Tout le pouvoir aux soviets !
Vendredi 1er
Sept heures. — On entame le mois avec Stendhal : Le Rouge et le Noir,
commencé en fait dès hier. C'est curieux comme ce Julien Sorel peut se
montrer un “héros” antipathique. Ou alors ça viendrait de moi ? On verra
comment tout cela évolue dans la suite.
En fait, je le sens, le Sorel, “perdant dès le départ”. Mais il est bien possible que cette impression soit faussée par le fait que j'ai déjà lu le roman.
— Petit Loup a toujours une splendide diarrhée, mais, ce matin, je n'ai trouvé aucune trace de vomissures nulle part. De plus, il a l'air en pleine forme, sautant sur Charlus pour l'inciter au jeu, etc.
Midi. — Le “transgenrisme” est donc devenu une sorte (j'ai bien failli écrire : un genre...) de grande cause nationale, et même supranationale. Le phénomène a beau ne concerner qu'une poignée de personnes des deux sexes, médias, films, séries télé, pour ne rien dire des réseaux asociaux, en sont tout bruissants du matin au soir. C'est d'ailleurs curieux, ces hommes qui affirment être en réalité des femmes, et réciproquement. Sans parler de celles z'et ceux qui “sont” tantôt l'un, tantôt l'autre : homme du premier au quinze de chaque mois et femme du seize au trente-et-un, comme les anciens stationnements de rue alternés.
Cela dit, ils ne datent pas d'hier, les déséquilibrés se prenant pour Napoléon, ni les folles affirmant être Jeanne d'Arc. Mais notre époque a introduit deux innovations. Désormais, il doit y avoir également des folles pour se prétendre Bonaparte et des déséquilibrés pour se dire Pucelle en armure. En outre, dans les temps obscurantistes dont nous sommes heureusement sortis, on ne contraignait pas la population entière à appeler les uns Votre Majesté, ni à emboîter le pas des autres pour aller délivrer Orléans.
Enfin, et de façon plus sérieuse, il serait bon, dans un souci de clarté, que les zélateurs de toute “transition” chirurgicale laissent tomber leur masque vertueux et avouent tout franchement qu'ils sont favorables aux mutilations sexuelles, volontaires voire insidieusement encouragées. Car c'est évidemment à cela que se ramènent in fine ces opérations miraculeuses : à d'irréversibles charcutages. Jamais un homme ne deviendra une femme, ni l'inverse : voilà au moins un domaine où règne et régnera une scrupuleuse égalité.
Et se jetant de loin des regards irrités,
Les deux sexes mourront chacun de son côté.
Trois heures. — Il faut bien que je me rende à la triste évidence : définitivement (et c'est là le cas de le dire, le concerné étant mort), Léautaud ne sait pas conjuguer le verbe “convenir”. Dans un premier temps, on se dit que c'est bien étonnant de sa part, à peine croyable même. Et puis, au fond... Est-ce que nous n'avons pas tous les nôtres, de ces obstacles minuscules contre lesquels nous revenons sans cesse buter ? De ces traîtres ornières langagières où nous retombons systématiquement, bien qu'on nous les ait signalées cent fois ?
— Restons un moment avec Léautaud. Le 26 août 1913, il évoque les Paysages parisiens que Fagus publiait régulièrement dans le Mercure. Celui que Fagus apporte ce jour-là parle d'un bordel situé rue de l'Échaudé (un bordel rue de l'Échaudé : rien que pour ça, on ne regrette pas d'être venu...). Léautaud note alors :
« À propos dudit, Billy nous racontait, il y a quelque temps, qu'on l'appelle dans le quartier “Le Mercure”, en souvenir du Mercure qui fut dans la même rue, et que la patronne, une grosse commère, a été surnommée Rachilde. »
Quant on se souvient que, dans ces époques bénies, c'est au mercure que l'on soignait les véroles attrapées dans les maisons closes, ou ailleurs, l'affaire devient encore plus piquante.
Six heures. — Comment s'exprime-t-on quand on est “journaliste indépendant” (en langage clair : un branlotin sans emploi) ? Comme ça :
« La symbologie d’extrême droite est surreprésentée dans la Police. »
À sa place, je serais même allé jusqu'à symbolologie ; pour faire plus riche. J'ai peur que ce journaliste-là, “spécialisé” — quelle surprise ! — dans l'extrême droite et la police-avec-un-grand-P, reste “indépendant” encore un petit bout de temps. Par un reste de charité, nous tairons son nom.
Samedi 2
Sept heures. — Lire avec Petit Loup étalé et remuant entre poitrine et genoux n'est pas une chose très aisée. Mais produire, dans les mêmes conditions, une phrase tant soit peu cohérente sur le mini-clavier de ce putain de téléphone, voilà qui relève de la gageure.
Dix heures. — Eh bien, non, décidément, Stendhal et moi... en tout cas le Stendhal romancier : je viens de lire près de la moitié du Rouge et le Noir, avant de jeter l'éponge, n'en déplaise aux mânes de Léautaud. Je ne saurais même pas donner de raisons précises à cet abandon. Disons que je m'y ennuyais et n'en parlons plus.
— Mû par une subite impulsion, je viens de ressortir de son rayon Les Chuchoteurs d'Orlando Figes, historien britannique comme son nom ne l'indique guère. Son gros livre est sous-titré Vivre et survivre sous Staline. Je lui ai consacré un billet il y a un peu moins de deux ans. Relisant les commentaires qu'il m'avait valus, je (re)découvre l'existence de Sveltana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015, et de son livre, La Fin de l'homme rouge ; que je vais probablement commander dès le point final mis à ce paragraphe.
Dix heures et demie. — Commande passée…
Deux heures. — Ignare que je suis, je ne savais même pas que les guignols d'Attac, association lucrative sans but, encombraient toujours l'ici-bas. Et voici que je tombe, relayée par cette face de carême de Saint-Graal, sur leur dernière clownerie :
« 4 français sur 5 considèrent que le projet de budget 2025 n'est pas juste socialement. 2 sur 3 s'opposent à l'utilisation du 49.3 pour faire passer ce budget injuste. »
Car, bien entendu, tous les Français se sont penchés sur le budget en question et l'ont examiné à fond afin de pouvoir en juger les tenants et les aboutissants, en repérer les vices cachés, les pièges insidieux, etc. Ces mêmes Français qui savent tous parfaitement en quoi consiste l'article 49.3 de cette Constitution qu'ils connaissent évidemment par cœur depuis leur plus jeune âge.
Je me demande si les scribouillards d'Attac ne prendraient pas un peu, de temps en temps, leurs followers pour des cons — ce qu'ils ont grande chance d'être en effet.
Quatre heures. — J'étais tout heureux, il y a une paire de semaines, d'avoir enfin déniché un coffret de dvd proposant les quatre premières saisons sous-titrées en français de Frasier, série comique déjà ancienne mais qui nous avait bien plu lorsque nous l'avions découverte à la télé voilà une vingtaine d'années. D'où notre brutale déception, hier soir, ayant glissé une rondelle dans la machine, de constater qu'en fait de sous-titres, il n'y avait que ceux pour Anglais sourdingues et ceux pour grands crétins scandinaves. Chose d'autant plus incompréhensible que le texte de présentation du coffret est en français et que l'existence des sous-titres en cette langue est dûment spécifiée. J'en serai quitte pour offrir ce coffret inutile à mon frère et sa femme qui, après 12 ou 15 ans passés à Bristol, comprennent l'idiome d'Outre-Manche, même quand il est pratiqué par des spécimens d'Outre-Atlantique. Il n'empêche : ça m'a énervé.
— Je ne me souvenais pas qu'il y avait de tels “trous” dans le journal de Léautaud. Ainsi cette énorme interruption entre août 1914 et août 1915, période pourtant bien intéressante. Pages perdues ? Je vais voir ce qu'en dit Marie Dormoy dans son Histoire du journal, publiée en ouverture de l'index général.
Six heures et demie. — Je viens de relire rapidement le texte de Marie Dormoy : pas un mot sur le sujet qui m'intéressait. Et, dans les “pages retrouvées”, rien entre août 14 et août 15. Le mystère demeurera donc. À moins qu'il ne soit éclairci par Léautaud lui-même dans la suite du journal ?
Dimanche 3
Sept heures et demie. — Orlando Figes montre très bien, en s'appuyant sur de nombreux témoignages, que, pour une multitude de Russes, le déclenchement de la guerre et l'invasion allemande de 1941 furent un véritable soulagement. Soulagement psychologique : enfin on se mettait à souffrir pour quelque chose, on se battait pour des choses tangibles, identifiables — famille, village, terre natale, pays, etc. Et l'infernale pression idéologique exercée par le parti et ses chiens de garde avait tendance à se relâcher un peu.
Trois heures. — À peine sortis de Halloween, les voisins Volvo, nos “illuminati” à nous, sont occupés à installer leurs guirlandes électriques de Noël, qui vont bientôt transformer leur maison et toute l'allée la reliant à la rue en une sorte de Disneyland miniature. Elles vont rester en place (et en service, hélas) au moins jusqu'à la fin de janvier. Ensuite, je suppose qu'ils commenceront à planquer les œufs de Pâques dans l'espèce de décharge qui leur fait office de jardin d'agrément.
Ce sont les mêmes qui, lorsqu'ils invitent à dîner un couple ou deux d'amis, passent, avant et après le repas, de très longs moments à jouer au baby-foot. Je précise qu'il s'agit de voisins adultes.
Six heures. — J'ai, le mois dernier, stigmatisé je ne sais plus qui, une malheureuse traductrice sans doute, pour avoir utilisé le verbe “regimber” sous une forme pronominale qui n'existe pas. Or, voici que, chez Léautaud aussi, je tombe sur un “Je me suis encore regimbé” qui me fait sursauter. Du coup, je suis allé un peu vérifier deçà, delà ce qu'il en était réellement : il semblerait tout de même que ce soit moi qui aie raison. Il faudrait consulter M. Littré, mais il se trouve dans la Case et je suis dans le salon...
Lundi 4
Sept heures. — Depuis hier, Petit Loup a retrouvé un appétit d'ogre, et pond des crottes si superbement moulées qu'elles pourraient servir de modèles dans les écoles vétérinaires. Nous voilà, apparemment, tirés d'affaire... jusqu'à la prochaine fois.
Trois heures. — Août 1918. Dans le bureau d'Alfred Vallette, Léautaud étant présent, Lucien Descaves passe en revue quelques-uns de ses collègues de l'académie Goncourt : « Voilà Léon Daudet, par exemple. Il a juré qu'il ne votera jamais pour un juif, même s'il a du génie. »
Daudet est donc un parjure puisque, quinze ou seize mois plus tard, c'est lui qui fera donner le prix à Marcel Proust pour ses Jeunes Filles en fleurs.
— Petit retour en arrière : 1909 ou 1910. Sur le boulevard Montparnasse, Léautaud rencontre un jeune homme qu'il connaît. Ils arpentent le trottoir ensemble, causant. Léautaud ayant demandé à son compagnon pourquoi il n'envoyait rien au Mercure, celui-ci lui répond qu'il a bel et bien adressé des vers à la revue il y a déjà un moment, mais qu'il n'a eu aucune réponse.
Le lendemain, Léautaud trouve en effet l'enveloppe dans le casier des manuscrits en attente. Il ouvre et lit. Aussitôt après, il monte au bureau de Vallette : « Nous avons reçu des vers, que je viens de trouver dans la case des arrivées. Ils sont tout à fait remarquables... » Alors Vallette, de confiance, sans même y jeter un regard : « Donnez-les à composer, ils passeront dans le prochain numéro. »
Le jeune homme du boulevard Montparnasse était Guillaume Apollinaire, et ses vers “repêchés” par Léautaud La Chanson du mal aimé. Laquelle Chanson paraîtra dans le recueil Alcools, en 1913, dédiée à Paul Léautaud.
Mardi 5
Huit heures. — Le matin au réveil, Petit Loup a trois priorités ; qui sont, dans cet ordre toujours respectées : engloutir un sachet entier de nourriture “en sauce” ; sauter sur Charlus pour l'inviter au jeu, quand le chien n'a qu'une envie, après son propre repas et son rituel tour de jardin, qui est de se recoucher ; enfin, grimper sur mes genoux et se tortiller dans tous les sens en ronronnant, de façon à rendre ma lecture du moment aussi acrobatique que possible. Tout ce joli programme se déroule entre mon lever et celui de Catherine, c'est-à-dire qu'il dure d'une à deux heures selon les jours.
Dix heures. — Sur le parking du cabinet médical, attendant Catherine qui a rendez-vous avec le Dr Dubruel. Comme il y a là sept voitures en plus de la mienne, et que les médecins ne sont que deux, je ne suis pas près de quitter ce piège à rats — et à rats malades qui plus est.
Deux heures. — En un paradoxe qui n'est qu'apparent, les zeks qui, par chance, avaient des compétences utiles à la dictature communiste (ingénieurs, géologues, architectes, etc.) se retrouvaient avoir une vie plus facile, plus confortable au goulag que leurs familles restées libres à Moscou, Leningrad ou ailleurs.
Cinq heures. — J'apprends seulement à l'instant, et par le plus détourné des chemins, la mort, en janvier 2023, de Gabriel Libert, avec qui et pour qui j'ai travaillé durant plusieurs années, quand il était chef des informations de France Dimanche. Apparemment, il avait quitté ce glorieux hebdomadaire et travaillait pour Marianne. D'après ce que je viens de lire, il serait allé mourir au Mexique, dans des circonstances mal élucidées (mais la “nécro” que j'ai eu sous les yeux a été écrite à chaud, quelques jours seulement après sa mort). Il avait 58 ans.
Six heures. — 1919, Proust remporte le prix Goncourt : pas un mot chez Léautaud que, pourtant, cette récompense intéresse fort (quoi qu'il dise) depuis qu'il a failli la décrocher. Au long des trois années suivantes, durant lesquelles l'auteur de La Recherche ne cesse de monter en puissance... toujours rien dans le journal. Ce n'est qu'en janvier 1923, deux mois après la mort de Proust, que Léautaud semble découvrir son existence ; et encore, pas du tout par son œuvre qu'il ne lira jamais, mais par le numéro hommage de la NRF.
C'est bien ma chance : de mes deux écrivains français préférés pour le XXe siècle, l'aîné détestait son cadet (de six mois...), tandis que le cadet a toujours ignoré son aîné.
Mercredi 6
Six heures et demie. — Réveillé depuis cinq heures, et levé presque aussitôt. Le brouillard qui était lourdement retombé hier vers six heures semble avoir complètement disparu durant la nuit. (Mais pourquoi est-ce que je note ça, moi ?)
— Nous avons vu hier soir Many Saints of Newark, le prequel de la série HBO bien connue, Les Soprano. C'est un film assez plaisant pour qui connaît bien ladite série. Pour les autres, je crains que ce ne soit qu'un film “mafieux” de plus, assez mollasson de surcroit. Seule chose à noter : le rôle de Tony Soprano jeune est tenu par Michael Gandolfini, le fils de James Gandolfini qui fut LE Tony Soprano de la série, acteur tout à fait remarquable qui, je trouve, n'a pas eu une carrière à la hauteur de son très grand talent.
— Ma première pensée de réveil a été pour Gabriel Libert, dont j'ai appris la mort hier. C'est d'ailleurs curieux, dans la mesure où nous n'avons jamais été proches, lui et moi, ne nous étant jamais vus en dehors du cadre étroit de notre rédaction commune, n'ayant même jamais déjeuné ensemble à Levallois. Professionnellement, nous nous entendions tout à fait bien (mais je n'ai jamais été un collaborateur “difficile”...), je le trouvais plutôt sympathique et j'ose croire que c'était réciproque, mais rien de plus que cela. Pourtant, et ce paragraphe le prouve, il a, depuis hier, comme colonisé mon esprit, ou du moins une partie d'icelui. Il est vrai que, depuis quelques années, les morts ont tendance à occuper dans ma vie et mes pensées une place plus importante que celle laissée aux vivants.
Dix heures. — Parking du Grand Frais d'Évreux, noyé de brume : j'ai donc parlé un peu vite ce matin...
Onze heures. — Retour à la maison, à travers la même purée de pois. Ce qui m'a fait repenser à la première phrase du génial Vie et Destin de Vassili Grossman : « Le brouillard recouvrait la terre. »
Pendant ce temps, le zébulon nommé Trump est en train de gagner son élection, ce qui m'amuse beaucoup.
Deux heures. — Première mention de Proust dans le journal de Léautaud, le 18 octobre 1921. C'est pour en dire ceci : « Il paraît qu'il a un grand amour pour les bonnes et que ce sont ses seules amours. » Si tous les renseignements fournis par Léautaud sont aussi fiables que celui-là, on se demande si on a bien raison de lire son journal...
Quatre heures. — Je découvre que Pierre Mac Orlan, que je connais assez mal, et Gaston Couté, que je connais assez bien, ont été condisciples, dans les années 1890, au lycée Pothier d'Orléans ; lequel, du reste, n'est devenu Pothier que quelques décennies plus tard. Consultant la fiche Ouiki dudit établissement, je suis tombé sur le liste des anciens élèves plus ou moins prestigieux, dont les deux précités, Péguy évidemment, plus quelques autres. J'ai été fugitivement froissé de n'y point voir figurer mon nom. Il est vrai que, arrivé en novembre 1972 et renvoyé en juin 1973, j'y aurais sans doute un peu fait tache. L'année scolaire suivante, orphelin de Pothier, c'est son voisin immédiat, Benjamin-Franklin, qui m'a servi de paratonnerre.
— Les punaises de la sacristie Metoo se déchaînent depuis quelque temps contre Caroline Fourest qui, dans un opuscule récent, a, semblerait-il, osé mettre en doute leur absolue sainteté. Si la malheureuse autrice s'imaginait que sa gouinitude allait la protéger des foudres pénales de ses pourtant sœurs, la voilà bien détrompée. Laissons donc ces dames se crêper le chignon : on comptera les points à l'issue de ce numéro de catch dans la boue.
Six heures. — Léautaud est impayable. Au sens propre. Lorsqu'il publiait ses chroniques sur le théâtre (sous le nom de Maurice Boissard) dans le Mercure, il râlait — mais dans son journal uniquement — parce qu'elles ne lui étaient payées que 35 francs. En 1922, ces mêmes chroniques se transportent à la NRF, où on les lui paie... 250 francs. Que fait Léautaud, toujours dans son journal ? Il grogne et tempête parce que, quand il n'est pas entièrement satisfait de ce qu'il a écrit, soit à peu près trois fois sur quatre, il a l'impression de voler l'argent ainsi gagné, ce qui le contrarie fortement.
Et nous, le lisant, de sourire.
— Un woko-cuistre sous X, qui sévit dans ce cloaque appelé Sciences-Po, nous apporte la grande nouvelle que le monde attendait :
« Les 18 et 19 novembre se tiendra le colloque pluridisciplinaire "Sexualité, racisme, migrations" que j'ai eu le plaisir d'organiser [...]. »
Une fois de plus, son intitulé me fait penser à mon cher “Papa, fourmi, tracteur” france-dimanchesque. En moins drôle et encore plus con.
Jeudi 7
Sept heures. — Descendu à Pacy pour y acheter une baguette “tradition” (bien cuite), j'ai poussé jusqu'à l'Intermarché de la route de Paris, pour extraire du locker Mondial Relay le premier volume Pléiade de la correspondance stendhalienne, qui m'y attendait depuis hier. C'est très bien, les centres commerciaux, quand on a soin d'y aller avant leur ouverture.
— Durant la grande terreur stalinienne, il s'est trouvé de nombreux bolcheviks “historiques” pour acquiescer aux accusations portées contre eux et pour accepter leur condamnation, alors même qu'ils se savaient parfaitement innocents. Parce qu'il leur était impossible de renoncer à leur foi dans le parti, dans son impossibilité à se tromper, laquelle était en quelque sorte la colonne vertébrale de toute leur existence. Ce qui nous dit des choses peu encourageantes quant à notre nature humaine.
Je relève cette réflexion faite par une enfant (interrogée soixante ans plus tard par Orlando Figes), après l'arrestation de son père, communiste “pur et dur”, par le NKVD : « Les ennemis du peuple, ils arrivent même à entrer dans les papas ! »
Et à propos, justement, de la répression frappant en priorité les vieux bolcheviks, ceux du temps de Lénine, cette blague qui circulait durant la terreur stalinienne :
En pleine nuit, on frappe à la porte d'un appartement moscovite. « Qui c'est ? demande le locataire. — C'est le NKVD, ouvre immédiatement ! » Alors, le locataire, brusquement soulagé : « Non, non, vous vous êtes trompés : les communistes, c'est l'appartement au-dessus ! »
(Il faudrait développer ce que je viens de noter, à propos de la foi, y apporter cent précisions et nuances. Mais c'est justement ce qu'Orlando Figes fait très bien dans ses Chuchoteurs : il n'y a donc qu'à le lire.)
— Quand on n'a rien à dire que quelques clichés exténués, il est recommandé de le faire en phrases bien ronflantes afin de cacher, si faire se peut, la merde au chat. Précepte bien compris par un certain Philippe Roi (mais roi de quoi, au juste ?), qui se présente sous X comme “chercheur en sciences cognitives” (on lui souhaite de finir par les trouver). Il nous assène ceci, avec les horripilants hashtag de rigueur, évidemment :
« Un grand #écrivain est d'abord un insatiable #lecteur. C'est par la #lecture qu'il érige des monuments littéraires qui traversent les âges grâce à leur résonance dans l’âme humaine. Ses écrits deviennent alors des balises qui dessinent un chemin pour les esprits à venir. »
M. Roi, mine de rien, comme en se jouant, vient donc d'inventer les mots-balises. Qui, en outre, sont capables de dessiner des chemins réservés aux esprits.
Midi. — Comme il était prévisible, l'élection de Donald Trump a instantanément fait éclore chez Dame Ternette toute une génération spontanée de géopolitologues pour qui la politique américaine ne saurait avoir le moindre secret. Et tout ce petit monde tire à hue et à dia, sans se soucier de ce que peut déclarer son voisin de blog, tout aussi péremptoire qu'il l'est lui-même. Cela va de l'impayable Renépol qui, imperturbable et pontifiant comme à son ordinaire, nous dresse la liste de tout ce que va faire et ne pas faire Trump durant les quatre prochaines années, jusqu'à Fredi Maque qui, enivré par les capiteuses vapeurs venues d'Outre-Atlantique, nous annonce solennellement la mort subite du wokisme, sans paraître se souvenir que Trump a déjà été président durant toute une olympiade et que, sous son règne assez ubuesque, le wokisme en question n'a cessé de croître et de prospérer, aussi bien aux États-Unis qu'ici.
— On a du mal à se persuader de ce que, à la naissance de Stendhal, Diderot était toujours vivant (pas pour longtemps, certes…), et Voltaire et Rousseau morts depuis moins de cinq ans. On a beau faire : leurs “siècles” respectifs refusent de s'aboucher. De même, lorsque le jeune Stendhal recommande à sa sœur cadette, Pauline, de lire Phèdre ou Athalie, on peine à se rendre compte qu'il n'est pas plus éloigné, dans le temps, de Racine, que nous le sommes de Proust.
Vendredi 8
Huit heures. — Descendant chercher mon pain, je me suis arrêté au locker de Saint-Aquilin pour y récupérer les saisons 1 de Columbo et de Ally McBeal : quand visage pâle rentrer beaucoup dvd, hiver très rude...
— Un exemple parmi cent autres. Vétéran de la guerre civile et chef du parti à Azov près de Rostov, Vassili Doudarev fut arrêté, comme tant d'autres, en 1937 et exécuté peu après. Sa femme, Irina, remua ciel et terre pour avoir de ses nouvelles, jusqu'à sa propre arrestation en 1938, pour non-dénonciation de son mari, “ennemi du peuple”. Libérée six mois plus tard, elle recommença à chercher Vassili, écrivant des centaines de lettres aux autorités soviétiques. N'ayant jamais rien su de son exécution dès 1937, elle poursuivit ses recherches jusqu'à sa propre mort, en 1974. Au moment du “dégel”, en 1956, elle avait refusé, comme on l'y invitait, de réintégrer le Parti communiste.
— Une chose, en tout cas, apparaît clairement : à l'exception notable des Juifs, il était, dans les années trente, nettement préférable de vivre dans l'Allemagne nazie que dans la Russie communiste. Ne parlons même pas de l'Italie fasciste ou de l'Espagne franquiste qui, par comparaison, semblent de vrais petits paradis.
Dix heures. — Réflexion (si l'on peut dire...) de Fredi Maque, que l'élection américaine semble décidément avoir bien secoué :
« Eh ben moi je préfère un électeur de Macron à une larve sur son canapé. Lui au moins s'est bougé le cul. »
La larve que je m'obstine à être aurait pu lui faire remarquer qu'en janvier 1933, tous les Allemands ayant voté pour le parti nazi se sont, eux aussi, “bougé le cul” ; et doivent donc, à ce titre, mériter sa révérence. Mais les grenouilles démocratisées sont ainsi : elles aiment se faire croire qu'elles ont elles-mêmes choisi leur maître.
Midi. — L'information qui me laisse perplexe : d'après les tricoteuses emmetooflées, le parquet de Saint-Étienne aurait ouvert une enquête pour « harcèlement sexuel aggravé par l’utilisation d’un support numérique. »
J'ai beau me mettre la cervelle au court-bouillon, je ne parviens pas à me représenter la manière dont on peut aggraver un harcèlement sexuel au moyen d'un support numérique. Serait-ce donc moins grave de harceler sexuellement en se servant d'un support physique ? Un matelas pneumatique ? Une planche posée sur deux tréteaux ? L'étal d'un boucher ? Un tronc d'arbre fraîchement scié ? Nous vivons des temps bien mystérieux.
Deux heures. — La factrice a déposé dans la boîte qui lui est réservée La Fin de l'homme rouge de Svetlana Alexeievitch, dont je n'avais jamais entendu parler bien qu'elle eût été lauréate du prix Nobel de littérature voilà quelques années — 2015, je crois.
Quatre heures. — Je viens de recevoir un commentaire sous un billet vieux de 16 ans. Celui-ci.
— Depuis quelques jour, ma journée de lecture est parfaitement réglée. Du lever au déjeuner : Les Chuchoteurs de Figes ; du déjeuner au goûter : la correspondance de Stendhal ; du goûter au dîner : journal de Léautaud.
— À propos de Léautaud. En octobre 1922, il note qu'il héberge chez lui 45 chats (plus la quinzaine de chiens dont il ne fait pas mention ce jour-là). Elle devait sentir bon, la maison de Fontenay...
— Trois pages plus loin, lisant l'entrée, assez anodine, du 17 novembre, je ne peux m'empêcher de penser qu'au même moment, à quatre ou cinq kilomètres du bureau de Léautaud, Proust entrait en agonie. C'est parfaitement idiot (je parle de mon rapprochement calendaire).
Samedi 9
Huit heures. — Je tombe sur l'intitulé d'un séminaire qui s'est déroulé à l'université de Paris-Nanterre voilà maintenant près de deux mois (déjà ? Comme le temps passe, mon Dieu !) : « Patrimonialisation des jeux vidéo »
Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, bon sang ? Qu'est-ce que ça essaie de dire ? Pour commencer, je défie qui que ce soit de prononcer correctement du premier coup ce vocable barbare : patrimonialisation. Rien que cela suffirait à le disqualifier, leur putain de séminaire, si on veut mon avis.
— Même sous les tortures les plus effroyables, je serais incapable de dire pourquoi chaque mois, et depuis des années, je touche une retraite de 3,32 €, versée par la Mutuelle sociale agricole (MSA pour les intimes). Aurais-je, un lointain été où j'étais particulièrement ivre, participé à des moissons dont j'aurais perdu tout souvenir une fois dessaoulé ? Tout est possible...
Dix heures. — Il serait bon que je me transportasse à la Case pour vérifier que, comme je le crois, je possède bien le roman du Soviétique Constantin Simonov, intitulé Les Vivants et les Morts. S'il s'y trouve effectivement, on pourra en déduire que je l'ai lu, ce dont je ne garde pas le plus petit souvenir.
Après ma mort, j'aimerais bien être réincarné dans la peau d'un individu doté d'un cerveau en état de marche. Pour changer un peu.
Cinq heures. — Dans ce journal de Léautaud, il y a des passages que, dans cette relecture que j'en fais, je saute systématiquement. Ce sont ses nombreuses pages de geignardise, à propos des avanies que lui fait endurer sa maîtresse, Anne Cayssac, alias Le Fléau : elles me donneraient envie de le secouer et de l'assaisonner d'épithètes peu flatteuses ; ce qui est très frustrant pour moi puisque, en raison de sa mort, je ne puis m'offrir ce défoulement.
A-t-on idée, aussi, de s'amouracher d'une telle bonne femme ? D'une vieille poule revêche, aussi stupide qu'acariâtre, et qui, de surcroît, si l'on en juge par les rares photos d'elle disponibles, se situe physiquement aux frontières de l'imbaisable ? Je sais bien que “des goûts et des couleurs, etc.” , mais tout de même...
La seule compensation à mon énervement est de me dire que la seule trace que Mme Cayssac laissera dans l'histoire de l'humanité, c'est justement le portrait que son amant masochiste a tiré d'elle — portrait qui “n'est pas dans un pot”, pour reprendre une expression léautaldienne.
Dimanche 10
Midi. — La franche rigolade dominicale. Un auto-proclamé “artiste” s'interroge gravement sous X :
Pourquoi on parle des HOOLIGANS Israéliens qui se sont fait tabasser ? En quoi cette info concerne la France ? On est Israéliens ?
Voilà un garçon qui devient réellement comique, dès lors qu'il n'essaie pas de l'être. D'abord par sa curieuse conception de l'information, que l'on pourrait d'ailleurs pousser un cran plus loin : pourquoi les journaux de Bilbao ou de Séville parlent-ils des inondations de Valence, alors qu'elles ne concernent ni l'Andalousie, ni le Pays basque ? Pourquoi mon voisin m'informe-t-il d'une panne d'électricité dans la rue des Courts-Sillons alors que j'habite rue de l'Église ?
Le comique de l'autre abruti est redoublé par le fait que, sur son propre compte X, on s'occupe à 80 % du “génocide” palestinien. Qui, pourtant, lui non plus, ne concerne en rien la France. Il est vrai que “assumer ses contradictions” fait partie du charme toujours un peu folklorique de la gaucho-wokitude. Et puis, les antijuifs, quel que soit le nom derrière lequel ils se camouflent, n'ont jamais brillé par la grande cohérence de leur esprit.
Quatre heures. — Les voisins Volvo sont toujours occupés à installer leurs guirlandes de Noël extérieures. Je me demandais hier pourquoi ils laissent grand ouvert le coffre de leur voiture quand ils sont dehors. Je viens de comprendre : c'est pour pouvoir profiter du flot ininterrompu de musique de merde qu'elle leur dispense généreusement. Je suppose que, comme tous les imbéciles, ils doivent s'être concocté une playlist ; voire plusieurs.
— Je tombe, à la croisée des chemins X, sur ceci, déclaré solennellement par un certain M. Lejoindre :
Pour cette rentrée scolaire, nous avons distribué des dictionnaires aux élèves de 6e de nos collèges. Outil précieux dans la scolarité pour échanger, se former, le dictionnaire offre un accès à notre langue, favorise l’émancipation et aide à l’intégration dans la vie citoyenne.
Comme quoi on peut être maire du 18ème arrondissement et être aussi une pompeuse baudruche. Doublée d'un âne qui croit qu'un dictionnaire sert à intégrer dans la “vie citoyenne”, expression par ailleurs dénuée du moindre sens.
Cela dit, notre baudet encharpé n'est peut-être pas complètement perdu, puisqu'il s'est tout de même avisé qu'un dictionnaire, aussi multi-fonctions qu'un couteau suisse, pouvait accessoirement “offrir un accès à notre langue”. C'est encourageant.
Lundi 11
Sept heures. — Parce qu'il venait tout juste d'atterrir sur Netflisque, nous avons, hier soir, décidé de regarder Cry Macho, l'avant-dernier film de (et avec) Clint Eastwood, datant de 2021. Nous avons jeté l'éponge au bout d'une demi-heure de cette chose ennuyeuse, manquant cruellement d'ossature, de rythme et, qui plus est, pas très bien jouée. Il y avait déjà quelque temps que je n'avais pas vu Eastwood, j'en ai été assez impressionné : c'est un peu brutal à dire mais, avec son visage très émacié et ses yeux saillants, il commence à ressembler à son futur cadavre.
Pour effacer cette pénible impression, nous sommes passés au premier épisode de la première saison de Columbo, reçue il y a quelques jours. Semi-déception : soit cette histoire inaugurale n'est pas à la hauteur des suivantes, soit mon souvenir a enjolivé l'ensemble de la série ; toujours est-il que j'ai trouvé l'intrigue bien faiblarde.
Et puis, il s'est produit une chose bizarre, pour l'inconditionnel des v.o. que je suis : je me suis aperçu, dès l'apparition du personnage éponyme, que je regrettais d'entendre Peter Falk plutôt que sa doublure française, laquelle m'a toujours semblé parfaite. Évidemment, j'aurais pu faire basculer le dvd en v.f. Mais, alors, il aurait aussi fallu supporter les autres acteurs en version doublée. Déjà qu'ils n'étaient pas bien bons avec leurs voix d'origine… j'ai reculé devant l'obstacle.
Et je découvre à l'instant, chez Dame Wiki, que l'épisode vu hier soir, qui date de 1971, a été réalisé par un jeune cinéaste de 25 ans : un certain Steven Spielberg.
Par ailleurs, j'apprends également que l'un des acteurs de Boston justice dont le nom m'intriguait — René Auberjonois — est un descendant direct, par sa mère, du maréchal Murat, éphémère roi de Naples, et de Caroline Bonaparte, sœur de qui l'on sait.
— À Montreuil, la mairie avait organisé récemment une journée de sensibilisation autour des trottinettes. Problème aussi urgent que grave, on en conviendra. Finalement, ce grand événement a été ajourné sine die. Parce qu'il menaçait de pleuvoir. Sage annulation : il ne s'agirait pas que tous ces petits jeunes gens s'enrhument.
— J'en ai plus qu'assez de ces lauréats d'un prix Nobel — médecine, physique, chimie, quand ce n'est pas littérature ou “de la paix” — qui, sous prétexte d'une autorité que leur confèrerait leur prestigieux hochet, se croient tenus d'avoir un avis péremptoire sur tous les sujets, et de préférence dans des domaines où ils n'ont aucune autorité particulière : politique, diplomatie, immigration, climat, etc. Renvoyons-leur dans les gencives Molière et ses Femmes savantes (IV, 3) :
Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.
Qu'ils mettent l'alexandrin dans leur poche et leur mouchoir par-dessus.
— Quand, après la guerre, Staline a lancé sa grande offensive antijuive, que seule sa mort a interrompu en 1953, il a compris qu'il ne fallait pas qu'elle se voie trop (la découverte des camps nazis n'était pas si éloignée dans le temps). C'est pourquoi les journaux et les dirigeants du parti de tous échelons désignaient leurs cibles comme “sans racines” ou “cosmopolites” ou encore “antipatriotes”, mots nettement plus sortables qui permettaient de casser du youpin en gardant la tête haute, et intacte sa vertu communiste.
Aujourd'hui, nous avons “antisionistes”, qui est très joli et bien pratique aussi.
Trois heures. — Le 4 décembre 1923, Léautaud note l'arrivée dans son bureau du Mercure d'un tout jeune homme, journaliste : Charensol. Et je me souviens, moi, de ce même Georges Charensol en vieux monsieur, lorsque je l'écoutais dans la seconde moitié des années soixante-dix, au Masque et la Plume ; dont je puis dire avec le recul, et pour avoir réécouté plusieurs de ces émissions sur ToiTube, qu'il était l'un des rares intervenants supportables, tout à l'opposé de Jean-Louis Bory, avec son prêchi-prêcha militant, débité d'une voix de garçon coiffeur fofolle.
Six heures. — Triste journée-sous-X, pour ce qui me concerne. D'abord parce que le digne professeur Saint-Graal a passé son compte en accès privé. Ça le prend de temps en temps. Heureusement, accro comme il semble être à sa micro-popularité, il redevient généralement raisonnable au bout de deux ou trois jours. En attendant, je suis frustré de mon comique favori.
Comme si ça ne suffisait pas, voici qu'à l'approche de nouvelles téléthonades, la vice-présidente, sur son propre compte, n'en a plus que pour les petits enfants ratés, je veux dire : affligés de maladies-pas-vraies (quoique tristement réelles et efficaces). Alors que je la préfère nettement quand elle part guerroyer contre les stars tripoteuses de foufounes non consentantes.
Bref: un novembre qui fait dans le grisâtre, pour ne pas dire le lugubre.
— De Léautaud, à propos de son cher Fléau (3 mars 1924) :
C'est le seul côté par lequel elle est femme, d'être fermée à la plaisanterie, à l'ironie, à la légèreté des choses littéraires et aux choses littéraires elles-mêmes.
Léautaud est le seul écrivain que je fréquente qui, par comparaison avec lui, me fait me sentir presque féministe, et même progressiste. Ce qui est bien agréable et reposant.
Mardi 12
Trois heures et demie. — Dernière tontine de l'année. Et, celle-ci, elle sera comme la guerre de 14 : la der des der.
— Juste avant cet exercice salutaire, j'avais tourné la dernière page (encore une der des der) des Chuchoteurs d'Orlando Figes, livre majeur. Il s'ouvre en 1931, sur Antonina Golovina, sept ans, expulsée en une heure de son village natal avec sa mère, ses frères et sœurs. Leur crime : être enfants et femme d'un koulak, arrêté, lui, l'année précédente. Sept cents pages plus loin, le livre se referme en 2004, sur Antonina Golovina, 78 ans, qui, revenant dans ce qui reste de son village natal, trouve enfin la force, elle qui a dissimulé durant des décennies ses origines “honteuses”, de dire à haute voix et en public : « Je suis la fille d'un koulak ! »
J'enchaînerai demain matin avec La Fin de l'homme rouge de Mme Svetlana Alexievitch : à tant faire que d'être en Russie depuis une dizaine de jours, autant y rester encore un peu.
— Phrase de Léautaud : « Le paragraphe me visant chambré au crayon bleu. » Certes, je comprends bien que le dit paragraphe doit être entouré d'un trait de crayon bleu, pour attirer l'attention sur lui. Mais je n'avais encore jamais rencontré l'adjectif chambré utilisé dans ce sens. Qui, à la réflexion, est assez logique.
Six heures. — Je n'apprends qu'à l'instant qu'un quelconque politicien sur le retour a proposé que le 11 novembre cessât d'être férié ; pour des questions de gros, ou plutôt de petits sous. Évidemment, tout le monde (soit 12 personnes) va penser que c'est cette dérisoire momie qui m'a inspiré mon petit billet d'hier. Et personne ne croira à la simple coïncidence. Ce qui m'amuse plutôt.
— 6 janvier 1925, date importante : c'est ce jour-là que Marie Dormoy fait son entrée dans la vie et le journal de Léautaud. C'est parti pour les 31 ans qui viennent...
Mercredi 13
Six heures. — Une blague russe, des années Brejnev : Un communiste, c'est quelqu'un qui a lu Marx ; un anticommuniste, c'est quelqu'un qui l'a compris.
À part ça, je me demande ce que je fichais hors de mon lit dès cinq heures et demie du matin. Il est vrai que, quand on se couche à dix heures moins le quart, n'est-ce pas...
Sept heures. — On est d'accord : l'homme ne vit pas que de pain. Mais il doit quand même descendre à Pacy pour en acheter.
Trois heures. — Dans mon billet de ce matin, j'avais commencé un paragraphe par cette phrase : « Il s'agit, dans les deux cas, d'aller au devant de ces fameux et difficilement saisissables “vrais gens”, afin de les faire parler d'eux-mêmes avant qu'ils ne disparaissent. » Puis, m'avisant que l'on parlait généralement de bonnes gens et non de bons gens, j'ai corrigé et mis “vrai” au féminin. Lors d'une première relecture, je me suis aperçu que je ne pouvais, de ce fait, laisser “fameux” au masculin ; je l'ai donc illico dégenré. Mais, en me re-relisant, j'ai méchamment trébuché sur “eux-mêmes” et sur le “ils” qui suit. Pouvais-je les remplacer par “elles-mêmes” et par “elles” ? Non, c'était par trop bizarre. Mais alors, ma phrase devenait dangereusement bancale…
Durant une petite minute, j'ai été à deux doigts d'abandonner cette saloperie de langue française pour me mettre à l'espéranto.
Cinq heures. — Comme j'ai pris l'habitude de le faire chaque fois que je rencontre un écrivain dans le journal de Léautaud, je viens de descendre au sommier Ouiki pour voir ce qu'on pouvait encore trouver chez nos éditeurs actuels des œuvres de Georges Faillet, alias Fagus. Verdict sans appel : aucune. Ce n'est plus un cimetière, ce journal, c'est une vraie nécropole. La nécropole Léautaud.
— Quand on connaît le sens du mot en argot, il est amusant de découvrir qu'il a pu y avoir, à Paris et au début du XXe siècle, un poste de police dans la rue de Condé.
Jeudi 14
Sept heures. — Aujourd'hui, déjeuner Desgranges.
— Petit Loup, qui mange comme quatre chats adultes, a un ventre tellement rebondi qu'il m'arrive de l'appeler Petit Nicolas... ce qui n'a pas l'air de le déranger pantoute.
Onze heures et quart. — Sur la route, peu avant Verneuil-sur-Avre. Je viens d'être doublé par une camionnette, affichant fièrement sur ses portières arrières ce slogan : « Voiture pilote... au service de l'exceptionnel ! » Je me suis arrêté au premier parking pour le noter, ayant trop peur de l'oublier. Bon, je repars...
Sept heures du soir. — Michel et moi avons beaucoup parlé (surtout lui, qui lit la presse américaine) de l'élection “royale” de Donald Trump qui, comme bien l'on pense, nous réjouit fort tous les deux, notamment par les mines de carême au carré qu'elle provoque chez les petits hommes verts de la planète progressiste. Et aussi pour l'entrée d'Elon Musk au gouvernement fédéral, qui les fait se tordre telles des anguilles dans une bourriche.
Il fut aussi question du procès des ducs mené, à la fin du XVIIe siècle, et à l'instigation du tout jeune Saint-Simon, contre Monsieur de Luxembourg, mais c'est un peu trop délicat pour que je me lance ici dans une tentative d'explication, même sommaire.
— Comme prévu, le Saint-Graal a remis son compte X en open bar. Et est reparti comme en 14 pour la grande chasse aux fascistes.
Vendredi 15
Midi. — Double visite chez le vétérinaire : vaccination de Charlus et de Petit Loup + achat de vermifuge et anti-puces félins. Bilan de la sortie : 175 €. La compagnie animale n'est pas un plaisir de salaud-de-pauvre, on dirait (sans même parler de la nourriture). Mais enfin, ça reste nettement moins onéreux et emmerdant que des enfants : au moins, les chats et les chiens, on est sûr qu'ils ne deviendront ni wokes, ni pro-palestiniens, une fois arrivés à l'adolescence. Et encore moins véganes.
Samedi 16
Trois heures. — Déclaration péremptoire d'un écolo-crétin : « En 90 minutes, les 1% les plus riches de la planète émettent plus de CO2 qu'un individu moyen pendant toute sa vie. »
Qui a mesuré cela ? Et comment ? Selon quels critères ? Validés par qui ? Etc. Et puis, ils sont combien, exactement, ces terrifiants un-pour-cent-les-plus-riches ? Du reste, peu importe : le principal est d'asséner. Décidément, pour mentir, tromper, raconter n'importe quoi, il n'y a rien de mieux que les chiffres.
— Léautaud comique (histoire de se purger l'esprit du sinistre guignol ci-dessus). Il revient régulièrement, avec force soupirs, sur l'argent qu'il pourrait gagner, en satisfaisant aux demandes alléchantes d'un certain nombre d'éditeurs, à commencer par le Mercure de France. La chose tourne au running gag. Par exemple, en 1926 où je suis rendu, voilà près de vingt ans qu'il se promet de rééditer Le Petit Ami (1903) et d'éditer en volume In memoriam, paru uniquement dans le Mercure en 1905. Seulement, avant, il doit absolument remanier ces deux textes, dont il est loin, avec le recul, d'être satisfait (satisfait, il ne l'est presque jamais, et jamais pour bien longtemps). Or, gémit-il, il n'a pas le temps : son emploi au Mercure, ses bêtes à s'occuper, les tortures incessantes que lui inflige son imbécile de maîtresse, etc. Résultat : plus une minute pour écrire vraiment...
Et que fait-il chaque soir, une fois tranquille chez lui à Fontenay ? Il passe des heures à noircir des pages et des pages de son journal, pour se plaindre qu'il n'a pas le temps d'écrire et pour se lamenter sur l'argent qu'il perd à cause de cela.
Autre running gag léautaldien : il se trompe systématiquement sur son âge. Dès qu'il l'évoque, soit il s'attribue un an de moins qu'en réalité, soit il se vieillit d'autant, mais il ne tombe presque jamais juste. Et, quand ça lui arrive, on sent bien que ce doit être le fait du hasard.
— Sinon, pour en revenir à nos abrutis contemporains, je tombe sur un scribouillard-sous-X qui se présente ainsi : « Journaliste dans la bordure extérieure niché dans la société du spectacle. »
J'ai bien cru comprendre que, dans l'esprit embrumé de ce jeune godelureau, c'était une façon powétique de nous faire comprendre qu'il ne travaillait en fait nulle part. Ce qui est sans doute une chance pour tout le monde.
— Pour compléter ma galerie de guignols-sous-X du jour, un dernier, qui se présente lui-même ainsi : « Journaliste, virologue, sociologue, coach de vie, naturothérapeute, constitutionnaliste, philosophe. »
Il aurait pu nous résumer tout cela d'un seul mot : charlatan. Ou bon à rien, mais ça fait trois mots.
— Quand les associations de metooffettes accusent de viols un Tarik Ramadan, c'est l'intersectionnalité des luttes qui en prend un vieux coup derrière les étiquettes : si les damnés de la terre et les invisibilisées se mettent à s'accuser entre eux, le Grand Soir s'en trouve remis aux calendes, et le VMBT (Vieux Mâle Blanc Toxique) se frotte les mains en rigolant doucement.
Dimanche 17
Six heures. — Jusqu'où va-t-on descendre, ou plutôt remonter ? Je lisais hier une greluche décérébrée-sous-X qui relayait très sérieusement une “information” selon laquelle les Israéliens auraient stérilisé toutes les femmes juives arrivées d'Éthiopie, parce qu'ils ne veulent que des Juives blanches : on est revenu au niveau de nos grands-parents médiévaux, persuadés que les Juifs empoisonnaient puits et cours d'eau pour provoquer des épidémies de peste chez les Gentils, et qu'ils remplaçaient la dinde de Noël par de grandes rasades de sang prélevées chez les bébés chrétiens qu'ils venaient tout juste d'égorger. Je dois tout de même préciser que la quasi totalité de ses followers se foutaient copieusement de la gueule de cette sinistre imbécile.
— Je demeure assez frappé par le nombre élevé de journalistes “indépendants” (traduisez par : sans travail), tous évidemment jeunes et d'extrême gauche, qui grenouillent dans des associations “vigilantes” dont personne n'entendra jamais parler et qui semblent avoir pour principale occupation de tenter d'attirer quelques dons d'argent vers les poches vides de leurs douze ou quinze adhérents. Je sais depuis belle lurette que le journalisme est essentiellement un métier de charlatans, de bonimenteurs, quand ce n'est pas d'escrocs ; mais, là, ça va finir par se voir, même aux yeux des populations “qui n'ont pas la carte”.
— Quand Dieu a eu créé la terre, il l'a parsemée d'herbes, de fleurs et d'arbres. Comme il était encore en pleine forme, ce fut une parfaite réussite. Il aurait probablement dû s'en tenir là.
Dix heures. — Par un détour inattendu (enfin, non, pas tant que ça), Mme Alexievitch m'a donné envie de relire Ivan Bounine — son prédécesseur de 80 ans dans la liste des Nobel . La Vie d'Arseniev, qui somnole quelque part dans la Case, entre Tchékhov et Chalamov probablement.
— Sinon, toujours grâce à Mme Alexievitch, décidément fort précieuse, je viens de découvrir l'existence de la République d'Abkhazie, territoire coincé entre la Mer Noire et les monts du Caucase, qui s'est séparé de la Géorgie en 1992. Dame Ouiki nous recommande vivement de ne pas confondre cet État avec la République autonome d'Abkhazie (c'est moi qui souligne) : je m'en garderais bien, pensez !
Les Abkhazes semblent être des gens enclins à se poser toujours les questions essentielles ; comme par exemple celle-ci : « Comment éteindre de l'eau qui brûle ? » C'est en effet un problème.
Midi. — « Pensez-vous qu’il est possible pour une femme de faire de la politique sans être harcelée, agressée, dénigrée et insultée par des sociopathes ? Il est temps que le milieu politique se purge des harceleur »
Et pense-t-elle, cette brave conseillère municipale de Pourrières (83), qu'il soit possible pour une femme de se mêler de faire des phrases, en ignorant le subjonctif, le pluriel et la ponctuation ?
— Plus ou moins envie d'acheter et de lire Mes poisons de Sainte-Beuve. Je me demande bien pourquoi.
Trois heures. — Jean Cassou et Paul Léautaud parlent de Maurice Martin du Gard et de son envie de briguer un siège de député. Le second écrit :
« Il paraît que Martin du Gard a déjà tenté quelques essais, en disant, pour définir sa nuance politique, qu'il est de “l'extrême centre”. Cassou dit que c'est une trouvaille bien curieuse : l'extrême centre. Rien de plus comique que de voir ces deux mots réunis. »
La “trouvaille” a donc cent ans. Et elle a beau avoir été bouffonne dès sa naissance, cela n'empêche pas certains de nos contemporains de l'utiliser comme une nouveauté remarquable, et avec un sérieux pontifical.
— Paul Valéry, ce pur esprit... Un libraire vient lui dire qu'il connaît un amateur désirant fort acquérir le manuscrit d'Eupalinos et prêt à mettre cinq mille francs dans l'affaire (nous sommes au début des années vingt). Problème : il n'existe pas de manuscrit de cette œuvre, Valéry l'ayant détruit après impression du livre. Mais tout de même : ces cinq mille francs... bien tentants... Et Valéry de proposer froidement au libraire de lui confectionner un nouveau manuscrit “original” pour ne pas rater une si belle vente. Ce qui fut accepté, fait, et vendu.
Avide... et récidiviste puisque, nous dit Léautaud, ayant trois ou quatre amateurs pour le manuscrit de La Jeune Parque, Valéry composa immédiatement, de sa belle plume éthérée, autant de manuscrits qu'il avait d'acheteurs.
Cinq heures. — Durant tout le temps où j'ai travaillé, je me suis toujours, dans les histoires de salaires, d'augmentations, de tarifs de pige, etc., considéré comme un négociateur au-dessous du médiocre — très au-dessous même. Mais, sitôt que je me compare à Léautaud, je me fais l'effet d'avoir été un vrai petit Talleyrand de presse.
Ainsi se plaint-il constamment du salaire dérisoire — et qui l'est effectivement — qu'on lui alloue au Mercure. Il s'en plaint dans son journal, il s'en plaint aussi auprès de beaucoup de ses interlocuteurs... sauf auprès d'Alfred Vallette qui, en tant que son patron, à la haute main sur le dit salaire.
— Chez Champion, Léautaud discute un moment avec deux des employés de la librairie, un homme et une femme. Leurs noms ? M. Lamotte et Mme Frotti. Il n'y a qu'à lui que ça pouvait arriver, une aussi belle rencontre.
Lundi 18
Huit heures. — Je suis toujours aussi fasciné par les gens qui, en voyage quelque part dans le monde, croient essentiel de publier sur internet la photo, souvent ratée, de ce qu'ils s'apprêtent à manger dans une gargote locale. Mais plus encore par ceux qui, de passage en Guinée, ou en Azerbaïdjan, ou dans la pampa argentine, vous font partager leur pizza ou leur plateau de sushis, quand ce n'est pas leur Big Mac. Qu'est-ce qui peut bien se passer dans la tête de ces imbéciles-là ?
— Parlant des années 90 en Russie (gabegie Eltsine, dépeçage de l'ex-URSS...), l'une des voix qui s'expriment dans le livre de Svetlana Alexievitch a une formule simple mais saisissante : « Il y en a qui ont eu le gruyère, et d'autres, les trous du gruyère. »
Trois heures. — Dans sa “Chronologie”, qu'il publie chaque jour sous X et que je ne manque jamais, Renaud Camus note qu'il lit depuis deux ou trois jours Pascal par gros temps, livre que Pierre Moulier (orthographié Moulié par Camus...) a consacré récemment au philosophe clermontois, et dont j'ignorais l'existence. En général, depuis que nous nous connaissons “en vrai”, Moulier et moi, il me tient au courant de ses diverses parutions (c'est un homme qui écrit beaucoup), voire me les envoie gracieusement, dès lors qu'elles concernent l'Auvergne — ce qu'elles font d'ailleurs toujours. Mais, là, rien. Je suppose que, me connaissant, il a dû se dire qu'un livre traitant de philosophie allait me passer au-dessus de la tête, que j'en serais aussi embarrassé que la poule qui vient de trouver un couteau. Ce en quoi il a eu sans doute, et malheureusement, raison.
Cinq heures.
— Sur RTL ce matin, imitant François Hollande, Laurent Gerra a parlé de
ToiTube au lieu de YouTube : va falloir que je songe à lui demander des
droits d'auteurs, à ce coco-là…
— J'ai souri, il y a un instant, grâce à cette fière annonce d'un quelconque universitaire-sous-X :
Au sommaire de Collateral ce 18 novembre : Felicia Viti en grand entretien avec Jean-Michel Devésa & découvrir l'univers scénique et politique de Milo Rau avec Delphine Edy
En clair : dans une obscure revue que nul ne lit, vont s'entretenir gravement d'illustres inconnus, à propos de gens dont tout le monde ignorera probablement toujours la laborieuse existence.
Si j'ai souri c'est que ce paragraphe m'a fait irrésistiblement penser à l'une des premières scènes du film OSS 117 à Rio, où l'on voit Jean Dujardin arriver dans les locaux du SDECE, saluer un à un ses collègues par leurs noms avant de se livrer avec eux à une sorte de name dropping, qui n'est drôle que parce qu'il ne concerne que de complets et anodins inconnus, rendant cet échange à quatre ou cinq voix totalement incompréhensible, et vaguement surréaliste, pour le spectateur. Du reste, il en en va assez souvent ainsi sous X, où l'entre-soi partisan, voire monomaniaque, favorise ce genre d'absurde.
Mardi 19
Sept heures. — J'apprends à l'instant la mort, hier, de Charles Dumont, 95 ans, dont le principal, et même unique mérite, à mes yeux, fut d'avoir composé quelques-unes des dernières bonnes chansons d'Édith Piaf, dont bien sûr celle qui marqua le début de leur collaboration en 1960 : Non, je ne regrette rien.
Par association d'idées, je me suis demandé si mon ami le photographe Hugues Vassal était toujours de ce monde. Eh bien, non, il ne l'est plus : mort à presque 90 ans, en avril de l'année dernière. Quand je dis “mon ami”, j'exagère, dans la mesure où je n'ai, en tout et pour tout, passé qu'une demi-journée en sa compagnie, à Tours où il a vécu ses dernières années. Mais, comme on dit, le courant avait immédiatement et très bien passé entre nous. Et je crois qu'il n'avait pas été mécontent de la série d'articles que j'avais ensuite écrits pour France Dimanche ; évidemment consacrés à Piaf. J'en avais même, de cette rencontre unique, tiré un billet assez approximatif pour le blog-mère. Il avait été question, dans les mois qui ont suivi, que nous écrivissions un livre ensemble, mais le projet s'est finalement ensablé jusqu'à disparaître. Il est vrai qu'à l'époque, 2013 ou 14, je commençais à devenir un tantinet fainéant du clavier et que, donc, je n'ai pas dû montrer un enthousiasme excessif, ni une énergie débordante. Peut-être Vassal s'est-il finalement adjoint les services d'un “nègre” plus jeune, et donc plus vaillant que le presque sexagénaire que j'étais alors. Ou bien, ça me ressemblerait assez, j'avais fait montre d'une rapacité financière propre à décourager les meilleures volontés. Exiger beaucoup d'argent est toujours un excellent moyen de dire non sans avoir à le dire vraiment. Et si, malgré cela, l'affaire se fait tout de même, au moins on travaille pour quelque chose...
(En revanche, j'avais oublié avoir, quelques jours plus tard, publié aussi une photo de cette mémorable rencontre. Et, puisqu'on est dans les pertes de mémoire, je ne me souvenais pas d'avoir jamais été aussi gros...)
— Petit Loup est chez nous depuis près de trois mois. Durant ce temps, il a multiplié son poids par cinq, passant de cinq cents grammes à deux kilos et demi, alors qu'il a tout juste quatre mois. On commence à se demander à quoi il va ressembler une fois adulte...
— C'est aujourd'hui, m'apprend Catherine, hilare, la journée mondiale des toilettes. Et je découvre dans la foulée qu'il existe bel et bien une Organisation mondiale des toilettes, laquelle est basée à Singapour, on se demande pourquoi. (Ou plutôt non, on ne se le demande pas...) Jusqu'où allons-nous descendre, avant l'extinction terminale ?
Dix heures. — J'en ai terminé avec Mme Alexievitch. Subissant malgré moi la pernicieuse influence de Me Rosalie, je viens de ressortir de mon étagère russe Le Docteur Jivago de Pasternak, roman qui, pourtant, ne m'a pas laissé un souvenir bien enthousiaste (mais ce peut être, justement, l'occasion d'une révision à la hausse…). Mais quoi : je n'avais pas envie de quitter la Russie aussi vite...
Première
bizarrerie : dans l'édition Folio que je possède, il est indiqué :
“Traduit du russe”, sans indication du nom du traducteur. Voilà qui
risque de nous mettre le digne professeur Saint-Graal de fort mauvaise
humeur…
Onze heures. — Selon Dame Ternette, la traduction sus-évoquée serait due à quatre traducteurs ayant travaillé de concert. D'après Pasternak himself, parfaitement francophone, le résultat serait d'une “noble simplicité”. Donc, si Pasternak le dit, allons-y...
— Le 2 février 1927 (mon Dieu ! Déjà 1927 ? comme le temps file vite, c'est dingue...), Paul Léautaud assiste à une séance de cinéma, ce qui n'est pas dans ses habitudes, très loin s'en faut. Il y découvre un acteur-scénariste-réalisateur nommé Charlie Chaplin, dont on donne La Ruée vers l'or. Ce qui est un peu frustrant pour son lecteur, c'est que, le fait signalé, il n'en dit absolument rien de plus.
Quatre heures. — Il y a des rencontres universitaires (séminaires ? colloques ? tables rondes ? méchouis intellos ?) que l'on s'en veut vraiment d'avoir manquées, tant le menu en était alléchant. Celui-ci par exemple :
Joachim Mileschi examinera les paramètres énonciatifs d'une parole exposée et codifiée qui cherche à mettre en scène son performeur dans sa singularité (dans l'espoir de percer) ET la collectivité qu'il représente
Et dire qu'on ne saura jamais si la parole de ce bon Joachim a réussi à mettre en scène son performeur ! C'est à se flinguer, une frustration de ce calibre...
— Lorsqu'il parle de Robert de Flers, vieux pote de Proust et patron du Figaro, Léautaud l'appelle Flers. Il commet une faute : c'est de Flers qu'il devrait écrire, les noms d'une seule syllabe ne perdant jamais leur particule. D'un autre côté, comme de Flers le traite, lui, Léautaud, de “voyou de lettres”, cette particulectomie n'est peut-être qu'une petite vengeance (mais je ne crois pas).
—
Pour ce même Léautaud, il y a quatre fonctions qui dégradent ceux qui
les exercent : professeur, magistrat, officier et prêtre. Les juges qui
enseignent le droit et les aumôniers militaires, ces cumulards de la
dégradation, sont dans leurs petits souliers... (À part ça, je
rajouterais volontiers “journaliste” en cinquième roue de cet infamant
carrosse.)
Mercredi 20
Huit heures. — Décidément, ce pauvre Pasternak n'a pas de chance avec moi (mais je crois qu'il s'en fout) : j'ai dû lire une soixantaine de pages avant de renoncer. Pas moyen de m'intéresser à toutes ces silhouettes qui surgissent en nombre au fil des courts chapitres. Mais je ne fais aucun reproche à l'écrivain : je crois bien que c'est moi qui, en ce moment, n'ai pas trop l'esprit à lire des romans, ce qui m'arrive de temps à autre. Cela dit, maintenant, il va bien falloir trouver autre chose pour pallier la défection du Jivago...
En outre, je ne peux pas aller inspecter les rayonnages tant que Catherine n'est pas levée, de peur de la réveiller en faisant irruption dans la Case. Ah, elle n'est pas toujours drôle, la vie du lecteur compulsif !
Neuf heures. — Prenons les choses à rebours, puisque le hasard en a ainsi décidé : venant de m'intéresser à La Fin de l'homme rouge, il m'est apparu logique de me (re)pencher sur ses débuts. C'est pourquoi je viens de rapporter au salon les mille pages de La Révolution russe d'Orlando Figes, pavé sous-titré : 1891 — 1924 : la tragédie d'un peuple.
Quatre heures. — Il me semblait que Nicolas II, le dernier tsar, était une sorte de frère jumeau de Louis XVI, en tout cas sur le plan de leurs catastrophiques défauts et incapacités. En réalité, il en était plutôt la caricature. Du reste, comme pour accroître encore le parallèle entre les deux souverains, il est “amusant” de noter qu'au-dessus de son secrétaire, la lamentable impératrice Alexandra avait fait accrocher le portrait de... Marie-Antoinette.
— Est-ce qu'on peut se figurer, parmi des centaines de milliers de gouttes d'eau, l'incroyable fierté qui doit soudain saisir celle qui était destinée à faire déborder le vase ?
Jeudi 21
Six heures et demie. — Je dois faire séance tenante un franc et massif mea culpa. Le camion des poubelles vient de passer à l'instant : juchés à l'arrière, deux éboueurs, un homme... et une femme. J'avais donc tort quand j'ironisais sur le fait que l'on n'entendait pas beaucoup les sœurs metooffues lorsqu'il s'agissait de trouver un féminin à “éboueur”, insinuant par là que l'on n'était pas près de voir ces dames postuler pour de tels emplois, peu valorisants pour l'ego. En revanche, le mantra selon lequel les ordures s'amoncelleraient dans tous nos villes et villages si les braves étrangers ne se dévouaient pas pour venir les ramasser à notre place, ce mantra reste de l'ordre du mythique : mes deux éboueur•ses étaient implacablement de souche. Pour autant que m'ait permis d'en juger l'incertaine lueur dispensée par le réverbère flanquant notre portail.
Sept heures et demie — Rapide aller-retour à Pacy, pour en rapporter du pain et mon tabac à pipe pour un mois (on a changé de “mois carte dorée” ce matin...). Je me suis dépêché avant les chutes de neige qui sont annoncées à partir de neuf heures et devant durer à peu près toute la journée. Je sais bien que nos enneigements normands feraient gentiment sourire un Auvergnat ou un Savoyard, mais justement parce qu'il sont rares, je ne fais pas trop le fiérot quand il me faut les affronter.
À présent que nous voilà parés pour affronter congères et troupeaux d'ours blancs (mais sans quitter la maison...), retournons à la Russie tsariste et pré-révolutionnaire.
Neuf heures et demie. — Pour une fois, la météo ne s'est pas grossièrement trompée dans ses prévisions : l'iBigo m'annonçait de la neige à partir de neuf heures, les premiers flocons sont apparus à neuf heures pile.
Trois heures. — Dans son journal (23 mai 1927), Léautaud se demande pourquoi tant de moribonds ont ce geste de gratter le drap ou la couverture qui les recouvre, comme s'ils voulaient les ramener vers leur tête. Et lui qui a vu mourir chez lui nombre de chats et de chiens note que ces animaux font exactement la même chose, grattant de leurs griffes la surface sur laquelle ils gisent agonisants.
Est-ce que ce ne pourrait pas être la résurgence d'un instinct inscrit au plus profond de l'animal, l'animal humain y compris : celui qui pousse l'être se sentant d'une extrême faiblesse à se creuser un abri dans la terre, à s'enfouir dans le sol, afin de tenter de se protéger contre ses éventuels prédateurs ?
— Il neige toujours, sans interruption aucune depuis neuf heures ce matin ; ce qui, par chez nous, est plutôt rare. Je n'envie pas ceux qui sont partis travailler en voiture ce matin. (D'une façon générale, je n'envie pas les gens qui partent travailler ; mais, là, encore moins.)
Vendredi 22
Sept heures. — Quand on n'est pas habitué aux neiges abondantes, et qui tiennent, on a, se levant le matin, l'impression, encore accentuée par la lumière jaune des réverbères, d'avoir durant la nuit quitté le monde réel pour se retrouver habiter un décor de carte postale de Noël. Ou bien la Russie du XIXe siècle : on ne serait pas surpris de voir soudain la rue de l'Église dévalée par un traîneau à clochettes, conduit par une Karénine villageoise en toque et fourrure.
Dix heures. — Garder toujours présente à l'esprit la sentence de Flaubert : « Dans tout révolutionnaire, il y a un policier. » En témoignent aujourd'hui les centaines de petits flics — et j'y inclus les fliquettes — qui grouillent et écument sous X ou ailleurs, d'autant plus rageurs qu'ils sont impuissants.
Cinq heures. — Léger sursaut en tombant, chez Léautaud (10/10/27), sur l'expression “trop excessifs”, qui m'a infligé le même genre de douleur qu'un ongle incarné dans la chair...
— L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté en Algérie, où il vit, alors qu'il revenait de France. C'était le 16 novembre et, depuis, apparemment, on est sans nouvelles de lui. Une pétition s'est mise à circuler — que je viens de signer — pour réclamer sa libération. Comme Sansal est le contraire d'un islamolâtre, un homme qui pense fort mal donc, et qui ne se gêne pas pour nous alerter sur ce qui va nous arriver si on continue à se prosterner devant les islamopithèques, il n'y a aucune chance pour que l'on voie cette pétition relayée chez Saint-Graal et ses camarades de cloaque ; qui ont leurs bons musulmans, comme les racistes de naguère avaient leurs bons nègres. Or, manifestement, Sansal ne fait pas partie de ceux qu'il est séant, et seyant, de défendre, quand on est un vrai progressiste.
Au lieu de ça, on s'indigne de ce que le Parlement européen a annulé le show que devait faire devant ses malheureux députés une “universitaire antiraciste” — Mediapart dixit —, et qui semble plutôt être une raciste anti-blancs du genre un tantinet hystérique. Cette charmante dame pousse d'ailleurs l'honnêteté et la transparence jusqu'à se prénommer Maboula.
Cette Maboula-là dispense sa bonne parole à l'université de Tours, qui semble donc être une remarquable pépinière de ravagés du bulbe. Cela dit, je comprends mieux l'empressement du Saint-Graal à s'indigner : il file doux, au cas où il croiserait la matrone devant la machine à café.
Samedi 23
Sept heures. — Réveillé il y a une demi-heure, avec l'oreille gauche complètement bouchée. La journée commence bien...
— Dans le coin où vit Michel Desgranges, la neige a eu pour effet, avant-hier, de couper l'électricité ; comme, me disait-il au téléphone, presque toujours en pareil cas. Elle n'était toujours pas revenue hier en début d'après-midi, contrairement aux assurances qui avaient été données aux populations plongées dans la noirceur et, pour beaucoup d'entre eux, dont Michel, dans la froidure, les systèmes de chauffage étant dépendants du courant pour leur bon fonctionnement. Ténèbres et froid qu'il a dû supporter seul, en plus, Agnès se trouvant justement à Paris. D'un autre côté, lire Saint-Simon à la lueur des bougies et emmitouflé dans de vastes pelisses présente un certain sens qui, vu d'ici, ne manque pas de charme. Mais, évidemment, c'est un charme que l'on préfère envisager d'un peu loin, correctement éclairé et bien chauffé...
Dix heures. — Nous avons, hier soir, “bouclé” la deuxième saison de Boston Justice. Comme la suivante, dûment commandée, doit se trouver encore quelque part dans un camion Mondial Relay, nous avons décidé, pour ce soir, de replonger dans notre jeunesse, en regardant les deux épisodes initiaux de la première saison de Mission impossible ; laquelle date tout de même de 1966 : on s'expose peut-être à une sévère déconvenue...
— Tout ce que l'extrême gauche compte de jactologues piaille ce matin pour exiger que ma Maboula d'hier puisse aller faire sa petite causerie au Parlement européen. En brandissant la vieille arme rouillée du fascisme en marche, comme il est de coutume et de règle, évidemment.
Trois heures. — Expédition éclair à la jardinerie de Pacy (les routes étant totalement dégagées de neige) afin d'en rapporter deux gros sacs de graines de tournesol et deux seaux de boules de graisse : il ne s'agirait pas que nos oiseaux crèvent la dalle... En chemin, bref arrêt au locker Mondial Relay pour y récupérer la saison troisième de Boston Justice.
— Parce que je ne cesse de le croiser entre les pages du livre d'Orlando Figes, m'est venue l'envie de relire Maxime Gorki, et plus précisément sa trilogie autobiographique. Je l'ai découverte, sans doute incité à sa lecture par Carlos, lorsque j'étais au lycée à Orléans, donc entre 1973 et 1975 : c'est assez dire l'étendue et la précision des souvenirs que j'en conserve...
— La pusillanimité des écrivains. Au printemps 1906, Gorki débarque aux États-Unis avec sa compagne, la très jolie Maria Andreieva (on trouve des photos d'elle chez Dame Ternette), actrice de son état. Ils sont dans un premiers temps reçus tels des héros, on organise un grand banquet en l'honneur de l'écrivain victime du régime tsariste, au cours duquel Mark Twain prend la parole, en un vibrant discours.
Un peu plus tard, sans doute renseignée par l'Okhrana (la police secrète impériale), la presse américaine apprend que Maria et Maxime ne sont nullement mariés. Cela suffit pour que ces grands cons puritains d'Américains se mettent à les traiter comme des pestiférés (ils se feront même virer de leur hôtel sans ménagements excessifs), y compris Mark Twain qui refusera d'apparaître de nouveau au côté de Gorki. Ce qui, pour rester poli, n'est pas vraiment à son honneur.
— Témoignage de Trotski sur les conditions d'incarcération, en ces mêmes années, à la forteresse Pierre-et-Paul :
« Les cellules n'étaient pas fermées dans la journée ; les promenades se faisaient en commun. Nous passions des heures à jouer à saute-mouton. Ma femme venait me voir deux fois par semaine. Les gardiens de service fermaient les yeux sur nos échanges de lettres et de manuscrits. »
J'ai beau déployer toutes mes facultés d'imagination, je parviens assez mal à me représenter Trotski jouant à saute-mouton ; surtout pendant des heures : les Russes sont de grands enfants, et en plus très souples.
À part ça, il était vraiment temps que les communistes s'emparassent du pouvoir, ne serait-ce que pour mettre fin au scandaleux laxisme régnant dans les prisons du tsar.
Six heures. —
Du côté de nos grandes et belles âmes de gauche, silence toujours aussi
retentissant à propos de Boualem Sansal. Cela dit, c'est un peu bien
fait pour lui, il paie le prix de son inconséquence : il nous aurait
prêché le vivre-ensemble, comme il convient de le faire quand on est
bien élevé, tous ces petits anges de la liberté seraient à son chevet.
Mais quand on s'obstine à faire sa mauvaise tête, n'est-ce pas…
Au fond, nous avons tous nos bons et nos mauvais musulmans. Mais c'est à front renversé : pour nos camarades de progrès, le bon musulman est celui qui défile dans les rues pour dénoncer l'islamophobie et qui vient sur les plateaux télé pour nous expliquer que nous sommes des cochons de colonialistes mal repentis et des putains de racistes systémiques.
(On devrait en faire une petite chanson, sur la mélodie de Sœur Sourire, qui commencerait ainsi :
Systémique mique mique
S'en allait tout simplement
Raciste ratonnant
Etc.)
Dimanche 24
Sept heures. — Il y a un petit quart d'heure, à la boulangerie “de la mairie” (par opposition à celle “du pont” où je me fournis en pain au levain). Les baguettes “tradition” sont dans un présentoir à hauteur de regard, tandis que les quelques “bien cuites”, celles qui m'intéressent, sont honteusement planquées plus bas, sans doute pour ne pas effrayer le bon peuple.
Je demande donc à la jeune et replète boulangère une “tradition bien cuite”. Elle se retourne vers le présentoir des baguettes honnêtes et m'en choisi une un peu plus dorée que les autres, mais à peine. Moi, désignant le petit ghetto des honteuses : « Non, non, j'en voudrais une bien cuite... » Alors, elle, sur un petit ton professoral : « Ah, mais ça, c'est les baguettes noires ! » Je venais d'apprendre une subtilité supplémentaire, j'étais heureux.
Dans mon élan de reconnaissance pour cette science nouvelle qui venait de m'être infusée, j'ai manqué lui dire qu'elle devrait plutôt, par souci de correction idéologique, parler de baguettes racisées, mais j'ai craint que le distinguo ironique ne nous entraîne trop loin pour un dimanche matin.
J'aurais aussi pu, ces traditions-là étant en partie dissimulées, lui suggérer de les baptiser : baguettes invisibilisées. Et lui demander si, par opposition avec les “bien cuites”, leurs voisines pâlichonnes pouvaient être considérées comme l'étant mal. Mais, là, on aurait risqué l'implosion cérébrale.
— Nous avons donc, hier soir, regardé les trois premiers épisodes de Mission impossible. Comment dire ? C'est une série qui, avec le recul du temps — je rappelle qu'elle est née en 1966 —, demande à être abordée au second degré ; je veux dire : avec une certaine dose d'humour, d'ironie bienveillante. Rien ne fonctionne vraiment. Les intrigues, au moins les deux premières, ne résistent pas à un regard même très modérément critique ; les acteurs sont dans leur grande majorité assez mauvais ; les décors assument fièrement leur statut de décors au mépris de tout réalisme.
Il y a, de plus, certaines particularités vraiment comiques. Je ne donnerai qu'un exemple. La série nous transporte systématiquement dans des pays étrangers : une dictature latino-américaine dans le premier épisode, un genre de Hongrie communiste dans le second. Eh bien, dans ces pays, absolument tout le monde s'exprime en anglais. Simplement, pour nous signifier qu'on est bel et bien dans des contrées exotiques, on a demandé à tous les acteurs interprétant des “natifs” de rouler les r de façon bien marquée. Si bien que le téléspectateur a un peu l'impression d'assister à une représentation d'opérette sur une scène de province dans les années cinquante.
Bref, on a bien ri.
— Tou•te•s ces petit•e•s Jean•ne Moulin•e qui croient être entré•e•s en résistance, parce qu'iels quittent fièrement un cloaque “social” pour un autre...
Dix heures. — Je découvre à l'instant (il était temps...) l'existence du mot “deuillant”, employé comme substantif pour désigner une personne ayant pris le deuil. Il faudrait voir si on le trouve chez Littré... mais j'ai la flemme de me transporter jusqu'à la Case.
— On serait presque étonné de ce que nos progressistes les plus asilaires n'aient pas encore tenté de remettre au goût du jour le Protocole des Sages de Sion : en badigeonnant le texte d'une couche de vernis modernisant, ils devraient y arriver.
— Lorsque l'on se voit exposer dans le détail la totale incurie de Nicolas II, l'irrémédiable étroitesse d'esprit de sa cour aristocratique et le profond sectarisme des dignitaires de l'Église orthodoxe, sans parler de la bêtise bornée de la tsarine flanquée de son lamentable Raspoutine, on en arrive à trouver fort bienvenue la révolution de février 17, et même acceptable le pronunciamiento bolchevique d'octobre. C'est dire.
Midi. — Une phrase de Léautaud, tirée de l'une de ses Gazette publiées dans le Mercure, que je dédie à mes chères sœurs metooffues : « Celui qui ne comprend pas qu'on puisse étrangler une femme ne connaît pas les femmes. »
Cela dit, la sentence (de mort) me semble tout aussi vraie (ou tout aussi fausse) si l'on remplace femme par homme.
Trois heures. — Je ne sais plus si j'ai déjà noté ceci : Léautaud fait partie de ceux qui confondent les expressions “rien moins” et “rien de moins”, lesquelles signifient exactement le contraire l'une de l'autre. Cela m'est indifférent quand je constate la confusion chez un folliculaire contemporain, mais cela m'attriste de sa part à lui.
Lundi 25 (Sainte-Catherine)
Huit heures. — Nous avons, hier soir, commencé à regarder The Fabelmans,
dernier film en date de Spielberg, écrit par lui-même et consacré à son
enfance, sa découverte du cinéma, etc. Je craignais quelque chose de
plus ou moins niais, comme chaque fois que ce réalisateur cesse de
tourner des pellicules pour pré-adolescents et se lance dans le film
“sérieux”. De ce point de vue, je n'ai pas été déçu : on a lâché
l'affaire au bout d'une petite demi-heure d'ennui. Contraste assez
violent : on s'est rabattu sur Eternel Sunshine of the Spotless Mind,
du duo Michel Gondry — Charlie Kaufman, film étrange, assez tordu, que
Catherine a nettement moins apprécié que moi. Il est vrai que je ne suis
guère objectif : il suffit que Kate Winslet joue dans un film,
n'importe lequel, pour me le faire trouver intéressant. Ça marche aussi
avec Marilyn Monroe…
Dix heures. — Comment se voient et se présentent les pompeux imbéciles sous X ? Comme ça :
Journaliste par nécessité, chômeur par conviction. Rythme binaire syncopé et décalage du temps fort.
Celui-ci, en outre, fait partie de la sous-espèce des imbéciles stériles, à savoir ces gens qui n'ont rigoureusement rien de personnel à exprimer, et se contentent donc de “reposter” au petit bonheur ce que viennent de bafouiller les internés des cellules capitonnées voisines.
Une heure. — Sur le parking de la place centrale de Vernon (pour changer un peu du Grand Frais d'Évreux...). Catherine est chez Amplifon (fon, fon...) pour faire, si je puis dire, changer ses oreilles. Le rendez-vous était à midi et demie, mais à une heure moins le quart, la pétasse esgourdologue n'était pas encore revenue de son déjeuner...
Cinq heures. — Comme d'habitude, Léautaud me donne envie de relire les livres de Galtier-Boissière. Ça tombe bien : ils n'attendent que moi dans la Case.
Mardi 26
Huit heures. — Je n'ai décidément pas de chance dans mes tentatives de résurrection d'anciennes séries télé. Hier soir, deux premiers épisodes d'Ally McBeal, série que nous avions bien aimée lorsqu'elle avait débarquée sur l'une des chaînes françaises, voilà près de trente ans. Dans mon souvenir, il s'agissait d'une série judiciaire ; certitude renforcée par le fait qu'elle était signée David Kelley, futur créateur de Boston Justice. Or, pas du tout : c'est en fait une simple sitcom assez gnangnan se déroulant dans un cabinet d'avocats. Et dans laquelle, les affaires traitées sont tout à fait annexes, par rapport aux démêlés sentimentaux et aux questions existentielles de ces dames (les femmes occupent nettement le devant de la scène). De plus, l'héroïne éponyme est plutôt du genre irritant, pour ne pas dire casse-burnes. En gros, je dirais que c'est une série “pour filles” ; avec toutefois des moments assez drôles et quelques trouvailles bienvenues, je le reconnais.
Heureusement, n'écoutant que ma prudence, je n'ai, de toutes ces séries vénérables, acheté que les premières saisons.
Cinq heures.
— L'affaire Boualem Sansal dépasse mes espérances. Il y a d'abord eu,
juste après son emprisonnement en Algérie, le vertueux silence des
défenseurs professionnels de la liberté, comme je le prévoyais. Mais ça
n'a pas suffi. Apparemment, on est passé du mutisme de carpe aux
aboiements de roquet, dans le style : « Je suis contre cette
incarcération, mais il faut reconnaitre qu'il l'a quand même bien
cherché, ce salopard d'islamophobe ! » Comme le faisait remarquer je ne
sais plus qui, ça rappelle étrangement les vertueux des années
soixante-dix, à propos de Soljénitsyne : « Je suis contre le goulag, je
suis contre son expulsion d'URSS, mais il faut bien dire qu'il est quand
même d'extrême droite, hein ! » Ces immondices s'étalent désormais sur
les plateaux de la télévision publique, répandus par quelques
universitaires de garde, le répulsif Benjamin Stora en tête, comme on
pouvait s'y attendre quand on connaît un peu (le minimum…) cet
historien.
Mercredi 27
Sept heures. — « La journée commence mal ! », me suis-je aussitôt dit. Ouvrant l'iBigo, je commence, comme chaque matin, sauf le dimanche, par aller sur le site de ma banque, afin de prendre connaissance des mouvements d'argent s'étant produits sur mes comptes depuis la veille — mouvements le plus souvent du plus vers le moins, comme il est de règle. J'ai pu constater qu'il s'était passé quelque chose durant la nuit, probablement un “insecte” indésirable se glissant par une fente du système : si j'avais bien accès aux comptes, ceux de Catherine et les miens, plus moyen de faire apparaître le détail de nos dépenses “carte dorée” du mois en cours.
Je me suis mis à ronchonner (ronchonnement seulement mental, mais tout de même...). Puis, je me suis rappelé qu'il y a encore quelques années, avant le règne de Dame Ternette, les dits comptes bancaires n'étaient guère consultables qu'une fois par mois, à l'arrivée des relevés sur papier ; et que, de surcroît, je me foutais à peu près complètement de ce qui pouvait bien s'y passer.
Ça m'a instantanément calmé, et je suis allé me servir mon deuxième café de la journée.
— Sinon, pour rester dans ce chapitre des bouleversements existentiels, j'ai lu hier la dernière des 2300 pages du premier tome du journal de Léautaud (que de de, de des et de du !), et j'ai aussitôt enchaîné sur le suivant ; lequel va nous mener de 1928 à 1940. Du coup, mes petites contrariétés bancaires me semblent bien futiles. Parce qu'entre nous, les années trente, c'était pas des vacances. En tout cas, pas pour tout le monde.
Huit heures. — Décidément, quand ça ne veut pas... Déterminé à “faire l'ouverture” de la boulangerie à sept heures et demie, me vient l'idée de partir cinq minutes plus tôt qu'à l'ordinaire et de m'arrêter au Super U afin d'y faire le plein d'essence de Soraya. Déjà, les premières gouttes me sont tombées sur le crâne au moment où j'ouvrais le portail et, le temps d'arriver à la pompe, c'était pluie battante. Là, de quoi m'aperçus-je ? De ce que Catherine avait gardé notre carte dorée dans son sac et que je n'avais donc aucun moyen d'obtenir le carburant désiré. Elle va m'emmerder toute la journée, cette fucking carte ?
Conséquence prévisible (mais non prévue) de ce non-plein : je suis arrivé trop tôt à la boulangerie et ai dû poireauter trois mauvaises minutes avant de voir le rideau de devanture se lever. Je m'attendais plus ou moins, pour compléter la série, à ce que la boulangère m'annonce une rupture d'approvisionnement en pains au levain... Mais finalement non.
(Petite compensation : à mon retour au Plessis, l'insecte bancaire semblait bien avoir été maîtrisé et éliminé...)
Dix heures. — Catherine vient de découvrir, chez Dame Ternette, une recette de foie gras végétal. Qu'on se répète lentement et plusieurs fois ceci : du foie gras végétal. L'asile où nous sommes tous enfermés se porte fort bien, merci.
Renseignements pris, il s'agit d'une mixture à base de noix de cajou, de champignons, d'huile de coco, de gélatine et je ne sais plus quoi d'autre. Je me demande si je ne vais pas transmettre la recette au Saint-Graal et à sa maigre tribu véganoïde pour rendre plus festif leur petit Noël déchristianisé.
Pour faire contrepoids à cette merveilleuse invention, on pourrait imaginer une “salade animale”, dans laquelle les feuilles de laitue ou de scarole seraient remplacées par de très fines lamelles de filet de bœuf. Ou encore, pour les mariages et communions, une pièce montée où l'on aurait enlevé les choux à la crème pour leur substituer avantageusement des quenelles de brochet. Ou des mini-merguez. Ou des fonds d'artichauts.
Monde de tristes tarés.
Cinq heures. — Il est fatal que l'on soit toujours, mais peut-être y a-t-il des exceptions, mauvais lecteur de soi-même. Pour cette raison que donne Léautaud, à propos des épreuves de son Passe-Temps, qu'il vient de renvoyer à l'imprimerie, après avoir eu la prudente sagesse de les faire relire par un tiers :
« Malgré sept lectures, j'ai laissé des bêtises énormes, comme par exemple, des mots composés par les typos qui n'étaient pas du tout dans mon texte. J'ai lu avec la mémoire : les mots qui manquaient je les lisais, les mots en trop je ne les voyais pas. »
Jeudi 28
Six heures. — Levé depuis déjà une demi-heure. Il est vrai que j'étais au lit à neuf heures et demie hier soir, que j'ai dû m'endormir dans la minute ou presque, et que je n'ai pas ouvert un œil durant les huit heures qui ont suivi. Pas à me plaindre, donc : il y a au moins une chose qui continue à fonctionner aussi bien que dans ma jeunesse. Pour le moment.
Les bestiaux, eux, se sont empressés de se recoucher sitôt leur petit-déjeuner pris et redorment comme des bienheureux, en ronflotant gentiment.
— Nous avons, hier soir, regardé sur Netflix un genre de documentaire consacré à un chef californien (il dirige un restaurant plutôt haut de gamme à Beverly Hills) qui, dans sa jeunesse, s'est pris de passion pour les pâtes et a passé environ un an à Bologne pour apprendre à les faire. Pas seulement à les cuisiner : à les faire réellement ; préparer la pâte, la travailler, la découper, façonner les différentes pâtes, tout cela à la main. Il est assez fascinant de les voir travailler, lui et les différentes femmes qui, en Italie, lui ont transmis leur savoir-faire, dont elles-mêmes sont les héritières à travers les générations.
Surprenant aussi, le contraste entre l'activité de cet homme, dont le nom m'échappe, et son look à la ZZ Top : barbe fournie et tatouages partout, qui fait qu'on l'imaginerait plus naturellement en train de réparer des Harleys dans un atelier de la banlieue de Chicago ou de Milwaukee que dirigeant un restaurant raffiné sur la côte ouest.
Le documentaire porte le titre général de Chef's Tables (il y en a trois ou quatre autres du même titre) et est tout naturellement sous-titré Noodles.
Regardant cela, je me disais qu'il était en somme réconfortant de constater qu'il y avait encore des gens capable de se passionner pour, apprendre et pratiquer un véritable métier, faire de leurs mains des choses directement utiles et agréables à leurs contemporains, alors que tant d'autres, à commencer par moi, ne se livrent leur vie durant qu'à des activités vaines, absurdes, quand elles ne relèvent pas du plus complet charlatanisme.
— À part ça, comme dirait DG, nos sœurs metooffues se sont trouvé une nouvelle victime à dépecer : Gérard Darmon. (Il ne fait pas bon se prénommer Gérard par les temps qui clopinent.) Voici ce qu'on lui reproche, d'après Politis, cette feuille de chou piéridée pour gauchistes asilaires :
Neuf femmes accusent l'acteur Gérard Darmon d’insultes et d’humiliations à caractère sexiste, de propositions à caractère sexuel ou de contacts physiques non consentis.
Comme on le voit, ou le pressent, l'affaire est gravissime. Qui donc, de nos jours, a encore l'audace de faire aux femmes, ces purs esprits désincarnés, des “propositions à caractère sexuel” ? Il faut être un monstre pour se laisser aller à de telles extrémités !
(Malgré tout, indécrottable que je suis et reste, j'ai quand même une pensée fraternelle pour toutes ces femmes qui, silencieuses et à peine visibles, parce que moyennement gâtées par la nature, aimeraient sans doute beaucoup qu'on leur en fît davantage, des propositions à caractère sexuel...)
— Les XVIe et XVIIe siècles ont eu leurs chasseurs de sorcières ; nous avons, à présent, des chasseresses de sorciers. Et, pour être devenus virtuels, les bûchers n'en sont pas moins toujours en place.
Midi. — Il peut arriver à Paul Léautaud de débloquer, notamment quand il se met à délirer à propos de l'intelligence “humaine” des animaux. Mais il est parfois le bon sens même, comme par exemple en ce 22 janvier 1929 (qui tombait un mardi) :
On est assez porté à penser que des hommes qui ont des titres, une réputation, qui occupent des places en vue, des travaux desquels on parle, ont tout de même quelque valeur intellectuelle, — alors qu'ils sont souvent tout bonnement de simples imbéciles.
Personnellement, je modifierais quelque peu la sentence léautaldienne, et parlerais plutôt de redoutables imbéciles. Mais c'est peut-être parce qu'ils se sont multipliés depuis cent ans qu'ils le sont devenus.
Cinq heures. — De l'avantage, en 1970, d'avoir été lycéen en Algérie plutôt qu'en France. En novembre de cette année-là, meurt de Gaulle. En France, les écoliers écopent de deux jours de congé ; pardon : de deuil. Nous, de l'autre côté de Mare nostrum, grâce à ce bon président Boumédiène, c'est une semaine entière qui nous est accordée. Et, deux mois plus tôt, à peine la rentrée digérée, nous avions déjà eu une semaine de deuil (passée sur la plage d'en face...), le judicieux président égyptien Nasser ayant trouvé à propos de mourir lui aussi. Comme quoi l'Algérie, ça peut aussi avoir du bon.
— Léautaud, à la fois risible et attendrissant. Cette phrase, du 4 avril 1929 : « Si j'avais seulement trois mois de vacances, comme j'aurais vite fait de faire mon volume : Le Petit Ami suivi d'In Memoriam. »
À cette date, cela fait vingt ans qu'il nous serine cette antienne, à peu près une fois par mois ! Le premier de ces deux titres a paru en 1903 et est depuis longtemps épuisé ; le second, publié en deux livraisons du Mercure en 1905, n'est jamais sorti en volume. Mais avant de les faire reparaître, Léautaud veut absolument les arranger, retrancher ceci, ajouter cela, etc. Lorsqu'il meurt en 1956, il n'en est toujours pas venu à bout. Et c'est finalement de manière posthume que ressortiront les deux œuvres... dans leurs versions de 1903 et 1905.
L'affaire est rendue encore plus piquante par le fait que Léautaud n'a, tout au long de sa vie et de son journal, jamais cessé de répéter qu'à ses yeux, seul vaut ce qu'on a écrit d'un seul jet, spontanément, sans peine et sans retouche.
Vendredi 29
Dix heures. — Parce que Georges Duhamel ne cesse de venir discuter le bout de gras avec Léautaud dans son bureau du Mercure, je viens de m'intéresser un peu à son cas. Je crois bien n'avoir jamais rien lu de lui. Ou peut-être, il y a très longtemps, La Confession de minuit, dont je me souviens qu'elle traînait chez mes parents. Or, je viens de voir que les dix titres composant La Chronique des Pasquier étaient réunis en un seul gros volume “Omnibus”, lequel se trouve pour une quinzaine d'euros. Tentation... D'un autre côté, le risque est assez considérable de voir le dit volume me tomber des mains après une centaine de pages, voire moins. Hésitation...
Midi. — Reçu, de la part de Herr Momosque (Danke sehr !) le premier volet de la trilogie autobiographique de Gorki, Enfance, ainsi que la quatrième saison de Boston Justice.
Samedi 30
Huit heures. — Le 4 juillet 1917, les marins de Cronstadt investissent Petrograd, animés du désir de renverser le gouvernement provisoire, en place depuis février. À leur tête se trouve un bolchevik dont le nom est Raskolnikov. L'insurrection va échouer, en partie à cause des atermoiements de Lénine, mais les marins ne seront pas inquiétés (en tout cas dans un premier temps...) pour leur rébellion. Il n'y aura donc, pour ce Raskolnikov-là, plus heureux que son prédécesseur littéraire, ni crime, ni châtiment...
Onze heures. — Comment, de nos jours, s'exprime une “doctrice” en littérature comparée ? Ainsi :
Au vers 2, l’auteurice semble suggérer que la figure déchirée du "damned Canuck" est chez Miron "dans l’sas" au sens de Nakamura [Nakamura 2019], renvoyant à la liminalité de L’homme rapaillée et au tensif "dehors dedans" (Glissant) de "l’intime extérieur" (Meschonnic).
Il est des jours où l'on est bien content d'avoir, dans sa jeunesse, échappé à l'université.
Trois heures. — Charles-Henry Hirsch, romancier tombé dans le plus complet oubli (toujours la nécropole Léautaud...), savait se montrer particulièrement obséquieux dans ses envois à Rachilde et à Alfred Vallette. Sentence de Léautaud : « Ce pauvre Hirsch a vraiment la bosse de l'aplatissement. »
— Amusant, et parfois un peu perturbant, le décalage qui se produit, lorsqu'on lit un journal d'écrivain plusieurs heures par jour, entre le temps (au sens de durée) du dit écrivain et le nôtre. Ainsi, je viens d'avoir un léger sursaut, quand Léautaud a noté, au détour d'une phrase, que la guerre était finie depuis plus de dix ans. Comment ça, plus de dix ans ? Qu'est-ce qu'il me raconte ? Je fêtais l'armistice il n'y a pas une semaine, moi !
Et ensuite, comme pour parachever cette désorientation temporelle, je retourne en 1917, faire la révolution derrière ces grands enfants de Russes.
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