. Emma avait pris une ou deux longueur d’avance dans le canapé de la Salle des Pierres : j’ai toujours été attendri par les femmes qui s’endorment doucement, sourire aux lèvres, en légère avance de la nuit, pendant que leurs hommes, verres en mains, continuent de pérorer – elles sont sages, ou fatiguées, ou les deux ensemble. (Et, maintenant, je les entends tous deux, Pluton et elle, parler à l’étage au dessous. Non, ça y est, ils se taisent…)

– Sur le front des visites (deux) rien à signaler. L’amie de la visiteuse d’hier, rencontrée à la pharmacie, n’est finalement pas venue. Parmi les deux visites, la première était une lectrice qui, nous dit-elle, vient chaque année. Elle nous connaît, venant sur le site de la SLRC où elle ne laisse, précise-t-elle, jamais de commentaire. Repartant, elle croise (et est présentée à) Anna (Emma chez moi) et son mari (Pluton chez moi).


– Soirée sans surprise et agréable (agréable donc sans surprise). Cela doit faire, si je compte bien, trois fois que nous nous rencontrons ; il n’est pas du tout impossible que nous soyons en train de devenir amis : on (interruption de Catherine, voulant son traversin ; je ne sais plus ce que j’étais en train de dire : probablement sans importance).

“On” quoi ? C’est très énervant ! L’impression que, au milieu d’un océan de banalité, on allait justement dire quelque chose d’à peu près intelligent, et que, là… justement… Mais, bien entendu, on n’allait rien dire d’intelligent : le traversin de Catherine nous a sauvé.

La nuit, ici, est plus nuit qu’ailleurs, parce qu’elle existe à l’intérieur même des pièces que l’on occupe ; du reste, c’est parce qu’on ne les occupe pas, justement : on se tient dans un petit coin, frileusement sous la lampe, et c’est la nuit elle-même qui règne. Depuis trois ou quatre jours, lorsque nous bivouaquons au premier étage, dans la Salle des Pierres, et que la nuit se fait, toutes fenêtres ouvertes, quelques chauves-souris viennent faire connaissance : elles entrent par une ouverture, virevoltent au-dessus de nous, frôlent les poutres et les Marcheschi, avant de ressortir avec cette désinvolture leur appartenant par l’ouverture voisine – puis de revenir.

Beau déploiement de parole, avec Pluton, qui a des choses – et parfois dures – à dire de son métier de médecin hospitalier. Naturellement, dans des situations extrêmes, lui aussi se trouve opposé à tous les bisounours sûrs de leur bon droit qui gangrènent ce monde et finiront à coup sûr par le détruire, si on ne les réduit pas au silence avant – ce que personne ne semble décidé à faire.

Anna et lui avaient apporté des vins superbes et des nourritures donnant envie de vivre encore un peu dans ce monde que nous avons connu enfants – des machins gras à base de porc, si vous voyez…


Mercredi 19 août 

Deux heures et demie. – Depuis hier, il fait vraiment très chaud, ici – aujourd’hui peut-être encore davantage qu’hier. Nous avons refermé toutes les fenêtres dès onze heures, afin de préserver, si faire se peut, la relative fraîcheur de la nuit.

– Hier, mardi, c’était donc notre journée de repos, à nous autres, châtelains en CDD (comme dit Catherine). Avec les Pluton (on les appelle ainsi, désormais, et ils daignent s’en amuser), nous avons donc fait les touristes, nous rendant d’abord à Lachapelle (et sa très étonnante petite église d’un baroque échevelé), puis à Auvillar (et sa très étonnante grande église biscornue), et enfin à Beaumont-de-Lomagne (et sa très étonnante…

Et paf ! la cloche des visiteurs ! À plus tard…

Cinq heures et quart. – Finalement, Catherine s’est chargée de la visite. Mais, par vengeance (les femmes ont parfois de ces petites bassesses), elle m’a envoyé à Lectoure par 38° à l’ombre – et il y a très peu d’ombre à Lectoure –, avec une liste de commissions longue comme un vit d’âne.

– Bon, où en étais-je ? À l’église de Beaumont-de-Lomagne, qui, massive, presque hautaine, se donne des allures de Toulousaine, dans sa robe de petites briques rouges. De toute façon, qu'on ne compte pas sur moi pour vous décrire ce que nous avons vu : je ne suis pas le seigneur de Plieux, moi ! Ce que je peux dire, en revanche, c’est qu’à Auvillar, juste face au porche de l’église, dominant la Garonne de toute sa façade et sa terrasse, se trouve une superbe maison qui a, chez Catherine et moi, provoqué une puissante rêverie immobilière. Elle était si visiblement, si assurément hors de nos moyens que la rêverie ne s’est même teintée d’aucune nuance de regret ni de frustration : il ne saurait y avoir regret ou frustration, dans ces domaines, que si l’acquisition avait presque pu être possible. Mais dans les cas de disproportion aussi flagrante, il ne demeure que le plaisir de se dire qu’on aurait bien aimé habiter là.

Entre Auvillar et Beaumont, nous nous sommes arrêtés à l’auberge d’un village dont le nom est en train de m’échapper (ça se finit en “igues” – je chercherai après. Bardigues peut-être bien), où Emma et Pluton ont eu la gentillesse de nous inviter à déjeuner. Petite déception lorsque nous arrivons : toutes les tables de la grande terrasse (et même grande double terrasse) sont réservées, nous devrons nous contenter de la petite salle intérieure (où, bien entendu, on ne peut pas fumer) : l’adresse semble “courue”, donc. Finalement, à la fin de notre repas (excellent, inventif sans être délirant), sortant prendre le café sur cette même terrasse où deux ou trois tables sont désormais libres, nous nous félicitons de notre malchance, si je puis dire : il règne sous l’auvent une chaleur étouffante, dans laquelle de surcroît les fumets des différents plats servis ont tendance à se mélanger peu harmonieusement ; et le lieu est proprement infesté d’enfants.

– Rentrée à Plieux, Emma-Anna explore avec une certaine gourmandise ce que nous appelons “l’arrière-boutique” et qui est la pièce (non visitable, comme deux ou trois autres) où sont entreposés les livres du maître de maison, ceux disponibles pour les visiteurs qui souhaitent compléter leur collection – ce qu’Anna ne manque pas de faire. La soirée – partie au jardin et la suite dans la Salle des Pierres – se déroulera assez semblablement à celle de la veille, je veux dire aussi agréablement.

(En ce moment même, pendant que je joue au diariste en bâtiment, Catherine fait visiter le bureau à un jeune lecteur de Renaud Camus (qui a écrit un article sur les Demeures de l’esprit, repris sur Agora Vox et, ensuite, indexé dans la rubrique “Nouveautés” de la SLRC), escorté par deux jeunes filles… ma foi, regardables. Voilà, ils s’en vont.)

– Enfin, ce matin, peu avant dix heures, départ de nos hôtes qui, sur une dernière protestation d’amitié, disparaissent dans le brouillard – car brouillard il y avait bien, pour la première fois depuis notre arrivée.


Jeudi 20 août 

Onze heures et demie du matin. – La journée d’hier fut très chaude, comme un peu partout en France, crois-je savoir (ni Catherine ni moi n’avons ouvert le moindre journal, encore moins allumé la télé, depuis notre arrivée ici : nous ne sommes au courant de rigoureusement rien…). Heureusement, toutes fenêtres closes, nous sommes parvenus à conserver une très relative fraîcheur à l’intérieur de la maison. Conséquences pratiques : les visiteurs ont une nette tendance à s’attarder ici, même quand visiblement le château et sa collection ne les passionnent guère, simplement pour retarder un peu plus le moment d’affronter la chaleur du dehors.

– Je m’interromps pour l’instant : France-Hélène, notre invitée, ne devrait pas tarder à arriver. Je parlerai d’elle plus longuement ce soir. En plus, coïncidence peu favorable, nous attendons la visite de deux Camusiens ardennais à deux heures précises. Donc, déjeuner à la cuisine.


Samedi 22 août 

Dix heures du matin. – Rien écrit ici hier, donc, ni jeudi soir comme je l’avais imprudemment promis. Pour jeudi, une excellente raison : France-Hélène et moi avons bavardé jusqu’à presque deux heures du matin… en sirotant de petits verres de vin (surtout moi, soyons honnête), ce qui fait que m’ont ensuite fait défaut courage et lucidité minimum. Pour hier, en revanche, aucune excuse.

– J’ai été fort surpris de la rapidité et du naturel avec lesquels le fil s’est renoué, entre France-Hélène et moi, par-delà ce fossé de 25 ans où nous avons tout ignoré l’un de l’autre. Professeur de français (en collège, puis en lycée, puis de nouveau en collège), elle nous a fait hoqueter de rire (rire très jaune si on veut bien y repenser ensuite) en nous décrivant, anecdotes à l’appui, l’état de décrépitude dans lequel se trouve la dite Éducation dite nationale – qui se nomme elle-même, désormais, L’Institution. J’ai particulièrement aimé son récit d’une séance (je ne sais plus le terme exact) durant laquelle les professeurs examinent les cas litigieux pour le bac, c’est-à-dire ceux des candidats à qui il ne manque que quelques points pour parvenir à franchir la barre. C’est une vraie foire à l’encan, dans le style :
« Bon, qui accepte de remonter sa note d’un point ? demande le proviseur.
– (Le professeur de mathématiques ) : OK, je donne le point.
– (Le proviseur, satisfait) : Parfait, comme vous êtes coef’ 7, ça fait sept points de mieux ! Qui d’autre ?
– (Un autre professeur) : Moi, je veux bien aussi, mais je ne suis que coef’ 2… »
Ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait réussi, aux forceps, à fabriquer un bachelier de plus. Et c’est de cette façon que le niveau monte, mes sœurs et mes frères. Il y a aussi cette merveilleuse recommandation adressée aux professeurs qui doivent faire passer les oraux de rattrapage, à propos des candidats venus de l’autre bout du département : « Prenez en compte le fait qu’ils ont eu le courage et la conscience de faire le déplacement ; ça vaut bien 10, déjà… »
Après Ubu Roi, Ubu Prof. Bref, on aura compris que cette visite de France-Hélène n’engendra ni la mélancolie, ni la sobriété.

– Sur le front plieusain, les choses ont tendance à se calmer : on “tourne” à deux visites par jour depuis lundi. Mais certaines restent très folkloriques. Comme cette dame à qui Catherine demandait en préambule par quel biais elle était arrivée à Plieux, et qui tout ingénument lui répondit : « On a pensé qu’il ferait plus frais dans un château… » En effet, Madame, en effet… Entrez, je vous en prie… Faites attention, les marches sont un peu traîtres…

– On pourra s’étonner de ce que nous demandions aux visiteurs comment ils sont parvenus jusqu’à nous. Ce n’est pas à fin de je ne sais quels “flicage” ou statistiques, mais parce que les attentes sont très diverses selon les personnes. Il y a ceux qui sont arrivés par hasard, ou parce qu’il leur reste une heure à tuer avant le goûter des enfants ou l’apéritif des adultes ; ceux qui s’intéressent aux châteaux d’une manière générale ; ceux qui viennent pour la collection d’art contemporain ; et bien entendu les lecteurs de Renaud Camus. Donc, pour le guide, il n’est pas inintéressant de connaître leurs attentes, afin d’éventuellement adapter son petit laïus.

– Les visiteurs qui n’ont jamais entendu parler de Camus se divisent en deux groupes : ceux qui, curieux d’apprendre que le château est habité par un écrivain, posent des questions à son sujet, veulent savoir quel genre de livres il écrit, etc. ; et ceux qui s’en foutent complètement, dont on a même l’impression que l’information n’est pas parvenue à leur effleurer le cortex : incuriosité totale. Ce sont en général les mêmes, ai-je noté dans ma grande et proverbiale sagacité, qui ne regardent pas non plus les œuvres exposées. Certains poussent si loin la passivité et l'atonie que l'on serait presque tenté de leur rendre, à la fin, les cinq euros qu'ils ont payés pour leur non-visite.


Lundi 24 août 

Onze heures et demie du matin. – La semaine s’annonce agitée, du moins jusqu’à samedi matin. Pour commencer, Ludovic arrive cet après-midi, avec son amie, qui est également, si j’ai bien compris, son “metteur en scène”. Ils repartent vendredi matin, toujours si j’ai bien compris. Dans l’intervalle, mercredi, nous aurons également vu arriver ma sœur Isabelle, avec son homme et leur chien. Et, le même jour, nous devons récupérer les deux labradors de la maison. Le tout en continuant les visites s’il y en a. Heureusement que Catherine et moi disposerons du week-end pour nous remettre, et jouir de Plieux une dernière fois, avant d’en disparaître à jamais le lundi suivant au matin.

– Hier, rien à signaler de particulier sur le front des visites, lesquelles tendent en effet à se raréfier, comme il nous avait été prédit. En milieu d’après-midi la température extérieure – agréable depuis deux jours – s’est mise à monter en flèche jusqu’au coucher du soleil. La première partie de la nuit a été plutôt éprouvante, jusqu’à ce que des orages (lointains) rafraîchissent à nouveau l’atmosphère.

– Cet après-midi, je vais laisser les visites à Catherine (sauf s’il y en a trop, ou deux simultanées), afin d’écrire la première des six doubles pages que je dois à FD, et que je remets de jour en jour. Je suis toujours surpris, et même un peu consterné, de constater le mal, la presqu’angoisse que j’ai systématiquement à me mettre à ce genre de travail – lequel n’a pourtant plus pour moi le moindre secret, ni ne présente la plus petite difficulté. Je peux tourner autour durant des jours, parfois des semaines, y penser la nuit quand je m’éveille par hasard, etc. Pour, au bout du compte, lorsqu’enfin je me suis décidé à écrire la première phrase, m’apercevoir qu’une heure et demie à deux heures plus tard, les 7 ou 8000 signes sont écrits. Bizarrement, je n’éprouve pas ce sentiment pénible, cette tentation dilatoire avec les BM – ou alors à un degré tellement moindre que je ne m’en avise qu’à peine, et parfois pas du tout. Mais enfin, cet après-midi, il va bien falloir “produire”…

Six heures du soir. – Rien produit du tout, finalement, hormis un petit billet vide et creux (creux et vide ?) pour le blog. Ludovic devrait arriver d’un instant à l’autre, ce qui fait que tout travail est remis. Et comme demain, jour de congé, nous filons passer la journée à Albi…

– Tout à l’heure, pendant que Catherine s’occupait (?) de deux gentils Camusiens, devinez sur qui est tombé le couple de Hollandais ne parlant pas français et assorti de deux petites filles (sages, néanmoins) ? J’ai dû une fois de plus ressortir les forceps et le démonte-pneu afin de m’extirper trois mots d’anglais. Du coup, conscient de ce que ma visite n’allait pas être à la hauteur, je n’ai pas fait payer les enfants : j’espère que cela me sera compté au jour du Jugement.


(Il me semble que je commence à prendre goût à cette ébauche de journal, au point d'envisager de le prolonger une fois que j’aurai repris ma vie de manant. Mais je me suis déjà dit ça tant de fois…)

– En ce moment même, le ciel s’est considérablement assombri – c’est à peine si je distingue encore le fond de ce bureau –, l’orage tonne vers l’ouest, la lumière se teinte de jaune, une couleur comme je ne me souviens pas d’en avoir vu dans un ciel – un jaune de théâtre.

– Depuis hier, je me sens bizarrement partagé entre le désir de ne pas partir d’ici et celui de réintégrer ma coquille, ma routine. Sans être capable de déterminer laquelle de ces deux vagues envies pourrait bien l’emporter sur l’autre. Sans doute aucune : les événements décideront, et on sait bien quoi. – Et voilà qu’il pleut pour de bon.


Mercredi 26 août 

Cinq heures. – L’impression d’être dans l’œil du cyclone. Lundi, arrivée de Ludovic et de son amie Solène, qui repartent vendredi. D’ici une heure, arrivée de ma sœur Isabelle et d’Olivier avec leur petite chienne, Mila, qui restent avec nous jusqu’à samedi matin. Vendredi, retour des deux labradors de la maison (qui auraient en principe dû arriver aujourd’hui : toujours ça de gagné…). Et au milieu de tout ça, les visites à assurer, les courses à faire, etc. Il nous restera samedi et dimanche pour souffler un peu, profiter encore deux jours de Plieux avant de plier bagages.

– Ce matin, j’ai enfin écrit le premier des six “papiers” que je dois à FD. Comme toujours, après avoir tergiversé durant plus de dix jours, j’ai bouclé mes 7000 signes en une heure et demie et sans la moindre difficulté. Le pire est tout ce temps gâché en mauvaise conscience diffuse.

– Hier, nous avons employé notre journée de congé à la visite d’Albi, qui s’est terminée sous une pluie presque battante. Elle fut trop courte, trop rapide, et nous n’avons même pas trouvé le temps d’entrer au musée Toulouse-Lautrec. Il faudrait revenir, mais quand ?


Jeudi 27 août 

Trois heures et demie. – Vient d’arriver dans ma boîte mail, la nouvelle diffusée par Valérie Scigala auprès des amis de Renaud Camus (groupe Facebook dont je ne me souvenais plus faire partie…) de la mort de la mère de l'écrivain, le 20 août dernier. La nouvelle étant désormais publique, je peux donc rétablir ce que j’écrivais dans le journal ce même 20 août :

[Interrompu par un coup de téléphone : une dame de Royat, qui souhaitait parler à Renaud Camus, m’apprend finalement que sa mère (99 ans dans deux semaines) est morte cette nuit. Comme elle ne sait où le joindre, je me charge de le prévenir sur son portable. À mon grand soulagement, il était déjà au courant, ayant parlé avec sa sœur peu de temps auparavant : je me sens un peu moins dans la peau du “mauvais messager”…]

– J’avoue que l’idée d’être celui qui apprend ce genre de nouvelles n’a rien de particulièrement réjouissant. Et je me suis trouvé en effet soulagé de constater que Camus était déjà au courant.

– Côté “vie mondaine” de Plieux, le front s’éclaircit : plutôt que demain, comme il était prévu, Ludovic et son amie Solène sont repartis tout à l’heure. Pour le Plessis-Hébert dans un premier temps, puis Paris. Ne restent plus ici qu’Isabelle et Olivier. Et, demain, retour des deux labradors camusiens, amenés si j’ai bien compris par la mère de Pierre – Céline reste persuadée que tout va mal se passer entre eux et les nôtres, je pense le contraire : on saura dans quelques heures qui avait raison.


Dimanche 30 août 

Dix heures et demie du soir. – Voilà, on part demain matin. Ce soir, comme pour nous donner tous les regrets de la terre, les fenêtres de la Salle des Pierres n’étaient que pure lumière, avec cette branche japonaise de l’arbre mort. Ce matin – même ricanement du paysage contre nous – les Pyrénées sont réapparues, sur la route de Saint-Clar : nous les avions entr’aperçues les premier et deux août, et rien depuis : elles aussi sont venues nous saluer ironiquement, s’incliner devant notre départ.

– Reste la merveilleuse entente entre nos chiens et ceux de Camus, récupérés il y a deux jours. Après quelques grognements et désirs de rapprochement, ils en sont à s’ignorer gentiment – ainsi que les humains devraient le faire, il me semble. (J’en entends deux, là, qui ronflent, sur les tapis en avant de ce bureau, je ne sais même pas de qui il s’agit… La paix est merveilleuse…)


Mardi 1er septembre 

Cinq heures. – Notre retour à la vie normale, à l’existence-comme-elle-va, s’est effectué sans à-coup. En fait, tout se passe – pour moi – comme si nous avions rêvé Plieux, sans jamais quitter le Plessis. C’est une sensation un peu étrange. Mais il reste le rêve, ce qui est bien le principal.

– Le dernier jour (dimanche) a été très morne pour Catherine comme pour moi : nous étions encore là, mais déjà si presque partis que sans goût pour rien entreprendre. Pour ajouter à cette mornitude, le fait que ni la veille ni ce jour-là nous n’avons eu la moindre visite. Comme si, nous précédant dans l’irréel du songe, Plieux avait déjà perdu toute existence tangible aux yeux des touristes. Mais il est hautement plus probable que les touristes en question étaient déjà sur les routes ou le départ, et se souciaient comme d’une cerise de nos vieilles pierres dressées.

– Nous avions choisi de rentrer par Agen, Bergerac, Périgueux et Limoges en empruntant l’itinéraire dit « bis », à travers ces deux régions – Périgord et Limousin – que j’aime de plus en plus. Puis, autoroute jusqu’aux portes de la Beauce, où nous l’avons quittée pour obliquer vers Chartres puis Dreux et Saint-André-de-l’Eure – mettant ainsi un point final à notre épopée plieusaine, ainsi qu’à ce journal du même coup.

(Depuis ce matin, lorsqu’ils passent près de moi, Swann et Bergotte reniflent avec insistance le bas de mon pantalon ; auquel, je suppose, sont restées accrochées les parfums des seigneurs Orage et Ottokar.)



16 octobre

Midi et quart. – Rouvrir ce journal mort-né, une fois de plus ? Ça tourne au mauvais gag, à la blague récurrente. L'envie m'en est venue à Plieux, au mois d'août, où je m'y suis en effet scrupuleusement tenu – enfin, presque scrupuleusement. Mais, depuis notre retour à la vie normale, plus une ligne. Peut-être faudrait-il choisir entre le journal et le blog ? Ou bien, définir strictement les domaines de compétence de chacun d'eux ? Je n'en sais rien, à vrai dire.

Une heure moins le quart. – Au fond, l'idée de nourrir ce journal, sous forme de blog privé, n'est pas si mauvaise. À condition de résister à l'envie (qui viendra sans doute) d'en publier des extraits sur l'autre blog, le public. Car, alors, je devrais faire attention à ce que j'écris, ménager Pierre, Paul ou Jacques – et Catherine au premier chef. Par exemple, comment dire, ailleurs qu'ici, que je commence à être dérangé, contrarié par la présence de Ludovic à la maison, chaque week-end ? Et contrarié encore plus de voir que, pour lui, la notion de week-end est fortement extensible : il ne repart jamais avant le lundi en fin d'après-midi et, cette semaine, il est arrivé dès hier soir, jeudi ! D'un autre côté, Catherine a raison de faire remarquer qu'il est plutôt calme, arrangeant, etc. Mais toute ma contrariété vient de ce "plutôt". Il est possible que je vire vraiment vieux con, papy-à-manies, ne supportant plus le moindre dérangement d'habitudes. Je hais le mouvement qui déplace les lignes.

– Sinon, grande hâte d'arriver au 7 novembre, pour aller chercher Elstir, le petit bouvier bernois que nous avons acheté, contre toute raison raisonnable. Encore que, parfois, et surtout le soir, avant de m'endormir, je me demande si je ne vais pas prendre ce chien en grippe, par le seul fait qu'il va ressembler beaucoup à Balbec mais sans être lui. Espérons que non.

– À compter du prochain BM, à rendre le 15 du mois prochain, je repasse donc à quatre titres par an au lieu de six. Tout en me demandant si je n'aurais pas dû rester à six une année de plus : l'achat du chien (1500 €), d'un nouvel iMac (1000 €) pour remplacer l'autre qui est mort, l'appareil photo de Catherine (6 ou 700 €) et l'achat programmé d'une voiture neuve (crédit probable de 4 ou 500 € s'ajoutant aux 1000 du studio) : tout cela me fait dire que ce n'était guère le moment de réduire les rentrées d'argent. D'un autre côté, un livre tous les deux mois, ça commençait à faire lourd.

– Pour compenser le déplaisir d'une soirée sans apéritif mais avec Ludovic, j'ai décidé de m'offrir L'Ambiance d'à côté à midi. Tout seul, avec le livre de Julien Freund. Et un pichet de sauvignon, comme il se doit. Et je pense que je vais marquer ma bouderie en ne regardant pas la télé avec les autres ce soir. Na !

– Côté FD, on se prépare deux mois de tranquillité, Brice se faisant opérer de la hanche aujourd'hui même. Ensuite, rééducation et tout le tremblement. Sur le plan des décibels encaissés, c'est inestimable.

– Programme du week-end : dernier volet de la série "sexe et pouvoir", synopsis du prochain BM (qui commencera à Plieux avec Catherine et moi comme guides) et argumentaire de la prochaine série sur les "écrivains rebelles", vendue à Philippe B.

Cinq heures moins le quart. – Cette question du racisme est de plus en plus pénible, en dehors du fait qu'elle sert aux imbéciles d'arme de destruction massive, en ce sens que, comme le dit Renaud Camus, elle "écrase de la vérité" sur ses marges. Et qu'elle interdit de poser certaines questions qui, sans cela, recevraient peut-être une réponse n'ayant rien à voir avec un quelconque racisme, justement. Mais ces questions n'étant pas "posables", il est douteux qu'elles puissent recevoir une réponse sensée. On vit dans un tel climat d'hystérie bien pensante que se demander pourquoi, en athlétisme, toute finale de cent mètres aligne régulièrement huit noirs sur dix compétiteurs, relève déjà – presque – des tribunaux. Encore s'agit-il là d'un domaine où les noirs font montre d'une supériorité. Mais si vous vous avisez de remarquer, et de le faire savoir, qu'il n'y a pratiquement jamais de noirs dans les compétitions de natation, ou, bien pis, que la proportion d'Africains, ou d'hommes d'origine africaine, ayant obtenu un prix Nobel (en dehors de ceux de Littérature et de la Paix, qui ne sont que des hochets idéologiques) est voisine de zéro, là vous sombrez irrémédiablement dans les fosses septiques de l'Histoire. Sans jugement ni rémission possible.

– Ce nonobstant, j'ai mangé à midi un très honorable risotto aux champignons, en lisant Julien Freund. Lorsque Mme Catherine m'a demandé comment j'avais trouvé le plat, j'ai répondu comme souvent : « Bizarrement, tout à fait bon. » Et, comme à chaque fois, elle a marqué un temps d'arrêt – petit sursaut du corps – avant de réaliser qu'il s'agissait d'une plaisanterie. Or, il ne s'agit jamais d'une plaisanterie : il est en effet étonnant et inhabituel de manger quelque chose de vraiment bon à L'Ambiance.

– Depuis maintenant trois semaines, il règne une chaleur de bête dans notre bureau, à FD. Nous avons déjà adressé deux mails au responsable de la "maintenance" (un grand con qui ne sait parler – et très fort – que de football), pour lui signaler le problème. Chaque fois il nous a répondu qu'il transmettait à “qui de droit”. Jusqu'à présent, “qui de droit” ne s'est pas encore montré.


17 octobre

Trois heures vingt de l'après-midi.
– Hier soir, dernier apéritif (en principe). Catherine frôlant le rouge dans ses dernières analyses de sang, elle a décidé d'arrêter. Donc, moi aussi, saisissant l'occasion. Du coup, hier, pour prendre date, j'ai un peu forcé la note et me sens plus ou moins pâteux depuis ce matin.

– Le voisin m'horripile avec son taille-haie. Je pourrais me venger en sortant la tondeuse à gazon, mais Ludovic l'a passée hier. De toute façon, les gens qui produisent volontiers du bruit sont, je l'ai remarqué très souvent, parfaitement insensible à celui des autres, qui doit leur sembler tout aussi naturel, voire sympathique, que le leur.

– C'est curieux comme même les gens qui vous connaissent un peu, et sont censés vous aimer bien, sont capables de tous les procès d'intention, déformation, diffamation, etc., dès lors qu'on aborde des questions fortement idéologiques. Tout à l'heure, c'est Marie-Georges (Myriam) qui, en commentaire sur le blog, m'accusait de “prôner la supériorité de la race blanche”. Je n'ai évidemment jamais proféré ce genre d'absurdité. Mais je suppose que le fait de protester plus ou moins contre l'abaissement et la disparition à terme de la dite race blanche a suffi pour qu'elle m'entende réellement prôner cette supériorité.

C'est que je ne tiens pas du tout à être supérieur à qui que ce soit, moi ! Je m'en fous. Je veux juste être tranquille chez moi. Et, si possible, qu'on arrête de me seriner du matin au soir, et sur un ton de plus en plus agressif, que je suis la lie de la terre. C'est trop demander ? Il paraît qu'oui.


18 octobre

Quatre heures de l'après-midi.
– Catherine est partie avec Bergotte pour participer à la journée "portes ouvertes" de son club d'agility. Je suis resté pour travailler (le dernier volet de la série "sexe et pouvoir"). Au lieu de ça, je viens de bidouiller un petit billet de blog, vague rêverie à propos de Saint-Pierre-et-Miquelon et d'un possible exil en ces lointains, ravivée par la reprise d'Eugène Nicole. Ludovic est sous la douche, “on” le raccompagne à Vernon dans moins d'une heure pour qu'il y prenne le train. Je dis “on” car si Catherine n'est pas remontée à temps, il faudra bien que je m'y colle. De travail, point, naturellement.

– Après le déjeuner, je me suis remis à la pipe. Avec en projet plus ou moins lointain, l'idée de suivre Catherine dans son arrêt du tabac (non encore réalisé lui-même...). Je suis également presque décidé à ne plus boire du tout, ou en tout cas de manière vraiment exceptionnelle, puisque cette possibilité me reste offerte. 

Je parviens mal à comprendre pourquoi je ne suis jamais tombé dans la dépendance alcoolique, depuis trente ans que j'écluse comme un Russe. Je m'en félicite mais je ne comprends pas. Je me souviens d'avoir lu, il y a longtemps, que plus on commençait tard à boire et moins on risquait de devenir dépendant. Or, je n'ai pas bu une goutte avant 22 ans : c'est peut-être ça l'explication. Il y a aussi que, pendant des années – de 1979 à 1990, en gros –, je suis rentré presque tous les week-ends à la Ferté, où je ne buvais rien durant deux jours, parfois plus : cette "discontinuité alcoolique" a certainement dû jouer son rôle.

À peine le temps d'écrire le paragraphe précédent que, de retour de l'agility et avant de partir pour Vernon, Catherine suggère que nous pourrions peut-être, nous retrouvant tous les deux ce soir, nous accorder un petit verre. Naturellement, je me suis empressé de lui dire tout le bien que je pensais de cette idée...

– Je me demande si, une fois dans ma vie, j'arriverai à me tenir à une résolution. Je crains que non et cela a tendance à m'agacer. En même temps, cela ne m'agace pas suffisamment pour que, justement, je m'y tienne, à ces résolutions éphémères. Et je n'ai non plus aucun remords de les trahir, ou si peu. J'ai en outre l'impression – fausse évidemment – que tout serait plus facile ailleurs. Par exemple, pour revenir à mon fantasme miquelonnais, j'ai cette certitude absurde que, là-bas, il me serait très facile de ne plus boire ni fumer, de ne plus dépenser d'argent bêtement, de ne plus lire que de grands livres, etc. Certitude dont je sais qu'elle est illusoire, mais qui n'en persiste pas moins.

– Sur son blog, il y a deux ou trois jours, Valérie Scigala a publié un long billet à propos de Loin, le dernier roman de R. Camus, que j'ai trouvé pour ma part assez décevant. Je veux dire : décevant par rapport à ses autres livres non romanesques, mais pas par rapport à ce que j'en attendais, n'ayant jamais été très convaincu par ses talents de romancier. Concernant la scène de sexe hétérosexuel se déroulant dans le tunnel sous la Manche, Valérie note drôlement que ce n'est plus Didier Goux imitant Renaud Camus mais Renaud Camus imitant Didier Goux – lui-même, d'une certaine manière, imitant Michel Brice, qui n'est personne. Beau thème camusien, il me semble.


19 octobre

Trois heures et demie.
– Je me suis enfin mis au synopsis du BM 306, lequel doit donc se passer en partie à Plieux. J'ai tracé l'ébauche de l'ensemble de l'histoire (12 chapitres, comme presque toujours), il me restera demain à “nourrir” chaque chapitre. Logiquement, si je suis raisonnable (ce qui me surprendrait beaucoup), je devrais commencer l'écriture samedi prochain. Et, d'ici là, terminer la série "sexe et pouvoir".

– L'apéritif d'hier soir n'a pas été très méchant. J'ai même ensuite regardé la télé jusqu'à onze heures environ, ce qui m'a permis de me réveiller ce matin sans gueule de bois. Et, donc, de travailler au synopsis, auquel je suis attelé depuis deux petites heures environ. Moyennant quoi, je ne vais pas tarder à retourner à L'Œuvre des mers, que j'aimerais bien avoir terminé demain soir, afin de pouvoir emporter Bassani au travail, mercredi.


20 octobre

Huit heures moins le quart du soir.
– Journée de feignasse, indubitablement. J'étais censé étoffer et transcrire sur l'ordinateur le synopsis BM ébauché hier à la main, et je n'ai absolument rien fait, sinon flâner sur les blogs. Le tout sans le moindre crise de conscience dans la mesure où je dispose d'encore un peu de temps, à savoir les “pauses-déjeuner” de jeudi et vendredi, celle de demain étant réservée à la dernière “double” de la série en cours pour FD. Bien entendu, j'ai dit à Catherine que l'affaire était en bonne voie, ce qui n'est pas se mouiller beaucoup, mais pas un mensonge radical non plus. En fait, je lui aurais probablement avoué ma flemmitude, comme dirait la quakeresse (merci, Monsieur Matzneff...) poitevine, si elle-même avait passé l'après-midi à lire ou à se promener avec Bergotte. Mais dans la mesure où elle a pris près de trois heures à faire des courses à droite et à gauche, il m'a semblé que je devais me montrer un minimum solidaire, même si virtuellement solidaire.


24 octobre

Midi et demie.
– Rien écrit ici ces trois derniers jours, qui correspondent à mes jours de présence à FD. Non que je n'aie rien eu à y noter, ni que le temps m'ait manqué : c'est simplement que j'ai absolument oublié l'existence de ce journal – ce qui augure assez mal de sa pérennité. En réalité, il se passe que FD m'a pas mal accaparé l'esprit. Les méthodes de travail changent, à l'approche de la “nouvelle formule” et, vu les absences conjointes de François et Brice, ce dernier s'étant fait opérer de la hanche, je me suis trouvé pour ainsi dire naturellement en position de “chef”, ce qui m'a ramené une douzaine d'années en arrière lorsque je faisais effectivement fonction de chef, sous les règnes successifs d'Anne-Marie et de Bernard. Et je dois dire que j'y ai pris un certain plaisir.

– Me déplaît dans le statut de “chef”, le fait de devoir commander, faire acte d'autorité, et surtout le fait que les autres réclament cette autorité. Qu'ils vont vous pousser dans vos retranchements jusqu'à ce que vous vous décidiez à émettre le "coup de gueule" qu'ils attendent. En revanche, j'en aime le travail proprement dit, le fait d'être au courant de ce qui se passe et de pourquoi cela se passe. Malheureusement, l'un ne peut aller sans l'autre. En ce moment, cela dit, je n'ai que le meilleur puisque ne suis nullement chef “pour de vrai” et que, donc, nul n'attend de moi les preuves d'une quelconque autorité.

– Depuis hier, le projet de vacances à Saint-Pierre-et-Miquelon reprend de la consistance. Ce serait pour l'automne prochain. Le seul véritable frein c'est le coût de l'opération : on s'en sortirait difficilement à moins de huit ou neuf mille euros, surtout parce que je refuse de voyager “économiquement” avec les genoux contre les oreilles, etc. On verra.


25 octobre

Dix heures et demie du matin (heure d'hiver).
– Autant je trouve absurde le principe du changement d'heure, autant me ravit toujours le retour à celle d'hiver ; elle est le signal, cette heure “presque solaire” de l'endormissement prochain de la nature, son repliement vers la terre, son presque effacement. Si les hommes pouvaient faire de même, tout serait presque parfait. Malheureusement, pendant l'heure d'hiver, les conneries continuent.

– Très beau billet de Hank, ce matin, sur son blog. Il y parle longuement et sensiblement de ce sentiment d'impuissance, de pas-à-la-hauteur qui saisit souvent le blogueur au moment de parler du réel, de ce qui se voit – ou, plus exactement, de ce qui devrait être visible par tous et ne semble l'être que pour une minorité. A moins qu'il ne s'agisse d'une majorité silencieuse. Pour ma part, il m'arrive régulièrement, notamment pour ce qui concerne les problèmes liés à la contre-colonisation actuelle, mais pas uniquement, de me demander si ce ne sont pas “eux” qui ont raison, au bout du compte, et si je ne suis pas en train de devenir obsessionnel, monomaniaque – fou, en un mot. Me console la nette impression que j'ai, que nous sommes de plus en plus nombreux à l'être, fous, en ce cas. Du reste, on peut espérer que plus croîtront l'arrogance et la haine de nos occupants et plus il y aura d'yeux et d'oreilles pour s'ouvrir. Sachant que, lorsque cet énorme et incompréhensible refoulé opérera son retour, les dents vont grincer, les bras se tordre, les gorges gémir et les yeux pleurer ; principalement chez ceux-là même qui, en ce moment, jouent avec application les fourriers de leur prochain asservissement.

Je suis peut-être très naïf, mais j'avoue espérer beaucoup plus des femmes que des hommes. Parce que, au fond, ce que nous “proposent” aimablement nos envahisseurs, c'est une société revirilisée à l'excès, et qu'ils peuvent donc, avec cette ânerie malfaisante qu'est l'islam, séduire un nombre non négligeable de bas-du-front à grosses couilles et à mécaniques bien huilées. Les femmes, elles, ont tout à perdre de ce qu'elles ont péniblement conquis depuis un siècle ou un siècle et demi. Du reste, parmi les blogs de filles intelligentes que je fréquente – ceux d'Olympe, de Mrs Clooney, de Floréal, de Suzanne bien sûr, quelques autres encore –, on sent poindre un malaise à coloration schizophrénique, quant à cette question, un écartèlement de plus en plus sensible entre la volonté-réflexe de ne pas “stigmatiser” ce saint laïque, ce rédempteur tout-terrain qu'est l'immigré exotique et la vision de plus en plus nette qu'elles acquièrent de l'estime en laquelle elles sont tenues par ce même rédempteur.

Deux lueurs d'espoir encore : l'insondable et intransigeante bêtise des organisations musulmanes qui les pousse à exiger de nous des renoncements toujours plus importants, plus absurdes, et donc plus visibles ; d'autre part, la haine millénaire qui oppose entre elles les différentes composantes de cette religion. Sans parler du racisme bien ancré qui, fatalement, poussera un jour ou l'autre les Arabes à rabaisser les noirs africains ainsi qu'ils l'ont toujours fait. Et le feraient sans doute encore si la colonisation européenne en Afrique n'avait mis un terme à ces pratiques.

– À part cela, il fait grand soleil, donc soyons légers ! Je suis tout à fait content d'avoir “vendu” à Philippe B. une série de six doubles sur les “écrivains rebelles” (même si cette dénomination ne me plaît pas du tout, mais je n'ai pas encore trouvé mieux). Mon idée de départ était plutôt quelque chose comme “les écrivains contre la société”, mais ce n'est pas un titre, ça. Au menu : Gide (pour la sortie du placard et le Retour d'URSS), Zola (Dreyfus évidemment), Céline (antisémitisme, collaboration), Mauriac/Camus (effet miroir avec Céline, résistance), Flaubert/Baudelaire (procès Pinard) et enfin Sade, négateur absolu. Voilà qui va me demander un peu plus de travail que pour une série tout entière sortie d'un seul livre, mais ça en vaut la peine : au moins, le thème m'intéresse.

– Dans deux semaines, Elstir aura passé sa première nuit à la maison.


26 octobre

Midi.
– Matinée ensoleillée, Catherine est partie avec Bergotte à l'agility (elle devrait d'ailleurs être de retour, mais apparemment le responsable de cette activité n'est pas chiche de son temps). Je traîne sur les blogs au lieu de terminer le synopsis du BM que je dois commencer d'écrire samedi prochain. Sur l'un de ceux-ci, où je ne vais à peu près jamais (Reversus, je crois), le taulier (jeune je suppose) se proclame fièrement "citoyen du monde", ce qui est assez dire le niveau de réflexion. Du reste, je suis toujours frappé de contempler l'expression de fierté satisfaite qui accompagne systématiquement cette étiquette revendiquée. Cette non-appartenance. Ce comme-ça-flottant-dans-l'air. Se dire citoyen du monde, cela revient à notifier à l'interlocuteur que l'on est né et que l'on vit sur la planète terre : belle avance ! Mais, naturellement, on comprend très bien ce qu'ils veulent, eux, laisser entendre. Que chaque homme est leur frère, qu'ils ont réglé une fois pour toute (quoique à titre strictement personnel, et encore...) la question de la violence et de l'agressivité, qu'ils sont partout chez eux, ce qui est proprement effrayant. Bref, ils se définissent parfaitement sans le savoir : ce sont des touristes, rien que des touristes et entièrement des touristes. Et ils n'ont peut-être pas tort de se voir comme le devenir du monde. En attendant, qu'ils aillent donc jouer les "citoyens du monde" à Mogadiscio, par exemple. Qu'on rie un peu.

Sept heures et demie. – Si jamais je poursuis la tenue de ce journal, je suis presque certain que ce sera en raison de sa "forme blog", et qu'on ne vienne pas me demander pourquoi ! Objectivement, il n'y a aucune différence de nature avec un quelconque document Word, dans la mesure où personne, en dehors de moi, n'y a accès. Pourtant, je sens bien que c'est différent. Peut-être parce qu'il suffirait d'un clic, un seul, pour qu'aussitôt tout le monde puisse venir le lire ; pour que toutes les portes s'en ouvrent grand et en même temps. – Mais je ne le ferai pas. En tout cas pas pour l'instant. Car, bien entendu, depuis quelques jours, je me pose la question de savoir ce que je vais en faire, de cet encombrant journal. Quelque chose de réellement “intime” ? Ou bien, le laisser décanter durant un temps plus ou moins long ? En ce moment, la deuxième hypothèse a ma faveur. Prenant modèle sur ce que Camus envisageait à une époque de faire avec le sien, lorsque son maintien chez Fayard devenait problématique (du moins le croyait-il), je me dis que, à compter d'octobre 2010, je pourrais chaque premier jour du mois publier l'intégralité du même mois de l'année précédente. Ou, sinon l'intégralité (car alors cela signifierait que je ne pourrais plus écrire tout ce que je souhaiterais), du moins de larges extraits. Cela se passerait sur un blog créé spécialement pour cela, afin de ne pas forcer la lecture : n'irait que qui le voudrait, à partir du blog-mère. Et les commentaires seraient fermés. Cette solution présente il me semble deux avantages : la décantation d'abord, dont je parlais à l'instant, qui permet de polir l'écriture, de préciser tel détail, peut-être, d'en supprimer un autre, etc. Et puis, le fait d'attendre un an suffira à me dire si la tenue du journal est devenue une véritable discipline, ou si elle s'est finalement avérée aussi sporadique que les autres fois. Après tout, ma première tentative de journal remonte à 1984 (année de la découverte du cancer de Bernalin, ce qui avait d'ailleurs été le motif de cette ouverture), et que, depuis 25 ans, mes tentatives n'ont jamais excédé quelques mois – et encore : avec des trous partout. Je pense que j'ai fort bien fait de tout détruire, vers 1998, à notre arrivée à Sainte-Scolasse faisant suite à ma démission de FD, lorsque j'ai pris la décision de ne plus jamais essayer d'écrire quoi que ce soit.

Si je donne un jour ces notes à lire, j'imagine très bien les petits sourires en coin. « Comme promesse de ne plus rien écrire, c'est raté ! » Mais non. Je ne considère pas, et ne considérerai jamais que tenir un blog soit écrire. Déverser ses humeurs, oui. Tenter de les exprimer aussi agréablement, aussi efficacement que possible, soit. Mais écrire... Ou alors, oui, si faire de la bande dessinée c'est peindre et écrire des chansons composer. Mais, jusqu'à maintenant, je me suis toujours refusé de tomber dans cet amollissement-là.

– Je n'ai pas le temps ce soir, mais il faudrait que je pense à examiner mes rapports avec ce qu'il est convenu d'appeler la "réacosphère", tenter de savoir dans quelle mesure la lecture répétée de ces gens différents les uns des autres et inconnus de moi a contribué (ou non) à structurer mes propres idées – si tant est qu'elles le soient, ce dont je suis loin d'être persuadé.


27 octobre

Une heure moins le quart.
– Il y a une vingtaine de minutes, j'ai achevé la lecture de cette Essence du politique dont je rebats les oreilles des lecteurs du blog-mère depuis quelques jours – semaines, même. Mais, bien entendu, selon le phénomène connu, provoqué par tous les livres riches, il ne s'agit là que d'un commencement : la découverte en appelle d'autres, qui se font pressantes, impérieuses, revendicatives presque, alors qu'elles nous laissaient en repos depuis la nuit des temps – je veux dire : de mon temps. Ainsi, l'excellent Hoplite me signale que je devrais bien de me plonger dans l'œuvre de Christopher Lasch, sitôt que j'aurai “essoré la pensée de Freund”. Il s'en faut de beaucoup que j'aie essoré cette pensée : déjà bien heureux si j'ai pu en exprimer quelques gouttes. Mais enfin, soit : requérons Mme Amazon afin qu'elle nous expédie à grande vitesse un ou deux livres de ce Lasch-là. Le problème est que la lecture de Freund m'a déjà poussé, hier, à lui commander le Léviathan de Hobbes et le Prince de Machiavel. Et j'ai dû faire appel à toute ma raison financière pour ne pas y adjoindre quelques volumes de Max Weber, Carl Schmitt, voire Alain et Proudhon ; tous auteurs que j'aurais normalement dû lire, comme toute âme bien née, entre 18 et 25 ans, mais dont ma paresse intellectuelle m'avait alors tenu éloigné. (Quoique, dans le cas d'Alain, il s'agisse moins de paresse que d'un dégoût provoqué par un professeur de philosophie particulièrement léthargique, et donc somnifère...)

Par quoi commencer ? Comment s'y prendre pour reconstituer le puzzle ? Et y a-t-il seulement un puzzle, une figure finalement identifiable ? Un secret qui ne demande qu'à se dévoiler, un paysage à se révéler ? Ou bien rien ? Un méandreux labyrinthe dont mon âge ne me permettra plus de comprendre le dessin, encore moins d'en ressortir indemne ? Que faire ? comme disait Lénine. D'autant que, tout à l'heure, j'ai commis l'imprudence d'entrouvrir Le Monde de Schopenhauer (encore une lecture tardive dont on espère, peut-être en vain, une quelconque pourriture noble) arrivé il y a deux jours dans la boîte-à-livres fixée au portail.

Une heure dix. – Catherine est parti chercher Ludovic au train de Vernon : il commence visiblement à trouver un peu rapprochés les murs de notre minuscule studio de Levallois. Il est censé repartir avec moi jeudi matin ; on verra.

– Arrivée d'Elstir dans dix jours.


Six heures et demie. – L'idée du ministricule Éric Besson, de lancer un “grand débat” (et pourquoi pas une kermesse ? Un carnaval ? Un rodéo ?) sur l'identité nationale est évidemment stupide : un peuple assuré de lui-même, capable de rentrer dans le chou des ennemis qui le menacent sans leur demander pardon de rien, ce peuple-là ne se poserait jamais la question de savoir quelle est son “identité”, laissant ce travail aux historiens ou à la rigueur aux sociologues. Il ne comprendrait sans doute même pas qu'on ait l'étrange idée de la lui poser : se demander si on est encore en vie, c'est reconnaître qu'on est mort ; ou, à tout le moins, qu'on ne va pas très fort. Mais, pour ridicule qu'elle soit, elle n'en est pas moins réjouissante, l'idée du ministricule, ne serait-ce que par le tombereau de sottises de tous ordres qu'elle a entraîné sur les blogs de mes amis progressistes, mes petits adeptes du grand pas – le dernier, pour la route – en avant. (J'y reviendrai tout à l'heure : Catherine vient de sonner l'heure de la manducation vespérale...)

Sept heures et demie. – Repas très rapidement expédié, comme toujours. L'âge aidant, je supporte de moins en moins de passer plus d'une demi-heure à table. Sauf en présence de convives que j'ai vraiment plaisir à voir, et encore faut-il qu'il y ait autre chose que de l'eau à boire. Ici, les repas courants excèdent rarement dix minutes...

– Je reviens sur les réactions dont je parlais tout à l'heure. Elles vont de l'écœurement théâtral, avec gestes outrés, façon cinéma muet (« Ah ! comme j'ai honte d'être français ! »), aux grandes envolées d'indignation avec référence obligée ou presque au pétainisme, aux heures sombres, au ventre encore fécond et à toute la quincaillerie habituelle. Bien entendu, on n'argumente pas, on se contente d'anathémiser. Et plus l'argument fait défaut, plus l'anathème se doit d'être bruyant. On pense à l'enfant qui, ne voyant rien dans l'obscurité de la cave où on l'a envoyé, chante à tue-tête (et faux) pour se faire croire qu'il est plusieurs. J'en arrive parfois, lorsque ma bile s'échauffe, à souhaiter vivre assez vieux pour contempler le désastre en grandeur nature, et les chutes brutales de tous ces aveugles volontaires. Je suppose que les plus atteints trouveront encore le moyen de s'écraser avec leur même sourire angélique et légèrement supérieur. Mais enfin, on ne peut pas contraindre à vivre des gens qui ont décidé qu'il était temps pour eux de mourir. Ou, à tout le moins, de se trouver une bonne place, dans une bonne maison, en espérant que les maîtres ne seront pas trop cruels et qu'ils nous tiendront compte des efforts faits pour leur baliser le chemin et leur dégager les places assises.


30 octobre

Quatre heures et demie.
– Un débat sur l'identité nationale ! Peut-on faire plus con ? Il y a “identité” (auquel cas la question ne se pose pas), ou bien il n'y a pas ou plus – auquel cas la question ne se pose pas davantage. Ce petit Besson a une gueule de traître mollasson qui repassera chez Ségolène s'il pense que c'est son intérêt. Et le pire est qu'il sera accueilli à bras ouverts. Il est de la race des Soisson, des Stirn, etc., ces invertébrés qui n'ont jamais vu autre chose que leur intérêt (leur “petite soupe”, comme disait de Gaulle), et n'ont même pas été capable de le servir efficacement. Besson finira dans une poubelle de l'histoire, dont plus personne ne saura où elle se trouve exactement. Risible et jouissif.

– Je comprends de moins en moins comment on peut s'intéresser à la politique, dans la mesure où tout le monde semble d'accord sur l'essentiel, lequel consiste à ne rien voir de ce qui se passe réellement. Le plus souvent, la lecture des blogs de gauche me donne l'impression d'avoir ingéré des champignons exotiques et pas en vente libre. D'un autre côté, j'ai moins tendance à me moquer des Byzantins qui disputaient du sexe des anges avec le Grand Turc à leurs portes : le Grand Turc n'est même pas à nos portes, il est dans la maison, et nous discutons encore du sexe des anges, de nos anges (retraites, sécu, etc.)

– Je ne me souviens pas si j'ai déjà dit cela ici (c'est amusant, de tenir un journal : on peut vérifier assez facilement si on radote ou non), mais il m'arrive de me demander si je ne suis pas en train de devenir complètement fou, au sens clinique du terme. Si nous ne sommes qu'une poignée à voir ce qui semble crever les yeux, si tous les autres nous assurent, de parfaite bonne foi, que nous nous trompons, ne méritons-nous pas la camisole ? Les petites pilules roses ? Seule chose qui me rassérène : je reste persuadé que le peuple (les “Franchouillards-de-souche”) n'en pense pas moins, mais qu'il a compris qu'il valait mieux fermer sa gueule pour éviter les ennuis, comme l'avaient compris les différents peuples ployant sous le joug communiste. Lorsque je lis un sondage (j'ai oublié où, mais il y a quelques jours) me disant que 49 % des Français trouvent qu'il y a trop d'immigrés en France, je comprends très bien les cris d'allégresse de nos progressistes : ils sont majoritaires. Néanmoins, le matraquage idéologique, depuis environ 25 ans, est tel que j'ai du mal à ne pas penser qu'il doit bien y en avoir 15 à 20 % de plus pour répondre ce qu'ils savent devoir répondre pour être “corrects”, pour qu'on leur foutent la paix. On aura du mal à m'ôter de l'idée que personne ou presque n'a envie de voir des pans entiers de ce pays devenir des annexes de l'Afrique. Et de l'Afrique dans ce qu'elle a de pire, dans la mesure où il me semble qu'un Sénégalais, un Togolais, un Béninois, que sais-je encore, qui se préoccuperait vraiment de son pays et de l'avenir d'icelui aurait à cœur d'y demeurer, plutôt que de venir s'abriter sous le RMI de la France, cette ancienne puissance coloniale qu'ils sont censés détester. Et qu'ils détestent en effet.

Je comprends et aimerais connaître ces historiens africains, de plus en plus nombreux me semble-t-il, qui alertent leurs concitoyens, les mettent en garde contre le ressentiment stérile, lequel en fait n'est rien d'autre qu'une affirmation “en creux” de la supériorité de “l'homme blanc”. Voilà des gens que j'aime, des cerveaux en action, des hommes debout, etc. Mais, bizarrement, avec notre goût immodéré pour l'auto-flagellation, jamais on n'en parle dans nos journaux. On préfère les petits cafards de la HALDE, les pensionnés à vie, les tireurs de subventions. J'ai peine, vraiment, pour ces intellectuels lointains, que je ne connais pas, ou très mal, je voudrais les assurer de mon soutien (qui ne sert à rien), leur dire que parfois, presque par hasard, on arrive à les entendre. Qu'ils ne sont pas seuls. Eux sont l'avenir de l'Afrique.

Les liens entre la France et l'Afrique francophone existent, je crois. Il serait bon de les préserver, de les enrichir. Nous avons des choses à échanger, c'est indubitable. Mais, pour y parvenir, il faut d'abord éliminer la racaille repentante qui, chez nous, gangrène toute discussion. Il viendra un moment où les petits blancs progressistes devront sans doute être éliminés. Pas forcément physiquement, en tout cas remis par la parole à leur juste place : le néant. Les gens qui se détestent eux-mêmes font les affaires des psychanalystes, mais ils n'ont rien à voir avec l'avenir.


1er novembre


Midi et demie. – Je lis conjointement, en alternance rapide, le dernier roman d'Eugène Nicole, Alaska, et celui d'André. Je ne devrais pas, c'est une épreuve cruelle qu'il ne faudrait pas infliger à un ami-de-trente-ans. Non que le roman d'André soit dénué de mérite, d'ailleurs, les trente premières pages viennent même assez bien. Mais, évidemment, ce n'est rien auprès des sortilèges spatio-temporels de Nicole, qui se déploient ici comme ils le faisaient dans L'Œuvre des mers, avec la même puissance d'envoûtement.

Mais, bon, je n'ai pas l'intention de me lancer dans la critique littéraire. Ce n'est pas l'envie qui me manque, du reste, de faire partager tel ou tel de mes enthousiasmes (et celui que m'inspire Nicole est grand), mais j'ai toujours la certitude, lorsque je me mêle de littérature, que je vais au mieux dire des banalités et au pire proférer d'énormes conneries. J'ai une forte admiration, malheureusement teintée de basse envie, pour les gens comme Ygor Yanka (ressemblant en ceci à Léautaud) qui paraissent toujours assurés de leurs appréciations, qui ne se posent pas la question (ou semblent ne pas se la poser) de savoir ce qu'on va penser de leur lecture, de leur jugement, etc.

– Le passage d'octobre à novembre a amené un vrai temps d'automne, comme si la météorologie avait décidé de se caler docilement sur le calendrier, comme si le stratosphérique s'inféodait à l'administratif. Entre hier soir et ce matin, le cerisier a perdu la moitié de ses feuilles et il va devenir délicat de procéder à une dernière tonte saisonnière. De toute façon, il pleut. Du même coup, les mésanges commencent à se faire plus nombreuses autour de la cabane à graines de tournesol, même si elles sont encore la seule espèce présente. Ces petits cailleras de verdiers ne devraient pas tarder à réapparaître, je suppose.

– Je suis en vacances pour toute la semaine prochaine, jusqu'au mercredi 11, donc. (Écrivant cela, je m'avise seulement que, ce 11 novembre étant férié, je viens de gagner une journée supplémentaire. J'aurais sans doute mieux fait de ne pas m'en apercevoir : me connaissant un peu, je me sens tout à fait capable de ne commencer le prochain BM que mardi au lieu de lundi (cette après-midi, j'écris le dernier volet de la série "sexe et pouvoir"), sous prétexte que, etc. Car, on l'aura compris, ces vacances ne le sont que vis-à-vis de FD.

– Il y a encore deux ou trois ans, lorsque ce cas de figure se produisait, six fois par an donc, j'avais tendance à considérer que j'étais en vacances lorsque, BM terminé, je retournais à Levallois. C'est désormais l'inverse : même si je travaille plus lorsque je suis à la maison, le fait de n'en pas bouger et de ne pas devoir supporter l'ambiance de plus en plus morne et mesquine qui règne à FD suffit à me faire considérer ces semaines d'écriture en bâtiment comme de vrais petits bonheurs – même en tenant compte du fait qu'elles impliquent un régime strictement aqueux, sauf le dernier soir, où, traditionnellement, nous arrosons d'alcools divers le mot “FIN” qui vient d'être tracé.

Cette fois-ci, je me suis lancé dans une très improbable histoire, celle d'un type principalement homosexuel, écrasé par une mère à la bonté et au dévouement tyranniques (que j'ai prénommée Céleste : il faut bien s'amuser un peu tout en maniant la truelle et les parpaings), qui viole et tue des adolescentes scoutes (je n'arrive pas à déterminer si le mot "scout" doit s'accorder en genre et nombre) pour se venger de n'être pas une fille et d'avoir lui-même, à l'adolescence, été dépucelé de force par un groupe de Jeannettes déchaînées. Je ris tout seul en pensant au côté totalement incongru de mon scénario. Dont un certain nombre d'épisodes se dérouleront au château de Plieux, au mois d'août dernier, ce qui me permettra de nous remettre dans le décor, Catherine et moi. Je compte soigner particulièrement le portrait de la mère, présente dans l'intrigue (le fils et elle vivent toujours ensemble). J'ai également prévu un chapitre se passant entièrement dans un sauna homo, pour le seul plaisir de reprendre des paragraphes entiers de Tricks, sans y changer une virgule, juste les prénoms s'il y en a. Là encore, il faut bien se divertir un peu : 240 pages, c'est long...

Huit heures moins dix. – Le jeune Hank (il a 23 ans, je crois bien) n'avait pas sur son blog publié de choses consistantes depuis un petit moment, mais ça valait la peine d'attendre : son billet d'aujourd'hui, intitulé "Ami, entends-tu ?" est tout bonnement remarquable. Qu'il y ait encore, dans le pays, des jeunes gens comme lui me consolerait presque de tout le reste, de cette gabegie imbécile et poisseuse qui, ces jours-ci, se répand sur les blogs, et pas seulement ceux estampillés de gauche – ceux-ci sont les pires, bien entendu, toujours à la pointe du progrès progressant, mais ils sont talonnés par les idiots utiles de la droite et de ce qu'on appelle le centre (qui n'est rien, à proprement parler), tellement frétillants à l'idée de recevoir leur “deux trois bouts de diplôme et d'habits mode”, comme chantait Jacques Bertin, d'être inscrits au tableau d'honneur des gentils, qu'ils en remettraient presque sur les fossoyeurs patentés. Au nombre des choses qui me laissent béant, il y a cette obstination gâteuse à vouloir maintenir coûte que coûte des semblants de différences entre une gauche et une droite qui ont disparu de la scène voilà bien 15 ou 20 ans, voire davantage. Depuis que Mitterrand a décidé froidement et cyniquement, en 1983, de claquer la porte du socialisme au nez de ses petits cocus militants, de laisser retomber sèchement la fenêtre à guillotine des lendemains qui chantent. Mais, bien entendu, si on leur enlève aussi cela, tous les enrégimentés risquent de se mettre à regarder ailleurs : mauvais, ça...

– J'aime beaucoup cette heure et demie (parfois un peu moins) que je passe ici, à mon bureau, entre la fin du dîner (que nous prenons toujours très tôt, excepté au plein été : sept heures tapantes, sauf incidents de cuisine) et le début du film vespéral. Spécialement, comme c'est le cas depuis quelques semaines, quand il fait déjà nuit noire. Ce soir, je regrette seulement que la pluie ait eu la mauvaise idée de s'interrompre.

– Une fois de plus – et je le fais parce que le phénomène me surprend toujours – je suis obligé de constater à quel point, à chaque fois que nous suspendons l'apéritif, je cesse immédiatement d'y songer, dès que la décision est prise. On m'objectera que si j'en parle maintenant c'est justement parce que j'y pense. Bien sûr. Mais je voulais dire que je n'y pensais pas à l'heure où d'ordinaire cet apéritif se consomme chez nous, soit entre six et sept heures, c'est-à-dire entre le dîner des chiens et le nôtre : nous sommes devenus un authentique couplamanies.

– Du reste, je n'ai pas attendu la venue de l'âge pour prendre conscience des grandes vertus de l'habitude. Cela remonte au premier séjour d'une semaine que nous fîmes, André, Philippe et moi, chez les moines du Mont Saint-Michel, en mai 1979, juste avant notre plongée dans la vie dite active. Là, j'avais pu comprendre à quel point la multiplication des contraintes, des rendez-vous fixes (matines, messes, complies... – sans parler des repas), intensifiait le temps restant, le rendait totalement disponible pour travailler, lire, etc. Les gens qui professent qu'il faut sans cesse sauter d'un changement à l'autre, tous les matins “réinventer sa vie” ou je ne sais quelle sottise du même calibre, ne font en général rien d'autre que s'agiter – ou s'emmerder. L'âge changeant, on les retrouve d'abord à Paris-Plage puis au Club Med. Quand ils ne sombrent pas dans le tourisme équitable (qui ne s'appelle pas exactement comme ça, d'ailleurs, mais le nom dont on a affublé cette pantalonnade m'échappe pour le moment).


2 novembre

Neuf heures. – Début programmé du BM “scout”. Comme d'habitude, je n'ai rigoureusement aucune envie de m'y mettre. C'est sans doute pour cela que je n'ai pas ouvert l'œil avant neuf heures et quart. M'énerve aussi le fait qu'il fasse grand soleil alors que pluies et vents étaient dûment annoncés par la météorologie nationale, ou plus exactement par leurs hauts-parleurs télévisuels. Mais je sens bien que le temps annoncé m'énerverait tout autant, en la circonstance. Pour comble de malchance, la blogosphère est à peu près déserte, ce qui me prive d'une mauvaise excuse supplémentaire pour ne pas me mettre au travail. Tout ce qui reste à ma disposition, en matière de prétexte bidons, c'est de me dire qu'avant de commencer à écrire, il convient de relire attentivement le synopsis (tu parles : il fait trois pages !), de “préparer” le document Word (deux minutes...), etc. En sachant que je n'ai rigoureusement rien à mettre sous cet “etc.”.

Onze heures vingt. – Et en plus, Catherine est partie ! À l'agility, avec Bergotte. (Évidemment : avec Bergotte ! que serait-elle allée faire à l'agility toute seule ?) Du coup, comme chaque fois que je me retrouve seul, mes quelques lambeaux de courage et de conscience professionnelle m'abandonnent, et je me retrouve à pleurnicher ici, dans ce journal que personne ne lira probablement jamais. C'est brillant. De toute façon, après avoir temporisé en rangeant la cuisine et mettant le lave-vaisselle en route, j'ai l'argument massue qui se profile : à onze heures et demie de la matinée, ça ne vaut plus le coup de s'y mettre, on verra cet après-midi. Et cet après-midi : bof ! la journée étant déjà à moitié perdue, autant mettre à profit le peu qu'il en reste pour retourner Derrière la porte avec Bassani. Et, demain matin, je me dirai probablement quelque chose comme : « Pauvre con ! tu disposais de dix jours pour écrire ce bouquin et il ne t'en reste plus que neuf. Ce qui va t'obliger à aligner 30 feuillets par jour au lieu de 25. » Et c'est chaque fois pareil depuis environ 6 ou 7 ans (avant, j'étais plus fringant, il faut bien le reconnaître).

Quatre heures et demie. – Alors que je m'apprêtais à écrire sur le blog-mère ce genre de petits billets que l'on fait pour expliquer que l'on a pas envie de publier de billet, je me suis aperçu que Dorham venait de faire précisément la même chose. Du coup, je me suis estimé quitte. Par le lien qu'il donne, j'ai découvert un nouveau blog, intitulé “Saccages”, conçu comme une sorte de tombeau dédié par son auteur à ce garçon qui est mort brutalement cet été (hémorragie cérébrale ? Oui, ce doit être ça) et qui était leur ami commun. Bien entendu, je n'ai pas pu faire autrement que de penser à Bergouze, et surtout à ce qu'était initialement le projet du blog-mère : une conversation, un “dialogue d'ombres” entre lui et moi. Pas pu faire autrement non plus que de constater avec un peu d'amertume, ou d'auto-amertume si cela se peut, que j'avais complètement abandonné ce but initial et que le blog-mère était devenu une sorte de salle de bistrot semblable à toutes les autres, où l'on blablate de tout et de n'importe quoi sur un ton péremptoire ou, au contraire, ridiculement détaché. Mais je ne vois pas le moyen de revenir en arrière, de redresser la trajectoire. D'autant moins que, désormais, ce blog-ci remplit plus ou moins ce contrat, ou tout au moins une partie de celui-ci. Du reste, rien ne m'empêche, ici, lorsque j'y écris, de placer Bernalin en face de moi, voire de recommencer à m'adresser à lui. Sans que cela ne devienne artificiel, théâtral comme j'ai trop tendance à l'être il me semble.

– En tout cas, j'ai très convenablement épuisé les bonnes excuses pour ne pas travailler aujourd'hui. J'ai adressé un mot à André pour le remercier de l'envoi de son roman et lui livrer une ou deux impressions de début de lecture, j'ai répondu au long mail de France-Hélène, et j'ai adressé ma traditionnelle et mensuelle requête à Nancy, relative au paiement de mon à-valoir de novembre. Comme m'a dit Catherine, au retour de promenade avec Swann : « Eh bien, au moins, ta journée n'aura pas été totalement improductive ! » En effet...

– Je me demandais tout-à-l'heure si ce journal, et à condition que se solidifie l'habitude d'y venir écrire tous les jours, n'allait pas rapidement assécher le blog-mère, ou au moins l'envie que j'ai toujours eue de l'alimenter depuis son ouverture début 2007. Même si cela s'avérait, cela n'aurait de toute façon pas la moindre importance, les blogs n'étant que l'illusion que l'on se donne d'écrire – d'écrire tout de même, malgré l'absence flagrante de talent et même de réelle et profonde envie. Il n'y a pas de besoin, dans un blog ; et c'est pour cela que c'est dès le départ voué au non avenu.

Huit heures moins le quart. – Tout à l'heure, vers sept heures moins vingt, Catherine m'annonce qu'elle serait surprise que nous dînions à sept heures, son espèce de croustade aux champignons (recette tirée du livre de cuisine provençale offert par Anna et Dominique lors de leur venue dans le Gard cet été) risquant de n'être pas prête. Immédiatement, et durant près de cinq minutes, au point de ne plus pouvoir me concentrer sur ce que je lisais (Le Héron, de Bassani), j'en ai été fortement contrarié. Puis l'agacement a fait place à la consternation : étais-je vraiment devenu assez con, assez ossifié, assez ranci, pour être perturbé par un repas décalé de dix minutes par rapport à l'habitude ?  Il m'a bien fallu admettre que oui, sans doute. Le constater a eu ceci de bien que mon agacement a aussitôt cessé. Mais son souvenir demeure. Je parlais hier des vertus de l'habitude (d'ailleurs, si j'étais écrivain, j'écrirais volontiers un Éloge de l'habitude, court traité sur le modèle des divers Éloges de Camus), mais il ne faut apparemment pas en abuser. Or c'est visiblement ce que nous faisons : je me rends compte qu'envisager simplement une chose nouvelle, examiner une possible initiative imprévue, considérer un changement de programme quelconque suffit de plus en plus à me plonger dans une sorte de désarroi, encore augmenté par le fait que je m'en irrite – que je parviens encore à m'en irriter. À ce train-là, dans deux ou trois ans je correspondrai parfaitement à l'image que je m'amuse à donner de moi sur les blogs et dans le mien. Tout sera parfait.


3 novembre

Midi et demie. – État de fureur indescriptible depuis plus d'une demi-heure, ridiculement disproportionnée à son objet. En fait, il serait sans doute plus juste de parler de rage impuissante. Ce matin, donc, vers dix heures et demie, je m'attèle enfin au nouveau BM. Je décide, comme souvent, de commencer par une amorce de dialogue. Tiret pour ouvrir celui-ci, trois ou quatre lignes de texte, retour chariot pour donner la parole à l'interlocutrice. Paf ! Le deuxième tiret apparaît avant même que j'ai eu le temps de le taper et tout mon premier paragraphe se décale vers la droite : pré-réglages (on ne dit pas comme ça mais je m'en fous) de mon nouveau logiciel Word. J'avais déjà été confronté à cette plaie sur l'ancien ordinateur, mais j'avais trouvé comment l'annuler. Naturellement, depuis quatre ou cinq ans, j'ai largement eu le temps d'oublier comment je m'y étais pris. Je me souviens juste que c'était très simple. Vraiment très simple. Je suis donc reparti, à tâtons, dans ce labyrinthique logiciel... Et, après y avoir perdu près d'une heure, j'ai piteusement échoué. Résultat : cet état de nerfs dans lequel je me trouve (impression d'être nargué par la machine), un feuillet écrit en tout et pour tout, une matinée perdue. Et, faute de mieux, l'obligation où je me trouve, pour chaque dialogue, de taper désormais, au lieu du simple tiret, un lourdingue “alt + majuscule + tiret”, afin de contourner le maudit pré-réglage, ou paramétrage, ou ce qu'on voudra. Manœuvre que, la force de l'habitude étant ce qu'elle est, je vais évidemment oublier au moins une fois sur trois.

Huit heures. – Mon problème informatique de ce matin s'est dilué dans le grand-guignol. Y revenant cet après-midi pour tenter de résoudre l'énigme, je me suis aperçu que je l'avais déjà réglé le matin (par le plus grand des hasards, si bien que je serais incapable de recommencer), mais que, pour que cela devienne efficient, il aurait fallu que je crée un nouveau document, les changements pratiqués par moi restant inopérants sur celui déjà en place. Résultat : une journée de travail perdue. Sans importance, du reste.

– Depuis dix minutes, il tombe des cordes, la porte du bureau est restée ouverte, le bruit de l'eau me rend absurdement heureux. J'aime décidément beaucoup cette heure de la journée, notamment lorsqu'il fait déjà nuit, que le vent souffle, que la pluie choit.

– Claude Lévi-Strauss est mort aujourd'hui. Je l'apprends par un bref message de Renaud Camus, sur le forum de l'In-nocence. À sa suite, plusieurs intervenants du forum donnent de courts extraits de lui, des bouts d'interviews essentiellement. Et je ricane en pensant aux têtes allongées que feraient mes petits amis progressistes si jamais ils avaient l'imprudence d'en prendre connaissance.


4 novembre

Une heure moins dix. – Sept feuillets écrits depuis onze heures : ce n'est pas lourd, c'est nettement au-dessous de la moyenne que je suis censé tenir, mais cela signifie que le roman est sur rails, ce qui est le principal pour une première matinée (je compte pour rien le peu qui a été fait hier). Mes deux “caravelles” viennent de pénétrer dans le château, autant dire que l'action est à pied d'œuvre, si je puis dire. Pour bien faire, cet après-midi, il faudrait que je boucle la séance de gouinage dans la chambre de Camus. Et, demain, le viol et le meurtre de Vanessa. Ainsi, le premier chapitre serait clos.

– J'ai l'intention, vendredi, d'appeler à FD pour savoir si, la semaine prochaine, les trois filles seront présentes, ce que je crois. Auquel cas, cela me permettrait de prendre au débotté une semaine supplémentaire de vacances (ou de RTT : j'ai tendance à m'y perdre un peu) et d'avoir ainsi plus de temps. Le danger est que, dans cette perspective de journées d'écriture supplémentaires, je ne lève le pied. Et si par malchance je devais tout de même retourner travailler jeudi et vendredi prochains, je me retrouverais alors salement “juste”. Je dois absolument faire comme si.

– Terminé le Roman de Ferrare de Bassani et suis revenu aux nouvelles de Tchékhov, simplement parce que j'ai de moins en moins envie de me relancer dans une lecture “politique” (Hobbes, Machiavel, Weber...). Il y a aussi que, en période “mondaine”, je lis beaucoup moins : guère plus de deux heures ou deux heures et demie par jour, et encore en deux fois. Par conséquent, la nouvelle est le format le mieux adapté à mon emploi du temps : Le Léviathan par tronçon de dix ou douze pages, je crains fort de m'en dégoûter définitivement. Du reste, rien ne m'assure que je vais être capable d'engloutir ce pavé – encore moins d'en retirer quelque chose.

– Comme je le pensais, mes petits amis blogueurs restent d'une discrétion exemplaire à propos de la mort de Claude Lévi-Strauss. Quand on pense au torrent de billets qui déferle pour un Bashung voire un Michael Jackson, il y a de quoi ricaner de joie mauvaise. Il y aussi que les plus éveillés d'entre eux doivent bien s'être plus ou moins rendu compte, en traînant ici ou là et en parcourant les extraits mis en ligne, que le valeureux centenaire n'était pas précisément le progressiste multiculturaliste qu'ils auraient sans doute souhaité qu'il fût. Difficile à atteler, ce Lévi-Strauss. Je pense que je vais mettre un ou deux textes sur le blog-mère ce soir, juste pour voir ce que ça donne. Les forcer à lire. Puis savourer l'absence de commentaires.

Huit heures dix. – D'excellente humeur, ce soir, sans aucune cause précisément identifiable (et en tout cas pas les misérables 12 feuillets écrits aujourd'hui...). Je viens encore de lire sur les blogs une quantité considérable de sottises, dont certaines tellement délirantes qu'elles relèvent du cabanon, et au lieu de m'énerver ça m'a fait rire presque à gorge déployée. Le clown avantageux Olivier Bonnet, notamment, lorsqu'il enrôle Lévi-Strauss sous la bannière de l'antisarkozysme militant : il en deviendrait presque attendrissant à force d'aveugle bêtise. À chaque fois ou presque que je le lis, il y a toujours quelques secondes pendant lesquelles je me demande sérieusement s'il croit lui-même à tout son fatras idéologique. S'il se pense réellement journaliste. S'il n'est pas en train de jouer, purement et simplement. De se divertir de la crédulité de ses lecteurs-commentateurs.

– J'ai remarqué que plus un blog était "politique”, plus il était sectaire et extrémiste, et plus ses commentateurs étaient dociles. Ce me semble encore plus vrai à l'extrême-gauche, mais il est vrai que je ne fréquente pas de blogs de droite platement militants. Chez certains, c'est fascinant, ces gens qui se voient, je suppose, comme une avant-garde en marche, une troupe d'élite en action, le peuple en lutte, que sais-je ? finissent par ressembler exactement au public “jeune-et-divers” qui fait tapisserie dans les émissions de Ruquier ou d'Ardisson, qui s'indigne au coup de sifflet, applaudit au claquement de doigt, s'esclaffe au froncement de sourcil.


5 novembre

Midi et demie. – Cinq petits, tout petits feuillets écrits ce matin. Alors que la moitié de ma semaine de vacances est déjà carbonisée, j'en suis à 16 pages : c'est pis que jamais. Cela étant, j'ai habilement pleurniché tout à l'heure, par mail, afin de récupérer une semaine supplémentaire et de ne rendre le manuscrit que le 23 plutôt que le 15. Si, en plus, je parviens à ne pas aller à FD la semaine prochaine, la situation redevient nettement plus confortable. Et, du coup, j'en ai profité pour lever le pied et aller discutailler sur les blogs. Il va vraiment falloir que je me résolve à refaire ce que j'avais inauguré lors d'un précédent BM (lui aussi très en retard si j'ai bonne mémoire...), à savoir fermer la boîte mail et Firefox au moment où je commence à travailler, de manière à n'être pas tenté (ou moins tenté...) de faire des aller-retour constant du livre en train de s'écrire aux blogs – le mien ou celui des autres. Navette qui, on s'en doute bien, nuit gravement non à la santé mais à la production.

– Encore deux jours avant d'aller chercher Elstir et de le ramener ici. Ce matin, Catherine est allée à Vernon afin de lui acheter un panier. Celui qu'elle a pris est énorme. Si on l'ajoute à ceux des deux autres dans le salon qui est rien moins qu'immense, on ne pourra à peu près plus mettre un pied devant l'autre. Or, c'est exactement là que va atterrir ce panier : dans la mesure où Swann et Bergotte dorment au salon, il serait tout à fait cruel d'installer le nouveau venu dans la pièce voisine, tout seul. Ce serait foutrement discriminant. Limite helvétophobe, puisque ce bouvier est bernois.

Quoi qu'il en soit, dès dimanche matin, Catherine et moi allons reprendre notre bras-de-fer feutré, instauré durant l'enfance de Bergotte : qui se résoudra, de nous deux, à se lever matin le premier, sachant que sa tâche initiale sera d'éponger et de ramasser les déjections de la nuit ? Avec Bergotte, je m'étais montré très mauvais à ce jeu : le nombre de rouleaux de papier “essuie-tout” (tout, y compris la pisse de chien, donc) que j'ai consommé dans un laps de temps de deux ou trois mois est impressionnant. Ou serait impressionnant si seulement je m'en souvenais. Je ne vais tout de même pas noter ce genre de choses au jour le jour...

– Plus je vieillis et moins je supporte les artistes. Je parle ici des artistes auto-proclamés tels, des usurpateurs, et non de ceux qui pratiquent réellement un art (musiciens, poètes, peintres, etc.). Je veux dire les batteurs de planches et de plateaux de télévision, que j'appellerai désormais, pour éviter les confusions fâcheuses, les saltimbanques : comédiens, chanteurs, “comiques”. Je les ai intentionnellement cités dans cet ordre, qui est celui de mon dégoût croissant ; ou de mon estime déclinante si l'on veut à tout pris rester positif. Les comédiens ne sont souvent que ridicules, à force de boursouflures de l'ego...

(Catherine m'appelle pour déjeuner.)

Sept heures et demie. – Je parlais donc des saltimbanques... et je n'en ai plus du tout envie pour le moment. J'y reviendrai un de ces jours, très probablement. Notamment sur les autoproclamés “comiques” qui, semaine après semaine, se vautrent chez Ruquier et consorts dans une abjection toujours plus épaisse, serviles avec les tenants de la bonne pensée (celle qui remplit leurs salles) et tranquillement cruels avec la voix un tant soit peu dissonante et, si possible, isolée (on n'est pas des lions non plus, hein...) qui a eu la témérité de venir s'exprimer dans leur arène putride, leur cloaque festif. On a envie, lorsqu'on les voit à leur travail de dépeçage sans risque, de se déboutonner le pantalon et de se servir de leur mollet comme d'un réverbère.

Et, bien entendu, ça ne leur suffit pas d'enfiler la défroque du courtisan et de coiffer sa perruque de petit marquis : il leur faut en outre le sabre en plastique et le bandeau sur l'œil du rebelle au long cours. Ainsi grimés et armés, ils peuvent en toute quiétude débiter leurs fadaises conformistes, en relevant le menton dans un magnifique défi à tous les fascismes rampants. Le prototype de cet avilissement satisfait est sans doute le dénommé Alévêque, talonné de près par le malfaisant Guillon. Mais la meute des Semoun, Timsit, Bedos (le valet en chef, le paillasson “canal historique”), des Éric et des Ramzy, sans parler de la piteuse Roumanoff, et de tous ceux dont le nom me restera j'espère inconnu, et de l'armée des douze clones de Jamel Debouzze, tous ceux-là talonnent les leaders et ont toutes les qualités requises pour leur faucher leur gamelles s'ils venaient jamais à flancher. On en arriverait presque à trouver sympathique Dieudonné et Jean-Marie Bigard. Les comédiens actuels valent à peine mieux – mais c'est assez pour ce soir : on étouffe ici.

– Depuis ce matin, je suis saisi par une hâte lancinante de voir arriver Elstir, alors que j'y ai assez peu pensé ces trois dernières semaines. En même temps, ne me quitte pas l'appréhension absurde, irrationnelle, de ne pas l'aimer comme je le devrais, à cause du fantôme de Balbec. À moins que leur ressemblance inévitable, au moins aux yeux d'un étranger, perde toute réalité pour nous, qui avons bien connu l'un et connaîtrons tout aussi bien l'autre. Suivant le phénomène qui fait que les Chinois se ressemblent tous, aussi longtemps qu'on n'a jamais approché de Chinois.


6 novembre

Trois heures et demie. – Pas écrit une ligne encore aujourd'hui. C'est la première fois, je crois, que je carbonise entièrement une semaine de vacances, prise précisément pour écrire un BM, sans pratiquement rien produire du tout. Il est très fréquent que j'écrive moitié moins que prévu, par exemple, mais rien du tout... Ce qui est étrange, pour moi en tout cas, est que j'éprouve une sorte de jouissance enfantine lorsque, durant la matinée, je musarde sur les blogs (ou ici, dans ce journal), tout en laissant croire à Catherine que je suis effectivement en train de travailler. L'impression de faire l'école buissonnière, de rendre le temps précieux simplement parce qu'il est volé. Et si je dis que je trouve ça étrange, c'est que jamais, étant enfant, il ne m'est venu à l'idée de faire réellement l'école buissonnière. Sans doute parce que j'aimais trop l'école et pas assez les... les quoi d'ailleurs ? Que font-ils, les écoliers qui pratiquent (ou pratiquaient...) l'école buissonnière ? Je m'avise que je n'en ai jamais rien su et n'en ai même jamais été curieux.

– Chapitre alcool : depuis quelques minutes, le fait de savoir que nous allons boire un verre (ou plusieurs) demain soir, sous prétexte de fêter l'arrivée d'Elstir, me donne envie d'en prendre un dès ce soir, pensée qui ne m'a même pas effleuré durant les huit jours “secs” qui viennent de s'écouler. Décidément, c'était bien une semaine “sans” : pas une goutte d'alcool, pas une ligne (d'écriture...).

Cinq heures moins le quart. – Je venais à peine d'écrire le paragraphe précédent que, partant faire quelques courses, Catherine est entrée dans le bureau pour suggérer que, peut-être, puisque nous allions prendre l'apéro demain soir, nous pourrions en prendre un petit dès aujourd'hui : c'est beau, la symbiose spirituelle chez les vieux couples.

– Je frétille comme un gamin la veille de Noël à l'idée d'aller chercher Elstir demain. Avant cela, nous avons prévu d'aller manger une assiette de moules-frites (idée de Catherine) à Étretat, qui n'est qu'à un quart d'heure de voiture de Rolleville où vit la “mère porteuse” du chien, comme Catherine nomme la femme qui nous le vend (très cher...). Quand on y pense, il faut vraiment être un peu louf pour accepter de payer 1200 € un chien, alors qu'il y en a des gratuits à adopter un peu partout. D'autant plus idiot dans notre cas que nous n'avons l'intention ni de le faire participer à je ne sais quel concours, ni de le faire se reproduire. Encore que Catherine ait émis l'idée que, celui-ci, contrairement à Balbec et à Bergotte, nous pourrions peut-être ne pas le faire opérer. Je ne suis pas sûr d'être d'accord, mais enfin, on verra. De toute façon, en cas de désaccord, je céderai probablement, comme le plus souvent, faute de suffisamment tenir à mes propres positions.

– Presque achevé la lecture du Prince de Machiavel.

– Dans neuf jours, vont arriver de chez Ikéa trois nouvelles bibliothèques destinées à remplacer ici, dans ce bureau, les trois demi-bibliothèques qui s'y trouvent depuis l'origine (2002). Cela va me permettre de désengorger les autres, le point de saturation étant près d'être atteint, dans la mesure où, les livres s'empilant sur le devant des étagères, on ne parvient plus, par endroits, à distinguer ceux qui sont rangés derrière. Dès que le BM sera bouclé (on ne sourit pas...), je compte revoir tout le système de classement des livres, lequel était de toute façon bien approximatif et sommaire.

– Échange de mails hier avec Anne de FD : elle est en vacances la semaine prochaine. Par conséquent je serai bien obligé d'aller travailler à Levallois jeudi et vendredi : encore deux jours en moins pour le BM. Ou, plus exactement, je ne puis plus tabler sur les deux jours supplémentaires que j'escomptais : deux jours de plus en moins, en quelque sorte, comme dirait Richard Desjardins.

– Je commence à me sentir chez moi, dans ce journal. Je ne sais si les deux sont liés, mais quelque chose me dit que je ne vais pas tarder à révéler son existence à Catherine. Ne serait-ce que parce qu'il m'énerve un peu de devoir le planquer précipitamment lorsque je suis en train d'y écrire et qu'elle fait irruption dans la Case. Et puis, je pourrais, d'ici quelque temps, lui en donner un premier extrait à lire et avoir son avis sur l'opportunité d'une mise en ligne – même si elle ne peut guère être objective dès lors qu'il s'agit de moi. Du reste, ce pourrait être une idée : en septembre ou octobre de l'année prochaine, envoyer les mois d'octobre et novembre de cette année (c'est-à-dire ceci même) à quatre ou cinq lecteurs bien choisis et leur demander un avis sans complaisance concernant la publication. À qui ? Je pense tout de suite à Suzanne, bien sûr. Peut-être à Dorham, mais avec quelques réserves. À Carlos, évidemment. À Nathalie de FD. Ce qui me ferait deux lecteurs de blogs et deux personnes de la vraie vie : un bon petit “panel”, quoi.

Carlos, justement. (Mais Catherine est de retour : on verra plus tard.)

Huit heures et demie. – Alors, voilà, j'ai dit à Catherine que je tenais ce journal. Elle a semblé trouver ça très bien. Je suis moins certain qu'elle que cela soit très bien, mais bon. Comme toujours, merveilleuse portion de soirée, lorsque l'alcool s'en mêle. Le plaisir de parler de tout et de rien, un verre après l'autre. Ce n'est rien ou pas grand-chose, évidemment. Néanmoins, il me semble évident que si Catherine et moi nous séparions, par sa mort ou par son départ, je resterais absolument seul.

– J'ai déjà pensé à ça (à quoi les jeunes ne pensent pas, et c'est bien le moins) : tant qu'à faire de mourir, vaut-il mieux le faire le premier ou le dernier ? Hmm ? A priori – première strate de réflexion – je préférerais mourir le premier, pour ne pas avoir à m'occuper de quoi que ce soit. C'est mon côté "mec se reposant sur la femme de sa vie", en quelque sorte. Mais, d'un autre côté : mourir le premier signifie se priver d'une dernière expérience. La souffrance d'être seul. Continuer à vivre sans Catherine : inimaginable. Et, justement, tentant. Dernier bistrot avant le désert. Je m'y vois très bien : elle est morte, moi vivant, moi seul mais elle toujours là, au-dessus de ma tête, silencieuse pour une fois, terriblement pas là. Et moi qui en profite pour replonger dans l'alcool fort, tiens ! Moi qui meurs pas très longtemps après elle, et elle qui m'attend je ne sais où, qui compte les verres que j'enquille. Tout cela pour dire, n'est-ce pas : si jamais Catherine meurt avant moi, pensez à me foutre la paix. Je plongerai dans l'alcool tête la première, pour la simple raison qu'aucun de vous ne sera suffisamment vivant pour me maintenir vivant.

(Et, merveille, ce soir, il pleut, l'envie de vivre encore un peu me point. La pluie s'arrête, la pluie reprend...)

– Que disais-je ? Ah oui : la mort, de Catherine ou la mienne. Je ne tiens pas trop à survivre longtemps à Catherine si elle meurt avant moi. Un an ou deux, pour voir ce que ça fait. Un an ou deux pour éprouver cette dernière souffrance, cette ultime expérience de vie. Passer un an ou deux à ne penser qu'à elle : forcément intéressant. Si je meurs le premier, ce sera son lot, elle se débrouillera. Comme moi.


8 novembre

Onze heures. – Elstir est dans nos murs depuis hier soir. Nous l'avons récupéré affligé d'une forte diarrhée, qui semble avoir disparu aujourd'hui, ce qui est une bonne chose. Ni Catherine ni moi n'osions nous lever ce matin, en pensant à l'état dans lequel nous allions trouver le salon. Finalement, Catherine s'est dévouée... et rien. Il a un peu joué avec Bergotte (m'a dit Catherine : je n'étais pas levé), et Swann continue de l'ignorer superbement.


10 novembre

Une heure et quart. – Bon cette fois, c'est reparti en plein : 13 feuillets écrits ce matin et le premier chapitre est bouclé. Mon tour de blogs ce matin a été extrêmement sommaire et rapide. À peine remis du pseudo-débat sur l'identité nationale, il faudrait s'envoyer les billets pompeux à propos du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin : ça commence à faire lourd. En diagonale, j'ai tout de même lu des choses assez réjouissantes. Comme ces gens qui parlent tout naturellement de communisme “dévoyé” à l'Est. Bien entendu, personne n'explique en quoi le communisme a été “dévoyé”, lui qui était liberticide et concentrationnaire dès Lénine. Rien compris, rien appris, mes petits amis de gauche. J'imagine leur tête si on se mettait à parler de national-socialisme "dévoyé” en Allemagne...

– Les trois chiens sont sur la terrasse. Swann continue de se tenir à distance d'Elstir, malgré les manœuvres de séduction de celui-ci. Hier matin, il l'a tout de même laissé dormir plus d'une demi-heure dans son panier, à côté de lui. Quant à Bergotte, elle joue de plus en plus volontiers avec le petit.

– Je crois que je deviens de plus en plus frileux, moi qui l'étais moins que quiconque lorsque j'étais jeune. Dans ce bureau, le thermomètre affiche en ce moment 19°9 C, et, malgré un tee-shirt et un pull (léger, le pull, certes), j'ai froid. Je vais finir comme mon arrière-grand-mère, Julia, qui me faisait beaucoup rire, lorsque j'avais sept ou huit ans, parce qu'elle s'habillait pour aller se coucher. Il faut préciser que c'était à Sedan et que les pièces du premier, à la Chambre de Commerce, n'étaient jamais chauffées. Le cabinet de toilette non plus, du reste, et il n'y avait que de l'eau froide : inutile de dire que les toilettes étaient sommaires. Une fois ou deux par semaine, lorsque nous y étions en vacances, on mettait tous les gamins à poil dans la cuisine (où ronflait la cuisinière à charbon) et on les lavait dans un baquet après avoir fait chauffer des lessiveuses d'eau sur cette même cuisinière.

C'était l'époque où ma grand-mère conservait soigneusement le marc de café, dont elle se resservait lorsqu'elle en avait une quantité suffisante. Et les traditionnelles frites du samedi étaient cuites dans de la graisse de cheval, ce qui devait nous faire péter les records de cholestérol. Frites qui étaient servies avant le steak, de façon à ce que la modestie de celui-ci ne soit pas trop criante, l'estomac étant déjà partiellement apaisé par les pommes de terre.

Une autre fois, je parlerai des soirées gaufres, tiens. Et des piles du journal L'Ardennais, qui trônaient sur les deux appuis de fenêtres en renfoncement. Et puis de la soupe à la grimace à laquelle avaient droit mon grand-père et mon père, lorsque le premier entraînait le second à des tournées de bistrots un peu trop prolongées...


11 novembre

Trois heures. – Retour à la normale, la bienfaisante routine : Ludovic a repris ce matin le train à Vernon pour Paris. Au même moment, après avoir fait sur le blog-mère un petit billet anecdotique sur Elstir (et Swann), je me suis dit qu'il serait mieux que je devienne “co-taulier” du blog-chiens ouvert par Catherine il y a une semaine ou deux. Ainsi fut-il fait dès midi. Cela me permettra de parler davantage des chiens – si l'envie en demeure – sans encombrer le blog-mère de ces histoires qui n'intéressent à peu près personne.

– Pas trop mal travaillé hier (20 pages annoncées à Catherine, 18 en réalité : la gaminerie ne perd pas ses droits), ni ce matin : 12. Mais malgré le fait qu'un certain nombre de chapitres se déroulent à Plieux, et avec nous mis en scène, je peine vraiment à m'intéresser à cette histoire ; en dépit des maigres artifices que je m'efforce de déployer, rien de tout cela ne parvient plus à me tirer de cette sorte de vague ennui qui me prend dès que j'ai un BM à écrire. Heureusement, je n'en suis pas encore au dégoût.

– Une motivation puissante est pourtant arrivée hier matin, sous forme d'un mail de Nancy, m'annonçant un virement de 4600 euros le jour même. Si on compte avec cela que mon salaire de journaliste va, ce mois-ci, pour cause de 13e mois et de piges diverses, atteindre presque 6000 euros, on devrait pouvoir commencer à rembourser une partie des crédits permanents, appelés par moi les “réserves”, que nos deux banques nous ont bien légèrement accordés (5600 euros chacune). Ces réserves sont une bonne chose, et très sécurisantes pour l'esprit lorsqu'elles sont pleines. Une fois vides, elles deviennent un chantier supplémentaire, un tracas de plus. Mais, contrairement à Catherine, que cela soucie de plus en plus, à mesure des années, je m'en fiche plus ou moins. Après tout, aucun de nos deux banquiers ne se manifeste à ce sujet.

– Il faut dire que ces derniers mois ont été fertiles en dépenses sinon superflues (certaines le sont en effet) du moins peu prévisibles :

- Appareil photo de Catherine : 4 ou 500 €,
- Ordinateur à changer : 1100 €,
- Elstir + frais annexes (panier, croquettes, etc.) : pas loin de 1500 €.

Si l'on y ajoute les impôts fonciers sur la maison et le studio (1000 € pour les deux, je crois bien), on arrive à un total avoisinant les quatre mille euros. Dont nous n'avions pas le premier sou et qu'il a bien fallu puiser quelque part. Enfin, à partir de maintenant (mais combien de fois ai-je déjà dit cela ?) les dépenses devraient pouvoir se réduire. Sauf si l'on achète une voiture neuve en décembre, ce qui est récemment devenu d'actualité, sous prétexte que le vendeur de chez Renault, par téléphone, m'a fait miroiter des affaires “exceptionnelles”, évidement exceptionnelles.

Le pis est que nous n'avons pas besoin d'une voiture neuve : la 307 n'a “que” 220 000 km, ce qui pour un moteur diesel est acceptable, elle tourne comme une horloge, etc. Seulement, il y a l'envie stupide, et même un peu dégradante, d'acquérir pour une fois une voiture neuve, de faire mu-muse avec le GPS, d'avoir un équipement à musique digne de ce nom, etc. C'est absurde et très tentant.

– Je ne sais déjà plus si je l'ai noté ici, mais depuis hier Bergotte a franchement adopté Elstir et tous deux passent plusieurs heures par jour (mais bien sûr pas d'affilée) à jouer ensemble. En revanche, lorsqu'il s'agit de dormir, Bergotte s'isole ou bien retourne partager le panier de Swann. Le petit a du reste l'air de s'en moquer complètement : lui, comme tous les jeunes, s'endort à l'endroit même où il se trouve quand le sommeil survient.


12 novembre

Quatre heures.Ambiance plutôt que sandwich, à midi. Raisonnable sur le plan de l'alcool : un pichet (46 cl, je crois), mais évidemment pas sur le plan financier, dans la mesure où ce pichet plus le plat l'accompagnant (car, pour moi, c'est le plat qui accompagne la boisson, et jamais l'inverse) m'ont coûté trente euros tout ronds, au lieu de six et quelques pour deux sandwichs. Et à peine plus de deux euros si je m'étais résolu à gravir le golgotha de la cantine.

– J'avais emporté les nouvelles de Maupassant, que j'ai reprises hier pour faire suite à celles de Tchékhov. Lire Maupassant de nos jours, quand on vit entre Mantes-la-Jolie et Rouen, comme c'est mon cas, relève d'un certain masochisme. Les descriptions maupassantes de la vallée de la Seine et des environs immédiats, lorsqu'on les compare à ce que l'œil contemporain enregistre, c'est du pur cauchemar inversé. Ce monde dont on peine à imaginer qu'il ait pu réellement exister, de canotiers parisiens et d'ouvriers locaux se retrouvant plus ou moins dans les mêmes cafés de bord de l'eau, si on le compare au cloaque banlieusard multiethnique que nous sommes censés applaudir avec des mines réjouies, donne envie d'aller se noyer dans ce qui reste de la Seine de cette époque. Heureusement, il n'en reste rien.

– Tandis que j'avalais en pensant à autre chose l'insipide osso bucco de dinde que je m'étais fait bêtement servir, trois cravatés étalaient leurs compétences professionnelles respectives à la table ronde, celle qui se trouve dans le coin de la porte d'entrée. L'un d'eux a révélé aux deux autres (visiblement ils ne travaillaient pas ensemble) qu'ils avaient, son associé et lui, « une culture de la compétition » : la concurrence avec Maupassant est devenue rude. Un peu plus tard, ce même a reçu un SMS de l'associé en question (si j'ai bien reconstitué : je ne suis certain de rien), lui disant que, bien qu'en arrêt de travail, il tâcherait d'être là lundi. Et mon flamboyant crétin, tout sourire dehors, de renseigner ses deux commensaux : « Ah ! je lui ai répondu : “Santé first, hein ! Ta santé d'abord !” »

J'ai fini mon verre, je suis remonté au bureau.


13 novembre

Midi. – Ce matin, trois flaques de diarrhée dans le salon, dues à Elstir que nous pensions tiré d'affaire. Visiblement et odorablement il ne l'est pas. Au moment où je quittais la maison, Catherine tentait de joindre le cabinet vétérinaire. Peut-être y est-elle en ce moment même.

– Depuis quelques jours, sur les blogs, je découvre avec une stupéfaction feinte que le 11 novembre est désormais considéré comme une fête "franco-allemande" (fin des massacres, tout le monde doit se réjouir, gnin-gnin-gnin). La dévirilisation du monde se poursuit, y compris durant les jours fériés, donc. Également sa dépolitisation puisque, si l'on suit Julien Freund, le couple ennemi/ami est constitutif du politique et que celui-ci ne peut durer sans celui-là. Personne, dans la nurserie moderne, ne semble s'aviser que lorsque nous aurons nié l'existence de tous nos ennemis, extérieurs ou intérieurs peu importe, ceux-ci seront toujours là et toujours ennemis. Le seul résultat est que, pour se fabriquer à peu de frais une belle âme, nous leur aurons concédé un avantage considérable, peut-être impossible à rattraper. Et si jamais toutes les nations, toutes les communautés, toutes les races, etc. se laissaient gagner par ce virus émollient, il en résulterait probablement que chaque homme deviendrait alors l'implacable ennemi de son voisin, l'adversaire de tous les autres. Les guerres sporadiques et localisées pourraient bien alors être remplacées par des tueries latentes et générales, des micro-massacres qui finiraient par n'émouvoir plus personne.

Pendant ce temps, mes amies féministes s'indignent de ce que les jouets pour enfants puissent être sexués. Encore deux ou trois décennies et elles ne tolèreront plus que leurs propres enfants le soient – le soient encore un peu, car on saura bien leur en faire passer le goût.

Quatre heures. – Passé prendre un café à L'Ambiance. Et, naturellement, au lieu de la tasse, ai préféré le pichet (un quart : soyons raisonnable). Au bout d'un quart d'heure ou vingt minutes de lecture (Maupassant), je sors fumer une cigarette. Épaulé à la devanture, je vois s'avancer, venant de la rue Baudin, une grande et jeune fille aux cheveux paraissant bruns, vus de loin. En réalité, ils sont manifestement teints, avec des reflets roux. Marchant sous l'arcade, elle ne cesse d'y passer une main. Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je lui dit : « Ne touchez plus à rien : c'est parfait ! » Elle m'adresse un sourire de remerciement, de ces sourires machinaux que les femmes pas trop laides ont toujours en réserve pour les hommes qui leur font compliment d'elles-mêmes. Le sourire est clair, on pourrait presque le croire sincère, je me le garde, le renferme, me promet de ne pas l'oublier. Tout cela dure quatre secondes et pourrait faire l'objet d'un billet qu'on intitulerait peut-être « le quinquagénaire avaricieux ou les séductions minuscules ».


14 novembre

Onze heures moins cinq. – Nulle envie de me remettre à travailler au BM, après ces deux jours d'interruption levalloisienne. Et pourtant, il le faut bien : je n'ai plus aucune marge de manœuvre, si je veux rendre le livre le 23 ou 24 (soit déjà avec une semaine de retard...). Par conséquent, je me demande bien ce que je fous ici, dans ce journal, au lieu de m'y mettre. Heureusement encore que, le samedi matin, il n'y a à peu près personne sur les blogs, ce qui m'ôte la plus mauvaise mais la plus efficace des excuses pour surseoir au travail.

– Je suis très content de cette idée que nous avons eue, Catherine et moi, de partager le blog consacré aux chiens. Il me permet d'écrire sur eux aussi souvent que je le veux, sans ennuyer les lecteurs du blog-mère que ce genre d'histoires assomme.

Sept heures dix. – Boris Vian avait raison, la soupe aux vermicelles ça s'avale d'un trait : nous sommes passés à table à sept heures juste et me revoilà devant cet écran. Après une journée de fainéant, consacrée pour partie aux blogs, pour l'autre à Maupassant.

– Sur le site internet de Fayard, est annoncée pour le 2 décembre la sortie du journal de Renaud Camus pour l'année 2007, dont le titre est en train de m'échapper déjà – il inclut le mot “temps”, ça me reviendra. Et tout de suite la curiosité puérile de savoir si “on sera dedans”. Je sens que si ce n'est pas le cas, Catherine en sera un peu déçue. Moi ? Je ne sais pas. J'espère que non mais je n'en jurerais pas. Bien que le désir d'y être me semble à peu près aussi malin que de vouloir être pris en photo au côté de son chanteur préféré. (J'ai retrouvé : Une chance pour le temps.)

– Aucune envie d'écrire ce soir un billet sur le blog-mère. Par conséquent, aucune idée non plus. Je dis “par conséquent”, car je remarque ça de plus en plus souvent : chez moi, l'envie d'écrire est première, le sujet ne vient qu'ensuite. Parfois même il ne vient pas du tout, mais le billet se bâtit tout de même – et ce ne sont pas forcément les plus mauvais, que ceux écrits dans ces conditions-là.

– Pour l'instant, je ne me lasse pas de regarder Bergotte et Elstir jouer ensemble, ce qu'ils font bien évidemment dans nos jambes plutôt qu'à deux ou trois mètres. Bergotte commence à grogner, à mimer la colère ou l'agressivité ou je ne sais quoi, comme Balbec le faisait avec Swann, comme ce dernier l'a fait avec Bergotte, et comme doit, en avons-nous conclu, faire tout dominant avec son compagnon de jeu.

– N'ayant rien fait aujourd'hui, j'ai prévu de mettre mon réveil à sept heures demain matin, afin de pondre le maximum de feuillets avant l'heure du déjeuner, sachant que mon énergie baisse dramatiquement après celui-ci. Mais sept heures, désormais, cela revient à se lever en pleine nuit...

D'un autre côté, il y a eu une époque (deux ans ? Trois ?) où j'avais pris l'habitude de me coucher très tôt, neuf heures et demie, dix heures maximum et, donc, de me lever entre cinq et six heures. J'adorais ces deux ou trois heures de fin de nuit, de silence et de solitude ; je m'étais aperçu qu'à aucun autre moment mon esprit n'était autant en éveil, aussi disponible pour la lecture notamment. On verra demain. Le but est de m'accorder une grande heure de lecture et d'aller me mettre au travail dès neuf heures et demie au lieu de dix heures et demie, voire onze heures, comme j'ai trop tendance à le faire. De toute manière, il est impératif que, cette semaine et la prochaine, je “tourne” à 25 feuillets par jour : je sens le mur dans mon dos.


15 novembre

Trois heures. – Onze feuillets écrits ce matin. Sauf que, sur ceux-là, un peu plus de deux ne sont qu'un recopiage textuel d'un extrait du Journal de Travers de Camus, la description d'une soirée dans une boîte homo. Scène que j'avais prévue dans ce chapitre III expressément pour pouvoir y insérer ce passage. Afin de ne pas avoir à y toucher (hormis un mot ou deux, mais pas plus), j'ai dû décider que mon personnage d'assassin perturbé tenait un journal ; ainsi, j'ai pu laisser le texte à la première personne. Sinon, je me suis bien amusé dans la première partie du même chapitre, à esquisser un personnage de mère abusive et droit-de-l'hommiste que j'ai prénommée Céleste bien entendu. J'ai mis les cinq premiers feuillets sur le blog-mère et j'attends les réactions.

– Circule sur le net la vidéo des émeutes qui se sont déroulées hier (ou avant-hier ?) au Champ-de-Mars. Un site internet dont j'ignorais l'existence, Mailorama, avait annoncé une distribution gratuite de billets de banque. Passons sur ce que peut avoir de répugnant semblable “initiative” : je serais assez pour que les personnes ayant eu cette brillante idée soient parachutés au milieu des banlieues dont ils ont, hier, fait déplacer les populations de “jeunes” pour rien. Car les “jeunes” ont débarqués en hordes compactes et agitées, tellement compactes que les petits malins du site ont décidé d'annuler l'opération, ayant probablement peur qu'on ne leur froissent leur jolis costumes dans la bousculade. Résultat prévisible : violences, déprédations, etc. Je n'ai ni le temps ni trop l'envie d'aller voir ce qu'en dit la presse de révérence, mais c'est tristement prévisible, dans la mesure où l'on voit bien, sur les différentes vidéos, que ces “jeunes-en-colère” sont à 90 % des Africains et des Arabes. Donc, ni responsables, ni encore moins coupables. L'increvable chômage-des-jeunes et le non moins increvable sentiment-d'exclusion devraient de nouveau bourgeonner sur les antennes et sur le net. Les forces de police furent évidemment complètement débordées, et apparemment assez passives – ou à tout le moins “flottantes”. On se demande à partir de quelle gravité d'embrasement et de violence on envisagera l'intervention de l'armée. Et même dans ce cas, il sera prudent de s'adresser de préférence aux parachutistes voire à la Légion, car je soupçonne les corps réguliers d'être désormais aussi gangrenés par le vivre-ensemble que ceux qui sont censés les commander. Évidemment, j'écris cela par pur esprit taquin, car tout le monde sait qu'il ne se passera jamais rien de tel. Goethe disait qu'une injustice était préférable à un désordre, parce qu'il savait que le désordre ne peut aller qu'en s'amplifiant et, par inévitable conséquence, entraîner des injustices multiples et autrement plus graves. De nos jours, dans l'état catatonique où nous sommes rendus, n'importe quelle violence est devenue préférable au moindre acte d'autorité, surtout si elle émane de ces rédempteurs du monde que figurent les malfrats ensauvagés des banlieues. Ces banlieues, les bonnes âmes de l'anéantissement, les gardiens des futurs grands cimetières sous la lune (ou les grands cimetières sur la Une, puisque tout doit passer par la télévision pour exister un tant soit peu) refusent avec indignation de les qualifier de “polyethniques”. En un sens, elles ont parfaitement raison : attendons encore un peu et elles seront en effet redevenues monoethniques.

Huit heures moins le quart. – Il n'est pas si simple d'être sobre, dans cette maison. Vers six heures moins vingt, ayant écrit mes 20 feuillets et désirant lire quelques nouvelles de Maupassant avant le dîner, je quitte la Case. C'est pour tomber nez à nez avec Catherine, qui fumait une cigarette au jardin, surtout dans le but (j'imagine) de persuader à Elstir de pisser et chier dans l'herbe plutôt que sur le parquet du salon. « Tu n'aurais pas pris une petite bière, ce soir ? », me demande-telle. Moi (feignant d'hésiter : on n'est pas plus faux derche) : « Ouais... pourquoi pas ? Seulement, il n'y en a plus... » Là, ce n'est même plus du faux-derchisme, il n'y a pas de mot pour désigner ma piteuse manœuvre : je sais parfaitement que quand Catherine évoque la possibilité d'un verre, c'est parce qu'elle “en a sous le pied”. C'est une curieuse manie qu'elle a contractée il y a peu : à l'instar des chiens qui enterrent les os qu'on leur donne, elle achète des bouteilles d'alcool et les cache un peu partout pour que je ne les trouve pas au cas où je les chercherais (je ne les cherche jamais et elle le sait fort bien). Parfois, toujours comme les chiens, elle en retrouve une à un endroit où elle ne se souvenait pas l'avoir planquée. Ou, à l'inverse, elle cherche une réserve qu'elle sait exister, mais incapable de se rappeler où. Bref, évidemment, après que j'ai eu donné un feu vert dont elle n'avait jamais douté une seconde, elle a disparu en direction du garage. Non sans m'enjoindre : « Ne me suis pas, je ne veux pas que tu connaisses ma cachette ! » Parfois, je me demande si elle et moi sommes tout à fait normaux. Elle en est ressortie avec un pack de quatre 1664 pour moi et une bouteille de J & B pour elle. Je suis en train de boire la quatrième bière devant ce clavier, en attendant l'heure du film. J'oubliais une chose, un passage récurrent : pour que tout soit conforme, il faut qu'à un moment (se situant entre l'annonce qu'il y a une réserve et la première gorgée prise) Catherine fasse mine d'avoir des remords de m'inciter à boire. Je suppose qu'ensuite, son whisky descend plus facilement.


16 novembre

Neuf heures moins dix. – Journée à la fois morne et bien remplie. 26 feuillets de BM et, depuis midi, l'impression de traîner une âme lourde et grise – sans bien savoir pourquoi. Regain ce soir, parce que absurdement content (mais on verra demain à la relecture) du billet que je viens d'écrire sur le blog-mère à propos de ma propre tombe. Et, surtout de ma volonté d'être enterré, comme le furent tous mes ascendants avant moi, humblement, sans chercher à innover. Dieu que ce verbe est stupide ! qui donc, à part un crétin congénital ne comprenant rien à rien, peut bien chercher à innover ? Quelle intelligence, fût-elle aussi partielle et fragmentaire que la mienne, pourrait avoir d'autre ambition que celle de chercher à comprendre ce qui s'est passé ? Ce qui s'est réellement passé ? Et, peut-être, à partir de là, trouver en effet quelque chose de neuf ? D'intéressant ? Mais chercher à innover...

– Évidemment, le mirage se dissipe un peu, comme chaque fois. Elstir est là depuis huit jours, on devient un peu moins gâteux, mais lui pisse et chie toujours autant. Du coup, il m'arrive de m'emporter, et de m'en vouloir juste après, sachant qu'il n'y est pour rien. Néanmoins, les bouffées de violence (toute mesurée, la violence, qui se résume à une poussée un peu appuyée sur le cul pour le propulser sur la terrasse quand je dois nettoyer l'intérieur) persistent... et voilà, après la parenthèse, que je ne sais plus du tout ce que voulais dire au début de ma phrase. Quelles bouffées de violence ? Je ne sais plus du tout.


17 novembre

Une heure moins dix. – Vers onze heures ce matin, les livreurs commandités par Ikéa sont venus apporter les trois bibliothèques achetées il y a deux semaines. Catherine est furieuse : non seulement la couleur est plus claire que celle qu'elle a (ou cru avoir) commandée, mais en plus l'une des trois est carrément blanche au lieu de marron ! Je lui ai dit que cela n'avait aucune importance, dans la mesure où, dans mon bureau, se trouvent déjà des bibliothèques de trois couleurs différentes. « Oui, mais alors, me rétorque-t-elle, dans ce cas, j'aurais pu commander les noires qui étaient moins chères ! » Bref, on n'en sort pas. Pour le moment, de toute façon, elles vont rester dans les cartons et n'en sortiront pour être montées (par Catherine, il va sans dire) que lorsque ce BM sera terminé. Ensuite, je pourrai procéder à l'habituel jeu de bonneteau avec les livres. Car, bien sûr, il ne saurait être question de placer simplement les surnuméraires sur les rayonnages nouveaux : il faut revoir l'ensemble du classement ; et même profiter de cette obligation pour tenter de le rendre un peu plus précis et judicieux. Bref, tout cela ne saurait se dérouler en même temps que l'écriture du roman, que j'aurais tôt fait d'abandonner pour me livrer au rangement, beaucoup amusant.

19 novembre

Huit heures dix. – Petite journée à Levallois, lisse, grise, sans intérêt. Contrairement à ce que j'ai dit à Catherine, je n'ai pas “fait” sandwichs, mais Ambiance. Grosse déception : la petite Arabe dont le prénom m'échappe n'était pas là (raison officielle : une entorse de la cheville), or je ne venais déjeuner là que pour le plaisir muet, purement spectateur, de la voir évoluer devant moi.

Voilà encore un paragraphe qui n'apparaîtra sans doute pas, si jamais je publie ce journal. Or, pourquoi ? Quel mal y a-t-il à regarder, et seulement regarder une femme ? Aucun, naturellement. Mais essayez de persuader de cela celle qui vit avec vous et vous verrez.

Du coup, ce plaisir innocent devient coupable, le fait de devoir le cacher le fait paraître plus précieux qu'il n'est en réalité, ou plus exactement qu'il n'était à l'origine. Et cette jalousie sans cause qui est celle de beaucoup de femmes, je crois, devient fortement contre-productive : elle nous pousse à avoir un secret, alors que nous ne songions, au départ, à rien de tel : je ne demanderais pas mieux que de raconter à Catherine à quel point la nouvelle serveuse de L'Ambiance me ravit les yeux, partager ce “plaisir minuscule” avec elle. Mais ce me semble impossible. Du coup, l'innocence du regard se pervertit, on admire à la dérobée, on parle (comme ici) loin des oreilles tendues. C'est absurde.


21 novembre

Sept heures et quart. – Rien écrit ici hier, pour cause de lassitude et d'apéro (léger) le soir. Et aussi parce que j'avais passé la journée devant cet écran à relire et corriger les 125 pages déjà écrite du BM. Aujourd'hui aussi (27 pages écrites), mais comme pas d'apéro...

– La blogosphère, depuis deux jours ou trois, ne bruit que de la qualification de l'équipe de France de football pour le prochain championnat du monde, obtenue apparemment très péniblement et à la suite d'un but marqué de la main par Thierry Henry. À cette occasion, on s'interroge gravement de savoir pour quelle raison il y aurait un désamour entre les Français et leur équipe. Tout le monde feint de n'avoir pas la réponse alors qu'elle crève les yeux, au sens propre du terme.

De même, à propos des centaines de voitures brûlées un peu partout en France, des magasins vandalisés, etc., à l'occasion de la victoire de l'Algérie dans ces mêmes qualifications, on entend dire doctement que les “jeunes” ont “fêté” cette victoire, ont exprimé leur enthousiasme patriotique. Il est bien entendu curieux de voir des Français autant-français-que-vous-et-moi fêter par patriotisme la victoire de l'Algérie. Dohram pense avoir trouvé une parade, en faisant remarquer que nul n'a jamais reproché aux Portugais de France, par exemple, de fêter une victoire du Portugal. Et que, par conséquent, on serait mal venu de le porter à charge des Algériens lorsqu'ils font la même chose. Soit. Il n'a pas tort. Ou plutôt, il n'aurait pas tort s'il s'agissait d'Algériens de France, comme il y eut en effet des Portugais de France. La différence est que beaucoup de ces Portugais le sont restés et sont ensuite, notamment à leur retraite, repartis vivre chez eux, dans un pays qu'ils n'avaient jamais cessé de considérer comme le leur. Je n'ai pas le souvenir, dans les années soixante-dix, d'associations de Portugais agressives exigeant que la France change ses coutumes et ses lois pour tenir compte de leur petite sensibilité à eux. Enfin, lorsque les Portugais fêtaient une victoire du Portugal, ils ne mettaient pas le feu aux voitures de leurs voisins de palier, ni ne saccageaient la boutique du commerçant du bout de la rue. Cela devrait suffire, il me semble. Il est vrai qu'ils ne consacraient pas non plus l'essentiel de leur énergie vitale à pleurnicher qu'ils étaient discriminés, ostracisés, ghettoïsés, etc. En un mot : victimes d'une intolérable lusophobie.


22 novembre

Sept heures vingt. – Journée sans histoire et productive, comme j'en aurais dû m'en fabriquer quelques-unes il y a trois semaines, au lieu de traîner comme un crétin sur ce bouquin. Dans la mesure où l'écart sera désormais de trois mois entre deux BM, je me suis promis à moi-même de finir le prochain avec deux semaines d'avance sur la “ligne morte” de l'éditeur, et de gagner deux semaines supplémentaires sur le suivant, de façon à avoir désormais un mois d'avance. L'idéal ensuite (mais la BM durera-t-elle assez longtemps pour cela ?) serait de m'y prendre suffisamment à l'avance pour ne devoir travailler que les matinées, mettons de dix heures à une heure, soit entre douze et quinze feuillets par jour – puis quartier libre l'après-midi. Cela devient d'autant plus nécessaire que, de plus en plus, je suis pris d'une intense lassitude, après le déjeuner, qui va s'élargissant : désormais, je ne retrouve pleinement mes capacités que vers quatre heures voire quatre heures et demie. Le plus bête est que, les jours où je m'assoupis ne serait-ce qu'une vingtaine de minutes dans mon fauteuil, je me réveille en pleine forme. Mais je n'arrive pas encore à me résoudre à la sieste systématique, telle que j'ai toujours vu le père de Catherine la faire, même quand il était encore jeune, en tout cas plus que je ne le suis aujourd'hui.

– Rien à signaler sur les blogs, c'est la trêve dominicale de la sottise et de l'outrance, ça ne fait pas de mal. Sauf chez moi, sur le blog-mère où j'ai publié deux ou trois feuillets du BM dans lesquels je me suis amusé à portraiturer (à charge évidemment) l'une des blogomégères qui m'horripilent le plus. C'est sans doute puéril, mais il se trouve que ces feuillets-là s'écrivent tout seuls, et même avec un certain plaisir, ce qui est toujours bon à prendre. C'est égal, il me reste deux jours et 55 feuillets à écrire : pas insurmontable mais pas de quoi musarder non plus. Du coup, je ne lis quasiment plus rien, à peine deux ou trois nouvelles de Maupassant chaque jour. Pour gagner du temps, entre deux et trois heures, à l'heure où la somnolence se fait impérieuse, je relis les feuillets écrits la veille, ce qui nécessite tout de même moins d'énergie et d'attention que d'imaginer les suivants.

– Nous poursuivons notre régime sec. Je veux dire Catherine et moi, car pour ce qui est d'Elstir il continue à pisser tranquillement à l'endroit où il se trouve. Et comme il pisse au moins dix ou douze fois par jour... Je ne me souviens d'ailleurs pas si Balbec et Bergotte, au même âge, étaient aussi abondamment énurésiarques, si je puis dire. Probablement que oui, mais ce sont des souvenirs facilement oubliables.


28 novembre

Trois heures et quart. – Journée grise, comme souvent le samedi. Trop d'alcool durant les trois jours à FD, donc redescente en demi-teinte. De plus, Ludovic est là, et lui et Catherine n'arrêtent pas de s'accrocher depuis hier, ce qui me fatigue, voire m'exaspère au bout d'un moment. Heureusement, ce matin, au courrier, j'ai reçu le Lenin Kino d'Olivier Deprez, ce qui m'a fait grand plaisir. Plaisir qu'il ait éprouvé le besoin, l'envie de me l'adresser, car j'ai beaucoup de sympathie et d'estime pour lui, ainsi que pour sa femme, Véronique.

– Ai-je noté ici que nous étions censés nous rendre en Alsace, à la fin de janvier, pour assister à une petite conférence donnée par André sur les pentes du Haut-Koenigsbourg, où il a situé son enquête de Sherlock Holmes ? Eh bien, c'est fait. Je m'en réjouis fort.


30 novembre

Neuf heures moins le quart. – Journée de bouclage à FD, celle à laquelle j'échappe toujours puisque ne travaillant ordinairement pas le lundi. Bien passée, parti à six heures et demie, à peine. Sur le blog-mère, deux billets de suite sur la “votation” des Suisses à propos de l'interdiction des minarets sur leur territoire. Grande jouissance à voir à quel stade de déboussolage, de bouillie intellectuelle en arrivent mes petits amis de gauche, grands laïcards devant l'Éternel quant il s'agit de fustiger le pape et, plus généralement, l'Église catholique, mais qui se retrouvent à trépigner et à pleurnicher lorsque la Suisse refuse ces symboles éminemment visibles, arrogants, de la présence musulmane. Il n'y a même plus lieu de discuter avec ces gens-là. Les femmes me sidèrent encore plus que les hommes (que la grotesque virilité des musulmans pourrait en secret tenter, après quelques décennies d'abaissement féministe) : elles ne voient donc pas tout ce qu'elles vont perdre, dans les décennies qui viennent ? Ou sont-elles bêtes au point de croire qu'elles passeront à travers les gouttes ? Non, pas toutes : j'en sais, comme Olympe par exemple, qui réfléchissent sérieusement à ces questions. Mais des années de matraquage idéologique les mènent du coup au bord de la schizophrénie.

– Hier, Solène, la très jeune amie (20 ? 22 ?) de Ludovic, nous expliquait avec un naturel désarmant que, pour une fille, dans le métro, le soir, le plus simple était de constamment baisser les yeux, de ne croiser aucun regard de jeunes mâles (elle n'a pas précisé “étranger”, naturellement, mais tout cela était très bruyamment sous-entendu), de s'employer à “être ailleurs” (ce fut son expression). Catherine et moi étions effarés, mais elle semblait trouver cela tout naturel, parfaitement intégré : c'est qu'en fait, je l'ai compris au bout de quelques secondes, elle n'a jamais rien connu d'autre. Au sens propre, elle ne sait pas que les jeunes filles furent libres, dans ce pays (à peu près libres : pas d'angélisme non plus). Je ne crois pas être sadique, mais j'aimerais voir la tête de Dorham quand ses filles lui expliqueront doctement la même chose (avec l'aggravation facilement prévisible d'ici qu'elles aient l'âge d'être regardées par les garçons). Avec le caractère de cochon qu'il semble avoir, ça risque d'être assez amusant.


1er décembre

Onze heures moins vingt. – Rien de spécial à noter ici, mais le plaisir gamin de créer le nouveau libellé, "décembre 2009". Ce qui est fait. Rapide tour des blogs, rien de saillant. En fait, j'écris dans ce journal pour une raison tout aussi annexe que la première : c'est que Catherine est occupée à laver le sol de la maison-mère, ce qui m'interdit d'y aller me servir un café et me consigne ici, dans la Case. On a les ennuis domestiques qu'on peut.

Virés manu militari par Catherine de la maison, les chiens viennent de me demander l'asile politique dans la Case : je le leur ai accordé sans barguigner, ils sont là tous les trois, les deux adultes couchés et Elstir jouant avec une feuille morte, l'une de celles qui jonchent le sol après le vent de ces derniers jours.

Huit heures du soir. – Les retombées blogosphériques du référendum suisse continuent aujourd'hui. Et je reste effaré devant l'aveuglement volontaire, têtu, presque gamin de ce point de vue, de la plupart des auto-proclamés “progressistes”. Et je continue à ne pas comprendre comment des gens qui brandissent à tout bout de champ leur sacro-sainte laïcité, si je puis dire, peuvent se montrer si pleins de mansuétude envers la pire religion qui soit, au moment où cette religion affirme de plus en plus clairement ses visées hégémoniques sur notre sol. Cela étant, pour que cette hégémonie devienne effective, il faudrait encore que les cohortes armées de l'islam s'avancent unies et derrière des leaders de grande valeur. Or, à ce qu'on voit un peu partout dans les pays sous leur botte, ils passent leur temps à s'étriper entre eux (sunnites, chiites, etc.) et les plus visibles de leurs “guides” sont d'une nullité crasse, leurs propos se limitant le plus souvent à des chapelets d'éructations dirigées contre le Mal hypostasié, à savoir l'homme blanc, le toujours-colon européen. Au fond, ces gens, lucides quant à leur propre échec massif en tant que civilisation, n'ont jamais cessé de nous envier, voire de nous admirer. Et ils ne nous le pardonneront jamais. On peut sans doute chercher là la raison pour laquelle les Asiatiques, les Chinois en particulier, ne développent aucune agressivité visible et sonore à l'endroit des pays où ils s'installent, ne s'épuisent pas en revendications pleurnichardes, ni ne vocifèrent leur droit au “respect” : c'est parce qu'ils ne nous ont jamais admirés ni enviés, peut-être même jamais réellement craints.


7 décembre

Huit heures moins le quart. – J'ai ouvert aujourd'hui le futur blog du journal, j'y ai mis tout le mois d'octobre et l'ai fait lire à Catherine. Elle a aimé, mais ça ne veut rien dire, bien entendu, elle est trop partie prenante, trop "dedans".


8 décembre

Midi et quart. – Je poursuis la relecture et le “toilettage” du journal, afin de le mettre sur le blog créé hier à cet effet, et non encore ouvert, sauf à Catherine. Je m'aperçois que j'y écrivais beaucoup plus longuement dans les premières semaines que maintenant. Mais cette relecture m'a donné envie de ne pas lâcher la rampe : l'exercice est intéressant. Je veux dire : intéressant pour moi, probablement pas pour qui que ce soit d'autre.

Huit heures moins le quart. – Eh bien, ça y est, le pas est sauté : le journal du mois d'octobre est en ligne. Vers trois heures, venant de lire une partie de novembre, Catherine s'est demandé pourquoi je ne gardais pas les “réflexions politiques” pour le journal, en conservant le blog-mère pour tout le reste (en très gros). J'ai sauté sur cette idée, avec une certaine dose de mauvaise foi dans la mesure où, depuis hier, à force de le relire et de le tripatouiller dans tous les sens, je sentais bien que je n'allais pas résister au plaisir puéril d'en publier des extraits avant la date que je m'étais fixée (novembre 2010). Catherine a eu les bons arguments. Mais, auraient-ils été mauvais que j'y eusse sans doute souscris tout de même, tellement je piaffais comme un crétin à l'idée de mettre ces lignes en ligne, si je puis dire.

– Coup de téléphone à l'instant, du vendeur de chez Renault : rendez-vous lundi à six heures et demie. Je sens qu'on va faire une connerie.

– Et Ludovic égal à lui-même. Après nous avoir expliqué, la semaine dernière, que, lui s'étant trouvé un nouveau nid je ne sais où (Rungis ? Montreuil ?), on pourrait louer le studio de Levallois à son amie Solène (dont il est censé être amoureux), il m'annonce tout à l'heure par téléphone qu'il vient de virer la dite Solène, mais qu'il quitte néanmoins le studio. Ce n'est pas pour le petit manque à gagner, mais il me semble qu'on aurait pu s'épargner les trois-quarts d'heure de discours de la semaine passée. Et c'est comme ça pour à peu près tout : on a parfois l'impression que chaque journée qui commence lui restitue un disque dur totalement vierge, c'est parfois un peu décourageant.

– À l'instant, sur son blog, Nicolas répond – ou feint de répondre – à une “chaîne” sur la laïcité, lancée, ou relayée, par le Chafouin. Et me frappe toujours, notamment chez les gens de gauche, mais pas seulement hélas, cette absurdité réjouissante : nos petits modernes ne supportent plus, ou de moins en moins, le privé, la notion même de vie privée. Tout doit absolument devenir public, de manière – on le comprend – à ce que les tribunaux puissent venir plus commodément y fourrer leur groin. Nos amies féministes, qui haïssent la pénombre, le secret, le chuchoté, plus que quiconque (à part peut-être les “gays”, et encore) viennent de réussir à faire admettre comme pénalement valable l'absurde et risible notion de violence psychologique envers les femmes, et notamment celle avec laquelle on vit. C'est-à-dire, en gros, que si, un soir, suite à une dispute, je lance à Catherine : « Va chier dans ta caisse, connasse ! » (ce que je crois n'avoir encore jamais fait en 19 ans, mais passons), elle peut, si elle se sent d'humeur festive, me traîner devant les juges.

Donc, tout doit devenir public, transparent, exposé aux yeux de tous, sauf la religion. Qui, elle, par une sorte de statut de lépreux-à-crécelle, doit s'écarter des chemins, s'enfoncer dans les grands bois sourds, disparaître dans les catacombes réhabilitées. Naturellement, quand on dit la religion, tout le monde comprend bien qu'il s'agit du seul catholicisme. L'islam, lui, continuera de revendiquer hautement tout et n'importe quoi, ses sectataires s'obstineront à présenter leur cul aux passants tous les vendredis soirs, dans des rues désormais barrées à la circulation, pour le plus grand émoi de quelques blogueuses célestoïdes, ces fourrières de l'asservissement en vue. On finirait pas se demander si, à force d'avoir fait de leurs hommes des “nouveaux papas” experts en couches-culottes, elles n'en viendraient pas à ressentir certaines moiteurs oubliées face à ces mâles obtus et les regardant du dessus, toujours du dessus, même lorsqu'ils sont à quatre pattes sur le macadam crasseux des quartiers qu'on a bien dû leur abandonner. Mais enfin, le principal, n'est-ce pas, est que le catholicisme reste strictement du domaine privé. Où il est désormais tout seul, le reste de notre vie, de notre vie d'avant, faisant la queue devant la porte du greffe, son numéro d'appel à la main.

Dix heures et demie. – Finalement, soirée télé autour d'un téléfilm anglais consacré à Jane Austen, avec Anne Hattaway dans le rôle. Sans grand intérêt, un peu brouillon, un peu trop “esthétisant – dix-huitième”. Mais grande envie de relire un ou deux romans d'elle. On verra ce qu'il en reste demain, de cette envie, qui peut être tout à fait passagère, n'être pas réellement une envie, encore moins un besoin, mais un simple effet d'attendrissement après un téléfilm un peu trop sucré.


9 décembre

Midi et demie. – Début de journée pénible, en raison d'un trajet vers Levallois qui a duré une heure et demie au lieu d'une heure, avec passage par Colombes et Courbevoie pour éviter le souterrain de la Défense complètement engorgé. Arrivé ici, constatation que l'un des deux ascenseurs qui sont à la disposition de cinq étages de journaleux était en rideau. Et que, en outre, pour cause de casting au magazine Parents, le hall (et bien sûr l'ascenseur survivant) était infesté d'enfants, que leurs parents semblent toujours très fiers de venir prostituer ici pour une poignée d'euros. Le seul avantage est que je n'ai pratiquement pas fumé de la matinée : la seule idée d'attendre cinq minutes l'ascenseur et de m"y retrouver avec une ou deux familles...

Cela devrait s'arranger d'ici une demi-heure, lorsque j'irai m'installer dans le canapé du hall en compagnie de Philippe Muray, dont j'ai repris hier les Exorcismes spirituels IV (Moderne contre Moderne), avec des ricanements de plaisir à coloration masochiste. Si je ne me retenais pas, je recopierais tout Muray sur le blog.


10 décembre

Cinq heures et demie. – Journée de repos à la maison, repos plus ou moins volé. Lecture des Exorcismes spirituels de Muray (mais le volume III car j'ai bêtement oublié le IV à Levallois où je devais logiquement retourner aujourd'hui). Ce soir, tout à l'heure, demi-apéro. C'est ce que j'appelle le “sevrage par paliers” : à partir de demain, plus rien.

– Depuis environ une heure, je lis le Mortimer de Nefisa, dont j'avais déjà lu les premières pages voici quelques mois. J'avoue que je suis venu m'installer devant l'écran plus par devoir, par respect de la promesse que je lui avais faite de lire la totalité, que par réelle envie. Or, rapidement, je me suis pris à la lecture de cet étrange récit autobiographique d'un nécrophile. Au point qu'il m'ennuie de l'interrompre, d'ici une petite demi-heure.

Nefisa a un talent certain, un sens de la phrase “sèche”, dont l'impact est d'autant plus fort qu'elle semble ne le chercher en aucune façon. Elle parvient très bien à se glisser dans la tête et le corps d'un homme, et surtout, elle parvient à instaurer un climat de folie assez malsain, alors même que son narrateur semble se considérer comme tout à fait normal. Un signe qui trompe rarement : elle n'hésite pas à employer des verbes “passe-partout”, qu'un écriveur médiocre proscrirait, et à leur rendre une force, voire une étrangeté qu'on ne leur connaissait plus. Ainsi, cette première phrase du chapitre 7 (Nefisa écrit par chapitres très courts, entre un et trois “feuillets”) : Le samedi, Lola vient. me semble parfaite et, par le contexte tel qu'il a été évoqué, préparé dans les pages précédentes, d'une étrange force, qu'il est malaisé de s'expliquer.

Ajoutons à cela un humour d'autant plus féroce qu'il cherche à se dissimuler lui-même, ne se mentionne qu'en passant et pourrait parfaitement passer inaperçu du lecteur pressé. Ainsi, elle écrit : « Il n'est plus resté d'Alicia qu'un squelette un peu sale. J'ai extrait son cerveau par le nez. À l'égyptienne. » Ensuite, elle ajoute : « C'est moins aisé qu'on ne l'imagine. » (Je souligne.) Ce “qu'on ne l'imagine” me semble fantastiquement drôle, saugrenu, et en même temps profond, en ce qu'il renforce l'impression que le narrateur se regarde comme un individu parfaitement normal, banal même.

Bon, j'arrête là pour l'instant : le devoir (nourrir les chiens...) m'appelle.

Huit heures dix. – Nefisa et son Mortimer (excellent titre, soit dit en passant) ont occupé la première partie de notre demi-apéro. J'en ai parlé de façon enthousiaste à Catherine, au point que m'est venu un soupçon : est-ce que je ne projetterais pas sur ce texte une partie de l'affection, de la tendresse que j'éprouve pour l'auteur ? Je ne le pense pas, sincèrement, mais le risque existe, évidemment. Car, bien que ne l'ayant rencontrée qu'une fois, et pas dans les circonstances les plus favorables (trop de monde autour de la table, et pas que des adultes...), j'aime beaucoup ma “nièce adoptive (ou adoptée ? Les deux, sans doute)”. Il me semble qu'elle est vraiment douée. Peut-être même est-elle la seule à pouvoir espérer devenir écrivain, parmi les blogueurs “littéraires” que je connais un peu. Mais je suis médiocre juge en ces matières, je m'en rends parfaitement compte, et même de plus en plus.

Ce soir, à la télé, Tous en scène, de Minnelli : agréable perspective. Et, demain, montage des bibliothèques.


11 décembre

Huit heures moins le quart. — Cet après-midi, donc, montage des trois bibliothèques Ikéa. Par Catherine, est-il besoin de le préciser, moi me contentant d'accomplir les travaux “de force” ne nécessitant aucune intelligence bricoleuse ; par exemple remettre la bibliothèque assemblée à la verticale. Et je souriais tout seul en pensant au billet du jour (ou d'hier ?) d'Olympe, consacré à cette sempiternelle et bouffonne question du partage des tâches ménagères (“au sein du couple”, est-il besoin de le préciser ?). Je pensais que non seulement je ne fais quasiment jamais le ménage, la cuisine encore moins, que mes talents de repasseur ne vont pas au-delà du carré de Cholet, mais que, en outre, je n'assume même pas les travaux de bricolage, non plus le jardin, ou ce qu'il en reste. Je ne fais rien, hormis tondre la pelouse en saison.

– Le billet d'Olympe ne m'a rien appris, mais j'ai bien fait de lire les commentaires. L'une des intervenantes (je suppose qu'il s'agissait d'une fille : de la part d'un homme ce serait vraiment trop beau) proposait que l'homme et la femme du couple fassent “comptes bancaires séparés” et que, si l'homme ne veut pas faire sa part des travaux ménagers, il la paie à sa femme. J'ai d'abord cru à un trait d'humour, mais en fait non. Et je me suis mis à rêver à ce que pourrait être la vie de ce couple, de ce couple précis. Où, sous prétexte de parité et de transparence, il devient clairement admis que Madame est la femme de ménage de Monsieur, puisqu'il la rétribue pour cela. Et j'imaginais leurs retrouvailles au lit, journée accomplie. Débuts de gestes tendres, baisers furtifs, mains qui osent un peu plus... et soudain, lui : “ Cela dit, me compter deux heures et demie pour n'avoir fait que la cuisine et la salle de bain, je trouve que tu charries, Priscilla !” Oh, que l'avenir me tarde, par moment...

– Avec ces histoires de bibliothèques, je n'ai pas eu le temps de lire la fin du Mortimer de Nefisa, alors que je m'étais promis (notamment parce que j'en avais envie) de le faire. Et je m'en veux un peu car je crois qu'elle escompte fortement mon avis. En quoi, du reste, elle a tort, car je sais être un critique littéraire – ou simplement un lecteur – plus que médiocre, ainsi que je crois l'avoir noté hier. Du coup, j'ai trouvé des choses à lui dire, mais, maintenant, j'ai peur de lui ouvrir de fausses pistes, de la pousser à raboter son talent. Car je crois qu'elle, au moins elle, pourrait bien devenir écrivain. Et je ne voudrais pas endosser cette responsabilité de l'égarer. D'un autre côté, si elle doit vraiment produire une œuvre, elle ne se laissera pas égarer.

– Je le note pour le plaisir du sourire. Au moment où nous terminions notre montage de bibliothèques, la satisfaction du devoir accompli a mécaniquement entraîné chez moi l'envie d'un verre – alors que nous étions déterminés à repasser en mode eau minérale. Je n'ai rien dit. Vingt minutes plus tard, Catherine me demandait, l'air de rien, s'il ne resterait pas (des fois... par hasard... comme ça...) une bière dans le frigo. Là-dessus, petit pas de deux bien hypocrite, qui s'est résolu par mon départ pour Pacy et une visite rapide chez l'épicier divers. – Donc, apéro ce soir (mais gentil).

– La nuit dernière, il a gelé à -2. Ce matin, une demi-heure après le lever du soleil, le toit de la Case, se dégivrant, fumait de froid.

– Catherine, dans le courant de la journée, m'a fait remarquer que, depuis un jour ou deux, Elstir nous regardait d'un air interrogatif. Comme si, à deux jours de ses trois mois, il commençait de chercher à comprendre. Je lui souhaite bien du plaisir.

– Avant-hier, j'ai envoyé à Nicolas un mail privé pour lui dire que Catherine et moi passerions volontiers un début de soirée, mardi prochain, à la Comète, avec Tonnégrande et lui. L'idée, de notre côté, était d'aller pousser le chariot chez Tang en fin d'après-midi, afin d'y faire provision de diverses nourritures exotiques, puis d'aller écluser quelques bières avec les deux gros en question, avant de revenir dans le quartier chinois pour y dîner en tête-à-tête puis rentrer à la maison. Tout cela sachant que, la Comète étant leur QG, les deux autres ne seraient pas embarrassés si, d'aventure, nous annulions au dernier moment, pour cause de flemme, ou tout autre. Or voilà que Nicolas annonce notre venue sur les Âneries, ce qui fait que si par malchance d'autres blogueurs se portent candidats à la soirée, il nous sera beaucoup plus difficile de nous dérober. D'autant que passer un moment avec Nicolas et Claude, coude sur le comptoir, est toujours un plaisir, mais qu'il devient beaucoup moins drôle, à notre sens, de participer à une mondanité, fût-elle bicêtro-kremlinoise. On verra bien.


12 décembre

Huit heures et quart. – Exercice de modestie. Je viens d'écrire un petit billet sur le blog-mère, qui parle de Houellebecq, de Girard et de Muray. Simplement parce que Philippe Muray (Exorcismes spirituels III) m'a donné envie de revenir à Houellebecq (Particules élémentaires), et que j'ai toujours pensé que Houellebecq et Girard parlaient de la même chose, chacun avec son moyen propre. Mais je suis incapable de tirer de tout cela la moindre pensée intelligente. Tout se noie, se bouillise dans ma tête. Il n'en sort qu'un vague aperçu, à peine bon pour impressionner un élève de terminale. Je suis incapable, vraiment incapable, de relier deux idées et d'en tirer une troisième – je ne me dis même pas intelligente, mais juste en effet déductible des deux premières. En réalité, mon inintelligence ne me gêne pas plus que ça. Je ne ne sais pas trop ce qu'on pense de moi, au fond, mais je me fiche de passer pour...

Non, ce n'est pas cela, je reprends. Je sais que je ne suis pas très intelligent. Ni très cultivé. Je crois que je l'ai toujours su. Et ça ne me gênerait nullement si la chose était évidente pour tout le monde. Mais j'ai par contre beaucoup de mal (et de plus en plus en fait) à accepter de passer à certains yeux pour intelligent et cultivé. Je sens l'arnaque, le malentendu, etc. Il y a l'envie de clamer qu'ils se trompent (car ils se trompent, c'est certain : je connais des gens vraiment intelligents, vraiment cultivés, et je vois bien la différence tout de même !), qu'il y a imposture. Je ne le fais pas. Jamais. Pour plusieurs raisons. D'abord, même si je pense que non, il est possible que cette imposture vienne de moi. Possible que – reliquat de l'époque où j'espérais compenser auprès des jeunes femmes le peu d'attrait de mon physique – je me donne à voir comme un homme cultivé et intelligent, par habitude en quelque sorte. Il est certain qu'aux époques dont je parle, quand il fallait lutter contre des hommes ayant conquis d'avance, pour ainsi dire d'eux-mêmes, j'ai plus ou moins appris à me rappeler et à utiliser mes trois lambeaux de lectures. Ça ne servait à peu près à rien, mais tout était alors dans cet “à peu près”.

Deuxièmement, je ne peux pas, la plupart du temps, dire la vérité – à savoir que je suis d'une intelligence moyenne et d'une culture plus que médiocre – pour la simple raison que je me rends bien compte que la plupart des gens que je puis croiser (que... que... que : quelle phrase horrible...) sont d'une intelligence encore plus médiocre et d'une culture encore plus moyenne. Là, piégé. Soit je passe pour un prétentieux, soit pour un cafard – c'est-à-dire un prétentieux masqué. Donc silence.

Que disais-je ? Oui : ce décalage déprimant entre ce que je crois comprendre (par exemple lorsque je me livre à une lecture croisée de Houellebecq et de Muray) et le pauvre jus que je tire du citron que je presse. Quand je le presse : la plupart du temps, sachant ce qu'il va en sortir, je me garde.

13 décembre

Quatre heures et demie. – Je viens de passer deux heures et demie à tenter de répartir les livres dans les nouvelles bibliothèques montées par Catherine (tout en écoutant les deux derniers actes du Crépuscule des Dieux). C'est loin d'être terminé, mais j'en ai marre. Je suis surtout un peu découragé depuis que je me suis avisé que, une fois le travail terminé, les bibliothèques seraient à peu près pleines. Pas engorgées comme elles l'étaient jusqu'à maintenant, mais pleines néanmoins. Du coup, comme il n'y a plus la moindre place pour en installer d'autres, bientôt il faudra jeter – ou donner – des livres anciens pour faire place aux nouveaux. Mais au nom de quoi devrais-je forcément privilégier les nouveaux par rapport aux anciens ? Et alors, si c'est pour jeter les nouveaux, à quoi bon les avoir achetés ? Pfff...


14 décembre

Neuf heures du soir. – Voilà, c'est fait : ce soir, entre cinq heures et demie et sept heures, nous avons acheté une voiture neuve. C'est la deuxième fois, en trente ans, que ça m'arrive. La première fois, c'était en 1979. Sans doute ébloui par mon entrée dans le monde du travail, voyant s'ouvrir une route pavée d'or, etc. (fortement encouragé par mes parents, je me demande bien pourquoi), j'avais acheté une Simca “Horizon”. Un an plus tard, au chômage, seule période de chômage de ma vie, je l'ai revendue... à mes parents. Depuis, soit je me suis passé de voiture (durant mes années de célibat parisien), soit j'ai acheté des voitures d'occasion. Occasions de luxe, parfois (la 607 “toutes options” de 1997), occasions pourries à d'autres (Clio commerciale de 2000).

Et, là, d'un coup, l'envie d'avoir une voiture neuve. Non, en réalité, pas neuve (ça, je m'en fous un peu), mais avec toute la technologie embarquée, comme je crois qu'on dit. Tout à l'heure, le jeune vendeur (l'âge d'être mon fils, mais ravi qu'il ne le soit pas : qu'est-ce que je foutrais d'un fils vendeur de bagnoles ?) a fait tous les efforts que son métier implique, je suppose, mais il s'est démené pour rien – tout en ne le sachant pas, ce qui rendait la chose amusante. En réalité, dès qu'il nous a eu expliqué que cette voiture se verrouillait ou se déverrouillait toute seule, grâce à une petite “zapette” glissée dans la poche, j'avais déjà virtuellement acheté. Et quand il nous a glissé que le GPS était “très compliqué”, j'avais sorti mentalement le carnet de chèques. Après, c'était juste le plaisir de voir un jeune homme se démener pour vous vendre un truc qui est déjà à vous, mentalement.

Il n'empêche que c'est parfaitement déraisonnable, au moment même où notre train de vie se réduit de manière significative. Nous parlions de ça, tout à l'heure, avec Catherine. Je lui expliquais que, dans ce pays, dans l'Europe du sud en général, tout le monde est catholique, y compris les petits excités de gauche, les laïco-hystériques. Dans la mesure où, comme tous les bons catholiques bourgeois des années cinquante (pour ne pas remonter au-delà), ils trouvent inconvenant de parler d'argent. Bien sûr, ils se pensent radicalement différents de ces lointains ancêtres : eux refusaient de parler d'argent (pensent-ils) pour dissimuler les sommes folles qu'ils gagnaient par peur des tapeurs, alors que, maintenant, les petits vertueux qu'ils sont devenus observent le même silence, mais pour ne pas humilier ceux qui gagnent moins. Le résultat est là, amusant, caricatural : on ne parle pas d'argent à table. Tout le monde reste essentiellement catholique.

Bien que considérant les protestants comme de grotesques caricatures de chrétiens, ça ne me gêne pas de parler d'argent – ça ne m'a jamais gêné, y compris quand je n'en gagnais pas ou très peu. Donc, revenons à la déraison de cette voiture neuve. Et “parlons chiffres”, comme on dit dans le monde de la banque. Jusqu'à cette année 2009 incluse, à raison de six BM par an, un grand nombre de jours de travail supplémentaires à FD, à l'occasion de vacances des uns ou des autres, j'ai gagné ces dernières années environ 7500 € net par mois. Peut-être un peu moins. Plus de 7000 en tout cas. Je n'ai pas de loyer puisque notre maison du Plessis est payée depuis 2004 ou 2005, je ne sais plus. Nous partons une, parfois deux fois en vacances par an. Et, toujours, il s'agit d'une location de maison hors saison, soit peanuts. Catherine ne s'intéresse ni aux fringues, ni aux bijoux, ni à rien de coûteux – moi encore moins. Il reste que nous n'avons pas un euro “de côté”. Où est passé tout cet argent gagné ? Mystère. Vraiment, mystère. Certes, depuis juillet 2008, nous remboursons environ 1000 € par mois pour le crédit du studio de Levallois. Mais enfin, logiquement, il devrait nous en rester environ 6000. Où sont-ils ? Pas de réponse. Non seulement je ne sais pas où ils passent, mais, en plus, les deux réserves de 5600 € que nous accorde chacune de nos deux banques ont été dépensées avec une déconcertante facilité. (Cependant, depuis quelques mois, nous avons péniblement réussi à rembourser la moitié de ces 11 000 € : seul point positif.) Il n'empêche que l'année 2010 s'annonce comme suit : chaque BM m'étant désormais payée moins, et ayant décidé de redescendre de six à quatre, Villiers ne va plus me rapporter que 2300 € par mois. Côté FD, en comptant les “séries”, 13e mois, etc., il ne faut pas espérer une moyenne de plus de 2500 ou 2800 € par mois. Rentrée globale : 5000 au lieu de 7500. Avec, désormais, un crédit de 500 € de plus, à cause de cette putain de bagnole. Sachant que je suis incapable de dire où passaient, il y a deux ans les 7500 € mensuels, comment allons-nous faire pour vivre avec les 3500 qui vont nous rester, une fois les deux crédits payés ? Le pis est que je me rends parfaitement compte ce que tout cela a de surréaliste, d'absurde, de presque effrayant. D'autant plus effrayant que je ne vois pas ce que je peux y faire.


15 décembre

Huit heures moins le quart. – Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de ma sœur et j'ai totalement oublié de l'appeler. Je pourrais d'ailleurs le faire encore, mais l'idée de parler à quelqu'un, fût-ce à elle, m'accable. Rien fait aujourd'hui, à part lire Muray, ce qui n'est déjà pas si mal. Demain, retour à Levallois, ce dont j'ai autant envie que de me pendre.

– Depuis deux jours il fait grand froid et, bien entendu, des cris d'indignation s'élèvent çà et là, notamment sur les blogs, parce que deux ou trois clochards ont succombé à ces températures. Étrange époque où le fait de mourir de froid en hiver, lorsque l'on vit dans la rue, devient un scandale. Dont, bien entendu, Nicolas Sarkozy est in fine le seul responsable.

– Je ne suis pas mécontent d'avoir écrit, hier, mon petit billet polémique sur le sida, après avoir lu celui de l'inénarrable OhTruc. Là encore, personne ne semble s'étonner que, désormais, certaines personnes se rendent chez le médecin à seule fin de vérifier qu'elles vont toujours bien. Et le font gratuitement, c'est-à-dire aux frais de la communauté tout entière. On va finir par crever de prévention et de principe de précaution. D'un autre côté je trouve tout à fait normal que les différents vaccins que l'on doit subir dans notre vie soient gratuits – il faudrait donc être logique.

– Trouvé chez Muray cette expression pour qualifier les féministes actuelles : les sœurs de parité...


16 décembre

Midi. – Retour à Levallois après quasiment une semaine d'absence : presque des vacances. Qui auraient réellement été des vacances si Catherine avait été dans une forme un peu plus éblouissante, mais bon. Le “point” s'étant terminé à midi moins le quart, j'aurais très bien pu aller faire l'ouverture de la cantine à midi : je ne l'ai pas fait. J'aurais également pu descendre à la boulangerie pour y acheter deux sandwichs avant la sortie des lycéens d'à côté : je ne l'ai pas fait non plus. Ce qui veut dire que je dois être déjà aux trois quarts décidé à déjeuner à L'Ambiance, projet tout à fait déraisonnable. D'un autre côté, comme je vais devoir arrêter complètement, en raison du crédit de la nouvelle voiture, je me dis que je serais bête de ne pas en profiter quelques dernières fois, tant que ce crédit n'est pas effectif, pas commencé de rembourser : on n'est pas plus jésuite.


18 décembre

Trois heures. – Hier, il m'a fallu deux heures et dix minutes pour rallier Levallois, en raison de la neige. Comme Philippe B. semblait presque étonné de me voir là en dépit des conditions atmosphériques et de circulation, j'ai annoncé que si rien n'allait mieux demain (aujourd'hui, donc), je resterais au Plessis et ferais du télétravail, comme on dit. C'est bien entendu ce que j'ai décidé de faire ce matin, les filles étant censées m'envoyer par mail le travail à effectuer, et moi leur rexpédier par le même chemin. Sauf que, depuis onze heures ce matin, pas moyen de faire parvenir un mail de chez Lagardère à ici ! Tentatives multiples, changement d'ordinateur, envoi sur la boîte mail de Catherine : rien n'y fait. Du coup, je culpabilise un peu d'être à ce point oisif, alors que je n'y suis vraiment pour rien. Si ça se trouve, tout cela va m'arriver en bloc cette nuit, ou demain, ou jamais. En attendant, les trois filles vont bien devoir endosser ma part de travail, ce qui ne me plaît guère. Et l'incident ne plaide pas en faveur d'une extension du télétravail, qui pourtant m'arrangerait grandement.

(Actuellement, nouvelle tentative pour me faire parvenir ce maudit travail qui refuse de passer. Je viens de dire à Eugénie, au téléphone, que j'avais l'impression de leur apporter un surcroît de boulot plutôt que de les décharger d'une partie de celui qui est réellement à faire.)

Huit heures moins le quart. – Coup de barre invincible, tout à l'heure, juste avant le dîner. Les yeux gonflés qui se ferment tout seul, incapable d'aligner trois phrases d'affilée. Même la bière que je buvais ne me disait rien (du reste, le dernier tiers est parti dans l'évier). Je ne sais si c'est le fait d'avoir passé la journée devant cet écran à attendre un travail qui n'arrivait pas, ou bien les alternances violentes de froid et de chaud chaque fois que je quittais une maison pour rejoindre l'autre. Toujours est-il que je me sens dans un état de fatigue anormalement avancé. J'ai tout de même fini par recevoir deux papiers à reprendre pour FD, mais avec les pires difficultés. Et je ne sais même pas si le second, une fois rewrité, est revenu à son port d'attache : on verra ça lundi matin.

– Bon, ça suffit l'ordinateur, ça suffit le clavier, ça suffit internet, ça suffit les blogs. Retour à Muray, au salon, avec les trois chiens endormis (qui, eux, ont passé l'essentiel de la journée à courir et à jouer dans la neige).


19 décembre

Huit heures. – Journée sans le moindre relief, mais somme toute agréable, “au final” comme disent les déculturés modernes. Ce matin, Catherine et moi avons affronté la patinoire de la rue de l'Église pour descendre faire quelques courses à Pacy : croquettes pour Elstir (chez le vétérinaire de Saint-Aquilin), pain et Nouvel Obs en ville, puis, remplissage du chariot au Super U (de Saint-Aquilin lui aussi). Petit plaisir de se livrer ensemble à ces menues activités idiotes, dont je m'étonne toujours qu'il puisse survivre à ces presque vingt années de vie commune. Pendant ce temps, les connes frustrées et grandiloquentes des magazines féminins pontifient à longueur de colonnes et d'années sur le fait qu'il est indispensable, pour “sauver” son couple (le verbe même qu'elles emploient dit assez en quels tréfonds elles se trouvent elles-mêmes), de “surprendre” constamment l'autre, de “retrouver la magie des débuts”. Alors qu'il peut suffire (mais évidemment ça ne marche pas à tous les coups – ç'a bien fonctionné ce matin) de régler ensemble deux ou trois petits riens habituels et relevant plutôt du domaine de la corvée. La véritable “magie du couple”, si elle existe, me semble devoir être plutôt cherchée de ce côté. Ou, plus exactement, ne pas devoir être cherchée. Simplement prendre comme il se présente, et s'il se présente, le micro-miracle d'une matinée insignifiante et précieuse. Toutes ces plumitives péremptoires méritent ce qui va leur arriver : crever seules, laides, incroyantes et reniées par leur fils-élevé-toute-seule, drogué, de gauche et probablement pédé. Ah, ça fait du bien, tout de même !

– Avec ça que j'ai oublié ce que je voulais écrire ici, en commençant. Ah, si : le Vieil-Observateur (c'est Jean-Marie Domenach, le père du modernolâtre de Marianne, qui l'appelait déjà ainsi il y a trente ans : l'ai-je déjà dit ?), qui annonce en “couv” (on dit comme ça) une grande “enquête” sur les musulmans de France. Je ne l'ai pas encore lue, simplement parcourue. Après ce rapide balayage, le dossier me semble contenir ce que l'on était en droit d'en attendre : des témoignages de jeunes Arabes bac + 5 ayant un bon métier (mais tout de même, le racisme, hein...), plus un dernier, crétin crypto-intégriste (qui se trouve être, lui, un Français “de souche” converti, mais je suppose qu'il s'agit d'un pur hasard...), pour montrer que l'on a conscience que ça existe, mais qu'il s'agit d'une minorité que les droits-de-l'homme et l'idéal républicain résorberont vite et bien. Je suppose que, dans l'article “cursif” qui enrobe ces témoignages pas du tout orientés, pris totalement au hasard, je vais, demain, trouver les plats obligés du menu unique : volonté des musulmans de s'intégrer à une France laïque (ce qui serait déjà fait si nous-mêmes étions moins incurablement beaufs, crispés, etc.), mise en garde grave et émue à propos de la confusion entre islam (gentil) et islamisme (méchant). Et, in fine, l'injonction de faire contre mauvaise fortune bon cœur (ou plutôt : avec bonne fortune bon cœur, pour rester vraiment dans le sens de l'histoire) et d'accepter avec le sourire ce qui est de toute manière irréversible.

Or, naturellement, rien n'est jamais irréversible, surtout concernant les événements très récents, c'est toujours une grave erreur de le croire. Les Pieds-Noirs l'ont douloureusement compris, en 1962, eux qui croyaient que le fait d'être “algériens” depuis trois voire quatre générations faisait de ce pays le leur. Aux applaudissements de la gauche de l'époque, on leur a mis le fusil dans les reins afin de les pousser vers les ports d'Alger, d'Oran ou de Constantine. Avec, comme choix simple et clair, la valise ou le cercueil. Bien entendu, nous ne sommes pas des fellaghas, nous autres, et nous n'en viendrons jamais à de telles extrémités. Néanmoins, il faudrait tout de même se montrer prudents. Le franchouillard, le beauf, le lepénisé-de-l'esprit, quand on lui a trop concassé les orteils tout en lui crachant son mépris à la gueule, on ne sait jamais quelle réaction idiote il pourrait avoir. Je l'ai déjà dit mais je le répète : finalement, et contrairement à ce que je pensais il y a encore un an ou deux, je ne serais pas fâché de vivre assez vieux pour voir comment tout cela va tourner. D'autant que, à l'allure où la pente se dégringole, ce n'est pas mettre la barre de ma longévité à une hauteur déraisonnable.


20 décembre

Onze heures. – Cette nuit, sentant que je ne me rendormirais pas sans cela, je me suis résigné à me lever pour aller pisser. L'ouverture de la porte de l'arrière-cuisine (qui correspond avec la chambre) déclenche un ramdam chez les chiens dormant dans le salon (Swann et Bergotte) et la salle à manger (Elstir). Je m'en étonne car, en principe, lorsque nous nous levons la nuit, Catherine ou moi, ils ne mouftent pas. Sauf que, là, après vérification à l'horloge, il était huit heures moins le quart du matin. Du coup, je me suis résigné à ne pas me recoucher, mais à plutôt éponger la flaque d'urine au milieu du passage le plus fréquenté.

– Il y a cinq minutes, après mon habituel “tour des blogs” du matin, je suis revenu à la maison principale dans le but de m'y servir un café. Catherine m'en a rigoureusement interdit l'accès (d'où mon repliement ici) au motif qu'elle venait de laver le sol ; en effet, c'était humide. Sauf que, il y a quelques instants, je viens de la voir ouvrir la porte et faire rentrer les trois chiens. Ils salissent moins que moi, les chiens ?

Quatre heures. – Cet après-midi, promenade sous un ciel uniformément pur, à travers les champs enneigés et miroitants, avec les trois pépères (désolé, Bergotte, mais le masculin l'emporte ; en tout cas dans cette maison et tant que je serai vivant). Bien entendu, dès qu'il fut délaissé, Swann est parti à courir, harcelé par Bergotte. Elstir les suivait, mais, bientôt, il s'arrêtait à une sorte de frontière invisible, lorsque les deux autres prenaient trop d'avance sur lui et que, par ailleurs, il devait se juger trop loin de nous. Auquel cas, il demeurait sur place, jusqu'à ce que les deux adultes fassent demi-tour et reviennent en galopant vers nous. Dès qu'il estimait que la distance était de nouveau raisonnable, Elstir se remettait à courir dans leur direction. Puis, tout le monde repartait dans l'autre sens – et la neige finement glacée craquait sous nos semelles.


21 décembre

Deux heures dix. – Je devrais logiquement être occupé à mettre au point le synopsis du prochain BM, L'idée fixe d'Ophélie. Au lieu de ça, je traîne sur les blogs. D'où l'on peut déduire que je ne partage guère l'idée fixe d'Ophélie. Cela étant, la lecture des blogs en question (ceux de gauche, évidemment, mes favoris) est assez réjouissantes ce matin, puisque tout le monde relaie à grands cris vertueux une pétition de l'officine socialiste SOS-Racisme, exigeant l'interruption du fameux et grotesque débat sur l'identité nationale. Le fait que ces petits maîtres censeurs appointés s'agitent est en soi une bonne nouvelle : cela signifie que, parmi le concert soi-disant discordant des béni-oui-oui et des béni-oui-mais, quelques paroles réellement dissonantes ont fini par se faire entendre. Pas bien fort et pas très nombreuses, certes, mais bien suffisantes pour que les gardiens du Bien réclament à cor et à cri des muselières et des fers. Et tout le monde continue à feindre de croire (s'ils le croient sérieusement, c'est inquiétant pour leur état de santé mentale) que Sarkozy n'a qu'une envie et qu'un but : s'en prendre aux immigrés et les renvoyer chez eux. Alors qu'il me semble parfaitement clair que ce pseudo-débat n'est là que comme soupape de sécurité. Le président ne peut pas ne pas sentir que le mécontentement et l'inquiétude enflent, que le vivrensemble devient de plus en plus difficile à fourguer aux occupants légitimes de ce pays. Donc, on va les laisser babiller librement durant quelques semaines, ils se sentiront mieux et, après, on rouvrira tranquillement les frontières – des frontières qu'on n'a du reste même pas pris la peine de fermer. Il est tout de même du plus haut comique de voir tous les modernes modernants s'acharner contre un homme qui, sur ce sujet au moins, est en tout point d'accord avec eux, et compte fermement mener à son terme la politique désastreuse qu'eux-mêmes préconisent tel un souverain baume.

Huit heures. – Et voilà, comme prévu, la blogosphère commence à s'agiter et à se répandre en imprécations, suite à la décision du pape d'élever Pie XII au rang de “Vénérable”, ce qui ouvre la voie à un procès en béatification. Je trouve toujours extrêmement réjouissant de voir ces athées pur sucre, ces bouffeurs de curés (mais pas d'imams : maux d'estomac toujours possibles, n'est-ce pas ?) se scandaliser à propos d'une béatification : qu'est-ce que cela peut bien leur foutre ? C'est un peu comme si je me scandalisais que l'on puisse envisager de rebaptiser le signe zodiacal du scorpion en signe du scolopendre, alors que j'ai toujours tenu l'astrologie pour une parfaite foutaise. Mais il est vrai que toute occasion de taper sur l'Église, et surtout sur son chef, est toujours bonne à prendre. Dans son venimeux et méprisable articulet, Le Monde.fr ne se fait pas faute de rappeler la nationalité allemande (suivez mon regard...) de Benoît XVI. Mais sans en dire plus, bien sûr ; on juxtapose les infos, mais on n'appuie pas, tu vois, Coco... Ah, les cafards ! les rats ! les noix vomiques ! Il y a vraiment des jours où on rêve d'une faillite brutale et irrémédiable de cet entonnoir à merde qu'est devenu Le Monde, et de voir tous ses serviteurs emplumés se retrouver à la rue, avec juste leur cuirasse de vertu pour se tenir chaud. Quand on pense qu'il y a encore des gens pour ânonner qu'un journal qui disparaît “c'est toujours une mauvaise nouvelle”, et quand je me dis – avec davantage de honte – que c'est une connerie que j'ai répétée doctement moi-même pendant des années... Mais ce sont les deux tiers de la presse parisienne, au moins, que je verrais disparaître avec des transports de joie ! De joie mauvaise, peut-être, mais de joie quand même. De toute façon, la joie mauvaise est de loin la plus intense et la plus jouissive – principalement à mon âge et en cette époque.


22 décembre

Neuf heures et demie du soir. – Pas de dîner, un apéritif non prévu et indéfiniment prolongé. Longue discussion entre Catherine et moi, avec force bières et éclusage total d'une bouteille de porto blanc.

– Début de la discussion, justement à propos de ce dernier breuvage. Je lui rappelais deux de mes plus précieux souvenirs (et pourtant si petits, si lointains, si fugitifs). Le premier : Jef et moi à l'Académie des vins de Porto de Lisbonne – une heure, pas davantage, je crois ; puis, ressortant assez bourrés ma foi, rendez-vous avec Tica, la femme de Jef, et sa sœur dans une brasserie classique de Lisbonne, décorée de superbes azulejos.

Deuxième souvenir sans intérêt : Jef, Tica et moi, au cours de ce même séjour lisboète, dans un restaurant de Parede – entre Estoril et Cascais –, dînant de gambas a la plancha et de vinho verde, une merveille de jeunesse suspendue. Je ne sais pas pourquoi ce dîner me reste planté dans la mémoire, pourquoi il me semble marquer une barrière entre jeunesse et... Et je ne sais quoi. Le plus amusant est que, de nous trois, je suis probablement le seul à me souvenir de cette soirée-là. Il ne s'est rien passé, vraiment rien. Et l'impression tout de même qu'au soir de ma mort, ces gambas et ce vinho verde...


25 décembre
Onze heures et demie. – Petit “réveillon” sans histoire ni cérémonie : juste Catherine, Ludovic et moi, réunis pour un “apéro dînatoire”, comme dit Catherine : excellents vins blancs (Bourgogne), œufs de cailles en gelée agrémentés d'œufs de saumon, mini-sandwichs au tarama, toasts de foie gras (maison) à la confiture d'oignons, eau de tomate à la mozzarelle, fromages. Ensuite, revu Les Lumières de la ville, dont la fin m'a fait pleurer comme un veau, as usual. J'étais au lit à onze heures. En ce moment, Catherine est à Pacy pour suivre la messe de Noël (est-ce qu'on suit une messe ? On y assiste, plutôt ? Merde, je ne sais plus !)

– Le temps est superbe et le dégel complet.


26 décembre

Trois heures. – Noël bouclé ! Nous voilà tranquilles pour un an. Aujourd'hui et demain repos (repos gastronomique, s'entend). Mais lundi, au prétexte que nous serons allés prendre livraison de la nouvelle voiture, il m'étonnerait beaucoup que nous résistions à l'envie de «l'arroser” – même si cela a déjà été fait au moment de la commande : on va finir par la noyer, cette auto...

– À part ça, peu de choses à dire, et même rien du tout. Sinon le fait qu'un texte de Muray, lu ce matin, m'a donné une irrésistible envie de relire la deuxième partie des Illusions perdues. Ce que je vais probablement faire, ne voyant aucune raison sérieuse de m'en priver.

Sept heures vingt. – Sur le blog de Céleste, on se risque à des parallèles acrobatiques, pour ne pas dire totalement bouffons tant ils sont incongrus, entre le tsunami de 2004 et la crise financière actuelle. Mais surtout, j'y tombe sur cette phrase :

« Après avoir vécu 60 000 ans en parfaite syntonie avec la nature, loin des autres humains – Mon monde est dans la forêt. Le vôtre est à l’extérieur. Nous n’aimons pas les gens de l’extérieur.” – les Jawaras sont aujourd’hui les victimes de colons indiens qui dévastent leurs territoire, répandent la souffrance, imposent la soumission. »

On passera sur l'increvable sottise qui consiste à faire semblant de croire (ou à croire réellement : au point où on en est...) que l'homme, à quelque époque que ce soit et sous n'importe quelle latitude, a jamais pu vivre en harmonie (pardon, en syntonie : on est sur un blog chic et choc... même si on se prend un peu les pieds dans les mots savants) avec la nature l'environnant. La civilisation, depuis ses premiers balbutiements jusqu'à nos jours exclusivement, n'a jamais été rien d'autre qu'une lutte contre la nature, toujours dangereuse, souvent mortelle. Mais passons : il va devenir de plus en normal de confondre la nature avec le réseau Natura 2000...

Revenons à nos bons sauvages. Les Jawaras, on l'a bien compris, ont droit à toute la sympathie citoyenne et durable de Céleste, la femme qui parle du cœur comme d'autres du nez. Elle doit trouver leur devise admirable, et ces gens aussi qui veulent rester eux-mêmes et avouent naïvement ne pas aimer ceux qui viennent de l'extérieur : Céleste adore les peuples qui lui permettent d'exercer sa terrifiante générosité. Mais il n'y a pas besoin d'être spécialement lucide pour imaginer son horreur et son mépris si d'aventure quelqu'un d'autre, un type qui n'a pas son accréditation de “victime souffrante”, un Européen de l'ouest par exemple, s'avisait d'adopter la devise de ces braves Jawaras. Elle verrait aussitôt les grandes portes de bronze du fascisme s'ouvrir à deux battants.

Qu'on puisse être à ce point aveugle, aussi sélectivement et caricaturalement aveugle à la réalité des choses, et impénétrablement sourd à ce qu'on énonce soi-même, me plonge désormais dans une sorte de ravissement, un peu grinçant tout de même, au lieu de la fureur et de l'abattement que je ressentais naguère face à ces déferlements de mauvaise foi, aiguillonnée par une indubitable haine de soi poussée jusqu'à l'hystérie (mais une hystérie tranquille et digne). Je suis peut-être en train de devenir raisonnable.

Quoi qu'il en soit, je suis finalement ravi d'avoir découvert l'univers des blogs, à l'orée de l'année 2007 : sans cela, des pans entiers de la stupidité béate de l'époque me seraient restés inconnus. Ce qui eût été dommage.


27 décembre

Dix heures et demie. – Rarement le tour des blogs aura été aussi vite fait que ce matin : tant mieux. À noter tout de même l'increvable Azouz Begag qui déclare que, face aux Chinois, les Français, les Arabes et les Africains vont devoir se serrer les coudes pour préserver leur identité : on n'est pas plus clownesque que ce garçon. Mais en réalité c'est un clown sinistre. Car on comprend très bien son message, au pitre Azouz : Français, Africains et Arabes sont d'ores et déjà semblables, rigoureusement – c'est un point qui ne saurait plus, désormais, être remis en doute. Bientôt, si quelqu'un s'avise de le faire tout de même, on le considérera sans doute comme mûr pour l'asile.

– Catherine est allé à Vernon mettre Ludovic au train : journée calme en perspective, donc. Ce n'est pas que Ludovic soit désagréable, bien au contraire. Mais il fait partie de ces jeunes gens (il y a d'ailleurs aussi des vieux, dans cette catégorie) pour qui le silence et l'immobilité semblent constituer une sorte d'affront personnel, et qui s'attachent à le faire savoir. Si l'on veut néanmoins continuer de lire, il faut alors se livrer à toute une stratégie d'évitement, d'une maison à l'autre. Ce qui devient vite éprouvant.

– Je suis, depuis hier, torturé par un gros bouton infecté fort mal placé (juste à la base des couilles pour être précis) qui me donne, ce matin, une démarche de vieillard cachectique. C'est curieux le génie que déploient les boutons pour toujours venir s'épanouir aux endroits les plus malcommodes pour leur hôte, là où ça frotte, comprime, écrase, etc.


28 décembre

Deux heures. – Il était prévu que Renault nous livrerait notre nouvelle voiture aujourd'hui. Ce matin, j'ai senti qu'un vent contraire s'était mis à souffler, le garage de Pacy étant fermé pour toute la semaine et le “commercial” d'Évreux ne donnant aucun signe de vie. J'ai laissé des messages sur divers répondeurs, ne parvenant comme de juste à joindre personne directement. La patronne du garage de Pacy vient de rappeler : en effet, ils nous avaient zappés, ainsi qu'elle s'est excusée, et en ces termes, de l'avoir fait. Finalement, nouveau rendez-vous est pris pour demain, cinq heures. Et je me sens absurdement frustré de devoir attendre jusque là. Frustration aggravée par le fait que ce contretemps nous prive d'une bonne raison toute trouvée pour prendre l'apéritif ce soir. Il va falloir trouver autre chose ; on y arrivera, je nous fais confiance, mais ce sera nécessairement moins franc du collier, moins éclatant – il y faudra pour tout dire une certaine dose de mauvaise foi. Elle aussi, on la trouvera, nous sommes gens pleins de ressources.

– Je me délecte et me pourlèche de cette deuxième partie des Illusions perdues, dans laquelle je suis plongé depuis hier. Le tourbillon des déplacements, l'enchaînement étourdissant des scènes, l'ivresse que l'on sent chez l'auteur à faire circuler les personnages, à ramener sur le devant tous les noms déjà utilisés ailleurs – et tout cela sans jamais perdre de vue l'implacable mécanique qui va broyer ce petit con de Rubempré, l'inexorable de sa pitoyable tragédie, tout cela fait du roman – en cette partie tout au moins – un chef-d'œuvre d'intelligence et de cruauté. Il se peut que l'on soit là à l'acmé du roman – je veux dire : du genre romanesque, tel qu'il est né au XVIe siècle et tel qu'il meurt sous nos yeux. Sans parler bien entendu du démontage sans pitié auquel se livre Balzac, de la presse bien entendu – et personne n'a été ni ne sera plus cruel, parce que plus juste, que lui en ce domaine –, mais aussi de l'édition et de la librairie : c'est à faire peur. Ces Illusions perdues, sont quelque chose comme le tombeau – aux allures de fosse commune – de tous les prétendants et prétendus journalistes, les plumitifs à vendre, folliculaires à louer et à louanges, passés, présents et, on doit le supposer, à venir.

Je disais “ce petit con de Rubempré”, parce que j'ai toujours détesté, voire méprisé Lucien Chardon (je lui rends son vrai nom pour l'humilier un peu...). Et je n'ai jamais compris Oscar Wilde qui, alors qu'on lui demandait de citer la plus grande tristesse de sa vie, a répondu : « La mort de Lucien de Rubempré. » À chaque fois que j'ai lu Splendeurs et misères, j'ai au contraire éprouvé une joie féroce à voir enfin écrasé ce petit cafard, égoïste, fat, pusillanime et, au bout du compte, dénué du moindre talent.

Enfin, on se dit qu'un Balzac d'aujourd'hui, qui aurait le front, l'inconscience, l'héroïsme de se livrer à une telle charge furieuse contre la Sainte Trinité Presse-Édition-Librairie, et même s'il avait le génie pour le faire, celui-là serait un homme mort dès le lendemain de la parution de son livre, à supposer qu'il ait pu trouver un éditeur assez fou pour se faire hara-kiri en public. Une chape de silence distrait s'abattrait mollement sur lui, et il n'en serait plus question. Mais je crois que, même au XIXe siècle, toute complexion moins formidable que celle de Balzac y aurait également été anéantie.


29 décembre

Deux heures. – À l'instant court mail de R. Camus sur lequel je ne comptais plus, pensant que ma propre e-lettre s'était perdue dans les profondeurs de sa boîte Orange. Lorsque nous avons décidé d'aller à Strasbourg, le dernier week-end de janvier, j'ai eu l'idée d'arriver avec un petit cadeau pour André, en l'occurrence les Demeures de l'esprit - “quart nord-ouest” qui doivent en principe sortir dans huit jours. Camus et lui ayant eu l'occasion de se rencontrer et de déjeuner ensemble à Strasbourg, il y a environ un an (ou plus ?), je me suis également dit qu'il serait mieux de lui offrir un exemplaire dédicacé, pour peu que RC en soit d'accord. Je pensais donc commander deux volumes des Demeures, dont un pour moi, chez un quelconque e-libraire, expédier l'autre à Plieux afin qu'il m'en revienne avec la fameuse dédicace. C'est alors que Catherine m'a fait remarquer qu'il serait à la fois plus simple pour tout le monde et plus “intéressant” pour l'auteur de lui acheter directement (de la ferme à votre table...) l'un des exemplaires qu'il ne devrait pas manquer de recevoir de son éditeur. C'était précisément l'objet de mon mail de la semaine dernière, auquel seul le silence avait jusqu'alors répondu. Or je sais par expériences réitérées que lorsque RC ne réponds pas tout de suite à son courrier, il est très rare qu'il pense à y revenir après. Comme je ne me voyais guère en train de le relancer, j'avais presque fait mon deuil de cette idée mirobolante. Et puis, finalement, tout arrive y compris l'improbable. Si tout se passe bien, André aura son livre le 31 janvier.

– Dans trois heures, nous allons prendre livraison de la nouvelle voiture et je me sens énervé comme un gosse au matin de Noël, durant ce moment atrocement excitant où les parents dorment encore, alors que les cadeaux sont là, tout proches dans la pénombre, presque à portée de main... Avec cela, l'absurde inquiétude d'être incapable de maîtriser toutes les petites innovations technologiques que renferme cette voiture. Je me vois très bien, demain soir, assigné à résidence dans le parking de Levallois parce que j'aurai été incapable de déverrouiller les portières, ou de mettre le contact, etc. Il me resterait toujours la solution de remonter à FD et de solliciter l'aide de Jean-Michel, le directeur artistique, qui s'est offert exactement la même il y a quelques mois. Mais bonjour la honte...


30 décembre

Quatre heures. – Retour à Levallois, jusqu'à demain soir seulement, pour cause de premier janvier. Le Journal de novembre est en ligne depuis ce matin. Les commentaires y sont toujours impossibles, comme je l'ai souhaité depuis le début. Mais, ayant négligé de les fermer également sur le petit billet d'annonce que j'ai fait sur le blog-mère, ils se sont tout naturellement réfugiés là. Du coup, je viens de les y supprimer également, mais en laissant ceux qui s'y trouvent déjà. Bref, je cafouille dans les grandes largeurs. En fait, je me dis que les quelques personnes qui pourraient avoir des choses à m'en dire, de ce journal, ont tout loisir de le faire par mail, ce dont personne, les commentaires étant fermés, ne se sentira obligé : c'est mieux pour tout le monde, je pense.

– Ce matin, premier trajet avec la Mégane neuve. Excellente voiture à première vue, moteur puissant et bien plus “réactif” que celui de la 307, laquelle devient la voiture-de-Catherine, en remplacement de sa vieille AX, partie à la casse par la grâce des primes d'État. J'ai commencé à jouer avec les gadgets les plus simples (régulateur de vitesse, essuie-glace et allumages des feux automatiques, etc.) Mais je ne me suis pas encore attaqué au “système de son” (comme dirait Catherine), faute d'une mystérieuse prise RCA qui me manque avant de pouvoir y raccorder l'iPod. Ni surtout au GPS qui me semble bien être le gros morceau de l'affaire, son nœud gordien.

Il est néanmoins en activité, ce fameux GPS, et, ce matin, j'ai sursauté deux ou trois fois, lorsqu'a retenti le double “biip !” censé m'annoncer l'arrivée (je me comprends) d'un radar fixe. Juste après le péage de Mantes, je me suis arrêté à la cahute de SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie) afin d'obtenir un nouveau socle adhésif pour l'engin électronique qui me permet de passer les péages sans m'y arrêter et avec l'impression trompeuse de n'y rien payer. Le dit socle se fixe au haut du pare-brise, juste à gauche du rétroviseur.

Évidemment, c'eût été trop simple. La jeune femme qui se trouvait là (et dont le fond d'écran de l'ordinateur était une belle tête de bouvier bernois) a pris mon boîtier avec des mines presque dégoûtées, en daignant m'expliquer que ce truc était antédiluvien et qu'elle s'étonnait même de le voir fonctionner encore. Elle m'en a donné un autre, plus moderne, cinq fois plus petit et, raffinement dérisoire, disponible en deux “coloris”. Petit mais bruyant : le nouveau produit lui aussi un “biiip !” à chaque péage, pour m'avertir que mon découvert bancaire vient bel et bien de s'alourdir de quelques euros – alors que l'ancien boîtier se tenait parfaitement coi. L'automobiliste moderne est cerné par les biiips !. Sans compter celui qui émane de la voiture elle-même lorsque ce tas de rutilante ferraille considère que j'aventure sa précieuse carrosserie trop près d'un mur ou d'une borne quelconque.


31 décembre

Onze heures. – Dernière “entrée” de l'année, donc. Je vais pouvoir commencer à relire le mois de décembre et, surtout, à remettre tous les jours dans leur ordre logique, afin de rendre l'ensemble lisible (à peu près lisible...) pour le commun des mortels, puis à transporter le tout de cet “atelier” où j'écris chaque jour jusqu'au Journal de blog, auquel les foules en délire ont accès. Je trouve très bien d'avoir résisté à l'envie de coller un compteur de visites, ou un blog-it express quelconque sur le blog du journal : je reste dans l'ignorance totale du nombre de personnes allant le lire, et c'est fort bien ainsi. À mon avis, et en exceptant Catherine, je pense ne même pas atteindre la dizaine ; en tout cas, certainement pas la dépasser.

– Depuis trois quarts d'heure, je suis rigoureusement seul dans ce bureau (au moment où j'écris cela, Anne arrive...). J'aime bien ces moments-là, où je sais être au travail, mais sans en avoir la sensation concrète. L'incertitude est facilitée par le fait que, pour l'instant, il n'y a rigoureusement rien à faire.

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