mardi 1 septembre 2020

Août 2020










LA LEÇON D'ANGLÈS








Samedi 1er

Onze heures. – Le plus souvent, Angelo Rinaldi entre dans ses chroniques à reculons. On sent qu'il n'a pas envie d'y aller. Qu'il préférerait faire autre chose, ou même rien. Seulement, il faut gagner l'argent du ménage, l'imprimerie attend, etc. C'est les jours où il lui faut trois, quatre, sept paragraphes de “chauffe” avant de se résigner à aborder enfin son sujet du jour. On dirait d'un pianiste de concert qui commencerait par offrir à son auditoire vingt minutes de gammes. Ensuite, plutôt que d'écrire, il a tendance à tortillonner des phrases que le lecteur doit lire deux fois – la seconde plus lentement – pour s'apercevoir qu'elle ne disent à peu près rien.

Ou bien, au contraire, il y va franco ; comme on plonge d'un coup dans l'eau trop froide de la piscine de plein air. Dans ces cas-là, il a tendance à faire le malin, à s'essayer au coup de gong, à se montrer primesautier, ce qui n'est pourtant pas sa qualité première. Il tape donc à côté et perd sur les deux tableaux, réussissant à n'être ni amusant ni intéressant. Par exemple, cette phrase, qui ouvre la chronique qu'il consacrait à Truman Capote le 30 mars 1990 :

« Un homme qui, à l'instar de Truman Capote, achète une voiture de sport pour promener à l'aise son bouledogue et une chatte sauvée de la noyade ne saurait être tout à fait un mauvais auteur. »

Ah ? Et pourquoi donc ? Quel rapport ? Quel lien, même ténu, de cause à effet ? On me rétorquera que c'est de l'humour, je suppose. Mais non, ça n'en est pas, c'est juste une phrase épate-gogo, parfaitement dénuée du moindre sens.

En dehors de ces menus reproches, la lecture de ses chroniques littéraires présente évidemment le danger bien connu : vous faire vous précipiter vers votre petit panier amazonien, afin de l'emplir de tous ces écrivains que vous n'avez jamais lus, dont vous n'aviez même jamais entendu parler. Y cédant, à ce danger, je viens de commander un recueil de nouvelles de Mrs Eudora Welty (encore une “Sudiste”) et un roman de James Purdy, dont le nom me dit vaguement quelque chose – mais alors, vraiment très vaguement. Et, hier, sans doute pour contrebalancer par avance mes deux Américains d'aujourd'hui, j'avais fait l'emplette d'un roman de l'Anglaise Jean Rhys. Ces livres étant tout trois compris entre cinq et dix euros, leur découverte, même si elle s'avérait décevante, ne serait en tout cas pas ruineuse.

Trois heures. – Angelo Rinaldi : une vieille dame dont la coquetterie tempère la pruderie, et qui aurait tellement aimé qu'on la crût indigne.

Cela étant, tout volumineux qu'il soit, son recueil de chroniques permet tout de même au lecteur de gagner un temps précieux, dans la mesure où il le met bien à l'abri de la tentation d'aller voir à quoi peuvent ressembler ses romans.

Question : comment doit-on s'y prendre, sur les sites de vente en ligne, pour trouver les livres d'un écrivain ayant eu la mauvaise idée de s'appeler Elizabeth Taylor ? Une chose est aussi sûre (je viens de tenter l'expérience) qu'elle était prévisible : on n'y arrivera pas en tapant son nom et rien d'autre. Les petits malins me souffleront d'essayer, par exemple, “Elizabeth Taylor romancière”. L'idée semblait si bonne que je l'ai eue tout seul. Je viens même de la mettre en pratique sur le site Price Minister. J'ai obtenu un résultat et un seul, pour le moins déroutant puisqu'on propose à ma convoitise “la sphère de montage Taylor Hobson 112/376” qui est, me précise-t-on courtoisement, “une sphère optique pour la métrologie”. Suite au prochain épisode…

Un peu plus tard. – Et la difficulté fut habilement tournée ! Par chance, sur le site amazonien, taper le nom de la romancière suffisait pour parvenir jusqu'à elle directement, sans avoir à fendre la foule des innombrables livres consacrés à l'autre Taylor. Ensuite, il n'y avait plus qu'à sélectionner un roman (en l'occurrence, tout à fait au hasard, j'ai opté pour Hester Lilly) et à retourner chez Price Minister pour en indiquer titre et auteur. Joie d'avoir triomphé de l'obstacle, et joie accrue par le fait d'avoir trouvé le livre à 3,50 € port gratuit.

Six heures. – D'autre part, elles fourmillent d'erreurs, ces chroniques de Rinaldi. Erreurs de détail, le plus souvent, mais qui, du coup, jettent une ombre gênante sur tout l'ensemble. Par exemple, ce début : « Preuve qu'un livre est gagné ou perdu à la première phrase, il y a des débuts qui ne s'effacent pas : “C'était à Mégara, faubourg de Carthage, sous le règne d'Hamilcar…”, qui semble emprunté à un guide touristique. » Eh bien, il faut croire que les débuts-qui-ne-s'effacent-pas, s'effacent tout de même un peu, au moins dans la mémoire de M. Rinaldi. Car la véritable première phrase du Salammbô de Flaubert est : “C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar”.

Dans une autre chronique, Rinaldi nous affirme que Céline a acheté son chat Bébert à la Samaritaine. C'est faux : le Bébert en question a d'abord été acheté par Robert Le Vigan, qui, ensuite, l'a refilé aux époux Destouches. Dans une troisième, parlant de l'enterrement de Barrès, en décembre 1923, il nous montre Léautaud sortant, lui, d'une messe commémorative dite pour Guillaume Apollinaire. Il écrit : « […] il a eu du mal à contenir son rire, c'est la première fois qu'il assiste à une telle cérémonie […]. » Faux et absurde. Faux parce que Léautaud, très ami avec Apollinaire, a assisté, sinon à toutes, du moins à plusieurs des messes "de bout de l'an" dites pour le poète depuis 1919. Et absurde parce que Léautaud était un homme bien élevé et qui, de plus, savait parfaitement à quoi ressemblait une messe catholique. Etc.

Tout cela nonobstant, Rinaldi a souvent des pointes qui font mouche et qui sont tout à fait savoureuses. Comme lorsqu'il établit un parallèle entre Jacques Lacan et l'inénarrable Mme Guyon, la foldingue mystique de la fin du XVIIe siècle et du début du suivant.

Mais enfin, dans l'ensemble, et pour en finir avec lui, c'est tout de même un implacable phraseur.


Dimanche 2

Dix heures. – C'est un vrai bonheur, une jouissance précieuse, que de relire quelques dizaines de pages de la prose faussement nonchalante de Bernard Frank, quand on sort tout juste des phrases tournicotées et souvent pâteuses d'Angelo Rinaldi ! C'est un contraste que je recommanderais chaudement. L'inconvénient du traitement, bien sûr, c'est qu'il faut commencer par avaler le Corse avant de passer au Judéo-Auvergnat (Judéauvergnat ?)… Précisons quand même que Bernard Frank ne fut auvergnat que de 1940 à 1946 ou 47. C'était un Auvergnat “de guerre” si l'on peut dire. Ou un Auvergnat “de précaution”. Car demeurer à Paris à cette époque quand on était juif n'était pas forcément une très bonne idée, et M. Frank père a été somme toute bien inspiré de faire se replier son petit monde sur Aurillac et ses alentours.

– Après ses quarante-huit heures de “mitard”, c'est-à-dire passées dans le réduit où se trouve la chaudière, Joséphine a rejoint ce matin Blanche dans l'enclos. Sa couvomanie semble lui être sortie de l'esprit (?), mais rien ne dit qu'elle ne rechutera pas d'ici quelques semaines. Auquel cas, elle se refera deux jours de mitard : nous ne céderons point à la pression gallinacéenne, on peut en être certain.

Quatre heures. – Sur le site d'Atlantico, un titre qui me laisse tout songeur : « Coronavirus : des New-Yorkais adoptent le scooter. » Dans un premier temps, j'ai cru comprendre que les parents du petit scooter avaient tous deux succombé aux attaques du méchant virus et qu'un couple d'habitants de New York, cœur sur la main, avaient décidé de devenir les parent 1 et parent 2 du pauvre cyclorphelin. Mais, à la réflexion, je subodore qu'il doit s'agir d'autre chose. Je cherche, je cherche…

Par ailleurs, on nous informe que le Petit Chinois entraînerait des “problèmes d'audition” chez certains patients. Il commence à prendre, ce virus, des allures de “VRP multicartes”, vu tout ce qu'on s'est mis à lui attribuer comme pouvoirs.


Lundi 3

Dix heures. – Je me demande bien pourquoi Grasset ou Flammarion ou n'importe qui d'autre n'édite pas les chroniques écrites par Bernard Frank dans le Nouvel Observateur à partir de 1989, alors que celles qu'il a écrites ailleurs, entre 1952 et cette date sont disponibles en plusieurs volumes (que je possède et relis).

Étrange négligence : dans deux chroniques différentes, Frank parle du roman de Jacques Laurent intitulé Les Dimanche de mademoiselle Beaunon. Or, les deux fois, il orthographie “Beaumon” le nom de la demoiselle en question, erreur qui, donc, est répétée dans le volume de chez Grasset où je viens de les relire. Il est curieux que personne, à aucun moment, n'est rectifié la bourde. D'autant que ce patronyme a une histoire précise, dans le roman, si ma mémoire ne me trahit pas. L'héroïne se fait appeler “Beaunon”, alors que, en réalité, d'après l'état civil, elle se nomme “Beaucon”, nom assez difficile à porter, surtout pour une demoiselle.

Trois heures. – Je viens de recevoir le premier tome (il y en a trois) de André Gide et le premier groupe de la Nouvelle Revue Française (Gallimard, évidemment). C'est l'œuvre d'un normalien qui, professeur  débutant nommé à Lyon, eut pour élève le jeune Jean-François Ricard, qui allait devenir Revel, avant de devenir son “patron” dans la Résistance (phrase ô combien merdique, j'en conviens sans barguigner). Il va de soi que, si ce premier tome me passionne, ou au moins m'intéresse, j'achèterai les deux suivants.

Quand je dis que je l'ai “reçu”, ce livre, c'est manière de parler : depuis quelque temps, afin de réduire les frais de port, je me fais envoyer les livres dans un “point relais” local, en l'occurrence un garage de Pacy, où je viens d'aller le chercher.

À ce propos, il faut que je confesse une chose assez honteuse : je me suis finalement résigné à m'affubler d'un masque lorsque je dois fréquenter mes congénères dans des lieux dits clos. Je m'y suis résigné afin que tout le poids des courses ne retombe pas sur Catherine à cause de mes petites lubies personnelles. Cela étant, d'un point de vue prophylactique, c'est une pure mascarade dans la mesure où : 1) je laisse mon nez à découvert afin de respirer plus à mon aise ; 2), j'utilise chaque fois le même masque, que je remets dans ma poche après usage, jusqu'à la fois suivante. De plus, il s'agit d'un masque que Catherine avait déjà utilisé pour son usage personnel et que j'ai, la première fois, ramassé sur le plancher de la voiture. Mais enfin, j'échappe de cette manière à l'amende éventuelle. Ainsi qu'à la réprobation vertueuse et pétocharde de mes concitoyens viro-responsables.

Six heures. – Lu environ 70 pages du livre sus-évoqué : je viens de commander les tomes 2 et 3. Inutile d'en dire plus pour le moment. Sauf peut-être le plaisir qu'il y a, avec tous ces littérateurs nés autour des années 1870, à se retrouver comme en famille. L'impression de connaître un peu tout le monde, certains d'assez loin, d'autres pas vus depuis longtemps, etc. J'y reviendrait sans doute.

Cela dit, il faudrait que je me calme un peu : j'ai actuellement six livres en commande, plus celui reçu aujourd'hui. Certes, aucun ne dépasse dix euros, mais tout de même : comme dit le proverbe, les petits ruisseaux font les gros découverts bancaires.


Mardi 4

Dix heures. – L'ami breton Yann Savidan, sur son blog fouetté par les embruns et délicatement iodé, donne ce matin ses conseils de lecture. Je ne les discuterai pas, il a bien le droit de recommander ce qu'il veut. Seulement, pour nous donner l'envie d'acheter le roman de l'une de ses amies, une nommée Céline Durupthy, il en dit ceci (qui, heureusement pour lui, semble être un extrait de quatrième de couverture… enfin, j'espère !) : « Des femmes, - Fragiles et puissantes, - Tourmentées par la vie et ses aléas - Qui découvrent qu’elles sont belles et fortes et intelligentes et qu’elles n’ont rien à envier à personne ».

En dehors d'un placement erratique des virgules et des tirets, on se dit, avec un certain frisson d'horreur, que ces deux lignes sont propres à faire fuir le lecteur le plus endurci – et même la lectrice, pour peu qu'elle soit intelligente, voire simplement sensée. Et, si ça se trouve, le roman de Mme Durupthy vaut nettement mieux que le répulsif qu'on nous a administré d'entrée. Malgré tout, ça m'étonnerait…

– Passé la tondeuse il y a une demi-heure : j'en avais assez de voir proliférer les grandes fleurs faignasses, toujours aussi faignasses mais de moins en moins fleurs.

– Sur son blog, dans son entrée d'aujourd'hui, Guillaume Cingal se pose une question : « je lis très peu de narratologie – est-ce un tort ? » On dira tout ce qu'on voudra : les normaliens, c'est pas des gens com' nous.

Midi. – Tout de même, pour essayer de mourir moins ignorant (si jamais je devais mourir), je viens d'aller voir chez Dame Wiki ce qu'était exactement cette narratologie que Cingal craint de trop délaisser. Comme je m'en doutais plus ou moins, cela semble tenir le milieu entre l'enfonçage de portes ouvertes et l'enculage de mouche. Un truc très sixties, quoi, qui a dû raccrocher son petit wagon à la sémiotruc, la sémiomachin, le structuralisme, et d'autres réjouissances fort en vogue alors. C'est, par exemple, aux savants narratologues que l'on doit cette bouleversante découverte : « Lorsque le narrateur se confond avec l'un des personnages qui raconte l'histoire de son point de vue, il s'agit d'un récit à la première personne. » Tout s'éclaire soudain.

Sérieusement (enfin, non, justement), tout l'article “narratologie” de Wiki est à lire, tant ces gens-là paraissent à chaque instant de leur vie très occupés à s'emparer d'évidences pour les recouvrir d'un vocabulaire aussi laid que pompeux. Effet comique garanti. Et, bien entendu, ces gens publient une revue, dans laquelle ils se font part les uns aux autres, je suppose, de leurs prodigieuses découvertes. Cela s'appelle, sans excès d'imagination, Cahiers de Narratologie (avec, évidemment, un N majuscule : pourquoi se restreindre ?). Je ne résiste pas au plaisir de déposer ici leur petit texte de présentation :

« Les Cahiers de Narratologie est une revue de théorie et d'analyse des productions culturelles, littéraires, et artistiques publiée par le Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés (LIRCES), EA n°3159. En phase avec les avancées de la narratologie, qui, ces dernières années s’est de plus en plus affirmée comme une pratique interdisciplinaire, la revue publie des études sur les genres narratifs, la production de récits et d’objets culturels. Ces objets ne sauraient être étudiés seulement sous leur aspect formel et fonctionnel comme l’envisageait la narratologie classique. L’articulation entre le culturel et le social est aussi appréhendée dans toutes ses dimensions. L’analyse des productions narratives et culturelles dans leur dimension individuelle et sociale relève aussi bien de la psychanalyse que de l’anthropologie qui envisagent la fonction narrative chez l’homme et plus largement sa capacité à produire la mémoire et la culture dans des processus subjectifs. Mythes et religions, idéologies, grands récits de mise en ordre du monde notamment mettent en scène, sous forme narrativisée, les grands conflits, les impératifs ou les comportements sociaux, et organisent un rapport au temps et au réel. »

Et, là, le diariste constate, navré, qu'il a perdu les deux tiers de ses douze lecteurs habituels…

Trois heures. – On ne se rend plus bien compte de nos jours, mais être un intellectuel “début de siècle” n'était pas toujours une partie de plaisir. Dans le André Gide et le premier groupe de la Nouvelle Revue Française (que je noterai désormais simplement André Gide) d'Auguste Anglès, je tombe à la page 97 sur ceci (nous sommes en 1906 ou 1907) : « Un jour après dîner, Gide et lui [Ruyters] rejoignirent au Pousset des Boulevards Copeau, Schlumberger et Ghéon, qui leur lut les cent premières pages de son Adolescent. »

Est-ce qu'on se rend bien compte de la grandeur et de l'épaisseur de la tuile ? Vous avez bien dîné, vous décidez d'aller tranquillement finir la soirée dans un bistrot agréable… et c'est pour vous farcir cent pages d'Henri Ghéon, sans aucune possibilité de fuite ! Et cinq jours plus tard, apprend-on, les mêmes moins Copeau (un malin ou un lâche, celui-là !) se retrouvent dans un autre établissement, cette fois pour entendre Gide leur lire les premiers chapitres de sa Porte étroite. C'est vraiment à ne plus oser mettre un pied dans aucun mastroquet.


Mercredi 5 août

Dix heures. – Je trouve amusant – avec quelque chose d'un peu touchant, en arrière-plan – que toute sa vie Bernard Frank ait, ponctuellement chaque semaine, acheté et lu le Journal de Mickey. On parle souvent, et toujours pour s'en vanter comme d'un fait d'armes exceptionnel, de sa “fidélité à l'enfance”, à sa propre enfance. Là, il semble s'agir d'une fidélité en acte, et qui ne se pousse pas du col.

– Mes chers compatriotes – comme disait Chirac – semblent ravis qu'on leur impose le port du masque. Ils applaudissent et beaucoup trouvent qu'on devrait les obliger à le porter partout et tout le temps. Après ça, on continuera à nous seriner cette pure fiction du Français “naturellement rebelle et indiscipliné”. En fait, nous nous comportons comme des enfants d'école primaire, ravis de jouer dans ce qui apparaît nettement comme une pièce de théâtre hâtivement montée et pas très bien apprise. Une représentation donnée pour les parents à la fin de l'année scolaire. Mais tout le monde est très content et fier de monter sur les tréteaux et d'y aller de sa petite tirade citoyenne, évidemment citoyenne.

– Toujours en veine d'inventivité langagière, Atlantico crée ce matin l'expression “pire que mauvais”. C'est-à-dire, en ancien français : pire.


Jeudi 6

Neuf heures. – Aujourd'hui, journée Desgranges. Parti comme c'est, je sens que je ne vais pas regretter de conduire une voiture climatisée. Surtout au retour.


Vendredi 7

Dix heures. – Si je veux écrire des choses ici, je crois que j'ai intérêt à le faire ce matin, avant que l'ambiance de la Case ne devienne étuvéenne. Coup de chance : je n'ai rien à dire, sinon que la journée d'hier s'est très bien passée, même si j'avais bêtement laissé la voiture au soleil (personne ne m'a dit qu'il changeait de place au cours de la journée, ce foutu soleil…).

Nicolas, hier, s'est fendu d'un (trop) long billet assez stupidement agressif envers ceux – dont moi – qui regimbent devant le port de leur fichu masque. Comme il n'y avait rien à répondre, je suis resté silencieux. À l'instar du réchauffement atmosphérique, ce virus est en train de s'élever à la dignité de croyance, à laquelle bien sûr il devient blasphématoire de toucher si peu que ce soit. On se retrouve face au binôme bien connu : sacralisation / répression.


Samedi 8

Onze heures. – Temps partiellement couvert, ce qui nous évite le soleil tapant directement sur nos misérables carcasses. Cela dit, il fait tout de même déjà 30°, alors qu'il n'est que neuf heures “au soleil”. J'ai refermé portes et fenêtres il y a déjà deux heures, preuve que nous n'avons pas besoin du petit Chinois pour vivre claquemurés : un peu de chaleur estivale y suffit.

– Je disais avant-hier à Michel Desgranges que les chroniques données par Bernard Frank au Monde me paraissaient plutôt moins bonnes que celles qu'il avait publiées juste avant dans Le Matin de Paris. Et que je trouvais cette baisse de qualité, point dramatique certes, plutôt étrange, pour ne pas dire inexplicable. En fait, je crois avoir trouvé l'explication : il y parle beaucoup plus de politique, de politique “politicienne”, laquelle n'a déjà pas grand intérêt en soi, mais n'en a évidemment plus aucun trente ou quarante ans après. On a un peu l'impression que, impressionné malgré lui par le fait d'avoir rejoint le quotidien “de référence”, Frank se croit plus ou moins tenu d'y donner des gages de son sérieux, voire de sa gauchitude. C'est bien dommage.

Une heure. – Pour accompagner les trois volumes d'Auguste Anglès consacrés à Gide et à la NRF, j'ai repris le Journal du premier cité, afin d'en lire les années correspondantes. C'est Bernard Frank qui fait les frais de l'opération, puisque je viens de l'abandonner au seuil de l'année 1987. Et aussi parce que, décidément, Le Monde ne lui réussit guère.

– Remarque de Charles-Louis Philippe – l'auteur de Bubu de Montparnasse – alors qu'il venait de faire la connaissance de Valery Larbaud : « Ça fait toujours plaisir de rencontrer quelqu'un auprès de qui Gide paraît pauvre. » Il faut rappeler que le père de Valery Larbaud était propriétaire de la source Vichy-Saint-Yorre… et que l'héritier n'avait si frère ni sœur. D'autre part, sa mère était, elle, propriétaire d'un établissement qui allait devenir d'abord célèbre, puis tristement célèbre : l'hôtel du Parc à Vichy.

Trois heures. – Stupéfait de constater que, dans son journal, aux années 1908 et 1909, Gide ne parle pas une seule fois de la NRF qu'il vient tout juste, et fortement, de contribuer à créer. Rien, pas un mot ! comme si cette revue n'avait pas encore commencé d'exister, comme si même l'idée ne lui en était pas encore venue. Avant de refermer le volume, j'ai tout de même lu son récit de la mort et des obsèques de Charles-Louis Philippe. Puis, me souvenant que Léautaud en parlait également dans le sien, je viens de relire le passage concerné. C'est une expérience fort intéressante, dans la mesure où, après ces deux lectures conjointes, il me paraît vraiment difficile de nier que Léautaud est un bien meilleur écrivain que Gide. Au moins un bien meilleur diariste. Mais pas envie de développer, d'analyser le pourquoi ni de soupeser le comment : trop chaud, la Case est en train de devenir africaine.


Dimanche 9

Quatre heures. – De Sir Walter Raleigh, ceci, trouvé dans le livre de Cyril Connolly, Le Tombeau de Palinure : « Le sixième âge est sous le signe de Jupiter, et c'est celui où nous nous mettons à compter le temps qui nous reste, où nous commençons de porter un jugement sur nous-mêmes et d'atteindre la perfection de notre entendement ; le septième et dernier âge est sous celui de Saturne, nos jours y sont tristes et assombris, et nous y découvrons, par coûteuse et lamentable expérience et par cette perte qui est à jamais irréparable, que, de toutes nos vaines passions et affections passées, seule demeure la douleur. »

À cette aune, je me trouve incontestablement dans mon sixième âge, même si j'émets les plus expresses réserves quant à la perfection de mon entendement. La question serait de savoir à quelle distance temporelle, devant moi, se dresse le portail d'entrée dans mon septième âge. On peut toujours espérer qu'un de ces prochains jours – mais pas trop tôt quand même… – un bienheureux cancer ou un covid providentiel (un covidentiel ?) nous en épargnera le franchissement. Mais est-elle seulement souhaitable, cette espèce de dérobade ? On ne sait pas. Sans doute parce que la réponse se trouve au-delà du portail.

– Abandonné Jean Rhys à la moitié de son Bonjour, minuit. Et si, juste avant, je suis allé jusqu'au bout d'Hester Lilly, c'est uniquement parce que le roman d'Elizabeth Taylor (non, pas celle-là : l'autre…) ne dépassait pas les cent pages. Au diable, les vieilles Anglaises !

Six heures. – Entre deux et trois heures, je me suis dit qu'il commençait à faire vraiment chaud. À quatre heures, juste après avoir écrit ce qui précède, ressortant de la Case, j'ai soudain décidé de passer outre ; de considérer que la chaleur n'était plus un problème, qu'elle n'avait plus d'existence en tant que telle, ou au moins plus de réalité tangible. Instantanément, j'ai eu beaucoup moins chaud. Plus exactement, les sensations corporelles provoquées par les conditions atmosphériques n'étaient plus ramassables en un seul mot. Mon esprit tenait à distance la notion même de chaleur.

Cela étant dit, il fait tout de même 38,5°.


Lundi 10

Neuf heures. – Une chose étrange, presque troublante : partout, dans notre jardin comme dans celui de tous les voisins immédiats, l'herbe est complètement cramée depuis déjà plusieurs semaines ; on se croirait quelque part entre Jaen et Grenade. Partout… sauf dans les endroits où on souhaiterait n'en avoir pas : entre les dalles des deux terrasses, au creux des marches d'escaliers, etc. Là, non seulement elle demeure implacablement verte, mais en plus elle continue de pousser. Je n'irai pas jusqu'à en déduire que notre maison et ses alentours sont sous l'emprise d'une puissance aussi malfaisante qu'ironique, mais la tentation est forte…

Deux heures. – Pour rester dans mon “ambiance NRF”, je relis depuis tout à l'heure le début de la biographie de Gaston Gallimard par Pierre Assouline. Et, une fois de plus, je suis stupéfait de lire le récit fait par Gaston de sa toute première rencontre avec Proust, à l'été 1908 sur la côte normande. Je ne suis pas stupéfait du récit en lui-même, mais plutôt par le fait que les personnes qui le reprennent – tel ici Assouline – n'élèvent jamais la moindre objection, le plus petit doute. Or, la rencontre a lieu à Blonville et Gallimard soutient que Proust, chaussé d'escarpins vernis “couverts de poussière” arrivait à pied de Cabourg. À pied ? De Cabourg ? Proust ? On voudrait vraiment nous faire avaler un bobard pareil ? Je viens d'aller vérifier sur “viamichelin” : ce sont au minimum quinze kilomètres qui séparent les deux cités balnéaires en question. Qui pourrait, sans rire, imaginer Proust se taper une trotte pareille, sous le soleil de l'été, en costume de ville et escarpins vernis ? Qu'il ait abusé le jeune Gallimard en lui faisant croire ça – alors qu'il était descendu de voiture juste avant le dernier virage, ou un truc du genre –, soit, c'est possible, Gaston ignorant tout du bipède étrange qui vient de surgir devant lui. Mais que, de nos jours encore, on puisse répéter cette fable sans même signaler son incongruité, c'est un peu fort de café.

Six heures. – Dans sa biographie de Gallimard, Assouline nous apprend que, en l'obtenant à 27 ans, André Malraux fut le plus jeune prix Goncourt de l'histoire. Malraux : né en 1901 ; La Condition humaine : Goncourt 1933. Si tout le reste de son livre est aussi sérieusement fait, je ferais peut-être bien de le ranger tout de suite.


Mardi 11

Neuf heures. – Décidément, M. Assouline est semble brouillé avec les dates et les âges. À la page 220 (éditions Balland) de sa biographie gallimardeuse – pour reprendre le terme forgé par Henri Béraud –, il écrit : « Gaston Gallimard a cinquante ans en 1931. Il est presque à mi-vie. » Son personnage étant mort à 94 ans, ce qui est déjà beau, il ne peut pas être presque à mi-vie à cinquante ans.

Sinon (mais pourquoi : sinon ? – J'en sais rien, fous-moi la paix !), je tombe sur ce paragraphe fortement “résonnant” dans Le Tombeau de Palinure de Cyril Connolly. On le retrouvera à la page 94 de l'édition Fayard. Voici :

« Le but de toutes les cultures est de décliner par excès de civilisation ; les facteurs de décadence – luxe, scepticisme, lassitude et superstition – sont constants. La civilisation d'une époque devient l'engrais de la suivante. Tout atteint semblablement une trop grande maturité. Les désastres du monde sont dus à ce que ses habitants sont incapables de vieillir simultanément. Il y a toujours une nation fruste et intolérante avide de détruire celle qui est tolérante et mûre. Avec le “Meilleur des Mondes”, nous pouvons espérer voir des populations entières sur un pied d'égalité, et toutes les nations se flétrir à l'unisson. Sans doute pouvons-nous dire avec Fontenelle : “Il faut du temps pour ruiner un monde, mais enfin, il ne faut que du temps.” »

Il y a là, dans ces quelques lignes, matière à gloser des heures. Mais il fait déjà trop chaud pour gloser. La glose à 30° c, merci bien.

Deux heures. – Une pauvre dinde hollywoodienne nommé Zoé Saldana vient de s'excuser parce que, incarnant Nina Simone dans un film, elle n'avait pas la peau assez foncée pour le rôle. On attend avec impatience les excuses d'Omar Sy, pour n'avoir pas exactement le rosâtre épiderme d'Arsène Lupin dont il vient d'endosser le costume.

– Dans la biographie de Gallimard par Assouline, je retombe sur la fameuse définition donnée de l'homme par Alexandre Vialatte : « Animal à chapeau moi qui attend l'autobus 27, au coin de la rue de la Glacière. » Il pourra toujours attendre, l'homme. Entre 1976 et 1980, j'ai emprunté le bus 27 quasiment chaque jour, depuis la porte de Vitry où j'habitais jusqu'au centre de Paris. Et je puis certifier que jamais son trajet ne l'a amené jusqu'au coin de la rue de la Glacière : venant du boulevard Vincent-Auriol, il effleurait la place d'Italie pour s'engouffrer dans l'avenue des Gobelins, laissant la rue de la Glacière nettement plus à sa gauche, c'est-à-dire à l'Est. Naturellement, si on empruntait ce même bus 27 pour rentrer porte de Vitry, il laissait la dite rue à sa droite. Mais enfin, dans un cas ni dans l'autre il ne risquait de prendre un passager à chapeau mou à son coin. Évidemment, il est toujours possible que le bus 27 ait vu son trajet modifié entre l'époque de Vialatte et la mienne. Il faudrait mener une enquête, se mettre en rapport avec les archives de la RATP… et la vie est si courte…

Six heures. – Trouvée par Catherine chez Ternette, une affichette collée par un restaurateur, je ne sais d'où, sur sa porte : « Avoir un gros nez n'empêche pas de porter un masque… Je mets bien des caleçons, moi ! »

– Je commence à être nettement horripilé par ces prétendus traducteurs qui semblent ignorer qu'une decade anglaise n'est nullement une décade mais une décennie. Cela doit fait cinquante ans que je le sais, alors que je ne parle ni ne lis l'anglais. Ils pourraient tout de même faire un petit effort, merde !

Sept heures. – L'orage vient de passer, faisant chuter la température de près de dix degrés et répandant une pluie épaisse et dense dont nos arbustes ne songeront sûrement pas à se plaindre, ni nous. L'orage est désormais loin, tout est retombé, mais il demeure les odeurs puissantes qu'il a tirées de la terre.


Mercredi 12

Neuf heures. – Il est intéressant – et amusant – de découvrir à quel point, en ces années 1910 – 1914, tous les membres de la jeune NRF, à commencer par Gide lui-même, tremblent devant Claudel. Que va-t-il penser de tel texte publié dans la revue ? Ne va-t-il pas, à l'inverse, s'indigner d'une non parution ? Ou d'un simple retard ? Si l'un des collaborateurs publie une note sur le dernier livre paru du consul de Prague, on ne vit plus tant que l'auteur ne s'est pas dit satisfait par les louanges qu'on lui a adressées. Et si, dans un texte de lui qui a pris place dans la NRF se sont glissées une ou deux coquilles, c'est le branle-bas de combat dans la soute, on assiste à un échange de lettres affolées entre Gide et Schlumberger, Copeau et Jacques Rivière, etc.

Quant à Gide, il doit en plus faire face au feu de salve croisé déclenché par Paul Claudel et Francis Jammes qui, tous deux, entendent bien lui plonger un de ces jours la tête dans l'eau bénite et ne plus l'en laisser ressortir. Et l'on voit même Gide, tel un enfant penaud, esquiver une rencontre avec Claudel, de passage à Paris pour quelques jours, de peur de n'être pas capable, face à cette “présence réelle” de résister à la puissance convertisseuse du terrible consul. Dans ces cas-là, il se réfugie à Cuverville, tel le lièvre au gîte (le gîte de Gide…), où Madeleine Gide joue les parfaites maîtresses de maison, à défaut d'être une maîtresse tout court. D'ailleurs, en passant, je me demande si cette pauvre Madeleine a jamais connu les joies – espérées – et les déceptions – toujours à craindre – de l'union charnelle, ou bien si elle est morte pucelle. En voilà un beau sujet de thèse pour doctorants inutiles !

Onze heures. – Et voilà, nous sommes en décembre 1911, Gide et Péguy brouillés ! Non, soyons plus précis : c'est Péguy qui est brouillé avec Gide et non l'inverse. Je crois qu'on a parfois tort de dire : « Pierre et Paul sont brouillés », comme si la réciprocité était automatique. Or, elle n'est nullement obligée. Par exemple, je sais bien qu'un Jérôme Vallet ou un Robert Marchenoir sont “brouillés” avec moi, mais je ne le suis nullement avec eux. J'aurais d'ailleurs du mal à l'être, ignorant tout des raisons respectives pour lesquelles eux le sont. À partir de là, évidemment, quand l'un des deux protagonistes a pris l'initiative de la brouille, il doit se produire souvent un effet miroir, si je puis dire, ou un jeu de rivalité mimétique, pour parler comme René Girard, qui entraîne quasi automatiquement la réciproque (« Tu prétends te brouiller avec moi ? Pas du tout : c'est moi qui me brouille avec toi ! »)

Dans le cas de nos deux génies-des-lettres, le motif de la brouille péguyène tiendrait sur une pointe d'épingle : dans la note, fort élogieuse, qu'il a consacré dans la NRF à son Porche du Mystère de la deuxième vertu, Gide a négligé de relever que Péguy avait glissé dans cette œuvre une phrase tirée textuellement d'Isabelle, récit de Gide paru peu de temps avant. Péguy se serait alors éloigné de Gide à cause de son “dilettantisme”. Et il faut encore en rabattre, car, en réalité, Péguy n'a jamais écrit cela nulle part : c'est une confidence orale qu'il aurait faite à Romain Rolland, lequel l'a ensuite rapportée à qui de droit.

Bref, tout cela fait un peu “querelle de bac à sable”. Et si les motifs de brouille de Vallet et Marchenoir étaient du même ordre, je m'étonne moins qu'ils soient passés loin au-dessus de ma tête, épais rustre que je suis. Du reste, il n'est pas impossible qu'eux-mêmes les aient complètement oubliés à cette heure. Mais on sait bien que les brouilles, voire les haines, survivent très bien à leurs raisons premières. Comme le dirait un insouciant anachorète : « C'est toujours pas ça qui va me couper le jeûne ! »

Deux heures. – Décidément, il m'agace, ce traducteur de Connolly (un certain Michel Arnaud). Voici ce sur quoi je tombe, au haut de la page 149 : « Les chefs-d'œuvre appropriés à notre temps sont du style des premiers Chiricos, des derniers Rouaults et du Guernica de Picasso ; » Il y a vraiment là de quoi s'énerver, non ? Reprenons :

1) Le peintre italien ne s'appelle pas Chirico mais De Chirico : en italien, la particule – qui prend la majuscule initiale – n'est pas séparable du nom qu'elle précède. La meilleure preuve est que, dans un dictionnaire italien des noms propres, on trouvera le peintre à la lettre D et non à C. Mais enfin, là, on peut encore penser que l'erreur vient peut-être de Connolly (même si on en doute fortement). En revanche :

2) Contrairement à l'anglais, le français laisse invariable les noms d'auteur même lorsqu'ils servent à désigner leurs œuvres. On dira par exemple : « Cet été, j'ai relu trois Zola et découvert cinq Fragonard que je ne connaissais pas. » (Je note en passant qu'on ne dit jamais : « J'ai aussi écouté deux Beethoven et trois Debussy. »)

3) Je ne sais ce qu'il en est en anglais, mais en français les noms d'œuvres réclament l'italique. Si l'on écrit : Guernica, il s'agit du village ; Guernica, du tableau. Même chose pour le roman, bien entendu : Nana est une héroïne de roman, Nana ce roman lui-même.

Cela fait tout de même beaucoup de fautes en un seul malheureux tiers de phrase.

Six heures. – Commencé à lire Le Neveu, roman de James Purdy, un écrivain américain dont j'ignorais l'existence jusqu'à… jusqu'à il n'y a pas longtemps. Ça m'a l'air très bien.

– Il y a une demi-heure, le ciel s'est brusquement couvert de nuages de plus en plus sombres, on entend le tonnerre qui se rapproche… mais pour l'instant pas une goutte de pluie, alors qu'on comptait fermement sur elle. (Des Normands qui pleurnichent après l'ondée : on aura tout vu.)


Jeudi 13

Onze heures. – Une équipes de météorologues anglais pense pouvoir nous annoncer un hiver très rigoureux. Bande de farceurs ! Ramassis de négationnistes climatiques ! Faiseurs de jeu de Marine Le Pen ! Du reste, ces olibrius n'ont pas tardé à se faire sèchement remettre à leur place par M. Guillaume Séchet, brillant météorologue français que le monde nous envie certainement, qui vient d'affirmer que de telles prévisions allaient à l'encontre de tous les modèles. Ah mais ! C'est bien des Anglais, ça, de ne pas se conformer aux modèles amoureusement tricotés par les experts du GIEC et autres officines stratosphériques.

Cela dit, il n'est nullement exclu qu'en effet les Philippulus britanniques aient raconté n'importe quoi. C'est d'ailleurs à ça qu'on reconnaît le plus infailliblement les météorologues authentiques. Mais enfin, délire ou pas, ils devraient tout de même se montrer un peu plus respectueux des modèles qu'on leur colle sous le nez.

Six heures. – Terminé à l'instant le roman de Purdy dont je parlais hier : très bien. Vraiment très bien. J'ai même été, durant une minute, à deux doigts d'en faire un billet pour le blog – avant de me dire que c'était parfaitement inutile et d'y renoncer (inutilité est le sobriquet dont s'affuble parfois la paresse). À la place, je viens de commander un autre roman de Purdy, Les Œuvres d'Eustace. Lequel me coûtera 0 €, grâce à mes “points Rakuten”, dont j'ignore ce qu'ils sont et que je savais encore moins posséder. Mais enfin, puisque points il y avait…


Vendredi 14

Dix heures. – Ce matin, il y a une demi-heure en fait, tout caparaçonné de mâle résolution et de courage ménager, j'ai passé l'aspirateur. Cela n'a l'air de rien, comme ça. Du reste, promener dans quatre pièces et demie ce gros scarabée emmanché d'un long cou, ce n'est effectivement pas grand-chose. Il n'empêche : pendant que, juste ensuite, je savourais mon café–pipe sur la galerie, j'ai senti monter en moi une bouffée de fierté auto-satisfaite, tout à fait hors de proportions avec l'acte accompli. Cette disproportion même l'a rendu rapidement comique, ce qui a eu pour effet de la faire disparaître. Il en reste le souvenir, que je consigne ici pour en contrecarrer la volatilité.

– Depuis quelques semaines, la phrase que j'ai mise en exergue du blog-mère est la suivante : « Il n'y a pas de vérités, seulement des histoires. » Et je me trouve incapable de me souvenir de qui elle peut bien être, et dans quel livre je l'ai rencontrée. Alzheimer, nous voilà…

D'ailleurs, si j'avais pris la peine de noter à part tous les exergues qui se sont succédé en tête du blog, les relisant aujourd'hui je serais probablement incapable d'en authentifier plus d'un sur cinq, voire sur dix.

Six heures. – Parce, dans le livre d'Anglès sur les débuts de la NRF, Rose Lourdin fut plusieurs fois évoquée (elle venait de paraître dans la revue), je viens de relire trois ou quatre des Enfantines de Valery Larbaud. Ainsi que le texte de Marcel Arland – autre figure de la NRF, mais postérieure à “mon” époque – qui sert de préface au volume de la Pléiade consacré au même Larbaud.


Samedi 15
  
Onze heures. – Dans le  livre d'Auguste Anglès (volume II, p. 350), je tombe sur ceci : « Ce que Copeau commence à éprouver, ce que les amis du groupe [de la NRF] sentiront vers le même moment, c'est le début de l'imperceptible distance qui s'interpose, à partir d'un certain âge, entre les êtres intimement unis. Son accent est celui de la nostalgie pour cette lyrique fusion des consciences qui est le don de la jeunesse et qui passe avec elle. »

Ô combien ! Encore, à cette époque, 1912, les membres du “groupe” sont-ils loin d'être des vieillards, ni même vraiment des hommes mûrs : si Gide a 43 ans, Copeau ne dépasse pas les 33 et Schlumberger les 35. Quant à Jacques Rivière, le tout récent secrétaire de la revue, il vient d'en avoir 25 ! Mais c'est peut-être pour cela qu'Anglès peut évoquer la “nostalgie” de l'état fusionnel antérieur : parce qu'il est encore tout proche. Rajoutez une vingtaine d'années, et la nostalgie aura fait place à la résignation, si ce n'est à l'oubli.

– Depuis deux jours, mais surtout depuis hier, l'un de ces ganglions que paraît-il nous avons dans la gorge se rappelle douloureusement à moi, et les gélules de Doliprane n'y font pas grand-chose – mais un peu quand même. Naturellement, comme souvent avec les douleurs ayant leur siège dans la tête, celle-ci se propage, se répand, musarde, revient sur ses pas, etc. si bien qu'au bout d'un moment je ne sais plus trop si je souffre d'un mal de gorge, d'une rage de dent, d'une otite ou d'une migraine. Tout cela est vaguement agaçant.


Dimanche 16

Deux heures. – Mes petits tracas ganglionnaires ne semblent pas disposés à s'évanouir d'eux-mêmes, ainsi que je l'espérais – obligé de me relever cette nuit pour avaler un Doliprane. Même s'ils n'empirent pas non plus, j'ai l'impression que je ne couperai pas à une visite prochaine chez la bonne doctoresse…

– Lu hier trois ou quatre nouvelles de l'Américaine “sudiste” Eudora Welty, parvenue jusqu'à moi par je ne sais plus quelle voie (Rinaldi peut-être ?) : suffisamment emmerdantes pour que nous en restions là, elle et moi.


Lundi 17

Onze heures. – Une embellie certaine sur le front ganglionnaire : voilà douze heures que j'ai pris mon dernier comprimé de Doliprane, et aucune douleur – même si la zone des combats demeure sensible. Du coup, j'ai sursis jusqu'à demain pour le rendez-vous médical, espérant lâchement y échapper.

– Il me reste environ deux cents pages à lire de la somme d'Auguste Anglès. Ça tombe bien, je commence à me fatiguer un peu des micro-aventures de ces messieurs (pour la parité, tu repasseras !) de la NRF. Je m'en suis tout de même mangé plus de mille deux cents pages jusqu'à maintenant… Il serait temps que sonne la cloche qui mettra fin à cette interminable “leçon d'Anglès”.

– Impressionné (favorablement) par le livre de Salvatore Satta, Le Jour du jugement.

Cinq heures. – Plusieurs personnes m'avaient, par le passé, recommandé chaudement la série produite par HBO et intitulée en français Sur écoute (The Wire en v.o.) ; en particulier Michel Desgranges et Matthieu Woland. Ils semblaient si catégoriques dans leur enthousiasme que j'avais acheté d'un coup les cinq “saisons”. Nous en avions regardé deux épisodes avant d'abandonner, trouvant cela parfaitement ennuyeux. Depuis ce temps, les DVD dormaient au sous-sol…

Et puis, tout récemment, parce que la disette nous menaçait, j'ai proposé à Catherine d'accorder une seconde chance à cette malheureuse série délaissée. Bien nous en a pris : c'est en effet remarquable, nous venons d'enchaîner directement de la première saison à la seconde sans pause. C'est au point qu'on se demande comment nous avons pu trouver cela ennuyeux lors de notre premier essai. Il est vrai que ce n'est pas la première fois qu'un tel phénomène se produit. Conclusion : toujours accorder une seconde chance aux séries. Surtout quand on les a achetées.


Mardi 18

Deux heures. – Je viens d'en finir avec les 1500 pages d'Auguste Anglès consacrée à André Gide et le premier groupe de la Nouvelle Revue Française. Et, même sous la torture, je n'avouerai jamais avoir lu les dernières dizaines un peu en diagonale…

Revenons un peu à Claudel, pour finir. En voilà un homme pénible, par exemple ! (Je ne parle même pas de l'écrivain que je tiens pour à peu près illisible à force de boursouflures.) Il fait peser sur tout le groupe de la NRF, et surtout sur Gide et Rivière, une sorte de terrorisme convertisseur auquel ils semblent incapables de résister (Gide s'en tire grâce à sa nature ondoyante, glissante). Pour une fois, M. Anglès se départ de sa réserve naturelle et de bon aloi pour le traiter d'“adjudant de quartier des âmes”, ce qui est assez bien visé. En 1914, à la parution des Caves du Vatican, Claudel entre en transes : voilà-t-y pas que, dans une certaine page 478 de la “sotie”, il a compris que Gide barbotait bel et bien dans les enfers de Sodome ! On pourrait s'étonner qu'il lui ait fallu attendre si longtemps pour s'en aviser. Mais, tout de même, on parle d'un homme qui s'indigne haut et fort dès qu'on sous-entend devant lui que les rapports de Verlaine et Rimbaud pourraient avoir une certaine coloration homosexuelle… Et c'est le même bonhomme qui affirme sans désemparer que Walt Whitman est l'exemple même de l'hétéro pur sucre. Dans ses imprécations, il en arrive à dire des choses aussi savoureusement cocasses que : « Nous autres catholiques sommes faits pour traverser la Mer Rouge à pied sec. » Et dire que, sans la pénétration de ce visionnaire, on s'imaginerait encore que cet exploit était attribuable aux seuls Juifs…

Mais, comme il est un excellent chrétien, un catholique en acier trempé, Claudel se refuse à désespérer de Gide, qu'il exhorte à fuir les êtres “malsains” et à guérir de la “lèpre” par l'humilité et le repentir. Et, comme c'est aussi un homme de goût et de tact, que la proximité du procès d'Oscar Wilde ne dérange nullement, il y va de son calembour : « Même extérieurement une telle réputation n'est vraiment assise que lorsqu'elle devient un souvenir de cour d'Assises. » Comme dirait l'autre : c'est d'un goût !

Et avec ça qu'il n'est pas seul à brandir le foudre d'une main tandis qu'il agite le goupillon de l'autre : il y a aussi Francis Jammes, son double niais en quelque sorte. Lui aussi, le ravi de la crèche d'Orthez est méchamment secoué par la fameuse page 478 des Caves, et il ne se fait pas faute de le proclamer avec force gémissements.

Ah ! les braves gens…


Mercredi 19

Deux heures. – Passé la matinée, et un peu au-delà, à relire Les Caves du Vatican. J'emploie ce verbe itératif un peu au hasard car, en réalité, je ne suis pas du tout certain de l'avoir déjà lu. Simplement, je ne vois pas pourquoi je ne l'aurais pas déjà lu… Bref, l'expérience fut intéressante, à sa façon. Car il est difficile d'imaginer une chose plus mal ficelée que celle-là, avec ses épisodes s'emboîtant maladroitement, ses coïncidences forcées,  ses personnages marionnettes, tous s'exprimant de la même uniforme façon, laquelle en plus sonne constamment faux. Évidemment, il y a le meurtre de Lafcadio, ce fameux “acte gratuit” qui permet aux professeurs psittacistes de ramener sur le tapis Dostoïevski et son Raskolnikov. Hélas, la comparaison ne sert qu'à écraser un peu plus ce pauvre Gide, à le faire voir à sa vraie taille. Un peu comme quand un photographe amateur, fait placer sa belle-mère dans le cadre d'un site grandiose afin qu'elle serve de minuscule échelle. Je ne vois absolument rien à sauver dans cette “sotie” ; c'en devient perturbant, arrivé à ce point. Non, parce que, tout de même : Gide ! quoi, bon sang ! On se secoue, on essaie de se remonter un peu, de se fouetter l'enthousiasme, de se persuader qu'un écrivain à la réputation aussi dorée sur tranche ne peut pas avoir écrit un livre aussi raté, aussi artificiel, aussi emprunté qu'il nous semble en ce moment même. Et pourtant, si, je t'assure…


Jeudi 20

Dix heures et demie. – Depuis six heures ce matin, lu (relu ?) L'Immoraliste ; qui m'a tout à fait réconcilié avec Gide – si tant est que nous fussions fâchés. Je pense que je vais tout de même en rester là avec lui… au moins en attendant que n'arrive Si le grain ne meurt.

– En dehors de cela, je continue à lire chaque après-midi quelques dizaines de pages du Jour du jugement de Salvatore Satta, dont je viens d'ailleurs de faire un petit billet (mais qui est-ce qui m'a foutu une phrase aussi mal gaulée ?) sur le blog-mère – billet assez “survolé”, pour ne pas dire davantage et plus méchant.


Vendredi 21

Dix heures. – Sur le blog-mère, un commentateur me demande ce que je pense d'Olivier Bleys. C'est la première fois que j'entends ou lis ce nom. N'écoutant que ma soif de connaissances nouvelles, je vais donc aussitôt voir chez Dame Wiki de qui il peut bien s'agir. Ce semble en effet être un écrivain, en tout cas un homme qui publie des livres, né à Lyon en 1970. À 50 ans, il a publié trente-deux livres : c'est beaucoup, mais après tout pas plus que Simenon ou Balzac. Premier bémol : dans le lot, il y a des bandes dessinées et des “romans graphiques” (je mets des guillemets car j'ignore absolument ce que peut être un roman graphique ; par rapport à une bande dessinée, veux-je dire). Deuxième bémol : il a été finaliste au “Goncourt des lycéens”, ce qui, en général, implique une certaine révérence envers tous les conformismes du moment, ceux que, justement, les adolescents prennent pour de la rébellion. En outre, le roman avec lequel il a concouru s'intitule Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes, ce qui donne envie de s'enfuir ventre à terre et jambes à son cou (le plus sûr moyen de se casser la gueule). Enfin, en plus d'avoir écrit trente-deux livres, cet homme trouve encore le temps d'avoir des activités professionnelles variées. Il est notamment “concepteur multimédia indépendant” , également “animateur d'ateliers d'écriture” et, je cite Wiki, “revendique un goût affirmé pour l'échange culturel”, ce qui est, on me l'accordera, d'une originalité et d'une audace proprement stupéfiantes.

Pour couronner tout cela, sa “fiche wiki” – fort probablement rédigée par lui-même – donne la liste exhaustive de tous les honneurs que lui a valus sa plume prestigieuse. Et on ne le sent pas peu fier d'avoir obtenu des distinctions aussi convoitées que le prix Jean Carmet, le prix Café Spirit' et surtout le prix du Roman de la Gourmandise, décerné par les bibliothèques de la communauté de communes Hardouinais-Mené (dont je m'aperçois qu'elle n'existe plus, ayant été absorbé par… Loudéac, la petite patrie de Nicolas). Bref, je crois qu'il se passera longtemps avant que j'ouvre l'un des livres de ce courageux Lyonnais multifonctions. Du reste, j'ai peut-être tort et passe ainsi à côté d'un génie littéraire. (Je sais, je sais : moi non plus je n'y crois pas plus que ça.)

Midi. – Reçu deux livres, l'un de James Purdy, l'autre de Cyril Connolly : un Américain, un anglais – pas de jaloux.  Quand je dis “reçu”, c'est une façon de parler (oui, mais  une mauvaise !), puisque, ces deux paquets, Catherine est allée les chercher, masque au museau, au garage Ford de Pacy où ils se trouvaient en dépôt depuis deux jours. C'est très bien, ce système “Mondial Relay” qui permet de réduire les frais de livraison. D'autant que, s'arrêter au garage Ford ne nous coûte guère, puisqu'il est facile de passer devant quand on vient du Plessis pour aller faire quelque emplette à Pacy. De plus, on trouve toujours à se garer juste devant… Bref, la vie parfois sourit aux salauds de pauvres comme nous autres.

Trois heures. – Attaqué tout de suite le livre de Connolly, livre de critique littéraire. Son intérêt est diminué par mon inculture, dans la mesure où il parle essentiellement d'écrivains anglais qui, pour beaucoup, ne me sont connus que de nom – et encore, pas toujours. Tout de même, à son invite, je me suis enfin décidé à commander un roman d'E.M. Forster. Par sécurité (paresse ?), j'ai opté pour Howards End, connaissant déjà très bien le film de James Ivory, avec Anthony Hopkins, Emma Thompson et la délicieuse Helena Bonham Carter.


Samedi 22

Deux heures. – Rien de particulier à noter – ni même de “pas particulier”. Une journée comme une autre, pas mal de vent mais tout de même moins qu'hier, ciel variable. Petite marche ce matin autour du village, depuis lectures diverses : Connolly et Satta principalement. Mais Gide me fait de l'œil, avec Si le grain ne meurt arrivé au courrier du jour.

Terminé hier soir la deuxième saison de Sur écoute (The Wire), peut-être encore meilleure que la première. Comme nous ne voulons pas prendre le risque de saturer, nous allons marquer une pause et faire un grand bond temporel en arrière en revoyant la seconde saison de Rome.


Dimanche 23

Onze heures. – Ça se lit très bien, Si le grain ne meurt, c'est parfaitement écrit, mais ce n'est guère plus que cela. Si je jargonnais comme un blogueur, je dirais que c'est “juste parfait”. Parfait et assez ennuyeux. Mais je n'en ai lu qu'un gros tiers ; donc, réservons le jugement (là, face à cet insoutenable suspense que j'instaure, ce pauvre André Gide n'a plus un poil de sec).

Six heures. – Je viens d'en finir avec les mémoires de Gide. Si je voulais résumer drastiquement, je dirais que la première partie (l'enfance) est plutôt ennuyeuse, presque scolaire, et la seconde (les enculeries de petits Arabes) assez ridicule dans son emphase édénique (nique nique). Même dans la deuxième moitié de la première partie, lorsqu'il commence à fréquenter des gens connus (Mallarmé, Pierre Louÿs, Henri de Régnier, Vielé-Griffin, etc.), même là il ne parvient pas à vraiment intéresser, tant les portraits qu'il se croit tenu d'en donner sont appliqués. Bref : déception.


Lundi 24

Dix heures. – Je crois que les livres de Bernard Frank, au moins les deux derniers (Un siècle débordé et Solde) auraient enchanté Paul Léautaud – quoique avec lui, on ne puisse jamais être sûr de rien. Du reste, en creusant un peu – ce que je me garderai de faire, de peur de trop montrer mes limites –, on devrait pouvoir trouver des points, sinon de ressemblance, du moins de convergence, entre Léautaud, Jouhandeau (celui de Chaminadour) et Frank. Assortis, il va sans dire, d'énormes divergences.

Quatre heures. – D'après ce qu'on peut lire ici ou là, il meurt environ 57 millions de personnes dans le monde chaque année. Ce qui veut dire que, depuis le premier janvier, il en est mort  près de 40 millions. Dont à peu près 39 millions qui ont eu le mauvais goût de mourir d'autre chose que du Chinois covidentiel.

À l'échelle de la France, à présent : près de 400 000 personnes doivent être mortes depuis le début de l'année. Dont 370 000 d'autre chose que de la “pandémie” qui fait trembler d'effroi les têtes fragiles.

Rien à ajouter à cela.

Six heures. – Durant des décennies, les acteurs et actrices de cinéma qui se trouvaient être homosexuels ont tout fait pour le cacher – allant même, parfois, jusqu'à contracter des mariages bidons –, afin de ne pas risquer de fusiller leurs carrières. À partir des années quatre-vingt (peut-être un peu plus tôt, peut-être un peu plus tard : je ne suis ni sociologue, ni historien, merde !), ils se sont mis à le dire, à “sortir du placard” comme je crois qu'on dit, mais sans ostentation et sans s'appesantir sur la question. Aujourd'hui, je me demande si certains comédiens et diennes n'en sont pas arrivés à revendiquer une homosexualité fictive, pensant, peut-être pas à tort, qu'une trop franche hétérosexualité pourrait constituer un frein à leur ascension hollywoodienne. En somme, ils sortiraient d'un placard dans lequel ils n'ont jamais mis les pieds. Et, bien entendu, ils ne se contentent plus, comme leurs aînés immédiats, d'annoncer un simple fait de nature : il leur faut aussitôt devenir militants de la cause, s'ériger en symbole, se revendiquer porte-drapeau. Je songeais à cela tout à l'heure en lisant la fiche signalétique d'une jeune comédienne nommée Ellen Page, ma foi charmante et point nulle en son art, qui trouve le moyen d'être tout à la fois canadienne, végétarienne et lesbienne ; ce qui commence à faire beaucoup pour une si petite personne (1,55 m sous la toise, mais je me garderai bien de sombrer dans la lilliputophobie la plus ignoble).


Mardi 25

Dix heures et demie. – Totalement repris par Bernard Frank (je viens de sauter d'Un siècle débordé à Solde) : vu que j'avais déjà relu – voire re-relu – tout cela il y a environ un an, on pourra dire que l'affaire vire au gâtisme. Mais, après tout, durant les dernières décennies de sa vie, Léautaud ne faisait guère que relire en boucle ses écrivains favoris, Stendhal, Chamfort et deux ou trois autres, sans se lasser le moins du monde. On m'objectera pertinemment que Frank n'est ni Stendhal ni Chamfort. Je répondrai que je ne suis pas Léautaud non plus.

Les coups de griffe de Frank ne sont jamais réellement méchants – mais je dis ça parce que je n'en suis pas la victime… –, en tout cas leur méchanceté est toujours tempérée par une sorte de gaminerie, un sale-gossisme qui les rend moins cuisants. Par exemple, au début de Solde, il consacre soudain quelques lignes à Bernard Privat qui, neveu de Grasset, fut longtemps le patron des éditions du même nom, et fut donc, à un moment, l'éditeur de Frank. Celui-ci écrit : « Bien que Femina en 1958 ou 1959, Bernard Privat n'en a pas eu la tête tournée et, pour mieux se consacrer aux auteurs de sa maison, il a tout fait pour qu'on oubliât qu'il avait été un écrivain de prix : c'est fait. »

J'en citerais sans effort cinquante de la même veine. On pourra le chicaner sur cette répétition de “fait” dans le dernier membre de sa phrase. C'est, je pense, que Frank devait être un relecteur désinvolte – c'est du moins ainsi que je me le représente. Il laisse passer des négligences, des à-peu-près. Ainsi, à la page suivante de celle que je viens de citer, dans un paragraphe où il parle de François Nourissier, ceci : « Son arrivisme n'a pourtant rien d'exagéré si l'on songe qu'il lui a fallu atteindre et attendre la cinquantaine pour, etc. » Il aurait été mieux venu d'écrire “qu'il lui a fallu “attendre et atteindre” plutôt que l'inverse, la logique y aurait gagné. À moins que Frank n'ait voulu produire un effet subtil que je suis trop brute pour avoir perçu – ce n'est pas à exclure.

Une heure. – Hier, Guillaume Cingal commençait ainsi son billet du jour : « Réveillé presque plus tôt que jamais, 4 h 40, etc. » On comprend parfaitement ce qu'il veut dire, qu'il ne lui est que très rarement arrivé de se réveiller plus tôt qu'en ce lundi. Il n'empêche que la phrase a un aspect saugrenu qui fait qu'on s'y arrête. Saugrenu mais pas déplaisant. (Et, en la relisant, je ne suis plus tout à fait certain s'il voulait vraiment dire ce que j'ai cru comprendre. Du coup, de simplement saugrenue, la phrase en deviendrait vaguement inquiétante.)

Six heures. – Phrase trouvé chez un blogueur, que j'aurai la charité de ne pas mettre en lien : « Pour ma part, chaque téton exhibé est un pas de plus vers la liberté et l’égalité. » En fait, elle aurait mérité une entrée pour elle toute seule sur le blog spécialement dédié aux délires modernœuds. Mais c'est un endroit que j'ai tendance à laisser en jachère, depuis quelque temps.


Mercredi 26

Dix heures. – Commencé ce matin La Véranda de Salvatore Satta, cet écrivain sarde dont j'ai déjà parlé ces jours derniers (enfin, je crois… Sinon, je lui ai consacré un billet ici). C'est un texte qu'il a écrit dans les années trente – encore jeune, donc – et qui a pour thème le séjour qu'il fit dans un sanatorium suisse. Si bien que j'ai un peu l'impression de me retrouver dans celui de La Montagne magique, mais vu par un autre pensionnaire que Hans Castorp.

Midi. – Eh bien voilà ! Deux semaines après que j'ai écrit ce billet, on apprend ce matin que les Dix petits nègres d'Agatha deviennent, par un coup de baguette vertueusement antiraciste, Ils étaient dix. Disparus, les petits nègres ! Il y a quarante ans, une telle sottise aurait provoqué la stupéfaction générale, fortement mêlée d'incrédulité. Il y a vingt ans encore, elle aurait fait sourire. Aujourd'hui, c'est l'étonnement qu'elle suscite : celui qu'une telle mesure “de salubrité morale” ne soit pas intervenue plus tôt. 

Deux heures. – Je crois l'avoir déjà dit mais je vais le redire, tant j'en reste suffoqué : les gens qui, chez Flammarion, à l'extrême fin du siècle dernier, s'occupait de la collection “Mille et une pages” faisaient preuve d'un amateurisme – pour employer le mot le plus gentil, le plus lénifiant qui me vienne à l'esprit : jean-foutrisme s'était présenté d'abord, et plus naturellement – lorsqu'ils ont procédé à l'élaboration du volume consacré à Bernard Frank. Qui, à part des guignols sans foi ni loi ni conscience pourraient imaginer de réunir sous une même reliure neuf livres différents sans prévoir la moindre table des matières ? Eux l'ont fait, sans doute d'un cœur léger et la conscience en paix. Certains de ces livres – presque tous, en fait – sont divisés en parties, qui parfois portent des titres distincts : pas moyen dans ces conditions d'en retrouver une ou l'autre. Ni de savoir ou finit L'Illusion comique et où commence Un siècle débordé : démerde-toi, cochon de lecteur ! Hier, j'ai déjà oublié pour quelle raison, je voulais savoir chez qui et où avait paru Solde pour la première fois. Naïvement, je comptais trouver ce renseignement, comme c'est la coutume, au début du volume : je t'en fiche ! Rien ! Va pleurnicher chez Dame Wiki, pauvre pinailleur, empêcheur d'éditer relax ! J'espère qu'à ces pénibles zozos, le fantôme de Bernard Frank vient parfois la nuit instiller des cauchemars terribles, les faisant se perdre , s'enliser, s'engloutir dans des montagnes d'invendus, ou périr avec leurs saloperies de volumes contrefaits sous les mâchoires des broyeurs à papier.


Jeudi 27

Dix heures. – Depuis hier, je suis passablement énervé contre Blogger qui, inopinément, a changé ma police de caractères, sans bien entendu me donner le moyen de retrouver l'ancienne. Ce n'est pas que la nouvelle soit fondamentalement laide – même si la précédente était plus élégante à mon goût –, mais elle ne permet plus de faire des guillemets anglais corrects. À la place, on obtient ça : “ ”, ce qui est moche et ridicule.

Onze heures. –J'avais, à la suite du paragraphe précédent, commencé de raconter une histoire – disons plutôt : une anecdote – vieille de plus de 40 ans. Finalement, je me suis aperçu que c'était plutôt un billet, que j'étais en train d'écrire. Tout a donc été, le point final posé, transporté sur le blog-mère, pour la plus vive satisfaction des foules.

Une heure. – Je crois n'avoir jamais accordé grande importance aux opinions politiques des gens qu'il m'arrivait de connaître, ou simplement de rencontrer.  C'est un désintérêt qui s'est accentué avec l'âge : aujourd'hui, je m'en fous complètement. J'ai même un certain mal à comprendre comment on peut en parler, en discuter, en débattre. Cela ne signifie pas, je pense, que je suis prêt, tel un ravi de la crèche, à trouver merveilleuse toute personne entrant dans mon espace vital : j'ai comme tout le monde mes intolérances. Par exemple, celui qui me dirait quelque chose comme : « Moi, le passé, je m'en fiche, il n'y a que l'avenir qui m'intéresse », celui-là me verrait aussitôt lui tourner le dos, au moins mentalement. Il pourra bien, ensuite, raconter tout ce qu'il voudra, ce sera peine perdue : je l'ai rendu muet en me faisant sourd.

– Reçu, au courrier de ce matin, le dernier livre de Pierre Moulier. Il s'agit d'un album de photographies, prises par lui, intitulé Le Cantal déglingué. Il a bien entendu écrit un texte de présentation pour ses œuvres – toutes en noir et blanc – que je n'hésiterai pas à qualifier de parfait en son genre. Je compte lui faire un billet sur le blog-mère, mais seulement d'ici un jour ou deux, afin de ne pas écraser trop vite celui que je viens de consacrer à Sylvie Kauffmann et à notre lointain passé commun.

Le livre de Pierre est parti de Saint-Flour le 21 ; il lui aura donc fallu six grandes journées pour parcourir 533 km (ViaMichelin dixit). Il y a cent ans, le livre me serait arrivé le lendemain de son envoi : la tiers-mondialisation de la France me semble en de bonnes mains.


Vendredi 28

Neuf heures. – J'apprends avec une certaine jubilation (mon mauvais fond…) qu'à compter d'aujourd'hui, le masque anti-chinois devient obligatoire partout à Paris, plein air comme lieux fermés, ainsi que dans les départements limitrophes. J'espère fermement que l'on ne va pas s'arrêter en si bonne voie et j'attends avec impatience le décret qui, dans quelques semaines, rendra le port de ce même masque obligatoire aussi dans les appartements privés. Après tout, quoi de plus naturel que de protéger ceux qu'on aime, hein ? Et il se trouvera encore une partie appréciable de la population pour applaudir à la mesure : une fois qu'on est parti sur la pente de l'acceptation béate, il n'y a guère de raisons, ni de moyens, pour s'arrêter avant d'arriver tout en bas. 

On va me dire que c'est impossible, vu qu'on ne peut tout de même pas affecter un policier à chaque foyer, qu'il soit parisien ou banlieusard. Mais c'est inutile : les flics y sont déjà, dans tous ces immeubles "Pot-Bouillesques". C'est le voisin du dessus qui, vous ayant aperçu par votre porte palière entrouverte, ira se livrer avec empressement et délice à une bonne dénonciation citoyenne. C'est le promeneur de la rue qui, voyant passer devant votre fenêtre éclairée une silhouette au visage nu, prendra lui aussi le chemin du commissariat le plus proche. Etc. 

Et puis il y a vos propres rejetons. Si les régimes soviétoïdes d'antan sont parvenus si facilement à persuader les enfants de dénoncer leurs parents mauvais communistes aux antennes locales du Parti, on ne voit pas pourquoi ce serait plus difficile cette fois-ci : les foyers français, il ne faut pas en douter, grouillent de petites Greta Thunberg qui ne demandent qu'à éclore et s'épanouir. En attendant une si indispensable mesure (la sécurité est à ce prix ! ne mégotons pas !), il est déjà bien réjouissant – sauf pour elles – d'imaginer le travail des patrouilles policières qu'on aura chargées d'aller imposer le port du masque dans les cités émotives et leurs environs immédiats.

Onze heures. – J'ai décidé – ce n'est pas la première fois – de me mettre à Montaigne, à raison d'un chapitre par jour (le matin) et de la manière suivante : j'ouvre le volume au hasard, je tourne les pages jusqu'à parvenir au chapitre suivant, et c'est celui-là que je lis. Pour mon premier jour, j'ai eu de la chance : le chapitre 50 du livre premier, De Démocrite et Héraclite, ne dépasse pas trois pages… Ce que j'en ai retenu ? Qu'il est préférable de rire de l'homme que de s'en chagriner. Ça me va.

Dans un tout autre genre, j'ai commencé ce matin, au saut du lit ou quasi, le Howards End d'E.M Forster, romancier anglais que je n'avais jamais lu. À première vue – je n'en ai lu qu'une quarantaine de pages –, ça fait un peu penser à du Jane Austen cent ans plus tard.

– Un historien et un romancier, plus généralement un écrivain, ont forcément des façons différentes d'envisager un même événement, un autre éclairage à porter sur lui, le réflexe de l'observer selon un angle particulier. Prenons par exemple de Gaulle et son appel de Londres. Pour un historien, on le sait bien, c'est le 18 juin qui importe, et presque lui seul. C'est la date pivot, l'acte fondateur, on peut faire fond sur lui : il y a des documents, il a laissé des traces, entraîné des conséquences, etc. Un écrivain s'intéressera bien davantage au 17 juin, plus précisément aux quelques heures qui précèdent et suivent le moment où le tout frais général monte dans l'avion qui va l'emmener à Londres. À ce moment, Charles de Gaulle prend des allures de Jean Valjean, avec sa tempête sous un crâne, ce doit être zébré d'éclairs là-dedans, bien intéressants à observer ! La suite, le 18 et son allocution, n'est plus, à côté du déchirement primordial, qu'une péripétie du récit, sa suite logique, pour ainsi dire prévisible. L'historien pèse l'événement, pendant que l'écrivain scrute le silence dont jaillit l'événement.

Trois heures. – Parfois, je me dis que ce serait bien de disposer d'un peu plus d'argent, d'avoir de quoi s'offrir sans remords de petites choses agréables et inutiles. Depuis tout à l'heure, parce que je suis tombé par hasard sur un court extrait de ce film chez Toi Tube, j'ai grande envie de revoir Un taxi pour Tobrouk (au passage, ayant posé la question à Dame Ternette, j'ai pu constater que, du quintet d'acteurs principaux, ne restait encore en vie que Hardy Krüger – comme quoi c'est bien toujours les Allemands qui gagnent à la fin, et pas seulement dans le football), et je me dis que ce serait bien de pouvoir s'acheter toute une collection de ces films français d'entre 1930 et 1965 (en gros), qui ne sont pas tous des chefs-d'œuvre, certes, mais qu'on reverrait avec plaisir, puis qu'on garderait précieusement, afin de les léguer à nos héritiers qui n'en auraient rien à secouer. 


Samedi 29

Onze heures. – Poursuivi ce matin mes lectures montaignardes (dans la mesure où elles ne datent que d'hier, c'était bien la moindre des choses qu'elles se poursuivissent au moins jusqu'aujourd'hui…). Livre III, chapitre 7 : De l'incommodité de la grandeur. J'y ai relevé la phrase suivante – au moins pour prouver aux soupçonneux que j'ai bel et bien lu le chapitre en question : « J'ai ainsi l'âme poltronne, que je ne mesure pas la bonne fortune selon sa hauteur ; je la mesure selon sa facilité. »

La graphie de la phrase en question indiquera certainement aux familiers de Montaigne que je le lis dans sa version "français moderne", et les plus puristes d'entre eux en profiteronst pour se payer ma fiole. Quitte à leur fournir des armes supplémentaires, je puis leur avouer que, même ainsi toilettée, la langue des Essais m'est encore bien ardue. La déchiffrant plutôt besogneusement, avec lenteur et suée, elle me fait paraître à mes propres yeux étroit, limité, lecteur en seulement deux dimensions, stupide pour ainsi dire. Ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose. Il est possible d'ailleurs que, comme cela s'était produit avec Rabelais il y a quelque temps, je m'accoutume à son langage et le trouve de plus en plus facile à lire. On verra bien.

Trois heures. – Oublié de noter que, juste avant de m'attaquer à Montaigne, j'avais, dès mon lever, remis le chauffage en marche…


Dimanche 30

Dix heures. – Lu mon petit Montaigne matutinal, De la force de l'imagination (livre premier, mais je sais plus le numéro du chapitre), dans lequel il discourt des rapports entre notre esprit et nos pannes d'érection, ainsi que de l'effet que nous appelons "placebo" de nos remèdes. Là-dessus, je me suis dit qu'il était sans doute un peu sot de lire comme j'ai commencé à le faire ces chapitres au hasard, et qu'il serait bien plus simple, toujours à raison d'un par matin, de les prendre tout bêtement dans leur ordre. D'autant que, bien entendu, pour être sûr de ne pas retomber sur un chapitre déjà lu, je corne les pages au fur et à mesure. Si bien que, au bout d'un moment, tous ces cornages vont provoquer une enflure du livre, des boursouflures, le faire ressembler à un Américain qui aurait été emprisonné six mois à l'intérieur d'un MacDo. Donc, à compter de demain, retour à l'ordre !

– Le thermomètre affiche 12° polairement celsius, et il pleut sans discontinuer, comme si on était en Normandie. Ce qui me va fort bien (on sait mon immodéré amour de l'été). 

– Je relisais tout à l'heure l'article que, en 1959, dans France-Observateur, Bernard Frank consacrait à Henri Guillemin. Je suppose que la plupart de mes nombreux lecteurs ignorent qui était ce Guillemin-là, et je ne peux pas leur donner tort de l'ignorer. Henri Guillemin était ce qu'on appelle un chrétien de gauche (Dieu du Ciel ! comment une telle chose est-elle possible ?), dont la passion était de traquer les petites vilenies, réelles ou imaginaires, des grands écrivains. Il visitait les alcôves, fouillait les poubelles, reniflait les bacs à linge sale, épluchait les rapports de police et n'avait de cesse que, grâce à sa tenace patience, toutes les statues les mieux soclées se retrouvent à terre et en miettes. Il se trouvait des gens pour le lire, et même pour l'applaudir. Inutile de dire que l'article que lui consacre Frank est d'une cinglante ironie (n'ayons pas peur des formules toutes faites : elles en valent bien d'autres).

Et je me disais, le lisant, que la réincarnation presque parfaite – catholicisme mis à part – de Henri Guillemin était Michel Onfray, tel qu'il s'est transformé ces dix ou quinze dernières années. Quand l'aîné se faisait dents et griffes sur Vigny, Constant ou Zola, le cadet s'acharne sur Sartre, Freud et Sade. Reste à savoir s'il restera aussi peu de choses du second que du premier, une fois que la mort aura fait son œuvre. C'est, au demeurant, une question d'un médiocre intérêt.

Six heures. – Je viens, avec une journée d'avance, de relire ce journal d'août : j'ai cru que je n'en finirais jamais, tant il me paru nettement plus long que d'habitude. Décidément, je suis bien content de ne pas être un de ses lecteurs : que de temps gaspillé…


Lundi 31

Dix heures et demie. – Je comptais bien, ces jours-ci, gratifier les foules d'un billet sur le blog-mère, concernant le dernier opus (parler crétin) de Pierre Moulier, Le Cantal déglingué, de manière à, par l'énorme afflux d'acheteurs que je n'aurais pas manqué de lui susciter, faire de lui un heureux millionnaire en droits d'auteur. Mais je viens de m'apercevoir, reprenant le livre puis allant musarder chez les Amazones, que l'ouvrage en question ne mentionne pas du tout de nom d'éditeur et que, d'autre part, il semble inconnu dans les officines de vente. du coup, je ne sais plus trop quoi faire. Car à quoi bon couvrir un livre de louanges si personne ne peut ensuite se le procurer ? Je vais demander quelques éclaircissements à l'auteur avant de me lancer.

– Lu le tout premier chapitre de Montaigne… puis le deuxième, car ils étaient vraiment très court. Noté une phrase à la volée, mais j'ai laissé le volume à la maison. J'ai également lu, entre hier et ce matin, l'Adolphe de Benjamin Constant dont c'était, je crois, ma première lecture. Je dis "je crois" car le livre était bel et bien dans ma bibliothèque : pourquoi l'aurais-je acheté pour le ranger là sans l'ouvrir ? Mais enfin, la chose est possible. J'ai enchaîné avec Le Cahier rouge, autobiographie de sa jeunesse, qui se trouve à la suite.

– Blogger a des bizarreries depuis quelques jours, depuis, en fait, que la police a été changée : plus moyen de surbriller un paragraphe sans que tout le texte se mette à défiler dans un sens ou dans un autre, comme un militaire saisi par la démence. Ou comme un robot qui, accédant à l'intelligence, chercherait à conquérir son autonomie. Ça fout un peu la trouille. C'est en tout cas très malpratique.

Six heures. – Bon, j'ai retrouvé ma phrase montaigneuse de ce matin ; en fait, il y en a deux, mais qui se suivent ; les voici : « Certes, c'est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme. » C'est bien pourquoi nous n'essaierons pas. En tout cas, pas ce mois-ci.

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